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Femmes, soyez soumises à vos maris… Introduction Voltaire, philosophe des Lumières, s’est trouvé sur tous les fronts de la contestation (esclavage, intolérance, torture, guerre, liberté d’expression, justice : il s’est impliqué dans certaines affaires judiciaires). Dans l’extrait de Femmes, soyez soumises à vos maris… , publié en 1768 dans Mélanges, Pamphlets et œuvres polémiques, il aborde la question de l’inégalité des femmes vis-à-vis des hommes et de leur indépendance par rapport à leurs maris. Il s’agit d’un pamphlet qui rapporte le dialogue entre l’abbé de Châteauneuf et une femme de l’aristocratie : la maréchale de Grancey, en colère suite à une phrase qu’elle a lue dans les Epîtres de Saint-Paul. Elle expose sa propre vision de la femme et blâme les hommes. Problématique : Par quels procédés Voltaire dénonce-t-il l’inégalité des sexes ? Dans un premier temps, nous verrons qu’elle adopte un langage vif et libéré. Ensuite nous analyserons la manière dont elle cherche à convaincre son interlocuteur. Enfin nous expliquerons comment elle utilise toutes les ressources du langage pour persuader. I. Une femme de caractère au langage vif et libéré a) Une parole vive série de questions qui ne laisse pas à l’abbé le temps de réagir : l. 26 à 32 exclamations → indignation à l’égard de la condition réservée

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Femmes, soyez soumises à vos maris…

Introduction

Voltaire, philosophe des Lumières, s’est trouvé sur tous les fronts de la contestation (esclavage, intolérance, torture, guerre, liberté d’expression, justice : il s’est impliqué dans certaines affaires judiciaires). Dans l’extrait de Femmes, soyez soumises à vos maris…, publié en 1768 dans Mélanges, Pamphlets et œuvres polémiques, il aborde la question de l’inégalité des femmes vis-à-vis des hommes et de leur indépendance par rapport à leurs maris.Il s’agit d’un pamphlet qui rapporte le dialogue entre l’abbé de Châteauneuf et une femme de l’aristocratie : la maréchale de Grancey, en colère suite à une phrase qu’elle a lue dans les Epîtres de Saint-Paul. Elle expose sa propre vision de la femme et blâme les hommes.

Problématique : Par quels procédés Voltaire dénonce-t-il l’inégalité des sexes ?

Dans un premier temps, nous verrons qu’elle adopte un langage vif et libéré. Ensuite nous analyserons la manière dont elle cherche à convaincre son interlocuteur. Enfin nous expliquerons comment elle utilise toutes les ressources du langage pour persuader.

I. Une femme de caractère au langage vif et libéréa) Une parole vive

série de questions qui ne laisse pas à l’abbé le temps de réagir : l. 26 à 32exclamations → indignation à l’égard de la condition réservée aux femmesemploi d’un langage très imagé (l. 39 à 42, 46 à 49) : focalisation sur un détail physique : la barbe, caricaturée avec les deux épithètes péjoratifs « vilain » et « rude » (l. 45-46)dialogue imaginaire : l. 32

b) Une parole libérée

Elle dit tout ce qu’elle pense sans se soucier des convenances et du savoir-vivre. Elle apparait comme une femme de caractère.Elle évoque les dures réalités de la vie pour les femmes (grossesse, accouchement, règles) : métaphores dépréciatives « une maladie de neufs mois » (grossesse), « une de ces douze maladies par an » (règles), champ lexical de la maladie et de la souffrance : « maladie » l. 27, 31), « mortelle » (l. 28), « de très-grandes douleurs » (l. 28), « très-désagréables » (l. 30).Elle se montre irrespectueuse aux yeux de l’abbé en critiquant Saint-Paul avec des termes qui montrent son mépris : « impoli » (l. 16), « un homme très-difficile à vivre » (l. 18), « un pareil homme » (l. 21), elle ajoute avec ironie « je lui aurais fait voir du pays » (l. 21) et « j’ai jeté le livre » (l. 14).Son discours libéré est à l’image de sa vie : elle évoque ses amants à un abbé, elle refuse

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toute servitude, dépendance : question rhétorique « Sommes-nous donc des esclaves ? » (l. 26) avec le terme fort « esclaves » pour provoquer l’indignation.

