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Université de Liège Faculté de philosophie et lettres Institut d'histoire . Vincent de Bueren; "capitaine des Liégeois If Mémoire présenté 'par Stefan Platteau en vue de l'obtention du grade de licencié· en histoire année académique 19.96-1997

Vincent de Bueren; capitaine des Liégeois · p. 27 - Jean de Buere.o l Bruxelles (1421). p. 28 - Problème de la succession en Gueldre. p. 29 - L'implication des Bueren dans les

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Université de Liège Faculté de philosophie et lettres Institut

d'histoire

. Vincent de Bueren; "capitaine des

Liégeois If

Mémoire présenté 'par Stefan Platteau

en vue de l'obtention du grade de licencié· en histoire

année académique 19.96-1997

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Tout couvert de sang, retranché derrière des corps amoncelés, Bueren dlfie encore les hommes d'armes avec la superbe d'un lion harcell par une meute de chacals. -"A toi ... à toi ceci . Cet estoc pour Brustem ... ce coup de masse pour Dinant ....Boute ceci au roi félon".

- - H. CARTON DE WlART. La citl Ardente (roman historique), ~, 1905,p.316.-

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Arrivé au terme de ce travail, il nous est agréable de remercier tout d'abord notre promoteur, M. Kupper, qui nous a encouragé à chercher du neuf là où tout semblait déjà dit. Notre gratitude va également à tous ceux qui, par leurs conseils, leurs éclaircissements ou leur attention, ont contribué à notre recherche : P. Georges, l'abbé Deblon, P. Wouters des Archives de l'état en Gueldre, F. Van Elmbt, Mme Josse-Hoffman, et enfin L. Leemans et P. Wüstefeld.

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction.

-Notes sur l'étude des origines gueldroises de la famille de Bneren, p. 9.

-Notes critiques concernants l'étude de Vincent de Bueœn dans les événements liégeois de 146S~1468, p. 12.

1. Les origines de la famille de Bueren

&al: des connaissances actuelles sur l'histoire de la famille de Bœren, du XIr' au JOVO si!cle

2. Guillaume. seimeur de Bueren

Gisbert de Bueren, p.23- Jeunesse de Guillaume de Bueren, p.24- Jean de Bueren, p. 2S ~ Considérations d'ensemble sur les différent conflits en cours dans les r6gions du Bas-Rhin, p. 27 - Jean de Buere.o l Bruxelles (1421). p. 28 - Problème de la succession en Gueldre. p. 29 - L'implication des Bueren dans les maneuvres politiques de Jean de Heinsberg et d'Adolphe de Berg, p. 30 - Le coup de main sur Grave par Jean de Bucren (1423), p. 31 - Opposition des Bucren au duc Arnould d'Egmont, p. 32 ~ Succession de l'év!que d'Utrecht et candidature de Jean de Bueren, p. 32 - Les Bueren de nouveau ennemis d'Arnould d' Egmont. p 34 - L'attaque sur Tiel (1427), p. 3S - La tentative sur Culemborg (1428), p. 36 - Réconciliation de Guillaume et du duc, p. 37 - Les Bueren du côté d'Adolphe de Berg, p. 38 - Le si~ge de Bueren (1434-1435) et l'exil de la famille, p. 38.

Conclusions sur Guillaume de Bueren, p. 39 .

3. Les Bueren dans rexU

Présentation des enfants de Guillaume de Buccen et Ermengarde de Lippe, p. 42 - La famille de Bueren de 1435 à la bataille de Linnich (1444), p. 44 - Guillaume abandonné

p.5.

p. 19.

p.23.

p.42.

3

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par ses alliés, p. 45.

4. Les Bueren à Liège

L'arrivée d~s Bueren à Liège et leur parenté avec l'évêque Jean de Heinsberg, p. 47 - Les enfants de Guillaume dans le clergé liégeois, p.47- la carrière ecclésiastique des enfants de Guillaume, p.50 -la querelle d'Elsa de Bueren avec l'abbé de Tongerloo et avec le seigneur de Homes (première mention du personnage de Vincent de Bueren), p. 51 - État de fortune de la famille, p. 54.

5. Les Bueren dans ropposition liégeoise

Le rôle de la famille de Bueren dans l'opposition liéseoise: Lettre d'alliance des églises de Liège, p. 58 - Guillaume prend parti pour la nomination d'un mambour, p. 59 - les raisons du choix politique des Bueren, p. 60 - Allard de Bueren nommé official, p. 61 - Guillaume de Bueren parmi les otages réclamés par le duc à Oleye, p. 64 - première mention de Vincent parmi les meneurs de l'opposition, p. 65 - La bataille de Brustem (28 octobre 1467), p. 66 - la famille de Bueren après Brustem, p. 67.

6. Le retour des proscrits

Introduction, p. 68. Quels proscrits, p. 69 - Quelles conditions favorables à la révolte, p.72- Quelle(s) bande(s) de proscrits peut-on identifier, p. 73- Quel élément moteur, p79 - Naissance de la révolte (septembre 1468), p. 82.

7. Vincent de Bueren, lIcapitaine des Liégeoixl!

Établissement des proscrits à 'Liège, p. 85. Leurs rapports avec le légat Onofrius, p. 86. Quel système politique, p 87 - Forme du pouvoir exercé par Vincent de Bueren, p. 88 - Problème du contrôle des bandes étrangères établies dans la cité, p. 89 - Les relations diplomatiques avec l'évêque, p. 90 - Le coup de main sur Tongres, p. 94 - Vincent conduit la foule pour accueillir l'évêque, p. 96 - Arrivée des troupes bourguignonnes, p. 97.

8. les derniers jours de Liège

p.47.

p.55.

p.68.

p. 85

p.

98

4

La bataille de Lantin ( 22 octobre 1468), p. 98 - Quelques mots d'introduction sur la tactique militaire des Francs-liégeois et l'apport éventuel des Bueren à celle-ci, p. 101 -Tarrivée de l'avantgarde bourguignonne, p. 101 - La sortie du 27 octobre 1468 sur le faubourg Saint-Léonard, p. 102.

Les "Six cent Franchimontois', p. 105.

