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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Vie de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, tirée textuellement d'un manuscrit écrit par elle-même d'après l'ordre [...]

Vie de Sainte Marguerite-marie Alacoque

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Vie de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque. ca. 1880

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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Vie de la BienheureuseMarguerite-Marie Alacoque,

tirée textuellement d'unmanuscrit écrit par elle-même

d'après l'ordre [...]

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Alacoque, Marguerite-Marie (la B.). Vie de la BienheureuseMarguerite-Marie Alacoque, tirée textuellement d'un manuscritécrit par elle-même d'après l'ordre du P. Rolin, son directeur,suivie d'une neuvaine en son honneur par le R.P. Piccirelli,....1880.

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-,

VIEnELA

BIENHEUREUSEMARGUERITE-MARIE

ALACOQUETIRÉE TEXTUELLEMENT

D'UN

MANUSCRIT ÉCRIT PAR ELLE-MÊME

D'après l'ordre du P. ROLIN, son directeur.

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* ALMANACHSDe la France illustrée0f.50

Parlaposte.,. 0 65De la première Communion. 0 30

Parlaposte. 0 35Pris en gros — 13 pour 12; 26 pour 24. 55 pour 50

112 pour 100.

OUVRAGES DE M. A. ESPANET

Une famille d'ouvriers. 2fr. » par la poste 2f.25Entretiens sur lesbontés

et les miséricordes de

,Marie150 id. 1 75

Etoile de la vie spirituelle. 1 60 id. 1 70

OUVRAGES DIVERSLes Demoiselles du Ronçay par Albéric Second.

Prix:3fr.;parlaposte,3f.50JacquotetFricotot, ouvrageillustré de 48 grav.

par M. Venet. 1 50Les Lys Rùuges, par Ch. Dubois, 1 fr. par laposte.,. 1 25Les Contes cl'Auteuil, parle même, 1 fr.; par

la poste.,. 1 25Les Albigeois devant l'histoire, par Mathieu

Witche.2 fr.; par la poste, 2 25

Cluny au xi- siècle, par M. F. Çucherat,2fr.;par laposte. 2 25Ebba,Amanesciri.1fr.;parlaposte l 20

Histoire d'un crocodile, par P. Depelchin,050;par laposte,.,. 0 60

Pat, apôtre. Ama nesciri, 020; par la poste. 0 30Catalogue des noms et prénoms qui seuls peu-

vent être donnés légalementàl'étatcivil etau baptême, par de Geslin de Kersolon,650; par la poste;",. 7 »Le Cruxifix dans la famille, le cent, 6 fr parlaposte. 6 50

L'ApostolatduCruxiifx,lecent,3fr.;parlaposte. 3 20

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VIEliELA

BIENHEUREUSE

IIARGUEIIITE-IIIÀRIEALÀCOQUE

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VIEDELA

BIENHEUREUSEMARGUEHITE-MARIE

ALACOQUETIRÉE TEXTUELLEMENT

D'UN

MANUSCRIT ÉCRIT PAR ELLE-MÊME

D'après l'ordre du P. IWLIX, son directeur.

SUIVIE

d'une neuouinc en son honneur

PAR

LE R. P. PICCIRELLI

De la Compagnie de Jésus

PARIS-AUTEUILIMPRIMERIE DES APPRENTIS-ORPHELINS. - ROUSSEL.

40, rue La Fontaino, 40.

1880

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AU LECTEUR

Cette neuvaine a été inspirée par le

désir de présenter quelques traits de laB. Marguerite aux âmes dévouées à sonculte, afin de réveiller en elles la ferveurde l'esprit, et de les exciter à reproduirela suave beauté d'un si grand modèle.

Nous rappellerons qu'il est impossiblede séparer la B. Marguerite, du CœurSacré de Jésus. C'est pour lui seul qu'ellevécut, elle ne vivait que de sa vie, ou,pour parler avec l'apôtre, c'était le CœurSacré de Jésus qui vivait en elle. Il seraitdonc bien difficile de faire connaître la

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Vierge de Paray, sans pénétrer dans lesmystères de la vie intérieure, ou disons-lesimplement, sans retracer la vie divine duSacré-Cœur, et sans toucher à certainsdegrés de perfection qui assurémentsont Join d'être communs ici-bas.

Du reste, on ne songera pas à s'éton-ner, si on remarque bien que cette neu-vaine est principalement destinée aux per-sonnes qui font profession de piété, soit

tm religion, soit dans le monde. A detelles âmes on peut, sans aucun doute,

proposer un idéal plus élevé; n'est-onpas en droit de leur demander une per-fection plus grande?

Les simples fidèles qui marchent dansia voie ordinairepeuvent aussi tirer pro-fit de ces considérations. Tel est l'attraitdes grands exemples de vertu, que, touten embrasant les cœurs bien disposés, ilsdisposent les autres à se laisser captiverpar leur charme tout divin.

Mais, pour être fertiles en fruits de

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sainteté, ces exemples doivent être d'a-bord bien connus. Aussi ne sera-t-il pasinutile, croyons-nous, de mettre en tèiede cette neuvaine les quelques détails bio-graphiques que la Bienheureuse nous adonnés sur elle-même. Puis, l'onctionvraimentcéleste, répandue danscespages,ne peut manquer d'avoir, à elle seule, unemerveilleuse efficacité sur les coeurs, parconséquent de faire beaucoup pour le butde cette neuvaine. Remarquons toutefois

que l'écrit de Marguerite s'arrête à l'an-née 1687, trois ans avant sa saintemort; nous avons pris dans le récit de

¡ses contemporaines ce qu'il est indis-pensable d'ajouter. Afin d'en rendre la,lecture plus agréable, nous l'avons par-tagé en dix sections, une section pour'chaque jour de la neuvaine. Ici une diffi-iculté se présentait, La Bienheureuse, enécrivant, n'avait en vue que d'obéir à sonDirecteur et de lui dévoiler toute sonàme. Elle raconte, avec beaucoup de

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grâceassurément, mais sans toop d'ordre,ni de méthode; c'est le simple tableau de

ce qui se passe en elle. Nos divisions pa-raîtront peut-être arbitraires; cependant,qu'elles correspondent plus ou moins àleurs titres, elles auront toujours unavantage incontestable, celui d'offrir unpoint d'arrêt à l'esprit.

Formée à l'école de l'amour, la- vie deMarguerite est comme la manifestationéclatante de la dévotion au Sacré-Cœur,puisse cette dévotion produire, dans tousceux qui en méditeront les secrets, cesgrandes merveilles de salut, opérées dansla Bienheureuse!

J. M. PICCIRELLI S. J.

Le 8 septembre 1879.

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VIE

DE LA BIENHEUREUSE

PRÉVENANCES DE JÉSUS POUR MARGUERITE

DURANT SES PREMIÈRES ANNÉES.

VIVE JÉSUS!

C'est donc pour l'amour de vous seul, ô

mon Dieu, que je me soumets d'écrire ceci,

par obéissance, en vous demandant pardonde la résistance que j'y ai faite. Mais commeil n'y a que vous qui connaissiez la grandeurde la répugnance que j'y sens, aussi n'y a-t-

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il [que] vous seul qui me puissiez donner laforce de la surmonter, ayant reçu cette obéis-

sance comme de votre part, voulant punir parlà le trop de joie et de précaution que j'avaisprise pour suivre lagrande inclination que j'aitoujours eue de m'ensevelir dans un éterneloubli des créatures; et une fois, après avoirtiré des promesses des personnes que jecroyais y pouvoir contribuer, et brûlé lesécrits que j'avais faits par obéissance, c'est-à-dire, ceux qu'on m'avait laissés, cette or-donnance m'a été faite. 0 mon souverainBien! que je n'écrive rien que pour votre plusgrande' gloire, et ma plus grandeconfusion.

0 mon unique Amour! combien vous suis-[je] redevable de m'avoir prévenue dès maplus tendre jeunesse, en vous rendant lemaître et le possesseur de mon cœur, quoi-que vous connussiez bien les résistances qu'il

vous ferait! Aussitôt que je me sus connaître,vous fltes voir à mon âme la laideur du pé-ché, qui en imprima tant d'horreur dans moncœur que la moindre tache m'était un tour-ment insupportable; et pour m'arrêter dansla vivacité de monenfance l'on n'avait qu'àme dire-que.-c'était offenser Dieu: cela m'ar-rêtait tout court, et me retirait de- ce - quej'avais envie de faire.

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Et sans savoir ce que c'était, je mesentais continuellement pressée de dire cesparoles; « 0 mon Dieu, je vous consacre mapureté et je vous fais vœu de perpétuellechasteté.» Je les dis, une fois, entre lesdeux élévations de la Sainte Messe, que,pour l'ordinaire, j'entendais les genoux nus,quelque froid qu'il fît. Je ne comprenais point

ce que j'avais fait, ni que voulait dire ce motde vœu, non plus que celui de chasteté.

-Toute mon inclination n'était que de me ca-cher dans quelque bois, et rien ne m'empê-chait, que la crainte de trouver des hommes.

La très Sainte Vierge a toujours pris untrès grand soin de moi, qui avais [en elle]tnon recours en tous mes besoins; et elle m'aretirée'de très grands périls. Je n'osais point.du tout m'adresser à son divin Fils, maistoujours à elle, à laquelle je présentais lapetite couronne du Rosaire, les genoux nu.,,en terre, ou en faisant autant de génu-flexions en baisant la terre, que d'Ave Maria.

Je perdis mon père fort jeune, et commej'étais unique de fille, et que ma mère s'étantchargée de la tutelle de ses enfants, quiétaient au nombre de cinq, demeurait trèspeu au logis, par ce moyen j'ai été élevéejusqu'à l'âge d'environ huit ans et demi sans

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autre éducation que des domestiques et vil-lageois.

On me mit dans une maison religieuse, où

on me fit communier que j'avais environ neufans, et cette communion répandit tant d'a-mertume pour moi sur tous les petits plaisirset divertissements, que je n'en pouvais plusgoûter aucun, encore que je les cherchais

avec empressement; mais lors même que j'envoulais prendre avec mes compagnes,, jesentais toujours quelque chose qui me tiraitet m'appelait en quelque petit coin, et ne medonnait point de repos que je ne l'eussesuivi; et puis, il me faisait mettre en priè-res, mais presque toujours prosternée, ou lesgenoux nus, ou faisant des génuflexions,pourvu que je ne fusse pas vue, mais cem'était un étrange tourment lorsque j'étaisrencontrée.

J'avais grande envie de faire tout ce queje voyais faire aux religieuses, les regardanttoutes comme des saintes, pensant que, sij'étais religieuse, je la deviendrais commeelles;cela m'en fit prendre une si grandeenvie, que je ne respirais que pour cela,quoique je ne les trouvasse pas assez reti-rées pour moi; et n'en connaissant pointd'autres, je pensais qu'il fallait demeurer là.

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Mais je tombai dans un état de maladie si

pitoyable que je fus environ quatre ans sanspouvoir marcher. Les os me perçaient la

peau de tous côtés; ce qui fut la cause qu'on

ne me laissa que deux ans dans ce couvent,et on ne put jamais trouver aucun remède à

mes maux, que de me vouer à la Sainte[Vierge], lui promettant que, si elle me gué-rissait, je serais un jour une de ses filles. Jen'eus pas plutôt fait ce vœu, que je rerus laguérison, avec une nouvelle protection de latrès sainte Vierge, laquelle se rendit telle-ment maîtresse de mon cœur, qu'en meregardant comme sienne, elle me gouvernaitcomme lui étant dédiée., me reprenant de

mes fautes, et m'enseignant à faire la vo-lonté de mon Dieu; et il m'arriva une fois

que m'étant assise en disant notre rosaire,elle se présenta devant moi, et me fit cetteréprimande qui ne s'est jamais effacée demon esprit, quoique je fusse encore bienjeune: « Je m'étonne, ma fille, que tu meserves si négligemment! » Ces paroles laissè-rent une telle impression dans mon âme,qu'elles m'ont servi toute ma vie.

Ayant recouvré la santé, je ne pensai plusqu'à chercher du plaisir dans la jouissancede ma liberté, sans me soucier beaucoup d'ac-

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complir ma promesse. Mais, ô mon Dieu! jene pensais pas alors, ce que vous m'avez faitconnaître et expérimenter depuis, qui estque votre Sacré-Cœur, m'ayant enfantée surle Calvaire, avec tant de douleur, la vieque vous m'y aviez donnée ne pouvait s'en-tretenir que par l'aliment de la Croix, la-quelle serait mon mets délicieux. Voici com-ment: sitôt que je commençai à respirer l'airde la santé, je me portai à la vanité et àl'affection des créatures, me flattant que latendresse que ma mère etmes frères avaientpour moi, me mettait en liberté de prendremes petits divertissements, en me donnant,du bon temps autant que je voudrais. Maisvous me fîtes bien voir, ô mon Dieu, quej'étais bien éloignée de mon compte, lequeljavais fait suivant mon inclination, naturelle-ment portée au plaisir, mais non selon vosdesseins, qui se trouvèrent bien éloignés desmiens.

Ma mère s'était dépouillée de son autoritédans sa maison pour la remettre à quelqu'au-tres qui s'en prévalurent de telle manière,que jamais elle, ni moi, ne fûmes en si grandecaptivité; non que je veuille blâmer ces per-sonnes en ce que je vais dire, ni croire qu'el-les fissent mal en me faisant souffrir (mon

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Dieu ne me permettait pas cette pensée),mais seulement de les regarder comme ins-truments dont il se servait pour accomplir sasainte volonté. Nous n'avions donc plus au-cun pouvoir dans la maison et n'osions rienfaire sans permission. C'était une continuelleguerre, et tout était fermé sous la clef, entelle sorte, que, souvent je ne me trouvaispas même de quoi m'habiller pour aller à lasainte Messe, [à moins] que je n'empruntassecoiffe et habits. Ce fut pour lors que je com-mençai à sentir ma captivité, à laquelle jem'enfonçai si avant, que je ne faisais rien et

ne sortais point sans l'agrément de trois per-sonnes.

Ce fut dès lors que toutes mes affections setournèrent à chercher tout. mon plaisir etconsolation dans le Très Saint-Sacrement del'Autel. Mais me trouvant dans un villageéloigné de l'église, je n'y pouvais aller, qu'a-vec l'agrément de ces personnes; et il setrouvait que quand l'une le voulait, l'autrene l'agréait pas; et souvent lorsque j'en té-moignais ma douleur par mes larmes, l'on mereprochait que c'était que j'avais donné quel-que rendez-vous à quelques garçons et qu'ilm'était bien sensible de ne les pouvoir allertrouver, sous le prétexte de vouloir aller à la

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¡sainte Messe ou bénédiction du Très SaintSacrement. Et moi qui me sentais dans moncœur une si grande horreur de tout cela, quej'aurais plutôt consenti à voir déchirer moncorps en mille pièces que d'avoir telle pensée!C'était pour lors que, ne sachant où me réfu-gier, sinon dans quelque coin de jardin, oud'étable, ou autre lieu secret, où il me fût per-mis de me mettre à genoux pour répandre moncœur par mes larmes devant mon Dieu, par.l'entremise de la très Sainte Vierge, mabonne Mère, à laquelle j'avais mis toute maconfiance, je demeurais là des journées en-tières, sans boire ni manger. Mais cela étaitordinaire, et quelquefois quelques pauvresgens du village me donnaient, par compas-sion, un peu de lait ou de fruits sur le soir. Etpuis, lorsque je retournais au logis, c'étaitavec une si grande crainte et tremblement,qu'il me semblait être une pauvre criminellequi venait recevoir sa sentence de condam-nation; et je me serais estimée plus heureused'aller mendier mon pain, que de vivrecomme cela, car souvent je n'en osais pren-dre sur la table. Car du moment que j'entraisà la maison, la batterie recommençait plusfort, sur ce que je n'avais pas pris soin duménage et des enfants de ces chères bienfai-

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trices de mon âme; et sans qu'il me fût loisi-ble de dire un seul mot, je me mettais à tra-vailler avec les domestiques. Ensuite de quoi,je passais les nuits comme j'avais passé lejour, à verser des larmes, au pied de moncrucifix, lequel me fit voir, sans que j'y com-prisse rien, qu'il voulait se rendre le maîtreabsolu de mon cœur, et qu'il voulait me ren-dre en tout conforme à sa vie souffrante;que c'était pourquoi il voulait se rendre monmaître, en se rendant présent à mon âme,pour me faire agir comme il agissait parmises.cruelles souffrances, qu'il me faisait voiravoir souffert pour mon amour.

Et dès lors mon âmû en demeura si péné-trée, que j'aurais désiré que mes peinesn'eussent pas cessé d'un moment. Car depuisil m'était toujours présent sous la figure ducrucifix ou d'un Ecce homo portant sa croix;ce qui imprimait en moi tant de compas-sion et d'amour des souffrances, que toutesmes peines me devinrent légères en compa-raison du désir que je sentais d'en souffrirpour me conformer à mon Jésus souffrant.Et je m'affligeais de voir que ces mains qui

se levaient quelquefois pour me frapper,étaient retenues, et ne déchargeaient pas surmoi toute leur rigueur. Je me sentais con-

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tinuellement pressée de rendre toutes sortesde services et bons offices, à ces véritablesamis de mon âme, qui se serait sacrifiéede bon cœur pour eux; n'ayant de plusgrand plaisir que de leur faire du bien et endire tout celui que je pouvais. Mais ce n'étaitpas moi qui faisais tout ce que j'écris et écri-rai bien malgré moi, mais c'est mon souverainMaître, qui s'était emparé de ma volonté etne me permettait pas même de former au-cune plainte, murmure ou ressentiment contreces personnes; ni même [de] souffrir qu'onme plaignit et portât compassion, disant qu'ilen avait usé ainsi, et qu'il voulait que,lorsque je ne pourrais empêcher que l'onm'en parlât [je] leur donnasse tout le bondroit et à moi tout le tort, disant, commec'est la vérité,que mes péchés en .méritaientbien d'autres.

Mais dans l'extrême violence qu'il me fautfaire en écrivant ceci, que j'avais toujourstenu caché avec tant de soin et de précautionpour l'avenir, tâchant même de n'en conser-ver aucune idée dans ma mémoire, afin detout laisser dans celle de mon bon Maître, je[lui] fis mes plaintes dans la grande répugnanceque je sens; mais il m'a fait entendre etdit: « Poursuis, ma fille, poursuis, il n'en sera

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» ni plus ni moinspour toutestes répugnances;a il faut que ma volonté s'accomplisse.» —« Mais, hélas! mon Dieu, comment me souve-.0nir de ce qui s'est passé depuis plus d'en-

» viron vingt-cinq ans?» - « Ne sais-tu pas»que je suis la mémoire éternellede mon Père»céleste qui ne s'oublie jamais de rien,et dans»laquelle le passé et le futur sont comme le»présent Ecris donc sans crainte tout, sui-«vant que je te dicterai, te promettant d'y»répandre l'onction de ma grâce, afin que» j'en sois glorifié.

« Premièrement, je veux cela de toi pour»te faire voir que je me joue, en rendant»inutiles toutes les précautions que je t'ai»laissé prendre pour cacher la profusion des

« grâces dont j'ai pris plaisir d'enrichir une»aussi pauvre et chétive créature que toi,»qui n'en dois jamais perdre le souvenir,

v pour m'en rendre de continuelles actions de

» grêces.» En second lieu, pour t'apprendre que tu

»ne te dois point t'approprier ces grâces, ni»être chiche de les distribuer aux autres,»puisque je me suis voulu servir de ton cœur»comme d'un canal pour les répandre selon»mes desseins dans les âmes, dont plusieurs»seront retirées par ce moyen de l'abîme

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»>de perdition, comme je te le ferai voir dans

» la suite.

« Et en troisième lieu, pour faire voir que» je suis la Vérité éternelle, qui ne peut» mentir, je suis fidèle à mes promesses, et» que les grâces que je t'ai faites peuvent» souffrir toutes sortes d'examens et d'épreu-

» ves. » Après ces paroles, je me suis sentietellement fortifiée, que malgré la grande[ptine] que je sens que cet écrit ne soit vu,je suis résolue de poursuivre, quoi qu'ilm'encoûte, pour accomplir la volonté de mon sou-verain Maître.

La plus rude de mes croix était de ne pou-voir adoucir celles de ma mère, qui m'étaientcent fois plus dures à supporter que les mien-

nes, quoique je ne lui donnais pas la conso-lation de m'en dire un mot, crainte que nousn'offensassions Dieu en prenant plaisir à par-ler de nos peines. Mais c'était dans ses mala-dies où ma souffrance était extrême; car,étant tout abandonnée à mes petits soins etservices, elle souffrait beaucoup; d'autantque tout se trouvait quelquefois fermé à clef,il me fallait aller mendier jusqu'aux œufs etautres choses nécessaires aux malades.Cen'était pas un petit tourment à mon naturetimide, encore chez des villageois qui m'en di-

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saient souvent plus que je n'aurais voulu. Etdansun mortel hérésipèle qu'elle eut à latête, d'une grosseur, rougeur et dureté épou-vantables, où l'on se contenta de lui fairefaire une saignée par un petit chirurgien devillage qui passait, lequel me dit qu'à moinsque d'un miracle elle n'en pouvait revenir ;

sans que personne s'en affligeât, ni [se] mîten peine que moi, qui ne savais où recourir,ni à qui m'adresser, sinon à mon asile ordi-naire, la très Sainte Vierge et mon souverainMaître.

[Dans] les angoisses où j'étais continuelle-ment plongée, ne recevant parmi tout celaque des moqueries, injures et accusations, jene savais où me refugier. Etant donc allée à lamesse le jour de la Circoncision [de] Notre-Seigneur, pourlui demander d'être lui-mêmele médecin, et le remède de ma pauvre mère,et de m'enseigner ce que je devais faire, il[le] fit avec tant de miséricorde, qu'étam deretour, je trouvai sa joue crevée, avec uneplaie large d'environ la paume de la main,qui jetait une puanteur insupportable et per-sonne n'en voulait approcher. Je ne savaispoint panser les plaies et même ne les pou-vais voir, ni toucher auparavant celle-ci, pourlaquelle je n'avais autre onguent, que ceux de

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la divine Providence; j'y coupai tous les joursbeaucoup de chair pourrie. Je nfë sentaistant de courage et de confiance en la bontéde mon Souverain qui semblait être toujoursprésent, qu'enfin elle fut guérie dans peu dejours, contre toute apparence humaine.

Et pendant tout le temps 'de ses maladies,je ne me couchais et ne dormais presquepoint; etne prenais presquepoint denourriturepassant souvent des nuits sans manger. Maismon divin [Maître] me consolait et substan-tait d'une parfaite conformité à sa très saintevolonté, ne me prenant qu'à lui de tout ce quim'arrivait, lui disant: « 0 mon souverain» Maître! si vous ne le vouliez, cela n'arrive-

» rait pas; mais je [vous ] rends grâces de

» quoi vous le permettez pour me rendre» conforme à vous.»

Parmi tout cela, je mesentais sifortementattirée à l'oraison, que cela me faisait beau-coup souffrir; de ne savoir, ni pouvoir ap-prendre comme il la fallait faire, n'ayantaucune conversation des personnes spiri-tuelles; et je n'en savais autre chose que cemot d'oraison, qui ravissait mon- coeur. Etm'étant adressée à mon Souverain Maître, iL

m'apprit comme il voulait que je la fisse;'cequi m'a servi toute ma vie. Il me faisait

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prosterner humblement devant lui, pour luidemander pardon de tout [ce] en quoi jel'avais offensé, et puis après l'avoir adoré, jelui offrais mon oraison, sans savoir commeil m'y fallait prendre. Ensuite il se présentaitlui-même à moi dans le mystère où il voulaitque je le considérasse; et il appliquait si fortmon esprit en tenant mon âme et toutes mespuissances englouties dans lui-même, que jene sentais point de distractions, mais moncœur se sentait consommé du désir de l'ai-mer, et cela me donnait un désir insatiable.de la sainte communion et de souffrir. Maisje ne savais comme faire. Je n'avais pas detemps que celui de la nuit; j'en prenais ceque je pouvais et quoique cette occupationme fût plus délicieuse que je ne le peux ex-primer, je ne la prenais pas pour une orai-son, et me sentais continuellement persé-cutée de la faire; lui promettant qu'aussitôtqu'il me l'aurait apprise, j'y emploierais toutle temps que je pourrais. Néanmoins, sa bontéme tenait si fort dans l'occupation que jeviens de dire, qu'elle me dégoûta dos prièresvocales; lesquelles je ne pouvais faire de-vant le Saint Sacrement, où je me sentaistellement tout appliquée, que jamais je nem'y ennuyais. Et j'y aurais passé des jours

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et des nuits entières, sans boire ni manger,sans savoir ce que je faisais, sinon de meconsommer en sa présence comme un ciergéardent, pour lui rendre amour pour amour.Et je ne pouvais demeurer au bas de l'église,et quelque confusion que j'en sentisse dansmoi-même, je ne laissais pas de me mettretout le plus proche que je pouvais du Très-Saint Sacrement. Je n'estimais heureuses etne portais envie qu'à celles qui pouvaientcommunier souvent, et qui avaient la liberté

#de pouvoir demeurer devant le Très-SaintSacrement, bien qu'il soit vrai que j'y em-ployais très mal mon temps, et que je croisque je ne faisais que le déshonorer. Je tâ-chais de gagner l'amitié des personnes dontj'ai parlé ci-dessus, afin d'obtenir quelquesmoments pour le Saint Sacrement. Il arri-vait en punition de mes péchés, [que] jenepouvais point dormir les veilles de Noël, etle curé de [la] paroisse criant tout haut à sonprône que ceux qui n'auraient pas dormi nedevaient point communier qu'ils ne l'eussentfait, et moi ne le pouvant, je n'osais pascommunier. Ainsi ce jour de réjouissancem'en était un de larmes, lesquelles me ser-vaient de nourriture et de tout plaisir. Maisaussi avais-je commis de grands crimes! Car

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une fois dans un temps .de carnaval, étantavec d'autres filles, je me déguisai parvaine complaisance, ce qui m'a été un sujetde douleur et de larmes pendant toute mavie; aussi bien que la faute que je commet-tais, en prenant des ajustements de vanité,par ce même motif de vaine complaisanceaux personnes citées ci-dessus, lesquellesDieu a fait servir d'instruments à sa divinejustice, pour se venger des injures que je luiai faites pàr mes péchés; bien que ce fussent[des] personnes vertueuses, lesquelles ne pen-saient point faire de mal en tout ce qui s'estpassé à notre égard; et je croyais de mêmequ'elles n'en faisaient point, puisque c'étaitmon Dieu qui le voulait ainsi, et je ne leuren savais point mauvais gré.

- Mais, hélas! mon Seigneur, ayez pitié dema faiblesse, dans l'extrême douleur et con-fusion que vous imprimez si vivement enmoi, en écrivant ceci, de vous avoir si long-temps résisté à le faire. Soutenez-moi., monDieu, afin que je ne succombe sous la ri-gueur de ces justes reproches. Non, je pro-teste, moyennant votre grâce, de ne jamaisrésister quand il devrait m'en coûter la vieet m'attirer tous les mépris des créatures etarmer contre moi toutes les fureurs de l'en-

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fer pour vous venger de mes résistances,dont je vous demande pardon et la forceJ'achever ce [que] vous désirez de moi, quel-que répugnance que mon amour-propre m'yfasse sentir.

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II

COMBATS ET TRIOMPHES POUR ENTRER

EN RELIGION.

Pour donc poursuivre, à mesure que jecroissais, mes croix s'augmentaient. Le diablesuscitait plusieurs bons partis pour lemonde,à me rechercher, pour me faire manquer auvœu que j'avais fait. Cela attirait beaucoupde compagnie, qu'il me fallait voir, ce qui nem'était pas un petit supplice. Car d'un côté,mes parents el surtout ma mère, me pressaitpour cela, pleurant sans cesse en me disantqu'elle n'avait plus d'espérance qu'en moi poursortir de sa misère, par la consolation qu'elleaurait de se retirer avec moi sitôt que je se-

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rais logée dans le monde. Et d'autre part,Dieu poursuivait si vivement mon cœur, qu'il

ne me donnait point de trêve; car j'avais tou-jours mon vœu devant les yeux, auquel si jevenais à manquer, je serais punie de tour-ments effroyables. Le démon se servait de latendresse et amitié que j'avais pour ma mère,me représentant sans cesse les larmes qu'elleversait, et que, si je venais à me faire reli-gieuse, je serais cause qu'elle mourrait d'afflic-tion, et que j'en répondrais à Dieu, car elle étaittoute abandonnée à mes soins et services. Ceci

me causait un tourment insupportable; car jel'aimais si tendrement, et elle, moi, que nousne pouvions vivre sans nous voir. D'autrepart, le désir d'être religieuse me persécutaitsans cesse, et l'Horreur que j'avais de l'impu-reté. Tout cela me faisait souffrir un martyre,je n'avais point de repos et je me fondais enlarmes. N'ayant personne à qui me découvrir,je ne savais quel parti prendre. Enfin la ten-dre amitié de ma bonne mère commença àprendre le dessus, pensant que n'étant qu'uneenfant quand je fis ce vœu, l'on m'en pourraitbien dispenser, ne comprenant pas, en le fai-sant, ce que c'était. De plus, je craignais fortd'engager ma liberté, me disant que je ne pour-rais plus faire de jeûnes, d'aumônes et de disci-

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plines comme je voudrais; que la vie religieusedemandait une si grande sainteté de ceux quis'y engageaient, qu'il me serait impossibled'y atteindre jamais, et que je m'y dam-nerais.i

[Je] commençai donc à voir le monde et àme parer pour lui plaire, cherchant à medivertir le plus que je pouvais. Mais vous,mon Dieu, seul témoin de la grandeur etlongueur de cet effroyable combat que jesouffrais au dedans de moi-même, et auquelj'aurais mille et mille fois succombé sans unsoutien extraordinaire de votre miséricor-dieuse bonté, qui avait bien d'autres desseinsque ceux que je projetais dans mon cœur,vous [me] fites bien connaître en ce rencon-tre, aussi bien qu'en plusieurs autres, qu'illui serait bien dur et difficile de regimbercontre le puissant aiguillon de votre amour,quoique ma malice et mon infidélité me fîtemployer toutes mes forces et industries pourlui résister et éteindre en moi tous ses mou-vements. Mais en vain; car au milieu descompagnies et divertissements, il me lançaitdes flèches si ardentes, qu'elles perçaient etconsommaient mon cœur de toutes parts; etla douleur que je sentais me rendait toute in-terdite. Et cela n'étant pas encore assez, pour

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un cœur aUfsi ingrat que le mien, pour luifaire quitter prise, je me sentais comme liée ettirée à force de cordes, si fortement, qu'enfinj'étais contrainte de suivre celui qui m'appe-lait en quelque lieu secret, et il me faisait desévères réprimandes; car il était jaloux demon misérable cœur, qui souffrait des persé-cutions épouvantables. Et après lui avoir de-mandé pardon, la face prosternée contre terre,ilme faisait prendre une rude et longuedisci-pline; et puis, je retournais, tout comme de-vant, dans mes résistances et vanités. Et puisle soir, quand je quittais ces maudites livréesde Satan, je veux dire ces vains ajustements,instruments de sa malice, mon souverainMaître se présentait à moi, comme il était ensa flagellation, tout défiguré, me faisant desreproches étranges: que c'était ma vanitéqui l'avait réduit en cet état, et que je perdais-un temps si précieux et dont il me- demande-rait un compte rigoureux à l'heure delà mort,que je le trahissais et persécutais, aprèsqu'il m'avait dosné tant de preuves de sonamour, et du désir qu'il avait que je me ren-disse conforme à lui. Tout cela s'imprimaitsi fortement en moi et faisait de si doulou-reuses plaies dans mon cœur, que je pleurais.amèrement, et il me serait bien difficile d'ei.

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primer tout ce que je souffrais et ce qui sepassait en moi.

Ne sachant ce que c'était que la vie spiri-tuelle, pour n'en avoir été instruite, ni ouïparler, [je] n'en savais que ce que mon Maîtrem'enseignait et me faisait faire avec sonamoureuse violence. Pour me venger, enquelque façon, sur moi des injures que je luifaisais, et reprendre cette ressemblance etconformité avec lui, en soulageant la douleurqui me pressait, je liais ce misérable corpscriminel de cordes avec des nœuds et leserrais si fort, qu'à peine pouvait-il respireret manger. [Je] laissais si longtemps ces cor-des, qu'elles étaient comme tout enfoncéesdans la chair, laquelle venant à croître des-sus, je ne pouvais les arracher qu'avec degrandes violences et cruelles douleurs; et demême [quant] aux petites chaînettes dont jeme serrais les bras, lesquelles emportaient lapièce en sortant. Et puis je couchais sur unais ou sur des bâtons avec des nœuds poin-tus, dont je faisais mon lit de repos; et puisje prenais la discipline, tâchant de chercherquelque remède à mes combats et douleursque je souffrais au-dedans de moi-même, auregard desquelles tout ce que je pouvaissouf-frir au dehors (bien que toutes les humilia-

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ilori.-s et contradictions dont j'ai parlé ci-de-vant, fussent toujours continuelles et s'aug-mentassent plutôt que de diminuer), toutcela, dis-je, ne me semblait qu'un rafraîchis-sement auprès de m--s peines intérieures,lesquelles je me faisais tant de violence pourles porter en silence et les tenir cachées,comme mon bon Maître me l'enseignait, qu'iln'en paraissait rien au dehors, sinon que l'onme voyait pâlir et dessécher.

Les craintes où j'étais d'offenser mon Dieu

me tourmentaient encore plus quetout lereste, car il me semblait mes péchés êtrecontinuels; et [ils] me paraissaient si grands,que je m'étonnais comme l'enfer ne s'ouvraitpas sous mes pieds pour ensevelir une simisérable pécheresse. J'aurais voulu me con-fesser tous les jours et cependantje ne [le]

pouvais que rarement. J'estimais commesaints ceux qui demeuraient beaucoup enconfession, pensant qu'ils n'étaient pas com-me moi qui ne savais pas m'accuser de mesfautes. Cela me faisait verser beaucoup delarmes.

Ayant passé plusieurs années parmi toutesces peines et combats et beaucoup d'autressouffrances, sans autre consolation que monSeigneur Jésus-Christ, qui s'était rendu mon

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maître et mon gouverneur, le désir de la viereligieuse se ranima si ardemment dans moncœur, que je me résolus de l'être à quelqueprix que ce fût. Mais, hélas! cela ne se putencore.accomplir de plus de quatre ou cinq

ans après, pendant lequel temps mes peineset combats redoublèrent de toutes parts, etjetâchais de redoubler mes pénitences, selonque mon divin Maître me le permettait.

Car il changea bien de conduite, me fai-sant voir la'beauté des vertus, surtout destrois vœux de pauvreté, chasteté et obéis-sance, me disant qu'en les pratiquant l'ondevient saint, et il me disait cela, parce qu'enle priant je lui demandais de me faire sainte.Et comme je ne lisais guère d'autres livresque la Vie des Saints, je me disais en l'ou-vrant : il m'en faut choisir une bien aisée àimiter, afin que je puisse faire comme elle afait, pour devenir sainte comme elle; mais cequi me désolait, c'était de voir que j'offensaistant mon Dieu, et je pensais que les saintsne l'avaient pas offensé comme moi, ou que,du moins, si quelques [-uns] l'avaient fait, ilsavaient ensuite toujours été dans la péni-tence; ce qui me donnait de grandes enviesd'en faire; mais mon divin Maître imprimaiten moi une si grande crainte de suivre ma

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propre Volonté, que je pensais dès lors, que,quoique je puisse faire, il ne l'agréerait quelorsque je le ferais par amour et par obéis-sance. Cela me mit dans de grands désirs del'aimer et de faire toutes mes actions parobéissance. Je ne savais comme il fallait pra-tiquer ni l'un ni l'autre; et je pensais quec'était un crime de dire que j'aimais [Dieu],

parce que je voyais mes œuvres démentirmes paroles. Je lui [demandais] de m'appren-dre, et de me faire faire ce qu'il voulait queje fisse pour lui plaire et l'aimer, ce qu'il fit

en cette manière:Il me donna un si tendre amour pour les

pauvres que j'aurais souhaité n'avoir plusd'autres conversations [que la leur]; tt il im-primait en moi une si tendre compassion de*leurs misères, que, s'il avait été en monpouvoir, je ne me serais rien laissé; et lors-que j'avais de l'argent, je le donnafc à depetits pauvres pour les engager de venir versmoi, pour apprendre leur catéchisme et àprier Dieu. Et cela faisait qu'ils me suivaient iet quelquefois il y en avait tant, que je nesavais où les mettre l'hiver,sinon dans unegrande chambre d'où l'on nous chassait quel-quefois. Cela me causait beaucoup de morti-fications, car je ne voulais pas que l'on [vît

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rien de ce que je faisais; et l'on pensait queje donnais aux pauvres tout ce que je pou-vais attraper, mais je ne l'aurais pas oséfaire, crainte de dérober, et je ne donnaisplus que ce qui était à moi; encore ne l'o-sais-je plus faire sans obéissance, ce qui m'o-bligeait de caresser ma mère, afin qu'elle mepermit de donner ce que j'avais; et commeelle m'aimait beaucoup, elle m'accordait assezfacilement. Lorsqu'elle me refusait, je demeu-rais en paix,*et après un [peu] de temps, jeretournais l'importuner; car je ne pouvaisplus rien faire sans permission, et non-seule-ment de ma mère, mais je m'assujettissais àceux avec lesquels je demeurais, ce qui m'é-tait un continuel supplice. Mais je pensaisqu'il me fallait soumettre à tous ceux à quij'avais plus de répugnance, et leur obéir,pour essayer si je pouvais être religieuse.Toutes ces permissions que j'allais continuel-lement demander m'attiraient de grands re-buts et captivité, car cela donna une sigrande autorité sur moi, qu'il ne pouvait yavoir de religieuse plus captive; mais l'ar-dent désir que je sentais d'aimer Dieu, mefaisait surmonter toutes les difficultés, et merendait attentive à faire tout ce qui contra-riait le plus mes inclinations et à quoi je son-

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tais leplus de répugnance et je m'en sentaistellement pressée queje m'en confessais lors-que j'avais manqué de suivre ces mouve-ments.

Je me sentais une extrême répugnance devoir des plaies, mais il fallut d'abord memettre à les panser et baiser pour me vain-cre, et je ne savais comme il m'y fallaitprendre. Mais mon divin Maître savait sibien suppléer à toutes mes ignorances, qu'el-les se trouvaient guéries en peu de temps,sans autre onguent que ceux de sa Provi-dence, encore que ces plaies fussent trèsdangereuses; mais j'avais plus de confianceen sa bonté qu'aux remèdes extérieurs.

J'étais naturellement portée à l'amour desplaisirs et divertissements. Jen'enpouvais plusgoûter aucun, encore que souvent je faisaisce que je pouvais pour en chercher; maiscette douloureuse figure qui se présentait àmoi, comme de mon Sauveur qui venait d'êtreflagellé, m'empêchait bien d'en prendre; caril me faisait ce reproche qui me perçàit jus-qu'au cœur: «Voudrais-tu bien prendrece» plaisir? Et moi qui n'en ai jamais pris au-» cun et me suis livré à toutes sortes d'amer-» tûmes, pour ton amour et pour gagner» ton~cœur!Et- cependant tu voudrais encore

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» me le disputer! » Tout cela faisait de gran-des impressions en mon âme, mais j'avouede bonne foi que je ne comprenais rien à toutcela, tant j'avais l'esprit grossier et peu spiri-tuel, et que je ne faisais aucun bien que parcequ'il m'y pressait si fort, que je n'y pouvaisrésister; ce qui m'est un grand sujet de con-fusion dans tout ce que j'écris ici, où je vou-drais pouvoir faire connaître combien je suisdigne du plus rigoureux châtiment éternel,par mes continuelles résistances à Dieu etoppositions à ses grâces, et faire voir aussi lagrandeur de ses miséricordes : car il semblaitqu'il avait entrepris de me poursuivre etd'opposer continuellement sa bonté à mamalice, et son amour à mes ingratitudes, quiont fait toute ma vie le sujet de ma plus vivedouleur; de quoi je ne savais pas reconnaî-tre mon souverain libérateur, qui avait prisun soin si amoureux de moi, dès le berceau,et me l'atoujours continué.

