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Dossier ObjectifSOINS & MANAGEMENT - N° - Août / Septembre faire, réseaux...) ; le vouloir agir qui se réfère à la motivation et à l’engagement personnel de l’in- dividu ; le pouvoir agir qui renvoie à l’existence d’un contexte, d’une organisation du travail, de condi- tions sociales qui rendent possi- bles et légitimes la prise de res- ponsabilité et la prise de risque de l’individu » (3) . Nous pensons qu’un apprentissage par projet est une méthodologie pédago- gique pertinente permettant de concilier ces trois facteurs et répondre ainsi à l’objectif de l’UE de développer chez l’étudiant la capacité à analyser et à élaborer une démarche éducative. Pour Jean Proulx, l’apprentissage par projet est « un processus sys- tématique d’acquisition et de transfert de connaissances au cours duquel l’apprenant anticipe, planifie et réalise, dans un temps déterminé, seul ou avec des pairs et sous la supervision d’un ensei- gnant, une activité observable qui résulte, dans un contexte pédagogique, en un produit fini évaluable » (4) . Il s’agit donc d’un contexte propice à l’acquisition de compétences. À travers la démarche de projet nous souhaitons que les étudiants puissent : développer des savoirs, voire des compétences, transférables dans plusieurs domaines de l’ac- tivité professionnelle infirmière ; développer l’esprit de coopéra- tion ; trouver une motivation à apprendre ; renforcer l’identité personnelle et collective ; développer l’autonomie, la capa- cité à négocier des choix ; assumer des engagements et des responsabilités. Dans un apprentissage par projet, il faut donc que l’étudiant « se professionnelles. Un apprentissage par projet répond bien, ainsi, à l’objectif du référentiel de forma- tion en soins infirmiers. En tant que formateurs garants de l’apprentissage, et confrontés à des contraintes organisation- nelles, nous avons au préalable réfléchi les grandes lignes du pro- jet et anticipé quelques points d’étapes pour jalonner le parcours des étudiants. Un regard sur la conception et la construction de la démarche édu- cative nous a permis d’envisager les modalités d’évaluation de l’unité d’enseignement. L’objectif de cet article est de présenter la conception et la mise en œuvre d’un projet pédagogique initiant un projet apprenant pour un groupe d’étudiants en soins infirmiers. CONCEPTION PÉDAGOGIQUE D’UN PRÉ-PROJET Pour Guy Le Boterf, la construction des compétences est la résultante de trois facteurs : « le savoir agir qui suppose de savoir combiner et mobiliser des ressources per- tinentes (connaissances, savoir- L es unités d’enseignement (UE) 4.6 S3 et S4 : « Soins éducatifs et préventifs », participent à la construction de la compétence 5 : « Initier et met- tre en œuvre des soins éducatifs et préventifs ». Par définition, cet objectif oriente nécessairement l’apprentissage vers un savoir- faire, lequel s’acquiert davantage au travers de mises en situation. Dans ce cadre, notre intention pédagogique s’est orientée vers une méthodologie d’apprentissage par projet. « L’approche par projet n’est pas, dans son essence même, une technique ou une façon spé- cifique d’enseigner. Elle est plutôt une façon de penser l’enseigne- ment en vue d’un apprentissage que l’on espère meilleur (…). » (1) Il s’agit de notre propre conviction que l’on apprend par et dans l’ac- tion. L’entraînement réflexif étant une exigence de la formation infir- mière, un apprentissage par projet constitue une ingénierie pédago- gique constructiviste, qui consiste « à travers l’acquisition de savoirs et savoir-faire, attitudes et com- portements » (2) à favoriser la construction de compétences n D’un projet pédagogique à un projet apprenant Corinne Privat, cadre formateur - IFSI CH Chateaudun Le programme de la formation en soins infirmiers vise le développement de compétences professionnelles. La compétence s’acquiert en situation dans la capacité à agir avec compétence. Pour cela, notre intention pédagogique s’est orientée vers une méthodologie d’apprentissage par projet. Le projet collectif à mener concerne la mise en œuvre d’une démarche d’éducation pour la santé par des étudiants en soins infirmiers de semestre 4. SUR LE TERRAIN Mots clés Soins infirmiers, formation, projet, apprentissage par projet NOTES (1) Jean Proulx, Apprentissage par projet, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2004, p. 10. (2) Référentiel de formation, in : arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier, annexe III, Bulletin officiel Santé -Protection sociale - Solidarités n° 2009/7 du 15 août 2009, p. 275. (3) Guy Le Boterf, « Évaluer les compétences. Quels jugements ? Quels critères ? Quelles instances ? » Éducation permanente n° 135/1998-2, p. 150. (4) Jean Proulx, Apprentissage par projet, ibid., p. 31. Corinne Privat © CP L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt. Copyright

