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3 J UIN 2014 Soiréed’inspirationlyrique O RPHÉE & E URYDICE Soliste invitée | Chloé Briot - Soprano Avec le soutien de Sylvain Cornic , maître de conférences et de l’association étudiante Les Médiations Philosophiques www.mediationsphilosophiques.fr

VINCENT BALSE concert.pdf · Il semblerait que le mythe d’Orphée se perpétue de nos jours : pour oublier ... Maurice Blanchot. Mais Eurydice morte est-elle encore la même ?

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Page 1: VINCENT BALSE concert.pdf · Il semblerait que le mythe d’Orphée se perpétue de nos jours : pour oublier ... Maurice Blanchot. Mais Eurydice morte est-elle encore la même ?

3 Juin 2014Soirée d’inspiration lyriqueOrphée & eurydice

Soliste invitée | Chloé Briot - Soprano

Avec le soutien de Sylvain Cornic, maître de conférences et de l’association étudiante Les Médiations Philosophiques

Soliste invitée Chloé BRIOT Soprano

Avec le soutien de Sylvain Cornic, maître de conférences et de l’association étudiante Les Médiations Philosophiques

Manufacture des Tabacs | 16 rue Rollet | Lyon 8e

Métro D – Sans Souci | Tram T4 – Manufacture Montluc

19H00AUDITORIUM MALRAUX

SOIRÉE

LYRIQUE D’INSPIRATION

ORPHÉE & EURYDICE

MARDI 3 JUIN 2014

RÉSIDENCE D’ARTISTESDIRECTEUR ARTISTIQUE

VINCENT BALSE

© UNIVERSITÉ JEAN MOULIN LYON 3

www.mediationsphilosophiques.fr

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Xerferi cum videm am, untemodi omnimpore dolum alitiamus evelest lam venes quiasit iistruptati comnim es dolupta plibus dus modit essum eni optasitem quam volupti duciendebit quam ipsanis volutemquas es audi officaturest vel eost quatemquas se porem doluptates et, sum et, sitio ilissi ulpa volo qui volupti isquidu ndemporem et aciur aut aut re sit del id et, a nullaccum eostiam nonsed quae odis aut faceri alic temoluptati cusdandus audis quatur, volluptae

Jacques Comby Président de l’Université Jean Moulin Lyon 3

Orphée et Eurydice : la musique comme lutte héroïque contre la mort Margaux Manent-Duléry et Guillaume Bagne-Chollet

Le regard d’Orphée : du regret de la lumière aux ombres du remords Christophe Point et Fanny Canet

Orphée, Rousseau et Gluck : la musique et la morale Sylvain Cornic et Léo Magnin

Ascension Phlaurian Pettier - sculpteur

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ORPhéE & EuRydiCE

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Il semblerait que le mythe d’Orphée se perpétue de nos jours : pour oublier notre impuissance face à un monde incompréhensiblement complexe, nous préférons nous en absenter et devenir une âme touchée par la beauté, loin d’un corps qui nous rappelle trop notre finitude. Ce n’est pas en Dieu que l’esprit parvient à trouver du réconfort, ce n’est pas en se confrontant à ce qui lui est étranger que l’esprit arrive à absorber ce qui le dépasse ; c’est en sublimant la nature au moyen de mélodies. Pourtant, ce n’est pas seulement pour s’apaiser qu’Orphée utilise sa lyre : il l’utilise surtout pour rétablir une certaine justice, pour sauver son Eurydice d’un accident invraisemblable, pour sauver le monde de l’absurde contingence des événements.

Dans l’Antiquité, l’âme, dont la durée de survie était vue comme limitée, se trouvait pratiquement privée de toute possibilité de se souvenir de son existence antérieure. Ainsi privée de toute personnalité, elle ne pouvait s’insérer dans un système rétributif destiné à corriger, dans un autre monde, les injustices subies ou commises dans ce monde-ci. C’est d’ailleurs contre cette vision de la mort véhiculée par les grandes épopées que Platon s’insurgera en proposant sa propre interprétation : les actions que l’on commet dans une vie ont une conséquence dans la vie prochaine (mythe d’Er).