Et comme une fois j'étais dans un abîmed'étonnement de ce que tant de défauts etd'infidélités que je voyais en moi n'étaient pascapables de le rebuter, il me fit cette réponse:

« C'est que j'ai envie de te faire comme un» composé de mon amour eu de mes miséri-cordes. »

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Et une autre fois il me dit :«Je t'ai choi-

« sie pour mon épouse et nousnous sommes» promis la fidélité, lorsque tu m'as fait

» vœu de chasteté. C'est moi qui te pres-» sais de le faire, avant que le monde eût au-» cune part dans ton cœur; car je le voulais

» tout pur et sans être souillé des affections« terrestres, et pour me le conserver comme» cela, j'ôtais toute la malice de ta volonté,» afin qu'elle ne le pût corrompre. Et puis je» te mis en dépôt aux soins dema sainte Mère» afin qu'elle te façonnât suivant mes des-

» seins,» Aussi m'a-t.eUe servi d'une bonnemère et ne m'a jamais refusé son secours. J'yavais tout mon recours, dans mes peines etbesoins, et avec tant de confiancequ'il mesemblait n'avoir rien à craindre sous sa pro-tection maternelle. Aussi je lui [fis] vœu ence temps là de jeûner tous les samedis et delui dire l'office de son Immaculée Conceptionquand je saurais lire, et [de faire ] sept génu-flexions tous les jours de ma vie, avec septAve Maria, pour honorer ses sept douleurset mé mis pour être toujours son esclave, luidemandant de ne pas me refuser cette qualité.Comme une enfant, je lui parlais simplement,tout comme à ma bonne Mère, pour laquelleje me sentais dès lors un amour vraiment'

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tendre. Mais elle me reprit sévèrement,lorsqu'elle me vit derechef prête à succomberau terrible combat que je sentais dans moi.Car, ne pouvant plus résister aux persécu-tions que mes parents me faisaient et [aux]larmes d'une mère que je chérissais si ten-drement, me disant qu'[ une] fille doit pren-dre parti à vingt ans, je commençai à donnerdans [ces] sentiments.

Car Satarj me disait continuellement:« Pauvre misérable, que penses-tu en vou-» lant être religieuse? Tu vas te rendre la

» risée de tout le monde, car jamais tu n'y» persévéreras; et quelle confusion de quitter» un habit de religieuse et sortir d'un cou-» vent! Où pourras-tu te cacher après cela? »

Je me fondais en larmes parmi tout cela, carj'avais une horreur pour les hommes, épou-vantable, et ne [savais] plus à quoi me ré-soudre; mais mon divin [Maître], qui tenaittoujours mon vœu devant ses yeux, eut enfinpitié de moi.

Etune fois, après la communion, si je ne metrompe, il me fit voir qu'il était le plus beau,le plus riche, le plus puissant, le plus parfaitet accompli de tous les amants; et que, luiétant promise depuis tant d'années, d'où ve-nait donc que je voulais tout rompre avec

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[lui] pour en prendre un autre : a Oh! Ap-» prends que si tu me fais ce mépris, je» t'abandonne pour jamais; mais si tu m'es» fidèle, je ne te quitterai point et me rendrai» ta victoire contre tous tes ennemis. J'ex-» cuse ton ignorance, parce que tu ne me» connais pas encore; mais si tu m'es fidèle» et mesuis,je t'apprendrai à me connaître et» me manifesterai à toi. » En me disant cela,il imprimait un si grand calme dans mon in-térieur, et mon âme se trouva dans une sigrande paix, que je me déterminai dès lors demourir plutôt que de changer. Il me semblaitalors que mes liens étaient rompus, et que je[n'avais] plus rien à craindre, pensant quequand la vie religieuse serait un [purgatoire]il me serait plus doux de m'y purifier le restede ma vie, que de me voir précipitée dansl'enfer que j'avais tant de fois mérité par mesgrands péchés et résistances.

M'étant donc déterminée pour la vie reli-gieuse, ce divin Epoux de mon âme, crainteque je ne lui échappasse encore, me demandade consentir qu'il s'emparât et se rendit lemaître de ma liberté, parce que j'étais faible.Je ne fis point de difficultés à son consente-ment, et dès lors il s'empara si fortement dema liberté que je n'en ai plus [eu] de jouis-

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sance dans tout le reste de ma vie; et il s'in-sinua si avant dans mon cœur, dès ce mo-ment, que je renouvelai mon vœu, commen-çant à le comprendre.Je lui [dis] que, quandil devrait m'en coûter mille vies, je ne seraisjamais autre que religieuse; et je m'en décla-rai hautement, priant de congédier tous cespartis, quelque avantageux qu'on me les re-présentât. Ma mère, voyant cela, ne pleuraitplus en ma présence, mais elle le faisait conti-nuellementavec tous ceux qui lui en parlaient,qui ne manquaient pas de me venir dire queje serais la cause de sa mort si je la quittais,et que j'en répondrais à Dieu., car elle n'avaitpersonne pour la servir; et que je seraisaussi bien religieuse après sa mort que pen-dant sa vie. Et un frère qui m'aimait beau-coup, fit tous ses efforts pour me détournerde mon dessein, m'offrant de son bien pourme loger dans le monde. Mais à tout celamon [cœur] était devenu insensible commeun rocher, quoiqu'il me fallût encore restertrois ans dans le monde, parmi tous cescombats.

Et l'on me mit chez un de mes oncles quiavait un fille religieuse, laquelle sachantque je la voulais être, n'oublia rien pourm'avoir avec elle, et ne me sentant point de

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penchant à la vie des Ursules, je lu disais:«

Voyez«f que si j'entre en votre couvent, ce» ne sera que pour l'amour de vous, et-je» veux aller dans un lieu où je n'aurai ni pa-» rents ni connaissances, afin d'être religieuse» pour l'amour de Dieu. » Mais comme je nesavais où ce serait, ni quelle religion je d.vais embrasser, ne les connaissant pas, jepensai encore succomber à ses importunités;d'autant que j'aimais beaucoup cette cousine,laquelle se servait de l'autorité de mon on-cle auquel je n'osais résister, parce qu'ilétait mon tuteur et qu'il me disait qu'il m'ai-mait comme un de ses enfants, que c'étaitpour quoi il me voulait avoir proche de lui;et il ne voulut jamais permettre à mon frèrede me remmener, disant qu'il entendait êtrele maître de moi. Et mon frère qui n'avaitpoint encore voulu consentir que je fusse reli-gieuse, fut fort fâché contre moi, pensantque j'étais consentante de tout cela, pour mejeter à Sainte-Ursule malgré lui, et sans leconsentement de mes parents. Maisj'en étaisbien éloignée; d'autant que, plus l'on m'enpressait, jusqu'à me vouloir faire entrer, plusje me sentais de dégoût. Une secrète voix medisait :« Je ne te veuxpoint là, mais à Sainte-Marie.1)

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Cependant on ne me permettait pas de voirla [Visitation], bien que j'y eusse plusieursparents, et l'on m'en disait des choses capa-bles d'en rebuter les esprits les mieux déter-minés; mais.plus l'on tâchait de m'en détour-ner, et plus je l'aimais et sentais accroîtremon désir d'y entrer, à cause de ce nom toutaimable de sainte-Marie, lequel me faisaitcomprendre que c'était là ce que je cherchais.Et une fois regardant un tableau du grandsaint François de Sales, il sembla me jeterun regard si paternellement amoureux, enm'appelant safille, que je ne le regardais plus

que comme mon bon père. Mais je n'osaisrien dire de tout cela, et ne savais comme medégager de ma cousine et de toute sa Com-munauté, laquelle me témoignait tant d'a-mitié, que je ne m'en pouvais plus dé-fendre.

Et comme on était prêt de m'ouvrir laporte, je reçus la nouvelle que mon frèreétait fort mal et ma mère à l'extrémité. Cequi m'obligea de partir tout à la même heure,pour me rendre près d'elle, sans que l'on pûtm'en empêcher, quoique je fusse malade plusde regret que d'autre chose, de me voir commeforcée d'entrer dans un couvent où je croyaisque Dieu ne m'appelait pas. Je m'en allai

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toute la nuit, bien qu'il y eût près de dix lieues,et voilà comme je fus délivrée, pour repren-dre une très-rude croix, laquelle je ne spécifie-rai pas, en ayant dit assez sur ce sujet; suf-fit de dire que toutes mes peines redoublèrent.L'on me faisait voir que ma mère ne pouvaitvivre sans moi, puisque le peu de temps queje l'avais quittée était la cause [de] son mal,et que je répondrais à Dieu de sa mort; etcelam'étant dit par des personnes ecclésiastiques,me causait de rudes peines, par la tendreamitié quej'avais pour elle, dont le démonse servait pour me faire croire que celaserait cause de ma damnation éter-nelle.

D'autre part, mon divin Maître me pressaitsi fort de tout quitter pour le suivre, qu'il neme donnait plus de repos; et il me donnait unsi grand désir de me conformer à sa vie souf-frante, que tout ce que je souffrais ne mesemblait rien, ce qui me faisait redoublermes pénitences Et quelquefois, me jetant auxpieds de mon crucifix, je lui disais: « 0 mon» cher Sauveur, que je serais heureuse si

» vous imprimiez en moi votre image souf-

» frante! »Et il me répondit: « C'est ce que» je prétends, pourvu que tu ne me résistes» pas, et que tu y contribues de ton côté. »

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Et pour lui donner quelques gouttes de monsang, je me liais les doigts, et puis j'y plantaisdes aiguilles; et puis je prenais la disciplinetous les jours, tant que je pouvais, en carêmepour honorerles coups de fouets de sa fla-gellation. Mais quelque longtemps que jeme la donnasse, je n'en pouvais guère avoirde sang pour l'offrir à mon bon maître, pourcelui qu'il avait répandu pour mon amour.Et comme c'était sur les épaules que je mela donnais, il me fallait bien du temps. Maisles trois jours du carnaval,j'aurais voulu [me]mettre en pièces, pour réparer les outrages

que les pécheurs faisaient subir à sa divineMajesté, je les jeûnais, tant que je pouvais,au pain et à l'eau, donnant aux pauvresce que l'on me donnait pour ma nourri-ture.

Mais ma plus grandejoiede quitter lemonde,était de penser que je communierais souvent.Car on ne me le voulait permettre que rare-ment, et j'aurais cru être la plus heureusedu monde si je l'avais pu faire souvent, etpasser des nuits, seule, devant le Saint Sacre-ment. Je me sentais là une telle assurance,qu'encore que je fusse extrêmement peureuse,je n'y pensais plus dès que j'étais en ce lieude délices. Les veilles de communion, je me

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sentais atoîmée dans un si profond silence, quejejie pouvais parler qu'avec violence,pourla grandeur de l'action que je devais faire; etlorsque je l'avais faite, je n'aurais voulu niboire, ni manger, ni voir, ni parler, tant laconsolation et la paix que je sentais' étaientgrandes. Je me cachais autant que je pouvaispour apprendre à aimer mon souverain Bienqui me pressait si fort de lui rendre amourpour amour. Mais je ne croyais pas de jamaispouvoir l'aimer, quoique je pusse faire, si jen'apprenais à faire l'oraison; je n'en savais

que ce qu'il m'en avait appris, qui était dem'abandonner à tous ses saints mouvements,lorsque je pouvais me renfermer en quelquepetit coin avec lui; mais l'on ne m'en laissaitpas assez de loisir. Car il me fallait travailler,tant queiejour durait, avec les domestiques,et puis le soir il se trouvait que je n'avais rienfait qui eût contenté les personnes avec quij'étais. L'on me criaitde telle manière, queje n'avais pas le couragedemanger; etjemeretirais où je pouvais, pour avoir quelquesmoments de paix, de laquelle j'avais un sigrand désir.

Mais comme je me plaignais sans cesse àmon divin Maître de ce que je craignaisdenelui pouvoir plaire en tout ce que je faisais,

;—

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d'autant qu'il y avait trop de ma volonté qui[faisait] les mortifications à mon gré, et jen'estimais que ce qui était fait par obéis-

sance : - « Hélas! mon Seigneur, lui disais-

» je, donnez-moi donc quelqu'un pour me»

conduire à vous. » — «Ne te suffis-je pas?» me répondit-il; que crains-tu? Un enfant» autant aimé que je t'aime peut-il périr

» entre les bras d'un Père tout Puissant? »

Je ne savais pas ce que c'était que direc-tion; mais j'avais un grand désir d'obéir, eL

sa bonté permit que, dans le temps d'unJubiié, il vint au logis un religieux de saintFrançois, et il y coucha pour nous donnerloisir de faire nos confessions générales. Il[y] avait plus d'environ quinze jours quej'étais après écrire la mienne; car encore quej'en fisse toutes les fois que j'en trouvais l'oc-casion, il me semblait toujours que je n'enpouvais assez faire, à cause de mes grandspéchés. Je me sentais pénétrée d'une si vivedouleur, que non-seulementj'en versais beau-coup de larmes, mais j'aurais de toute monâme, dans l'excès de ma douleur, voulu lespublier à tout le monde. Et mes plus grandsgémissements venaient de ce que j'étais siaveugle que je ne les pouvais connaître, niexprimer aussi énormes qu'ils étaient. Cela

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était la cause que j'écrivais :tout ce que jepouvais trouver dans les livres qui traitentde la confession; et je mettais quelquefois deschoses que j'avais horreur même de pronon

cer. Mais je disais en moi-même: « Je les[ai] peut-être faites, et je ne le connais pas,« ni ne m'en souviens pas; mais il est bien« juste que j'aie la confusion de le dire, pour« satisfaire à la divine justice. » Bien est-ilvrai que si j'avais cru d'avoir eu fait la plu-part des choses dont je m'accusais, j'auraisété inconsolable. Je l'aurais été depuis, de cessortes de confessions, si mon souverainMaître ne m'avait assurée qu'il pardonnaittout à une volonté sans malice. Je fis donccelle- ci, où ce bon Père me fit passer plusieursfeuillets, sans me vouloir permettre de leslire. Je le priai de me laisser satisfaire maconscience, puisque j'étais une plus grandepécheresse qu'il ne pensait.

Cette confession me mit fort en paix. Jelui dis quelque"[chose] de la manière dont j-e

vivais, sur quoi il me donna plusieurs bonsavis. Mais je n'osais pas tout dire, car jecroyais que c'était une vanité, de laquellej'avais de grandes craintes, parce que monnaturel y était fort porté, et que je pensaisque ce que je faisais était tout par ce motif,

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ne sachant pas discerner le sentiment d'avecle consentement. Cela me faisait beaucoupsouffrir, car je craignais beaucoup le péché àcause qu'il éloignait Dieu de mon âme. Cebon Père me promit des instruments de péni-tence Je lui dis'comme mon frère me rete-nait toujours dans le monde, depuis quatre oucinq ans que je pousuivais pour être religieu-se; de quoi il lui donna un si grand scrupulequ'après il me demanda si j'avais toujours ledessein de l'être; et lui ayant répondu queplutôt mourir que de changer, il me promit de

me satisfaire là-dessus. Il alla donc pour fairele marché de ma dot proche de cette bonnecousine qui ne cessait de me poursuivre. Etma mère et mes autres parents voulaient queje fusse religieuse en ce couvent. Je ne savaisdonc plus comme m'en défendre, mais pen-dant qu'il y alla, je m'adressai à la très-SainteVierge, ma bonne [maîtresse, par l'entremisede Saint Hyacinthe, auquel je fis plusieursprières. [Je fis] dire [aussi] beaucoup de

messes à l'honneur de ma Sainte Mère, la-quelle me dit amoureusement en me conso-lant: « Ne crains rien, tu seras ma vraie fille,et je serai toujours ta bonne Mère.» Cesparoles me calmèrent si fort, qu'elles melaissèrent sans aucun doute que cela s'accom-

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plirait malgré les oppositions. Mon frère étantde retour, me dit: « Ou veut quatre mille

- livres, c'est à vous de faire ce qu'il vous» plaira de votre bien, car la chose n'est pas» encore arrêtée. » En même temps, je lui disrésolument: « Jamais elle ne se conclura. Je

» veux aller aux Saintes-Maries dans un cou-rt vent bien éloigné, où je n'aurai ni parent,» ni connaisance, car je ne veux être reli-» gieusc que pour l'amour de Dieu. Je veux» quitter le monde tout à fait, en me cachant

» dans quelque petit coin, pour l'oublier et en» être oubliée, et ne plus le voir.M

On me proposa plusieurs monastères aux-quels je ne pouvais me résoudre; mais aussi-tôt qu'on me nomma Pal'ay, mon cœur sedilata de joie, et j'y consentis d'abord. Maisil me fallut encore aller voir ces religieusesoù j'avais demeuré à l'âge de huit ans, cequi me fut encore un rude combat à soute-nir. Car elles me firent entrer, en me disantque j'étais leur enfant, et pourquoi je lesvoudrais quitter, puisqu'elles m'aimaient sitendrement; qu'elles ne pouvaient me voirentrer à Sainte-Marie, sachant bien que jen'y persévérerais pas. Je dis que je voulaisessayer. Elles me firent promettre de retour-ner chez elles lorsque j'en sortirais; car elles

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savaient bien, disaient-elles, que je ne m'ypourrais jamais accoutumer. Et quoiqu'ellesm'en purent dire, mon cœur était insensible,et s'affermissait tant plus en sa résolution,disant toujours: « Il faut mourir, ou vain-cre! a Mais je laisse tous les autres combatsque j'eus à soutenir, pour venir vitement aulieu de mon bonheur, le cher Paray.

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III

PARAY ET LA NOVICE.

D'abord que j'entrai au parloir, il me futdit intérieurement ces paroles: « C'est ici

que je te veux. » Ensuite de quoi je dis àmon frère qu'il fallait s'accorder, d'autant queje ne serais jamais ailleurs. Ce qui le surpritd'autant plus, qu'il ne m'y avait menée quepour me faire voir des religieuses de Sainte-Marie, sans faire semblant que je la voulusse[être]; car je lui avais promis tout cela; maisje ne m'en voulus point retourner que tout nefût arrêté. Après quoi, il me semblait quej'avais pris une nouvelle vie, tant je me sen-tais de contentement et de paix. Ce qui merendait si gaie, que ceux qui ne savaient pas

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ce qui se passait, disaient: « Voyez-là, qu'ellea bien les façons d'une religieuse! » Et, eneffet, je portais plus d'ajustements de vanitéque jamais je n'avais fait, et me divertissaisde même, pour la grande joie que je sentais,de me voir bien toute à mon souverain Bien:lequel, en écrivant ceci, me fait souvent [un]

amoureux reproche par ces paroles: « Re-»garde, ma fille, si tu pourras trouver un))père blessé d'amour pour son fils unique,»qui ait jamais tant pris soin de lui, et qui»lui pût donner des témoignages d'amour si»tendres comme sont ceux que je t'ai don-))nés et te veux donner du mien, lequel a eu«tant de patience et de peine à te cultiver et»ajuster à ma mode dès ta plus tendre jeu-»nesse, t'attendant doucement sans me rebu-»ter, parmi toutes tes résistances. Souviens-»toi donc que si jamais tu t'oubliais de la

» reconnaissance envers moi, [ne] me réfé-»rant [pas] la gloire de tout, ce serait le»moyen de faire tarir pour-toi cette source»inépuisable de tout bien. »

Enfin ce jour tant désiré étant venu pourdire adieu au monde, jamais je ne sentis tantde joie ni de fermeté dans mon cœur, quiétait comme insensible, tant à l'amitié commeà la douleur que l'on me témoignait, surtout

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ma mère; et je ne versai pas une larme enles quittant. Car il me semblait être commeune esclave qui se voit délivrée de sa prisonet de ses chaînes, pour entrer dans la maisonde son Énoux, pour en prendre possession, etjouir en toute liberté de sa présence, de sesbiens et de son amour. C'était ce qu'il disaità mon cœur, qui en était tout hors de lui-même. Et je ne savais rendre autre raisonde ma vocation pour Sainte Marie, sinon queje voulais être fille de la Sainte-Vierge. Maisj'avoue que dans le moment qu'il fallut en-trer, qui était un samedi, toutes les peinesque j'avais eues, et plusieurs autres me vin-rent assaillir si violemment, qu'il me sem-blait que mon esprit allait se séparer de moncorps on entrant. Mais aussitôt il me [futmontré que le Seigneur avait rompu monsac de captivité, et qu'il [me] revêtit de sonmanteau de liesse; et la joie me transportaittellement que je criais : « C'est ici où Dieu

me veut. » Je sentis d'abord gravé dans monespritque cette maison de Dieu était un lieusaint; que toutes celles qui l'habitaient de-vaient être saintes; que ce nom de Sainte-Marieme signifiait qu'illafallaitêtreàquelqueprix que ce fût, et que c'était pourquoi il fal-lait s'abandonner et sacrifier à toutes sans

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aucune réserve ni ménagement. Cela m'a-doucissait tout. ce qui me paraissait de plusrude dans ces commencements. Tous les ma-lins, pendant quelques jours, l'on me réveil-lait avec ces paroles quej'entendais distinc-tement sans les comprendre: Diloxisti justi-tiain et le reste du verset; et d'autres fois

« Audifilia et vide, » etc. Et encore celles-ci: *

« Tu as reconnu ton sentier et ta voie, ù ma» Jérusalem, maison d'Israël; mais le Sei-D gneur te gardera en toutes voies et ne t'a.»

bandonnera jamais. » Je disais tout cela à

ma bonne maîtresse sans le comprendre. Jela regardais et ma Supérieure aussi commemon Jésus-Christ en terre. Et comme je nesavais et n'avais jamais eu de conduite ni di-rection, j'étais si aise de m'y voir assujettieafin de pouvoir obéir, qu'il me semblait êtredes oracles tout ce qu'elles' me disaient, etque je n'aurais plus rien à craimdre en le fai-sant par obéissance,.

Etcommeje la priais' de m'apprendre àfaire l'Oraison, dont mon âme sentait une sigrande faim, elle no voulut point croire qu'é.tant venue- en la religion à l'âge de. vingi-trois ans, je ne la susse point faire; et aprèsl'en avoir assurée, elle, me dit pour la première[fois]

: « Allez vous mettre devant. Notre-r

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» Seigneur comme une toile d'attente devant» un

peintre.» J'aurais voulu qu'elle m'eût

expliqué ce qu'elle me disait, ne le compre-nant pas, et je ne [le] lui osais pas dire,mais il me fut dit: « Viens, je te l'appren-» drai. » Et d'abord que je fus à l'oraison,mon souverain Maître me fit voir que monâme était cette toile d'attente, sur laquelle ilvoulait peindre tous les traits de sa vie souf-frante, qui s'est toute écoulée dans l'amour etla privation, [dans la] séparation, dans le si-lence et le sacrifice [jusqu'à] sa consomma-tion; qu'il me ferait cette impression [dans

mon âme], après l'avoir purifiée de toutes lestaches qui lui restaient, tant de l'affection

aux choses terrestres que de l'amour de moi-mêmeet de la créature, pour lesquelles mon na-turelcomplaisantavait beaucoup de penchant.

Il me dépouilla de tout en ce moment, etaprès avoir vidé mon cœur et mis mon âmetoute nue, il y alluma un si ardent désir del'aimer et de souffrir, qu'il ne me donnaitpoint do repos; me poursuivant de si près,que je n'avais de loisir que pour penser com-me c'est que je le pourrais aimer en me cru-cifiant; et sa bonté a toujours été si grandeà mon égard, que jamais il n'a manqué dem'en fournir les moyens,

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Et quoique je ne cachais rien à ma maî-tresse, j'avais pourtant tonné le desseindefaire étendre ses permissions sur les péniten-ces plus loin que son intention. I)e quoi m'é-tant mise en devoir,monsaintFondateurnu1reprit si fortement, sans me laisser passeroutre, que jamais depuisjen'ai eu lecouraged'y retourner. Car ses paroles sont toujoursdemeuréesgravées dans mon cœur«Eh»quoi!ma fille, penses-tu pouvoirplaire à» Dieu en passant les limites de l'obéissance,» ce qui est le principal soutien et fondement» de cette congrégation, et non pas les aus-» térités? »

Ayant passé mon essai avec un ardent désirde me voir toute à Dieu, [il] me tic la miséri-corde de me poursuivre continuellement pourme faire arriver àce bonheur. Etantdoncrevêtue de notre saint habit, mon divin Maîtreme fit voir que c'était ta le temps de nos fian-çailles, lesquelles lui donnaientun nouvel em-pire sur moi, quirecevais aussi un doubleengagement de l'aimer d'un amour de préfé-rence. Ensuite il me fit comprendre qu'a lafaçon des amants les pluspassionnés, il neme ferait goûter pendant ce temps que cequ'ilyavaitdeplus doux dans la suavité descaressesdeson amour. Eu effet, [eitesj furent

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si excessives qu'elles me mettaient souventhors de moi-même,etme rendaient incapablede pouvoir agir. Cela me jetait dans un siprofond abîme de confusion que je n'osais pasparaître; de quoi l'on me reprit en me faisantentendre que cela n'était pas l'esprit des fillesde Sainte-Marie, qui ne voulait rien d'extra-ordinaire et que, si je ne me retirais de toutcela, on ne me recevrait pas.

Cela me mit dans une grande désolation,dans laquelle je fis tous mes efforts et n'épar-gnais rien pour me retirer de cette voie; maistous mes efforts furent inutiles. Et notre bonnemaîtresse y travaillait de son côté sans quepourtant je le comprisse; car comme elle mevoyait beaucoup affamée de faire l'oraison etde l'apprendre à faire, ne pouvant, quelqueeffort que je fisse, suivre les méthodes quel'on me donnait pour cela, et [qu'il] fallaittoujours revenir à celle de mon divin Maître,quoique je fisse tout mon possible pour toutoublier et me détourner de lui, l'on me donnapour aide à une officière, laquelle me faisaittravailler pendant l'oraison. Après quoi,allantdemander à ma maîtresse pour la reprendre,elle me corrigeait fortement, me disantde lafaire en faisant notre ouvrage, parmi les exer-cices du noviciat, ce que je faisais sans que

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cela me pût détourner de la doucejoie et con-solation de mon âme qui la sentait toujoursaugmenter. L'on m'ordonna d'aller entendreles points d'oraison du matin, après quoije sortirais pour aller balayer le lieu qu'on medirait, pour jusqu'à prime, après laquellel'on me faisait rendre compte de mon oraison,

ou plutôt de celle que mon souverain Maîtrefaisait en moi et pour moi, qui n'avais d'autrevue, en tout cela, que d'obéir; en quoi je sen-tais un plaisir extrême, quelque peine quesouffrît mon corps en le faisant.

Je chantais après:Plus l'on contredit mon amour,Plus cet unique bien m'enflamme.Que l'on m'afflige nuit et jour,On ne peut l'ôter à mon âme.Plus je souffrirai de douleur,Plus il m'unira à son Cœur.

Je me sentais une faim insatiable des humi-liations et mortifications, bien que mon natu-rel sensible les ressentît vivement. Mon di-vin Maître me pressait sans cesse d'en deman-der, ce qui m'en procurait de bonnes; carquoiqu'on me refusât celles que je demandaison m'en donnait d'autres que je n'attendais

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pas, et si opposées à mes inclinations, quej'étais obligée de dire à mon bon Maître, dansl'effort de la violence qu'il me fallait [faire] :

» Hélas venez à mon secours, puisque vous» en êtes la cause » Ce qu'il faisait en me di-

» sant: Reconnais donc que tu ne peux rien

» sans moi qui ne te laisserai point manquer» de secours, pourvu que tu tiennes toujours

» ton néant et ta faiblesse abîmés dans ma» force.»

Je ne dirai qu'une de ces sortes d'occasionsmortifiantes au-dessus de mes forces, et où il

me fit vraiment éprouver l'effet de sa pro-messe. C'est une chose pour laquelle toutenôtre famille avait une si grande aversionnaturelle, que mon frère retint, en passant lecontrat de ma réception, que l'on ne me con-traindrait jamais à faire cela: ce que l'onn'eut pas [de] peine d'accorder, la chose étantsi indifférente d'elle-même. [C'est] à celamême qu'il me fallut rendre, car l'on m'atta-qua si fortement là-dessus de toutes parts,que je ne savais plus à quoi me résoudre:d'autant que ma vie me semblait mille foisplus facile à sacrifier; et si je n'avais pluschéri ma vocation que ma vie, je l'auraisalors bien plutôt quittée, que de me résoudreà faire ce que l'on désirait de moi; mais c'é-

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tait en vain que je résistais, puisque monSauveur voulait ce sacrifice, duquel en dé-pendaient tant d'autres. Je fus trois jours àcombattre avec tant de violence que j'en fai-sais compassion, surtout à ma maîtresse, de-vant laquelle je me mettais tout d'abord endevoir de faire ce qu'elle me disait; et puis le

courage me manquait, et je mourais de dou-leur de ne pouvoir vaincre mon naturel, et jelui disais :-« Hélas! que ne m'ôtez-vous la))vie plutôt que de me laisser manquer à»l'obéissance! »

Sur quoi elle me repoussa: « Allez, dit-»elle; vous n'êtes pas digne de la pratiquer,»et je vous défends maintenant de faire ce»que je vous commandais. » Ce m'en futassez. Je dis d'abord:

« Il [faut] mourir ou vaincre. » Je m'enallais devant le Très-Saint Sacrement, monasile ordinaire, où je demeurai environ troisou quatre heures à pleurer et gémir, pourobtenir la force de me vaincre. « Hélas!» mon Dieu, m'avez-vous abandonnée? Eh» quoi! faut-il qu'il y ait encore quelque ré-» serve dans mon sacrifice, et qu'il ne soit

» pas tout consommé en parfait holocauste? »Mais mon Seigneur voulant pousser à boutla fidélité de mon amour envers lui, comme

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il me l'a fait voir depuis, il prenait plaisir devoir combattre, enson indigne esclave, l'amourdivin contre les répugnances naturelles. En-fin, il fut victorieux; car sans autre consola-tion ni armes que ces paroles: « Il ne faut

» point de réserve à l'amour, » je m'allai jeterà genoux devant ma maîtresse, lui demandantpar miséricorde de me permettre de fairece qu'elle avait souhaité de moi. Et enfin jele fis, quoique je n'aie jamais senti une tellerépugnance; laquelle recommençait toutesles fois qu'il me fallait le faire, ne laissant dele continuer pendant environ huit ans.

Ce fut après ce sacrifice que toutes lesgrâces et faveurs de mon Souverain se redou-blèrent et inondèrent tellement mon âme,que j'étais contrainte de dire souvent: « Sus-» pendez, ô mon Dieu, ce torrent qui m'abîme,» ou étendez ma capacité pour le recevoir! »Mais je supprime toutes ces prédilections etprofusions du pur amour,qui étaient sigrandes, que je [ne] pourrais pas bien m'enexprimer.

Sur quoi l'on m'attaqua encore, proche letemps de ma profession, me disant que l'onvoyait bien que je n'étais pas propre à pren-dre l'esprit de la Visitation, qui craignaittoutes ces sortes de voies sujettes à la trom-

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perie et illusion. Ce que je représentai d'a-bord à mon Souverain on lui faisant mesplaintes: « Hélas! mon Seigneur, vous sereza

donc la cause que l'on me renverra? »

Sur quoi il me fut répondu: « Dis à ta Supé-

» rieure qu'il n'y a rien à craindre pour te

» recevoir, que je réponds pour toi, et que, si

» elle me trouve solvable, je serai ta caution. »

Et [lui ayant] fait ce rapport, elle m'or-donna de lûi dcmandor, pour marque de sû-reté, qu'il me rendit utile à la sainte religionpar la pratique exacte de toutes ses obser-vances. Sur quoi son amoureuse bonté merépondit: « Eh bien! ma fille, je t'accorde» tout cela, car je te rendrai plus utile à la

» religion qu'elle ne pense, mais d'une ma-» nière qui n'est encore connue que de moi;» et désormais, j'ajusterai mes grâces à l'es-» prit de ta règle, à la volonté de tes supé-» rieures et à ta faiblesse; en sorte que tu» tiennes suspect tout ce qui te retirera de

» l'exacte pratique de ta règle, laquelle je» veux que tu préfères à tout le reste. De» plus, je suis content que tu préfères la vo-» lonté de tes supérieures à la mienne, lors-» qu'elles te défendront de faire ce que je» t'aurai ordonné. Laisse-les faire tout ce» qu'elles voudront de toi: je saurai bien

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» trouver le moyen de faire réussir mes des-

» seins, même par des moyens qui y sem-»blent opposés et contraires. Et je ne me»réserve que la conduite de ton intérieur, et»particulièrement de ton cœur, dans leque»ayant établi l'empire de mon pur amour,»je ne le céderai jamais à d'aufl'e..;. » NotreMère et [notre] Maîtresse demeurèrent con-tentes de tout cela, dont les effets parurentsi sensiblement, qu'elles ne pouvaient plusdouter que ces paroles ne vinssent de la vé-rité; car je [ne]sentais point de trouble enmon intérieur, et je ne m'attachai qu'à fairel'obéissance, quelque peine qu'il me fallûtsouffrir pour cela. Mais l'estime et la com-plaisance [qu'on avait pour moi] m'étaient unmartyre insupportable, et je les rega:'daiscomme un juste châtiment de mes péchés,qui me paraissaient si grands, que tous lestourments imaginables m'auraient été douxà souffrir pour les expier et satisfaire à la di-vine justice.

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IV

LA PROFESSION. — PREMIÈRES MANIFES-

TATIONS DU SACRÉ-CŒUR.

Etant donc enfin parvenue au bien tantdésiré de la sainte profession, c'est en cejour que mon divin Maître voulut bien merecevoir pour son épouse, mais d'une manièreque je me sens impuissante d'exprimer.Seulement je dirai qu'il me parlait et metraitait comme une épouse du Thabor, ce quim'était plus dur que la mort, ne me voyantpoint de conformité avec mon Epoux quej'envisageais tout défiguré et déchiré sur leCalvaire.

Mais il me fut dit: « Laisse-moi faire cha-

» que chose en sontemps,car je veux que tu

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»sois maintenant lejouet de mon amour, qui

» se veut jouer de toi selon son bon plaisir,» comme les enfants font de leurs poupées.» Il faut que tu sois ainsi abandonnée, sans» vues ni résistances, me laissant contenter» à tes dépens, mais tu n'y perdras rien.» Il

me promit de ne plus me quitter, en medisant: « Sois toujours prête et disposée à

» me recevoir, car je veux désormais faire

» ma demeure en toi, pour converser et m'en-

» tretenir avec toi. »

Dès lors il me gratifia de sa divine présence,mais d'une manière que je n'avais point en-core expérimentée; car jamais je n'avais reçueune si grande grâce, pour les effets qu'elle aopérés toujours en moi, depuis. Je le voyais,je le sentais proche de moi, et l'entendais beau-coup mieux que si c'eût été des sens corporelspar lesquelsj'aurais pu me distraire pour m'endétourner; mais je ne pouvais mettre d'em-pêchement à cela, n'y ayant rien de maparticipation. Cela imprima en moi un siprofond anéantissement, que je me sentisd'abord comme tombée et anéantie dansl'abîme de mon néant, d'où je n'ai pu sortirdepuis, par respect et hommage à cette gran-deur infinie, devant laquelle j'aurais vouluêtre toujours prosternée la face contre terre

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ou à genoux: ce que j'ai fait depuis, autantque les ouvrages et ma faiblesse l'ont pupermettre. Car il ne me laissait point de re-pos dans une posture moins respectueuse, et[je] n'osais m'asseoir que lorsquej'étais en laprésence de quelqu'un, pour la vue de monindignité, qu'il m'a toujours fait voir si grande,que je n'osais plus paraître qu'avec des con-fusions étranges, qui me faisaient désirer quel'on n'eût plus eu de souvenir de moi quepour me mépriser, humilier et me dire desinjures, puisque rien ne m'est dû que cela. Cetunique amour de mon âme prenait tant de dé-plaisir que l'on en usât ainsi à mon égard, que,malgré la sensibilité de mon naturel orgueil-leux, il ne m'en laissait plus trouver aucunparmi les créatures que dans ces occasions decontradiction, d'humiliation et d'abjection, les-quelles étaient ma nourriture délicieuse, la-quelle il ne m'a point laissée manquer, ni nedisait: c'est assez. Mais, au contraire, il faisaitlui-même ce qui manquait de la part descréatures ou de moi-même; mais, mon Dieu,c'était d'une manière bien plus sensible quandvous vous en mêliez, et je serais trop longueà m'en oxprimer.

Il m'honorait de ses entretiens quelquefoiscomme un ami ou comme un époux le plus

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passionné d'amour, ou comme un père blesséd'amour pour son enfant unique, et end'autres qualités. Je supprime les effets

que cela produisait en moi. Seulement jedirai qu'il me fit voir en lui deux saintetés,l'une d'amour, l'autre de justice, toutesdeux très vigoureuses en leur manière, etlesquelles s'exerçaient continuellement surmoi. La première me ferait souffrir uneespèce de purgatoire très douloureux à sup-porter, pour soulager les saintes âmes qui yétaient détenues; auxquelles il permettrait,selon qu'il lui plairait, de s'adresser à moi. Etpour sa sainteté de justice, si terrible et épou-vantable aux pécheurs, elle me [ferait] sentirle poids de sa juste rigueur en me faisantsouffrir pour les pécheurs et « particulière-ment, [dit-il], pour les âmes qui me sont con-» sacrées, pour lesquelles je te ferai voir et» sentir dans la suite ce qu'il te conviendra» souffrir pour mon amour.» Mais, monDieu, qui connaissez mon ignorance et im-puissance à m'exprimer de tout ce qui s'estpassé depuis entre votre souveraine Majestéet votre cliétive et indigne esclave, par leseffets toujours opérants de votre ampur et devotre grâce, donnez-moi le moyen de pouvoirdire quelque peu de ce qui est le plus intel-

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ligible et sensible, et qui puisse faire voirjusqu'à quel excès de libéralité [votre amours'est porté] envers un objet si misérable etindigne.

Mais comme je ne cachais rien à ma Supé-rieure et Maîtresse, quoique souvent je necomprenais pas ce que je leur disais, et com-me elles m'eurent fait connaître que celaétait des voies extraordinaires qui n'étaientpas propres aux filles de Sainte-Marie, celam'affligea fort et fut cause qu'il n'y a sortesde résistances que je n'aie [faites] pour meretirer de cette voie. fiMais c'était eu vain,car cet esprit avait déjà pris un tel empiresur le mien, que je n'en pouvais plus jouirnon plus que de mes autres puissances inté-rieures, que je sentais toutes absorbées enlui. Je faisais tous mes efforts pour m'appli-quer à suivre la méthode d'oraison que l'onm'enseignait avec les autres pratiques; maisrien ne demeurait dans mon esprit. J'avaisbeau lire mes points d'oraison: tout s'éva-nouissait,et je ne pouvais rien apprendre niretenir que ce que mon divin Maître m'en-seignait, ce qui m'a fait beaucoup souffrir.Car on détruisait autant que l'on pouvait tou-tes ces opérations en moi, et on m'ordonnaitde le faire, et je combattais contre lui autant

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que je le pouvais, suivant exactement tout ceque l'obéissance m'ordonnait pour me retirerde sa puissance, laquelle rendait la mienneinutile.

Et je me plaignais à lui: « Eh quoi! lui»disais-je, ô mon souverain Maître! pourquoi»ne me laissez-[vous pas] dans la voie com-))mune des filles de Sainte-Marie? M'avez-»vous amenée dans votre sainte maison pour»me perdre? Donnez ces grâces extraordi-»naires à ces âmes choisies qui y auront»plus de correspondance et vous glorifieront»plus que moi, qui ne vous fais que des ré-))sistances. Je ne veux que -votre amour et»votre croix, et cela me suffitpour être une» bonne religieuse, qui est tout ce que je»désire. »

Et il me fut répondu: « Combattons, ma»fille, j'en suis content et nous verrons le-»quel remportera la victoire, du Créateur»ou de sa créature, de la force ou de la fai-»blesse, du Tout-puissant ou de l'impuis-»sance; mais celui qui sera vainqueur le»sera pour toujours. » Cela me jeta dansune extrême confusion, dans laquelle il [me]dit: « Apprends que je ne me tiens point of-

» fensé de tous ces combats et oppositions» que tu me fais par obéissance, pour la-

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» quelle j'ai donné ma vie; mais je te veux» apprendre que je suis le maître absolu de

a mes dons et de mes créatures, et que rien» ne pourra m'empêcher d'accomplir mes» desseins.. C'est pourquoi non-seulement je» veux [que tu fasses ce] que tes supérieures» te diront, mais encore que tu ne fasses rien» de ce que je t'ordonnerai sans leur consen-» tement. Car j'aime l'obéissance, et sans» elle on ne peut me plaire. »

Cela plut à ma Supérieure, laquelle me fitabandonner à sa puissance, ce que je fis

avec une grande joie et paix que je sentisd'aborddans mon âme, laquelle souffrait unecruelle tyrannie.

Il me demanda après la sainte Communionde lui réitérer le sacrifice que je lui avaisdéjà fait de ma liberté et de tout mon être,ce que je fis de tout mon cœur. « Pourvu,» lui dis-je, ô mon souverain Maître, que» vous [ne] fassiez jamais rien paraître en» moi d'extraordinaire que ce qui me pourra» causer le plus d'humiliation et d'abjection

» devant les créatures, et me détruire dans» leur estime; car, bêlas! mon Dieu, je sens» ma faiblesse, je crains de vous trahir, et» que vos dons ne soient pas en sûreté chez

» moi. » — « Ne crains rien, ma fille, me

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» dit-il, j'y mettrai bon [ordre], car je m'en

»rendrai le gardien moi-même et te rendrai

»impuissante à me résister. » — « Eh quoi!