Conclusions sur la tactique militaire des Liégeois, p. 114 - La prise

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de la cité, p. 115 - La dernière r6sistance de Vincent de Bueren, p. Ils - La dispersion des capitaines liégeois, p. 117.

9. Les Bueren après 1468

Guillaume de Bueren l Cologne, p. 118 - Les dernières mésaventures de Guillaume, p. 119 - Les dernières traces de Gisbert, Allard et Elsa de Bueren dans les sources, p. 120 - Les dcmi&u traces de Vincent de Bueren dans l'Qvcrijsscl, p. 121.

Conclusions.

BiblioiIaphie

p.

118

p.123

p.

128

s

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Armoiries de Guillaume de Bueren

D'après la description de la pierre tombale de Guillaume de Bueren au prieuré des Bons-Enfants, donnée par Henri

Van den Berch (H. V ANDENBERGH, Recueil d'epitaphes ,éd. L. NA VEAU DE MARTEAU et A. POULLET, t.

2, Liège,1928, n" 1390) et les croquis héraldiques du héraut d'armes Gelre (Armoirial de Gelre , éd. P. ADAM,

Louvain, 1992, p. 205).

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INTRODUCTION

Vincent de B ueren compte parmi les figures emblématiques de

l'histoire liégeoise. Son nom évoque l'ultime résistance de la cité contre une

mainmise étrangère, l'audace et la grandeur du patriotisme liégeois,

l'héroïsme pur et désintéressé exalté par le romantisme. La notoriété de

notre personnage trouve sa source dans sa participation à l'un des "grands

mythes de l'histoire de Belgique:": le coup de main dit des "Six cent

Franchimontois", dans la nuit du vingt-neuf au trente octobre 1468. Peut-

être vaut-il mieux, avant même de commencer, rappeler succinctement les

événements qui conduisirent à ce "glorieux fait d'armes", et qui marquèrent

la carrière politique de Vincent de Bueren.

En 1456, Liège accueillait son nouvel évêque, Louis de Bourbon. Ce

jeune homme de haut lignage était en réalité une créature du puissant duc

de Bourgogne, Philippe le Bon, qui cherchait à annexer la principauté

épiscopale pour parachever sa conquête des Pays-Bas. Durant les dix

années qui suivirent, la cité de Liège entra en lutte ouverte contre l'évêque

et se heurta de front à la puissance bourguignonne. En 1467, la défaite de

Brustem mit un terme à la résistance liégeoise. Charles le Téméraire fit

abattre les murailles de la cité, la priva de ses institutions communales, et

lui imposa un gouverneur bourguignon. La plupart des chefs de l'opposition

fuirent la ville livrée à l'ennemi. Neuf mois plus tard, trois d'entre eux,

Vincent de Bueren, Jean de Wilde et Gossuin de Streel, s'emparaient de

Liège avec une petite bande de rebelles, rétablissaient l'indépendance du

pays et se préparaient à affronter la colère du Téméraire. Leur aventure

dura deux mois. Fin octobre 1468, le duc de Bourgogne, allié au roi de

France Louis XI, menait contre la cité la plus puissante armée d'Europe.

Assiégée sans espoir de secours, Liège devait leur opposer une résistance

aussi farouche que désespérée avant de tomber en leur pouvoir. Le dernier

acte de

1 Sur la place de l'épisode des "600 Franchimontois" dans la littérature et sur sa mise au service d'un idéal patriotique,

voir S. ROITIERS, L'honneur des Six cent Franchimontois, dans A. MORELLI (sous la dir, de), Les grands

mythes de l'histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, Bruxelles, 1995. pp. 67-82; S.ROITIERS, Six cent

patriotes en quête d'auteurs. Historicité et littérarité des Six cent Franchimontois: étude d'un cas de figure, la

cité ardente de Henri Carton de Wuian. dans R.B. P.1/. , t, 73, Bruxelles, 1995, pp. 340-374; ct L. FRIPPIAT,

L'épisode des Six cent Franchimontois, mémoire présenté en vue de l'obtention du grade de licencié en histoire.

U.L.O .. 1973.

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cette lutte est resté le plus célèbre: il s'agit de l'expédition des Six cent

Franchimontois.

Une production littéraire et scientifique abondante devait se faire l'écho

de ce fait d'armes dès le dix-huitième siècle. Récupéré et mis au service des

concepts "d'identité belge" puis "d'identité Wallonne", l'épisode fut longtemps

enseigné à tous les élèves du secondaire comme un des faits marquants de

l'histoire de notre payss. Ainsi, les générations qui nous précèdent ont-elles pu

se forger une image abstraite de l' "héroïque Vincent de Bueren". À Liège, on

tint à marquer dans la toponymie le souvenir de cette illustre figure. En 1877,

les autorités communales donnèrent son nom à l'ancienne Rue des jardinsè,

Plus tard, on nomma Montagne de Bue ren la colline par laquelle les "Six

cent" étaient censés avoir conduit leur expédition. La plaque porte

l'inscription suivante:

Montagne de Bueren. Évoque Vincent de Bueren qui, avec Goswin

de Strailhe, commanda l'expédition des Six cent Franchimontois dans la

nuit du 29 au 30 octobre 1468.

Jusqu'au début des années 70, aucune étude historique sérieuse ne

s'était intéressée au personnage. En 1973, Mme Josse-Hoffmann y remédia

partiellement en publiant dans la Biographie nationale de Belgique une

notice consacrée à Vincent de Bueren-, Par leur ampleur, les recherches

qu'elle avait menées méritaient une publication plus importante que les

impératifs de la Biographie nationale ne le permettaient. Cette notice nous a

cependant ouvert de nombreuses pistes, et c'est à elle que nous devons, dans

une large mesure, l'orientation de notre travail.

Venons-en à nos propres recherches. D'emblée, un constat s'impose :

l'état actuel de la documentation ne permet guère d'aborder directement le

personnage et d'en obtenir une image nette. À peu de choses près, Vincent

n'apparaît dans les sources qu'en septembre 1468, pour en disparaître aussitôt

fin octobre. Sa vie publique est très courte et prend place dans une période

troublée qui nous a laissé peu d'archives. Heureusement, les sources narratives

sont nombreuses à s'intéresser à ces événements. Nous ne pouvons cependant

guère ajouter de nouveaux éléments à l'histoire de sa carrière.