ORPhéE Et EuRydiCE : LA MuSiquE COMME LuttE héROïquE COntRE LA MORt

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Orpheus and Eurydice, Sir Edward John Poynter (1862)

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C’est alors en ces mots que l’Orphée d’Ovide s’adresse à Hadès et Proserpine : il plaide pour que l’on accorde une mort juste à son aimée, c’est-à-dire une vie que seule une mort naturelle pourrait achever : « Elle aussi, quand, mûre pour la tombe, elle aura accompli une existence d’une juste mesure, elle sera soumise à vos lois ; je ne demande pas un don, mais un usufruit ». Il poursuit en menaçant les dieux de remettre en cause le caractère irrévocable de leur jugement dernier : « Si les destins me refusent cette faveur pour mon épouse, je suis résolu à ne point revenir sur mes pas ; réjouissez-vous de nous voir succomber tous les deux ». En ce sens, si Orphée mourrait de rien, aucun événement funeste n’ayant fatalement blessé son corps, la mort serait désormais vue comme inacceptable par le reste des mortels. Et c’est en leur faisant la démonstration de sa virtuosité sonore qu’il parvient à les convaincre de l’impossibilité de sa propre mort : son talent ne peut relever que du divin ; le laisser se sacrifier relèverait en réalité du meurtre.

Davantage, les dieux auraient pu se prêter au jeu : ils auraient pu lui ordonner de demeurer à leurs côtés en tant que musicien des Enfers. Mais c’est sans compter la magie opérée par la lyre d’Orphée, son pouvoir dépassant largement celui du simple anéantissement. En effet, soit Orphée a fasciné la mort, celle-là même qui s’est contemplée dans le miroir qu’il lui a tendu ; soit il a subtilement insufflé des sentiments dans le cœur de dieux auparavant insensibles. Son instrument, élaboré à la surface d’une terre lumineuse et pleine de vie, a rappelé aux dieux qu’ils faisaient partie d’un cosmos unifié, eux qui pensaient régner sur un monde obscur coupé des autres.

Cependant, Orphée ne parviendra pas à ramener Eurydice : si sa musique a su apporter de la beauté en un lieu où seule la souffrance colore le quotidien des condamnés, c’est une mort déguisée qui a su en retour limiter le pouvoir de cette musique : proche de sortir des entrailles de la terre, Orphée abandonne le rôle de demi-dieu pour redevenir homme, c’est-à-dire, amoureux et fragile, sujet aux doutes. Le courageux héros devient alors triste héraut : Thanatos gagne toujours contre Eros en se faisant passant pour lui. Ainsi, si Orphée n’est pas tout-puissant, comment ne pas penser, ayant dompté Cerbère et fait s’asseoir Sisyphe, qu’Orphée put être lui-même ensorcelé par ses propres mélodies ? Est-il vraiment descendu aux Enfers ? En réalité, nous pourrions supposer ceci : il n’a pas assez cru en sa musique. S’il était resté concentré sur celle-ci, sur les battements de son cœur et ceux de son aimée, il n’aurait pas eu à se retourner : car la perception auditive échappant à la représentation, il se serait contenté du lien qui les unissait au lieu de chercher à visuellement posséder Eurydice.

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Comment donc comprendre que les dieux eux-mêmes aient pu capituler devant la lyre d’Orphée ? Appuyons-nous sur la définition que E.T.Hoffmann élabore dans « La musique instrumentale de Beethoven » (Kreisleriana, 1814) : « (la musique) est le plus romantique de tous les arts, le seul art véritablement romantique, car seul l’infini est son objet. – La lyre d’Orphée a ouvert les portes de l’Orcus. La musique ouvre à l’homme un royaume inconnu, qui n’a rien de commun avec le monde des sens externes qui l’entoure, et dans lequel il abandonne tout sentiment déterminé pour s’abandonner à une aspiration indicible ». Au sens d’infini, nous pouvons entendre que non seulement la musique nous enveloppe dans une certaine éternité, rompant avec la temporalité mortelle, mais aussi qu’elle invoque, voire recrée, le monde devenu harmonieux, tranchant avec le destin fatal ; et c’est le fait de donner sens à l’éternité, c’est-à-dire de transformer l’horrible répétition des châtiments en plénitude atemporelle, qui a fait de la lyre orphique la libératrice momentanée des Enfers.