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Dossier

ObjectifSOINS & MANAGEMENT - N° 264 - Août/Septembre 2018 39

faire, réseaux...) ; le vouloir agirqui se réfère à la motivation et àl’engagement personnel de l’in-dividu ; le pouvoir agir qui renvoieà l’existence d’un contexte, d’uneorganisation du travail, de condi-tions sociales qui rendent possi-bles et légitimes la prise de res-ponsabilité et la prise de risquede l’individu »(3). Nous pensonsqu’un apprentissage par projetest une méthodologie pédago-gique pertinente permettant deconcilier ces trois facteurs etrépondre ainsi à l’objectif de l’UEde développer chez l’étudiant lacapacité à analyser et à élaborerune démarche éducative.Pour Jean Proulx, l’apprentissagepar projet est « un processus sys-tématique d’acquisition et detransfert de connaissances aucours duquel l’apprenant anticipe,planifie et réalise, dans un tempsdéterminé, seul ou avec des pairset sous la supervision d’un ensei-gnant, une activité observablequi résulte, dans un contextepédagogique, en un produit finiévaluable » (4). Il s’agit donc d’uncontexte propice à l’acquisitionde compétences.À travers la démarche de projetnous souhaitons que les étudiantspuissent :

•développer des savoirs, voiredes compétences, transférablesdans plusieurs domaines de l’ac-tivité professionnelle infirmière ;

•développer l’esprit de coopéra-tion ;

• trouver une motivation àapprendre ;

•renforcer l’identité personnelleet collective ;

•développer l’autonomie, la capa-cité à négocier des choix ;

•assumer des engagements etdes responsabilités.Dans un apprentissage par projet,il faut donc que l’étudiant « se

professionnelles. Un apprentissagepar projet répond bien, ainsi, àl’objectif du référentiel de forma-tion en soins infirmiers.En tant que formateurs garantsde l’apprentissage, et confrontésà des contraintes organisation-nelles, nous avons au préalableréfléchi les grandes lignes du pro-jet et anticipé quelques pointsd’étapes pour jalonner le parcoursdes étudiants.Un regard sur la conception et laconstruction de la démarche édu-cative nous a permis d’envisagerles modalités d’évaluation del’unité d’enseignement.L’objectif de cet article est deprésenter la conception et la miseen œuvre d’un projet pédagogiqueinitiant un projet apprenant pourun groupe d’étudiants en soinsinfirmiers.

CONCEPTIONPÉDAGOGIQUE D’UNPRÉ-PROJETPour Guy Le Boterf, la constructiondes compétences est la résultantede trois facteurs : « le savoir agirqui suppose de savoir combineret mobiliser des ressources per-tinentes (connaissances, savoir-

L es unités d’enseignement(UE) 4.6 S3 et S4 : « Soinséducatifs et préventifs »,

participent à la construction dela compétence 5 : « Initier et met-tre en œuvre des soins éducatifset préventifs ». Par définition, cetobjectif oriente nécessairementl’apprentissage vers un savoir-faire, lequel s’acquiert davantageau travers de mises en situation.Dans ce cadre, notre intentionpédagogique s’est orientée versune méthodologie d’apprentissagepar projet. « L’approche par projetn’est pas, dans son essence même,une technique ou une façon spé-cifique d’enseigner. Elle est plutôtune façon de penser l’enseigne-ment en vue d’un apprentissageque l’on espère meilleur (…). » (1)

