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La carte de la radicalisation se précise
La proportion des profils les plus durs est en légère baisse depuis l'automne 2016 dans
le fichier national.
Si la France cherche encore sa voie dans l'obscur maquis des techniques de "
déradicalisation ", son outil de détection des personnes radicalisées semble avoir atteint
son rythme de croisière. Il s'articule autour du fichier de traitement des signalés pour la
prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), créé par décret en mars
2015.
Bien plus que les fiches " S ", à usage exclusivement policier, le FSPRT constitue
aujourd'hui le véritable baromètre de la radicalisation en France. Il est alimenté par le
numéro vert mis en place en avril 2014 par le ministère de l'intérieur à l'attention des
proches de personnes radicalisées (famille, amis, collègues...) ainsi que par les
signalements des services de l'Etat (police, éducation nationale, hôpitaux...) par le biais
des préfectures de département.
En mars 2015, un an après la mise en place du numéro vert, le FSPRT comptabilisait 3
200 fiches : il en compte aujourd'hui près de 16 000. Selon un bilan établi le 23 février
par les services du ministère de l'intérieur, dont Le Monde a pris connaissance, le fichier
comprend 11 820 signalements à proprement parler, auxquels environ 4 000 " objectifs "
des services de renseignement ont été ajoutés.
L'Ile-de-France en tête des signalements Trois ans après la création du numéro vert,
cette base de données offre un tableau synthétique de la radicalisation à travers le
pays. Les départements les plus touchés sont, sans surprise, les plus peuplés, et
regroupés en Ile-de-France : derrière la Seine-Saint-Denis (894 signalements), on
trouve Paris, les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne. Suivent les départements du Nord,
des Bouches-du-Rhône, du Rhône et des Alpes-Maritimes.
Afin de mieux appréhender l'emprise de ce phénomène dans chaque territoire, Le
Monde a calculé le ratio de ces signalements rapporté à leur population. Là encore
apparaissent les départements les plus peuplés et les plus urbains, comme la Seine-
Saint-Denis (55,9 signalements pour 100 000 habitants), le Val-de-Marne (41,9), les
Hauts-de-Seine (40,7), Paris (36,9), les Alpes-de-Haute-Provence (34) ou les Alpes-
Maritimes (30,8).
Mais quelques départements plus ruraux présentent également un ratio singulièrement
élevé, notamment dans la région Occitanie, comme le Tarn (39,1), le Gard (35,6), le
Gers (29,8) ou l'Aveyron (29,3). La Savoie (37,5) et le Vaucluse (32,9) apparaissent
également parmi les départements peu urbanisés présentant un fort taux de
signalements.
Les territoires présentant les ratios les plus faibles, comme le Cantal ou la Guyane, sont
généralement les moins peuplés, à quelques exceptions près là aussi : avec 5,3
signalements pour 100 000 habitants, la Loire-Atlantique est le seul département de
plus d'un million d'habitants à être relativement épargné. D'autres grands départements
enregistrent des ratios modérés, comme l'Ille-et-Vilaine, la Gironde ou encore le Var.
35 % de convertis Après trois ans de collecte, ces données permettent de dresser un
profil type de la radicalisation : 27 % des personnes signalées sont des femmes, 35 %
sont des convertis et 17 % des mineurs. Si elles sont minoritaires, les femmes sont
surreprésentées dans deux catégories : un tiers d'entre elles sont mineures, et la moitié
sont converties (48,9 %). Les hommes signalés sont en général plus âgés : 11 % sont
mineurs, près de 60 % ont plus de 26 ans, et la proportion de convertis tombe à 30 %.
Qu'ils proviennent du numéro vert ou des services de l'Etat, l'ensemble de ces
signalements sont centralisés et analysés par les états-majors de sécurité des
préfectures de département, puis répartis en fonction des profils. Le " haut du spectre ",
qui regroupe les profils les plus durs, est suivi par la Direction générale de la sécurité
intérieure (DGSI).
Le spectre intermédiaire est suivi de façon décentralisée par le renseignement territorial
(RT) et la gendarmerie. Le bas du spectre, ne nécessitant qu'une simple veille, est pris
en charge par la protection judiciaire de la jeunesse et les services sociaux. Chaque
semaine, des représentants du parquet, des RT, de la DGSI, des gendarmes, des
services sociaux ou de l'éducation nationale se réunissent au sein de chaque préfecture
pour discuter des dossiers et peuvent décider, après évaluation, d'en modifier les
modalités de suivi.
Dans les signalements, moins de profils durs Les bonnes nouvelles sont rares en la
matière, et celle-ci est à prendre avec précaution : depuis l'automne 2016, la hausse
des profils durs nécessitant un suivi policier a tendance à décrocher par rapport à ceux
impliquant un simple suivi social. Entre septembre 2016 et février 2017, la proportion
de dossiers pris en compte par les services de renseignement est ainsi passée de 75 %
à 68 %.
Cette tendance est difficile à interpréter. Elle résulte sans doute d'une combinaison de
facteurs. Premièrement, une part significative des personnes fortement radicalisées a
sans doute déjà été enregistrée dans le fichier, ce qui impliquerait mécaniquement cette
baisse relative." Sauf erreur de diagnostic, on ne sort aucun nom du fichier, explique
une source proche des services de renseignement :le chiffre global augmente donc
mécaniquement et des gens continuent de se radicaliser tous les jours. Mais on a peut-
être entré le plus gros du stock. "
Deuxième élément d'explication : la diminution des projets de départs en Syrie- et des
retours - observée depuis plusieurs mois pourrait avoir contribué à faire chuter le
nombre des signalements les plus inquiétants.
Enfin, le FSPRT faisant l'objet de mises à jour régulières, certains dossiers suivis par les
services se sont finalement avérés ne pas présenter de dangerosité particulière, et font
désormais l'objet d'une simple veille. Le fléchissement relatif des profils durs résulterait
dans ce cas d'une meilleure capacité d'analyse.
Les transports sous surveillance Si les données collectées par le FSPRT ont permis aux
autorités d'affiner leur appréhension du phénomène, elles permettent également de
garder un oeil sur les emplois sensibles. Les services du ministère de l'intérieur ont ainsi
recensé 391 personnes signalées travaillant sur des sites à risques : 147 sont
employées dans des aéroports et une centaine dans les transports. Les cas des salariés
d'aéroports ont été traités sans difficulté, par un simple retrait des badges d'accès aux
zones réservées.
La problématique dans les transports est autrement plus complexe, et a nécessité une
loi spécifique. La loi sur les transports collectifs du député socialiste de la Gironde Gilles
Savary, votée au printemps 2016, permet désormais à tout employeur des transports
(SNCF, RATP) de demander le " criblage " de ses salariés, qui consiste enune enquête
administrative permettant, entre autres, de vérifier s'ils sont inscrits au FSPRT.
Le texte précisait que l'employeur avait la possibilité de licencier son salarié en fonction
du résultat de cette enquête, instaurant de facto une nouvelle cause de licenciement. Un
amendement voté début février, dont le décret d'application est attendu sous peu, fait
désormais obligation aux patrons de la SNCF et de la RATP de reclasser ou de licencier
tout employé dont le criblage se sera révélé positif.
Une commission est chargée, au sein du ministère de l'intérieur, de superviser ces
enquêtes. Le salarié dispose ensuite d'un délai de cinq jours pour déposer un recours
devant le tribunal administratif et d'une possibilité d'appel devant le Conseil d'Etat.
Soren Seelow