» mon Dieu, me laisserez-vous toujours vi-

» vre sans souffrir ? » Il me fut d'abordmontré une grande croix, dont je ne pouvaisvoir le bout, mais elle était toute couverte defleurs: « Voilà le lit de mes chastes épouses» où je te ferai consommer les délices de

» mon amour; pou à peu ces fleurs tombe-» ront et [il] ne te restera que les épines

» qu'elles cachent à cause de ta faiblesse;» mais elles te feront si vivement sentir» leurs piqûres, que tu auras besoin de toute» la force de mon amour pour en supporter» la douleur. » Ces paroles me réjouirentbeaucoup, pensant qu'il n'y aurait jamaisassez de souffrances, d'humiliations ni demépris, pour désaltérer l'ardente soif quej'en avais, et que je ne pourrais jamais trou-ver de plus grande souffrance que celle queje sentais de ne pas assez souffrir, car sonamour ne [me] laissait point de repos ni journi nuit. Mais ces douceurs m'affligeaient. Jevoulais la croix toute pure, et j'aurais voulu

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pour cela toujours voir mon corps accablé ;

d'austérités ou de travail, duquel je prenaisautant que mes forces pouvaient porter, car j

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je ne pouvais vivre un moment sans souf-france. Plus je souffrais et plus je contentaiscette sainteté d'amour qui [avait] allumétrois désirs dans mon cœur, qui me tour-mentaient incessamment: l'un de souffrir,l'autre de l'aimer et communier, et le troi-sième de mourir pour m'unir à lui.

Je ne me souciais plus ni du temps ni dulieu, depuis que mon souverain m'accompa-gnait partout. Je me trouvais indifférente àtoutes lès dispositions que l'on pût faire demoi, étant bien sûre que s'étant ainsi donnéà moi sans aucun mérite de ma part, maispar sa pure bonté, et que, par conséquent,on ne me le pourrait pas ôter, cela me ren-dait contente partout. Ce que j'expérimentailorsque l'on me fit faire la retraite de maprofession, en gardant une ânesse avec sonpetit ânon dans le jardin, laquelle ne medonnait pas peu d'exercice, car on ne mepermettait pas de l'attacher; et on voulaitque je la retinsse dans un petit coin que l'onm'avait marqué, crainte qu'elle ne fît dumal; et ils ne faisaient que courir. Je n'avaispoint de repos jusqu'à YAngélus du soir, queje venais souper; et puis je retournais pen-dant une partie de Matines dans [l']établepour la faire manger. Je me trouvais si con-

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tente de cette occupation, que je ne me se-rais point souciée, quand elle aurait durétoute ma vie; et mon Souverain m'y-tenaitune si fidèle compagnie, que toutes ces cour-ses qu'il me fallait faire ne m'empêchaientpoint; car ce fut là que je reçus de si gran-des grâces, que jamais je n'en avais expéri-menté de semblables; surtout ce qu'il me fitconnaître sur le mystère de sa sainte mort etpassion; mais c'est un abîme à écrire et lalongueur me fait tout supprimer. [Je dirai]seulement que c'est ce qui m'a donné tantd'amour pour la croix, que je ne peux vivresans souffrir: mais souffrir en silence, sansconsolation, soulagement ni compassion; etmourir avec le Souverain de mon âme, acca-blée sous la croix de toutes sortes d'oppro-bres, d'humiliations, d'oublis et de mépris. Cequi m'a duré toute ma vie, laquelle par samiséricorde s'est toute passée dans [ces] sor-tes d'exercices, qui sont ceux du pur amour,qui a toujours pris soin de me fournir abon-damment de ces sortes de mets, si délicieuxà son goût, que jamais il ne dit: c'est assez.Mon divin Maître me fit une fois cette le-

çon : « Apprends, » me dit-il, sur quelquefaute que j'avais faite, « que je suis un Mat-» tre saint et qui enseigne la sainteté. Je

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» suis pur et ne puis souffrir la moindre

» tache. C'est pourquoi, il faut que tu agisses

» en simplicité de cœur, avec une intention

» droite et pure en ma présence. Car je ne» peux souffrir le moindre détour, et je te» ferai connaître que l'excès de mon amour» m'a porté à me rendre ton Maître, pour» t'enseigner et te façonner à ma mode et» selon mes desseins; que je ne peux sup-» porter les âmes tièdes et.lâches, et que si

» je suis doux à supporter tes taiblesses, je» ne serai pas moins sévère et exact à corri-» ger et punir tes infidélités. » C'est ce qu'ilm'a bien fait expérimenter toute ma vie. Carje puis dire qu'il ne me laissait pas passer lamoindre faute où il y eût tant soit peu devolonté ou de négligence, sans qu'il m'en re-prît ou punît, quoiquetoujours dans sa misé-ricorde et bonté infinies. Je confesse pourtantque rien ne m'était plus douloureux et terri-ble que de le voir tant soit peu fâclié contremoi. Toutes les autres douleurs, correctionset mortifications ne m'étaient rien en compa-raison.

C'est ce qui me faisait promptement allerdemander pénitence de mes fautes, car il secontentait de celles que l'obéissance me don-nait.

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Et ce qu'il reprenait [le plus] sévèrementétait le manquement de respect et d'attentiondevant le Très Saint Sacrement, surtout dansle temps de l'office et de l'oraison, les dé-fauts de droiture et de pureté en ses inten-tions, la vaine curiosité. Et quoique ses [yeux]

purs et clairvoyants découvrent jusqu'auxmoindres défauts de charité et d'humilitépour les reprendre sévèrement, néanmoinsrien n'est comparable au manquement d'obéis-sance, soit aux Supérieures ou aux règles;etla moindre réplique avec témoignage de répu-gnance aux Supérieures lui est insupporta-ble dans une âme religieuse. « Tu te trom-» pes, me disait-il, en pensant me pouvoir» plaire par ces sortes d'actions et mortifica-

tions dont la propre volonté ayant fait élec-

» tion, fait plutôt plier celle des supérieures» que d'en démordre. Oh! sache que je rejette» tout cela comme des fruits corrompuspar la» propre volonté, laquelle m'est en horreur» dans une âme religieuse; et j'agréerais» plus qu'elle prît toutes ses petites commo-» dités par obéissance, que de s'accabler» d'austérités et de jeûnes par sa propre vo-» lonté. » Et lorsqu'il m'arrive de faire parmon choix et sans son ordre ou [celui] dema Supérieure, de ces sortes de mortifica-

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tions et pénitences, il ne me permet pasmême de les lui offrir et m'en corrige en m'enimposant la peine, de même que pour mesautres manquements, tout chacun desquelstrouve la sienne particulière dans le Purga-toire, où il me purifie pour me rendre moinsindigne de sa divine présence, communica-tion et opération; car il faisait tout en moi.Et une fois, ayant fini un.Aoe marisstellade discipline que l'on m'avait donné, il medit: « Voici ma part; » et comme je poursui-vais: « Voilà celle du démon que tu fais

» maintenant; » ce qui me fit cesser bienvite. Et une autre fois,, pour les âmes duPurgatoire, du moment que j'en voulus faire[plus] que je n'avais permission, elles m'en-vironnèrent en se plaignant [de] ce que jefrappais sur elles. Cela me fit résoudre demourir plutôt que d'outrepasser tant soit peules limites de l'obéissance; [cap] après cela ilm'en faisait faire la pénitence. Mais je netrouvais rien de difficile parce qu'il tenaitencore, en ce temps-là toute la rigueur demes peines et souffrances absorbées dans ladouceur de son amour, laquelle jele suppliaissouvent de retirer de moi, pour me laissergoûter avec plaisir les amertumes de ses an-goisses, dérélictions, agonies, opprobres et

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autres tourments; mais il me répondaitquec'était à moi de me soumettre indifférem-ment à toutes ses différentes dispositions,et non point à lui donner des lois, « et je te» ferai comprendre dans la suite que je suis

» un sage et savant directeur, qui saiscon-» duire les âmes sans danger, lorsqu'elles» s'abandonnent à moi en s'oubliant dics-» mêmes. »

Une [fois] donc étant devant le Saint Sa-crement, me trouvant un peu plus de loisir,car les occupations que l'on me donnait nem'en laissaient guère, [je] me [trouvai] toutinvestie de c< tte divine présence, mais si for-tement, que Ï m'oubliai de moi-même et dulieu où j'étais, et je m'abandonnai à ce divinEsprit, livrant mon [cœur] à la force de yonamour. Il fl.e fit reposer fort longtemps sursa divine poitrine, où il me découvrit les mer-veilles de son amour et les secrets inexplica-bles de son Sacré-Cœur, qu'il m'avait tou-jours tenus cachés, jusqu'alors qu'il me l'ou-vrit pour la première fois, mais d'une ma-nière si effective et si sensible qu'il ne meilaissa aucun lieu d'en douter, pour les effetsque cette grâce produisit en moi. Et voiecomme il me semble la chose s'être passée:

Il me dit: « Mon divin Cœur est si pas-

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» sionné d'amour pour les hommes, et pour» toi en particulier, que ne pouvant plus con-» tenir en lui-même les flammes de son ar-» dente charité, il faut qu'il les répande par» ton moyen, et qu'il se manifeste à eux pour» les enrichir de ces précieux trésors que je» te découvre, et qui contiennent les grâces»

sanctifiantes et salutaires, nécessaires pour» les retirer de l'abîme de perdition; et je» t'ai choisie, comme un abîme d'indignité et» d'ignorance pour l'accomplissement de ce»grand dessein, afin que tout soit fait par» moi. » Après il me demanda mon cœur, le-quel je le suppliai de prendre, ce qu'il fit, etle mit dans le sien adorable, dans lequel il

me le fit voir comme un petit atome qui seconsommait dans cette ardente fournaise,d'où le retirant comme une flamme ardenteen forme de cœur, ille remit dans le lieu où ill'avait pris, en medisant: « Voilà, ma bien-

» aimée, un précieux gage de mon amour,» qui renferme dans ton côté une petite étin-» celle de ses plus vives flammes, pour te» servir de cœur et te consommerjusqu'au» dernier moment, et dont l'ardeur ne s'é-» teindra, ni ne pourra trouver de rafraîchis-» sement que quelque peu dans la saignée,» dont je marquerai tellement le sang de ma

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» croix, - qu'elle t'apportera plus d'humilia-» tion et de souffrance que de soulagement.» C'est pourquoi je veux que tu la demandes» simplement, tant pour pratiquer ce qui vous» est ordonné [par la règle], que pour te» donner la consolation de répandre ton sang» sur la croix des humiliations. Et pour mar-» que que la grande grâce que je viens de te» faire n'est point une imagination, et qu'elle

» est le fondement de toutes celles que j'ai» encore à te faire, quoique j'aie refermé la

» plaie de ton côté, la douleur t'en restera» pour toujours, et si jusqu'à présent tu n'as» pris que le nom de mon esclave, je te donne» celui de la disciple bien-aimée de mon Sa-

» cré-Cœur. »Après une faveur si grande, et qui dura un

si long espace de temps, pendantlequelje nesavais si j'étais au ciel ou en terre, je demeu-rai plusieurs jours comme tout embrasée etenivrée, et tellement hors de moi que je nepouvais en revenir pour dire une parole qu'a-

vec violence, et [il] m'en fallait faire une sigrande pour me récréer et pour manger, queje me trouvais au bout de mes forces poursurmonter ma peine. Ce qui me causait uneextrême humiliation, et je ne pouvais dormir,

car cette plaie, dont la douleur m'est si pré-

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cieuse, me cause de si vives ardeurs, qu'elle

me consomme et me fait brûler toute vive.Et je me sentais une si grande plénitude deDieu, que je ne pouvaism'exprimer à maSupérieure comme je l'aurais souhaité et fait,quelque peine et confusion que ces grâces mefassent ressentir en les disant, pour magrande indignité, laquelle m'aurait fait choi-sir mille fois plutôt de dire mes péchés àtout le monde; et ce m'eût été une grandeconsolation, si l'on m'avait permis de le faireet de dire tout haut ma confession généraleau réfectoire, pour faire voir le grand fondsde corruption qui est en moi, afin que l'on nem'attribuât rien des grâces que je recevais.

Celle dont je viens de parler au sujet dema douleur de côté m'était renouvelée lespremiers vendredis du mois en cette manière:le Sacré-Coeur m'était représenté comme unsoleil brillant d'une éclatante lumière, dontles rayons tout ardents donnaient à plombsur mon cœur, qui se sentait d'abord em-brasé d'un feu si ardent, qu'il semblait m'al-ler réduire en cendres, et c'était particuliè-ment en ce temps-là que mon divin Maîtrem'enseignait ce qu'il voulait de moi, et medécouvrait les secrets de cet aimable Cœur.Une fois entre les autres, que le Saint Sacre-

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ment était exposé, après m'être sentie retiréetoute au-dedans de moi-même par un recueil-lement extraordinaire de tous mes sens etpuissances, Jésus-Christ, mon doux Maître,se présenta à moi, tout éclatant de gloire,avec ses cinq plaies, brillantes comme cinqsoleils, et de cette sacrée humanité sortaientdes flammes de toutes parts, mais surtoutde son adorable poitrine qui ressemblait [a]une fournaise; et s'étant ouverte me décou-vrit son tout aimant et tout aimable Cœur,qui était la vive source de ces flammes. Cefut alors qu'il me découvrit les merveillesinexplicables de son pur [amour], et jusqu'àquel excès il l'avait porté d'aimer les hommes,dont il ne recevait que des ingratitudes etméconnaissances. « Ce qui m'est beaucoup» plus sensible, me dit-il, que tout ce que j'ai» souffert en ma passion; d'autant que s'ils» [me] rendaient quelque retour d'amour,» j'estimerais peu tout ce que j'ai fait pour» eux, et voudrais, s'il se pouvait, en faire» davantage; mais ils n'ont que des froideurs» et du rebut pour tous mes empressements» à leur faire du bien. Mais, du moins,» donne-moi ce plaisir de suppléer à leur in-» gratitude autant que tu en pourras être ca-» pable. » Et lui remontrant mon impuis-

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sance, il me répondit: « Tiens, voilà de quoi

» suppléer à tout ce qui te manque.» Et enmême temps ce divin Cœur s'étant ouvert, il

en sortit une flamme si ardente queje pensaien être consommée; car j'en fus toutepéné-trée, et ne pouvais plus la soutenir, lors-

que je lui demandai d'avoir pitié de ma fai-hlesse.

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V

LA VICTIME DU SACRÉ-CŒUR PRÉPARÉE PAR

L'AMOUR.

Et le feu qui me dévorait me jeta d'aborddans une grandefièvre continue; maisj'avaistrop de plaisir à souffrir, pour m'en plaindre,n'en parlant point jusqu'à ce que les forcesme manquèrent. Le médecin connut qu'il yavait fort longtemps que jela portais; et elle

me dura encore plus de soixante accès. Jamaisje n'ai tant senti de consolation; car tout moncorps souffrant d'extrêmes [douleurs], celame soulageait un peu l'ardente soif que j'a..vais de souffrir. Ce feu dévorant ne se nour-rissait ni contentait que du bois de la croix,

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de toutes sortes de souffrances, mépris, hu-miliations et douleurs et jamais je ne sentaisde douleur qui put égaler celle que j'avaisde ne pas assez souffrir: l'on croyait que j'enmourrais.

Mais Notre-Seigneur me continuant tou-jours ses grâces, je reçus celle incomparablequ'il me sembla, pendant une défaillance quim'avait pris, que les trois personnes de l'ado-rable Trinité se présentèrent à moi, [et] firentsentir de grandes consolations à mon âme.Mais ne pouvant m'expliquer [sur] ce qui sepassa alors [je n'en dirai rien], sinon qu'ilme sembla que le Père éternel, me présentantune fort grosse croix toute hérissée d'épines,accompagnée de tous les autres instrumentsde la Passion, il me dit: » Tiens, ma fille, je» te fais le même présent qu'à mon Fils bien-

» aimé.» — « Et moi, me dit mon Seigneur» Jésus Christ, je t'y attacherai comme j'y ai

» été attaché et je t'y tiendrai fidèle compa-gnie. » La troisième de ces adorables Person-nes me dit; « Que lui qui n'était qu'amour m'y»

consommerait en me'purifiant. » Mon âmedemeura dans une paix et joie inconcevable:car l'impression qu'y firent ces divines per-sonnes ne s'est jamais effacée. Elles me furentreprésentées sous la forme de trois jeunes

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hommes vêtus de blanc,tout resplendissantsde lumière, de même âge, grandeur et beauté.Je ne compris pas alors, comme je l'ai faitdans la suite, les grandes souffrances que celame signifiait.

Et comme l'on m'ordonnait de demanderla santé à Notre-Seigneur, je le faisais, mais

avec la crainte d'être exaucée. Mais l'on medit que l'on connaîtrait bien si tout ce qui sepassait en moi venait de l'esprit de Dieu, parle rétablissement de ma santé; après quoi l'onme permettrait ce qu'il m'avait commandé,tant au sujet de la communion des premiersvendredis, que pour veiller l'heure qu'il sou-haitait la nuit du jeudi au vendredi. Ayantreprésenté toutes ces choses à Notre Seigneurpar obéissance, je ne manquai pas de recou-vrer la santé. Car la très sainte Vierge, mabonne mère, m'ayant gratifiée de saprésenceme fit de grandes caresses, et me dit après unassez long entretien; « Prends courage, ma» chère fille, dans la santé que je te donne de

» la part de mon divin [Fils], car [tu as] en-» core un long et pénible chemin à faire,» toujours dessus la croix, percée de clous et» d'épines, et déchirée de fouets; mais ne» crains rien, je ne t'abandonnerai [pas], et» te promets ma protectiolil,» Promesse qu'elle

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m'a bien fait sentir depuis le grand besoin quej'en ai eu.

Mon Souverain Seigneur [continuait] tou-jours à me gratifier de sa divine présence ac-tuelle et sensible, comme je l'ai dit ci-dessus,m'ayant promis que ce serait pour toujours;et, en effet, il ne m'en privait pas pour aucu-ne faute que je commisse. Mais comme sasainteté ne peut souffrir la moindre tache,et qu'il me fait voir jusqu'à, la plus petiteimperfection, [je] ne [pouvais] supporter laplus légère imperfection où il y ait tant soitpeu de volonté ou de négligence; et commeje suis si imparfaite et misérable que de com-mettre beaucoup de fautes, quoiqu'involontai-res, je confesse que ce m'est un tourmentinsupportable de paraître devant sa Saintetélorsque je me suis laissée aller à quelque infi-délité; et il n'y a sortes de supplices aux-quels je ne me sacrifiasse plutôt que de sup-porter la présence de ce Dieu saint, lorsquemon âme est tachée par quelque faute: il

ple serait mille fois plus [doux] de m'abîmerdans une fournaise ardente.

Et, une fois, m'étant laissée aller à quelquemouvement de vanité en parlant de moi-même, ô mon Dieu, combien de larmes et degémissements me causa cette faute! Car

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lorsquenous fûmes seul à seule, il me repriten cette manière et d'un visage sévère:« Qu'as-tu, ô poudre et cendre, de quoi tevpouvoirglorifier, puisque tu n'as rien de»toi que le néant et la misère, que tu ne dois

» jamais perdre de vue, non plus que sortir»de l'abîme de ton néant? Et afin que la))grandeur de mes dons ne te fasse mécon-))naître et oublier de ce que tu es, je t'en))veux mettre le tableau devant les yeux. »

Et aussitôt me découvrant cet horribletableau, [il me fit voir] un raccourci de tout ceque je suis; ce qui me surprit si fort avectant d'horreur de moi-même, que, s'il ne m'a-vait soutenue, j'en serais pâmée de douleur,ne pouvant comprendre l'excès d'une si grandebonté et miséricorde, de ne m'avoir pas en-core abîmée dans l'enfer et de me supporter,vu que je ne pouvais me supporter moi-même. C'était là le supplice dont il punissaiten moi les moindres mouvements de vainecomplaisance; ce qui m'obligeait quelque-fois de lui dire : « ô mon Dieu! hélas! ou» faites-moi mourir, ou cachez-moi ce tableau,»je ne peux vivre en le voyant.» Car ilimprimait en moi des peines insupportablesde haine et de vengeance contre moi-même, et l'obéissance ne me permettant pas

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d'exécuter sur moi les rigueurs que cela mesuggérait, je ne peux exprimer ce que jesouffrais. Et comme je savais que ce souve-rain de mon âme se contentait de tout ce quel'obéissance m'ordonnait et qu'il prenait unsingulier plaisir de me voir humiliée, cela merendait très fidèle à m'accuser de mes fautespour en recevoir pénitence, puisque, quelquerudequ'elle pût être, elle ne me semblait qu'undoux rafraîchissement auprès de celle qu'ilm'imposait lui-même qui voyait des défautson ce qui me semblait le plus pur et parfait.C'et ce qu'il me donna à connaître un jourde Toussaint, qu'il me fut dit intelligible-ment:

Rien de souillé dans l'innocence;Rien ne se perd dans la puissance;Rien ne passe en ce beau jour;Tout s'y consomme dans l'amour.

L'explication qui me fut donnée de cesparoles m'a servi longtemps d'occupation.Rien de souillé dans l'innocence; c'est-à-direqu'il ne fallait souffrir aucune tache dans monâme, ni dans mon cseur.

Rien ne se perd dans la puissance; c'est-à-dire que je lui devais tout donner et abandon-

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neretqu'il était la puissance même, que l'on nepouvait rien perdre en lui donnant tout. Pourles deux autres, elles s'entendaient du paradisoù rien ne passe, car tout y est éternel ets'y consomme dans l'amour; et comme il mefut montré en même temps un petit échantil-lon de cette gloire, ô Dieu! dans quels trans-ports de joie et de désir cela ne [me] mît-ilpas!

Comme j'étais en retraite, je passais tout lejour dans ces.plaisirs inexplicables, desquelsil me semblait qu'il n'y avait plus rien àfaire que d'aller promptement [en] jouir.Mais ces paroles qui me furent dites mefirent bien connaître que j'étais bien loin de

mon compte; les voici:« Je serai ta force, me dit-il, ne crains rien,

» sois attentive à ma voix et à ce. que je te» demande pour ta disposer à l'accomplisse-

» ment de mes desseins. Premièrement tu me» recevras dans le saint Sacrement autant» que l'obéissance te le voudra permettre,» quelques mortifications et humiliations qui

» t'en doivent, arriver, lesquels tu dois recc-» voir comme des gages de mon amour.» Tu communieras de plus tous les premiers» vendredis de chaque mois; et toutes les

.» nuits du jeudi au vendredi, je te feraipar-

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» ticiper à cette mortelle tristesse que j'ai» bien voulu sentir au jardin des Olives; la-

» quelle tristesse te réduira, sans que tu la» puisses comprendre à une espèce d'agonie» plus rude à supporter que la mort. Pour» m'accompagner dans cette humble prière,» je te présenterai alors à mon Père parmi» toutes mes angoisses, tu te lèveras entre» onze heures et minuit, pour te proster-» ner pendant une heure avec moi, la face

» contre terre, tant pour apaiser la divine

» colère, en demandant miséricorde pour,les» pécheurs, que pour adoucir en quelque fa-

» çon l'amertume que je sentais de l'abandon» de mes apôtres, qui m'obligea à leur repro-» cher qu'ils n'avaient pu veiller une heure» avec moi, et pendant cette heure tu feras» ce que je t'enseignerai. Mais, écoute, ma» fille, ne crois pas légèrement à tout esprit» et ne t'y fie pas; car Salan enrage de te» décevoir; c'est pourquoi ne fais rien sans» l'approbation de ceux qui te conduisent,» afin qu'ayant l'autorité de l'obéissance, il

» ne te puisse tromper; car il n'a point de

» pouvoir sur les obéissants. »Et pendant tout ce temps, je ne me sentais

pas ni ne savais plus où j'en étais. Lorsqu'onvintme retirer de là, voyant que je ne pouvais

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répondrë moi-même me soutenant qu'avecgrand peine, l'on me mena à notre Mère, la-quelle me trouvant comme tout hors de moi-même, toute brûlante et tremblante, je mejelai par terre à genoux, où elle me mortifiaet humilia de toutes ses forces; ce qui meTaisait un plaisir et me donnait une joie in-croyable. Car je me sentais tellement crimi-nelle et, remplie de confusion que, quelquerigoureux traitement qu'on m'eût pu faire,il m'aurait semblé trop doux. Après lui avoirdit,.quoiqu'avec une extrême confusion, ce quis'était passé, elle se prit encore à m'humilierdavantage, sans me rien accorder pour cettefois de tout ce que je croyais que Notre-Sei-gneur me demandait de faire et ne traitantqu'avec mépris tout ce que je lui avais dit.Cela me consola beaucoup et jeme retirai avecune grande paix.

C'est en vain que ton cœur soupire,Pour y entrer com'ne tu crois;Il ne faut pas qu'on y aspire,Que par le chemin de'la Croix.

Ensuite de quoi mettant [devant] moi toutce que j'aurais à souffrir pendant tout lecours de ma vie, tout mon corpsen frépiit,

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quoique je ne le comprisse pas alors parcette peinture, comme je l'ai fait depuis parles effets qui s'en sont suivis.

Et comme je me préparais à faire ma con-fession annuelle avec une grande anxiétépour trouver mes péchés, mon divin Maîtreme dit :] « Pourquoi te tourmentes-tu? Fais»ce qui est en ton pouvoir, je suppléerai à»ce qui te manquera au reste. Car je ne de-»manderien tant dans ce Sacrement qu'un»cœur contrit et humilié, qui, d'une volonté»sincère de ne me plus déplaire, s'accuse))sans déguisement; et pour lors je par-))donne sans retardement, et delà il s'ensuit»un parfait amendement. »

Cet Esprit souverain qui opérait et agissaiten moi, indépendamment de moi-même, avaitpris un empire si absolu sur tout mon êtrespirituel et même corporel, qu'il n'était plusen mon pouvoir d'exciter en mon cœur au-cun mouvement de joie ou de tristesse quecomme il lui plaisait, non plus que d'occupa-tion à mon esprit qui n'en pouvait prendred'autre que celle qu'il lui donnait.

[Cela] m'a toujours tenue dans une étrangecrainte d'être trompée, quelque assuranceque j'aie pu recevoir du contraire, tant de sapart que des personnes qui me conduisaient,

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qui étaient mes Supérieures; ne m'ayant ja-mais donné de directeur que pour examinersa conduite sur moi, leur donnant touteliberté de l'approuver ou désapprouver. Etma douleur était qu'au lieu de me retirer dela tromperie où je croyais d'être effecti-vement, ils m'y renfonçaient encore plusavant, tant mes confesseurs que les autres,en me disant de m'abandonner à la puis-sance de cet Esprit, et sans réserve m'y lais-ser conduire; et quand même il me rendraitun jouet du démon, comme je le pensais, il

ne fallait pas laisser que de suivre ses mou-vements.

Je fis donc ma confession annuelle, aprèslaquelle il me semblait me voir et sentirdépouillée et revêtue en même temps d'unerobe blanche, avec ces paroles: « Voici la» robe d'innocence dont je revêts ton âme,» afin que tu ne vives plus que de la vie» d'un Homme-Dieu, c'est-à-dire que tu vives» comme ne vivant plus, mais me laissant» vivre en toi. Car je suis ta vie, et tu ne» vivras plus qu'en moi et par moi, qui veux» que tu agisses comme n'agissant plus, [que

» tu] me laisses agir et opérer en toi et pour» toi, me remettant le soin de tout. Tu ne» dois plus avoir de volonté, [ou tu dois

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» être] comme n'en ayant plus, en me lais-

» sant vouloir pour toi en tout et partout. »Une fois cet unique amour de mon âme se

présenta à moi portant d'une main le ta-bleau d'une vie la plus heureuse qu'on se lapuisse figurer pour une âme religieuse, toutedans la paix, les consolations intérieures etextérieures, une santé parfaite jointe à l'ap-plaudissement et estime des créatures, et au-tres choses plaisantes à la nature. De l'autremain, il portait un autre tableau d'une vietoute pauvre et abjecte, toujourscrucifiéepar toutes sortes d'humiliations, mépris etcontradictions; toujours souffrante au corpset en l'esprit. [En] me présentant ces deuxtableaux, il me [dit]: « Choisis, ma fille,

« celui qui t'agréera le plus, je te ferai les

» mêmes grâces au choix de l'un comme de

» l'autre. »

Je me prosternai à ses pieds pour l'adorer,e:i lui disant: « 0 mon Seigneur, je ne veux»

rien que vous et le choix que vous ferez

» pour moi. » Et après m'avoir beaucouppressé de choisir : « Vous m'êtes suffisant,

» ô mon Dieu! Faites pour moi ce qui vous« glorifiera le plus, sans nul égard à mes in-

» térôts ni satisfactions. Contentez-vous, et» cela me suffit. » Alors il me dit qu'avee

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Madeleine j'avais choisi la meilleure part,qui ne me serait point ôtée, puisqu'il seraitmon héritage pour toujours. Et me présen-tant ce tableau de crucifixion. : « Voilà, me» dit-il, ce que je t'ai choisi et qui m'agrée» le plus, tant pour l'accomplissement de

» mes desseins que pour te rendre con-» forme à moi. L'autre est une vie de jouis-» sance et non de mérites: c'est pour Véter-

» nité. » J'acceptai donc ce tableau de mort etde crucifixion en baisant la main qui me leprésentait; et quoique la nature en frémît, jel'embrassai de toute l'affection dont moncœur était capable, et en le serrant sur mapoitrine je le sentis si fortement imprimé enmoi, qu'il me semblait n'être plus qu'uncomposé de tout ce que j'y avais vu repré-senté.

Et je me trouvais tellement changée dedisposition, que je ne me connaissais pas.Mais je laissai le jugement de tout à maSupérieure, à laquelle je ne pouvais riencéler ni rien omettre de tout ce qu'elle m'or-donnait, pourvu que cela me vînt immédiate-ment d'elle-même. [Car] cet Esprit qui mepossédait me faisait sentir des répugnanceseffroyables, lorsqu'elle m'ordonnait quelquechose et me voulait conduire par le conseil

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de quelques autres; parce qu'il m'avait pro-mis de lui donner toujours les lumières né-cessaires pour me conduire conformément àses desseins.

Les plus grandes grâces que [je] recevaisde sa bonté, c'était dans la Sainte Commu-nion et la nuit, surtout celle du jeudi au ven-dredi que je recevais des faveurs inexplica-bles. Il m'avertit donc une fois que Satanavait demandé dem'éprouvel- dans le creusetdes contradictions et humiliations, tentationset dérélictions, comme l'or dans la fournaise,et qu'il lui avait tout permis, à la réserve del'impureté; qu'il ne voulait pas qu'il me don-nât jamais aucune peine là-dessus, parcequ'il la haïssait si fort, qu'il ne lui avait ja-mais voulu permettre de m'en attaquer dansla moindre chose; mais pour toutes les au-tres tentations, il me fallait être sur mesgardes, surtout celles d'orgueil, de désespoiret de gourmandise, de laquelle j'avais plusd'horreur que de la mort. Mais il m'assuraque je ne devais rien craindre, puisqu'il seraitcomme un fort imprenable au-dedans demoi-même, qu'il combattrait pour moi et serendrait le prix de mes victoires, et qu'ilm'environnerait de sa puissance, afin que jene succombasse; mais qu'il me fallait veiller

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continuellement sur tout l'extérieur, et qu'il

se réservait le soin de l'intérieur. Je ne tar-dai guère ensuite d'entendre les menaces de

mon persécuteur. Car s'étant présenté à moi

en forme d'un More épouvantable, les yeuxétincelants comme deux charbons et megrinçant des dents contre, [il] médit: « Mau-

» dite que tu es, je t'attraperai, et si je te

» peux une fois tenir on ma puissance, je 1e

» .ferai bien sentir ce que je sais faire, je te» nuirai partout. » Et quoiqu'ilme.fit plu-sieurs autres menaces, je n'appréhendaispourtant rien, tant je me sentais fortifiée au-dedans de moi-même! Il me semblait mêmequejen'aurais pas craint toutes les fureursde l'Enfer, pour la grande force que je sen-tais au-dedans de moi-même, [grâce à] lavertu d'un petit crucifix auquel mon souve-rain Libérateur avait donné la force d'éloi-gner toutes ces fureurs infernales de moi. Jele portais toujours sur mon cœur, la nuit etlejour, et j'en ai reçu beaucoup de secours.

L'on me mit à l'infirmerie. Dieu seul peutconnaître ce que j'ai eu à souffrir, tant de lapart de mon naturel prompt et sensible, quecelle des créatures et du démon, lequel mefaisait souvent tomber et rompre tout ce queje tenais entre mes mains, et puis semoquait

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de moi, en me riant quelquefois au nez;« Oli!.la lourde! Tu ne feras jamais rien

» qui vaille; » ce qui jetait mon esprit dansune tristesse et abattement si grand que jene savais que faire. Car souvent il m'ôtait lepouvoir de le dire à notre Mère, parce quel'obéissance abattait et dissipait toutes jses]forces. Une fois il me poussa du haut d'unescalier, tenant une pleine terrasse de feu,sans qu'il s'en répalldit, et [je] me trouvai aubas, sans m'être fait aucun mil, bien queceux qui me virent tomber crurent que jem'étais cassé les jambes; mais je sentis monfidèle gardien qui me soutint; car j'avais lebonheur de jouir souvent de sa présence, etd'être souvent reprise et corrigée par lui.Une fois, m'étant voulu mêler de parler d'unmariage d'une parente, il me fit voir cela siindigne d'une âme religieuse et m'en reprit sisévèrement, qu'il dit que si je retournais àme mêler de ces sortes d'intrigues, il me ca-cherait sa face. Il ne pouvait souffrir lamoindre immodestie ou manquement de res-

pecten la présence de mon souverain Maître,devant lequel je le voyais prosterné contreterre, et [il] voulait que j'en fisse de même

,ce que je faisais le plus souvent que je pou-vais, et je ne trouvais point de posture plus

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douce à mes continuelles souffrances et de

corps et d'esprit, parce qu'elle était la plusconforme à mon néant, lequel je ne perdaispoint de vue, m'y sentant toujours abîmée,soit que je fusse dans la souffrance ou dansla jouissance, dans laquelle je ne pouvaisgoûter aucun plaisir.

Car cette sainteté d'amour me pressait sifort de souffrir pour lui rendre du retour,que je ne pouvais trouver de plus doux reposque de sentir mon corps accablé de souffran-ces, mon esprit dans toutes sortes de dérélic-tions et tout mon être dîns les humiliations,mépris et contradictions. [Elles] ne me man-quaient pas, par la grâce de mon Dieu, qui

ne pouvait me laisser un moment sans celaou au-dedans de moi-même, ou au dehors. Etlorsque ce pain salutaire diminuait, il m'enfallait chercher d'autres par la mortification;et mon naturel sensible et orgueilleux m'enfournissait beaucoup de matière. [Mon sou-verain Maître] ne voulait pas que j'en lais-sasse perdre une occasion, et, lorsqu'il m'é-tait arrivé de le faire, pour la grande vio-lence qu'il me fallait faire pour surmontermes répugnances, il me le faisait bien payerau.double. Et lorsqu'il voulait quelque chosede moi, il me pressait si vivement, qu'il m'é-

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tait impossible d'y résister, ce qui m'a faitbeaucoup souffrir pour l'avoir souvent voulufaire. Il me prenait par tout ce qui était leplus opposé à mon naturel et contraire à mesinclinations, à rebours desquelles il voulaitque je marchasse sans cesse.

J'étais si fort douillette que la moindre sa-leté me faisait bondir le cœur. Il me reprit sifortement là-dessus qu'une fois, voulant net-toyer le vomissement d'une malade, jene pusme défendre de le faire avec ma langue et le

manger, en lui disant: « Si j'avais mille

» corps, mille amours, mille vies, je les

a immolerais pour vous être asservie. » [Dès]lors je trouvai tant de délices dans cette ac-tion, que j'aurais voulu en rencontrer tousles jours de pareilles, pour apprendre à mevaincre et n'avoir que Dieu pour témoin.Mais sa bonté, à qui seule j'étais redevablede m'avoir donné la force de me surmonter,

[.ne laissa pas de me témoigner le plaisir qu'ily avait pris. Car la nuit ensuite, si je ne metrompe, il me tint bien environ deux ou troisheures la bouche collée sur la plaie de son

jSacré-Cœur. Et il me serait bien difficile depouvoirexprimer ce que je sentis alors, ni les

4effets que cette grâce produisit dans mon

. âme et dans mon cœur. Mais cela suffit pour

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faire connaître les grandes bontés et miséri-cordes de mon Dieu sur un sujet si misé-rable.

Il ne voulait point diminuer ma sensibilité,ni mes grandes répugnances, tant pour ho-norer celles qu'il avait bien voulu ressentirau jardin des Olives, que pour me fournirdes matières de victoires et d'humiliations.Mais, hélas! je ne suis pas fidèle et je tombesouvent: à quoi quelquefois il semblaitprendre plaisir, tant pour confondre mon or-gueil, que pour m'établir dans la défiance demoi-même; voyant que sans lui je ne pou-vais que le mal et faire de continuelles chu-tes sans m'en pouvoir relever. Alors ce sou-verain bien de mon âme venait à mon se-cours, et comme un bon Père me tendait lesbras de son amour en me disant: « Tu con-» nais donc bien que tu ne peux rien sansa moi: » ce qui me faisait fondre de recon-naissance envers son amoureuse bonté. J'é-tais touchée jusqu'aux larmes de voir qu'ilne se vengeait de mes péchés et continuellesinfidélités que par des excès d'amour parlesquels il semblait combattre mes ingratitu-des. Il les exposait quelquefois devant mesyeux, avec la multitude de ses grâces, memettant dans l'impuissance de lui parler que

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par mes larmes, souffrant alors plus que je

ne peux dire. C'est ainsi que ce divin amourse jouait de son indigne esclave.

Et une fois que j'avais fait quelque soulè-vement de cœur en servant une malade quiavait la dyssenterio, il m'en reprit si forte-ment, que je [me] vis contrainte, pour réparercette faute. (La délicatesse du siècle nesauraitsupporter le récit que l'obéissancefait écrire ici à notre BienTif'ure/!se. Ilfautque Notre-Seigneur intervienne lllÍ-mhnepour l'arrêter dans l'excès de sa mortifica-tion. C'estalors qu'elle continue:) « 0 mon» Seigneur! je le fais pour vous plaire, et

» pour gagner votre divinCœur;j'espère» que vous ne me le refuserez pas. Mais

» vous, mon Seigneur, que n'avez-vous pas» fait pour gagner celui des hommes? et cn-» pendant ils vous le refusent et vous en» chassent bien souvent. » — «Il est vrai, maw

fille, que mon amour m'a fait tout sacri-

» fier pour eux, sans qu'ils me rendent de

» retour; mais je veux que tu supp.lées. par» les mérites de mon Sacl'é-Cœur, à leur» ingratitude. Jete le veux donner, mon» Cœur. Mais auparavant, il faut que tu le

.» rendes sa victime d'immolation, pour [que],

» avec son entremise, tu détournes leschâti-

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» ments que la divine justice de mon Père,» armé de colère, veut. exercer sur une com-» munauté religieuse, [qu'il va] reprendre et» corriger en son juste courroux. » Et me lafaisant voir à la même heure avec les dé-tauts particuliers qui l'avaient irrité, çt toutce qu'il me fallait souffrir pour apaiser sa

-juste colère, ce fut alors que tout frémit enmoi; et [je] n'eus pas le courage de me sa-crifier. Je dis que n'étant pas à moi, je nepouvais le faire sans le-consentement de l'o-béissance, [et] la crainte que j'avais qu'on neme le fît faire, me fit négliger de le dire;mais il me poursuivait sans cesse et ne medonnait point de repos. Je me fondais enlarmes, et me [vis] enfin contrainte de le direà ma Supérieure; laquelle voyant ma peine,me dit de me sacrifier à tout ce qu'il désiraitde moi, sans réserve.

Mais, mon Dieu, ce fut alors que ma peinese redoubla encore plus fort, car je n'avaispoint le courage de dire oui, et je résistaistoujours.

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VI

L'IMMOLATION. — LE P. DE LA COLOMBIÈRE.

