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Viagra et medicalisation de la sexualite sous le regard du Comite d'ethique L'ann#e 1998 a vu arriver la premiere medica- tion orale pour le traitement des troubles de la fonction #rectile (TFE) : le silf#nafil (Viagra), autoris# aux Etats-Unis par la FDA le 27 avril 1998, autoris# ~ la vente en pharmacie en Fran- ce et en Europe le mois suivant (disponible depuis le 15 octobre 1998). D evant l'emoi suscite dans le monde par cette nouvelle approche des TFE, et la mediati- sation de decEs cardio-vascu- laires & I'etranger, Bernard Kouchner, secretaire d'letat & la Sante, saisissait le Comite consultatif national d'ethique (CCNE) sur le sujet le 23 juin 1998. Les Sages ont rendu teur avis recemment, alors que, selon le laboratoire Pfizer, 337 000 hommes de 20 & 88 ans avaient & fin septembre 2000 utilise ce produit, Pour le CCNE, la medi- calisation (souhaitable) de la sexualite sous forme de traite- ment ne doit pas imposer une norme (sous-entendu : I'erection optimale) : elle tendrait plutSt & creer une pathotogie, le dysfonc- tionnement erectile, parce qu'il existe un medicament, en negli- geant les autres composantes de la sexualit& Celle-ci ne se resume pas & la capacite erecti- le (capacite mecanique) en oubliant les autres composantes (capacite de desir). Les TFE ne sont qu'un des elements de I'im- puissance : vouloir les vaincre, c'est rechercher ,< la performance ,,. Prise en charge <,t e c h n i q u e ,> et biologique Le CCNE rappelle la necessite d'une approche et d'un suivi medicosociaux pluridiscipli- naires des TFE, surtout s'il y a echec ulterieur du sildenafil. Toute amelioration des troubles sexuels d'un individu concourt & son bien-~tre ; cependant, le sil- denafil doit rester ,, un medica- ment de la vie relationnelle ,,, ce qui impose au prescripteur de reflechir sur la demande qui lui est faite, selon qu'elle provient d'un homme seul ou d'un I Viagra, une d#marche m#dicale, une demarche de couple couple. Le CCNE evoque cer- tains effets de la mediatisation du sildenafil, qui a pu encoura- ger son emploi << dans des situa- tions de faiblesse ,,, susceptibles de correspondre soit & un pro- bleme organique, soit de recherche de la prescription, en echappant & I'encadrement medical necessaire. Le medecin ne peut se contenter d'une prise en charge<<technique >>.L'OMS (1 '° Consultation internationale sur la dysfonction erectile, 1999) insiste sur t'evaluation prealable medico-biologique avec recherche d'HTA, de diabe- te, d'atherosclerose et de fac- teurs de risque cardio-vasculai- re, glycemie & jeun ou HbAlc, bilan lipidique (hyperchelestero- lemie et diabete sont des facteurs de risque de TFE). Des medecins raisonnables Prescrit #, bon escient, le silde- nafil possede un profil de tole- rance satisfaisant. La vague de deces cardio-vasculaires annon- ces ou promis (d'apres des acci- dents survenus aux Etats-Unis) ne s'est pas produite en France parce que I'information (cardio- Iogique, sexotogique) et les mises en garde sont bien pas- sees : des medecins raison- nables (generalistes, urologues, sexologues, voire.., gyneco- Iogues) ont pu reprendre I'initia- tive de la prescription, alors qu'en 1998 ceIle-ci etait faite & la demande du patient dans 90 O/odes cas. Au total, tous les elements reunis depuis deux ans demontrent la bonne tolerance du sildenafil chez les patients dits << cardiaques ,,, medicale- ment et biologiquement bien evalues. La seute contre-indica- tion & la prescription est la prise habituelle de derives nitres (angine de poitrine, insuffisance cardiaque). Un cardiaque doit d'abord ~tre medicalement equi- libre dans I'optique d'une pres- cription de Viagra. J.-M. M, I ................... Sources : Rapport n° 62 du Comit~ d~thique << M~dicafisation de la sexua- lit6 : le cas du Viagra, r#ponse au secr~taire d'Etat a la Sant6 >>; conf~- fence de presse Pfizer <<Coeur et sexualit~ >, avec te Pr J.-Y. Le Heuzey (cardiologie, HEGP, Paris) et IE Giuliano (urologie, CHU du Kremlin- Bic~tre). o "5 10 Revue Frangaise des laboratoires, novembre 2000, N°32'7

Viagra et médicalisation de la sexualité sous le regard du Comité d'éthique

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Page 1: Viagra et médicalisation de la sexualité sous le regard du Comité d'éthique

Viagra et medicalisation de la sexuali tesous le regard du Comite d'ethiqueL'ann#e 1998 a vu arriver la premiere medica-tion orale pour le traitement des troubles de lafonction #rectile (TFE) : le silf#nafil (Viagra),autoris# aux Etats-Unis par la FDA le 27 avril1998, autoris# ~ la vente en pharmacie en Fran-ce et en Europe le mois suivant (disponibledepuis le 15 octobre 1998).

