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LA BRETAGNE LINGUISTIQUE
Vendredi 30 mars 2018
Faculté Victor-Segalen
Salle C219 - 2e étage
10h-11h : Mathilde Sempé (ISP / Université Paris Ouest Nanterre) : « GALV ou la synchronisation des espaces du militantisme breton » 11h-12h : Isabelle Lacroix (Laboratoire Printemps / UVSQ-Paris Saclay) : « Renverser la situation de diglossie entre le basque et le français : mobilisations sociales et politiques publiques au Pays basque français » 13h45-14h45 : Hugues Pentecouteau (CREAD / Rennes 2) et Pierre Servain (LABERS / UBO) : « Apprendre le breton, est-ce faire "communauté" ? » 14h45-15h45 : Hervé Lieutard (LLACS / Université Paul Valéry) : « Codes graphiques et place sociale de la langue occitane à travers son histoire »
Mathilde Sempé
Docteure en science politique
Université Paris Nanterre
Institut des sciences sociales du politique (UMR 7220)
GALV ou la synchronisation des espaces du militantisme breton
Il s’agira de comprendre, dans le cadre de cette intervention, les conditions de possibilité et les
enjeux de la formation du mouvement Galv (L’appel), créé en 1969. Dénommé, le 2 mars 1969,
« Comité d’action progressiste pour la langue bretonne », ce regroupement de militants d’Ar
Falz (revue et maison d’édition créées en 1933 par Yann Sohier), des Jeunesses étudiantes
bretonnes (fondées en 1952 par Per Bernard) et de l’Union démocratique bretonne (parti
politique créé en 1964 par Ronan Leprohon), prendra le nom de Galv lors de son premier
congrès, le 18 mai 1969.
Formé après les mobilisations de mai-juin 1968 – conjoncture de crise politique caractéristique
d’une « rupture du consentement »1 et d’une synchronisation des différents champs du monde
social2 – Galv est aussi le résultat d’un long processus de remise en cause des hiérarchies
culturelles3. En effet, l’enjeu culturel de légitimation de la langue bretonne constitue en réalité
un enjeu politique de réhabilitation des « classes populaires ». Aussi, marqués par les idéologies
et taxinomies propres au processus de décolonisation et dans cet « air du temps contestataire »4,
les militants de Galv lancent « l’appel » à la « décolonisation culturelle de la Bretagne »5.
Le premier temps de l’intervention s’attachera à l’étude des déterminants sociohistoriques de
la synchronisation de ces différents espaces du militantisme breton, en particulier par un bref
retour sur la genèse de ces trois mouvements afin de mieux saisir les dispositions culturelles,
militantes et politiques préalables de l’engagement militant. L’introduction de ces trajectoires
1 Boris Gobille, « Mai-Juin 68 : crise du consentement et ruptures d’allégeances », in Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti et Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 68, Paris, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 2008, p. 19. 2 Pierre Bourdieu, Homo academicus, Paris, Éditions de Minuit, 1992 (1984). 3 Initié particulièrement au sein de l’espace littéraire de production en langue bretonne, au début du XXe siècle. 4 Bernard Pudal, « Ordre symbolique et système scolaire dans les années 1960 », in Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti et Bernard Pudal (dir.), op. cit., p. 62. 5 Galv, Livre blanc et noir de la langue bretonne, Brest, Galv, juin 1969, p. 35.
biographiques dans une « conjoncture de politique fluide »6 (mai-juin 1968) permettra par
ailleurs de mieux rendre compte des conditions de possibilité de la formation de Galv.
Le second temps tentera de restituer les enjeux de luttes pour la légitimation de « l’illégitime ».
A l’appui du Livre blanc et noir de la langue bretonne, nous reviendront, d’une part, sur
l’entreprise de définition et de légitimation de la langue bretonne à partir des catégories de
pensée propres à la décolonisation ; d’autre part, sur les revendications de Galv à propos des
institutions scolaires et du champ de production des biens culturels (particulièrement la radio),
qui donneront notamment lieu, quelques années plus tard, à des négociations pour la rédaction
d’une Charte culturelle de Bretagne, moment structurant de l’institutionnalisation d’une langue
régionale en Bretagne.