Mais la veille de la Présentation, cettedivine justice me parut armée d'une manièresi terrible que j'en demeurai tout hors demoi, et ne pouvant me défendre, il me fut ditcomme à saint Paul: « il t'est bien dur de

» regimber contre les traits de ma justice;» Mais puisque tu m'as tant fait résistance» pour éviter les humiliations qu'il te convien-

» dra souffrir pour ce sacrifice, je te les don-

» perai au double; car je ne te demandais

» qu'un sacrifice secret, et maintenant je le

» veux public et d'une manière et dans un

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» liantes, qu'elles te seront un sujet de con-» fusion pourlo reste de ta vie, et dans toi-» même et deyant les créatures, pour te faire» comprendre ce que c'est que de résister à» Dieu. »

Hélas! Je le compris bien en effet, carja-mais je ne me vis en tel état: en voici quel-ques petites choses, mais non pas tout. Aprèsdonc l'oraison du soir, je ne pus sortir avecles autres, et je demeurai au chœur jusqu'audernier coup du souper dans des pleurs et desgémissements continuels. Je m'en allai fairecollation, car c'était la veille de la Présenta-tion, et, m'étant traînée à vive force à laCommunauté, je m'y trouvai si fortement.pressée de faire ce sacrifice tout haut, en lamanière que Dieu me faisait connaître le vou-loir de moi que je fus contrainte de sortirpour aller trouver ma Supérieure, qui étaitmalade pour lors. Mais je confesse que j'étaistellement hors de moi, que je me voyaiscomme une personne qui aurait pieds et mains -liés et à qui il ne resterait plus rien de libreen l'intérieur et pour l'extérieur que les lar-mes que je versais en abondance, pensantqu'elles étaient la seule expressien de ce queje souffrais; car je me voyais comme la pluscriminelle du monde, trainée à force de cordes

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au lieu de mon supplice. Je voyais cette sain-teté de Dieu armée des traits de sa justecolère, prête à les lancer pour m'abimer, ceme semblait, dans cette gueule béante del'enfer que je voyaisouverte, prête à m'en-gloutir. Je me sentais brûlée d'un feu dévo-rant qui me pénétrait jusqu'à la moelle des

os, et tout mon corps [était] dans un tremble-ment étrange; et [je] ne pouvais dire autrechose, sinon: «Mon [Dieu], ayez pitié de

» moi selon la grandeur de vos misérieor-

» des. » Et tout le reste du temps, je gémis-sais sous le poidsdemadouleur, sans pou-voirtrouver le moyen de me rendre vers maSupérieure que sur les huitheures, qu'unesœur m'ayant trouvée, me conduisit vers elle;elle fut bien surprise de me voir en cette dis-position, laquelle jene pouvais pour lors ex-primer; mais je croyais, par surcroît de peine,que l'on la connaissait en me voyant, ce quin'était pas.MaSupérieure qui savait qu'iln'yavaitquel'obéissance qui eût tout pouvoirsur cet esprit qui me tenait en cet état, m'or-donna de lui dire ma peine; et aussitôt je luidis le sacrifice que Dieu voulait que je luinsse de tout mon être, en présencede laCommunauté, et le sujet pourquoi il mele de-mandait; lequel je n'exprimerai point, crainte

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de blesser la sainte charité, et en mêmetemps le Cœur de Jésus-Christ, dans lequelcette chère vertu prend naissance: c'est pour-quoi il 11e veut point qu'on l'intéresse tantsoit peu sous quel prétexte que ce puisse être.Enfin, ayant fait et dit ce que mon Souveraindésirait de moi, on en parlait et jugeait diver-sement; mais je laisse toutes ces circonstan-ces à la miséricorde de mon Dieu. Et je puisassurer, ce me semble, que je n'avais jamaistant souffert non pas même quand j'aurais purassembler toutes les souffrances que j'avaiseues jusqu'alors et toutes celles que j'ai euesdepuis; et quand toutes ensembles m'auraientété continuelles jusqu'à sa mort, cela ne mesemblerait pas comparable à ce que j'enduraicette nuit, de laquelle Notre Seigneur voulutgratifier sa chétive esclave, pour honorer lanuit douloureuse de sa passion, quoique cen'en fût qu'un petit échantillon. L'on me traî-nait de lieu en lieu avec des confusions ef-froyables.

Cette nuit s'étant donc passée dans les tour-ments que Dieu connaît et sans repos, jus-qu'environ la sainte messe, il me sembleque j'y entendis ces paroles: « Enfin la paix» est faite, et ma sainteté de justice est satis-» faite, par le sacrifice que tu m'as fait, pour

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»rendre hommage à celui que je fis au mo-» ment de mon incarnation dans le sein de

»ma Mère; le mérite duquel j'ai voulu joindre» [au tienl et renouveler par celui que tu m'as»fait, afin de l'appliquer en faveur de la»charité, comme je tç l'ai fait voir. C'est»pourquoi tu ne dois plus rien prétendre en»tout ce que tu pourras faire et souffrir, ni»pour accroissement de mérite, pour satis-»faction de pénitence ou autrement, tout»étant sacrifié à ma disposition pour la cha-»rité. C'est pourquoi, à mon imitation, tu»agiras et souffriras en silence, sans autre»intérêt que la gloire de Dieu dans l'établis-»sement du règne de mon Sacré-Cœur dans»celui des hommes auxquels je le veux ma-»nifester par ton moyen. »

Mon Souverain [me] donna ces saints en-seignements après l'avoir reçu; mais il neme sortit point de mon état souffrant, danslequel je sentis une paix inaltérable dansl'acceptation de tout ce queje souffrais, et quim'était montré que je devais souffrir jusqu'aujour du jugement si c'était la volonté de monDieu qui ne me fit plus paraître que commeun objet de contradiction, un égout de rebut,de mépris et d'humiliation, lesquels je voyaisavec plaisir venir fondre sur moi de toutes

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parts, et sans recevoir aucune consolationduciel ni de la terre. Il semblait que tout cons-pirait à m'anéantir. J'étais continuellementinterrogée, et le peu de réponse que l'on ti-rait de moi comme par force, ne laissait pasde servir d'instrument pour augmeiter monsupplice. Je ne pouvais ni manger, ni parler,ni dormir; et tout mon repos et occupationn'était que de demeurer prosternée devantmon Dieu.. dont la souveraine grandeur metenait tout anéantie dans le plus profond abîmede mon néant, toujours pleurant et gémissantpour lui demander miséricorde et détournerles traits de sa juste colère.

L'emploi où j'étais pour lors fournissant decontinuelles occupations à mon corps et àmon esprit, me causait un tourment insup-portable; d'autant que, nonobstant toutesmes peines, mon souverain Maître ne mepermettait pas d'en omettre la moindre, ni[de me] faire dispenser de rien, non plus quede tous les autres devoirs et observances demes règles, dans lesquels je sentais quelaforce de sa souveraine puissance me traînaitcomme une criminelle dans le lieu d'un nou-veau supplice car j'en trouvais en tout lieu,et je me trouvais tellement engloutie et ab-sorbée dans ma souffrance, que je ne me

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sentais plus d'esprit ni de vie que pour voiret sentir ce qui se passait de douloureux àmon égard, mais tout cela ne me causait pasle moindre mouvement d'inquiétude ni dechagrin, bien que parmi toutes ces peinesl'on me conduisait toujours par ce qui était leplus opposé à la.nature immortifiéc et con-traire à mes inclinations. L'on s'aperçut queje ne mangeais pas: l'on m'en fit des répri-mandes, et ma Supérieure et mon confesseur,lesquels m'ordonnèrent de tout manger ceque l'on me donnerait à table: obéissancequi me semblait bien au-dessus de mes forces;mais celui qui ne m'en laissait pas manquerdans le besoin me donna celle de m'y sou-mettre et de la faire [sans] excuse niréplique,bien que je me visse contrainte d'allerrendre après le repas ce que j'avais pris denourriture. Et comme cela dura fort long-temps, il me causa un si grand dévoiementd'estomac avec beaucoup de douleurs, que jene pouvais plus rien garder du peu que jeprenais, après que l'on eut trouvé bon de mechanger [l'obéissance] que j'avais en celle deno manger que selon que je le pourrais. Etle manger, je l'avoue m'a causé de rudestourments depuis ce temps là, allant au ré-fectoire comme à un lieu de supplice auquel

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le péché m'avait condamnée. Et quelque effortque je me sois fait pour manger indifférem-ment ce qui m'était présenté, je ne pouvaisme défendre de prendre ce que je croyais lemoindre, comme le plus conforme à mapauvreté et mon néant, qui me représentaientcontinuellement que le pain et l'eau étantsuffisant, tout le reste était superflu.

Et pour en revenir à cette disposition souf-frante qui ne discontinuait point, et qui s'aug-mentait toujours par des surcroîts fort sensi-bles et humiliants, l'on crut que j'étais possé-dée ou obsédée et l'on me jetait force eaubénite dessus avec des signes de croix, [et]d'autres prières pour chasser le malin esprit.Mais celui dont je me sentais possédée, bienloin de s'enfuir, me serrait tant plus fort àlui, en me disant: « J'aime l'eau bénite et je» chéris si fort la croix, que je ne peux m'em-» pêcher de m'unir étroitement à ceux qui la» portent comme moi et pour l'amour de» moi. » Ces paroles rallumèrent tellementdans mon âme le désir de souffrir, que toutce que je souffrais ne me semblait qu'une pe-tite goutte d'eau, qui allumait plutôt la -soifinsatiable que je sentais, que de la désaltérer:quoiqu'il me semble pouvoir dire qu'il n'yavait aucune partie de mon être qui n'eût sa

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souffrance particulière, tant l'esprit que le

corps; et cela sans compassion ni consolation,

car le diable me livrait de furieux assauts, etmille fois j'aurais succombé sije n'avais sentiune puissance extraordinaire qui me :::;OULO"

nait et combattait pour moi, parmi tout ceque je viens de dire. Enfin ma Supérieure nesachant plus que faire de moi, me fit commu-nier pour demander à Notre Seigneur, parobéissance, de me remettre en ma premièredisposition. M'étant donc présentée à lui

comme son hostie d'immolation, il me dit.« Oui, ma fille, je viens à toi comme souve-» rain Sacrificateur, pour te donner une» nouvelle vigueur, afin de t'immoler à de» nouveaux supplices. » Ce qu'il fit, et je [metrouvai toute tellement changée, que je mesentais comme une esclave à qui l'on vientde redonner la liberté. Mais cela ne duraguère, car l'on recommença à dire que c'étaitle diable qui était l'auteur de tout ce qui sepassait en moi, qu'il me perdrait, si je n'yprenais garde, par ses ruses et illusions

Ce fut ici un terrible coup pour moi quiavais eu toute ma vie crainte d'être trompéeet de tromper les autres sans pourtant levouloir. Ce qui me faisait beaucoup pleurer,car je ne pouvais en aucune façon me retirer

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de la puissance de cet Espritsouverain quiagissait en moi; et quelque effort que [je]

pusse faire, je ne pouvais l'éloigner de moi,ni empêcher sesopérations. Car il s'étaittellement emparé de toutes les puissances demonâme, qu'ilme semblait être dans unabime d'où plus je faisais d'efforts poursortir, plus je m'y sentais enfoncée, quoiqueje me servisse de tous les moyens que l'ondisait; mais c'était en vain. Et je combattaisquelquefois si fort que j'en restais touteépuisée de forces; unis mon Souverainsejouait detout eel>,et me rassurait si fort,qu'il dissipait toutes mes craintes au premierabord, me disant! « Qu'as-tu à craindre« entre les bras du Tout-Puissant? Pourrait-« il bien te laisser périr eu t'abandonnant à«tes ennemis, après l'luejü me suis] rendu«ton père, tonmaitre et ton gouverneur«dès tM plustendre jeunesse, en tedonnant« de continuelles preuves de l'amoureuse« tendresses de mon divin Cour, dans lequel«même j'ai établi ta demeure actuelle et«éternelle? Pour plus grande assurance,« dis-moi quelle plus fortepreuve tu souhaites« de mon amour, je te la donnerai. Mais« pourquoi combats-tu contre [moi] qui suis«ton seul, vrai et uniqueamit»

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Ces reproches de ma défiance me jetèrentdans un si grand regret et confusion, que jeme proposai dès lors de ne jamais rien contri-buer EUX épreuves que l'on ferait de l'Espritqui me conduisait, me contentant d'accepterhumblement et de bon cœur tout ce quel'on me voudrait faire.

Omon Seigneur et mon Dieu, qui seulconnaissez la peine que je souffre en accom-plissant cette obéissance, et la violencequ'il me faut faire pour surmonter la répu-gnance et confusion que je sens en écrivanttout ceci, accordez-moi la grâce de mourirplutôt que de mettre aucune chosé que ce quivient de la vérité de votre Esprit, et qui vousdonnera de la gloire, et à moi de la confu-sion. Et par miséricorde, ô mon souverainBien! qu'il ne soit jamais vu de personne quede celui que vous voulez qu'il l'examine, afin

que cet écrit ne m'empêche pas de demeurerensevelie dans un éternel mépris et oubli descréatures.

0 mon [Dieu]! donnez cette consolation àvotre pauvre chétive esclave. En même tempsma demande reçut cette réponse :

« Abandonne tout à mon bon plaisir et me» laisse accomplir mes desseins, sans te mêler

» de rien, car j'aurai soin de tout. »

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Je vais donc poursuivre par obéissance, ô

mon Dieu! sans autre prétention que de vouscontenter par cette espèce de martyre que jasouffre en faisant cet écrit dont chaque motme semble un sacrifice; mais en puissiez-vousêtre glorifié éternellement! [Voici] comme ilm'a manifesté sa volonté en cet écrit: c'estque comme je me suis toujours sentie portéeà aimer mon souverain Seigneur pourl'amour de lui-même, ne voulant ni ne dési-rant que lui seul, je ne me suis jamais atta-chée à ses dons, plus grands qu'ils fussent àmon égard; et ne les prisais que parce qu'ilsvenaient de lui; et je n'y faisais que le moinsde réflexions que je pouvais, tâchant de toutoublier pour ne me souvenir que de lui, horsduquel tout le reste ne m'est rien. Et quanddonc il a fallu accomplir cette obéissance, jecroyais m'être impossible de pouvoir parler deces choses passées depuis tant de temps;mais il m'a bien fait voir le contraire. Carpour me donner facilité, il me fait ressentirsur chaque article la même disposition dont jeparle. C'est ce qui me convainc qu'il le veut.

Parmi les peines et craintes que je souf-frais, je sentais toujours mon cœur dans unepaix inaltérable; et l'on me fit parler à quel-ques personnes de doctrine, lesquelles, bien

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loin de me rassurer dans ma vc' augmen-tèrent encore plus mes peines "à tantque Notre-Seigneur renvoya le LaColombière, auquel j'avais dé, moncommencement, que mon sou maîtreme promit quelque temps après e con-sacrée à lui; qu'il m'enverrait un .1 servi-teur, auquel il voulait que je manifestasseselon l'intelligence qu'il m'en donnerait, tousles trésors et secrets de son sacré Cœurqu'il m'avait confiés parcequ'il me l'envoyaitpour le rassurer dans sa voie et pour lui dé-partir de grandes grâces dans son sacréCœur, qui les répandrait abondamment dansnos entretiens.

Et lorsque ce saint homme vint ici, commeil parlait à la Communauté, j'entendis inté-rieurement ces paroles: « Voilà celui que je» t'envoie. » Ce que je reconnus bientôt dansla première confession des quatre-temps; carsans que nous nous fussions jamais vus ni par-lé; il me retint fort longtemps, et me parlaitcomme s'il eût compriscequi sepassaiten moi.Mais je ne lui voulus faire aucune ouverturede cœur pour cette fois; et comme il vit que jeme voulais retirer crainte [d'incommoder] laCommunauté, il me dit si j'agréerais qu'il mevint [voir] une autre fois, pour me parler

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dans ce même lieu. Mais mon naturel timidequi craignait toutes ces communications, fit

que je lui répondis, que n'étant pas à moi, jeferais tout ce que l'obéissancem'ordonnerait.Je me retirai après y avoir demeuré environune heure et demie. Peu de temps après ilrevint, et encore que je connaissais être lavolonté de Dieu que je lui parlasse, je ne lais-sai pas de sentir des répugnances effroyableslorsqu'il fallut y aller: ce que je lui dis d'a-bord. Mais il me répondit qu'il était bien aisede m'avoir donné occasion de faire un sacri-fice à Dieu. Et alors, sans peine ni façon je luiouvris mon cœur et lui découvris le fond demon âme, tant le mal que le bien. Sur quoi il

me donna de très grandes consolations, enm'assurant qu'il n'y avait rien à craindre enla conduite de cet Esprit; d'autant qu'il neme retirait point de l'obéissance; que je de-vais suivre tous ses mouvements en lui aban-donnant tout mon être, pour me sacrifier etimmoler son bon plaisir. Admirant la grandebonté de notre Dieu, de ne s'être point rebu-té parmi tant do résistance, il m'apprit à es-timer les dons de Dieu et à recevoir avecrespect et humilité les fréquentes communi-cations et familiers entretiens dont il me gra-tifiait, dont je devais être en de continuelles

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actions de grâces envers une si grande bon-té. Et comme je lui eût fait entendre que cesouverain de mon âme me poursuivait de siprès, sans exception de temps ni de lieu, queje ne pouvais prier vocalement à quoi je mefaisais de si grandes violences, que j'en de-meurais quelquefois la bouche ouverte sanspouvoir prononcer aucune parole, surtout endisant le rosaire, il me dit dene [le] plusfaireet que je me devais contenter de ce qui m'étaitd'obligation, y ajoutant le chapelet lorsque jele pourrais. Et lui ayant dit quelque chose desplus spéciales caresses d'union d'amour queje recevais de ce Bien-Aimé de mon âme, etque je ne décris pas ici, il me dit que j'avaisgrand sujet en tout cola de m'bumilier, et luid'admirer les grandes miséricordes de Dieuà mon égard.

Mais cette bonté infinie ne voulait pas quejereçusse aucune consolation, sans qu'elle mecoûtât bien des humiliations. Cette commu-nication [m'en] attira un grand nombre, etle Père] lui-môme eut beaucoup à souffrir àcause de moi. Car l'on disait que je voulaisle] décevoir par mes illusions, et le tromperomme les autres, mais cela ne lui faisaitlulle peine, et [il] ne laissait pas de me con-tinuer [son secours] le peu de temps qu'il de-

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meura en cette ville et toujours. Et je me suiscent fois étonnée comme il ne m'abandonnaitpas aussi lorsque les autres; car la manièredont je traitais avec lui aurait rebuté toutautre, bien qu'il n'épargnât rien pour m'hu-milier, à mortifier ce qui me faisait un grandplaisir.

Une fois qu'il vint dire la sainte messe ànotre église, Notre Seigneur lui fit de très-grandes grâces et à moi aussi. Car lorsqueje m'approchai pour le recevoir par la sainteCommunion, il me montra son Sacré-Cœurcomme une ardente fournaise, et deux autres[cœurs] qui s'y allaient unir et abîmer, medisant. « C'est ainsi que mon pur amour unitces trois cœurs pour toujours. »

Et après il me fit entendre que cette unionétait toute pour la gloire de son Sacré-Cœurdont il voulait que je découvrisse [au Père]les trésors afin qu'il en fit connaître et enpubliât le prix et l'utilité; et que pour cela ilvoulait que nous fussions frère et sœur, éga-lement partagés de biens spirituels. Et luireprésentant là-dessus ma pauvreté et l'iné-galité qu'il y avait entre un homme de sigrande vertu, et mérité, et une pauvre chétivepécheresse comme moi, il me dit: « Les» richesses infinies de mon cœur suppléeront

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» et égaleront tout. [Parle]-lui seulement sans» craindre. » Ce que je fis à notre premierentretien. Et la manière d'humilité et d'ac-tions de grâces avec laquelle il le reçut, avecplusieurs autres choses que je lui dis de lapart de mon souverain Maître, en ce qui leconcernait me toucha [grandement], et meprofita plus que tous les sermons que j'auraispu entendre.

Et comme je lui eus dit que Notre-Seigneurne me départait ces grâces qu'afin qu'il futglorifié dans les âmes auxquelles je les distri-buerais, selon qu'il me ferait connaître le dé-sir, soit de parole ou d'écrit, sans me mettreen peine de ce que je dirais ou écrirais, par-ce qu'il y attacherait l'onction de sa grâce,pour produire l'effet qu'il en prétendait dansceux qui le recevraient bien et que je souf-frirais beaucoup dans la résistance que je fai-sais d'écrire et de donner certains billets à despersonnes dont il me revenait de grandeshumiliations, il m'ordonna que quelque peineou humiliation que j'en dusse souffrir, il nefallait jamais désister de suivre les saintsmouvements de cet Esprit, disant simplementce qu'il m'inspirait; [et] lorsque j'aurais écrit,il fallait présenter à ma Supérieure le billet,et puis en faire ce qu'elle m'ordonnerait: ce

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que je faisais. Mais cela m'a bien attiré desobjections de la part des créatures. Il mecommanda aussi d'écrire ce qui se passaiten moi, à quoi je sentais une répugnancemortelle. Car j'écrivais pour obéir, et puis je lebrûlais, croyant que j'avais suffisammentsatisfait à l'obéissance. Mais j'en souffraisbeaucoup, et on me donna scrupule et dé-fense de le plus faire.

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,VII

TESTAMENT. — LA DÉVOTION AU SJI_CRÉ-CŒUR,

Une fois mon souverain Sacrificateur medemanda de faire en sa faveur un testamentpar écrit, ou donation entière et sans réserve,comme je lui avais déjà faite de bouche, detout ce que je pourrais faire et souffrir, et detoutes les prières et biens spirituels que l'onferait pour moi, soit pendant ma vie, soitaprès ma mort. [Il] me fit demander à maSupérieure si elle voulait servir de notaire encet acte, qu'il se chargeait de payer solide-ment, et que si elle refusait, je m'adressasseàson serviteur, le Père de La Colombière.

Mais ma Supérieure le voulait faire; etl'ayant présenté à cet unique amour de monâme, il m'en témoigna un grand agrément, et

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me dit que c'était qu'il en voulait disposer se-lon ses desseins et en faveur de qui il luiplairait; mais puisque son amour m'avait dé-pouillée de tout, il ne voulait plus que j'eussed'autres richesses que celles de son Sacré-Cœur. Il [m'en] fit une donation à l'heuremême, me la faisant écrire de mon sang, se-lon qu'ille dictait, et puis je la signai sur moncœur avec un canif [à l'aide] duquel j'y écri-vis son sacré nom de Jésus. Après quoi il medit qu'il aurait soin de récompenser au cen-tuple tous les biens que l'on me ferait, commefaits pour lui-même puisque je n'avais plusrien à y prétendre; et que, pour celle quiavait dressé ce testament en sa faveur, il luivoulait donner la même récompense qu'àsainte Claire de Montefalco, et que pour celail] ajouterait à ses actions les mérites infinis

des siennes, et par l'amour de son Sacré-Cœur, il lui ferait mériter la même couronne.Ce qui me donna une grande consolation,parce que je l'aimais beaucoup à cause qu'ellenourrissait mon âme abondamment du paindélicieux de la mortification et humiliation, quiétait si agréable au goût de mon souverainMaître, que, pour lui donner ce plaisir, j'au-rais voulu que tout le monde s'en fût mêlé.Aussi mon Dieu me faisait-il cette grâce que

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jamais il ne [me] manquait, ma vie s'é-tant toute passée parmi les souffrances du

corps, par mes fréquentes maladies et conti-nuelles infirmités. En outre, mon esprit souf-frait par des dérélictions, délaissements, et devoir offenser Dieu, lequel par sa bonté me sou-tenait toujours, soit parmi les persécutions,contradictions et humiliations que je recevaisde la part descréatures, soit dans les tentationsde la part du démon, lequel m'a beaucouptourmenté et persécuté; et aussi dela part demoi-même qui ai été le plus cruel ennemi quej'ai eu à combattre, et le plus difficile àvaincre. Car parmi tout ce que je viens dedire, on ne laissait pas de me donner de l'oc-cupation et du travail extérieur [autant] quej'en pouvais porter; [et] ce qui ne m'étaitpas une petite peine dans celle que je souf-frais, [c'était] de croire que j'étais en horreur àtoutes les créatures, et qu'elles avaientgrande peine à me supporter, en ayant beau-coup à souffrir de moi-même. Tout cela medonnait une continuelle peine en conversantavec le prochain, et [je] n'avais d'autre re-cours ni remède que l'amour à mon abjection,où je me tenais abîmée avec grand sujet, cartout me retournait en humiliation, même lesmoindres actions.

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L'on ne me regardait que comme une vi-sionnaire, entêtée de ses illusions et imagina-tions; et, parmi tout cela, il ne m'était paspermis de chercher le moindre soulagementni consolation dans mes peines; car mondivin Maître me le défendait. Il voulait queje souffrisse tout en silence, en ayant faitprendre cette devise:

Je veux tout souffrir sans me plaindre,Puisque mon pur amour m'empêche de rien

[craindre]

Il voulait que j'attendisse tout de lui; et s'ilarrivait que je me voulusse procurer quelqueconsolation, il ne me faisait rencontrer que dela désolation et de nouveaux tourments pourtout soulagement: ce que j'ai toujours re-gardé comme une des plus grandes grâcesque mon Dieu m'ait faites, avec celle de neme pas ôter ce précieux trésor de la croix,nonobstant le mauvais usage que j'en ai tou-jours fait, qui me rendait si indigne d'un sigrand bien, pour lequel je me serais voulufondre d'amour, de reconnaissance et d'actionde grâce envers mon libérateur.

C'était dans ces sentiments et parmi lesdélices de la croix que je disais: « Que

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f> rendrai-je au Seigneur pour les grands» biens qu'il m'a t'aits. 0 mon Dieu! que»vos bontés sont grandes à mon égard de»vouloir bien mel'aire manger à la table des»Saints, et ces mêmes viandesdont vousles»avez substantés: me nourrissant avec»abondance des mets délicieux de vos favoris»et plus fidèles amis,moiqui nesuis qu'une»indigne et misérablepécheresse. »

Aussi savez-vous bien que sans le SaintSacrement et la croix je ne pourrais pasvivre et supporter la longueur de mon exil,dans cette valléede larmes où je11esouhaitaisjamais la diminution de mes souffrances.Car, plus mon corps en était accablé, plusmon esprit sentaitde joie et avaitdelibertépour s'occuper ets'unir avec mon Jésus souf-frant, n'ayant de plus ardent désir que do merendre une véritable et parfaite copie et re-présentation de mon Jésus crucifié.Cequime réjouissait,c'estquand sa souverainebonté employait une multitude d'ouvrierspour travailler selon son gré àl'accomplisse-ment de cet ouvrage.Mais ce Souverain nos'éloignait pas deson indigne victime dont ilsavait bien la faiblesse et l'impuissance àtout bien; et quelquefois il me disait: « Je te

» fais bien del'honneur, ma chère fille de me

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»servir d'instruments si nobles pour te cru-»cifier. Mon Père éternel m'a livré entre les»mains cruelles des impitoyables bourreaux»pour mecrucifier

: et moi, je me [sers] pour»cet effet à ton égard de personnes qui me» [sont] dévouées et consacrées, et au pouvoir»desquelles je t'ai livrée, et pour le salut»desquelles je veux que tu m'offres tout ce»qu'elles te [feront] souffrir. » Ce que jefaisais de tout mon cœur, en m'offrant tou-jours de porter toute la peine du châ-timent de l'offense de Dieu que l'on pourraitfaire à mon égard, quoiqu'en vérité il neme semblait pas qu'on pût faire aucune in-justice en me faisant souffrir, ne le pouvantautant faire que je le mérite. Mais j'avoueque je me délecte si fort en parlant dubonheur de souffrir, qu'il me semble que j'enécrivais des volumes entiers., sans pouvoircontenter mon désir. Et mon amour-proprese satisfait beaucoup en ces sortes de discours.

Une fois mon Souverain me fit entendrequ'il me voulait retirer dans la solitude, nondans celle d'un désert comme lui, mais danscelle de son Sacré-Cœur, où il me voulaithonorer de ses plus familiers entretiens; etque là il me donnerait de nouveaux enseigne-ments de ses volontés, et me ferait prendre

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de nouvelles forces pour les accomplir encombattant courageusement jusqu'à la mort,ayant encore à soutenir les attaques de plu-sieurs puissants ennemis; et.que c'était pour-quoi il me demandait que pour honorer sonjeûne au désert, il me fallait jeûner cinquantejours au pain et à l'eau. Mais l'obéissance neme l'ayant voulu permettre, crainte de merendre singulière, il me fit entendre qu'ilaurait autant agréable si je passais cinquantejours sans boire, pour honorer l'ardente soifque son sacré [Cœur] avait toujours enduréedu salut des pécheurs et celle qu'il avait souf-ferte sur l'arbre de la croix. L'on m'accordacette pénitence, qui me sembla être plus rudeque l'autre pour la grande altération dontj'étais continuellement tourmentée, laquelleme donnait nécessité de boire souvent degrandes tasses d'eau pour me rafraîchir.

Je souffris pendant ce temps-là de rudescombats de la part du démon, qui m'attaquaitparticulièrement sur le désespoir, me faisantvoir qu'une aussi méchanto créature que moi

ne devait point prétendre de part dans le Pa-radis; puisque je n'en avais déjà point dansl'amour de mon Dieu, duquel je serais privéepour une éternité. Cela me faisait verser destorrents de larmes.

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D'autrefois il m'attaquait de vaine gloire,et puis de cette abominable tentation degourmandise: me faisant sentir des faimseffroyables: et puis il me représentait toutce qui est capable de contenter le goût, etcela dans letempsde mesexercices[spiritue.s,]ce qui m'était un tourment étrange. Et cettefiim me duraitjusqu'àce que j'entrais auréfectoire pour prendre ma réfection, dont jeme sentais d'abord dans un dégoût si grand,qu'il me fallait faire une grande violencepour prendre quelque peu de nourriture. Etd'abord que j'étais sortie de table, ma faimrecommençait plus violente qu'auparavant.Ma Supérieure à qui je no cachais rien de cequi se passait en moi, pour la grande crainteque j'ai toujours eue d'être trompée, m'or-donna de lui aller demander à manger lors-que je me sentirais le plus pressée de la faimce que je faisais avec des violences extrêmes,par la grande confusion que je sentais.

Et au lieu de m'envoyer manger, elle memortifiait et humiliait fortement là-dessus, enme disant que je garderais ma faim pour lacontenter lorsque les autres iraient au réfec-toire. Après je demeurais en paix dans masouffrance. Et on ne me laissa pas achevercette fois-là ma pénitence du boire; mais

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après que j'eus obéi l'on me fit recommencer;et je passais les cinquante jours sans boire,et de même je passais les vendredis.

Je [me] trouvais toujours également con-tente, soit que l'on m'accordât ou refusât ceque je demandais; pourvu que j'obéisse, celame suffisait.

Mon persécuteur no cessait de m'attaquerde toutes parts, à la réserve de l'impureté,dont mon divin Maître lui avait défendu [de

me tenter], quoiqu'une fois il me fît souffrirdes peines épouvantables et voici comment:C'est que ma Supérieure me dit: « Allez te-» nir la place de notre roi devant le Saint» Sacrement. »

Et y étant, je me sentis si fortement atta-quée d'abominables tentations d'impuretésqu'il me semblait être déjà dans l'enfer. Jesoutins cette peine plusieurs heures de suite,"et elle me dura jusqu'à ce que ma Supérieurem'eût levé cette obéissance, en me disantque je ne me tiendrais plus en la personne denotre Roi, devant le Saint Sacrement; maisen celle d'une bonne religieuse de la Visita-tion. Aussitôt mes peines cessèrent là-dessus.Et [je] me trouvais noyée dans un déluge deconsolations, où mon Souverain me donnalesenseignements de ce qu'il souhaitait de

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moi. Il voulait que je fusse dans un continuelacte de sacrifices; et [il me dit] que pour celail augmenterait mes sensibilités et mes répu-gnances, en telle sorte que je ne ferais rienqu'avec peine et violence, pour me donnermanière de victoire, même dans les chosesles plus minces et indifférentes.

Ce que je puis assurer avoir toujourséprouvé depuis. [Il ajouta] de plus, que je negoûterais plus aucune douceur que dans lesamertumes du Calvaire, et qu'il me 'feraittrouver un martyre de souffrance dans toutce qui pourait composer la joie, le plaisir etla félicité temporelle des autres. Ce qu'il m'afait éprouver d'une manière très sensible,puisque tout ce qui [se] peut nommer plaisir,me devient un supplice. Car, même dans cesrécréations que l'on donne quelquefois, jesouffrais plus que si j'avais été dans l'ardeurde la plus violente fièvre, quoiqu'il voulût queje [fisse] tout comme les autres. Ce qui mefaisait dire: « 0 mon souverain bien! que ceplaisir m'est cher vendu! » Le réfectoire, lelit me faisaient tant de peine, que la seuleapproche me faisait gémir et verser deslarmes. Mais les emplois etleparloir m'étaientdu tout insupportables; et jamais que je mesouvienne je n'y suis alléequ'avec des répu-

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gnances que je ne pouvais surmonter qu'avecde grandes violences: ce qui me faisait sou-vent mettre à genoux pour demander à Dieulaforcedemevaincre. L'écriture ne m'étaitpasmoins pénible, non tant de ce que je la faisaisà genoux, comme de l'autre peine que j'ysentais. L'estime, les louanges et les applau-dissements me faisaient plus souffrir que tou-tes les humiliations, mépris et abjections n'au-raient pu faire aux personnes les plus vainesetambitieuses de l'honneur, ce qui me faisaitdire dans les occasions: « 0 mon Dieu!» Armez plutôt toutes les fureurs de l'enfer» contre moi, que les langues des créatures» de vaines louanges, flatteries, ou applau-» dissements; que plutôt toutes les humilia-» tions, douleurs, contradictions et confusions

» viennent fondre sur moi. »Il m'en donnait une soif insatiable; quoi-

qu'il me les fit sentir si vivement dans lesoccasions, que je ne pouvais m'empêcher d'endonner parfois des marques: [et il] m'étaitin-supportable de me voir si peu humble et mor-tifiée, que je ne pouvais souffrir sans qu'ons'en aperçût; et toute ma consolation étaitde recourir à l'amour de mon abjection, quime faisait rendregrâce à mon Souverain de cequ'ilme faisait paraître telle que j'étais afin de

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m'anéantir dans l'estime des créatures. Deplus, il voulait que je reçusse toutes chosescomme venant de lui, sans me rien procurer;et [il me fallait] lui tout abandonner sans dis-

poser de rien; lui rendre grâce des souffrancescomme de la jouissance; et dans les occasionslesplus douloureusesethumiliantes,penserquecela m'était dû et encore plus et offrir la peineque je souffrais pour les personnes qui m'af-fligeaient; parler toujours de lui avec grandrespect, du prochain avec estime et compassion,et jamais de moi-même, ou courtement, [ou]

avec mépris, sinon, lorsque, pour sa gloire,il me ferait faire autrement; attribuer tou-jours tout le bien à sa souveraine grandeur,et à moi tout le mal; ne chercher aucune con-solation hors de lui, encore fallait-il, lorsqu'ilm'en donnerait, les sacrifier en y renonçant;ne tenir à rien; être vide et dépouillée detout; n'aimer rien que lui, en lui et pour lui;ne regarder que lui en toutes choses et les in-térêts de sa gloire dans un parfait oubli demoi-même. Et quoique [je] devais faire toutesmes actions pour lui, il voulait qu'en chacuned'icelles, il y eût toujours quelque chose direc-tement pour son divin cœur. Comme, parexemple, lorsque j'étais en récréation, il fal-lait lui donner la sienne, par les douleurs,

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ltumiliatiollS, mortificationsetautr.?sdontilauraitsoin de nemepaslaisser manquer,les-quelles je devais recevoiravec plaisir pour cesujet.

lit de même au réfectoire il voulait que jelui sacrifiasse pour sa régale ce que je pen-sais être le meilleur, et ainsi de tous mesautres exercices. De' plus il me défendait de

ne jamais juger, accuser, ni condamner quemoi-même. 11me donna plusieurs autres en-seignements, et comme leur multitudem'éton-nait,ilmedit, que je ne devaisriencraindre,d'autant qu'il était un bon maître, aussi puis-santpourfairefaire ce qu'ilenseignait quesavant pour bien enseigner et gouverner.Aussi puis-je assurer que bon gré ou malgrélesrépugnances naturelles il me faisaitfairece qu'il voulait.

Etant une fois devant le saint Sacrement,un jour de son Octave, je reçus de mon Dieudes grâces excessives de son amour, et mesentis touchée du désir de quelque retour,et de lui rendre amour pour amour; il medit: (t Tune m'en peux rendre un plus grand,qu'en faisant ce que je t'ai déjà tant de foisdemandé. »' Alors me découvrant son divincœur: « Voilà ce cœur qui a tant aimé les

» hommes, qu'il n'a rien épargné jusqu'à s'é-

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» puiser et se consommer pour leur témoi-» gner son amour; et pour reconnaissance,» je ne reçois de la plupart que des ingrati-» tudes, par leurs irrévérences et leurs sacri-» lèges, et parles froideurs et les mépris qu'ils» ont pour moi dans ce sacrement d'amour.» Mais ce qui m'est encore le plus sensible» est que ce sont des cœurs qui me sont con-» sacrés, qui en usent ainsi. C'est pour cela» que je te demande que le premier vendredi» d'après l'Octave du saint Sacrement soit dé-

» dié à une fête particulière pour honorer» mon Cœur, en communiant ce jour-là, et» en lui faisant réparation d'honneur par une» amende. honorable, pour réparer les indi-» gnités qu'il a reçues pendant qu'il a été ex-» posé sur les autels. Je te promets aussi que» mon cœur se dilatera pour répandre avec» abondance les influences de son divin amour» sur ceux qui lui rendront cet honneur et» qui procureront qu'il lui soit rendu. » Et ré-pondant à cela que je ne savais comme pou-voir accomplir ce qu'il désirait de moi -depuistant de temps, il me dit de m'adresserà sonserviteur qu'il m'avait envoyé pour l'accom-plissement de ce dessein. Et l'ayant fait, ilm'ordonna de mettre par écrit ce que je luiavais (dit) touchant le Sacré Cœur de Jésus-

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Et de même au réfectoire il voulait que jelui sacrifiasse pour sa régale ce que je pen-sais être le meilleur, et ainsi de tous mesautres exercices. De plus il me défendait dene jamais payer, accuser, ni cotidamner quemoi-même. Il me donna plusieurs autres en-seignements, et comme leur multitude m'é-tonnait, il me dit, que je ne devais rien crain-dre, d'autant qu'il était un bon maître, aussipuissant pour faire faire ce qu'il enseignaitque savant pour bien enseigner et gouverner.Aussi puis-je assurer, que bon gré ou malgréles répugnances naturelles, il me faisait fairece qu'il voulait.

Etant une fois devant le Saint Sacrement,un jour de son Octave, je reçus demon Dieudes grâces excessives de son amour, et mesentis touchée du désir de quelque retour, etde lui rendre amour pour amour; il me dit:« Tu ne m'en peux rendre un plus grand, qu'enfaisant ce que je t'ai déjà tant de fois de-mandé. » Alors me découvrant son divincœur: « Voilà ce cœur qui a tant aimé les

» hommes, qu'il n'a rien épargné jusqu'à s'é-» puiser et se consommer pour leur témoi-» gner son amour; et pour reconnaissance,» je ne reçois de la plupart que des ingrati-» tudes,

- par leurs irrévérences, leurs sa-

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» crilèges, par les froideurs et les mépris

» qu'ils ont pour moi dans ce Sacrement d'a-»mour. Mais ce qui m'est encore le plus sen-»sible est que ce sont des cœurs qui me sont»consacrés, qui en usent ainsi. C'est pour?cela que je te demande que le premier ven-»dredi d'après l'Octave du Saint-Sacrement»soit dédié à une fête particulière pour ho-»norer mon Cœur, en communiant ce jour-»là, et en lui faisant réparation d'honneur»par une amende honorable pour réparer les»indignités qu'il a reçues pendant qu'il a été»expose sur les autels. Je te promets aussi

» que mon cœur se dilatera pour répandre»avec abondance les influences de son divin

» amour sur ceux qui lui rendront cet honneur»et qui procureront qu'il lui soit rendu. » Etrépondant à cela que je nesavais comme pou-voir accomplir ce qu'il désirait de moi depuistant de temps, il me dit de m'adresser à sonserviteur qu'il m'avait envoyé pour l'accom-plissement de ce dessein. Et l'ayant fait, ilm'ordonna de mettre par écrit ce que je luiavais [dit] touchant le Sacré Cœur de Jésus-Christ, et plusieurs autres choses qui le re-gardaient pour la gloire de Dieu, lequel mefit trouver beaucoup de consolations dans cesaint homme, tant pour m'apprendre à cor-

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respondre à ses desseins que pour me rassu-rer dans les grandes craintes d'être trompéequi me faisaient gémir sans cesse. Le Sei-gneur l'ayant retiré de cette ville pour l'em-ployer à la conversion des infidèles, je reçusce coup avec une entière soumission à la vo-lonté de Dieu, qui me l'avait rendu si utiledans le peu de temps qu'il avait été ici. Etlorsque seulement je voulus réfléchir, il mefit d'abord ce reproche: « Eh quoi! ne te» suffis-je pas, moi qui suis ton principe et ta»

fin?»

Il ne m'en fallut pas davantage pour luitout abandonner, puisque j'étais assurée qu'ilaurait soin de me pourvoir de tout ce qui meserait nécessaire.

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VIII

PREMIERS HOMMAGES RENDUS AU SACRÉ-CŒUR.

SOUFFRANCES ET FAVEURS,

Mais je ne trouvais encore point de moyende faire éclore la dévotion du Sacré-Cœurqui était tout ce que je respirais. Voici lapremière occasion que sa bonté m'en four-nit. C'est que sainte Marguerite s'étant trou-vée un vendredi, je priai nos Sœurs novicesdont j'avais le soin, pour lors, que tous lespetits honneurs qu'elles avaient dessein deme rendre en faveur demafête, elles les fissentau Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ce qu'elles firent de bon cœur, enfaisant un petit autel, sur lequel elles mirent

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une petite image de papier crayonnée avec uneplume, à laquelle nous tâchâmes de rendretous les hommages que ce divin Cœur noussuggéra. Ce qui m'attira, et à elles aussi,beaucoup d'humiliations et de mortifications,d'autant que l'on m'accusait de vouloir intro-duire une dévotion nouvelle.

