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Le Praticien en anesthésie réanimation (2009) 13, 123—126 RUBRIQUE PRATIQUE Ventilation protectrice en anesthésie Protective ventilation in anaesthesia Lennart Magnusson Service d’anesthésie, centre hospitalier universitaire Vaudois, BH-10, 46, rue du Bugnon, 1011 Lausanne, Suisse Disponible sur Internet le 10 avril 2009 MOTS CLÉS Barotraumatisme ; Volotraumatisme ; Ventilation protectrice Résumé En réanimation, la ventilation mécanique peut créer des lésions pulmonaires par barotraumatisme du fait de pression d’insufflation trop élevées, par atélectraumatisme du fait de phénomènes de recrutement/dérecrutement et par volotraumatisme du fait d’une surdis- tension alvéolaire. En anesthésie, une ventilation mécanique, même de courte durée, peut favoriser la survenue de complication pulmonaire si le volume courant est trop élevé. Il est donc recommandé de fixer le volume courant à 6 ml/kg. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Barotrauma; Volotrauma; Protective ventilation Summary In ICU patients, mechanical ventilation may induce pulmonary lesions related to barotrauma, when airway pressures are too high, atelectrauma induced by alveolar recruit- ment/derecruitment and volotrauma that induces alveolar overdistension. Even short duration mechanical ventilation during anesthesia may favor the occurrence of postoperative pulmonary complications when tidal volume is high. It is thus recommended to use 6 ml/kg tidal volume for mechanical ventilation. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. La ventilation protectrice se définit comme une technique de ventilation mécanique qui ne provoque pas de lésions pulmonaires ou n’aggrave pas de lésions préexistantes. À l’heure actuelle, on reconnaît trois types de lésions induites par le ventilateur (en anglais ventilator induced lung injury [VILI]) (Fig. 1). Adresse e-mail : [email protected]. 1279-7960/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pratan.2009.03.006

Ventilation protectrice en anesthésie

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Page 1: Ventilation protectrice en anesthésie

Le Praticien en anesthésie réanimation (2009) 13, 123—126

RUBRIQUE PRATIQUE

Ventilation protectrice en anesthésie

Protective ventilation in anaesthesia

Lennart Magnusson

Service d’anesthésie, centre hospitalier universitaire Vaudois, BH-10, 46, rue du Bugnon,1011 Lausanne, Suisse

Disponible sur Internet le 10 avril 2009

MOTS CLÉSBarotraumatisme ;Volotraumatisme ;Ventilationprotectrice

Résumé En réanimation, la ventilation mécanique peut créer des lésions pulmonaires parbarotraumatisme du fait de pression d’insufflation trop élevées, par atélectraumatisme du faitde phénomènes de recrutement/dérecrutement et par volotraumatisme du fait d’une surdis-tension alvéolaire. En anesthésie, une ventilation mécanique, même de courte durée, peutfavoriser la survenue de complication pulmonaire si le volume courant est trop élevé. Il estdonc recommandé de fixer le volume courant à 6 ml/kg.© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSBarotrauma;Volotrauma;Protective ventilation

Summary In ICU patients, mechanical ventilation may induce pulmonary lesions related tobarotrauma, when airway pressures are too high, atelectrauma induced by alveolar recruit-ment/derecruitment and volotrauma that induces alveolar overdistension. Even short durationmechanical ventilation during anesthesia may favor the occurrence of postoperative pulmonarycomplications when tidal volume is high. It is thus recommended to use 6 ml/kg tidal volumefor mechanical ventilation.© 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La ventilation protectrice se définit comme une technique de ventilation mécanique quine provoque pas de lésions pulmonaires ou n’aggrave pas de lésions préexistantes. Àl’heure actuelle, on reconnaît trois types de lésions induites par le ventilateur (en anglaisventilator induced lung injury [VILI]) (Fig. 1).

Adresse e-mail : [email protected].