6 Michel Dobry, Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2009 (1986).
1
Renverser la situation de diglossie entre le basque et le français : mobilisations sociales
et politiques publiques au Pays basque français
Isabelle Lacroix (Laboratoire Printemps / UVSQ-Paris Saclay)
Cette communication a pour objectif d’éclairer la mobilisation de parents d’élèves d’écoles
immersives en langue basque (ikastolas) au Pays basque français en faveur d’une
« revitalisation linguistique » (Costa, 2010) de cette langue située dans un contexte
diglossique avec le français. Deux axes structureront notre présentation : d’une part, à un
niveau macrosociologique, dans un contexte de décentralisation et d’institutionnalisation
progressive de l’enseignement en langue basque, nous saisirons les relations entre les
pouvoirs publics et la fédération de parents d’élèves d’écoles immersives basque, Seaska et
d’autre part, à un niveau microsociologique, nous interrogerons ce qui a motivé ces parents à
inscrire leurs enfants dans ce type d’écoles.
Nous toucherons à travers ces deux axes, à la question de l’enjeu de la transmission des
langues familiales en dehors de la famille. La famille joue un rôle majeur dans le processus de
transmission intergénérationnelle des langues minoritaires (Jones & Morris, 2007). Or en
France, la transmission des langues régionales des parents aux enfants a diminué de façon
conséquente au fil du XXe siècle. « Seul l’alsacien bénéficie d’un sursis : la chaîne de la
transmission habituelle est rompue dans 47 % des cas seulement. Le basque et le corse
subissent un recul plus important (58 % et 66 %) mais résistent mieux que le catalan, le platt,
les langues d’oïl et les créoles » (Héran, Filhon & Deprez, 2002, p. 3).
Au Pays basque, à partir des années 1970, de multiples structures se créent progressivement,
visant à pallier la perte linguistique au sein de l’institution familiale : cours du soir, crèche,
trois filières scolaires (itinérante, bilingue, immersive), radio, télé, colonies de vacances en
basque, etc. L’école devient le site central du processus de « revitalisation linguistique »,
chargée de transmettre la langue à une population qui ne l’utilise pas en famille et dans son
entourage immédiat. Comme le constatent Christine Schreyer et Louise Gordon, « selon
Fishman (1991) et Krauss (1998), les efforts de revitalisation linguistique doivent cibler les
enfants, car ils sont plus susceptibles de transmettre la langue aux générations futures s’ils
réussissent à la parler couramment » (2007, p. 143). Cette volonté de pallier la baisse de
locuteurs bascophones est renforcée depuis les années 1990 par divers dispositifs d’action
publique jusqu’à la création en 2004, de l’Office public de la langue basque. La dernière
enquête sociolinguistique réalisée en France et en Espagne par l’Office public de la langue, le
Gouvernement basque (Vice-ministère de la politique linguistique) et le Gouvernement de
Navarre révèle qu’en 2016, pour la première fois en un quart de siècle, le basque ne perd plus
de locuteurs en Pays basque français (2017).
Cette communication s’appuie sur un corpus de 28 entretiens biographiques réalisés (en
français) entre 2000 et 2009 auprès de parents d’élèves de couples mixtes (un conjoint
bascophone, l’autre non) et non-mixtes habitant dans des zones rurales et urbaines, sur des
observations de diverses fêtes d’ikastolas et de réunions internes et publiques et sur le recueil
de documents. Certains enquêtés ont fait l’objet d’observations de longue durée (8 ans), ce qui
nous a permis de voir leur parcours parental au sein de ce système d’enseignement. En effet,
cette recherche, qui a débuté lors d’une maîtrise de sociologie, s’est poursuivie tout au long de
notre doctorat portant sur l’engagement autonomiste basque au Pays basque français dans
diverses organisations militantes.
1) Nous appréhenderons tout d’abord l’action publique éducative en langue basque du point
de vue de ces parents d’élèves d’ikastolas. Au Pays basque, la « gouvernance territoriale »
change dans les années 1990 : elle « consiste à rassembler tous les acteurs concernés
2
(associatifs, institutionnels, socio-économiques) par un problème donné, tel que la langue
basque ou le foncier, afin d’établir conjointement le diagnostic et de formuler des
préconisations » (Ahedo, Urteaga, 2004, p. 18). À mesure que se développe une politique
linguistique basque, la fédération Seaska, qui jusque-là mobilisait essentiellement des
répertoires d’actions issus des mouvements sociaux (mobilisation dans la rue, grève de la
faim, etc.), doit donc choisir entre deux logiques que l’on retrouve dans nombre de
mouvements sociaux : participer à l’action publique au risque d’éroder son potentiel critique
ou conserver son autonomie au risque d’être marginalisée (Lascoumes, 1994). La fédération
Seaska et les autorités publiques sont passées d’une relation caractérisée par la méfiance à une
relation d’échange, ce qui conduit les parents d’élèves à s’adapter aux normes et règles de
l’action publique. Mais si Seaska ajuste ses répertoires d’actions et son discours pour ne pas
entrer en rupture avec le ministère de l’Éducation nationale, elle s’approprie les dispositifs
d’action publique en les contestant et en les contournant.