Il s’agit de notre propre convictionque l’on apprend par et dans l’ac-tion.L’entraînement réflexif étant uneexigence de la formation infir-mière, un apprentissage par projetconstitue une ingénierie pédago-gique constructiviste, qui consiste« à travers l’acquisition de savoirset savoir-faire, attitudes et com-portements » (2) à favoriser laconstruction de compétences

nD’un projet pédagogiqueà un projet apprenant

Corinne Privat, cadre formateur - IFSI CH Chateaudun

Le programme de la formation en soins infirmiers vise ledéveloppement de compétences professionnelles. La compétences’acquiert en situation dans la capacité à agir avec compétence.Pour cela, notre intention pédagogique s’est orientée vers uneméthodologie d’apprentissage par projet. Le projet collectif àmener concerne la mise en œuvre d’une démarche d’éducationpour la santé par des étudiants en soins infirmiers de semestre 4.

SUR LE TERRAIN

Mots clés

Soins infirmiers,formation, projet,apprentissage parprojet

NOTES(1) Jean Proulx, Apprentissagepar projet, Sainte-Foy,Presses de l’Université duQuébec, 2004, p. 10.(2) Référentiel de formation,in : arrêté du 31 juillet 2009relatif au diplôme d’Étatd’infirmier, annexe III, Bulletinofficiel Santé -Protectionsociale - Solidarités n° 2009/7du 15 août 2009, p. 275.(3) Guy Le Boterf, «Évaluer lescompétences. Quelsjugements? Quels critères?Quelles instances?» Éducationpermanente n° 135/1998-2, p. 150.(4) Jean Proulx, Apprentissagepar projet, ibid., p. 31.

Corinne Privat

© CP

L’auteur déclare ne pas avoirde lien d’intérêt.

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Constitution de 5 groupes

➜ Groupe 1 : chargé de recueillir auprès des enfants leursconnaissances et leurs représentations sur les deux thèmestraités (les savoirs théoriques), ainsi que leurs habitudes depratiques (savoir-faire). Le choix de la promotion se porte surl’élaboration d’un questionnaire avec dépouillement desrésultats.➜ Groupe 2 : chargé d’analyser les résultats du questionnaire.➜ Groupe 3 : chargé de définir les principaux besoins éducatifsainsi que les priorités (formulation du diagnostic éducatif et desobjectifs amenant aux actions éducatives à réaliser).➜ Groupe 4 : chargé de la création des outils éducatifs adaptésaux enfants.➜ Groupe 5 : chargé du temps d’éducation en face à face avecles enfants et de l’évaluation de l’efficacité des actionsentreprises par le biais de la réalisation d’un questionnaire desatisfaction final.

NOTES(5) Michel Develay, Donner dusens à l’école, Paris, Éditions

ESF, 1996, p. 97.(6) Bernard Charlot, Du rapportau savoir. Éléments pour unethéorie, Paris, Anthropos, 1997.

mobilise », et pour qu’il se mobiliseil faut que la situation présentepour lui un intérêt et donc dusens.Or, le programme de formationest prédéfini, ce qui laisse unemarge de manœuvre plus oumoins restreinte au formateur. Deplus, le nombre d’étudiants impli-qués est tel qu’il est difficile derecueillir une adhésion unanime.Pourtant, pour mener à bien leprojet il faut que les étudiants yadhèrent car apprendre c’est avanttout choisir d’apprendre. De ce

fait, former c’est rendre le savoirdésirable. C’est tout l’enjeu duprojet pédagogique, dont les objec-tifs ont été réfléchis pour créerdu sens, induire une motivation àl’action, et donc développer descompétences professionnelles.Pour rendre désirable un savoirobligé, et lui donner du sens, nousavons fait le choix de l’inscriredans une réalité professionnelle.Pour cela nous avons répondu àun appel d’offre. Le directeur d’uneécole primaire accueillant desélèves de 6 à 11 ans souhaitaitque les élèves du CE1, CM1 et CM2puissent être sensibilisés à desnotions d’hygiène. Nous avonsnégocié les thèmes : « lavage desmains » et « brossage des dents »,qui nous semblaient les plus appro-

priés aux besoins des enfants etréalisables par le groupe étudiant.Le projet ayant alors une impli-cation sanitaire et sociale, lesapprentissages qui en découlaientpouvaient être perçus commeutiles. Nous espérions ainsi sus-citer l’adhésion des étudiants.