Toutes ces souffrances m'étaient une grandeconsolation, et je ne craignais rien tant, si

non que ce divin Cœur ne fut déshonoré.Car tout ce que j'en entendais dire, m'étaitautant de glaives qui me transperçaient le

coeur. L'on me défendit de ne plus mettreaucune des images de ce sacré-Cœur enévidence, et que tout ce. qu'on me pouvaitpermettre, c'était de lui rendre quelque hon-neur secret. Je ne savais à qui m'adresser dansmon affliction qu'à lui-même, lequel soutenaittoujours mon courage abattu, en me disantsans cesse: «Ne crains rien,je « régnerai, mal-gré mes ennemis et tous ceux qui s'y voudrontopposer. » Ce qui me consolait beaucoup,puisque je ne désirais que de le voir régner. Jelui remis donc le soin de défendre sa causependantqueje souffrirais en silence. Maisils'éleva tant d'autres sortes de persécutionsqu'il semblait que tout l'enfer fut déchaînécontre moi. et que tout conspirait pourm'ané-

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antir, Cependant je confesse que jamais je nejouis d'une plus grande paix au dedans de moi-même, nije n'avais senti tant de joie que lors-que l'on me menaçait de la prison et quel'on mevoulut faire paraîtredevant un princedela terre, comme un jouet de moquerie et unevisionnaire, entêtée par son imagination deses vaines illusions. Ce que je ne dis pas pourfaire croirequej'ai beaucoup souffert, mais plu-tôt pour découvrir les grandes miséricordes demon Dieu envers moi, qui n'estimais et ne ché-rissais rien tant que lapart qu'il me faisait desa croix, laquelle m'était un mets si délicieuxquejamais je ne m'en ennuyais.

S'il m'avait été libre de communier sou-vent, j'aurais eu mon cœur content; une fois

que je le désirais ardemment, mon Divin Mai-Lre se présentadevant moi, commej'étais char-gée de balayures, il me dit: « Ma fille, j'ai vuo tes gémissements, et les désirs de ton cœur» me sont si agréables, que si je n'avais pas» institué mon divin Sacrement d'amour, je» l'instituerais pour l'amour de toi, pour avoir» le plaisir de loger dans ton âme, et prendre» mon repos d'amour dans ton cœur. « Cequi me pénétra d'une si vive ardeur, que j'ensentais mon âme toute transportée et je nepouvais m'exprimer que par ces paroles; « 0

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»Amour! 0 excès de l'amour d'un Dieu en-

» vers une si misérable créature.) Et toutema vie, cela m'a servi d'un puissant aiguil-lon pour m'exciter à la reconnaissance de cepur amour.

Une autre fois, comme j'étais devant leSaint-Sacrement le jour de sa fête, tout d'uncoup il se présenta devant moi une personnetouteenfeu, dont les ardeurs me pénétrèrent sifort, qu'il me semblait queje brûlais avec elle.L'état pitoyable où elle me fit voir qu'elleétait en Purgatoire, me fit verser abondancede larmes. Elle me dit qu'elle était ce religieuxbénédictin qui avait reçu ma confession unefois, et qu'il m'avait ordonné de faire la saintecommunion en faveur ch laquelle Dieu luiavait permis de s'adresser à moi pour lui don-ner du soulagement dans ses peines.

[Il] me demandait, pendant trois mois, toutce que je pourrais faire et souffrir; ce quelui ayant promis, après en avoir demandé lapermission à ma Supérieure, il me dit que lesujet de ses souffrances, était [d'abord] qu'ilavait préféré son propre intérêt à la gloire deDieu, par trop d'attache à sa réputation; lesecond était le manquement de charité enversses frères; et le troisième le trop d'affectionnaturelle qu'il avait eue pour les créatures, et

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letrop de témoignagesqu'il leur en avait donnédans les entretiens spirituels, ce qui déplai-sait beaucoup à Dieu.

Mais il me serait bien difficile de pouvoirexprimer ce que j'eus à souffrir pendant cestrois mois. Car il ne me quittait point, et ducôté où il était il me semblait le voir tout enfeu, mais avec de si vives douleurs que j'étaisobligée]d'eii gémir et pleurer presque conti-nuellement.

Et ma Supérieur touchée de compassionm'ordonnait de bonnes pénitences, surtoutdes disciplines; car les peines et souffrancesextérieures que l'on me faisait souffrir par -

charité, soulageaient beaucoup les autresque cette sainteté d'amour exprimait en moicomme un petit échantillon de ce qu'elle faitsouffrir à ces pauvres âmes. Et au bout detrois mois,je le vis d'une bien autre manière:tout comblé de joie et de gloire il s'en allaitjouir do son bonheur éternel; et, en meremerciant il me dit qu'il me protégeraitdevant Dieu.

J'étais tombée malade, et comme ma souf-france cessa avec la sienne je fus bientôtguérie.

Mon Souverain m'ayant fait connaître quelorsqu'il voudrait abandonner quelqu'une

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de ces âmes pour lesquelles il voulait que jesouffrisse, il me ferait porter l'état [d'une âmereprouvée, en me faisant sentir la désolationoù elle se trouve à l'heure de la mort, je n'aijamais rien éprouve de plus terrible, n'ayantpoint de termes pour m'en pouvoir expliquer.Car une fois, comme je travaillais seule, ilfut mis devant moi une religieuse encorevivante alors et l'on me dit intelligiblement:« Tiens, voilà cette religieuse de nom seule-

« ment, laquelle je suis prêt à vomir de mon« cœur, et à abandonner à elle-même. » Enmême temps je me sentis saisie d'une frayeursi grande que m'étant prosternée la facecontre terre, j'y demeurai longtemps, n'enpouvant revenir; et je m'offris en même[temps] à la divine justice pour souffrir toutce qui lui plairait, afin qu'il ne l'abandonnâtpas. Et il me sembla qu'alors, sa juste colères'étant tournée contre moi, je me trouvaidans une effroyable angoisse et désolation detoutes parts; car je me sentais un poidsaccablant sur les épaules. Si je voulais leverles yeux, je voyais un Dieu irrité contre moiet armé de verges et de fouets, prêt à fondre.sur moi; d'autrepart, il mesemblaitvoirl'enferouvert pour m'engloutir. Tout était révolté eten confusion dans mon intérieur. Monen-

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nemi m'assiégeait de toutes parts par de vio-lentes tentations, surtout de désespoir, et jefuyais partout celui qui me poursuivait, et auxyeux duquelje ne pouvais me cacher; car iln'y a sortes de tourments auxquels je ne mefusse livrée pour cela. Je souffrais des con-fusions épouvantables de ce que je pensais quemes peines étaient connues de tout le monde.Jenepouvais même prier,ni m'exprimerdemespeines que par mes larmes, en disant seule-ment: « Ah! qu'il est terrible de tomber entreles mains d'un Dieu vivant. » Et d'autres fois,

me jetant la face contre terre, je disais:«Frappez, mon Dieu! coupez, brûlez, consu-«mez tout ce qui vous déplait et n'épargnez«ni mon corps, ni ma vie, ni ma chair, ni«mon sang, pourvu que vous sauviez éter-«nellement mon âme. »

Je confesse que je n'aurais pas tenu long-temps un état si douloureux, si son amou-reuse miséricorde nem'avait soutenue sous lesrigueurs de sa justice. Aussi je 'tombai ma-lade et j'eus peine d'en revenir.

[ Mon Souverain] m'a fait porter souventces dispositions douloureuses, parmi lesquel-les m'ayant une fois montré les châtimentsqu'il voulait exercer sur quelques âmes, jeme jetai à ses pieds sacrés en lui disant:

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» 0 mon Sauveur! déchargez sur moi

» toute votre colère et m'effacez du livre.»de vie, plutôt que de perdre ces âmes» qui vous ont coûté si cher. » — Et il me»répondit: Mais elles ne t'aiment pas et»ne cesseront de t'affliger. » -« Il n'im-»porte! mon Dieu, pourvu qu'elles vous»aiment, je ne veux cesser de vous prier« de leur pardonner. » — Laisse-moi faire:» je ne les peux souffrir davantage. » — Etl'embrassant encore plus fortement: « Non,o mon Seigneur, je ne vous quitteraipoint» que vous ne leur ayez pardonné. » — Et il

me disait: « Je le veux bien, si tu veux ré-» pondre pour elles. » — « Oui, mon Dieu;» mais je ne vous paierai toujours qu'avec» vos propres biens qui sont les trésors de

» votre Sacré-Cœur. » — C'est de quoi il setint content.

Et une autre fois comme l'on travaillait àl'ouvrage commun du chanvre, je me reti-rai dans une petite cour proche du Saint-Sa-erement, en faisant mon ouvrage à genoux)je me sentis d'abord toute recueillie intérieu-rement et extérieurement, et [il] me fut enmême temps représenté l'aimable Cœur demon adorable Jésus plus brillant qu'un soleil.Il était au milieu des flammes de son pur

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amour, environné de séraphins qui chan-taient d'un concert admirable:

L'amour triomphe, l'amour jouit,L'amour du saint Cœur réjouit.

Et comme ces Esprits bienheureux m'invi-tèrent de m'unir avec eux dans les louangesde ce divin [Cœur] ,je n'osais pas le faire;mais ils m'en reprirent, et me dirent « qu'ils

» étaient venus afin de s'associer avec moi

» pour lui rendre un continuel hommage» d'amour, d'adoration et de louange; et que» pour cela ils tiendraient ma place devant le

» Très-Saint-Sacrement, afin que je le pusse» aimer sans discontinuation par leur entre-» mise, et que de même ils participeraient» à mon amour, souffrant en ma personne,» comme je jouirais en la leur. » Et ils écri-virent en même temps cette associationdans ce sacré-Cœur, en lettres d'or et ducaractère ineffaçable de l'amour. Et aprèsenviron deux ou trois heures que cela dura,j'en ai ressenti les effets toute ma vie, tantpar les secours que j'en ai reçus, que par lessuavités que cela avait produites, et produi-sait en moi, qui en restai toute abîmée deconfusion. Je ne les nommai plus, en lespriant, que mes divins associés. Cette grâce

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me donna tant de désir de la pureté d'inten-tion et une si haute idée de celle qu'il fautavoir pour converser avec Dieu, que touteautre chose me paraissait impure pour cesujet.

Une autrefois, comme il y avait une de

nos Sœurs dans un,sommeilléthargique [onétait] hors d'espérance de lui pouvoir fairerecevoir les derniers sacrements; ce qui tenaitla communauté dans une très grande peine,[surtout] notre Mère, laquelle m'ordonna depromettre à Notre-Seigneur tout ce qu'il luiplairait de faire connaître et désirer posséder.Je n'eus pas plutôt accompli cette obéis-sance que ce Souverain de mon âme mepromit que cette sœur ne mourrait point sansrecevoir les grâces que nous lui souhaitionsavec raison, pourvu que je lui promisse :troischoses, lesquelles il voulait absolument demoi: la première, de nejamais refuserd'emploidans lareligion; lasecondedenepointrefuserd'aller au parloir; ni d'écrire qui était latroisième. A cette demande, je confesse quetout mon [être] frémit pour la grande répu-gnance et aversion que j'y sentais. Et je ré-pondis: « 0 mon Seigneur! vous me pre-nez bien par mon faible mais je demanderaipermission. » Ma Supérieure me [la] donna

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d'abord, quelque peine que je lui en pussefaire paraître, et il m'en fit faire une promesseen forme de vœu pour ne m'en pouvoir plusdédire; mais, hélas! combien d'infidélitésn'y ai-je pas commises, car il ne m'ôta paspour cela la peine que j'y sentais qui a durétoute ma vie, mais la Sœur reçut ses sacre-ments.

Pour faire voir jusqu'où allait mon infidélitéparmi toutes ces faveurs si grandes, je diraiqu'une fois me sentant une ardeur bien granded'aller en retraite, et [de] m'y préparer quel-ques jours avant, [je] voulus pour la secondefois graver le saint Nom de Jésus sur moncœur. Mais ce fut d'une manière qu'il s'y fitdes plaies. L'ayant dit à ma Supérieure, laveille du [jour] queje devais entrer en solitudeelle me dit qu'elle y voulait faire mettre quel-que remède, crainte qu'il n'y vînt quelquemal dangereux.

Cela me fit faire mes plaintes à Notre Sei-« gneur : 0 mon unique Amour! souffrirez-vous que d'autres voient le mal que je me suis

» fait pour l'amour de vous? N'êtes-vous pas» assez puissant pour me guérir, vous qui

» êtes le Souverain remèdeàtousmesmaux?»Enfin, touché de la peine que je sentais dedonner connaissance decela, ilme promit que

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le lendemain je serais guérie; ce qui futeffectivementcommeilme l'avait promis. Maisnel'ayant pu dire à notre Mère, pour ne l'avoirpu rencontrer, elle m'envoya un petit billet,où elle me disait de montrer mon mal àlaSœurqui me le donnait, laquelle y remédierait.

Etcomme j'étais guérie, je crus quecelamedispensait de faire cette obéissance, jusqu'àtant que je l'eusse dit à nôtre Mère, laquellej'allai trouver pour cela, lui disant queje n'avais pas [fait] ce qu'elle m'avait mar-qué dans le billet d'autant que j'étais guérie.Mon Dieu! combien sévèrement je fus traitéede ce retardement à l'obéissance, tant de sapart que de celle de mon souverain Maître,lequel me relégua sous ses pieds sacrés, oùje fus environ cinq jours à ne faire que pleu-rer ma désobéissance, en lui demandantpardon par de continuellespénitences. Etpourma Supérieure, elle me traita en ce ren-contre sans rémission, suivant que NotreSeigneur le lui inspirait; car elle me fit per-dre la sainte Communion, qui était le plusrude supplice que je pusse souffrir en la vie.J'aurais mille fois mieux aimé que l'on m'eutcondamnée à la mort. Et de plus, elle fitmontrer mon mal à la Sœur, laquelle [le]

trouvant guéri, n'y voulut rien faire. Mais je

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ne laissai pas de recevoir [une] grandeconfusion et tout cela ne m'était rien, car il

n'y a sorte de tourments que je n'eusse voulusouffrir, par la douleur que je sentais d'avoirdéplu à mon Souverain. Enfin, après m'avoirfait voir combien lui était déplaisant le moin-dre petit manquement d'obéissance dans uneâme religieuse, et m'en ayant fait sentir lapeine, il vint lui-même essuyer mes larmes,redonner la vie à mon âme, les derniers joursde ma retraite. Mais ma douleur ne finit paspour cela quelque douceur et caresse qu'il mefit. Ce m'était assez de penser que je lui avaisdéplu pour me faire fondre en larmes, car ilme fit tellement [bien comprendre] ce quec'était que l'obéissance dans une âme reli-gieuse, que je confesse que je ne l'avais encorepoint compris jusqu'alors, mais je serais troplongue à le dire. Et il me dit qu'en punitionde ma faute ce Nom sacré dont la gravurem'avait coûté si cher en mémoire de ce qu'ilavait souffert en prenant ce sacré Nom deJésus ne paraîtrait point non plus que les pré-cédentes [gravures], lesquelles auparavantparaissaient fort bien marquées en différentesmanières. Etje peux dire que je fis une soli-tude de douleur.

Mes infirmités étaient si continuelles

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qu'elles ne me laissaient pas quatre jours desuite sans que je fusse malade. Une fois

comme je l'étais beaucoup et que l'on ne m'en-tendait presque pas parler, notre Mère me vintprouver le matin et me donna un billet, enme disa-it de faire ce qu'il contenait; qui étaitqu'elle avait besoin de s'assurer si tout cequi se passait en moi était de l'Esprit de Dieu,Que si cela était, il me mettrait dans une par-faite santé pendant cinq mois [sans] que j'eussebesoin de soulagement pendant tout[ce] tempslà. Mais que si au contraire c'était de l'espritdu démon ou de la nature, je demeurerais tou-jours dans ces mêmes dispositions. Il ne sep'eut dire combien ce billet me fit souffrir,d'autant que ce qui y était contenu m'avaitété manifesté avant de l'avoir lu. L'on me fitdonc sortir de l'infirmerie avec des parolestelles que Notre-Seigneur les inspirait pourles rendre plus sensibles et mortifiantes à lanature. Je présentais ce billet à mon Sou-verain, lequel n'ignorait pas ce qu'il contenait.Et il me répondit: « Jete promets, ma fille,

» que pour preuve du bon Esprit qui te con-» duit, je lui aurais bien accordé autant d'an-» nées de santé qu'elle m'a demandé [de mois],

» et même toutes les autres assurances» qu'elle m'aurait voulu demander,» Et droit

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à l'élévation du Saint Sacrement, je sentis,mais très-sensiblement, [que] toutes mes infir-mités m'étaient ôtées à la façon d'une robe,que l'on m'aurait dévêtue, et laquelle seraitdemeurée suspendue. Et je me trouvai dansla même force et santé d'une personne trés-robuste, laquelle depuis longtemps n'auraitétémalade. Et [je] passai ainsi le temps que l'onavait souhaité, après lequel je fus remise dansles dispositions précédentes.

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IX

DERNIÈRES ANNÉES. — CHAPELLE DU SACRÉ-

CŒUR A PARAY.

Et comme une fois que j'avais la fièvre, maSupérieure me fit sortir de l'infirmerie pourme mettre en solitude, car c'était mon tour,elle me dit: « Allez, je vous remets au soin» de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Qu'il vous» dirige, gouverne et guérisse selon sa vo-» lonté. » Or, quoique cela me surprît un peu,car, pour lors, je tremblais [de] la fièvre, jem'en allai pourtant bien joyeuse de faire cetteobéissance, tant pour me voir tout abandon-née au soin de mon bon Maître que pouravoir occasion de souffrir pour son amour,

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m'étant indifférent de quelle manière il me fit

passer ma retraite, soit dans la souffrance oudans la jouissance: « Tout m'est bon, pourvu» qu'il se contente et que je l'aime, cela me» suffit, » disais-je. Mais je ne fus pas plutôtrenfermée avec lui seul, qu'il se présenta àmoi, qui m'étais couchée par terre toute tran-sie de douleur et de froid, d'où il me fit re-lever en me faisant mille caresses, et me dit :

« Enfin te voilà toute à moi et toute à mon» soin; c'est pourquoi je veux te rendre en» santé à ceux qui t'ont remise malade entre» mes mains. » Et il me redonna une santési parfaite, qu'il ne ssmblait point que j'eusseété malade. De quoi l'on fut fort étonné, etma Supérieure particulièrement, laquellesavait ce qui c'étail passé.

Mais jamais je n'ai fait de solitude parmitant de joie et de délices, me croyant dans unparadispour les continuelles faveurs, caressesetfamiliaritésavecmon SeigneurJésus-Christ,sa très-sainte Mère, mon saint-Ange et monbienheureux Père Saint François de Sales.Je ne spécifierai pas ici le détail des grâcessingulières que j'enai reçues, à cause de lalon-gueur. Seulement, je dirai que mon aimableDirecteur, pour me consoler de la douleurqu'il m'avait faite de l'effaçure de son sacré

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et adorable Nom sur mon cœur, après l'yavoir gravé avec tant de douleurs, voulut lui-même l'imprimer au dedans et l'écrire audehors, avec le cachet et le burin tout enflam-mé de son pur amour, ainsi d'une manièrequi me donna mille fois plus de joie et deconsolation, que l'autre ne m'avait causé dedouleur et d'affliction.

Ilueme manquaitque la croix, sans laquelle-je ne pouvais vivre ni goûter déplaisir mêmecéleste ni divin, parce que toutes mes délicesn'étaient que de me voir conforme à monJésus souffrant. Je ne pensais donc quàexercer surmoncorpstouteslesrigueurs quela liberté où l'on m'avait mise me permettait.Et, en effet, je lui en fis bien expérimenter,tant pour les pénitences que pour le vivre etle coucher, m'étant fait un lit de têts de potscassés, où je me couchais avec un extrêmeplaisir, quoique toute la nature en frémit;,mais c'était en vain, car je ne l'écoutais [pas].Je voulaisfaire unecertainepénitoncc, laquelleme donnait grand appétit par sa rigueur,pensant par là pouvoir venger sur moi lesinjures que Notre-Seigneur reçoit au Très-Saint Sacrement, tant par moi misérablepécheresse, que par tous ceux qui l'y déshono-rent. Mais mon souverain Maître, comme je

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voulais exécuter ce dessein, me défendit de

passer outre, me disant qu'il mevoulait rendreen santé, à ma Supérieure, laquelle m'avaitconfiée et remise à seslsoins, et qu'il agréeraitplus le sacrifice que je lui ferais de mon désirque si je l'exécutais, puisque étant esprit ilvoulait aussi des sacrifices de l'esprit. Jedemeurai contente et soumise.

Allant une fois à la sainte communion, lasainte hostie me parut resplendissante commeun soleil dont je pouvais supporter l'éclat; etNotre-Seigneur au milieu tenant une cou-ronne d'épines, me [la] mit, sur la tête, unpeu après que je l'eus reçue, en me disant:Reçois, ma fille, cette couronne, en signe decelle qui te sera bientôt donnée par confor-mité avec moi. » Je ne compris pas alors ceque cela voulait dire; mais je le sus bientôt,par les effets qui s'en suivirent, [savoir] deuxterribles coups que je reçus par la tête entelle sorte qu'il me sembla depuis avoir toutle tour de la tète entouré de très poignantesépines de douleur, dont les piqûres ne finirontqu'avec ma vie, dont je rends grâces infiniesà mon Dieu qui faitde si grandes faveurs à sachétive victime. Mais hélas! comme je le dissouvent les victimes doivent être innocentes,et moije ne suis qu'une criminelle. Je confesse

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quejemesensplus redevableà mon Souverainde cette couronne précieuse que s'il m'avaitfait présent de tous les diadèmes des plusgrands monarques de la terre; d'autant plus

que personnelle me tapeutôter, et qu'elle memet souvent dans l'heureuse nécessité de veil-lel' et de m'entretenir avec cet unique objetde mon amour. Ne pouvant appuyer ma têtesurle chevet, à l'imitation de mon bon Maîtrequi ne pouvait appuyer la sienne adorable surle lit de la croix, cela me faisait sentir desjoies et consolations inconcevables, quand jeme voyais quelque conformité avec lui; etc'était par cette douleur qu'il voulait queje demandasse à Dieu son Père,par le méritede son couronnement d'épines, auquel j'unis-sais la mienne, la conversion des pécheurs, etl'humilité pour ces têtes orgueilleuses dontl'élévation lui était déplaisante et injurieuse.

Une autre fois, dans un temps de carnaval,c'est-à-dire environ cinq semaines avant lemercredi des Cendres, il se présenta à moiaprès la sainte Communion sous la figure d'unEcce Homo, chargé de sa croix, tout couvertde plaies et de meurtrissures. Son sang adora-bledécoulaitdetoutes parts, disant d'une voixdouloureusement triste: « N'y aura-t-il per-« sonne quiaitpitiédemoi et qui veuille compa-

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«liretprendrepartà madouleur danslepitoya-« bleétat oùles pécheurs me mettent, surtoutàprésent.» Etjemeprésentaisàlui meproster-nant à ses pieds avec larmes et gémissements.[Il] me chargea cette lourde croix surles épau-les, toute hérissée de pointes de clous; et mesentant accablée sous ce poids, je commençaià mieux comprendre la gravité et la malicedu péché, lequel je détestais si fort dans mon[cœur], que j'aurais mille fois mieux aimé meprécipiter dans l'enfer que d'en commettre unvolontairement. «0 mauvais péché, dis-je, que» tu es détestable pour l'injure que tu fais à» mon souverain Bien! » Lequel me fit voirque ce n'était pas assez de porter cette croix,mais qu'il fallait m'y attacher avec lui, pourlui tenir fidèle compagnie en participant à sesdouleurs, mépris, opprobres et autres indigni-tés qu'il souffrait. Je m'abandonne d'abordpour tout ce qu'il désirait faire en moi et demoi, m'y laissant attacher à son gré, parunemaladie qui me fit bientôt sentir les pointesaiguës de ces clous dont cette croix était héris-sée, par de très-cuisàntes douleurs qui n'a-vaient pour compassion que des mépris ethumiliations, et plusieurs autres suites très-pénibles à la nature. Mais, hélas! que pour-rais-je souffrir qui pût égaler la grandeur

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de mes crimes, qui me tiennent continuelle-ment dans un abîme de confusion, depuis quemon Dieu m'a fait voir l'horrible figure d'uneâme en péché mortel [et] lagrièvelé du péchéqui, s'attaquant à une bonté infiniment aima-ble, lui est extrêmementinjurieux. Cettevue me fait plus souffrir que toutes les autrespeines et je voudrais de tout mon cœur avoircommencé à souffrir toutes celles dues à tousles péchés que j'ai commis, pour me servirdepréservatifet m'empêcher deles commettre,plutôt que d'avoir été si misérable que de lesavoir commis, encore que je serais assuréemême que mon Dieu, par son infinie miséri-corde, me les pardonnerait sans me livrer àces peines.

Ces dispositions de souffrances dont j'aiparlé ci-dessus me duraient ordinairementtout le temps de carnaval jusqu'au mercredides Cendres, qu'il semblait que j'étais réduiteà l'extrémité sans que je pusse trouver au-cune consolation ni soulagement qui aug-mentât encore plus mes souffrances. Et puis,tout d'un coup, je me trouvais assez de forceet de vigueur pour -jeûner le carême; ce quemon Souverain m'a toujours fait la miséri-corde de faire, quoique je me trouvasse quel-quefois accablée de tant de douleurs, qu'il

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me semblait souvent qu'en commençant unexercise, je n'y pourrais pas subsister jus-qu'au bout; et puis, decelui-ci, j'en recom-mençais un autre avec les mêmes peines,disant:« 0 mon Dieu! faites-moi la grâce

» de pouvoir aller jusqu'à la fin,» et jerendais grâces à mon Souverain de quoi il

mesurait ainsi mes moments par l'horloge desessouffrances pour en faire toutes sonnerles heures avec les roues de sesdouleurs.

Quand il voulait me gratifier de quelquecroixnouvelle, il m'y disposait par une abon-dance de caresses et de plaisirs spirituels sigrands,qu'il m'aurait été impossible de lessoutenir s'ilsavaientduré, et je disais en cetemps;«(Jmon unique amour je vous sa-»

crilietouscesplaisirs. « Gardez-lespour ces»âmes saintes, qui vous en glorifieront, plus

» que moi, qui ne veux que vous seul, tout nu»sur la Croix, ou je vous veux aimer, vousJ,

seul pourl'amour de vous-même. Otez-moidonctoutlereste, afin que je vous aime sansmélange d'intérêt ni de plaisir. » Et c'étaitquelquefoisdanscetempsqu'il prenait plaisirde contrarier mes désirs, comme un sage etexpérimenté directeur, me faisant jouir lors-que j'aurais voulu souffrir. Mais je confesseque l'un et l'autre venaient de lui, et que

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tous les biens qu'il m'a faits, c'a été par sapure miséricorde; car, jamais créature nelui a tant résisté que moi, tant par mes infi-délités que par la crainte quej'avais d'êtretrompée. Et cent fois je me suis étonnéecomme il ne m'anéantissait, ou ne m'abîmaitpar tant de résistances.

Mais, quelque grandes que soient mes fau-tes, cet unique bien de mon âme ne meprive jamais de sa divine présence, commeil me l'a promis. Mais il me la rend si terri-ble lorsqueje lui ai déplu en quelque chose,qu'il n'y a point de tourment qui ne me fûtplus doux et auquel je ne me sacrifiasse plu-tôt mille fois que de supporter cette divineprésence et paraître devant la sainteté deDieu, ayant l'âme souillée de quelque péché.J'aurais bien voulu me cacher en ce temps-là,et m'éloigner sij'avais pu, mais tous mes ef-forts étaient inutiles, trouvant partout ceque je fuyais, avec des tourments si effroya-bles qu'il me semblait être en purgatoire,puisque tout souffrait en moi, sans nulle con-solation, ni désir d'en chercher, ce qui mefaisait dire quelquefois dans ma douloureuseamertume: « Oh ! qu'il est terrible de tom-« ber entre les mains du Dieu vivant! «

Voilà la manière dont il purifiait mes fautes,

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lorsque je n'étais pas assez prompte et fidèleà m'en punir moi-même. Et jamais je nerecevais aucune grâce particulière desabonté,,qu'elle ne fût précédée de ces sortes de tour-ments; et après les avoirs reçues je me sentaisjetée et abîmée dans un purgatoire d'humi-liation et de confusion, où je souffrais plusque je ne peux l'exprimer; mais toujours dansune paix inaltérable, ne me semblant pas querien puisse troubler la paix de mon cœur,quoique la partie inférieure fût souventagitée, soit pas mes passions, soit pas monennemi, qui faisait tous ses efforts pour cela,n'y ayant rien où il soit plus puissant et oùil gagne tant avec une âme qui est dans letrouble et l'inquiétude; il en fait son jouet etla rend incapable d'aucun bien.

Certifié véritable, ce 22 juillet 1715,

Signé,SŒUR ANNE ÉLISABETH DE L'A GARDE

Paraphé par nous, le vingt-deux juillet mil sept centquinze.

Signé,DOM DE BANSIÈRE, commisaire.

CHALON, greffier.

Nous Protonotaire apostolique, Vicaire

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général, Archidiacre d'Autun, avons reconnucomme autographe de la Bienheureuse Mar-guerito Marie Alacoque cette Biographie,écrite par elle-même d'après l'ordre de sesSupérieurs. Elle se compose de soixante-quatre pages.

En foi de ce:t

Placedu sneau de l'ovéché.

Paray, le 26 février 1865.

Signé,G. BOUANGE, proton, apost

Vie.gén.archid.

La Bienheureuse termine ici son Autobio-graphie, ou pour mieux dire le Mémoire desfaveurs divines, qui font comme le tissu de savie. Nous sommes en 1687; c'est l'époquemême où le P. Rolin quitte Paray.

Les trois années suivantes, les dernièresde son Pélerinage sur la terre, furent commetoutes les autres, des années d'amour, com-blées des mêmes consolations, remplies desmêmes souffrances. Nous n'essayerons pas deles esquisser. Qu'il nous suffise de rappelerun détail. Ce fut durant cette période le 7 sep-tembre 1688 qu'elle eut la joie de voir érigerune chapelle du sacré-Cœur, dans l'enclosde Paray. Alors aussi dans une communi-cation intime, Notre Seigneur lui fit connaîtreamission spéciale, qu'il donnaitàlaCompagnie

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de propager la dévotion au Sacré-Cœur, etles grâces signalées qu'il réservait dans cettevie à sa chère milice.

Cependant la vie mortelle de Margueriteétait près de s'éteindre; déjà la Patrie s'ou-vrait à ses regards.

Laissons parler ses contemporaines: « Elle

» disait à ses plus confidentes, qu'il n'y avait» plus rien à souffrir en ce monde pour» elle, et qu'infailliblement elle mourrait» bientôt. »

Elle voulut cependant s'y préparer par uneretraite intérieure, qu'elle fit l'espace de qua-rante jours, et sonder un peu d'où lui venaitce désir véhément qui la faisait soupirer aprèscet heureux jour, et si, en effet, il seraitheureuxpourelle, se croyant la plus grandepé-cheresse et la plus indigne des bontés de sonDieu. Voici ses sentiments sur cela:

« Depuis le jour de sainte Madeleine, je mesuis sentie extrêmement pressée- de reformerma vie pour me tenir prête à paraître devantla sainteté de Dieu, dont la justice est si redou-table et les jugements impénétrables. Il fautdonc que je tienne toujours mes comptes prêtsafin de n'être pas surprise, car c'est une chosehorrible de tomber à l'heure de la mort entreles mains d'un Dieu vivant, lorsque pendant

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sa vie on s'est retiré par le péché d'entre lesbras d'un Dieu mourant.

« Je me suis donc proposé, pour effectuerun mouvement si salutaire, de faire uneretraite intérieure dans le Sacré-Cœur deJésus-Christ. J'attends et j'espère tous lessecours de grâce et de miséricorde qui meseront nécessaires, car j'ai en lui toute maconfiance, comme étant le seul appui de monespérance, puisque son excessive bonté ne merebute jamais lorsque je m'adresse à lui; mais

au contraire, il semble se faire un plaisird'avoir trouvé un sujet aussi pauvre et misé-rable que je suis pour remplir mon indigencede son abondance infinie.

«La sainte Vierge sera ma bonne mère, etpour protecteur j'aurai Saint Joseph et monsaint Fondateur. Le bon pèrede LaColombièrem'est donné pour directeur, pour m'apprendreà accomplir les desseins de ce Cœur adorable,conformément à ses maximes.

« Le premier jour de ma retraite, monoccupation fut de penser d'où pouvait mevenir ce grand-désir de mourir, puisque cen'est pas l'ordinaire des criminelles, commee la suis devant Dieu, d'être bien aise deparaître devant leur juge, et un juge dont lasainteté de justice pénètre jusqu'à la moelle

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deo os, auquel rien ne peut être caché,et qui ne laissera rien d'impuni. Comment doncmon âme, peux-tu sentir une si grande joie àl'approche de la mort? Tu ne penses qu'à finirton exil et tu es transportée de joie en tefigurant que tu sortiras bientôt de ta prison.Mais hélas ? prends garde que d'une joie tem-porelle, qui ne provient peut-être qued'aveu-glement et d'ignorance, tu ne te plonges dansune éternelle tristesse, et que de cette prisonmortelle et périssable tu ne tombes dans cescachots éternels, où il n'y aura plus lieud'espérer d'en sortir jamais! « Laissons donc,mon âme, cette joie et ce désir de mourir'pources âmes saintes et ferventes pour lesquellessont préparées de si grandes récompenses.Mais pour nous, les œuvres d'une vie crimi-nelle ne nous laissent rien à espérer que deschâtiments éternels, si Dieu n'était plus bonque juste à notre égard. Pensant, donc quelsera ton sort, pourras-tusupporterpendantuneéternité l'absence de Celui dont la puissance tedonne de si ardents désirs, et dont la priva-tionte fait sentir de si cruelles peines? -

« Mon Dieu! que ce compte m'est difficileà faire, puisque j'ai perdu mon temps, et queje ne sais comment le pouvoir réparer! Danslapeine où je me suis trouvée de mettre ces

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comptes en état et les tenir toujours prêts àrendre, je n'ai su à qui m'adresser, sinonà mon adorable Maîtrequi par une grande bontéa voulu se charger de le faire. C'est pourquoije lui ai remis tous les articles sur lesquelsje dois être jugée,, et recevoir ma sentencequi sont nos règles, constitutions et directoire,sur lesquels je serai justifiée ou condamnée.Après lui avoir remis tous mes intérêts, j'aisenti une paix admirable, sous ses pieds, oùilsm'a tenue longtemps, comme tout anéantie,dans l'abime de mon néant, attendant ce qu'iljugerait de cette misérable criminelle.

« Le second jour, à mon oraison, il me futprésenté comme dans un tableau tout ce quej'avais été, et ce que j'étais alors : mais monDieu, quel monstre plus défectueuxet plus hor-rible à voir ! Je n'y voyais aucun bien, maistantde mal qu'il m'était un tourment d'y penser.Il me semble que tout me condamne à unéternel supplice pour le grand abus que j'aifait de tant de grâces,pourlesquellesjen'aieuque des infidélités, ingratitudes et perfidies. 0mon Sauveur! qui suis-je, pour m'avoirattendue si longtemps à pénitence, moi qui mesuis millefoisexposéeàêtreabîméedansl'enferpar l'excès de ma malice! et autant de. foisvous m'en avez empêchée par votre bonté

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infinie. Continuez donc, mon aimable Sauveur,de l'exercer sur un sujet si misérable. Vousvoyez que j'accepte de grand cœur toutes lespeines et les supplices qu'il vous plaira mefaire souffrir en cette vie et en l'autre. J'aitant de douleur de vous avoir offensé., queje voudrais avoir souffert toutes les peinesdues aux péchés que j'ai commis, et tous ceuxoù je serais tombéesans le secours de la grâoPOui, je voudrais avoir été plongée dans tousces tourments rigoureux, dès le moment oùj'ai commencé à pécher, pour me servir depréservatif, plutôt que de vous avoir tantoffe.nsé, et n'avoir autre punition qu'un par-don queje vous demande pour l'amour devous-même. Je ne réserve rien dans toute lavengeance qu'il plaira à votre divine justiced'exercer sur cette criminelle, sinon, que vousne m'abandonnez pas à moi-même par denouvelles rechutes dans le péché, pour punirles précédentes. Ne me privez pas, ô monDieu, de vous aimer éternellement pour ne

vous avoir pas assez aimé dans le temps.Faites au reste de moi toutce qu'il vous plaira,je vous dois tout ce que j'ai, tout ce que jesuis. Et tout ce que je puis faire de bien nesaurait réparer la moindre de mes fautes, quepar vous-même. Je suis insolvable, vous le

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voyez bien, mon divin Maître; mettez-moi enprison, j'y consens, pourvu que ce soit danscelle de votre sacré.Cœur. Et quand j'y serai,tenez-moi là bien captive et liée deschainés devotre amour, jusqu'à ce que je vous aie payé,tout ce que je vous dois; et comme je ne lepourrai jamais faire, aussi souhaité-je de n'enjamais sortir. »

Il serait à souhaiter qu'elle eût continuéd'écrire toutes les vues et lumières qu'ellereçutdans cette sainte quarantaine, où elles'ap-pliqua à faire cette solitude intérieure pour sepréparer à la mort, preuve certaine qu'elle enait connaissance. Nous aurions la consolationd'y voir plusieurs grâces qu'elle reçut en cetemps, ce dont nous sommesprivées, elle neles a pas voulu écrire, par ce que, dit-elle, ilaurait été trop long.

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X

SAINTEMORT DE MARGUERITE, - BREF DE

BÉATIFICATION.

Cette vénérable Sœur, marchant à grandspas à la perfection, arriva bientôt, suivant lesentiment d0 ceux qui avaient connaissancede son intérieur, à une grande sainteté. Elleétait si étroitement unie à Dieu depuis plu-sieursannées,quele sommeil n'en interrompaitque fort rarement la pensée; où plutôt c'étaitcette pensée qui interrompait son sommeil. Iln'y avait plus d'occupation capable de la sous-traire. Elle était toute séparée d'elle-mêmeet des choses de la terre. Elle souffrait de nopoint souffrir, et elle regardait la tranquillité

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dont elle jouissait, comme un châtiment deDieu. Voici ce qu'elle en marque à son Di-recteur.

« Je ne sais, mon Révérend Père, ce queje dois penser de l'état où je suis maintenant;j'ai eu jusqu'ici trois désirs si ardents, que jeles regardais comme trois tyrans qui me fai-saient souffrir un continuel martyre, sans medonner un seul moment de repos. Ces troisdésirs étaient: d'aimer parfaitement Jésus-Christ, de souffrir beaucoup pour son amour,et de mourir dans l'ardeur de cet amour. Maisà présent, je me trouve dans une cessationde tous désirs qui m'étonne. Je crains quecette prétendue paix ne soit un effet de cettetranquillité où Dieu laisse quelquefois lesâmes infidèles; et j'appréhende que, par mesgrandes infidélités à ses grâces, je me soisattiré cet état, qui est peut-être une marquede réprobation; car je vous avoue que je nepuis rien vouloir ni rien désirer en ce monde,quoique je voie qu'en matière de vertu toutme manque. Je voudrais quelquefois m'enaffliger, mais je ne puis pas, n'étant pas dansmon pouvoir d'agir. Je sens seulement unparfait acquiescement au bon plaisir de Dieu,et un plaisir ineffable dans les souffrances.La pensée qui me console de temps en temps,

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c'est que le Sacré Cœur fera tout pour moi, sije le laisse faire; il voudra, il aimera, il désirerapour moi et suppléera à tous mes défauts.»

Elle était arrivée à cet état de perfection,lorsqu'il plut à Notre-Seigneur de la retirerà lui. On a lieu de croire que, les grands des-seins que Dieu avait sur cette fidèle épouseétant heureusement exécutés, il voulut mettrelecomble à tant defaveurs.Plus elleapprochaitde sa fin, et plus elle s'unissait à Dieu. Sonattention à la mortification la portait à profi-ter de toutes les occasions qu'elle trouvait.C'est ce qui la fit se priver de manger desraisins, lorsqu'on vendangeait dans notrejardin, peu de jours avant sa dernière mala-die. Pour rendre ce sacrifice plus parfait, elleen avait auparavant demandé la permission.Elle n'en aurait rien dit, si l'on ne s'en étaitaperçu. Elle avait une grande fidélilé à suivreles lumières que Notre-Seigneur lui donnait.Tout était toujours trop bon pour elle, parceque son goût était fait à tout. Ce qui faisaitqu'elle ne témoignait jamais de répugnance àprendre tout ce qu'on lui présentait, mêmeles remèdes, quelque amers qu'ils fussent, névoulant pas-même se laver la bouche aprèsles avoir pris, afin d'en conserver plus long-1terrps l'amertume.

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Si elle était si rigide, dans ses maladies,qui étaient bien fréquentes, elle l'était encoreplus en santé; et nous pouvons dire avecvé-rité qu'elle s'est soutenue toute sa vie danscette constante et généreuse mortification.