2S. ROTIIERS, L'honneur des 600 Franchimontois, op. CiL, pp. 67-70.

3Th. GOBERT, Liège à travers les âges. Les mes de Liège, nouvelle éd., t. IlL, Bruxelles, 1975, p. 502. 4M. JOSSE-

HOFFMANN, Vincent de Bueren , dans Bibliographie nationale de Belgique, t.3S, suppl. 10, Bruxelles, 1973-1974,

col. 60-66.

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Si la personnalité de Vincent de Bueren demeurera fatalement obscure

dans l'ensemble, on trouvera dans l'étude de sa famille les fondements d'une

approche nouvelle du personnage. C'est donc à celle-ci que nous avons

consacré une bonne partie de nos efforts. Vincent est le fils de Guillaume,

seigneur de Bueren en Gueldre, qui dut s'exiler après avoir été chassé de ses

terres par le duc Arnould d'Egmont- (1435). Sa famille parvint à Liège vers

1450 et profita de sa parenté avec l'évêque Jean de Heinsberg pour occuper

diverses fonctions ecclésiastiques importantes. Elle devait ensuite connaître la

disgrâce sous Louis de Bourbon et se jeter dans l'opposition. Ce sont ces

circonstances qui amenèrent petit à petit Vincent de Bueren à conduire les

liégeois dans leur dernière tentative d'émancipation du pouvoir bourguignon.

Il convenait donc de les étudier attentivement, pour découvrir comment un

étranger devint, deux mois durant, le capitaine des Liégeois.

En ce qui concerne ces deux mois d'activité politique de notre héros,

une relecture attentive des sources nous a permis de proposer une nouvelle

vision de certains aspects de la lutte contre la Bourgogne. Nous nous

attarderons à la naissance de la révolte, à la forme du pouvoir exercé par

Vincent de Bueren sur la cité, et enfin à la tactique militaire des Francs-

liégeois.

On prendra garde à ne pas confondre les seigneurs de B ueren, en

Gueldre, avec un autre lignage noble du même nom, originaire de Büren dans

le nord de l'Allemagne (au confluent de l'AIne et de l'Afte)». La distinction

entre ces deux familles homonymes est particulièrement problématique

lorsqu'on étudie le clergé colonais: on trouve en son sein aussi bien des

membres de l'une que de l'autre famille durant tout le Moyen Âge. Par

ailleurs, en 1435, Guillaume de Bueren fut banni de Gueldre; sa seigneurie

passa alors dans les mains de la maison d'Egmont et fut rapidement élevée au

rang de comté. Les comtes de Bueren que l'on trouve dès la fin du Xvo siècle,

tel Florent d'Egmont, sont donc également à distinguer de la famille originelle.

Enfin, même dans nos régions, le danger de confusion guette l'observateur

inattentif. On y connaît en effet plusieurs familles Buren, comme par exemple,

les Buren de Haccourt",

SDue de Gueldre de t423 à 1473.

6Yoir au sujet de cette famille la monographie de R. OBERCHELP, Die Edelherren vOIr Biiren bis zum er/de des

14. Jahrunderts, s.l., 1963.

7Qui se signalent notamment comme maye urs de HacCOUl (6 avril 1494) : H. V AN NEUSS, Inventaire des

archives du chapitre noble de Miinsterbilsen, Hasselt, 1887, p. 131 : le personnage qui intervient dans

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Note sur l'étude des origines gueldroises de la famille de Bueren.

Notre tâche n'était pas d'étudier en détail l'histoire des seigneurs de Bueren. Nous nous sommes fixés pour objectifs de prendre la mesure de la famille, de brosser un rapide tableau de ses origines et d'étudier plus attentivement la vie politique et l'exil de Guillaume de Bueren, le père de Vincent. Nous survolerons donc rapidement trois siècles d'histoire du lignage sans chercher à clarifier de nombreux points obscurs, et nous nous intéresserons essentiellement à deux générations : celle de Vincent, et, au préalable, celle de son père.

L'étude de la jeunesse de Guillaume se justifiait pour plusieurs raisons. D'une part, les mésaventures de cet ambitieux seigneur ont largement déterminé le cours de la vie de Vincent, non seulement en provoquant l'exil de la famille, mais encore en la précipitant dans l'opposition à Louis de Bourbon. La personnalité, les projets, la puissance militaire et financière de Guillaume de Bueren sont des éléments tout à fait nouveaux pour des historiens liégeois; ils permettent d'aborder très différemment l'étude de Vincent et de jeter quelques Iumières supplémentaires sur le règne de Louis de Bourbon. Le personnage de Guillaume restera omniprésent tout au long de ce travail et continuera à jouer un rôle dans la carrière de capitaine des liégeois de son fils. D'autre part, étudier les revers militaires de Guillaume, c'était aussi découvrir certains épisodes marquants de l'enfance de Vincent. Il importait donc de bien connaître ce père. On ne peut bien comprendre le personnage de Vincent hors du contexte de son histoire familiale.

Un érudit hollandais, D. Buddingh, avait déja publié un article sur la famille de Bueren à la fin du siècle passé, mais celui-ci restait totalement insatisfaisants. Un peu plus récemment, H. M. Werner

cet acte en tant que mayeur, Guillaume de Buren, est un homonyme el presque un contemporain du père de

Vincent de Bueren,

8 D. BUDDINGH, Bueren, Historisch-genealogisch onderzaek naar de heren van Bueren, J 125-1581, dans

Vaderlandsche Letteroefeningen, t. III, Gorinchem, 1864, p. 169-208. Ce travail est une compilation de données

extraites de J'érudition moderne plutôt qu'une véritable étude historique. L'auteur se fonde rarement sur les sources

médiévales et se contente souvent de citer sans critique sérieuse des auteurs des Ir et 18° siècle (Voet van

Oudheusden, Slichtenhorst, Wagenaar, Pontanus). L'aspect le plus problématique du travail de Buddingh est sans

conteste la confusion dont il fait preuve lorsque ces travaux modernes sont en contradiction. Il en vient ainsi à

dédoubler certains événements (!) parce qu'il a trouvé des dates différentes dans ceux-ci; ainsi de l'attaque sur Tiel

par Guillaume de Bueren (qu'il place en 1427 et renouvelle en 1428), ou le siège de Bueren par le duc de Gueldre

(1430 et puis 1435). L'on déplorera en

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avait consacré quelques pages de sa très romantique étude sur les châteaux

de Gueldre? à retracer l'histoire des seigneurs de B ueren, sans pouvoir

nous contenter davantage-o. Les recherches de J.-M. Van Winter!' et de J.