Si la musique a vocation, selon Hegel, à représenter la vie de l’âme comme temporelle, elle trouve son accomplissement dans la possibilité de jouer et rejouer cette mort, de la répéter alors que cet événement nous paraît singulier et irréversible : Orphée mime la mort en demandant à ce que la vie d’Eurydice soit rejouée. Aujourd’hui même, parce que la musique peut être écoutée partout (dans le métro, en promenade,…) et sans répit, l’âme se voit sauvée dans son éternité par la musique.

Margaux Manent-duléry et Guillaume Bagne-Chollet

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Le mythe d’Orphée nous est connu. Trop connu peut-être, car ce que l’on croit trop bien savoir est souvent ce que l’on connaît le plus mal. Résolument moderne, il nous raconte à travers un thème antique qui n’a cessé de varier, la douleur de l’absence. Ou plutôt l’apprentissage douloureux d’une absence ignorée et niée sous le masque d’une fausse présence, celle d’Eurydice

Qui est Eurydice ? Dryade ? Princesse royale ? Qu’importe. Elle est, pour Orphée au sommet de son art lyrique alors, l’amour de sa vie et l’idéal que tout homme veut atteindre. En effet, la descente aux Enfers de celui-ci est celle d’une quête audacieuse mais sereine, nouvelle mais légitime. Orphée, par sa lyre, charme gardiens et dieux, son amour lui en donne le droit. Il veut retrouver son idéal, même au plus profond de la noirceur des hommes, et il connaît ses talents musicaux pour ne pas échouer. Là encore, Orphée est jeune, insouciant et sûr de lui. Là encore, son art triomphe.

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LE REGARd d’ORPhéE : du REGREt dE LA LuMièRE Aux OMBRES du REMORdS

Marc Chagall, Orphée, 1913.

«L’œuvre est trahie en faveur d’Eurydice, de l’ombre»Maurice Blanchot

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Mais Eurydice morte est-elle encore la même ? Ce n’est plus l’intimité d’une vie familière qu’Orphée retrouve chez Hadès. Elle est devenue l’étrangeté et l’ombre, image fuyante, se refusant à la netteté de l’idéalisation. Elle apparaît à Orphée comme un refus d’être fixé par son regard, elle ne veut plus que l’art de son mari la fige dans une essence fausse. Paradoxalement, les Enfers renvoient à Orphée l’image d’une nouvelle Eurydice, celle que le quotidien, la vie, lui avaient enlevée. Or, cette absence devenant quasi-visible, ce masque d’ombre va embraser de désir le cœur d’Orphée.

La remontée des Enfers d’Orphée est une tentative idéaliste. Cherchant à relier un fondement à un événement absolu, c’est-à-dire par l’accord des dieux Orphée veut redonner à cette ombre d’Eurydice une nouvelle lumière : celle du réel compris et maîtrisé par l’art. Mais cette remontée, où la vraie Eurydice ressuscitée aurait de nouveau été remplacée par une image figée d’elle-même, est coupée par le geste d’Orphée. Celui-ci se retourne, d’un regard, et brise le processus d’idéalisation. En voyant véritablement, pour la première fois peut-être, qui est vraiment Eurydice : une ombre où s’accroche son désir.

C’est donc par son regard et non par la musique, qu’Orphée nous livre la nuit, le désir et la mort. Celui-ci brise la survie d’Eurydice et nous donne la clef du problème de l’absence amoureuse. C’est la fascination qui est ici au cœur de la relation entre Orphée et Eurydice. Celui-ci est fasciné par l’absence d’Eurydice, cette ombre mouvante entr’aperçue aux Enfers, qui résiste à son art. Et c’est malgré lui, qu’Orphée se retourne tant il souffre de son désir pour cette absence, cette image autre que celle du quotidien plat et connu.