D evant l'emoi suscite dans lemonde par cette nouvelle

approche des TFE, et la mediati-sation de decEs cardio-vascu-laires & I'etranger, BernardKouchner, secretaire d'letat & laSante, saisissait le Comi teconsul tat i f national d'ethique(CCNE) sur le sujet le 23 juin1998. Les Sages ont rendu teuravis recemment, alors que, selonle laboratoire Pfizer, 337 000hommes de 20 & 88 ans avaient& fin septembre 2000 utilise ceproduit, Pour le CCNE, la medi-calisation (souhaitable) de lasexualite sous forme de traite-ment ne doit pas imposer unenorme (sous-entendu : I'erectionoptimale) : elle tendrait plutSt &creer une pathotogie, le dysfonc-tionnement erectile, parce qu'ilexiste un medicament, en negli-geant les autres composantesde la sexualit& Celle-ci ne se

resume pas & la capacite erecti-le (capaci te mecanique) enoubliant les autres composantes(capacite de desir). Les TFE nesont qu'un des elements de I'im-puissance : vouloir les vaincre,c'est rechercher ,< la performance ,,.

Prise en charge<, t e c h n i q u e ,> et biologiqueLe CCNE rappelle la necessited'une approche et d'un suivimedicosociaux pluridiscipli-naires des TFE, surtout s'il y aechec ulterieur du sildenafil.Toute amelioration des troublessexuels d'un individu concourt &son bien-~tre ; cependant, le sil-denafil doit rester ,, un medica-ment de la vie relationnelle ,,, cequi impose au prescripteur dereflechir sur la demande qui luiest faite, selon qu'elle provientd'un homme seul ou d'un

I Viagra, une d#marche m#dicale, une demarche de coup le

couple. Le CCNE evoque cer-tains effets de la mediatisationdu sildenafil, qui a pu encoura-ger son emploi << dans des situa-tions de faiblesse ,,, susceptiblesde correspondre soit & un pro-bleme organique, soit derecherche de la prescription, enechappant & I 'encadrementmedical necessaire. Le medecinne peut se contenter d'une priseen charge << technique >>. L 'OMS(1 '° Consultation internationalesur la dysfonct ion erectile,1999) insiste sur t'evaluationprealable medico-biologiqueavec recherche d'HTA, de diabe-te, d'atherosclerose et de fac-teurs de risque cardio-vasculai-re, glycemie & jeun ou H b A l c ,bilan lipidique (hyperchelestero-lemie et diabete sont des facteursde risque de TFE).

Des medecinsraisonnablesPrescrit #, bon escient, le silde-nafil possede un profil de tole-rance satisfaisant. La vague dedeces cardio-vasculaires annon-ces ou promis (d'apres des acci-dents survenus aux Etats-Unis)ne s'est pas produite en Franceparce que I'information (cardio-

Iogique, sexotogique) et lesmises en garde sont bien pas-sees : des medecins raison-nables (generalistes, urologues,sexologues, voire.., gyneco-Iogues) ont pu reprendre I'initia-tive de la prescription, alorsqu'en 1998 ceIle-ci etait faite &la demande du patient dans90 O/o des cas. Au total, tous leselements reunis depuis deux ansdemontrent la bonne tolerancedu sildenafil chez les patientsdits << cardiaques ,,, medicale-ment et biologiquement bienevalues. La seute contre-indica-tion & la prescription est la prisehabituelle de derives nitres(angine de poitrine, insuffisancecardiaque). Un cardiaque doitd'abord ~tre medicalement equi-libre dans I'optique d'une pres-cription de Viagra.

J.-M. M,

I . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

S o u r c e s : Rappor t n ° 62 du C o m i t ~

d ~ t h i q u e << M~dicafisation de la sexua-

lit6 : le cas du Viagra, r#ponse au

secr~taire d 'E ta t a la Sant6 >> ; conf~-

f e n c e de presse Pf izer << Coeur et

sexualit~ >, avec te Pr J.-Y. Le H e u z e y

(cardiologie, H E G P , Par is ) et IE

Giu l iano (urologie, C H U du Kreml in -

Bic~tre).

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10 Revue Frangaise des laboratoires, novembre 2000, N° 32'7