Kuys» sont plus sérieuses mais n'apportent que quelques précisions. En

dehors de ces travaux, aucune étude concernant la famille de Bueren n'est

parvenue à notre connaissance». C'est encore la synthèse plus que

centenaire de Nijhoffl- sur le règne du duc Arnould d'Egmont qui s'est

révélée la plus utile: on y trouve de nombreuses données sérieusement

étayées sur le rôle de Guillaume de B ueren et de son frère dans les affaires

politiques et militaires de Gueldre.

Nous ne pouvions nous baser sur le travail de Buddingh, qui n'offre

aucune des garanties que l'on est en droit d'attendre d'un travail historique

fiable et méthodique. Nijhoff ignorait trop de documents qui n'étaient pas

encore publiés de son vivant, et les travaux plus récents ne suffisaient pas à

y voir clair. Un retour aux sources de première main s'imposait donc.

outre qu'il n'ait pas mené jusqu'au bout l'étude de la seule source fiable qu'il utilise (le recueil diplomatique de

Nijhoff). S'il avait pris la peine d'en consulter l'introduction, il y aurait trouvé de nombreuses données sérieusement

étayées, qui lui auraient permis de remettre de l'ordre dans ses renseignements.

9 H. -M. WERNER, Geldersche Kasteelen . Historische, oudheidkundige en genealogische studien, t. II, Zutphen,

1908.

!OSa méthode de travail est un peu plus fiable que celle de Buddingh; l'auteur se concentre sur les sources

diplomatiques publiées à son époque. En dehors de cette recherche, cependant. le travail offre peu d'intérêt. Les

sources narratives de première main ne sont pas davantage consultées, et le résultat est une longue liste de mentions

des seigneurs de Bueren, le plus souvent comme témoins dans let ou tel acte. Quand il cherche à aller plus loin, c'est

encore en s'en référant à de peu fiables travaux des 170 el 18° siècles. Celte étude est donc utile surtout pour situer

dans le temps et sur l'arbre généalogique les différents seigneurs de Bueren.

Il J.-M VAN WINTER, Ministerialiteit en ridderschap in Gelre en Zutphen, t. l-II, Groninge, 1962 (Bijdragen van

het Instituut voor middeleeuwse geschiedenis der Rijksuniversiteit te Utrecht, XXXI).

12J. KUYS, De ambtman in het kwartie van Nijmegen (1250-1543), Nijmegen, 1987.

130n peut s'étonner de cette lacune. Au vu de la puissance politique de la famille et de son rôle dans l'histoire de

Gueldre de 1420 à 1435, on se serait attendu tout au moins à quelque travail mettant en évidence la politique de

Guillaume ou de Jean de Bueren, sinon à une étude d'ensemble de la famille; mais il semble bien qu'aucun article n'ait

encore vu le jour. Notre recherche s'est limitée aux principales bibliographies néerlandaises ct gueldroises; mais nous

avons par ailleurs contacté les archives de l'état en Gueldre dans l'espoir d'être renseignés sur toute publication utile à

notre recherche. L'archiviste, P. Wouters, nous a confirmé qu'aucune étude n'existait à ce jour, ni sur la famille de

Bueren, ni sur aucun de ses membres. Il nous a signalé l'existence de plusieurs pièces et dossiers d'archives

concernant la famille, mais nous avons dû renoncer à les consulter dans le cadre de ce mémoire. Signalons tout de

même une notice sur Jean de Bueren dans la Biographie de A.-J. VAN DER AA, Biographlsch Woordellboek der

Nederlanden • t. I, 2° éd., Amsterdam, 1969, p 485.

14NIJHOFF, Gedenkwaardigheden uit de geschiedenis van Gelderland (1286-1538), t. IV, Arnhem. 1847:

l'introduction de ce volume diplomatique Cà laquelle nous renverrons par une numérotation de pages en chiffres

romains, par opposition aux actes édités dans le même volume, dont nous donnerons le numéro en chiffres arabes)

constitue une synthèse des plus utiles sur cette période.

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Même en nous limitant à deux générations, nous ne pouvions

prétendre faire une étude exhaustive. Il aurait fallu pour ce faire dépouiller

toutes les sources du duché de Gueldre, du duché de Berg, de l'archevêché

de Cologne, du diocèse d'Utrecht, sans compter les pièces d'archives

inédites qui nous ont été signalées par P. Wouters, archiviste en Gueldret-.

Il reste donc certainement des éléments à découvrir pour compléter les

premiers chapitres de ce mémoire; nous avons limité nos recherches aux

événements essentiels et aux principales sources narratives et

diplomatiques.

Du point de vue diplomatique, la publication la plus importante pour

l'histoire de la Gueldre reste l'ouvrage de Nijhoff déjà cité. D'autres source

utiles figurent dans le travail de Hulsoff et Aders, Die Geschischte der

Graffen und Herren von Limburg und LimburgStyrum und ihrer

Besitzungen 1200-155016• De façon plus générale, l'ouvrage de Th.

Lacomblet, Urkundenbuch. für die geschichte des Niederrheins \7, demeure

des plus utiles. Nous avons par ailleurs recherché les Bueren dans le clergé

colonais à travers les volumes des Regesten der Erzbischôfe von Kôln in

Mittelalterï». Nul doute que c'est dans le domaine diplomatique qu'il reste le

plus de choses à découvrir.