Au fond, par qui Orphée est-il suivit dans les Enfers ? Orphée est détenteur d’une parole maîtresse, d’un art total qui veut se saisir du réel. Mais Orphée est inconscient, impatient et négligent. Il cherche à transgresser un infini qui ne se franchit pas. Sa passion pour Eurydice devient aux Enfers fascination, désir né d’une séparation devenue attirante. Mais le désir est un fantasme qui détruit le sujet aimant et son objet aimé au moment même où l’on oublie la vraie nature du fantasme. Celui-ci n’est pas réel, et ne peut l’être. Vouloir le réaliser, c’est le détruire et se détruire. En se retournant vers Eurydice, Orphée transgresse cet interdit du désir, et brise la magie du fantasme. Il ne reste alors au héros plus que les ombres du remords.

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Quelque chose se tord dans les entrailles, et brûle au plus profond de soi. L’impatience d’Orphée est celle d’un homme fou de douleur de ne pouvoir se saisir d’une présence. L’absence lui est impossible, car son existence même se réalise en fixant, par son art, ce qu’il voit. Nous sommes loin d’une pensée rationnelle, et que les Enfers soient un lieu mythique ou les profondeurs de la conscience humaine, nous semblons destinés à échouer face à nous-mêmes. Les hommes ne supportent pas l’absence et la vérité de l’amour leur est cruelle. Nous voulons voir, avoir, et posséder, sûrs de nous, la présence d’autrui. Parfois au prix lourd de la perte à force de se l’inventer et de la quémander.

En cela, Orphée est résolument moderne, il nous apprend l’absence, l’absence réelle de l’être aimé. Peut-être n’est-il pas trop tard pour redécouvrir ce mythe. Notre technologie actuelle nous coupe de cette vérité. Nous croyons désormais en un nouveau mythe : celle de l’omniprésence que nous procurent réseaux sociaux, boîtes de messagerie et téléphones portables. Nous n’avons jamais été si proches de l’illusion de la présence permanente au monde, et pourtant la cruauté de l’absence ne nous a jamais semblée si vraie. Nous construisons des masques de présence (statuts, tweet, etc.) sur une absence, mais cela cache mal notre solitude, car nous refusons de plus en plus de nous considérer seuls. La leçon d’Orphée nous met en garde : à trop désirer la présence de l’être aimé, nous oublions la réalité de son absence et nos doigts ne saisissent que des ombres. Ne commettons pas son erreur, pour ne pas avoir à choisir entre les remords et les regrets.

Et s’il faut finir sur un mot, laissons-le à Jean Cocteau qui, dans son Orphée, nous met finalement en garde contre le fossé que créent l’absence et le désir face au quotidien et à l’habitude , en faisant dire à Eurydice : «Nous étions morts sans nous en apercevoir».

Christophe Point et Fanny Canet

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ORPhéE, ROuSSEAu Et GLuCk : LA MuSiquE Et LA MORALE

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Gluck par Joseph Siffrein Duplessis, 1775.

Orphée et Euridice continuent de veiller sur l’opéra au Siècle des Lumières, en particulier au moment de la grande réforme insufflée par le compositeur Christoph Willibald Gluck. Ses deux versions du mythe, d’abord en italien (Vienne, 1762) puis en français (Paris, 1774), n’ont pas peu contribué à son passage à la postérité.

Gluck, qui a fui le foyer paternel à dix-sept ans pour suivre une double formation philosophique et musicale, a toujours professé son admiration pour les idées de Jean-Jacques Rousseau, théoricien de la musique dont les idées sur le sujet débouchèrent sur une esthétique totalement assumée par le compositeur. Et le rapprochement entre la philosophie morale de Rousseau et la figure d’Orphée ne va-t-il pas de soi, quand on se souvient que c’est le nom que l’auteur de l’Émile prête au vicaire savoyard après avoir écouté sa profession de foi ?

Pour Rousseau, l’effet de sens produit par la musique sur l’auditeur n’est pas qu’un pur plaisir, passivement joui. Le philosophe ne répugne pas à le penser, bien au contraire. Mais il le libère du dualisme entre physique et conceptuel, c’est-à-dire entre une réduction sensualiste de la musique à la matière, à une mécanique du corps sonore, et sa prise en considération sous la seule lumière de la raison, en particulier en référence à la mathématique.