II. Une femme des Lumières qui cherche à convaincrea) Un raisonnement inductif

mouvement pendulaire : passage du « je » à des termes qui désignent l’ensemble des femmes (« nous » à la l. 33, « les nôtres » à la l. 47)- Elle part d’un exemple précis avec Saint-Paul : « était-il marié ? » (l. 18).- Elle se met en situation et formule une hypothèse : « si j’avais été la femme d’un pareil homme » (l.20-21).- Elle raisonne par comparaison avec sa propre expérience : « Quand j’épousai M. de Grancey » (l. 24).- Elle généralise ce mouvement par le biais d’expressions globalisantes : « pour une femme de qualité » (l. 30-31), « la nature » (l. 33), « nous » (l. 33, 34).Ce mouvement pendulaire entre la première personne et la généralisation se perpétue dans la suite de l’extrait (avec l’exemple de la barbe et des muscles). Cela lui permet d’être plus convaincante car elle s’appuie sur sa propre expérience pour faire une analyse de la condition féminine dans son ensemble.

b) L’absurdité des thèses adverses

Elle conteste deux arguments ici :

- la dépendance des femmes à leurs maris :La maréchale rappelle les inconvénients d’être une femme, puis se réfère à la nature et insiste sur l’idée de complémentarité entre les sexes (« nécessaires les uns aux autres » à la l. 34) → l’égalité hommes-femmes est naturelle.

- la supériorité des hommes sur les femmes :Elle reprend une phrase de Molière extraite de L’école des femmes (l. 36), elle montre ainsi sa culture et prépare son offensive suivante en faveur de l’intelligence des femmes.Elle tourne l’idée de la supériorité masculine en ridicule car elle ne vient que de la force physique des hommes (l. 50-51).

c) La persuasion

La question la touche de près et lui tient à cœur : exclamations, utilisation de la première personne. Elle cherche à impliquer son interlocuteur, et faire en sorte qu’il se sente concerné par cette question : marque de politesse ironique « s’il vous plait » (l. 23).abondance de questions rhétoriques qui imposent son opinion comme une véritéElle sait manier l’art de la parole : hyperboles quand elle évoque les douleurs de la femme

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pour forcer l’abbé à compatir, euphémismes pour éviter de trop le choquer : « incommodités » pour désigner les règles (l. 30), « je n’ai pas trop gardé ma parole » pour parler de ses infidélités (l. 24-25). Elle a donc une parole libérée mais tient tout de même compte de son interlocuteur.

La maréchale apparait donc comme un Voltaire féminin, qui sait utiliser les ressources du langage pour prendre part à un combat des Lumières. Mais le narrateur fait aussi preuve d’ironie…

III. L’ironie du narrateura) Un divertissement

Le narrateur n’hésite pas à se moquer du personnage qu’il met en scène.Présence du registre satiriqueLes phrases sont empreintes d’ironie. Il dresse le portrait d’une femme futile : « cette dissipation » (l. 1) = occupations oiseuses → son ignorance parait crédible.

b) Une caricature

Sa conversion à la culture est imposée par l’âge et les contraintes de la nature (il faut renoncer à plaire grâce au physique). Elle entreprend de lire (1. 6) mais n’est pas libre de lire ce qu’elle veut : « on lui fit lire » (l. 7), « on lui donna ensuite » (l. 8).Elle est caricaturale par son ignorance, sa futilité passée, son emportement incontrôlé (« toute rouge de colère » à la l. 10).Voltaire n’épargne pas dans ses récits les personnages détenteurs de vérité par son ironie : ce qu’elle dit est juste mais elle est tout de même critiquée, ainsi que Zadig, ou Candide.

Conclusion

Ce texte est un faux dialogue puisque seule la maréchale parle vraiment, et un conte philosophique car l’histoire de la maréchale et sa personnalité servent à réfléchir sur les fondements de l’inégalité des hommes et des femmes ; ses réflexions remettent en cause cette inégalité. Les traits caractéristiques du pamphlet sont bien présents : ironie du narrateur à l’égard de la maréchale et ironie de son discours. C’est un texte de combat, qui illustre une des luttes des philosophes des Lumières.Voltaire choisit une porte-parole pour dénoncer l’inégalité hommes-femmes, telle qu’elle parait recommandée par une lecture littérale de la parole évangélique : Femmes, soyez soumises à vos maris… Ce texte suscite l’indignation ; l’injustice du sort réservé aux femmes apparait clairement dans la réplique de la maréchale de Grancey qui souligne les difficultés liées à leur condition même.

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De Laclos dans son essai Des femmes et de leur éducation et Olympe de Gouges dans sa Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, défendront à leur tour les droits des femmes.