La famille de Bueren a intéressé bien des chroniqueurs des régions

du Bas-Rhin. Tout particulièrement, on trouvera relatés les faits et gestes

de Guillaume et de Jean de Bueren dans les Gelderse kronieken de Willem

van Berchtern'? et dans l'Historia Gelriae auctore anonymo éditée par

Joostingsw. Quelques données sont à glaner dans les différentes chroniques

et annales éditées par le professeur Van Doominck>, ainsi que dans

l'Historia dominorum de Teysterband, Arckei, Egmonda, Brederode,

Ijsselstein, etc: éditée par W.F. Andriessen».

15RIJCKSARCHIEF IN GELDERLAND, fonds Buren 1884, 0236 et 1927-1960, 0237. P. WOUTERS signale tout

particulièrement différents documents sur le château de Bueren et également di fférentes pièces concernant un conflit

entre Jean de Bueren (seigneur d'Ewick) et Guillaume de Wachtendonk en 1431.

16 A.L. HULSHOFF et G. ADERS, Die Geschichte der Grafen und Herren von Limburg und LimburgStyrum und

ihrer besitzungen , t. II, Assen-Münster, 1963; avec tout particulièrement, en ce qui concerne notre propos, le volume

composé par A-P. V AN SCHILFGAARDE, De graven van Limburg-Styrum in Ge/der/and en de geschiedenis

hunner beziuingen , t. I-III, Assen. 1961.

17Th.-J. LACOMBLET. Urkundenbuch fur die Geschichte des Niederrheins , t. IV, Düsseldorf. 1858.

18Regesten der Erzbischofe VOIl Kain in Mittelalter, t. I à VII, s.l., 1901-1973.

19Willem VAN BERCHTEM. Gelderse Kronieken • éd. A. J. DE MOOY, Arnhem, 1950. Il s'agit là d'une source de tout premier ordre pour l'histoire de la Gueldre à cette période.

20Historia Gelriae auctore anonyme , éd. J. G. C. JOOSTING, Arnhem, 1902 (Vereeniging Gelre 2).

21 P. N. V AN DOORNINCK (éd.), Gelderse kronieken .Amhern, 1904.

22Historia dominorunt de Teysterband, Arckel, Egmonda, Brederode, ljsselstein, etc .... , éd. par W.F. ANDRIES

SEN , s.I.,1933.

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L'arbre généalogique de la famille demeure assez difficile à clarifier.

Le classement de diverses sources diplomatiques concernant les seigneurs

de Bueren, par Werner, permet tout au moins de situer dans le temps les

titulaires successifs de la seigneurie. Deux généalogies de la famille furent

établies à l'époque moderne: la première, par Voet van Oudheusden dans

son histoire de Culemborg-s, la seconde par le héraut d'armes liégeois Le

Fort>. Ces deux travaux présentent trop de variantes pour que l'un ait servi

de modèle à l'autre. Nous sommes donc en possession de deux travaux

modernes qui n'offrent aucune garantie ( sources non citées). D. B uddingh

corrige, à bon escient, la généalogie de Voet van Oudheusden en quelques

endroits; il paraît cependant ignorer Le Fort, et, bien entendu, certaines des

données qu'il expose sont trop peu étayées. Nous avons préféré nous

abstenir de corriger tout l'arbre généalogique de la famille; nous ne

présenterons les ancêtres de Vincent, dernier héritier de la lignée, qu'à

partir de son arrièregrand-père Allard.

Notes critiques concernant l'étude de Vincent de Bueren dans les événements liégeois de 1465w1468.

Nous présentons ici les sources narratives relatives à la lutte de la cité de Liège contre les ducs de Bourgogne, dans la mesure où elles se révèlent réellement utiles à notre propos. Nous espérons ainsi alléger le corps de notre exposé de remarques critiques générales qui auraient pu se révéler fastidieuses. Nous espérons également que le lecteur y trouvera quelques précisions nouvelles sur certaines des oeuvres présentées et leur auteurs.

-Adrien d'Ou denboscli

Il était moine de Saint-Laurent à Liège. À partir de 1449, il entreprend de noter les événements survenus à Liège dans un Diarium, avant de mettre ces notes au net sous forme de chronique (après 1469)25. L'oeuvre d'Adrien d'Oudenbosch foisonne de détails

23VOET VAN OUDHEUSDEN, Historische beschryvingen van Culemborg, Utrecht, 1753, pp. 79-81. 24A.EL.,

fonds LE FORT, 1. IV, p. 302-308.

25La chronique commence en 1429 et s'achève en 1482; mais jusqu'à l'année 1449, elle est empruntée à Jean de

Stavelot. Elle fut éditée toul d'abord par MARTENE et DURAND (Amplissima collectio, 1. IV, col. 1201 à 1378),

puis par C. De Borman (Liège, 1902). Cette seconde édition complète la chronique par des extraits du Diarium.

L'oeuvre d'Adrien d'Oudenbosch a également fait l'objet d'un mémoire de licence à l'U.L.O.

12

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de toutes sortes, qui constituent un tableau extrêmement riche de la vie politique de la cité. Nous pourrons ainsi étudier à travers elle non seulement les actes de Vincent, mais aussi des traces du rôle joué par sa famille. Évoluant sans cesse au coeur des événements, Adrien est extrêmement bien placé pour nous renseigner; et lorsqu'il n'est pas lui-même témoin, il se base généralement sur des témoignages solides (tout particulièrement, pour le coup de main sur Tongres, sur celui de Gui de Brimeu). On ne déplorera que son parti -pris contre les meneurs de la révolte liégeoise, susceptible de fausser quelque peu son objectivité.

-Lean de Looz

Il s'agit du continuateur d'Adrien d'Oudenbosch. Jean Peecks, dit de Looz, était également moine de Saint-Laurent. La relation des événements antérieurs à 1482 n'est qu'une redite de celle d'Adrien d'Oudenbosch.