ORGANISERDES CONDITIONSAPPRENANTESDonner du sensaux apprentissagesMichel Develay définit le senscomme « le rapport que le sujetétablit entre l’intention (ce qu’ilvise) et l’action (ce qu’il fait). Cerapport entre l’intention et l’actioncorrespond au désir d’appren-dre »(5) et donc à la motivation.L’intérêt d’initier un projet dansun groupe étudiant est de per-mettre à chacun, dans la partici-pation qu’il s’est choisie, de trouverun sens à son action et donc d’ap-prendre.Pour Bernard Charlot, le rapportau savoir est propre à chacun :« Le savoir, c’est l’apprenant quile crée, le fabrique, le produit,

l’invente » (6), il s’enracine doncdans un désir d’autonomie. Cepen-dant miser sur l’autonomie dugroupe et l’autonomie de chacunau sein du groupe rend l’appren-tissage incertain et peu visiblepar le formateur. On sait que,spontanément, l’étudiant va s’ins-crire dans ce qu’il sait faire. Orapprendre c’est avant tout oserle risque, se confronter à des dif-ficultés, faire des erreurs.Ainsi, si l’autonomie est nécessaireà l’apprentissage, elle ne le garantitpas ; nous faisons donc le pari dela confiance réciproque dans unecocréation de projet.La peur du risque induit une incer-titude chez certains étudiants. Dece fait, l’autonomie requiert pourse construire un accompagnementsécurisant : la relation avec le for-mateur est donc primordiale pourl’acquisition de savoirs.Les étudiants l’ont ainsi retracéavec humour : «On nous a dit :“Vous avez carte blanche, orga-nisez-vous, soyez créatifs…” C.[la formatrice] s’en va, nous lais-sant seuls face à notre sort ! »

Apprendre c’est avant tout oser le risque,se confronter à des difficultés,faire des erreurs

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Dédramatiser les enjeuxMiser sur l’autonomie et la moti-vation de l’étudiant, c’est lui laisserune liberté d’action qui nouséchappe. L’étudiant va se centrerdavantage sur la réussite du projetet perdre de vue l’objectif d’ap-prentissage. Nous avons dû dédra-matiser l’enjeu en misant l’intérêtd’un apprentissage en situationpour l’acquisition de savoirs etnon sur une obligation de résultat.De ce fait, le niveau de satisfactiondu commanditaire sera entendumais ne sera pas pour nous unmoyen d’évaluation. Nous nousdevrons donc d’évaluer les appren-tissages au moyen de critèresobjectifs concernant l’organisation,le déroulement du projet et l’ana-lyse critique, a posteriori, qu’enferont les étudiants.

Respecter le projet de chacun au sein d’un projet collectifDans l’apprentissage par projet,les étudiants apprennent en étantactifs et en gardant un lien avecle monde réel, ce qui leur permet« de nourrir la communication, lacoopération, la créativité et laréflexion en profondeur (…) »(7).Partant du principe que le rapportau savoir est une affaire person-nelle, nous pouvons penser quechaque étudiant mettra ses com-pétences au service du projet maisaussi au bénéfice d’autres étu-diants. De ce fait, il pourra acquérirlui-même de nouveaux savoirs àtravers le partage de connais-sances pour résoudre des situa-tions complexes. L’organisationdu projet d’éducation sera définiepar les étudiants eux-mêmes enfonction des savoirs dont ils dis-posent et qu’ils souhaitent réin-vestir, mais aussi des savoirs qu’ilsespèrent acquérir. Il se peut mêmeque l’étudiant peu investi dans

l’activité du projet trouve à traverscelui-ci matière à apprendre.Les étudiants ont organisé lesgroupes de travail en toute auto-nomie. La répartition au sein desgroupes est fondée sur le volon-tariat en fonction des choix dechacun. Les critères de choix n’ont

pas été identifiés. Nous avonsperçu, cependant, lors du dérou-lement du projet que certainsavaient réinvesti dans leur fonctionau sein de leur groupe des com-pétences déjà acquises.