2) Nous décrirons ensuite les processus qui ont amené ces parents d’élèves d’ikastolas à
choisir ce système scolaire pour leurs enfants ; choix qui s’inscrit le plus souvent dans une
trajectoire antérieure d’apprentissage linguistique en cours du soir pour adultes. Nous
rendrons compte de trois logiques parentales : une logique militante, une logique identitaire et
une logique d’intégration. À l’instar des auteurs qui s’intéressent à l’inversion des flux
familiaux entre parents et enfants (Attias-Donfut & al., 2002), nous observerons le
phénomène de socialisation ascendante linguistique, où l’enfant motive le parent dans sa
démarche d’apprentissage du basque, les enfants devenant passeurs culturels pour leurs
parents.
Références bibliographiques
Ahedo I., Urteaga E. (2004), La Nouvelle Gouvernance en Pays Basque. Paris, L’Harmattan.
Attias-Donfut C., Lapierre N. & Segalen M. (2002), Le nouvel esprit de famille, Paris, Odile
Jacob.
Costa J. (2010), « Des derniers locuteurs aux néo-locuteurs : revitalisation linguistique en
Europe », Faits de Langues, n°35-36, p. 205-223.
Héran F., Filhon A., Deprez. C. (2002), « La dynamique des langues en France au fil du XXe
siècle », Population et Sociétés, n°376, p. 1-4.
Jones K., Morris, D. (2007), « Welsh-Language Socialization within the Family »,
Contemporary Wales, University of Wales Press, 20, p. 52-70.
Lascoumes P. (1994), L’Éco-pouvoir. Environnements et politiques, Paris, La Découverte.
Schreyer, C., Gordon, L. (2007), « "Parcourir les sentiers de nos ancêtres" : Un projet de
revitalisation linguistique par le jeu », Anthropologie et Sociétés, 31(1), p. 143–162.
Vice-ministère de la politique linguistique du Gouvernement basque, Gouvernement de
Navarre et Office Public de la Langue Basque (2017), VIe
Enquête Sociolinguistique Pays
basque 2016, Donostia-San Sebastian.
Pour aller plus loin :
Lacroix I., « Valeur symbolique de la langue au Pays basque français et choix de
l’école pour les enfants de couples linguistiquement mixtes », Langage et
société, n°147, 2014, p.67-82 ; Lacroix I., « Les négociations d’une politique linguistique
au Pays basque », Sociétés contemporaines, 82, 2011, p.7-29.
Apprendre le breton, est-ce faire « communauté » ?
Hugues Pentecouteau, Université Rennes 2
Pierre Servain, UBO
Cette communication reprend quelques éléments d’un article publié dans la revue Savoirs
(Pentecouteau, Servain, 2016) qui avait pour objet la formation d’adultes et plus précisément
l’andragogie immersive et les principes de réciprocité développés dans un stage de langue
bretonne : le Kamp etrekeltiek ar vrezhonegerion (KEAV).
Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la manière dont on regarde ces stagiaires. Comment
les qualifier ? Quelles sont les raisons qui font qu’ils s’engagent dans une formation comme celle-
ci ?
De manière distanciée, on peut dire que ce qu’il y a de commun entre eux, c’est une
inscription volontaire dans une démarche d’apprentissage du breton. Nous questionnons
l’homogénéité du groupe social que forment les stagiaires : qu’est-ce qui fait lien, entre eux ?
Pouvons-nous dire qu’ils forment une communauté ?
Au départ, si nous nous sommes intéressés au KEAV, c’est parce que ce n’est pas un stage
comme les autres. C’est un stage qui a une identité forte : 1. du fait des modalités de formation
proposées, 2. du fait de son histoire (car KEAV est un produit de ce qu’on appelle communément
« le mouvement breton »).
En allant observer des stagiaires qui suivent ce stage, nous avions deux hypothèses :
La première était que les stagiaires forment une entité mobilisée, solidaire et partageant des
idées communes (la Bretagne opprimée ; retrouver une Bretagne à 5 départements...)