-Mémoire du légat Onofrio sur les affaires de Liège>

Sans conteste la source la plus riche et la plus fiable concernant l'année 1468. Onofrius, Évêque de Tricaria, fut envoyé à Liège le 28 août 1467 afin de réconcilier l'évêque, le duc de Bourgogne et les Liégeois et de régulariser la situation, Il oeuvra à la paix avec autant d'honnêteté que de ténacité. Il est un des rares médiateurs à avoir pris réellement en compte l'intérêt des Liégeois, ce qui lui valut finalement dl être pris en grippe par les Bourguignons?". Il est donc un témoin d'une rare objectivité, alors que toutes les autres sources sont hostiles aux séditieux. De retour à Rome après son échec, il rédigea un mémoire afin de se justifier auprès du pape. Ce témoignage, outre les qualités que nous avons déjà souligné, présente pour notre étude un intérêt tout particulier, en raison des nombreux contacts que le légat a entretenus avec les capitaines liégeois: il constitue donc la source la plus directe pour aborder Vincent de Bueren. Onofrius est cependant absent lors du siège de la ville, fin octobre: il s'agit du seul épisode qu'il narre sans l'avoir vécu, sur

26Yoir S. BORMANS, Liégeois et Bourguignons en 1468. étude historique de M. le docteur H.F.] Estrup,

conseiller d'état à Copenhague, d'après les rapports du légat Onofrius , dans Société des bibliophiles liégeois,

Liège, 1881; S. BALAU, les sources de l'histoire de Liège ail moyen age, Bruxelles, 1903, p. 650; et enfin

ONOFRIUS, Mémoire sur les affaires de Liège (1468) , éd. par S. BORMANS, Bruxelles, 1885 (C.R.H.), qui

en constitue l'édition.

27Commynes, notamment, se fait l'écho de médisances à son égard.

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base d'un témoignage oculaire. Nous aurons à reparler du légat dans la

deuxième partie de cette étude, aussi nous ne nous étendrons pas

d'avantage ici sur son oeuvre conciliatrice.

-Ang e de Viterbe

À la demande du légat Onofrius, ce poète italien déjà renommé

rédigea sur les affaires de Liège un long poème épique en six livres, intitulé

De excidio civitatis Leodiensis. Le but était évidemment de faire l'apologie

du légat, qui avait échoué, malgré de louables efforts, dans sa mission de

conciliation en 1468. Ce poème nous a été transmis par Martène et Durand-

e: il en existe en outre une douteuse analyse par le baron de Villenfagne

dans le volume de sources de De Ram29• La langue et les références

mythologiques employées en font une oeuvre typique de la renaissance»,

difficilement intelligible en de nombreux endroits.

Ce poème présente beaucoup d'intérêt pour l'étude de Vincent de

Bueren, qu'il met généreusement en scène à plusieurs reprises. Cependant, il

pose aussi un problème critique assez épineux. Nul doute que le poète se base

sur le témoignage d'Onofrius. De nombreux passages du De excidio consistent

d'ailleurs en une reproduction versifiée du mémoire du légat. Lorsque nous

avons affaire à un tel passage, nous sommes en terrain sûr, mais l'intérêt est

faible. Par contre, lorsque Ange de Viterbe fournît des détails

supplémentaires, on est en droit de se méfier de l'imagination poétique,

d'autant plus qu'il s'agit souvent de discours enflammés prêtés aux

personnages, ou de longues descriptions exaltées de faits d'armes héroïques.

Cependant, Ange de Viterbe a dû rencontrer longuement le légat et obtenir de

lui des détails que celui-ci n'avait ~ pas jugé bon de relater dans son Mémoire;

il pouvait en outre tirer des informations supplémentaires de son collaborateur

Herbenus, originaire de la principauté de Liège.

-Matthieu Herbenus

Homme de lettres et érudit, Matthieu Herbenus (mort après 1520) fut

écolâtre de Saint-Servais à Maastricht. Après les événements de 1468, il fut

attaché à la personne d'Onofrius» . Il

28MARTENE et DURAND, Amplissima collectio. t. IV, Paris, 1729, col. 1379-1500.

29p. F.-x. DE RAM, Documents relatifs aux troubles du pays de Liège SOIIS les princes-évêques Louis

de Bourbon et Jean de Homes, in-4°, Bruxelles, 1844 (C.R.H.), pp. 235-260. .

30Même les toponymes utilisés sont souvent antiques.

31Voir S. BORMANS, op. cit., p. XVII; et S. BALAU, op. cit. ,p. 646-649; et H. H. E. WOUTERS, Mattheus

Herbenus Traiectensis, eel! humanist van het eerste tIltr, dans Miscellanea Traiectensia , Maastricht. 1962, p.

263-329.

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collabora avec Ange de Viterbe à la réalisation de son poème, et écrivit une préface pour chacun des six livres de celui-ci, que De Ram a publiées sous le titre de Epistola dedicatoria quae poemati de vastatione

Leodiensi in codice cameracensi praefigiturs-. Il s'agit de courts résumés des événements dont traite le poème. Herbenus est par ailleurs auteur de plusieurs oeuvres inédites ou perdues.

Piccolomini:

Jacopo Arnmanati, dit Piccolornini, né à Lucca le 18 mars 1422. Déja avant de devenir cardinal de Pavie en 1461, il mène une brillante carrière diplomatique au service du Saint-Siège, qui lui vaudra d'être reconnu comme un des italiens les plus clairvoyants de son siècle en matière politique». Sa relation de la mise à sac de Li è ge34, extraite du sixième livre de ses Re rum suo tempore gestarum comentarii est d'ailleurs dotée de cette lucidité, notamment quant au rôle du Saint Siège. Elle reste cependant assez brève, et se montre moins fiable en ce qui concerne le déroulement des opérations militaires. la chronologie de celles-ci manque de netteté, et nous y avons relevé de probables confusions et amalgames», Piccolomini se trouvait en Italie au moment des faits»: on ignore de qui il tient ses renseignements sur les événements liégeois. Il se pourrait qu'il ait tout simplement rencontré le légat Onofrius, de retour de missions"; on sait par ailleurs qu'il correspondait avec de nombreux humanistes à travers toute l'Europe.

32DE RAM, op. cit., pp .. 356 à 362.

33 sur Piccolomini, voir M.-E. COSENZA, Biographical and bibliographical dictionnary of the italian humanists

and the world of c1assical scholarship il! Ira/y, 1300·1600, 5 vol., Boston, 1962; Dizionario biogrofico degli

italiani , l. II, Rome, 1960, p. 802·803; S. BORMANS, Liégeois el bourguignons en 1468, Liège, 1881, p. XV.