1279-7960/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.pratan.2009.03.006

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124 L. Magnusson

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igure 1. Schéma représentant les différents mécanismes deésions pulmonaires liées à la ventilation.

arotraumatisme

e barotraumatisme est une notion ancienne dont la pre-ière description date de 1745. Le barotraumatisme est liéune augmentation de la pression transmurale qui entraînene rupture alvéolaire, puis une diffusion de gaz dans’espace pleural provoquant un pneumothorax, puis dans leissu sous-cutané (emphysème sous-cutané), dans le médias-in (pneumomédiastin) et dans le péricarde avec un risquee tamponnade. C’est donc une complication potentielle-ent létale. Avec les techniques modernes de ventilation,

e barotraumatisme est devenu rare grâce à une meilleureompréhension des conséquences physiopathologiques de laentilation en pression positive et surtout grâce à la mise auoint de systèmes de sécurité sur les ventilateurs de soinsntensifs ou de salles d’opérations, évitant une surpressionlvéolaire. À l’heure actuelle, la cause la plus fréquentee cette complication est la jet ventilation surtout lorsque’on pratique cette technique de manière manuelle. En007, ont été publié les résultats d’une étude danoiseortant sur l’analyse de 27 971 plaintes recueillies sur uneériode de huit ans auprès des compagnies d’assurance. Sure total, 1256 plaintes (4,5 %) étaient liées à l’anesthésiencluant 43 décès ; 24 de ces décès étaient directement liés

l’anesthésie dont deux cas de pneumothorax. Ces deuxas étaient considérés comme évitable par les experts ayantnalysé ces plaintes [1].

Les deux autres lésions liées à la ventilation, leolotrauma ainsi que l’atélectrauma forment pluspécifiquement le VILI dont la première descriptionemonte à 1988 [2]. La surdistension du poumon enn d’inspirium représente le volotrauma et le phéno-ène d’ouverture—fermeture à chaque cycle ventilatoire

eprésente l’atélectrauma.

olotraumatisme

e volotraumatisme est lié à une surdistension alvéolaire.

a lésion pulmonaire que cette surdistension induit est trèsimilaire au syndrome de détresse respiratoire de l’adulteSDRA) avec une augmentation de la perméabilité de laembrane alvéolocapillaire, apparition d’œdème pulmo-

aire, accumulation de neutrophiles et de protéines dans

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n d’expiration (bas). À gauche chez un patient protégé par uneentilation avec 6 ml/kg de volume courant (Vt), à droite chez unatient non protégé par cette même ventilation.

e parenchyme pulmonaire, perturbation de la productione surfactant et diminution de la compliance.

Le principal facteur responsable de ce traumatismeemble être la pression transpulmonaire. En effet, destudes expérimentales ont permis de montrés, par exemple,ue des rats ayant leur cage thoracique entourée d’un corsetont protégés du développement de VILI comparés à des ratsans corset mais soumis aux même pressions de ventilation.es pressions de ventilation plus hautes peuvent donc êtretilisées dans les situations de diminution de compliance [2].

Suite à ces découvertes, on a cherché à diminuer leolume courant (Vt) chez des patients ayant déjà des lésionsulmonaires en milieu de soins intensifs. Plusieurs étudesnt été faites pour évaluer l’impact d’une diminution du Vtur la survie des patients avec un SDRA. La plus fameuseété réalisée par l’ARDS Network en 2000, qui a montré

ne diminution significative de la mortalité avec un Vt deml/kg comparé à 10 ml/kg [3]. Malheureusement par la

uite, d’autres études n’ont pas toujours confirmé ce résul-at.