FAVORISERL’APPRENTISSAGEEntre collaboration et coopérationNous savons que dans les travauxde groupe les étudiants se répar-tissent les tâches. Ils constituentdes sous-groupes par affinité, parintérêt et/ou compétences pourune tâche. Nous avons respectéce choix pour favoriser une colla-boration et un engagement dechacun dans un groupe pourmener à bien la mission qu’il s’estchoisie et dans laquelle il trouveun intérêt et du sens.Cette collaboration, certes néces-saire, n’est pas suffisante : un pro-jet doit être mené de façon col-lective. Une simple collaborationentre apprenants au sein d’ungroupe, parce qu’elle n’offre pasà chacun une vue d’ensemble dudéroulement du projet, n’optimise

pas l’acquisition de savoirs. Dansla collaboration, les tâches sontcertes partagées au sein dugroupe, mais chaque groupe, dansla fonction qui lui est dévolue,poursuit l’objectif indépendam-ment des autres groupes. Faireaboutir un projet nécessite une

mutualisation, une harmonisation,un « ajustement des activités ensituation, en vue d’une actioncommune efficace » (8), en cohé-rence avec l’objectif final du projet.Il convient donc que s’instaureune coopération intergroupe.Coopérer ne peut se faire qu’àpartir du moment où chaque étu-diant, dans chaque groupe, aconscience de l’objectif à atteindreet de sa propre responsabilitédans sa réussite. La coopérationaura valeur d’apprentissage dansla mesure où elle mobilise desqualités de cohésion, de négocia-tion, de rationalisation. Des tempsinstitutionnels réguliers ont étéplanifiés et supervisés par les for-mateurs, et une adresse mail aété créée par les étudiants pourfaciliter les échanges intergroupes.Chaque groupe d’étudiants a ainsidésigné un secrétaire, dont la mis-sion est de réaliser une synthèseécrite de la progression du projetau service des autres groupes.Des temps de regroupementsorganisés ont favorisé leséchanges et permis un ajustementdes travaux en vue de l’objectif à

NOTES(7) Brigid Barron, LindaDarling-Hammond, «Perspectives et défis desméthodes d’apprentissage parinvestigation », in : CERI (dir.),Comment apprend-on ? Larecherche au service de lapratique, Paris, OCDE, 2010.(8) Jean-François Marcel,Vincent Dupriez, DanièlePérisset-Bagnoud, MauriceTardif (dir.), Coordonner,collaborer, coopérer. Denouvelles pratiquesenseignantes, Bruxelles, De Boeck, 2007.

La coopération aura valeur d’apprentissage dans la mesure où elle mobilise des qualités

de cohésion, de négociation, de rationalisation

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NOTES(9) Isabelle Bordalo, Jean-PaulGinestet, Pour une pédagogie

du projet, Paris, Hachette, 1993,192 p.

(10) Beillerot Jacky (dir.), Pourune clinique du rapport au

savoir, Paris, L’Harmattan, 1996

atteindre. De même, cinq « réfé-rents de projet » ont été instituéscomme intermédiaires entre lesétudiants et le commanditaire.Grâce à une vision large du projet,ils ont permis de réajuster l’activitédu groupe, de gérer les impondé-rables et faire respecter les termesdu contrat.