La deuxième hypothèse portait sur la socialisation militante (ou du moins linguistique) de ce
stage en nous demandant si le groupe social qui se compose durant la durée du stage contribue
- à la construction/relecture d’un passé commun (qu’il soit scientifiquement historique,
orienté ou même fantasmé) qui se ferait au travers de différentes formes de sociabilité.
- à la formalisation d’un avenir partagé ? Est-ce que ce groupe vit au-delà du temps de
formation ? ». Est-ce que les liens qui rassemblent des stagiaires en formation perdurent au-delà des
limites du stage ?
Comme nous le verrons, l’analyse des formes d’engagement dévoile une autre réalité, plus
contrastée.
Codes graphiques et place sociale de la langue occitane à travers son histoire Hervé Lieutard (Univ Paul Valéry Montpellier 3, LLACS EA 4582)
Faire l’étude des graphies occitanes du Moyen Âge à nos jours serait d’un intérêt limité si cette étude
se bornait à établir un simple catalogue des divers graphèmes utilisés en diachronie pour transcrire
cette langue. Il en va autrement si on tente de déceler dans les changements ou les innovations
graphiques les indices des bouleversements sociolinguistiques que connaît la langue occitane à travers
toute son histoire.
Les codes graphiques utilisés pour écrire l’occitan ont fait l’objet d’études ponctuelles mais n’ont
jamais représenté le fil directeur pour étudier l’histoire de la langue, sans doute en raison du
cloisonnement qui existe et persiste aujourd’hui encore entre philologues médiévistes d’un côté et
linguistes et dialectologues de l’autre qui donnent souvent l’impression de travailler sur deux objets
distincts, là où il n’y a qu’une seule et même langue. L’élaboration graphique originale qui caractérise
l’occitan au Moyen Âge et son délabrement spectaculaire au XVIe siècle sont les deux facettes d’une
même histoire, celle de la langue occitane soumise à des contraintes sociales et politiques internes ou
externes en perpétuelle évolution.
Dans cette communication, j’effectuerai simplement quelques zooms sur certains points importants de
ma recherche concernant l’histoire graphique de l’occitan pour montrer que l’étude des systèmes
graphiques peut se doubler d’une analyse qui permet de dessiner en creux une histoire sociale de la
langue. À tous les moments de cette histoire, les choix graphiques opérés collectivement ou
individuellement sont le reflet du prestige plus ou moins grand que la langue occitane occupe dans la
société française ou des représentations qui y sont liées.
J’évoquerai l’émergence des premières formes d’occitan écrit dans les textes en latin et le
renversement progressif du rapport asymétrique entre latin et occitan, notamment grâce au travail que
j’ai effectué pour l’édition du Petit Thalamus de Montpellier1. Ce renversement passe par une
dynamique triangulaire entre la persistance du latin médiéval, le dialecte oral local et l’émergence
d’une forme écrite prestigieuse d’occitan. Au sein de cette relation ternaire se dessine une relation plus
binaire que l’on peut qualifier de diglossie interne de l’occitan et qui se caractérise, dès le Moyen Âge,
par la mise en place d’une nouvelle relation asymétrique entre des registres de langue écrits, distincts
des pratiques orales populaires. Entre le XVe et le XVI
e siècle, le délabrement du système graphique
médiéval dans le cadre du contact de langues avec le français rend compte de la dissolution
progressive de cette diglossie interne de l’occitan au profit d’un nouveau rapport asymétrique avec le
français, comme en témoigne un certain nombre de productions écrites littéraires à cette époque.
Cette question graphique prend une importance nouvelle au XVIIIe siècle avec l’apparition des
premiers dictionnaires d’occitan. Les nécessités de la lemmatisation vont conduire à devoir
reconsidérer la question graphique. Les auteurs des dictionnaires d’occitan vont parfois justifier leurs
choix graphiques et développer dans leurs préfaces toute une série de considérations sur les meilleurs
moyens d’écrire l’occitan. C’est ainsi que va naître un nouveau discours sur la langue qui permet de
dessiner les représentations très contrastées autour de l’occitan à cette époque, lesquelles oscillent
entre tolérance du simple « patois » revendiqué comme gage d’authenticité populaire et défense de la
grande langue de culture ancrée dans une tradition d’écriture millénaire. Les deux conceptions peuvent
se lire dans les choix graphiques opérés.