Cette humilité profonde, qui était sa vertudominante, ce parfait amour pour Dieu, cetteferveur dont son cœur étaittoujours animé,la portaient incessamment à la pratique de cestrois vertus, qui ont fait son caractère, carsa vie a été une suite continuelle de souffran-

ces, humiliations et mépris. L'on peut direqu'elle a aimé Dieu aussitôt qu'elle a su leconnaître; et si les grandes grâces et faveursqu'elle a reçues de son divin Maître font lesujet de notre admiration, j'estime que nousne devons pas moins admirer la fidélitéqu'elle a eue à y répondre et persévérer à nerien accorder à la nature, par une parfaiteabnégation. Elle ne s'est jamais relâchée unmoment de ces grandes et solides vertus, etelle est morte dans l'exercice actuel du puramour.

Elle prit mal la veille qu'elle se disposaitpour entrer en solitude. Une Sœur lui de-mandant si elle pourrait y aller, elle lui dit:« Oui, mais ce sera la grande retraite. »

Elles'alita neuf jours avant sa mort, qu'elle em-

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ploya à se disposer à la venue de l'Époux,quoique son mal parût peu de chose. L'on fitappeler M. Billet, notre ancien médecin, quil'avait en grand estime, et qui nous avait ditplusieurs fuis dans ses maladies, qu'étantcausées par l'amour divin, il n'y avait pointde remèdes, Il examina le mal dont notre pré-cieuse Sœur se plaignait, et l'assura que celane serait rien. Le jour même de sa mort il as-sura ençore qu'il n'y avait nulle apparencequ'elle en dût mourir, si peu sa maladie pa-raissait dangereuse; mais elle persista tou-jours à direqu'elle en mourrait.

La certitude qu'elle en avait lui fit deman-der avec beaucoup d'instance le saint Viati-que. Et sur ce qu'on lui dit, qu'on ne le ju-geait pas à propos, elle pria que du moins,on l'a fit communier, puisqu'elle était encoreà jeun. On le lui accorda. Elle reçut le saintSacrement en forme de viatique, sachant quec'était pour la dernière fois qu'elle le rece-vait.

Mais qui pourrait trouver des paroles assezexpressives pour faire comprendre les ar-deurs de son âme en cette sainte action? Ilsuffit de dire qu'elles répondaient parfaite-ment bien à l'ardent amour qu'elle avait eutoute sa vie pour son divin maître dans cet

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adorable mystère. Une sœur s'étant aperçuequ'elle souffrait extraordinairement, s'offritde lui procurer quelques soulagements; maiselle l'en remercia, disant que tous les mo-ments quilui restaient à vivre étaient tropprécieux pour n'en pas profiter; qu'à la véritéelle souffrait beaucoup, mais que ce n'étaitpas encore assez pour contenter son désir,tant elle trouvait de charmes dans les souf-frances; qu'elle recevait un si grand conten-tement à vivre et mourir sur la croix, que,quelque ardent que fût le désir qu'elle avaitde jouir de son Dieu, elle en aurait encoreun plus grand de demeurer en l'état où elleétait jusqu'au jour du jugement, si c'était lebon plaisir de Dieu, tant elle y goùtuit dedélices.

Toutes celles qui luirendaient visite dans samaladie admiraient la joie extraordinaire quelui causait la pensée de la mort. Mais Dieuvoulut interrompre pour quelque temps cetteabondance de douceurs intérieures dont elleétait comblée, en lui inspirant une si grandecrainte de sa justice, qu'elle entra tout à coupen des frayeurs étranges à la vue des redou-tables jugements de Dieu.

Ce fut par cette voie que Dieu voulut puri-fier cette sainte âme. On la voyait trembler,

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s'humilier et s'abîmer devant son crucifix.On lui entendait répéter avec de profondssoupirs, ces paroles: « Miséricorde!mon» Dieu, miséricorde! » Mais quelque tempsaprès, ses frayeurs se dissipèrent. Son es-prit se trouva dans un grand calme et dans.

une grande assurance de son salut. La joieet la tranquillité parurent de nouveau sur sonvisage, et elle s'écriait: Misericordias Do-mini in œternuiri cantabo. D'autres fois:« Que veux-je au ciel et que désiré-je sur la

» terre, que vous seul, ô mon Dieu! »Elle était si oppressée, que ne pouvant de-

meurer au lit, il fallait la soutenir pour luidonner plus de facilité à respirel\disant sou-vent: « Hélas! je brûle, jebrûle! Si c'était') de l'amour divin, quelle consolation! Mais» je n'ai jamais su aimer mon Dieu parfaite-» ment. » Et s'adressant à celles qui la sou-tenaient, elle disait: «-'Demandez-lui en par-» don pour moi et l'aimez bien de tout votre» cœur pour réparer tous les moments que» je ne l'aipas fait. Quelbonheurd'aimerDieu!

» Ah! quel bonheur! Aimez donc cet amour,» mais aimez-le parfaitement. » Ce qu'elle di-sait dans de tels transports, qu'il paraissaitbien que son cœur en était réellement péné-tré. Elle s'étendit ensuite sur l'excès de l'a-

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mour d'un Dieu pour ses créatures, et du peude retour qu'elles lui rendent, demandant;« Irai-je encore bien loin! »

Et comme on lui dit que selon le sentimentdu médecin elle n'en mourrait pas, elle s'é-cria pour lors: « Ah ! Seigneur, quand meretirerez-vous de ce lieu d'exil! « disant plu-sieurs fois: Adte levavi oculos meos, etc.,Lcetatus sum in his quœ dicta sunt mihi, etc.« Oui, j'espère que,- par la miséricorde duSacré-Cœur, nous irons en la maison du Sei-gneur. »

Elle pria qu'on dît auprès d'elle les litanies dece Cœur adorable et celles de la sainte Vierge,pour se la rendre favorable à son derniermoment, et d'invoquer pour elle son saintFondateur, son saint Ange, saint Joseph,pour demander de l'assister de leur protec-tion.

Comme l'amour des humiliations, et le dé-sir d'être dans un éternel oubli dans lemonde l'a accompagnée jusqu'à son derniersoupir, peu d'heures avant sa mort elle fitpromettre à sa Supérieure qu'elle ne parle-rait jamais de tout ce qu'elle lui avait dit enconfiance qui pût lui être avantageux. Etayant fait appeler une de nos sœurs quiavait été sa novice et qu'elle estimait singu-

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lièrement pour sa haute vertu: « Je vous» prie, lui dit-elle, ma chère Sœur, d'écrire» incessamment au R. P. Rolin, pour le

» prier de brûler mes lettres et de me garder» inviolablement le secret que je lui ai sou-» vent demandé. »

Une heure avant qu'elle expirât, elle fit ap-pelersa Supérieure, à laquelle elle avait pro-mis qu'elle ne mourrait point sans la.faireavertir. Elle la pria de lui faire donner l'Ex-trême-Onction. Cela fait, elle la remercia detous les soulagements qu'on s'empressaitd'apporter à son mal, disant qu'il ne lui enfallait plus; qu'elle n'avait plus rien à faireen ce monde qu'à s'abîmer dans le Sacré-Cœur de Jésus-Christ, pour y rendre le der-nier soupir.

Après quoi elle demeura quelque tempsdans un grand calme, et ayant proféré lesaint Nom de Jésus elle rendit doucementson esprit, par un excès de cet ardent amourpour Jésus-Christ qui, dès le berceau avaitjeté de si profondes racines en son âme.

Le médecin étant arrivé au moment qu'ellevenait d'expirer parut très surpris, disantqu'il ne lui avait trouvé aucun signe dans samaladie qui menaçât d'une si promptemort; qu'il avait été souvent dans l'admira-

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tion pendant sa vie, de voir comment uncorps aussi exténué que le sien pût suppor-ter toutes les maladies qu'elle avait eues;mais comme c'était l'amour qui les lui cau-sait, il ne doutait pas que ce ne fût aussi le

même amour qui l'avait fait mourir, dans untemps où il y en avait si peu d'apparence,et que c'était ce qui nous devait consolerdans la grande perte que nous faisions, quiméritait bien nos larmes, puisque nous per-dions la plus parfaite religieuse qu'il eûtconnue, et une des grandes saintes à qui Dieueût fait plus de grâces; qu'il la croyait toutepuissante auprès du SaC:l'é-CCOLll', où ellenous serait une puissante avocate.

Cette sainte fille mourut le 17 octobre 1690,âgée de quarante-deux ans, professe de dix-huit, environ les huit heures du soir, entreles bras de deux Sœurs qui avaient été sesnovices, et à qui elle l'avait prédit plusieursannées auparavant. Ce fut en présence de lacommunauté qu'elle expira, laquelle s'y étantrendue pour faire la recommandation del'âme, eût la douleur et la consolation toutensemble, de voir comment meurent lessaints.

Pourdonner, avantdefinir, un court a-perçu de ce que N. S. a fait pour exalter la

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bien-aimée de son Cœur, nous transcri-vons en entier le Bref qui l'a proposée à no-tre culte et à notre imitation. Avec le ta-bleau des événements, on y voit, présent àtout, le doigt de cette Providence dont on nepeut assez admirer la sagesse et les mer-veilles dans la glorification de ses saints.

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BREF DE BÉATIFICATION.

PIE 'X l'ÀPE.

Pour perpétuelle Mémoire.

L'auteur et le consommateur de notre Foi,Jésus, qui, mû par une charité excessive,après avoir pris l'infirmité de notre naturemortelle, s'est offert immaculé à Dieu surl'Autel de la Croix, pour nous délivrerdel'effroyable servitude du péché, n'a rien deplus en vue, que d'exciter en toutes maniè-res dans l'âme des hommes, les flammesdont son Cœur brûlait, ainsi que nous levoyons dans l'Evangile en donner l'assu-

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rance à ses disciples : « Je suis venu je-» ter le feu sur la terre, et quelle est mavolonté sinon qu'il s'allume ? »

Or comme moyen d'exciter davantage cefeu de la charité, il a voulu qu'on établit dansson Église la vénération et le culte de sontrès sacré Cœur et qu'on le propageât.

Et qui serait, en effet, assez dur et de ferpour ne point se sentir porté à répondre àl'Amour de ce Cœur plein de suavité, trans-percé et blessé par la lance, afin que notreâme y pût trouver une sorte de retraite etde refuge où elle se retirât et se mît à cou-vert contre les incursions et les pièges del'ennemi!

Qui ne serait animé à employer avec zèletoutes les pratiques qui peuvent l'amener àce très sacré Cœur, dont la blessure a ré-pandu l'eau et le sang, c'est-à-dire la sourcede notre vie et de notre salut?

Quand donc Notre-Seigneur a voulu insti-tuer et répandre au loin parmi l'es hommesce culte de piété si salutaire et si bien dû,a daigné choisir sa vénérable servante Mar-guerite Marie Alacoque, religieuse de l'ordrede la Visitation de la Bienheureuse ViergeMarie, qui, par l'innocence de sa vie et parl'exercice assidu de.toutes les vertus, s'est

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montrée digne, avec l'aide de la grâce divinede cet office et de cette mission.

Née d'une famille honnête, dans le villagede Lauthecourt, au diocèse d'Àutun, enFrance, elle brilla dès sa première enfancepar la docilité de son esprit, la pureté de sesmœurs réglées d'une manière bien supérieureà son âge; de telle sorte qu'elle faisait augu-rer à ses parents, par des indices certains,ce qu'elle devrait être un jour.

Encore petite fille, et ne sentant que del'éloignement pour les réjouissances quiont coutume de séduire cet âge si tendre,elle cherchait les endroits les plus secrets dela maison pour y recueillir son âme enprière et en adoration devant Dieu.

Jeune personne, elle fuyait la compagniedes hommes, n'ayant point de plus grandbonheur que d'être assidûment à l'église, etde prolonger ses prières pendant plusieursheures.

Dès ses premières années, elle se consacraà Dieu par le Vœu de Virginité, et com-mença à assujettir son corps aux jeûnes, auxdisciplines et à d'autres macérations, voulantpar là, comme par un buisson d'épines, met-tre à l'abri la fleur de sa virginité.

Elle fut aussi, un illustre modèle de douceur

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et d'humilité; car ayant perdu son père et samère succombant sous le poids soit des an-nées, soit de la maladie, elle fut traitée avectant de rigueur et de dureté par ceux quiavaient la gestion des affaires de la Maison,qu'elle manquait habituellement du néces-saire dans la nourriture et le vêtement. Cetétat de choses aussi pénible qu'injuste, futgénéreusement accepté par elle, à l'exempled3 Jésus-Christ, qu'elle avait toujours devantles yeux.

Elle n'avait que neuf ans quand elle fut ad-mise pour la première fois à recevoir le trèssaint Sacrementde l'Eucharistie; et ce célestealiment lui inspira une si grande ardeur decharité, que ce feu divin éclatait sur ses lè-vres et dans ses yeux.

Enflammée pareillement de charité pour leprochain, elle déplorait amèrement la misèred'une multitude d'enfants presque délaissésde leurs parents, grandissant dans le vice etignorant les choses les plus essentielles ausalut. Elle leur apprenait les mystères de lafoi, les formait à la vertu et elle s'était faitune habitude de se priver d'une bonne partde sa nourriture quotidienne pour les nourrir.

Ayant fixé son choix sur l'Epoux céleste,elle refusa constamment un époux riche et

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de condition que sa mère voulait lui donnerEt pour garder avec plus de sécurité sa

fuia cet Epoux céleste, elle songea à entrer euKeagion dans un cloître.

C'est pourquoi,après avoir longtemps etsérieusement délibéré en elle-même, aprèsavoir par d'abondantes larmes consulté lavolonté divine, elle fut reçue dans la ville deParay le Monial, au diocèse d'Autun parmiles religieuses de l'ordre de la Visitation dela Bienheureuse Vierge Marie.

Dans son Noviciat, s'étant montrée telleque l'avaient fait espérer et son ardeur géllé-reuse pour la vertu et l'innocence de sa

viepassée, elle mérita d'être admise àprononcerlesvœux solennels. Mais après sa profession,on la vit marcher à pas accélérés dans lesvoies de la perfection religieuse, tantelle0ait a ses compagnes consacrées à Dieu unéclatant modèle de toutes les vertus

On voyait luire en elle une merveilleusehumilité et une extraordinaire promptitude àobéir, comme à supporter avec patience toutce qui pouvait lui faire de la peine, une par-faite observance des points les plus minime•de la règle, une austérité sans relâche danslesmacérations corporelles, un amour toujour"fervent de la prière, à laquelle elle

s'ap

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pliquait jour et nuit; et souvant son âme dé-gagés des sens, était inondée de l'abondancedes dons célestes.

Dans la méditation des douleurs de Notre-Seigneur Jésus-Christ, elle était si sensible-ment affectée, et la flamme de son amourétait si ardente, que la plupart du temps elley paraissait languissante et sans vie.

L'éminence de ses vertus ayant fixé surellel'admiration de toutes ses compagnes, elle futchargée d'exercer et de former à la vie reli-gieuse les jeunes demoiselles qui étaient aunoviciat. On n'eût pu trouver une personneplus capable de cette charge que la vénérableMarguerite-Marie, qui par son exemple en-traînait celles qui entraient dans la voie de laperfection et soutenait celles qui y couraientdéjà.

Un jour qu'elle priait avec plus de ferveurdevant le très Auguste Sacrement de l'Eu-charistie, Notre-Seigneur Jéus-Christ lui fitconnaître qu'illui serait très agréable de voirétablir le culte de son très sacré Cœur,embrasé d'amour pour le genre humain, etqu'il voulait lui confier à elle-même cette mis-sion. La vénérable servante de Dieu, quiétait si humble, fut attêrée, s'estimant indigned'un pareil office. Mais enfin, pour obéir à

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l'ordre souverain, et conformément au désirqu'elle avait d'exciter le divin amour dans le

cœur des hommes, elle fit tous ses efforts,soit auprès des religieuses de son monastère,soit auprès de tous ceux sur lesquels ellepouvait exercer quelque action, pour que cetrès Sacré Cœur siège de la divine charité,reçut d'eux toutes sortes d'honneurs et d'a-dorations. La vénérable servante de Dieu eutà souffrir à ce sujet do grandes peines; ellerencontra de nombreuses difficultés. Cepen-dant, elle ne perdit jamais courage; mais,s'appuyant sur l'espoir du secours d'en haut,elle travailla avec tant de conslance à établircette dévotion, que, avec l'aide de la grftcedivine et au grand profit des âmes, elle pritun très grand accroissement dans l'Eglise.

Enfin désireuse de mourir pour voler auxcélestes noces de l'Agneau qu'elle convoitait-si ardemment, consumée moins par la mala-

die que parlesflammes de la charité, ellearriva au terme do sa vie, le 16 des calendesde novembre, l'an 1690.

L'opinion que l'on avait eue de la saintetéde la Vénérable Marguerite-Marie s'accrutdavantage après son décès, surtout sur lebruit des miracles que l'on attribuait à l'in-tercession de la Vénérable servante de Dieu.

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C'est pourquoi, en 1715, l'évêque d'Autuns'occupa de faire recueillir, selon les formesordinaires, des informations sur sa vie et sesmœurs. Mais les révolutions, qui à la fin duXVIIIe siècle ont bouleversé presque l'Eu-rope entière ont empêché que cette Cause pûtêtre déférée au jugement du Saint-Siège.Toutefois, quand le plus gros de l'orage futpassé, on sollicita le jugement du Siège apos-tolique, et on porta devant l'assemblée desCardinaux de la sainte Eglise Romaine pré-posés aux Sacrés Rites la cause des vertusdont la pratique avait illustré la VénérableMarguerite.

Toutes choses longuement et attentive-ment pesées Nous, avons enfin prononcé queses vertus avaient atteint le degré héroïque,dans un décret publié le 10 des calendes deseptembre de l'an 1846.

Plus tard, dans la même assemblée de car-dinaux, fut mise à l'ordre du jour la discus-sion sur les miracles qui devaient fournir la.

preuve divine de sainteté de la vénérableMarguerite; et après qu'à la suite d'un sé-vère examen les consulteurs et les cardinauxeurent donné un avis favorable, Nous, leslumières d'en haut invoquées, avons rendupublique notre sentence affirmative sur la

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vérité de ces miracles, le S des calendes deMai de l'année courante l(H.

Il ne restaitplusqu'àdemanderauxmêmesCardinaux s'ils étaient, d'avis qu'on pût pro-céder avec sécurité à rendreàla VénérableMarguerite les honneurs des Bienheureux.Réunis en Notre présence le 18 des calendesde Juillet de la présente année,ils répondi-rent d'une voix unanime « qu'on pouvait pro-céder avec sécurité. »

Nous donc, après avoir imploré le secourscéleste, ainsi que le demandait, l'importancede la chose, le 18 des calendes deJuillet dela même année Nous avons décrété que l'onpouvait avec sécurité, le .jour que Nous dé-signerions, rendre à la vénérable servantede Dieu les honneurs delà Béatificationavectout ce qui s'en suit,jusqu'à ce quesasolen-nelle Canonisation soit célébrée.

C'est, pourquoi touchédesprières (]('-lue tous les évoques de France, et aussi desreligieuses de l'ordre de la Visitation de laBienheureuse ViergeMarie,sur l'avis etavec l'assentiment de Nos vénérablesfrèresles Cardinaux de la sainte Eglse romainepréposés à tout ce qui concerne les Rites sa-crés, en vertu de Notre autorité apostolique,Nous permettons que la vénérable servante

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de Dieu, Marguerite-Marie Alacoque soit dé-sormais appelé du nom de Bienheureuse, ;et

que son corps et ses reliques, qui ne pour-ront être portés dans les processions solen-nelles, soient exposés à la vénération publi-que des fidèles.

De plus, en vertu de la même autorité, Nouspermettons qu'on dise en son honneur l'of-fice et la Messe du Commun des Viergesavec les Oraisons propres approuvées parNous, conformément aux rubriques du Misselet du Bréviare romain.

Mais Nous permettons de célébrer cetteMesse et de dire cet office seulement dans lediocèse d'Autun, et dans toutes les églises desMaisons, quelque part qu'elles existent, danslesquelles se trouve établi l'ordre des Reli-gieusns de la Visitation de la BienheureuseVierge Marie, le 17 octobre, à tous les fidèlesserviteurs de Jésus-Christ, tant séculiers queréguliers, qui sont tenus à la récitation desHeures Canonicales, et pour ce qui est de. laMesse, à tous les prêtres qui se rendent auxéglises où la fête est célébrée.

Enfin, Nous permettons que, dans l'annéequi commence à la date de cette lettre, la so-lennité de la Béatification de la Vénérableservante de Dieu MargueriteMarie Alacoque

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soit célébrée dans le diocèse et dans les églisessusmentionnées, avec office et Messe du ritDouble Majeur;maisNous voulons que ce soitle jour qui seradésignéparl'évêquediocésain,et après que cette solennité aura été célébréedans la basilique vaticane.

Tout ce, nonobstant les constitutions etor-donnances apostoliques ou autres choses con-traires.

Or, Nous voulons que tous les exemplairesde cette lettre même imprimés, pouvu qu'ilssoient revêtus de la signature du Secrétairede la susdite congrégation des Sacrés Riteset munis du sceau du Préfet, obtiennent lamême confiance, comme étant l'expression deNotre volonté, que l'on aurait sur l'exhibitionde l'original même.

Donné au château de Gondolpho, sous l'An-neau du Pêcheur, le 19 du mois d'août de l'an1864, le 19e de Notre Pontificat.

N., GARD. PARACCIANI CLARELLI.

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PREMIER JOUR

MARGUERITE PURIFIÉE

Méditation

Oraison préparatoire.— Après avoir

adoré la majesté de Dieu présente, humiliez-vous devant votre misère, et, anéanti dansvotre bassesse, offrez à Notre-Seigneur votreméditation, en lui demandant la grâce qu'elletende toute entière à sa plus grande gloire.

Premier prélude.— Représentez-vous la

B. Marguerite, prosternée près du taber-nacle, d'où sort à grands flots la lumière di-vine, qui va purifier son cœur.

Second prélude.— Priez Jésus de vousfaire bien connaître la pureté qu'il inspire à

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sa fidèle servante, et demandez-lui la forcede la reproduire en vous.

PREMIERPOINT.—Puretéde la B.Mar-guerite. - Quand Dieu veut mettre àexécu-tion les grands desseins qu'il a formés surune âme, il a soin tout d'abord de la préser-ver du péché ou de la purifier. Il n'y a au-cun accord possible entre la sainteté infiniede Dieu et l'âme en état de péché; sa charité,d'où chaque bien émane, ne saurait entrerdans un cœur, sans consumer en même tempstout reste impur, capable de la souiller. Al'aide de ces lumièressurnaturelles,lâchonsde pénétrer dans l'âme de Marguerite, surlaquelle Dieu avait de si grandes vues. Unefois qu'elle eût revêtu la robe d'innocencedans le saint baptême, elle ne la perdit, ja-mais. Que dis-je? Sauf quelques taches lé-gères,presque aussitôt effacées, l'éclat en futà peine terni par cette poussière terrestre,dont nul, sans un secours spéeial, ne peut segarantir dans cette vie mortelle. Représentez-cous donc cette belle âme, toute resplendis-sante d'un éclatcéleste, et le Saint Espritquifaitsademeureenelle,commedans lesanctuaire où il se plaît. Voyez comment ceDivin Esprit, sous les rayons d'en haut, di-

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rige ses pensées et les empêche de se dis-traire loin du vrai bien; comment, dans untransport ineffable, il donne à sa volonté laforce d'aimer et d'embrasser tout ce qui peutêtre agréable au Souverain Roi; de fuir,comme d'instinct, jusqu'à la moindre appa-rence du mal. Ainsi dirigée, ainsi soutenue,ainsi possédée par l'Esprit Saint, l'ombre,le nom seul de péché, la seule pensée de dé-plaire à son Dieu, c'est assez pour faire mé-priser à Marguerite toutes les jouissances dela terre et sacrifier mille vies. Tout en ellen'est, pour ainsi dire, que haine-du péché.Bonheur inépuisable de la pureté! Amepieuse, ne vous lassez pas de contemplerce spectacle qui ravit le regard même deDieu. Que cette vue enflamme vos désirs.Cette sainte ardeur pourra vous être d'ungrand secours, pour travailler à vous puri-fier vous-même. Le succès ici dépend tout dela volonté. Sachez vous humilier de votrefaiblesse et mettre votre confiance dans l'a-mour de Jésus, source, pour Marguerite,d'une si admirable pureté.

SECOND POINT. — CommentNotre-Seifjneurpurifie la Bienheureuse. — L'amour de Jésusest souverainement merveilleux, quand iltravaille à conduire une âme au degré de pu-

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reté, qu'exige la communication pleine et en-tière de ses dons. Sans vous perdre dans cechamp immense, considérez seulement lesmoyens mis en œuvre pour purifier la bien-aimée de son cœur. D'abord il place Margue-rite au sein d'une famille chrétienne, égale-ment éloignée des tristes nécessités de la mi-sère, et des séductions de l'opulence. Bientôtil la retire à l'abri .du cloître, pour lui pro-curer une éducation pieuse, et l'amener en-suite à la vie parfaite. C'est ainsi qu'il écarteles occasions extérieures et tout aliment dupéché. Parmi ces faveurs, l'ennemi pouvaitencore tendre ses pièges: Notre.Seigneurgarda son épouse. Une lumière extraordi-naire l'éclaira, dès l'enfance; elle lui décou-vrit la laideur du péché, elle lui montra sur-tout l'ineffable tendresse de son Dieu et lebonheur d'être à lui. A cette vue, Marguerite,toute embrasée d'.amour, avait une extrêmehorreur pour ce qui aurait pu lui ravir sontrésor. Une piété filiale inconsidérée la jetteun instant dans une voie périlleuse. Notre-Seigneur se présente à elle, couvert de plaies,haletant sous la croix, afin de la ramener.Dans la suite, il lui fit constamment sentirqu'il était là-, près d'elle, voulant par sa pré*sence, comme par un frein céleste, la retenir

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et la préserver des moindres imperfections.Et « ce sens profond de la sainteté dejustice »

que parfois il imprimait en elle, et ces douxreproches, et ces attraits amoureux, et cesjustes rigueurs !. Comment raconter les opé-rations de Jésus dans un cœur, jaloux de lui.appartenir sans réserve, quand il veut lerendre digne de son regard et de ses faveurs!Comment comprendre les industries de ce di-:

vin amant de la pureté. Oh! rentrez en vous-même; examinez par quels moyens il a es-sayé de vous purifier, toujours hélas! sanssuccès. Que de fois sa main vous a pré-servée et vous n'y avez pas pris garde. Quede lumières méprisées! Quels élans vers levrai bien, sacrifiés à des bagatelles! Et vousaussi, n'avez-vous pas entendu, au moins aufond du cœur, ses tendres plaintes? A vousaussi n'a-t-il pas dit: « Arrête, pourquoi m'of-fenses-tu?

» N'a-t-il pas employée tour à tourla miséricorde et la justice, les rigueurs et la'bonté?. 0 efforts d'un Dieu rendus inutilespar une âme, qui peut-être se regarde encorecomme son épouse. 0 mon Roi, ô mon bien,,quand me sera-t-il donné de ne plus vous of-fenser! Malheureuse que je suis! Tant quedurera cette vie mortelle, n'aurai-je donc ja-mais le bonheur de me présenter à vous, pure

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de toute tache? 0 mon Tout, suppléez vous-même à ma fragilité) et que je vive selonvotre cœur.

Vertupratique. — Vigilance attentive, afind'éviter les petites fautes, surtout celles quisont délibérées.

Lecture spirituelle. — Imitation de Jésus-Christ, liv. 1, ch. 25.

Oraisonjaculatoire.-« Cor mundum crea

in me, Deus. » Seigneur, créez en moi uncœur pur, comme le vôtre.

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SECOND JOUR

MARGUERITE DÉTACHÉE,

Méditation.

Oraison préparatoire. — Comme dans laméditation précédente.

Premier prélude. - Représentez-vous No-tre Seigneur, et son Cœur très-saint, d'oùjaillit une flamme, qui entoure de toute partet ravit l'âme de la B. Marguerite; voyezcette âme, insensible à tout ce qui est terres-tre, et abîmée doucement dans la pensée deson Dieu.

Second prélude. — Demandez la grâce debien comprendre l'extrême détachement de

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Marguerite et la voie qui l'y conduisit; de-mandez aussi le courage d'imiter ses exem-ples, avec un parfait abandon à la divineProvidence, qui a peut-être les mêmes des-seins sur vous.

PREMIER POINT. — Détachement de Mar-guerite. — Le détachement du cœur, danssa notion la plus exacte et la plus élevée,consiste à ne rien vouloir que Dieu. Uneâme, vraiment détachée, ne cherche son re-pos qu'en Dieu, ne goûte de joie qu'en Dieu,

ne considère d'autres intérêts que ceux deDieu. Insensible à tout objet créé, elle se re-cueille dans le cœur et dans l'amour de sonDieu; elle rejette sans peine tout ce quipourrait déplaire à son unique bien, arrêterou retarder les élans de sa tendresse. Unregard sur Marguerite; penétrez jusqu'auxplus secrets replis de son âme pleinementdétachée: avec un peu d'attention, voustrouverez là, réalisée, cette perfection quevous méditiez tout à l'heure. Rien de terres-tre qui vienne solliciter, je ne dis pas unepartie de ce eœur, une place dans ce cœur,mais une seule pensée, une seule affectiond'un moment. La nature semble tout à faitmorte: tant elle est soumise! tant elle est

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loin de réclamer aucun droit, quand il s'agitmême des plus impérieux besoins! Profondmépris des biens, des plaisirs, de l'estime dumonde; douce indifférence à l'égard des af-fections et des joies purement humaines;oubli d'elle-même pour se perdre dans l'a-mour de son Dieu, et ne s'occuper des chosesd'ici-bas qu'en son Dieu et pour son Dieu:voilà une faible ébauche, quelques traits àpeine de ce détachement sans bornes. Quellebeauté ravissante! Que vous lui ressemblezpeu! Examinez attentivement ce qui vousmanque, et prenez la résolution de faire tousvos efforts, pour acquérir une si aimablevertu. Plus vous serez détaché des créatureset de vous-même, plus vous serez uni à Dieu.

SECOND POINT. — Comment la Bienheu-reuse paroint à ce détachement. — Sansperdre de vue la douce image, déjà présenteà votre esprit, considérez, âme pieuse, lavoie qui conduisit Marguerite à un si hautdegré de détachement. Le céleste époux, quise réservait, à lui seul, l'entière possessionde ce cœur, mit ses premiers soins à éloignerce qui aurait pu lui en dérober quelquechose; et ce qu'il était impossible d'éloigner, ille lui fit prendre en tel dégoût, que rien n'était

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capable de le tenter. Fort-jeune encore, Mar-guerite perdit son père. On la renferma dèslors dans la maison maternelle, et là, privéede toute liberté, elle se vit réduite à unesorte d'esclavage. Mais l'appel de la grâcese fit entendre. Mille attraits irrésistiblesl'entraînèrent doucement vers le cloître, etJésus la cacha pour toujours aux regards,aux bruits, aux séductions du monde.

Dans sa vie nouvelle, une incessante appli-cation à la pénitence et aux austérités, uneopposition presque systématique à ses goûtsnaturels de la part de ceux qui la diri-geaient- ou étaient en rapport avec elle, ceslumières d'en haut qui lui découvraient jus-qu'au plus imperceptible désordre de sesactes et de ses mouvements intérieurs, lesentiment profond de la majesté et de l'a-mour de son Époux, toujours présent à sonregard, les tendres reproches, les suaves at-traits; tout s'unit pour travailler et façonnercette âme, pour la transformer et ne lui lais-ser aucun mouvement, qui ne fût tout à faitpur. Ah! c'est peut-être par. cette voie queDieu veut aussi vous conduire, âme pieuse;peut-être vous l'a-t-il manifesté, ce desseinde sa Providence. Et vous, quelle a été votreréponse, dites-moi? Jusqu'ici n'avez-vous

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pas résisté à celui qui se propose en toutvotre bien? En ce moment même, n'êtes-vouspas rebelle à sa grâce! Hélas! vous ne savezpas voir, dans ce qui vous arrive de désa-gréable, la main de votre Dieu. Vous vouscroyez délaissée, rejetée, lorsque le Bon Maî-tre a recours aux moyens énergiques, pourvous dégager des créatures, et vous attachertoute à lui. Erreur funeste! Quels trésors vousenlèvent en un instant vos résistances auxopérations de la grâce, qui cherche à vaincreles obstacles et à vous faire trouver la pleinepossession de Dieu! La B. Marguerite fut au-trement docile! Comparez sa conduite avecla vôtre: que tant de lâcheté vous couvrede confusion; proposez-vous d'être plus géné-reuse, priez avec ardeur pour l'avenir.

Vertu pratique. — Examinez quel est l'ob-jet crée, qui occupe le plus votre cœur, ettâchez de vous en séparer.

Lecture spirituelle. — Imitation de Jésus-Christ, liv. 3, ch. 32.

Oraison jaculatoire. — « Quid mihi estin cœlo, aut à te quid volui super terram?Deus cordis mei, et pars mea, Deus in œter-num. » Seigneur, mon Dieu et mon Tout,que pourrais-je aimer au ciel et sur la terre,en dehors de vous?

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TROISIÈME JOUR

MARGUERITE ANÉATIE

Méditation.

Oraison préparatoire. — Comme dans laméditation précédente.

Premierprélude. — Représentez-vous No-tre Seigneur dans l'attitude, où parlant unjour à Marguerite, il lui manifesta son désirde trouver en elle la « disciple» de sonCœur, surtout de son Cœur humilié.

Second prélude. — Demandez à Jésus lagrâce de comprendre les progrès de la Bien-heureuse dans l'humilité, et la force de sui-vre ses exemples.

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PREMIER POINT. — Application de Margue-rite à connaître les anéantissements de sonDieu. — C'est un abaissement bien profond

pour un Dieu, que de prendre une chair mor-telle, et de se présenter à l'hommesous unel'orme humaine; la simple idée d'un tel pro-dige devrait nous plonger dans l'admiration,et en quelque sorte bannir de notre esprittoute autre pensée. Mais, quand ce Dieu in-vite spécialement une âme à contempler sesabaissements, et à venir apprendre de luil'humilité, pourrait-elle, cette âme privilégiée,demeurer insensible et trouver ailleurs quel-que attrait? Voyez, âme pieuse, avec quelleapplication la « disciple » du Sacré-Cœurs'efforce de comprendre les anéantissementsde son Roi, autant qu'il lui est permis de lescomprendre sur cette terre. Un Dieu anéantidans l'Incarnation, un Dieu anéanti sur lacroix, un Dieu anéanti sous les voiles duSacrement, Bethléem, le Calvaire, le Taber-nacle, ces grandes merveilles de l'amoursont continuellement devant ses yeux. Elleconsidère comment, dans l'Eucharistie, sonDivin Maître cache à tous les regards et lesperfections divines, substantiellement uniesà son humanité, et les richesses immensesdes dons créés, qui ornent sa sainte âme.

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Elle contemple cet état d'humiliation et d'àbaissement, que son Jésus choisit par amour,elle sent tout cet excès de mépris, de déri-sions, d'opprobres, dont une cruelle maliceaccable son Jésus; et elle reste toute abîméedans la contemplation du souverain Bien,ignoré, méconnu,rejeté, si dédaigné par deviles créatures, qu'elles osent tout contre lui,sans rien craindre de sa colère. En vérité,le démon même n'est pas mis si bas. dansl'appréciation des hommes.

Oh! de quels sentiments Marguerite estalors pénétrée! Ame pieuse, si vous méditezsérieusement les humiliations de votre Dieu,

non, vous n'aurez plus autant de difficulté àvous soumettre aux adorables desseins de laProvidence. Peut-être même un généreuxélan vous entraînera-t-il à la suite de votreDieu. Le Cœur sacré de Jésus veut que vousappreniez de lui l'humilité, qu'avez-vous faitjusqu'ici pour répondre à ce désir? Réflé-chissez, et déterminez ce qu'il vous convientde faire.

SECOND POINT. — Générosité de Margueriteà imiter son Dieu anéanti. — Représentez-vous une jeune Vierge, dont tout l'extérieurrespire la modestie, recueillie en elle-même,

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abîmée tout entière dans la contemplationdes abaissements infinis de son Dieu. Le seuldésir de son cœur est de vivre inconnue, ca-chée, ignorée, méprisée; ses lèvres ne s'ou-vrent plus que pour demander l'oubli et lesopprobres; en toute chose, elle s'étudie àpasser inaperçue ou à trouver l'humiliation.Son plus grand soin est de se soustraire elle-même, et ses dons aux regards des hommes.Tout ce qui paraît honorable, elle le fuit avechorreur, une sorte d'instinct l'en éloigne.Toute marque d'estime l'afflige profondément;elle garde le silence devant les blâmes et lesaffronts, les critiques, les outrages la com-blent de joie, enfin, elle se regarde et vou-drait être regardée comme le rebut de l'hu-manité, la honte de la nature entière. Amepieuse, ces quelques traits, vivement retracésdans votre esprit, vous donneront une idéedu zèle de Marguerite à imiter le cœur très-humble de son Dieu. Et pour compléter letableau, tandis qu'il est sous vos yeux,voyez cette suite d'humiliations profondes,qui remplirent toute sa vie et furent sonpain de chaque jour. La présence continuellede la divine Majesté la jette dans une confu-sion indicible; elle lui montre à chaque ins-tant la nature de l'homme et sa volonté per-

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dues en quelque sorte dans un abîme de cor-ruption et d'ignominie.

A cette action immédiate de Dieu, ajoutezles mauvais traitements, les persécutions dela maison paternelle, les épreuves de la viereligieuse, la honte de se voir traiter commeune visionnaire.

La Bienheureuse acceptait tout, elle étaitcontente de tout; elle souhaitait de toutes sesforces, elle cherchait plus de mépris encore,afinde vivredans un anéantissement complet,et dans une parfaite ressemblance avec sonDieu humilié. A la vue d'une ardeur si hé-roïque et d'une telle générosité, gardez-vousde perdre courage, ô vous qui méditez cesgrandes leçons. On arrive au sommet pardegrés. Si vous savez vous mettre à I'oeuvre,et prêter l'oreille aux invitations, que Jésusne cesse de vous adresser, il vous inspirera,lui, la sainte ambition de remporter d'autresvictoires.

A l'exemple de Marguerite, ne refusez pasau Cœur très-humble de votre Dieu, le sacri-fice qu'il vous demande en ce moment, etabandonnez-vous à son amour.

Vertu pratique. — Mettez aujourd'hui unsoin particulier à tenir caché tout ce quiserait de nature à vous attirer l'estime des

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hommes; acceptez volontiers toutes les hu-miliations que Dieu pourra vous envoyer.

Lecture spirituelle.—

Imitation de Jésus-liv. 3, ch. 7, 8.

Oraison jaculatoire. — « Bonum mihiquiahumiliasti me. 1 Seigneur, j'accepte l'hu-miliation, comme un don de votre main.

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QUATRIÈME JOUR

MARGUERITE OBÉISSANTE

Méditation

Oraison préparatoire. — Comme dans laméditation précédente.

Premierprélude. — Représentez-vous laB. Marguerite, soupirant après le bonheurd'être en adoration devant le tabernacle,fidèle cependant à suivre les diverses pres-criptions de l'obéissance.

Second prélude. — Demandez à Jésus decomprendre combien l'holocauste de sa bien-aimée était agréable à son Cœur, et de pouvoirlui en offrir un semblable.

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PREMIER POINT. — Héroïsme de Margue-rite dans l'obéissance. — Il n'y ajamais qu'unguide sûr dans la voie de la perfection, l'obéis-

sance. C'est à l'obéissance surtout que Dieudispose les âmes, qu'il veut conduire au som-met de la sainteté; cette vertu est l'objet de

ses plus chères complaisances. Pour compren-dre cette double opération de la grâce enMarguerite, rappelez-vous la docilité qu'ellemontra, dès la plus tendre enfance, à recevoirles ordres de ses parents et de tous ceux quiavaient quelque autorité sur elle. Voyez com-ment, dans la vie religieuse, elle offrit à Dieule sacrifice de sa volonté et persévéra tou-jours dans une dépendance absolue. Sa per-sonne, ses actions, ses œuvres, ses pensées,ses sentiments les plus secrets, tout était sou-mis à l'obéissance, tout était dirigépar l'obéis-sance. L'obéissance réglait les dons même deDieu, les communications surnaturelles, leslumières extraordinaires, cet attrait merveil-leux pour l'oraison et le recueillement, enfin lasolitude et le silence, qui sont l'aliment dela vie intérieure. Il y avait en elle un désir,le désir bien ardent d'être avec Jésus, auprèsdu tabernacle; son amour ne formait plus qu'unvœu, recevoir son Dieu, vivre abîmée et per-due dans le cœur de son Dieu, s'occuper uni-

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quement à propager son culte: ce désir mêmeet ce vœu de son amour, elle les subordon-nait à l'obéissance et au bon plaisir de sessupérieurs. Son unique joie était de tenir toutson être, tout ce qui s'opérait en elle de na-turel ou de surnaturel dans une entière sou-mission aux représentants visibles de l'au-torité divine. Ah! comme elle avait comprisque, s'il fallait monter sur la croix pour êtreavec Jésus, il fallait, à sa suite, y monter enobéissant. Et vous, âme pieuse, quelles réflé-xions vous inspirent, dites-moi, ces grandsexemples de renoncement? La soumissionvous coûte peut-être, et il n'est question pour-tant ni de dons extraordinaires, ni de senti-ments intimes, mais de la seule volonté, oumême de la simple exécution. Que vous êtesloin de l'obéissance parfaite! Hélas! vous nele comprenez pas, cette vertu est le cheminde la sainteté et le moyen le plus facile degagner le cœur de Dieu. Déplorez votreaveuglement, prenez des résolutions pour l'a-venir,selon les lumières que Dieu vous auracommuniquées.