Guider et superviserAccompagner, c’est pouvoir sou-tenir les élèves dans le dévelop-pement de leur autonomie. « Ladémarche d’élaboration de projetne peut pas être linéaire, elletémoigne de tous les reniements,de toutes les impasses que lesujet en train d’apprendre estobligé d’explorer, avant de recons-truire une cohérence explicativeou productive là où, jusqu’alors, iln’y avait que savoirs morcelés. »(9)

La qualité de l’apprentissage sefonde sur la qualité de l’accom-

pagnement des formateurs.Le formateur doit également pren-dre en compte d’autres facteursdans la réalisation du projet parles étudiants. Notamment, le faitqu’ils doivent rester concentréssur la seule réalisation du projetdans la poursuite d’un objectif, etnon sur une éventuelle compéti-tion entre eux.Pour formaliser les attentes, nousavons défini les objectifs du projetet fourni un guide méthodologiqueaux étudiants.Nous avons proposé égalementdes points d’étape formaliséspour :

•superviser le projet ;•réajuster éventuellement le pro-cessus ;

•répondre aux questions ;•aider à faire des liens théorie/pratique ;

•valoriser et rassurer, tout enveillant à rester disponibles comme

personnes ressources s’ils lejugeaient nécessaire, en dehorsde ces temps formalisés.La constitution d’un cahier debord tenu par les étudiants a étéun moyen pour nous de suivre lecours du projet et d’apprécier lacontribution de chacun au seinde celui-ci.

Mobiliser des ressourceset acquérir de nouveauxsavoirsPour acquérir de nouveaux savoirs,il est nécessaire de passer pardes moments d’apprentissage plusformels pour développer des com-pétences contextualisées. Cesapprentissages plus formels fontpartie de prérequis sous formed’un enseignement plus tradition-nel débuté au semestre 3, sur ladémarche de projet, sur ladémarche d’éducation thérapeu-tique et de promotion de la santé.Les étudiants ont également par-ticipé à l’organisation d’une activitééducative auprès d’une populationde personnes âgées dans le cadrede la Semaine nationale des retrai-tés et personnes âgées, dite« Semaine bleue ».Ainsi, l’étudiant peut s’appuyersur des savoirs pour construireson projet, développer son appren-tissage et, ainsi, développer descompétences susceptibles d’êtretransférées dans d’autres situa-tions de son futur exercice pro-fessionnel.Cependant, les acquis individuelssont difficilement visibles. De cefait, l’apprentissage par projetcomplexifie l’évaluation, d’autantque, selon Jacky Beillerot, « à par-tir de savoirs acquis, [le rapportau savoir de chacun] produit denouveaux savoirs singuliers »(10).Les savoirs acquis, quels qu’ilssoient, ne peuvent être que pré-sumés ; peu de critères sont visi-

Guide méthodologique non exhaustif

➜ Recueillir auprès d’une population d’enfants :•les éléments de connaissances et les représentations desenfants, relatifs aux notions d’hygiène des mains et d’hygiènebuccodentaire ;•les habitudes de pratiques de lavage des mains et de brossagedes dents.➜ Cibler les principaux besoins éducatifs et définir les priorités.➜ Formuler le problème ou diagnostic éducatif.➜ Formuler des objectifs et des activités pour répondre auxbesoins.➜ Organiser et coordonner des actions pour répondre auxprincipaux besoins éducatifs de la population concernée.➜ Utiliser des outils éducatifs adaptés à la population concernée.➜ Évaluer et rendre compte de l’efficacité des actionsentreprises ainsi que la satisfaction des enfants.➜ Évaluer de façon qualitative et quantitative :•les objectifs (critères indicateurs) ;•le contexte (analyse de la situation) ;•les ressources et les méthodes à utiliser ;•le processus (déroulement des activités) ;•les résultats de l’action (effets attendus, effets produits et

résultats obtenus).

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bles et donc évaluables. Nous pou-vons simplement dire qu’à traverscette expérience les étudiants ontpu bénéficier de tous les ingré-dients qui permettent deconstruire des compétences. Mais,chacun, en fonction de ses prére-quis, de sa motivation, de laconfiance en soi, de ses besoinséducatifs, a investi le projet à safaçon et acquis des savoirs qui luisont propres.Pour répondre au référentiel deformation, nous avons instaurémalgré tout des modalités d’éva-luation prenant en compte leséléments qui, selon Guy Le Boterf,participent à la construction descompétences.