Orphée et Eurydice sont les figures tutélaires de l’opéra.

Ils ont d’abord présidé à sa naissance, en Italie, au tournant des XVIe et XVIIe siècles, entre les derniers feux de la Renaissance et début de l’âge baroque. L’Orfeo de Claudio Monteverdi (Mantoue, 1607), est à juste titre considéré comme le chef-d’œuvre fondateur du genre. Manifeste humaniste – tragédie inspirée de l’Antique, nourrie des préceptes de Platon et d’Aristote revisités par les philologues chrétiens de la Renaissance – cette

« favola in musica », mythe en musique, a éclipsé les deux Euridice florentines de 1600, celle de Jacopo Peri et celle de Giulio Caccini, compositeurs qui se sont disputé la paternité du genre, puis l’Orfeo de Luigi Rossi (1647), l’un des spectacles par lesquels Mazarin a tenté – et manqué – l’acclimatation de l’opéra italien en France.

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En s’échappant de cette dichotomie qui fondait la pensée classique, Rousseau élabore sa philosophie de la musique à partir d’une troisième catégorie : la morale. Son esthétique – de la musique en particulier et des beaux-arts en général – est morale. Dans nos mots d’aujourd’hui, nous dirions qu’elle relève du « psychique » (c’est le sens que Rousseau donne au mot «morale» dans ses écrits esthétiques).

La musique, chez Rousseau, est en somme aux beaux-arts ce que la théorie du contrat social est aux réalités politiques : elle en fournit l’état élémentaire, fondamental et explicatif. Sa généalogie philosophique des arts, fictive mais destinée à en expliquer la nature et les effets, donne à la musique la première place : c’est par elle que les autres arts apparaissent comme des phénomènes moraux. La primauté de la musique s’entend dans l’ordre humain des signes et des passions. Elle ne produit d’ailleurs d’effet que sur les hommes, car seuls les hommes parlent. La musique aussi «parle», produit des effets de sens, mais non de manière mécanique ou intellectualiste : elle renvoie à des éléments profondément ancrés dans la nature humaine, et ces éléments sont moraux, ou psychiques.

Chez Rousseau, la réflexion sur les langues constitue la première étape de la théorie esthétique. Pour dégager la raison profonde qui fait que les langues parlent, il prétend remonter à un phénomène originaire et commun à toutes : une « langue primitive », archétype de tout effet parlant. Ce principe signifiant est une donnée immatérielle (au sens où elle n’est ni mécanico-sensuelle, ni mathématico-intellectuelle) : c’est le signe passionné, qui fournit à la fois aux langues et à la musique leur force, leur énergie.

Cette philosophie, dont les prémisses sont exposées dans l’Essai sur l’origine des langues, et les conséquences esthétiques et éthiques présentées dans le Dictionnaire de musique, la Lettre à d’Alembert sur les spectacles et la (très haineuse !) Lettre sur la musique française, s’est répandue avec un grand succès à l’époque de Gluck, sous la forme d’une vulgate que l’on pourrait résumer en ces termes : il y a une musique du cœur.

Chez Rousseau, comme chez son admirateur Gluck, la musique refuse d’être une science, un système désincarné de règles harmoniques et contrapuntiques. Et si elle reste bien, dans les mots du moins, une «imitation de la nature», ce n’est plus du tout dans l’acception classique de ces termes, mais selon une nouvelle conception : elle imite les phénomènes émotifs, elle produit les passions par un passage immédiat de celles qui sont éprouvées par le compositeur à celles que peut ressentir le chanteur, puis l’auditeur, par une sorte de «transparence» d’âme à âme.

On comprend dès lors l’attrait de Gluck et de ses librettistes pour les figures féminines amoureuses, souffrantes et sacrificielles (Eurydice, Iphigénie, Alceste, qui incarnent le maximum passionnel) et pour une musique «simple», directe, aussi peu «savante» et chargée d’artifice que possible, la fameuse «musique du cœur».