Avant 1455, il est au service du cardinal Domenico Capranica, qu'il accompagne dans ses ambassades. Après 1455, il

entre au service du pape Callixte III comme apostolicorum diplomatum. Il exerce les mêmes fonctions sous Pie II,

dont il est également le secrétaire domestique. II devient cardinal de Pavie le 18 déc. 1461; il obtient du pape le

commandement du monastère de Saint André à Villeneuve-lez-Avignon, mais ne peut jouir de cet office en raison de

l'opposition du roi de France. Sous le pontificat de Paul II, il est en disgrâce et connaît en outre des problèmes avec le

duc Galleas Maria Sforza; il continue cependant à recevoir chez lui artistes et humanistes. Contre toute attente, il

rentre dans les bonnes grâces de Sixte IV en raison de ses compétences politiques. Il meurt le 10 septembre 1479.

34 Reproduite par CHAPEA UVILLE, Gesta pontificum Leodiensium, 1. III, p. 175 à 185; par STRUVIUS, Rerum

germanicum scrlptores varii de bibliotheca Freheri • t. II, pp. 271 et SVV.; et par DE RAM, op. cit., pp. 371-382.

Cette oeuvre, J'une des rares du cardinal de Pavie qui nous ail été conservée, constitue la continuation des

commentaires de Pie II.

35Yoir chapitre 8 du présent travail.

36Diziollllrio biografico deg/i italiani, op. cit., p. 803.

37C'est l'avis de S. BaRMANS, op. cit., p. XV.

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- Commynes

Inutile de présenter encore Philippe de Commynes.

Contentons-nous de souligner 1'intérêt primordial de ce témoignage direct

pour l'histoire du siège de Liège d'octobre 1468. Soulignons également sa

grande fiabilité, son luxe de détails, et la position privilégiée de l'auteur

auprès du Duc de Bourgogne. Concernant le déroulement de ces opérations

militaires, on voit mal, quoi qu'en aient dit de nombreux auteurs liégeois>,

quel intérêt le chroniqueur aurait eu à mentir. De même, on admettra

difficilement que sa mémoire ait pu le trahir 39 quant à des événements qui

ont mis sa vie directement en danger-c.

-Mêmoire de Jean, stre de Haynin et de Louvignies+

Jean de Haynin, chevalier de Hainaut, soldat de métier et

chroniqueur, fut tout naturellement appelé à suivre le duc de Bourgogne

dans ses expéditions contre les Liégeois. Il prit scrupuleusement note, au

jour le jour, des événements survenus, nous livrant ainsi, avec une grande

fiabilité, le plus précis des témoignages sur les campagnes de Charles le

téméraire contre les liégeois. Nous nous méfierons seulement de sa

tendance à se faire l'écho de la propagande de ses chefs d'armées

(notamment en matière de chiffres).

-Autres témoignages émanants de l'armée bourguignone

La liste des témoignages bourguignons serait incomplète sans les lettres

d'Antoine de Loisey et de Jean de Masilles, tous deux

38Le témoignage de Commynes est unanimement critiqué par les auteurs qui, dans le cadre d'une fameuse

querelle d'érudit, contestaient l'origine franchimontoise du commando des "600", Parmi les attaques de ces

auteurs, citons pour l'exemple le jugement de A. DE NOUE: Commynes est "habile et retors" (A. DE NOUE,

Promenade à Beaufays, dans B.l.A.L., t. 14, Liège, 1878, pp. 421-524). Nous avons donc tenu a réaffirmer le

caractère essentiel de son témoignage avant d'étudier de plus près les opérations militaires d'octobre 1468, dans

lesquelles Vincent joue un rôle important.

39Commynes rédige 20 ans après les faits.

40Sur la méthode de Commynes el sur ses sources en ce qui concerne l'expédition d'octobre 1468, voir l'article

de A. DOMS, Pourquoi "Six cent Franchimontois"? Glose sur 1111 récit contesté de Philippe de Commynes, dans

La vie wallonne, t. 65, Liège. 1991. pp. 5-37. Cet article est une longue discussion centrée sur les raisons qui

ont amené Commynes à proposer le nombre de six cent franchimontois, Bien qu'il paraisse s'intéresser à un

problème insignifiant, cet exposé n'en révèle pas moins un cas de figure intéressant pour la façon dont il faut

parfois lire une source médiévale.

41 On lira Jean de Haynin dans l'édition de D. BROUWERS (Mémoires de Jean, sire de Haynin et de

Louvignies (f 465-1477). 2 Vol., Liège, 1905-1906); l'ancienne édition, par la Société des Bibliophiles Montois

(Mons, 1842), en proposait une leçon amoindrie el lacunaire.

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membres de l'armée du duc, et qui relatent également les opérations

militaires-a; on y ajoutera les sources étudiées par E. Poncelet dans son

article: Le combat du faubourg Saint-Leonard à Liège, 27 octobre 1468 .' différents témoignages à propos de la mort du chevalier Colart de

Vendegies lors de cette sortie du 27 octobre, qui constituent une source de

très haut intérêt sur cet événement.

-Henri de Merica

Né en 1420, mort en 1479, Prieur du monastère de Bethléem près de

Louvain à partir de 1459. Son Historia compendiosa de cladibus

leodiensiumw fut composée immédiatement après les événements de 1468.

Elle s'étend de la résiliation de l'épiscopat par Jean de Heinsberg au sac de

la cité. Henri de Merica y fait plus oeuvre de style que de précision

historique; néanmoins ses renseignements sont souvent exacts, malgré un

net parti-pris contre le peuple en révolte.

- Thierry Pauwels (Theodoricus Pauli)

Thierry Pauwels, vice-doyen du chapitre de Saint-Martin à Gorcum.