ÉVALUERL’ACQUISITION DECOMPÉTENCESGuy Le Boterf considère troistypes d’approche pour juger d’unecompétence :

• s’assurer que l’activité soitconforme aux procédures apprises(ici la méthodologie de projetenseignée), pas dans la pure exé-cution de la procédure mais dansla pertinence avec laquelle onl’applique ;

•apprécier l’efficacité et la per-formance par rapport au résultatattendu ;

•chercher à repérer le « plus »adaptatif, la part de travail « réel »que chacun apporte au-delà du« prescrit », pour gérer les impon-dérables, assurer le bon déroule-ment du processus et la qualitédu résultat.Pour apprécier si les étudiantsont agi avec compétence nousavons souhaité évaluer chaquetype d’approche.

•La compétence collective a étéévaluée à travers la mise en œuvredu projet, de sa conception à saréalisation, au moyen de critères

encadrée de notre part. Les tempsde stage nous ont éloigné desétudiants, nous avons ainsi perdude vue le déroulement du projetet celui-ci a débordé les limitesfixées.En autonomie, les étudiants sesont investis pour finaliser le projetet satisfaire le commanditaire, ainsiun contexte d’autonomie et demotivation mal maîtrisé de notrepart a induit une implication chro-nophage pour les étudiants qui adébordé largement le temps impartidans l’UE. Nous pouvons craindreque cette dérive productiviste sefasse au détriment de l’apprentis-sage. La logique d’une prestationréussie contredit paradoxalementla logique de formation.

Donner des moyens à ses ambitionsL’autonomie et la créativité vontde pair, et il est dommage dedevoir les restreindre car ellessont pourvoyeuses de motivationet gages de performance. Nousavons souhaité mettre les étu-diants en situation au plus prèsd’une réalité professionnelle,mais notre projet était certai-nement trop ambitieux dans lesconditions du référentiel de formation : temps imposé notam-ment. Une mise en situation pro-fessionnelle demande la mobili-sation d’une combinaison deconnaissances et compétences ;il serait envisageable de réfléchirce projet dans la transversalitéde plusieurs UE.Par ailleurs, avoir répondu à uneproposition de partenariat avecun prestataire, inconnu pournous et exigeant, a été sourcede difficulté. Nous avons dûintervenir régulièrement auprèsde lui pour que soient respectésles termes du contrat, car lesdifficultés occasionnées pour les

observables. L’activité des étu-diants, la qualité de la collaborationet de la coopération ont ainsi puêtre mises en évidence :- lors des échanges pendant lesregroupements ;- par l’étude du journal de bordtenu par les étudiants ;- par le suivi des étudiants aucours des différentes étapes duprojet jusqu’à sa réalisation.

•Comme nous nous y étionsengagés, la qualité de la prestationà travers l’évaluation du résultatet la satisfaction des commandi-taires n’ont pas été pris en comptepour une évaluation quantitative.

•La troisième approche étant dif-ficilement évaluable, nous avonsdemandé à chaque étudiant uneanalyse critique argumentée dudéroulement du projet et de sonactivité, ainsi que l’identification,au mieux, des savoirs acquis enréférence aux critères du réfé-rentiel de formation. Nous avonstenu compte ainsi du « sentimentde compétence » de chaque étu-diant. Nous espérions à travers lapertinence de l’analyse et de l’ar-gumentation percevoir éventuel-lement le schème opératoire dechaque étudiant, donc la part de« travail réel » qu’il a fourni etqui a valeur de compétence. Nousavons ainsi posé une note indivi-duelle en complément de la notede groupe.

ANALYSE CRITIQUE DUPROJET PÉDAGOGIQUELe paradoxe de l’autonomieLa dynamique des groupes opé-rant de façon efficace, le formateurdoit peu intervenir dans le pro-cessus d’apprentissage sous peinede censurer la motivation et limiterl’acquisition de compétences desétudiants. L’autonomie laissée auxétudiants n’a pas été suffisamment

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Harmonisation pédagogique et professionnalisation

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BIBLIOGRAPHIE ● Jean-Pierre Boutinet, Anthropologie du projet, Paris, Presses uni-versitaires de France, 2005. ● Philippe Caillé, Un et un font trois, Paris, ESF,1991. ● Bernard Charlot, Élisabeth Bautier, Jean-Yves Rochex, École et savoir dans lesbanlieues... et ailleurs, Paris, A. Colin, 1992. ● Catherine Reverdy, « Des projets pourmieux apprendre ? », Dossier d’actualité, IFE Veille et Analyses, n° 82, février 2013(consulter sur : https://bit.ly/2kQgJH3). ● Olivier Rey, « Le défi de l’évaluation descompétences », Dossier d’actualité, IFE Veille et Analyses, n° 76, juin 2012 (consultersur : https://bit.ly/2sHv ●

étudiants débordaient largementle cadre d’une situation d’appren-tissage.