Récemment, l’équipe de Gattinoni [4] a montré queertains patients sont améliorés ou protégés lors d’uneentilation en pression positive avec 6 ml/kg de Vt alorsue d’autres semblent moins protégés avec ce Vt (Fig. 2).n fait, il semble que certains patients ont un volumeulmonaire ventilable tellement faible que même un Vte 6 ml/kg entraîne une hyperinflation avec surdistensionlvéolaire. Dans cette même étude, Gattinoni démontre quees patients qui ont des pressions de plateau ventilatoirenférieures à 27 cmH2O avec un Vt de 6 ml/kg sont protégése l’hyperinflation alors que ceux qui ont une pression delateau supérieure à 27 cmH2O vont objectiver une hyper-nflation, raison pour laquelle des Vt plus faibles devraienttre utilisés.

télectraumatisme

’atélectrauma est défini comme l’apparition de lésions pul-onaires par le phénomène de recrutement/dérecrutement

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on pulmonaire. *Pathologie pulmonaire interstitielle, pneumonie sévère,ection pulmonaire.

articles pour lesquels un Vt plus faible a été bénéfiquepour les patients, soit lors de ventilations monopulmo-naires, soit dans le cadre d’une chirurgie pouvant favoriserl’apparition d’un SDRA postopératoire comme la chirur-gie cardiaque. Deux études montrent, pour la chirurgie derésection pulmonaire par thoracotomie, que les pressionspulmonaires élevées ou un Vt élevé sont un facteur de risquede développer des lésions pulmonaires postopératoires, plusparticulièrement après pneumonectomie.

En résumé, il existe des bénéfices liés à l’utilisation d’unVt faible, chez des patients avec des poumons sains, mêmepour une courte période. En outre, l’utilisation d’un faibleVt pourrait améliorer la tolérance hémodynamique de laventilation mécanique, (sujet non abordé ici) ce qui entraî-nerait une diminution du remplissage vasculaire requis pourassurer une stabilité hémodynamique.

Lorsqu’un poumon sain est soumis à une seule agression,comme une ventilation qualifiée d’agressive (grand Vt, pasde PEP), il est probable qu’aucune lésion ne développera

Figure 3. Réglages initiaux du ventilateur chez un patient sans lésiœdème. **Sepsis, broncho-aspiration, transfusions, chirurgie de rés

à chaque cycle ventilatoire. En effet, certaines zones pul-monaires sont instables et se collabent à chaque cyclerespiratoire. Les zones frontières entre des zones instableset des zones ouvertes subissent une force de cisaillementpouvant entraîner une lésion de la membrane alvéolaireainsi que de la membrane capillaire. On a pu montrerchez les patients présentant ce phénomène de recrute-ment/dérecrutement, un point d’inflexion sur la courbepression/volume. Ce point représente la limite entrel’augmentation de pression nécessaire à la réouverturedes voies aériennes et celle qui est utile à la ventilation.Lorsqu’on applique une pression expiratoire positive (PEP)identique à la pression correspondant à ce point d’inflexion,on prévient ce phénomène de recrutement/dérecrutement[5].

À l’heure actuelle, il semble exister un consensus pourventiler les patients ayant des lésions pulmonaires de typeSDRA avec des volumes courants plus faibles et l’applicationd’une PEP avec comme objectif, des pressions de ventilation(pression de plateau) inférieures à 25—27 cmH2O.

Poumon « sain »

Qu’en est-il des patients sans lésion pulmonaire préalable ?Plus particulièrement, qu’en est-il des patients à poumonssains, ventilés seulement pendant quelques heures en salled’opération ? Un premier élément de réponse est historique.En effet, durant les 40 dernières années, des millions depatients avec des poumons sains ont été ventilés avec des Vtde 8 à 15 ml/kg sans PEP, sans qu’aucune lésion pulmonairene soit décrite. Par ailleurs, des études ont démontré qu’uneventilation avec un grand Vt sans PEP pendant quelquesheures entraînait l’apparition de marqueurs inflammatoiresdans les poumons d’animaux de laboratoire mais égalementchez l’homme. Ce phénomène était prévenu, ou fortementdiminué, par une ventilation plus « douce » avec des Vt plusfaibles (6 ml/kg) et l’application d’une PEP à 6 cmH2O [6].