Sylvain Cornic et Léo Magnin

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Descendant lentement un escalier de marbreet le souffle un peu froidles pieds glissant sans cessela pensée hache et casse les mots en palabreslorsque les degrés baissentle regard qui se noietrouble la vue de sa paresse

je descends lentement un escalier de marbreoù il faut se baisser pour que la tête passej’ai sur le dos une armeun peu comme une massedont je me sers souvent pour assommer l’espacec’est le fût d’un vieil arbreévidé et tendu d’immenses mots qui cassentma pensée est tordue pour accueillir les phrasesqui glisseront le long de son manche mon sabreet les couvrir d’emphase

ou bien les sonnercourtsles envoyertrès clairsfendre l’aird’un coup sourd

je m’aventure au fil de ma pensée sans finne suivant qu’un chemin taillé dans la pénombreune image m’aveugleje la tiens dans mon poingpour qu’elle troue le flot noirdes encres indicibles

je me sais funambulevacillant entre l’aube et quelque crépusculela morte ce matindoit revivre ce soirJ’en ai fait le sermentpeut-être sans y croiremais traçant maintenantgrâce lui soit renduele premier les jalons d’un sentier inconnuplutôt qu’un errementsans butje veux en faire une œuvre

ASCEnSiOn

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je comprends mieux la force qui me lie aux nueset pourquoi j’ai plongé dans un lieu où l’on meurtplutôt que de pleurer la perte et le reculdu bonheur

harnachées à mes lèvres toutes mes tactiquestout mon lourd sentiment ne me servent plus à rienune larme a chassé l’orgueil le ton caustiquecomment rester poëte lorsque l’on sent qu’on est ?

Peut-être qu’une foisje m’aperçois enfinla douleur est si vraieétait-ce mon chagrin ?

Faire des mots de feune sert pas à grand-chosele seule gestedésespéréque j’osemourir pour elleen vaina réduit à néantla pensée que j’avais

était-ce un art divin ?

Face au monstre endeuilléde toute ma superbej’ai à offrir alors une ultime bravade

je m’adresse au publicen tant que ces trois têtesvous n’avez qu’on seul corpsje le vois mieux que voussi l’un de vous me mordun autre le déjoue

c’en est vite fini des hantises passéesde ce temps où j’ai du rendre mon œuvre bellepuisque j’ai embrassétoute l’indifférence du mondeau seul cri de ma plainte

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j’observe un sentiment nouveau surgir en moià cet instant où j’entredans le cirque éperdu de collisions des âmeson me laisse passerpersonne n’est en flammepersonne ne se pâme

l’enfer est inhumainn’a pas de compassionpas même de violence

je sens grandir en moi cette vie de statueoui j’ai souhaité en êtreavoir un cœur de pierreadmiré éternel et surtout partout vu

ici les êtres sont comme d’infinis cristauxrésonnant longuement une dernière notedans un air transparentet presque anéchoïque

tout se trouble et se mêle et rien ne se déplaceainsi personne n’entend rien d’autre que son cœurun son comme un glacela fin d’un riremoqueur

mes mots croisés ailleurs ici sont un fracaset se taisent pourtant

dans l’espace que tout rompt j’ai pourtant vu surgirl’image sans chaleur de son corps qui respireencore un peul’odeurde la terre en sueurcelle où on l’a plongéecomme un parfum de fleurs fanéesoffertes à un feuflammes simultanéesqui ne la brûlent pas

cette lumière exsangueen m’inondant me briseet je sens à genouxcomme la terre tremble

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je la remonteraicette pente infiniepour arriver encoredans le monde des hommes

j’aurai du sable plein la boucheet seul un souvenirtriomphant derrière moisortira de ce solil n’y a rien qui meure sans changer de regard

je saurai que l’imageque j’aurai ramenéen’est pas très loin d’un gagequelque chose de perduau jeu d’une autre force

je saurai qu’est fragilela pensée que l’on ade cet autre connureconnu et perduet que rien d’elle ne subsistequ’un récit que j’inventeune façon savantede dire j’ai brisél’image et le refletd’un être sans le voir

Phlaurian Pettier - sculpteur

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