SECOND POINT. — Combien l'obéissance deMarguerite étaitagréable au Sacré-Cæur.-La vie de Marguerite fut vraiment une immo-

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lation à l'obéissance la plus parfaite, afin deplaire au Divin Maître. Ame pieuse, tâchezde vous figurer les sentiments qu'une telleimmolation fa:sait naître dans le cœur deJésus. Grand Dieu! qui pourrait redire cesmerveilles ? L'obéissance forçait-elle Margue-rite à s'éloigner de Jésus? Jésus venait à elle,et l'enivrait de son amour. L'obéissanceéprouvait-elle par quelque traitement pénibleles dons et les faveurs célestes, que Jésusrépandait sur son Épouse? Jésus se montraitaussitôt, il assurait sa bien-aimée qu'elle étaitagréable à son Cœur, il lui faisait oubliertoutes les peines par de nouveaux bienfaits.Fallait-il des miracles? Jésus s'empressaitde les accomplir, pourvu que L'obéissance n'ensouffrît pas. A la victime choisie par sonamour, Jésus demandait une immolationaussi complète que la sienne. Et maintenantque tous ces témoignages extérieurs vousservent de degrés pour monter plus haut;allez jusqu'au Cœur de Jésus, et tâchez desentir la douce joie, qui le remplit. Le sacri-fice de Marguerite, consommé sur l'autel del'obéissance, offrait à ce Divin Cœur tout cequi était de nature à lui plaire. Détachementde toutes choses, détachement même de lapossession de Dieu, en tout ce qu'elle renferme

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de consolations et de douceurs, distinctes dela substance du souverain bien; mépris sansbornes d'elle-même, prompte soumission auxlumières et aux volontés d'autrui, ces mar-ques certaines d'un cœur vraiment humble;sacrifice de toutes les satisfactions que lanature a le droit de se réserver, à la gloire età l'honneur de son Dieu; en un mot, cettecharité sans mélange, qui s'empare du cœur,et de tout ce qu'elle trouve dans le cœur,pour l'immoler à l'amour infini. Voilà lesprésents qu'aime Jésus; voilà les offrandesqui charment son Cœur Sacré; c'est làl'entière et pleine correspondance à sa ten-dresse, celle du moins qui est à la portéed'une simple créature. Aussi quelles délicespour lui dans cette âme fidèle! Il était forcéen quelque sorte de le manifester par dessignes extérieurs, et souvent par l'éclat desmiracles. Oh! si vous saviez obéir! Amepieuse, il ne tiendrait qu'à vous de faire goûtersans cesse au Cœur de Jésus les mêmesconsolations; il ne tiendrait qu'à vous devivre dans une entière etcontinuelle immola-tion à son amour, dans un sacrifice très-beauen lui-même, très-facile pour vous, souverai-nement agréable au Cœur du bon Maître.Pourquoi donc n'embrassez-vous pas l'obéis-

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sance, une obéissance affectueuse, universelleet constante ? Et si un moment vous étiezentrée dans cette voie de l'amour, pourquoivous en éloigner si tôt? Songez qne votreDieu voulut finir sa vie par un acte d'amou-reuse obéissance, et demandez-vous ensuitece qu'il vous convient de faire. Priez.

Vertu pratique. — Parfaite obéissance auxordres de n'importe quel supérieur; outrel'exécution extérieure, soumission de la vo-lonté à ce qu'on vous commande.

Lecture spirituelle. — Imitation de Jésus-Christ, liv. 3, ch. 13.

Oraisonjaculatoire. — «Domine, doce meacere voluntatem tuam» .Seigneur, appre-

nez-moi à obéir et à faire en tout votre saintevolonté.

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CINQUIÈME JOUR

MARGUERITE UNIE A DIEU

Méditation

Oraison préparatoire. — Comme dans laméditation précédente.

Premier prélude. — Voyez la B. Margue-rite,à genoux devant le Très-SaintSacrement,immobile, portant sur son visage transfiguré,le doux reflet de cette joie céleste, qui inondeson cœur.

Second prélude. — Demandez au Sacré-Cœur de comprendre la manière toute divine,dont il s'unit à la B. Marguerite dans les liensde l'amour, et de ne mettre aucun obstacle àtout ce que sa bonté voudra opérer de sem-blable en vous.

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PREMIER POINT. — L'union avec Dieu estle comble de la sainteté et le vrai bonheurde l'âme. Elle a pour fondement la grâce ha-bituelle, qui, en nous élevant à la participa-tion de la nature divine, nous fait amis deDieu, enfants de Dieu,cohéritiers de Jésus-Christ; elle se développe et se perfectionnepar une suite d'actes, qui sont, pour ainsidire, l'exercice constant de cette amitié pleinede charmes entre la créature et son Dieu.L'âme unie à Dieu ne s'occupe que de sonBien suprême, elle est incapable d'aucuneautre pensée; dépouillanttoute autre affcction,l'amour de son Tout la pénètre doucement.Sur le cœur de son Dieu, elle s'endort dusommeil de la paix; et si parfois quelquebruit la réveille, les intérêts de Celui qu'elleaime peuvent seuls la tirer de son repos. Pasun regard, pas un mouvement, pas une ac-tion qui ne réclame le devoir ou la charité,c'est-à-dire le bon plaisir ou la gloire de ladivine Majesté. Et même en travaillant pourcette gloire, elle a soin de tenir toujours les

yeux fixés sur son Bien infini; ce regardamoureux est une protestation continuelle dela joie qu'elle trouve à lui appartenir sansréserve. Ame pieuse, c'estlà,. en raccourci,le portrait de Marguerite; c'est le tableau

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des pensées et des affections qui l'occupaientà chaque instant, Stimulée par l'ardeur, dontJésus l'animait, attirée par ses ineffables dou-

ceurs, elle se trouva unie à Dieu, avant mêmed'avoir pu se rendre compte de cette insignefaveur. Aussi quel empressement à lui con-sacrer, dès ses premières années, toutes sesfacultés, tout son« être! Quelle peine à sup-porter ce qui n'avait pas rapport à l'objet deson amour! Sitôt que ses occupations luidonnaient un peu de loisir, quelle joie pourelle de se retirer dans un lieu écarté, ou des'agenouiller près de i'autel, et là, de satis-faire librement son désir, d'être tout à Jésuset avec Jésus! Non, elle ne connaissait pasd'autre bonheur en ce monde. Le divin Epoux,de son côté, lui faisait sentir sa présence avectant de force, qu'elle était dans la douce né-cessité de ne penser qu'à lui et de se consu-mer dans l'anéantissement et l'amour. Ellesemblait toujours comme ravie en son Dieu;en lui et par lui toutes ses joies; de lui seulle principe et la règle de sa vie et de ses ac-tions. Considérez son maintien, dans tout cequ'elle fait, partout où elle se trouve; obser-vez sa conduite, ses paroles, parmi cettemultiplicité d'occupations, qui se rencontrentparfois dans la vie religieuse. Une modestie

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vraiment angélique, la modération et la pru-dence, qui dirigent tous ses discours, la paixet le calme qui paraissent dans tout son exté-rieur, montrent clairement qu'une correspon-dance ineffable aux faveurs de son Dieu aétabli son cœur bien au-dessus de la terre,dans la plénitude de la lumière et de l'amour.Heureux moment, où Jésus visitait cette âme,dont il était le seul maître, où il perçait cecœur de chastes blessures! Marguerite n'étaitplus de la terre, le ciel était sa demeure, au-cun lien ne l'enchaînait plus ici-bas. Et vous,âme pieuse, si vous n'êtes pas insensible à labeauté et à la sublimité d'un tel spectacle,si la vue d'une âme ravie tout entière enson Dieu vous a touchée, excitez en vous ledésir de ne mettre aucun obstacle à l'actionde la grâce, mais de la seconder généreuse-ment et de vous disposer ainsi à cette union,qui seule vous donnera le vrai Bien.

SECOND POINT. — Comment on peut se dis-poser à une unionsemblable. — L'âme, quiveut arriver à la parfaite union avec Dieu,doit avoir d'abord une disposition: c'est de nese laisser ni enorgueillir par la beauté, ni dé-

courager par la sublimité de ce don. Le Saint-Esprit demande un cœur humble et généreux,

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pour opérer ses merveilles. Et, remarquons-le en passant, il n'y a pas d'orgueil à se pro-poser, comme terme de ses désirs, cette sorted'union avec Dieu, qui n'est autre chose quela manifestation et comme l'exercice conti-nuel de l'amitié. Dieu lui-même nous y invite;et si on a soin de garder l'esprit de détache-ment, inséparable de la vraie humilité, il n'ya rien dans cette tendance, qui doive exciterle moindre mouvement d'orgueil. Sans doute,Dieu comble des plus précieuses faveursl'âme, qu'il s'unit; mais ces faveurs, l'âme nesonge pas à les rechercher, dans son élanvers Dieu. Ce qu'elle veut trouver, c'est laprésence de son Divin Époux; elle brûle delui consacrer, de lui immoler entièrement soncœur. D'autre part, cette offrande généreuse,qui lie toujours la créature à son Dieu et luifait comme une nécessité de vivre en tout deson amour, ne présente aucune difficulté, ca-pable de décourager une âme généreuse. Oh!si Notre-Seigneur agit lui-même, si, lui-même, il vous met dans cet heureux état,qu'avez-vous à craindre? A lui de donner lagrâce; et pour lui, et pour sa grâce, il n'estrien d'impossible. N'avez-vous, pour tendre àcette haute perfection, que des secours ordi-naires cette immolation, ne l'oubliez pas,

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admet des degrés, comme en admet l'exercicemême de l'amitié. Pourriez-vous encore, âmepieuse, pourriez-vous refuser à votre Dieu lesacrifice complet de vous-même ? Ne vousest-il pas facile, en vous tenant habituelle-ment dans cet état d'immolation et en cor-respondant à la grâce, de veiller sur vous-même, d'éviter ce qui déplairait au DivinMaître, de rendre toute votre conduite agréa-ble à ses yeux! Hé bien! voilà à quoi se ré-duit pratiquement la générosité nécessairepour vous disposer à la possession de votreBien infini. Oui, pour entrer dans le détail,redoublez de ferveur et d'amour, durant letemps des exercices spirituels, que vous vousêtes prescrits, dans le but de consacrer auDivin Roi chaque jour de votre vie; ayezsoin, durant la journée, de rappeler souventàvotre esprit et à votre cœur le Maître quevous servez; dites-lui votre amour, vos con-solations, vos tristesses. Si les devoirs devotre état vous laissent quelques moments deliberté, qui vous empêche de vous recueilliren Dieu, et de vous attacher à lui, dans uneétreinte de reconnaissance et d'amour! C'estlà le chemin ordinaire de la perfection; c'estpar là que l'amante du Sacré Cœur parvintau suprême triomphe de la charité. Examinez

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ce qui vous manque; voyez de quelle manièrevous devez, dans la pratique, tendre au degréd'union, à la portée de vos forces, et vousdisposer à ceux que la miséricorde de Dieupourrait vous destiner.

Vertupratique. -Recueillement intérieur,solitude et silence, autant que le permettrontles devoirs de votre état.

Lecture spirituelle. — Imitation de Jésus-Christ, liv. 2, ch. 1.

Oraison jaculatoire. - « Tibi dixit cormeum : exquisivit te facies mea; faciemtuam, Domine, requiram. » Seigneur, monregard se tournera toujours vers vous, etmon cœur ne sait plus vivre sans vous.

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SIXIÈME JOUR.

MARGUERITE VICTIME,

Méditation.

Oraison préparatoire. — Comme dans laméditation précédente.

Premier prélude. — Représentez-vous laB. Marguerite s'offrant à Jésus commevictime d'amour; voyez Jésus fixant sur elleun regard plein de tendresse et acceptantson offrande.

Second prélude. — Demandez au SacréCœur la grâce de connaître le prix de cetteimmolation et d'y tendre généreusement, àl'exemple de Marguerite.

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PREMIER POINT.- Marguerite s'immolantelle-même.—La force de l'amour porte natu-rellement au sacrifi.ce, le cœur uni à Dieu, le

cœur embrasé de charité. Celui qui aimevoudrait tout donner, et, après avoir toutdonné, c'est encore un besoin pour lui d'im-moler, souvent, hélas! aux dépens de la vertu,son être tout entier,-afin de plaire à l'objet de

son amour et de lui appartenir sans réserve.Rien de plus fréquent, dans le langage del'amour, que ces expressions: mourir, s'im-moler, se sacrifier, se consumer. Rien deplus ordinaire, dans les personnes qui aiment,que les soupirs, les tristesses, les défaillances.De là les élans spontanés du zèle, la soifd'entreprendre beaucoup, de faire beaucouppour celui qu'on aime; qu'il faille abandonnerses propres intérêts, embrasser les souffran-ces et même affronter la mort, on n'hésitepas. Après ces quelques réflexions, rappelez-vous, âme pieuse, l'amour dont Margueritebrûlait pour Jésus, et disposez ainsi votre es-prit à comprendre son insatiable désir dessouffrances, des mépris, de la croix! Elleaimait avec constance, avec ardeur, avec gé-nérosité; même constance, même ardeur,même générosité dans son désir d'êtreet de paraître tout entière immolée à son Dieu.

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Mais ce désir ne demeurait pas stérile. Pourse réduire à l'état de victime, elle recouraità tous les moyens permis à sa ferveur. Pri-vations, travaux, austérités, éloignement dumonde et de ses plaisirs, retraite, mortifica-tion des sens, abnégation de la volonté, veil-les, abstinences, jeûnes, cilices, disciplines, ri-gueurs de toute sorte, rien n'était négligé. De

sa nature l'amour est ingénieux à consumersa victime; mais trouve-t-on en soi quelquechose de désagréable à celui qu'on aime,voit-on celui qu'on aime dans la tristesse, oh!alors toute modération devient impossible,

on ne veut, on ne cherche qu'immolations.Et c'est là ce qui rendait si cher à Margue-rite cet état de victime volontaire.

Sa conscience lui reprochait ses moindresinfidélités; sans cesse elle avait devant les

yeux son Dieu sacrifié pour elle et pourtous les hommes, et, malgré tant d'amour,oublié de tous, méprisé, insulté, foulé auxpieds, abreuvé d'outrages. 0 mon Roi, s'é-criait-elle, qui me donnera mille coeurs, pourvous les offrir?. Que ne puis-je, en quelquemanière, réparer tant d'injures faites à votreCœur Sacré? Prenez du moins, 6 mon Sau-veur, prenez ma vie! Je ne consens à la gar-der encore que pour vous la sacrifier, que

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pour expier les offenses faites à votre amour.Considérez, âme pieuse, ce qu'il vous manquede ces sentiments généreux d'après les lu-mières reçues dans ce premier point, exa-minez comment vous devez imiter votre mo-dèle, et faire de vous-même une victimeconsacrée à l'amour de Jésus.

SECOND POINT. — Marguerite immolée parle Sacré-Cœur. — Marguerite n'avait en sonpouvoir que des moyens insuffisants pours'immoler à l'amour de Jésus. Elle sentait aufond de son cœur un besoin immense de souf-frir, et rien ne répondait à ce besoin. L'épouxcéleste lui vint en aide; il compléta lui-mêmece qu'il attendait de sa fidèle servante, cetteimmolation tout à fait semblable à la sienne.Oui, Jésus lui-même, par les dispositions desa Providence, prit soin du sacrifice, et ducommencement à la fin de sa vie la victimeresta sur l'autel. Ce sont des infirmités fré-quentes; c'est la persécution de la part dessiens, de la part des étrangers; c'est l'outrage,le ridicule jeté sur sa personne et sur sesentreprises; ce sont ses desseins mille foistraversés, les oppositions et les contradictionsdes hommes, les mauvais traitements des dé-mons; c'est sa compassion pour certaines

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âmes du Purgatoire confiées à sa charité; cesont les divines industries de son Époux pourl'attacher avec lui sur la croix. Considérez lesdivers instants de cette vie, tout entièrevouée au sacrifice de l'amour; vous n'en trou-verez pas un seul sans une souffrance spé-ciale. Il y avait, pour Marguerite, d'autresdouleurs encore, et quelle n'en était pas l'in-tensité, dans un cœur comme le sien! La pro-fonde connaissance qu'elle avait de Jésus, etl'amour qui la dévorait, la rendaient extrê-mement sensible à l'offense de Dieu. Rien deplus doux à sa tendresse que de voir Jésusarbitre et maître absolu de son âme; maiscette joie elle-même n'était pas sans mélange:quand la majesté divine se communique plei-nement, l'excès de sa grandeur produit, dansla créature, une sorte de saisissement quila brise et la déchire. Ame pieuse, Dieu vousa-t-il jamais fait sentir sa majesté et sa bonté,vous comprendrez aisément quel devait êtrele martyre de la Bienheureuse, lorsque àtoutes ses souffrances se joignaient les ri-gueurs de ce nouveau tourment. Quelle con-fusion pour vous! Comment! vous n'avezmême pas la générosité de supporter, aumoins avec résignation, les épreuves que vousenvoie la divine Providence! Hélas! la moin-

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dre peine, une tentation, une injustice, c'estassez pour vous rendre infidèle à toutes lespromesses faites au cœur de votre Dieu.Vous ne connaissez pas le prix de la croix, dumoins vous l'aimez bien peu.

Pourtant, les âmes, que Jésus chérit plustendrement, à qui il réserve plus de faveurs,qu'il prédestine aux délices de son Cœur Sacré,ne reçoivent-elles pas une plus large part de sacroix ? N'est-ce pas de ces âmes qu'il fait lesvictimes immolées sur l'autel de la charité?Déplorez votre faiblesse passée; et si vous êtesinvitée à monter sur la croix, demandez forceet courage à votre Amour crucifié; puis, aban-donnez vous à sa sainte volonté.

Vertupratique. — Ajoutez quelque mortifi-cation volontaire à l'acceptation amoureusedessouffrances que la Providence vous enverra.

Lecture spirituelle. — Imitation de Jésus-Christ liv. 2. ch. 12.

Oraison jaculatoire. — « Amores mei dul-cissimi, Jesu et Maria, pro vobis patiar, provobis moriar, sim totus vester, sim nihilmeus. (1) » 0 doux objets de mon amour,Jésus et Marie, que je souffre pour vous, queje meure pour vous; que je sois tout à vous,que je ne sois plus à moi.

(1) Aspiration du B. Berchmans.

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SEPTIÈME JOUR

MARGUERITE ADORATRICE ET IMITATRICE DE LA

VIE EUCHARISTIQUE DE JÉSUS

Méditation

Oraison préparatoire. — Comme dans laméditation précédente.

Premier prélude. — Jetez un regard de foiet d'amour sur le saint tabernacle, où Jésusest caché; voyez, au pied de l'autel, la B.Marguerite prosternée dans une profondeadoration.

Second prélude. — Demandez à Jésus, parl'intercession de sa fidèle servante, lumière

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pour comprendre ce qui se passait dans le

cœur de la Bienheureuse, et force pourl'imiter.

PREMIER POINT. — Marguerite adoratrice.— En commençant cette méditation, tenezvotre regard attentivement fixé sur la B. Mar-guerite, au pied de l'autel; contemplez avecun saint ravissement cette attitude toute an-gélique. Son attention à se rapprocher, mêmephysiquement, le plus près possible du lieuoù réside son Bien-Aimé, l'immobilité detoute sa personne, le profond respect répandusur tout son extérieur, montrent clairementoù vont les pensées de son esprit et les affec-tions de son cœur. Considérez ce visage en-flammé, ces teiidressoupirs, les douces larmesqui coulent de ses yeux! Ali! la Bienheureusesentait alors la présence de son Roi; labeauté et la majesté de son Époux céleste lapénétraient tout entière. Ce n'étaient plusque transports, élans embrasés vers Jésus;elle aurait voulu être comme la cire qui brû-lait sur l'autel, et se consumer pour la gloireet l'amour de son Dieu. Dans cette adoration,son cœur s'unissait au cœur de Jésus, etcherchait là tout ce qui lui manquait pourrendre hommage à la majesté divine. Si ja-

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mais vous avez goûté les émotions de la piété,rappelez à votre esprit ce qui se passait envous, aux jours et aux moments de plusgrande ferveur. Enivré d'une douce joie,votre cœur débordait; vous représentiez auBon Maître votre indignité, vous protestiezde votre dévouement, vous n'aviez pas assezd'admiration, ni de louanges pour l'infiniebonté qui vous comblait de pareilles faveurs.Tous ces sentiments inondaient l'âme deMarguerite; c'était comme son état ordinaire,quand elle se trouvait devant Jésus, au piedde l'autel. De là ce pieux empressement à serendre, dès qu'elle le pouvait, auprès de sonDieu; ces longues heures du jour et de la nuitpassées devant le tabernacle; ces tristesseset ces regrets, quand il fallait, malgré sesdésirs, renoncer à la présence de son Bien-Aimé, caché sous les voiles eucharistiques.Oh! Jésus dans le tabernacle est l'aimantdes âmes saintes, ou pour mieux dire, est lavie de leurs cœurs. Et vous, quels sentimentsvous inspirent la tendresse et les transportsde la Bienheureuse. La faiblesse de votre foi,votre indifférence pour Jésus vous éloignentsouvent de la source de tout bien; dans lescourts instants passés auprès d'elle, votreinsensibilité vous rend incapable d'adorer

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cette Majesté qu'un prodige inouï vous dé-robe, et de correspondre à tant de bonté. De-mandez-vous un compte exact de votre con-duite envers la Sainte Eucharistie, et prenezdes résolutions efficaces.

SECOND POINT. — Marguerite imitatrice dela vie eucharistique cle Jésus. — L'assiduitédes rapports avec une personne tendrementchérie fait passer en nous ses sentiments, sespensées, tout ce qui a excité notre admira-tion. L'amour tend de sa nature à fondre enun seul les deux cœurs qu'il unit. Amepieuse, jugez par là combien Marguerite, donttoutes les pensées étaient pour Jésus, quitoujours soupirait vers lui et passait avec luide si longues heures dans des entretiens sifervents, a dû reproduire le modèle offert àson amour et retracer cette vie eucharistique,irrésistible attrait de son cœur. C'était peupour sa tendresse d'une imitation ordinaire.Éclairée de cette lumière céleste qu'elle rece-vait avec telle abondance, elle méditait la vieeucharistique de Jésus; elle s'efforçait decomprendre quel excès de charité poussait unDieu à se donner tout à nous. Ce présentincomparable de la bonté souveraine lui dé-couvrait tous ses mystères. Elle voyait le

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sacrifice continuel de son Roi, cet état devictime perpétuelle où il demeure, ces voilesqui le couvrent à tous les regards, à ceuxmême des âmes les plus favorisées; cetabaissement profond, cet anéantissement de-vant son Père et devant les hommes; en unmot, tous ces merveilleux exemptes des plushautes vertus, dont resplendit la vie eucha-ristique du Dieu d'amour. Cette connaissanceet cette méditation attentive étaient commeun aiguillon pour Marguerite. Se donner,s'immoler sans réserve, se cacher et s'ense-velir en quelque sorte dans lé cœur de sonBien-Aimé, ne désirer qu'humiliations et mé--pris, c'était là toute sa vie.Ame pieuse, necherchez pas ailleurs le secret de la..saintetéhéroïque, que les méditations précédentesvous ont montrée dans « la disciple» du Sa-cré-Cœur. Son désir ardent de se rendre sem-blable au Dieu de l'Eucharistie, accompagnéde la douceconfiance qui en découle, étaitpour Marguerite une excitation puissante aux

vertus.les plus difficiles. Oh ! croyez-le, il estimpossible de connaître Jésus, et de ne pas,se sentir attiré par les charmes divins quigrillent en. Lui. Si vous songiez plus souventauxexemples admirables,; qu'il vous donnedans la Sainte Eucharistie, tout vous-devien-

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drait plus facile: le recueillement, l'humilitéle sacrifice-, les vertus, en un mot, dont voussentez le plus grand besoin. En terminantcette méditation, excitez en vous un vrai désirde connaître et d'imiter Jésus dans sa vieeucharistique. Priez.

Vertupratique. — Passez aujourd'hui, enadoration devant le tabernacle, tout le tempsque vos forces et les devoirs de votre étatvous permettront d'y passer, et disposez-vousainsi à imiter la vie eucharistique de Jésus.

Lecture spirituelle. — Imitation de Jésus-Christ, liv. 4, ch. 1.

Oraison jaculatoire. -. « Adorabo adtemplum sanctum tuum, et confitebor nominituo, Domine. » Seigneur, je vous adoreraidans votre temple, et je bénirai votre saintnom.

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HUITIÈME JOUR

MARGUERITE CHOISIE POUR PROPAGER

LA DÉVOTION AU SACRÉ CŒUR

Méditation.

Oraison préparatoire. — Comme dans laméditation précédente.

Prernier prélude. — Représentez-vous la13. Marguerite, au pied de l'autel, considé-rant l'amour de Jésus pour les hommes,toute absorbée dans cette pensée; et le DivinSauveur, du fond de son tabernacle, jetantsur elle un regard de complaisance.

Second prélude. — Priez Jésus de vous

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faire pleinement connaître ce qui se passaitdans son Divin cœur et dans le cœur de sa« disciple chérie» pendant qu'il lui révélaitses desseins; et demandez pour vous les mô-mes sentiments.

PREMIER POINT. — Le cœur de Jésus aumoment où il faitchoixdeMarguerite. Lamanifestation de son Cœur Sacré fut, de lapart de Jésus, un complément à tout ce qu'ilavait fait pour le salut du monde. Sa miséri-corde imagina ce nouveau moyen pour obte-nir des hommes une fidèle correspondanceaux poursuites incessantes de sa charité etfaire arriver ainsi jusqu'à eux les trésors,qu'il leur avait mérités sur la croix et qu'iltient spécialement en réserve dans le saintsacrement de l'autel. Considérez, âme pieuse,les sentiments du Cœur Sacré de Jésus, aumoment de cette révélation. Ce sont les sen-timents qui l'avaient animé au premier et audernier instant de sa vie mortelle, quand ils'offrait à son Père. Ce sont les sentiments docette heure suprême où, sur le point de selivrer à ses ennemis et de subir une mortcruelle, il voulut se donner à ses amis dansun sacrement d'amour, et leur préparer ainsiune vie toute divine. Oh! oui, son Cœur pal-

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pite des mêmes désirs, de la même tendresse,des mêmes sollicitudes. A toutes ces émotionss'en joignent d'autres non moins grandes:n'est-ce-pas un don nouveau qu'il va faireaux hommes Enflammé des plus vives ar-deurs, impatient de dévoiler son Cœur, maisblessé de l'ingratitude qu'il rencontre partout,Jésus tourne son regard vers sa « disciplechérie, » à genoux au pied de l'autel, se con-sumant en saints désirs de correspondrepleinement à l'amour de son Dieu. Il remar-que en elle cette pureté, cette délicatesse deconscience qu'effraie l'ombre même de laplus légère faute; il voit le détachement ab-solu, la liberté complète de ce cœur, où lescréatures n'ont plus aucun droit, dont ellesne peuvent surprendre une seule affection:vraiment cette âme n'a qu'une passion, l'a-mour de son Dieu; elle est prête à tout pourplaire à son Dieu. Cette âme généreuse, Jésussentit qu'elle était à lui sans réserve, et il secomplut en elle. Ciel! qui comprendra jamaisce que ressentit alors le divin Cœur? De quel-les délices il fut enivré! avec quelle force l'ar-deur de sa charité le pressait de se communi-quer à sa bien-aimée, de lui découvrir ses se-crets, de lui mettre en main ses pouvoirs. S'ilvous est dorme., âme pieuse, de goûter ces sen-

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timents de votre Dieu, vous aussi, abandon-

nez-vous aux transports d'une sainte joie.Examinez ensuite de quelle manière Jésusfixe les yeux sur vous, quand vous êtes de-vant l'autel. Ce regard est-il un regard deComplaisance? Trouve-t-il en vous cette pu-reté de cœur, ce détachement de la terre, codésir sincère de ne vivre que pour son amour,comme il le souhaite avec tant d'ardeur?Quelle bonté en lui, quelle ingratitude envous! Il veut peut-ôtre se servir de vous pourquelque dessein spécial, et votre infidélité nolui permet pas de vous le manifester. Prenezdes résolutions et priez.

SRCQND POINT. — Le cœur de Marguerite,durant cette manifestation. Renouvelez votreattention, âme pieuse, et considérez la suitedusujet qui vous occupe. Jésusa trouvé un cœurfidèle; son amour ne peut se contenir pluslongtemps. Il se montre à Marguerite parmides flots de lumière céleste, et, lui présentantson Cœur entouré de flammes, couronné d'é-pines, surmonté d'une croix, il lui confiela difficile mission do le faire connaître, aimeret honorer d'un culte public. Efforcez-vousde comprendre les sentiments divers, qui agi-tent l'humble Vierge. Elle chérissait son

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Époux divin; mais, cette fois, la force de satendresse la ravit hors d'elle-même. Jésuslui apparaît avec les marques de la souf-france, sa voix retentit pleine de tristesse;Marguerite partage les douleurs de son Bien-aimé. Les volontés du souverain Maître unefois connues, toutes les puissances de sonêtre se portent à les exécuter; mais à la vuede sa bassesse, de son peu de force pour unetelle mission, elle sesont presque défaillir.—0 mon Dieu, ô mon Tout, s'écrie-t-elle en-fin, vous savez que tout en moi vous appar-tient sans réserve; mais vous savez aussique je suis trop faible pour une si grandeentreprise. Que ne suis-je ce que je devrais!je me mettrais aussitôt à l'œuvre! Mon néantvous est trop connu; je vous en supplie, ré-servez vos faveurs pour de plus dignes, afinqùe votre bonté recueille les fruits, qu'elledésire. — Non, ma fille, répond Jésus; jeveux me servir de ton néant, pour mieuxfaire éclater la force de mon amour. — Con-traste merveilleux! L'humble refus de Mar-guerite transperce le Cœur de Jésus, et de cecœur transpercé jaillit une flamme céleste,quila fortifie et la détermine à suivre lessaintes volontés de son Dieu. L'amour triom-phe; Marguerite se soumet à tout ce qu'il

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exige. Un regard sur- votre propre cœur. Est-il digne des intimes communications du Cœurde Jésus? Dans les visites qu'il reçoit, est-ilassez humble pour se soustraire à la gloire?Est-il docile à l'appel de son Dieu. Pauvrecœur !. Si vous saviez, âme pieuse, user desdons que Jésus vous fait, quand il daignevenir à vous et vous manifester ses desseins!Rappelez vous avec amertume ces longuesoppositions faites à sa tendresse, et réglezvotre conduite pourl'avenir.

Vertu pratique. — Fidélité à recevoir et àmettre en pratique les inspirations de lagrâce.

Lecture spirituelle. — Imitation de Jésus-Christ, liv, 3, chap. 1, 2. 3.

Oraison jaculatoire. — « Domine, quidmevis facere? » Seigneur, que voulez-vous queje fasse?

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NKUVIEM1SJOUR

iM,iH«UERIT!îZÉLATRICEDRLA DÉVOTION

AUSACHÉ-C(EUR

Méditation

Oraison préparatoire. — Comme dans laméditation précédente.

Premier prélude. — Représentez-vous la B.Marguerite au milieu de ses novices, véné-rant avec quelques autres personnes la pre-mière image du Sacré-Cœur.

Second prélude. — Demandez à Jésus decomprendre l'ardeur qu'il répandit dans l'âmede sa bien-aimée, et d'enressentir la forcetoute divine.

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PREMIER POINT. — Zle de Marguerite àpropager.La dévotion aie Sacré-Cœur. — Dèsque Marguerite eut vaincu les répugnancesde son humilité et accepté l'œuvre qui luiétait confiée, rune flamme nouvelle s'allumadans son cœur; son courage allajusqu'àl'hé-roïsme, dans l'accomplissement desa mission.Elle en fit part, tout d'abord, aux personnesqui l'entouraient; l'ardeur et l'onction de sesparoles déterminèrent le premier triomphe del'amour. Mais la tempête ne tarda pas à sedéchaîner. Si les cœurs simples vont à Jésusavec la candeur de l'innocence, d'autres sefont une vertu de se tenir en garde contretoute dévotion nouvelle, et croient servir lacause de Dieu en s'opposant aux essais duzèle, que l'expérience n'a pas consacrés. Unorage terrible éclate donc sur la Bienheu-reuse; la persécution attaque soudain etl'œuvre elle-même et celle qui la propage.Difficultés de toute sorte, soupçons, insultes,mépris; le torrent n'a plus de digue, il seprécipite avec fureur. Rien ne peut ébranlerMarguerite. Fortifiée par la charité desonDieu; elle supporte tout, elle oublie tout, et,morte à tout autre sentiment, elle ne vit quepour son œuvre. Elle s'entretient secrètementavec son Époux des intérêts de son Cœur,

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parle, prie, agit de toutes ses forces pourgagner les autres à sa cause, à la cause deJésus. Jamais de découragements. Les refuset les humiliations lui inspirent plus de con-fiance. Quand elle voit la flampie sainte allu-mée dans un cœur, elle s'efforce de la nour-rir et de la mettre au service de son œuvre.La patience de la Bienheureuse, sa douceurdans les épreuves, unies à l'insinuation laplus persuasive, ne tardèrent pas à, gagnerles personnes les plus rapprochées; l'agréa-ble parfum de cette patience et de cette dou-ceur, que des lettres éloquentes rendaientencore plus efficace, étendit ses conquêtes auloin. Il fallait des miracles; Marguerite lesobtint de son Époux céleste. Les signes exté-rieurs, les images, les livres pouvaient êtred'utiles auxiliaires; son zèle avait mille in-dustries pour s'en procurer ou en faire ré-pandre. Comprenant ce que vaut l'autoritédu Saint-Siège dans l'établissement d'uneœuvre, elle ne négligea rien pour en obtenirl'approbation. Que ne fait pas un cœur dé-voué à Jésus et aux intérêts de sa gloire ! Etvous, âme pieuse, sans doute vous n'avezpas reçu de Jésus une mission semblable;mais pouvez-vous affirmer n'avoir jamaisméconnu la volonté de votre Roi, en ce qui

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regarde votre perfection ou la perfection desautres? Quelle est votre conduite? Avez-voussouci de mener à bon terme les œuvres quevous entreprenez ? Comparez votre cœur aucœur de Marguerite, vos actions à sesactions, votre zèle à son zèle? Quelle diffé-rence! Quelle honte pour vous! Puisse cegrand exemple vous donner un peu d'élan etvous faire accomplir toutes les volontés devotre Époux céleste.

SECOND POINT. — Qualités du zèle de Mar-guerite. — L'immense succès, dont furentcouronnés avecle temps les efforts de Mar-guerite, montra clairement que la propaga-tion de la dévotion au Sacré-Cœur étaitl'œuvre de Dieu. Et pourtant le mérite de laBienheureuse n'en est pas moindre. Jésusvoulut se servir de l'humble vierge; le zèlequ'elle apporta dans sa coopération, l'humblevierge le régla sur le Cœur de son Époux.Ame pieuse, suivez les manifestations de cezèle que vous avez considéré dans le pre-mier point; tâchez d'en pénétrer les qualitésvraiment célestes. Il avait certes toute l'ar-deur de la flamme; mais c'était une ardeurqui savait s'unir à la patience. Son "activitéet son énergie s'alliaient avec une 'douce

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amabilité, jamais elles ne devinrent impor-tunes. Année de patience et d'amabilité,vovezla Bienheureuse s'avancer à la con-quête des cœurs, pour les offrir à son Epoux.Pas de nouvel avantage obtenu sans de nou-veaux sacrifices; chaque triomphe est l'avant-coureur d'humiliations plus grandes et dedouleurs plus vives.Marguerite ne se décon-certe pas; elle souffre, s'anéantit, et, dans laperte complète d'elle-même, trouve la joieineffable devoir le Cœur de son Dieu connuet adoré. Comprenez-vous maintenant cequ'elle déploya de force et de constance auservice d'une gloire si chère? Oui, telles sontles qualités quiaccompagnent un zèle ardentet généreux, quand la patience le soutientcontre les épreuves, quand la douceur le mo-dère et le préserve de l'impétuosité quiépuise. C'est là l'harmonie toute divine, quel'amour de Jésus inspire à ses serviteurs.Ame pieuse, tournez vos regards sur vous-même, voyez quel zèle vous anime! Est-cele zèle de Marguerite ? Ne clierche-t-il queJésus? Sait-il se soutenir àtravers les diffi-cultés et les obstacles? Sait-il se modérerdans les triomphes, que vous ménage parfoisla bonté de votre Dieu ?

Que de pertes dues à vos lâchetés fré-

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quontes! Ah ! votre amour n'est pas sincère,malgré ses mille protestations. Non, non, sa-chez-le bien, ce n'est pas là la conduite d'uneâme qui se croit toute à Jésus. Un regardencore sur le zèle ingénieux, doux, constantde la B. Marguerite; et, si vous sentez votrecœur rempli d'une humble confiance, prenezdes résolutions et priez.

Vertu pratique. — Ne perdez aujourd'huiaucune occasion de faire connaître et aimerJésus.

Lecture spirituelle. — Imitation de Jésus-Christ: liv. 3, ch. 5.

Oraison jaculatoire. - « Cor Jesu, fla-grans amore nostrî, inflamma cor nostrumamore tui. » Cœur très-aimant demon Jésus,faites que je vous aime et que je vous fasseaimer de tous les hommes.

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JOUR DE LA FÊTE.

MARGUERITE CONSOMMÉE PAR L'AMOUR.

Méditation.

Oraison préparcdoire.- Comme dans laméditation précédente.

Pnemier prélude.- Représentez-vouslaB.Marguerite, soit au moment où Jésus lui metdans la poitrine une étincelle du feu qui dé-vore son Cœur Sacré, soit à la dernière heurede son exil, quand sa vie n'est plus qu'unsoupir de l'amour.

Second prÓlude.- Demandez au cœur deJésusla grâce de pénétrer dans le cœur desa« disciple chérie» et d'en rapporter une deces flammes dont l'ardeur la consume.

PREMIER POINT.- Vie consommée par l'a-

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mour.- Lorsque l'amour divin ne rencontrepas d'obstacle, il jette dans l'âme de profon-des racines, il la transforme et la rend sem-blable à la sainteté même de Dieu, dont iltend à reproduire l'image. Examinez mainte-nant quelle dut être son action dans la B.Marguerite. Maître de ce cœur, dès l'âge leplus tendre, son règne y fut à jamais établi,et rien ne put lui' disputer sa conquête. Cefut dans Marguerite comme une émanationtoute puissante du Cœur Sacré de Jésus; ouplutôt les flammes mêmes dont Jésus est con-sumé la consumèrent aussi, du moins àpartir du jour où le divin Maître lui em-brasa le cœur par une étincelle tirée de sonCœur. Heureuse victime de ce feu divin, elleressentait les peines et les joies de son Epoux,l'ardeur de ses transports et l'anxiété de sesdéfaillances.. la vue des offenses et desinjures faites à son divin Roi, une profondeblessure déchirait son cœur, elle gémissait,elle était en proie à un cruel martyre.

En présence de la tendresse qui s'épanchaitr: sur elle avec tant de plénitude, devant les

célestes attraits de son bien-aimé, ellelanguissait éperdue, haletante et ne vivait

i que d'amour. Nulle autre joie pour elle que1 son Dieu. Nul autre désir que d'être sembla-

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ble à son Epoux crucifié. Humiliations, souf-frances de toute sorte, voilà ses seules déli-ces. Sa tendresse embrasse dans une mêmeétreinte et Jésus et la Croix; elle ne sait pointvivre sans Jésus, elle ne sait point vivre sansla Croix; l'amour divin, maître unique deson cœur, lui donne et Jésus et la croix. Etdans quelle mesure possède-t-elle Jésus,quelle est sa part de la croix? Sa part à elle,c'est le Cœur de Jésus, oui, le Cœur de Jésustranspercé, couronné d'épines, crucifié. Telssont les triomphes de l'amour, ainsi il con-somme toute sainteté. L'amour livre le cœurtout entier à Jésus, tout entier à la croix; aucœur il donne en retour tout Jésus, le Cœurmême de Jésus, il donne en retour la croix deJésus. Comprenez bien, âme pieuse, ces opéra.tions suaves de la charité divine. Oh! si vousavez senti jamais ce que c'est qjjp d'être à Jé-sus, si du moins, dans cette méditation, leBonMaître vous a inspiré quelque désir de l'ap-prendre, abandonnez-vous aux flammes dusaint amour, mais sans réserve, avec uneentière libéralité. Demandez courage et forceau Cœur de votre Dieu, suppliez votre Pro-tectrice. De cet effort généreux dépend peut-être le triomphe définitif et éternel de l'amourde Jésus en vous.