Une mise au point publiée récemment dans larevue Anesthesiology pose la question suivante : « quel

volume courant faut-il utiliser chez des patients qui n’ontpas de lésion pulmonaire ? » [7]. Les auteurs de cet articleconstatent qu’il n’y a pas de recommandation communé-ment admise sur le Vt à appliquer chez des patients neprésentant pas de SDRA. Cette mise au point cite quelques Figure 4. Volume courant (Vt) chez l’ensemble des mammifères.
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n postopératoire. Si l’on associe une seconde agressionbroncho-aspiration, bactériémie, transfusions multiples,ontusions pulmonaires par traumatisme ou lié à la chi-urgie) on augmente significativement le risque de voir seévelopper une lésion pulmonaire postopératoire. Schultzt al. [7] proposent un schéma de réglage d’un ventilateurelon que le patient est à risque ou non de développer desésions pulmonaires (Fig. 3).

La crainte de la formation d’atélectasies favorisées par’utilisation de petit Vt a été la raison principale pour’utilisation de Vt élevés, jusqu’à 15 ml/kg ! Aujourd’hui,ous savons que ces atélectasies sont aisément prévenuesar l’application d’une PEP malgré l’utilisation de petit Vt,ette crainte n’est donc plus justifiée pour maintenir des Vtlevés.

Finalement, s’il ne devait y avoir qu’une seule raisonour utiliser un Vt de 6 ml/kg, ce serait de savoir que cettealeur correspond au Vt physiologique. En effet, quel queoit le mammifère étudié, du plus petit (chauve-souris)u plus grand (baleine), la valeur du Vt est de 6,3 ml/kgFig. 4).

L’éditorial qui accompagne la mise au point de Schultz etl. conclue : « c’est pourquoi, il est essentiel d’ajuster leséglages du ventilateur durant l’anesthésie aux variations

es conditions physiologiques provoquées par la chirurgie et’état préexistant du patient, tout en traitant les poumonsoucement. À ce jour, on peut conclure que plus le patientst malade plus la stratégie ventilatoire est importante »8].

[

L. Magnusson

éférences

1] Hove LD, Steinmetz J, Christoffersen JK, et al. Analysis of deathsrelated to anesthesia in the period 1996—2004 from closedclaims registered by the Danish Patient Insurance Association.Anesthesiology 2007;106:675—80.

2] Dreyfuss D, Soler P, Basset G, Saumon G. High inflation pressurepulmonary edema. Respective effects of high airway pressure,high tidal volume, and positive end-expiratory pressure. Am RevRespir Dis 1988;137:1159—64.

3] The acute respiratory distress syndrome network. Ventilationwith lower tidal volumes as compared with traditional tidalvolumes for acute lung injury and the acute respiratory distresssyndrome. N Engl J Med 2000;342:1301—8.

4] Terragni PP, Rosboch G, Tealdi A, et al. Tidal hyperinflationduring low tidal volume ventilation in acute respiratory distresssyndrome. Am J Respir Crit Care Med 2007;175:160—6.

5] Amato MB, Barbas CS, Medeiros DM, et al. Beneficial effectsof the ‘‘open lung approach’’ with low distending pressuresin acute respiratory distress syndrome. A prospective randomi-zed study on mechanical ventilation. Am J Respir Crit Care Med1995;152:1835—46.

6] Choi G, Wolthuis EK, Bresser P, et al. Mechanical ventilationwith lower tidal volumes and positive end-expiratory pressureprevents alveolar coagulation in patients without lung injury.Anesthesiology 2006;105:689—95.

7] Schultz MJ, Haitsma JJ, Slutsky AS, Gajic O. What tidal volumes

should be used in patients without acute lung injury? Anesthe-siology 2007;106:1226—31.

8] Putensen Ch, Wrigge H. Tidal volumes in patients with nor-mal lungs. One for all or the less, the better? Anesthesiology2007;106:1085—7.