La parole aux apprenantsAprès les incertitudes de départ,les étudiants témoignent de leursatisfaction voire de leur fiertéà avoir mené à bien le projetéducatif. Ils ont surmonté ensem-ble les difficultés pour répondreà l’objectif fixé. Selon eux, l’ex-périence d’éducation vécue ausemestre précédent leur a per-

mis d’éviter certains écueils, ilsont su réinvestir les savoirsacquis dans cette nouvelle situa-tion.Le soutien des formateurs a étérassurant, ils ont pu ainsi profitersans crainte de l’autonomie etde la confiance accordée pours’autoriser des essais-erreurs.Dans l’ensemble les étudiantsestiment avoir mobilisé beaucoupde compétences déjà acquisesmais découvert également descapacités et des qualités qu’ilsne se connaissaient pas. Ils ont,pour la plupart, retiré une grandesatisfaction professionnelle etpersonnelle de cette expérience.

CONCLUSIONLe programme de la formationen soins infirmiers vise le déve-loppement de compétences pro-fessionnelles. La compétences’acquiert en situation dans la

capacité à agir avec compétence,c’est-à-dire en mobilisant et com-binant de façon performante dif-férentes ressources personnellesou collectives : savoirs, savoir-faire, qualités, etc. Quoi de plusapproprié que d’initier un pro-cessus de compétences dans uncadre professionnel ? Pour cela,notre intention pédagogique s’estorientée vers une méthodologied’apprentissage par projet.Il n’existe pas un seul bon modèled’apprentissage, il n’existe que

celui qui convient à chacun.Cependant inscrire une séquenced’apprentissage dans la réalitéd’une profession qu’on s’est choi-sie peut être source de motiva-tion et de découverte propice àl’acquisition de compétences.Ainsi une pédagogie de projet,parce qu’elle confronte l’étudiantà la complexité et à des aléas,lui permet de construire des« schèmes opératoires » trans-posables dans d’autres situationsde l’exercice professionnel.En tant que garants de la qualitéde l’apprentissage, nous avonsorganisé les conditions appre-nantes, soutenu et guidé les étu-

diants dans l’élaboration et lamise en œuvre d’un projet por-teur de sens, permettant d’initierun processus d’acquisition decompétence.La compétence n’est pas qu’unesomme de savoirs à acquérir ;agir avec compétence relève dela capacité à mobiliser de façonefficiente les savoirs acquis ensituation. L’atteinte des objectifs du groupene présage pas des compétencesindividuelles, et ne nous a paspermis de mesurer de façonobjective la qualité des appren-tissages de chaque étudiant.Chaque étudiant est à mêmed’évaluer ses acquis, et pourrépondre aux exigences d’uneévaluation sommative, il auraitété intéressant qu’il puisse esti-mer lui-même, quantitativement,les savoirs et compétences quela démarche de projet lui a per-mis d’acquérir et de mobiliser.À l’issue de cette expérience, ilsemble que la plupart des étu-diants ont adhéré avec enthou-siasme à cette approche péda-gogique. L’appréhension dedépart a laissé place à la fiertéde la réussite et leur a permisde mesurer les savoirs acquis.« Ce projet a été une belle expé-rience collective qui nous a per-mis de gagner en maturité et enautonomie » ; il « a été formateur,les difficultés et les heures detravail fournies pour son abou-tissement ont été source d’uneimmense satisfaction sur lesplans professionnels comme per-sonnels » (étudiants).n

Il n’existe pas un seul bon modèled’apprentissage, il n’existe que celui

qui convient à chacun

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