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SECOND POINT.- Mort de Marguerite con-sommée par l'amour. — Le triste hiver decette vallée de larmes touchait à sa fin pourMarguerite. Tourterelle plaintive, elle soupi-rait vers son Bien-Aimé, elle brûlaitde voir son Dieu sans voile et face à face,Aucun bruit du monde n'agitait son cœur, ilétait fermé à toute créature; Jésus seul enoccupait tous les replis; seule la voix de Jésuss'y faisait entendre, et cette voix l'invitaitaux ineffables embrassements du ciel. Désor-mais plus d'entraves pour elle; si les liens ducorps ne la retenaient, son âme bénite pren-drait l'essor vers la béatitudeinfinie. L'amoura fini son oeuvre, il ne lui reste plus qu'à bri-ser cette dernière chaîne, et- l'heureuse cap-tive s'envolera en toute liberté. 0 vous quiméditez, entrez une dernière fois dans lecœur de Marguerite. Voyez; le dernier com-bat a été livré, et c'est l'amour qui a vaincu.Après cette victoire, gage assuré du prochaintriomphe, Marguerite est là, sur son lit demort, réjouie dès ici-bas psr un avant-goûtde la félicité, que l'amour lui a préparée dansle ciel. Efforcez-vous de sentir cette pléni-tude de Dieu, où elle est comme submer-gée, ce repos, cette paix, ce ravissement dela plus sublime extase. Elle possède son Bien-

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Aimé; elle sait. et cette certitude l'enivrede bonheur, elle sait qu'elle le posséderatoute l'éternité; elle oublie presque qu'elle estsur la terre, dans un corps mortel. Cepen-dant un voile lui dérobe son Divin Roi; en-core un degré à franchir, pour être pres-sée sur son Cœur et s'unir à lui de l'unionla plus étroite. Marguerite s'élance de toutela force de son amour, cet élan brise enfinles liens, qui, l'attachant au monde sensible,la retenaient loin du ciel. La voilà libre àprésent; elle peut entonner le cantique del'Agneau sans tache et s'enivrer des célestesjoies de son Époux. Admirez le calme, le douxsourire, la céleste beauté resplendissant surce visage inanimé; c'est le calme, c'est lesourire, c'est la beauté de l'amour qui l'a con-sumée, et, après l'avoir sanctifiée, l'a rendueà son Dieu. Toutes les vicissitudes sont finies,les craintes ont disparu; Marguerite s'est dé-robée pour toujours à la triste nécessité dedéplaire à son Dieu. Pour elle, désormais, lespeines sont changées en joies, les espérancesen réalités, les courtes privations de la vieprésente en l'entière et éternelle possessionde la félicité sans mélange.

Son Jésus, son Dieu est tout à elle; et elle,perdue dans le cœur de son boi Maître, elle

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goûte l'ineffable bonheur d'être tout entièreà son amour. Force divine de la tendresse deJésus, irrésistible attrait de l'âme qui as-pire au vrai bien, quand donc mon cœur de-viendra-t-il la proie de tes flammes? Quandte verrai-je consumer en moi ce qui s'opposeà tes ardeurs? Quand me donneras-tu à monDieu? quand me donneras-tu mon Dieu?Voilà, me pieuse, où conduitl'amourde Jésus.Trop heureux qui sait, durant sa vie et à samort., le faire triompher dans son cœur.

Vertu pratique. Aujourd'hui ne refusez riende tout ce que Jésus pourrait vous demanderpour établir son règne dans votre cœur.

Lecture spirituelle. - Imitation de J. C.,liv. 3 ch. 34.

Oraisonjaculatoire. — « Tu mihi solus es,tu mihi satis es» Seigneur, vous êtes monspul bien, vous êtes tout mon bien.

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PETITE COURONNE EN L*HONNEUR-DE LA

B. MARGUERITE MARIE

Deus in adjutorium, etc,

I. Disciple bien-aimée du Sacré-Cœur,vousen qui Jésus a répandu avec tant d'abon-dance ses lumineuses' flammes, vous à quiil a manifesté le prix infini dé son Divin Cœur,et qu'il a embrasée du plusardent amourobtenez-nous, nous vous en conjurons, deconnaître pleinement ce Cœur, et d'être,comme vous, l'heureuse proie de son amour:

Pater noster. — 5 Gloria Patri.Cœur Sacré de Jésus, ayez pitié de nous.Cœur immaculé de Marie, priez pour

nous.B. Marguerite Marie, priez pour nous.

Page 261: Vie de Sainte Marguerite-marie Alacoque

II. Angélique adoratrice du Sacré-Cœur,vous qui n'eûtes d'autre désir que le Dieu del'Eucharistie, qui auriez voulu vous consu-mer devant lui eu respects et en hommages;faites que nous sachions, comme vous, adorerle Cœur de votre Roi, et participer ainsi àl'office et au bonheur des anges.

Pater noster. — 5 GloriaPatri.Cœur sacré etc.

III. Amoureuse victime du Sacré-Cœur,qui n'eûtes d'ardeur que pour les souffranceset les humiliations, d'aspiration que pour lacroix, d'amour que pour votre Dieu crucifié,désirant vivre et mourir immolée dans leCœur de ce Dieu; ah! prenez pitié de notrefaiblesse, obtenez-nous, par votre interces-sion, de comprendre les trésors de la Croix,afin que nous portions, au moins sans mur-mure, la part réservée à chacun de nous, etqu'ainsi semblables à Jésus dans la souffrance,nous le soyons aussi dans la gloire.

Pater noster. — 5 Gloria Patri.Cœur sacré etc.

IV. Apôtre zélée du Sacré-Cœur, vous donttoutes les pensées et les affections furentemployées à le faire connaître, aimer et ho-norer, vous à qui cette grande œuvre coûta

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tant d'efforts; obtenez-nous un zèle semblableau vôtre, apprenez-nous à propager la gloiredu Divin Cœur, donnez-nous quelque partaux promesses faites par votre intermédiaireà tous ceux qui, dévoués à son culte, travail-leraient à le faire connaître et aimer.

Paternoster. — 5 Gloria Patri.Cœur sacré etc.

V. Amante incomparable du Sacré-Cœur,vous, dont l'amour fit, durant votre vie et àvotre mort, une image parfaite du DivinCœur, en vous consumant des ardeurs, quile consument lui-même; demandez pour nousla grâce d'être consumés du même amour;que l'amour de Jésus soutienne seul notrevie, qu'il couronne notre mort d'une gloiresans fin.

Pater noster. — Gloria Patri.Cœur sacré, etc.

PRIÈRE

0 notre toute aimable protectrice, B. Mar-guerite-Marie, heureuse dépositaire des se-crets et des promesses du Sacré-Cœur, et sonapôtre auprès des hommes; nous louons et

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bénissons le Seigneur pour toutes les faveursdont il vous a prévenue, pour toutes les grâ-ces dont il vous a enrichie, et pour la fidèlecorrespondance qu'il a mise en vous.

Vous êtes maintenant tout entière abîméedans le Cœur du Dieuque vous avez tant aimé,sans inquiétude pour vous-même, enivrée debonheur à la source de toute grâce: obtenezdu Cœur Sacré de Jésus qu'il verse sur nousl'abondance de ses bénédictions. Faites quenous suivions ses saints enseignements; quenous retracions dans toute notre vie ses adora-bles vertus; que nous l'honorions comme il ledésire; que sa tendresse trouve en nous unecorrespondance entière, une générosité sans"bornes à réparer nos torts et tous les torts deshommesenversson amour iufini. Obtenez-nousencore. (Chacun détermine ici la grâce par-ticulière qu'il désire).

Et si cette grâce n'est pas conforme à lasainte volonté de Dieu, nous vous en conju-rons, ô notre aimable protectrice, demandezvous-même pour nous ce qui doit le pluscontribuer à la gloire du Divin Cœur et aubien de nos âmes. — Ainsi soit-il.

t. La grâce est répandue sur vos lèvres.Pf C'est pourquoi le Seigneur vous a

bénie pour l'éternité.

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PRIONS

Seigneur Jésus, qui avez, d'une manièreadmirable, révélé à la bienheureuse ViergeMarguerite, les richesses incompréhensiblesde votre Cœur; faites que, par ses mérites età son exemple, vous aimant en tout, et par-dessus tout, nous demeurions éternellementdans ce Divin Cœur: vous qui vivez et ré-gnez dans tous les siècles des siècles.

Ainsi soit-il!Litanies de la B. Marguerite.Seigneur, ayez pitié de nous, etc.B. Marguerite, en qui l'Esprit-Saint faisait

sa résidence.. etc.

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LITANIES

EN L'HONNEUR DE LA BIENHEUREUSE SIKOR

MARGUERITE-MARIEALACOQUE

RELIGIEUSE DE LA VISITATION SAINTE-MARIE DE PARAY

(SAONE-KT-LOIRE)

Décédée en odeur de sainteté le 17 octobre 1690

Béatifiée parS. S. Pie IX, le 18 septembre 1864

Kyrie eleison.

Christe, eleison.Kyrie, eleison.Jesu, audi nos.Jesu, exaudi nos.Pater deecelis,Deu,,,

miserere nobis.Fili,lledf1mptor,mundi,Deus,miseierenobis.

Spiritussanct ,Deusmiserere nobis.

SanctaTl'inita,unusDeus,mis.nobis.

B. M. M. SacrumSpiritussanctiha-bitaculum, ora.

B. M. M. devota Cor-disJesuvictima,o.

SEIGNEUR, ayez pitié denous

Jésus, ayez pitié de n.Seigneur, ayez pitié de n.Jésus, écoutez-nous.Jésus, exaucez-nous.Père céleste, qui êtes

Dieu, ayez pitié de n.Fils, Rédempteur du

monde, qui êtes Dieu,ayez pitié de nous.

Esprit Saint, qui êtesDieu, ayez pitié de n.

Trinité sainte, qui êtes unseul Dieu,ay.pitiéden.

B. M. M. en qui l'Esprit-Saint faisait sa rési-dence, priez pour nous.

B. M. M. Victime dévouéeau Cœur de Jésus, priez.

Page 266: Vie de Sainte Marguerite-marie Alacoque

B M. M. dont le cœur aété changé en celui deJésus, priez pour nous.

B M M. Paradis duCœur de Jésus, p. p.n.

B. M. M. qui avez reçupour dot le Cœur deJésus priez pour nous

B M. M. qui avez étéinséparablementunieauCœur de Jésus, priez.

B. M. M. qui avez illustrél'ordre de la Visitationpar la dévotion au Sa-cré-Cœur de Jésus, pr.pour nous.

B. M. M. qui avez eu leprécieux avantage de.vous reposer sur leCœur de Jésus, pr. p. n.B. M. M. qui avez parfai-tement imité la, douceuretl'humilitédu Cœur deJésus, priez pour nous.

B M.M.quiavez mis endépôt vos plus riches

trésors dans le Cœur deJésus, priez pour nous.

B. M.M qui avez établivotre demeure dans leCœur de Jésus, priezpour nous.

B. M.M. qui avez été leschers délices du Cœurde Jésus, priez pour n.B. M. M. chaste Colombe,qui avez fait votre niddans le Cœur de Jésus,priez pour nous.B. M. M. qui, animée de

B. M. M. cujus corin Cor Jesu muta-tumest, ora.

B. M. M. ParadisusCordisJesu, ora.

B. M. M. Corde Jesudotata, ora.

B M. M tota cumCorde Jesuconglu-tinata, ora.

B. M. M. Honorhu-jusce ordinis cultusacratissimiCordisJesu, ora.

B. M. M. qui supraCor Domini recu-buisti, ora.

B.M.M.dulcediniset humilitatis Cor-dis Jesu imitatrix,

ora.B. M. M. cujus om-

nesthesaurietdivi-dée fuerunt inCorde Jesu, ora.

B. M. M. qui inCorde Jesu domi-cilium tuum po-suisti. ora.

B. M. M. carae deli-ciae Cordis Jesu o.

B. M. M. casta Co-lumbanidificansinCorde Christi,ora.

B. M. M. qui Dilecto

Page 267: Vie de Sainte Marguerite-marie Alacoque

uio jugiteradhæ-rebas, et unus spi-rituscumillo,o.

B.M.M.Sponaelec-ta,humilitatisA-byssus, jugisobe-dientireVictima.o.

B.M.M.eujusvitaabsionditacumChristoinDeo,o.

B. M. M. Christocrucifixocrucicon-fixa, ora.B.M.M.Ancillah-delisChristi,ora.

B.AI.M-dilectaaRegina Cœli; ora.

B. M. M- dono pro-phetiœillustrata.o.

B. M. M. omniumdesolatorumCon-solatrix, ora.

B. 1.M,vera ImagoCordisChristior.

B. M.M.Zelatrixanimarumsalutis,orapronobis.

Agnus Dei,quitollispeccata mundi,parce nobis, Dom.

AgnusDei,(luitollispeccata mundi,exaudi nos, Dom.

Agnus Dei,qui tollispeccata mundi,miserere nobis.Ant.Odivinissima

ChristiSponsa,quam

l'Esprit de Jésus, nesoupirez que pour ceBien aimé, priez p. n.

B. M. M. Epouse choisie,Ahîme d'humilité, Vic-time d'une continuelleobéissance, priez p. n.

B. M. M. qui, agissant deconcertavecJésus,aveztoujours caché votrevie en Dieu, priez p. n.

B. M. M. qui avez été at-tachée à la croix avecJésus crucifié, priez.

B. M M. fidèle servantedu Sauveur, priez p. n.

B. M. M. aimée tendre-ment de la Reine duCiel, priez pour nous.

B. M. M. favorisée du donde prophétie, priezp. n.

B. M. M. Consolatricedetous les affligés, priez,

B. M. M. Image vivantedu Cœur de Jésus, pr.

B. M. M. ô vous, qui n'a-vez rien eu tant à cœurque le salut des âmes, pr.

Agneau de Dieu qui effa-cez les péchés du mon-de, pardonnez-nous, S.

Agneau de Dieu, qui effa-cez les péchés du mon-de, exaucez-nous, Seig.

Agneau de Dieu, qui effa-cez les péchés du mon-de, ayez pitié de nous.Ant.OtrèsdigneEpouse

de Jésus, qui avez été

Page 268: Vie de Sainte Marguerite-marie Alacoque

éclairée du don de pro-phétie, honorée de la cou-ronne desVierges, embra-sée du feu de l'amourdivin.f.Priez pour nous,bienheureuse vierge Mar-guerite-Marie;

Afin que nous soyonsrendus dignes del'amourdu Cœur de Jésus, et desbiens qu'il a promis.

PRIONS0 Dieu qui avez prisplaisir à vous préparerune demeure dans le cœurtrès pur de la B. Margue-rite Marie, vous voyez lenôtre souillé des tâcheshonteuses du péché; dai-gnez les effacer par lesmérites et par l'interces-sion de cette Vierge, quivous a été toujours trèschère, afin qu'il ait aussile bonheur de recevoirvotre divine majesté. C'estla grâce que nous vousdemandons par N. S. J.-C.Ainsi soit-il.

lux prophétisé illus-travit, laurea Virgi-num coronavit, divi-nis amoiis incendioconsummavit.f.Orapronobis,Beata Margarita-Maria;

I1.Utdigriiefficia-mur amore CordisJesu,etpromissioni-busejus.

OREMUSDEUS, qui in pu-

rissimo corde BeatæMargaritoe - MarireVirginis tufe jucun-dam tibi habitatio-nem prreparasti,ej usmeritis, et interces-sione, cordis nostrimaculas clementerabsterge, ut dignadivinœmajestatistuœhabitatioefficimereatur. Per Chris-tum Djminum nos-t-fum. Amea,

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PRIÈRES

DURANT

LA SAINTE MESSE

La Messe est de toutes les actions du christianisme,la plus glorieuse à Dieu et la plus utile au salut del'homme. Jésus-Christ y renouvelle le grand mystèrede la Rédemption; il s'y fait encore, dans un vrai sacri-fice, quoique non sanglant, notre victime, et vient enpersonne nous appliquer à chacun en particulier les mé-rites de ce sang adorable qu'il a répandu pour nous toussur la croix. Cela doit inspirer une haute idée de lasainte Messe, et faire souhaiter de la bien entendre; cary assister avec irrévérence, volontairement distrait,sans modestie, sans retenir ses yeux, sans attention,sans respect, c'est renouveler, autant qu'il est en soi,les opprobres du Calvaire, et déshonorer sa religion.

Pouréviter unsi grand malheur, il fautyassisteravecdes dispositions chrétiennes; prendre l'esprit de Jésus-Christ, s'offrir avec luiet commelui; entrer d'aborddansl'église pénétré d'un saintrespect; s'ytenir dansunemo-destie et un recueillement que rien ne soit capable detroubler; et, pendant tout le sacrifice, n'avoir d'imagi-nation, d'esprit, de cœur etde sentimentquepourhono-rer Dieu, et songer aux intérêts de son âme.

Comme les prières gnivantes sont trop courtes pourune Messe haute, on y a joint des réflexions pratiquesintérieures, dont on pourra se servir utilement pendanttout le temps que l'on aurade reste.

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Prière avant la sainte Messe, pour se dispo-ser à la bien entendre.

Je me présenta, ô mon adorable Sauveur,devant les saints autels, pour assister à votredivin sacrifice. Daignez, ô mon Dieu, m'en ap-pliquer tout le fruit que vous souhaitez quej'en retire, et suppléez aux dispositionsqui memanquent.

Disposez mon cœur aux doux effets de votrebonté; fixez mes sens, réglez mon esprit, pu-rifiez mon âme, effacez par votre sang tousles péchés dont vous voyez que je suis coupa-ble; oubliez-les tous, ô Dieu de miséricorde;je les déteste pour l'amour de vous, je vous endemande très-humblement pardon, pardon-nant moi-même de bon cœur à tous ceux quiauraient pu m'offenser. Faites, ô mon douxJésus, qu'unissant mes intentions aux vôtres,je me sacrifie tout à vous comme vous voussacrifiez entièrement pour moi. Ainsi soit-il.

COMMENCEMENT DE LA MESSE.

Au nom duPére, et du Fils, et du Saint-Esprit.Ainsi soit-il.

C'est en votre nom, adorable Trinité, c'estpour vous rendre l'honneur et les homma-

Page 271: Vie de Sainte Marguerite-marie Alacoque

ges qui vous sont dus, que j'assiste au très-saint et très-auguste sacrifice.

Permettez-moi, divin Sauveur, de m'unird'intention au ministre de vos autels, pouroffrir la précieuse victime de mon salut, etdonnez-moi les sentiments que j'aurais duavoir sur le Calvaire, si j'avais assisté ausacrifice sanglant de votre passion.

CONFITEOR

Repassez dans l'amertume de votre cœur les péchésque vous avez commis. Rappelez en gros et confusé-ment ceux qui vous humilient davantage. Exposez àDieu vos faiblesses ; priez-le qu'il vous les pardonne, etque l'abîme de vos misères attire sur vous, dans ce sa-crifice, l'abîme de ses miséricordes.

Je m'accuse devant vous, ô mon Dieu, detous les péchés dont je suis coupable. Je m'enaccuse on présence de Marie, la plus pure detoutes les vierges, de tous les saints, et detous les fidèles, parce que j'ai péché en penséesen paroles, en actions, en omissions; par mafaute, oui, par ma faute, et par ma très-grande faute. C'est pourquoi je conjure latrès-sainte Vierge et tous les saints de vouloirbien intercéder pour moi.

Seigneur, écoutez favorablement ma prière,et accordez-moi l'indulgence, l'absolution et larémission de tous mes péchés.

Page 272: Vie de Sainte Marguerite-marie Alacoque

KYRIE, ELEISON

Entretenez-vousdans un doux sentiment de confianceen la bonté de Dieu, qui, vous permet.ant d'employerunmoyen aussi efficace que celui-ci pour lui demander lagrâce de votre réconciliation, vous donne en mêmetemps un gage assuré que vous pourrez l'obtenir.

Divin Créateur de nos âmes, ayez pitié del'ouvrage de vos mains; Père miséricordieux,faites miséricordeà vos enfants.

Auteur de notre salut, immolé pour nous,appliquez-nous les mérites de votre mort etde votre précieux sang.

Aimable Sauveur, doux Jésus, ayez com-passion de nos misères, pardonnez-nous nospéchés.

GLORIA IN EXCELSIS

Concevez un grand désir de procurer à Dieu toute lagloire, et au prochain tout le bien que vouspourrez. Ré-jouissez-vous avec les Anges de la part que vous avezà la connaissance des saints mystères. Remplissez-vousdes hautes et magnifiques idées de la majesté de Dieu,et de Jésus-Christ son Fils.

Gloire à Dieu dans le ciel, et paix sur laterre aux hommes de bonne volonté. Nousvous louons, Seigneur, nous vous bénissons,nous vous adorons, nous vous glorifions, nousvous rendons de très-humbles actions de grâ-ces, dans la vue de votre grande gloire, vousqui êtes le Seigneur, le souverain Monarque,

Page 273: Vie de Sainte Marguerite-marie Alacoque

le Très-Haut, le seul vrai Dieu, le Père toutpuissant.

Adorable Jésus, fils unique du Père, Dieuet Seigneur de toutes choses, Agneau envoyéde Dieu pour effacer les péchés du monde,ayez pitié de nous, et, du haut du ciel où vousrégnez avec votre Père, jetez un regard decompassion sur nous. Sauvez-nous, vous êtesle seul qui le puissiez, Seigneur Jésus, parceque vous êtes le seul infiniment saint, infini-ment puissant, infiniment adorable, avec leSaint-Esprit, dans la gloire du Père. Ainsisoit-il.

ORAISON.

Accordez-nous, Seigneur, par l'intercessionde la sainte Vierge et des saints que noushonorons, toutes les grâces que votre minis-tre vous demande pour lui et pour nous. M'u-nissant à lui, je vous fais la même prièrepour ceux et pour celles pour qui je suis obli-gé"de prier, et je vous demande, Seigneur,pour eux et pour moi, tous les secours quevoussavez nous être nécessaires afin d'obtenir lavie éternelle au nom de J -C N S Ainsisoit-il.

ÉPÎTRETransportez-vous en esprit au temps des Patriarches

et des Prophètes, quine soupiraient qu'après le Messie;

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entrez dans leurs empressements, formez leurs désirs,irenez les sentimentsqu'ils eurent alors; vous attendezle même Sauveur, et, plus heureux qu'eux, vous levoyez.

Mon Dieu, vous m'avez appelé à la connais-sance de votre sainte loi, préférablement àtant de peuples qui vivent dans l'ignorancede vos mystères. Je l'accepte de tout moncœur, cette divine loi, et j'écoute avec respectles oracles sacrés que vous avez prononcéspar la bouche de vos Prophètes. Je les révèreavec toute la soumission qui est due à la pa-roled'un Dieu, et j'en vois l'accomplissementavec toute la joie de mon âme.

Que n'ai-je pour vous, ô monDieu, un cœursemblable à celui des saints de votre ancienTestament! Que ne puis-je vous désirer avecl'ardeurdes Patriarches, vousconnaitreet vousrévérer comme les Prophètes, vous aimer etm'attacher uniquement à vous comme lesApôtres!

ÉVANGILE

Regardez l'Évangile que vous allez entendre commela règle de votre foi et de vos mœurs; règle que Jésus-Christ lui-même vous a tracée, et que vous avez pro-mis de suivre par les engagements du baptême; règleque vous observez mal, et sur laquelle vous serez jugésans adoucissement et sans appel

Ce ne sont plus, ô mon Dieu, les Prophètesni les Apôtres qui vont m'instruire de mes de-

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voirs: c'est votre Fils unique, c'est sa paroleque je vais entendre. Mais, hélas! que meservira d'avoir cru que c'est votre parole Sei-

gneur Jésus, si je n'agis pas conformément àma croyance? Que me servira, lorsque je pa-raîtrai devant vous, d'avoir eu la foi, sans lemérite de la charité et des bonnes œuvres?

Je crois, et je vis comme si je ne croyaispas, ou comme si je croyais un Evangile con-traire au vôtre. Me me jugez pas, ô mon,Dieu, sur cette opposition perpétuelle que jemets entre vos maximes et ma conduite. Jecrois, mais inspirez-moi le courage et la forcede pratiquer ce que je crois. A vous Seigneur,en reviendra toute la gloire.

CREDO

Affermissez ici votre foi. Tout ce que l'Église proposeàvotre croyance est fondé sur la parole de Dieu, annon-céa par les Prophètes, révélée dans les Ecritures, dé-clarée par les miracles, vérifiée par l'établissement dela foi, confirmée par les Martyrs, et rendue sensible parla sainteté de notre religion, et par le solide consente-ment de ceux qui la professent avec fidélité.

•Je crois en un seul Dieu, Père tout-puissant,

qui a fait le ciel et la terre, les choses visibleset invisibles; en un Seigneur Jésus-Christ,Fils unique de Dieu, né de Dieu son Père avanttous les siècles: Dieu de Dieu, lumière delumière, vrai Dieu du vrai Dieu; engendré et

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non créé, consubstantiel à son Père, et par quitout a été fait. Qui est descendu du ciel pourl'amour de nous et pour notre salut: qui s'estincarné, par l'opération du Saint-Esprit, dansle sein de la Vierge Marie, et qui s'est faithomme. Je crois aussi que Jésus-Christ a étécrucifié pour l'amour de nous sous Ponce-Pilate; qu'il a souffert la mort, et qu'il a étéenseveli; qu'il est ressuscité le troisièmejoursuivant les Ecritures, qu'il est monté au ciel,et qu'il est assis à la droite de son Père; qu'ilviendra encore une fois sur la terre avecgloire pour juger les vivants et les morts etque son règne n'aura point de fin.

Je crois au Saint-Esprit, Seigneur et vivi-fiant, qui procède du Père et du Fils, qui estadoré et glorifié avec le Père et le Fils, etqui a parlé par les prophètes. Je crois quel'Eglise est une, sainte, catholique et apos-tolique; je confesse qu'ily a un baptême pourla rémission des péchés, et j'attends la résur-rection des mort?, et la vie du siècle à venir.Ainsi soit-il.

OFFERTOIRE

Songez au bonheur inconcevable que vous avez detrouver dans ce sacrifice de quoi honorer parfaitementDieu, le remercier d'une manière qui égale ses dons,cffacer entièrement vos péchés, et obtenir, tant pour

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vous que pour les autres, toutes les grâces dont vousavez besoin; et mettez à profit tous les précieux mo-ments de cet inestimable bonheur.

Père Infiniment saint, Dieu tout-puissant etéternel, quelque indigne que je sois de paraî-tre devant vous, j'ose vous présenter cettehostie par les mains du Prêtre, avec l'inten-tion qu'a eue Jésus-Christ mon sauveurlorsqu'il institua ce sacrifice, et qu'il a encoreau moment où il s'immole ici pour moi.

Je vous l'offre pour reconnaître votre sou-verain domaine sur moi et sur toutes lescréatures. Je vous l'offre pour l'expiation demes péchés et en actions de grâces de tous lesbienfaits dont vous m'avez comblé.

Je vous l'offre enfin, mon Dieu, cet augustesacrifice, afin d'obtenir de votre infinie bontépour moi, pour mes parents, pour mes bien-faiteurs, mes amis, et mes ennemis, ces grâcesprécieuses du salut qui ne peuvent être accor-dées à un pécheur qu'en vue des mérites decelui qui est le 'Juste par excellence, et quis'est fait victime de propitiation pourtous.

Mais, en vous offrant cette adorable victimeje vous recommande, ô mon Dieu, toute l'Eglisecatholique, notre saint Père le Pape, notreÉvêque, les pasteur des âmes, nos supérieurs

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spirituels et temporels, les princes chrétienset tous les peuples qui croient en vous.

Souvenez-vous aussi, Seigneur, des fidèlestrépassés; et, en considération des méritesde votre Fils, donnez-leur un lieu de rafraî-chissement, de lumière et de paix.

N'oubliez pas, mon Dieu, vos ennemis etles miens; ayez pitié de tous les infidèles, deshérétiques et de tous les pécheurs. Comblezde bénédictions ceuxqui me persécutent, etpardonnez-moi mes péchés, comme je leurpardonne tout le mal qu'ils me font ou qu'ilsvoudraient me faire. Ainsi soit-il.

PRÉFACE

Elevez-vous en esprit dans le ciel, jusqu'au pied dutrône de la Divillité. Là, pénétré d'une sainte et respec-tueuse crainte, à la vue de cette éclatante majesté, ren-dez-lui vos hommages, et mêlez vos louanges aux cé-le-ites cantiques des Anges et des Chérubins qui l'envi-ronnent.

Voici l'heureux moment oùle Roides Angeset des hommes va paraître. Seigneur, rem-plissez-moi de votre esprit; que mon cœur,dégagé de la terre, ne pensequ'à vous. Quelleobligation n'ai-je pas de vous bénir et de vouslouer en tout temps et en tout lieu, Dieu duciel et de la terre, maîtra infiniment grand,Père tout-puissant et éternel !

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Rien n'est plus juste, rien n'est plus avan-tageux que de nous uniràJésus-Christ pourvous adorer continuellement. C'est par lui

que tous les esprits bienheureux rendent leursilOmmages à votre majesté; c'est par lui quetoutes les Vertus du ciel, saisies d'une frayeurrespectueuse, s'unissent pour vous glorifier.Souffrez, Seigneur, que nous joignions nosfaibles louanges à celles de ces saintes intelli-gences, et que, de concert avec elles; nousdisions dans un transport de joie et d'admi-ration:

SANCTUS

Saint, Saint, Saint, est le Seigneur, Dieudes armées! Tous l'univers est rempli de sagloire. Que les bienheureux le bénissent dansle ciel. Béni soit celui qui vient sur la terre,Dieu et Seigneur comme celui qui l'envoie.

CANON

Représentez-vous l'autel sur lequel Jésus-Christvaserendre, comme le trône de sa miséricorde, où vousavezdroit de vous présenter pour exposer tous vos besoins,pour demander et pour obtenir. Dieu, qui nous donneson propre Fils, peut-il nous refuser quelque chose?

Nousvous conjurons, au nom deJésus-Christ,votre Fils et notre Seigneur, ô Père infini-ment miséricordieux, d'avoir pour agréable

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et de bénir l'offrande que nous vous présen-tons, afin qu'il vous plaise de conserver, de dé-fendre et de gouverner votre sainte Églisecatholique, avec tous les membres qui la com-posent: le Pape, notre Évêque, et généra-lement tous ceux qui font profession de votresainte foi.

Nous vous recommandons en particulier,Seigneur, ceux pour qui la justice, la recon-naissance et la charité nous obligent de prier;tous ceux qui sont présents à cet adorable sa-crifice, et singulièrement N*** et N*** Etafin, grand Dieu, que nos hommages voussoient plus agréables, nous nous unissons àla glorieuse Marie, toujours vierge, mère denotre Dieu et Seigneur Jésus-Christ, à tousvos Apôtres, et à tous les bienheureux Mar-tyrs, et à tous les saints, qui composent avecnous une même Église.

Que n'ai-je, en ce moment, ô mon Dieu, lesdésirs enflammés avec lesquels les saint Pa-triarches souhaitaient la venue du Messie!Que n'ai-je leur foi et leur amour! Venez,Seigneur Jésus, venez, aimable Réparateurdu monde, venez accomplir un mystère quiest l'abrégé de toutes vos merveilles. Il vientcet Agneau de Dieu; voici l'adorable victimepar qui tous les péchés du monde sont effacés

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ÉLÉVATION

Voilà -votre Dieu, votre Sauveur et votre Juge. Soyezquelque temps dansle silence, comme saisi d'admirationà la vue de ce qui se passe sur l'autel. Rappelez toutevotre ferveur, et livrez-vous à tous les sentiments quele respect, a confiance et la crainte sont capables d'ins-pirer.

Verbe incarné, divin Jésus, vrai Dieu etvrai homme, je crois que vous êtes ici pré-sent; je vous y adore avec humilité, je vousaime de tout mon cœur; et, comme vous yvenez pour l'amour de moi, je me consacreentièrement à vous.

J'adore ce sang précieux que vous avez ré-pandu pour tous les hommes; et j'espère, ô

mon Dieu, que vous ne l'aurez pas versé inu-tilement pour moi. Faites-moi la grâce dem'en appliquer les mérites. Je vous offre lemien, aimable Jésus, en reconnaissance decette charité infinie que vous avez eue dedonner le vôtre pour l'amour de moi.

SUITE DU CANON

Contemplez affectueusementvotre Sauveur sur l'autel.Méditez les mystères qu'il y renouvelle. Unissez le sa--crifice de votre cœur à celui de son corps. Offrez-le àDieu son Père; suppliez-le d'accepter les prières que cecher Fils lui fait pourvous, etpriez vous-même pourles autres.

Quelles seraient donc désormais ma malice

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et mon ingratitude, si, après avoir vu ce queje vois, je conseillais à vous offenser? Non,nom Dieu, je n'oublieraijamais ce que vousme représentez par cette auguste céremonie;les souffrances de votre Passion, la gloire devotre Résurrection, votre corps tout déchiré,réellement présent à mes yeux sur cet autel.

C'est maintenant, éternellemajesté, quenous vous offrons de votre grâce véritable-ment et proprement la victime pure, sanstache, s'il vous a plu de nous donner vous-même, et dont toutes les autres n'étaient quela figure. Oui, grand Dieu, nous osons vousledire, il y a ici plus que tous les sacrificesd'Abel, d'Abraham et de Melchisédech, laseule victime digne de votre autel, notre Sei-gneur Jésus-Christ votre Fils, l'unique objet,de vos éternelles complaisances.

Que tousceuxqui participent ici de la boucheou du cœur à cette victime sacrée, soientremplis de sa bénédiction.

Que cette bénédiction se répande, 6 monDieu, sur les âmes des fidèles qui sont mortsdansla paix de1*l-2gli.se, etsurl'âme de N"" et de A7***.Accordez-leur, Sei-gneur, en vertu de ce sacrifice, la délivranceentière de leurs peines.

Daignez nous accorder aussi un jour cette

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grâce à nous-mêmes,Pèreinfiniment bon,et faites-nous entrer en société avec les saintsApôtres, les saints Martyrs, et tous les sainlsafin que nous puissions vous aimer et vousglorifier éternellement avec eux. Ainsi-soit-il.

PATER NOSTER

Nous voici avec Jésus sur un nouveau Calvaire. Te-nons-nous au pied de sa croixavec une tendre compas-sion, comme Madeleine; avec un amour fidèle, commesaint Jean; avec l'espérance de le voir un jour dans sagloire, comme les autres diseiples, Reajardons-le quel-quefois de loin, et pleurons nos péchés avec saintPierre.

QUE je suisheureux, ô mon Dieu, de vousavoir pour Père! que j'ai de joie de songerque le ciel où vous êtes doit être un jour mademeure! Que votre saint nom soit glorifiépar toute la terre. Régnez absolument surtous les cœurs et sur toutes les volontés. Nerefusez pas à vos enfants la nourriture spiri-tuelle et corporelle. Nous pardonnons de bon

cœur; pardonnez-nous. Soutenez-nous dansles tentations et dans les maux de cette mi-sérable vie; mais préservez-nous du péché,le plus grand de tous les maux. Ainsi soit-il.

AGNUS DEI

Dieu, qui est si glorieux dans le ciel, si puissant surlaterre, siterrible dans lesenfers, n'est iciqu'un Agneauplein de douceur et de bonté. Il y vient pour effacer ies

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péchés du monde, et en particulier les vôtres. Quel mo-tif de confiance!quel suj et de consolation!

AGNEAU de Dieu, immolé pour moi, ayezpitié de moi. Victime adorable de mon salut,sauvez-moi. Divin médiateur, obtenez-moima grâce auprès de votre Père, donnez-moivotre paix.

COMMUNION

Pour communier spirituellement, renouvelez par unacte de foi le sentiment que vous avez de la présencede Jésus-Christ; formez un acte de contrition, excitezdans votre cœur un désir ardent de le recevoir avec lePrêtre; priez-le qu'il agrée ce désir, et qu'il s'unisse àvous, en vouscommuniquantses grâces.

Si vous voulezcommunier sacramentellement, servez.vous ici des prièresavant la communion,ci-après,p. 62.

QU'IL me serait doux, ô mon aimable Sau-veur, d'être du nombre de ces heureux chré-tiens à qui la pureté de conscience et unetendre piété permettent d'approcher tous lesjours de votre sainte table!

Quel avantage pour moi, si je pouvais ence moment vous posséder dans mon cœur,vous y rendre mes hommages, vous y expo-ser mes besoins, et participer aux grâcesque vous faites à ceux qui vous reçoiventréellement! Mais, puisque j'en suis très in-digne, suppléez, ô mon Dieu, à l'indispositionde mon âms. Pardonnez-moi tous mes péchés,

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je les déteste de tout mon cœur, parce qu'ilsvous déplaisent. Recevez le désir sincère quej'ai de m'unir à vous. Purifiez-moi d'un seulde vos regards, et mettez-moi en état devous bien recevoir au plus tôt.

En attendant cet heureux jour, je vousconjure, Seigneur, de me faire participeraux fruits que la communion du Prêtre doitproduire en tout le peuple fidèle qui est pré-sent à ce sacrifice. Augmentez ma foi par lavertu de ce divin sacrement, fortifiez monespérance, épurez en moi la charité, remplis-sez mon cœur de votre amour, afin qu'il nerespire plus que pour vous, et qu'il ne viveplus que pour vous. Ainsi boit-il.

DERNIÈRES ORAISONS

Efforees-vous de rendre au Sauveur sacrifice pour sa-crifice, en devenant la victime de son amour, en lui im-molant toutes les recherches de l'amour-propre, toutesles attentions durespecthumain,toutesles répugnanceset toutes les inclinations qui ne s'accordent pas avecl'accomplissement de vos devoirs.

Vous venez, ô mon Dieu, de vous immoler'pour mon salut, je veux me sacrifier pourvotre gloire. Je suis votre victime, ne m'é-pargnez point. J'accepte de bon cœur toutesles croix qu'il vous plaira de m'envoyer, jeles bénis, je les reçois de votre main, et jeles unis à la vôtre.

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Me voici purifié par vos. saints mystères,je fuirai avechorreur les moindres taches dupéché, surtout de celui où mon penchantm'entraîne avec plus de violence. Je seraifidèle à votre.loi, et je suisrésolu de toutperdre et de tout souffrir, plutôt que. de lavioler.

BÉNÉDICTION

BÉNISSEZ, ô mon Dieu, ces saintes résolu-tions, bénissez-nous tous par la main de vo-tre ministre, et que les effets de votre béné-diction demeurent éternellement sur nous.Au nom du Père, du Fils, et du Saint-Es-prit. Ainsi soit-il.

DERNIER ÉVANGILE.

VERBEdivin, Filsunique du Père, lumièredu monde venue du ciel pour nous en mon-trer le chemin, ne permettez pas que je res-semble à ce peuple infidèle qui a refusé devous reconnaître pour le Messie. Ne souffrezpas que je tombe dans le même aveuglementque ces malheureux, qui ont mieux aimé de-venir esclaves de Satan, que d'avoir part àla glorieuse adoptiond'enfants de Dieu, quevous veniez leur procurer.

Verbe fait chair, je vous adore avec leres-

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pect le plus profond; jemets toute ma con-fiance en vous seul, espérant- fermement que.puisquevous êtes mon Dieu, et un Dieu quis'est fait homme afin de sauver les hommes,vous m'accorderez lesgrâcesnécessairespour me sanctifier, et vous posséder éternel-lement dans le ciel.Ainsisoit-il.

Ne sortez point de l'église sans avoir témoigné votrereconnaissance pour toutes lesgrâcesque Dieu vous afaites dans ce sacrifice. Conservez eu précieusement lefruit, et faitesqu'on demeure convaincu, en vousvoyant,que vous avez profité de la mort et de l'immolation d'unDieu sauveur.

Prière aprèslusuinte Messe.

SEIGNEUR, je vous remerciedela grâcequevous m'avez faite, en me permettant d'as-sister aujourd'hui au sacrifice de la sainteMesse,préférablement à tant d'autres quin'ont pas eu le même bonheur; et jevousdemande pardon de toutes les fautes que j'aicommises par la dissipation etla langueuroù je me suis laissé aller en votre présence.Que ce sacrifice, ô mon Dieu, me purifie pourle passé et me fortifie pour l'avenir.

Je vais présentement avec confiance auxoccupations où votre volonté m'appelle. Jeme souviendrai toute cette journée de la

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grâce que vous venez de me faire, et je tâ-cherai de no laisser échapper aucune parole,aucune action, de ne former aucun désir niaucune pensée qui me tasse perdre le fruitde la Messe que je viens d'entendre. C'est ceque je me propose, avec le secours de votresainte grâce. Ainsi soit-il.

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TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE PAGES

Au lecteur.I. Prévenances de Jésus pour Margue-

rite durant ses premières années. 1II. Combats et triomphes pour entrer

en religion. 19III. Paray et la novice. 44IV. La profession. — Premières mani-

festations du Sacré-Cœur.,. 57V. La victime du Sacré-Cœur préparée

par l'amour 76VI. L'immolation. — Le P. de la Co-lombière. 97VII. Testament.- La dévotion au Sacré-Cœur. 115VIII. Premiers hommages rendus au Sa-

cré-Cœur.—Souffrancesetfaveurs. 132-IX. Dernières années.- Chapelle du Sa-

-cré-Coe,ur 147X. Sainte mort de Marguerite. 164

Bref de béatification. 175

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