Dans les nouvelles propositions graphiques qui vont émerger pour transcrire l’occitan, on verra donc
apparaître schématiquement deux tendances bien connues : d’un côté une graphie de type phonétique
dont le modèle se base en partie sur l'orthographe du français (mais pas seulement), de l’autre une
forme graphique qui tente de renouer avec des pratiques médiévales ou avec l’étymologie.
L’intérêt majeur de ces positions souvent tranchées des lexicographes ou écrivains est surtout qu’elles
vont poser les jalons des débats linguistiques autour des entreprises de revitalisation linguistique de
1 Le Petit Thalamus, manuscrit exécuté à partir des années 1320, est le dernier d’une série de sept manuscrits
officiels du Consulat montpelliérain (1204-1789) réalisés à partir de 1260. Il offre un regard sur trois siècles de
pratique d’un occitan pragmatique (avant le passage au français) au sein de ce gouvernement communal, basé
sur un système de représentation par les métiers.
l’occitan aux XIX et XXe siècles (graphie classique versus graphie mistralienne), en même temps
qu’elles vont nourrir les débats scientifiques et idéologiques de la romanistique naissante en France.
Quelques repères concernant la situation linguistique et les codes graphiques occitan en vigueur,
extraits de L’occitan, une langue, une histoire, une littérature (partie 1 : « une langue », H. Lieutard)
Graphie
mistralienne
Graphie classique
Es soulamen au cantoun
de la carrièro que s'avisè
per lo proumié cop de
quaucarèn d'estrange :
un cat que legissié 'no
mapo. Un moumenet,
Segne Dursley
coumprenguè pas ce
qu'avié vist, pièi virè la
tèsto per tourna espincha
: i avié un cat tigra que
se tenié au cantoun de
Privet Drive, mai ges de
mapo en-liò. Mai que i'
avié pouscu passa per la
tèsto ?
Es solament au canton
de la carrièra que
s'avisèt per lo promier
còp de quauqua ren
d'estrange : un cat que
legissiá una mapa. Un
momenet, Sénher
Dursley comprenguèt
pas ce qu'aviá vist, puèi
virèt la tèsta per tornar
espinchar : i aviá un cat
tigrat que se teniá au
canton de Privet Drive,
mai ges de mapa
enluòc. Mai de qué li
aviá poscut passar per
la tèsta ?
D'après J. K. Rowlings, Harry Potter
and the Philosopher's Stone
Graphie mistralienne : En 1854, à sa création, l'association littéraire provençale du Félibrige adopte
le système orthographique proposé par Joseph Roumanille. Cette notation qui prend appui sur le
système graphique du français se popularise notamment grâce au succès de l'écrivain Frédéric Mistral
(Prix Nobel 1904), lequel a fini par se rallier au système préconisé par Roumanille, même s'il a été
tenté dans un premier temps par la graphie d'Honnorat, d'inspiration classique. Avec l'essor du
Félibrige, elle s'est étendue dans l'ensemble de l'espace occitan et a été adaptée aux divers dialectes de
l'occitan, mais a été peu à peu concurrencée par le développement de la graphie classique. Dans les
années qui suivent la Seconde Guerre, l'usage de la graphie mistralienne s'est nettement réduit pour se
limiter progressivement à l'espace dialectal provençal et vivaro-alpin. Si cette graphie reste aujourd'hui
en usage en Provence pour des raisons historiques, elle coexiste aujourd'hui dans ce dialecte avec la
graphie classique.
Graphie classique : Plusieurs systèmes d'écriture en graphie classique ont été proposés à partir de la
seconde moitié du XIXe siècle (Joseph Roux, Antonin Perbosc, Prosper Estieu, Jean-Baptiste
Calvino), mais c'est véritablement la publication de la Gramatica occitana de Louis Alibert, en 1935,
qui représente la mise en circulation d'une véritable norme classique qui connaît aujourd'hui un usage
majoritaire dans l'espace occitan. Les travaux d'Alibert sont fortement inspirés par les travaux du
catalan Pompeu Fabra qui sont à la base de la norme catalane actuelle.
Forme la plus généralisée et la plus consensuelle qui vise à laisser de côté une partie des querelles sur
le respect plus ou moins grand du localisme dialectal. C’est une graphie englobante qui la rend plus à
même de s’adapter aux divers dialectes de l’occitan ; son retour sur les pratiques médiévales lui donne
un prestige au moins aussi ancien que celui de l’écriture en français. Adoptée par l’IEO, elle bénéficie
du fait que tous les individus ont travaillé dans la même vision classique de la langue et ont ainsi
développé un faisceau d’usages convergents à l’échelle de tout l’espace occitan.