Son Historia de cladibus Leodiensium, également éditée par De Ram44,

s'étend de 1465 à 1468. Pauwels n'est pas un témoin oculaire; il se base sur

le témoignage d'un garde du corps de Charles le téméraire qui avait pris

part aux campagnes contre les liégeois. Bormans= et Balau= soulignent le

peu de fiabilité de ce travail, dans lequel1'auteur, loin de se borner à restituer le seul témoignage dont il dispose, fait oeuvre d'imagination et de

style plus que de conscience critique.

-Autres sources étrangères

Divers oeuvres de portée plus générale abordent également les

événements liégeois de 1465 à 1468; on retiendra surtout les témoignages

français et bourguignons de Thomas Basin, de Jean de Roye, et de

Chastellain. Aucune de ces sources n'est directement utile à l'étude de

Vincent de Bueren en particulier. Leur prise de parti

42Éditées par E. FAIRON, Regestes de la cité de Liège, t. IV, respectivement pp.302-304 et 305-307. 43Éditée

par DE RAM, op. cit., pp. 4-132, d'après un manuscrit de la bibliothèque royale de Bruxelles. 44DE RAM, op.

cit., pp. 187-232.

45S. BORMANS, op. cit., p. xx. 46S. BALAU, op. cit., p. 640.

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pour le roi de France ou le duc de Bourgogne est souvent manifeste. Nous y ferons peu allusion.

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1. Les origines de la famille de Bueren-?

Bueren est actuellement une petite ville de Betuwe-s (Gueldre),

située entre la Linge et le Rhin (plus précisément, le bras du Rhin appelé

Lek), non loin de Tiel et de Culemborg. Durant tout le bas Moyen-Âge, elle

fut le chef-lieu d'une seigneurie importante, puis d'un comté du même nom

à partir de la fin du Xyo siècle. Aussi loin que l'on puisse remonter dans le

temps à travers les sources, elle fut toujours tenue par la famille dont nous

abordons ici l'étude, jusqu'à ce que Guillaume de Bueren en soit dépossédé

en 1435. Nous survolons ici l'histoire assez complexe du lignage et de sa

terre en ne nous attardant qu'à l'essentiel; du moins jusqu'à Guillaume, qui

nous intéressera tout au long du présent travail, et sur la vie duquel il

conviendra de proposer un exposé plus détaillé,

La première mention d'un lieu appelé Buria est datée de 77249.

A l'origine de la ville, il semblerait que l'on trouve tout d'abord une

forteresse. La terre de Bueren faisait partie de l'ancien comté de Tystrebant

(entre Waal et Rhin); et c'est, semble-t-il, d'une branche cadette du lignage

des comtes de Tystrebant que seraient issus les futurs seigneurs de Bueren,

tout comme bon nombre de grandes familles de la régionw.

47Toute la difficulté de proposer un exposé pertinent, si bref soit-il, sur les origines du lignage de Bueren réside

dans le peu de fiabilité de l'article de BUDDINGH, qui reste à ce jour notre seul guide complet. Nous avons

déjà signalé ses faiblesses dans notre introduction. II était donc préférable de s'en tenir aux quelques

renseignements provenant d'études plus sûres (Werner, Van Winter, Nijhoff...) et aux quelques sources que

nous avons pu rassembler; lorsque nous utiliserons néanmoins Buddingh, nous signalerons toujours la source

qu'il utilise (quand elle est mentionnée). Contrôler entièrement son article aurait équivalu à refaire

complètement l'histoire du lignage, ce qui nous aurait menés trop loin; nous considérons donc ce premier

chapitre comme un simple état des connaissances actuelles; de façon générale, toute donnée qui nous aura paru

insuffisamment étayée sera signalée par des réserves en appel de notes et par l'emploi du conditionnel. Nous

nous contenterons souvent de signaler certaines problématiques qui transparaissaient à travers l'article de

Buddingh sans tirer de conclusions; nous nous garderons toujours de rentrer dans les détails.

48L'cntre Rhin et Waal.

49Buddingh signale cette mention sans citer sa source; heureusement, WERNER, op. cit., p. 388, Y pallie et

nous donne la référence suivante: Sloet, Oorkondenboek , I, n"9. Il s'agit là d'un recueil diplomatique assez

fiable. Nous n'avons pas eu la possibilité de le consulter pour contrôler cette donnée. GYSSELING ne donne

qu'une mention du XIa siècle de ce toponyme (M. GYSSELING, Toponymiscli woordenboek van Belgïe,

Nederland, Luxembourg, Noord-Frankrijck en West-Duits/und (voor 1266),2 vol., Bruxelles, 1960).

50Notamment celui de Culemborg et la puissante famille d'Arckel, Cette origine du lignage des Bueren, pour

très plausible qu'elle soit, reste à notre sens hypothétique: seul Buddingh nous en parle, et il ne justifie pas le

moins du monde cette donnée.

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Le retrait dans la vie monastique d'Ansfried, dernier comte de

Tystrebant (mort en 1008) amorça le démembrement du comté. Comme les

terres voisines, Bueren s'érigea en seigneurie indépendante dans le courant

du XIo siècle. Elle gardera longtemps ce statut d'alleu>'. À cette époque, les

seigneurs de Bueren établirent rapidement leur domination sur les villages

des alentours, entre la Linge et la Lek, tout en payant encore une redevance

à la ville de Tiel, chef-lieu du défunt comté». Le premier seigneur de

Bueren dont nous avons gardé une trace est un certain Allard, qui épousa

en 1125 la fille du seigneur (voisin) de Beusinchem et doubla ainsi son

domaine, déjà importantv.

À partir d'Allard, premier du nom, la famille intervient régulièrement

dans les affaires de Gueldre, de Hollande, d'Utrecht ou de Brabant. Tout au

long des Xll", XIIIo et XIVo siècle, les Bueren surent assez s'illustrer à la

guerre pour intéresser fréquemment les chroniqueurs. Plusieurs récits

laissent penser qu'ils disposaient d'effectifs militaires assez importants.

Dans la paix, ils seraient aussi à l'origine de quelques fondations

monastiques>, et on les trouve en tout cas comme co-signataires de

plusieurs actes de grande portées- des ducs de Gueldre. Nous n'allons pas

refaire ici l'histoire des nombreux conflits auxquels ils ont pris part; même

pour en donner les grandes lignes, il nous aurait fallu revoir entièrement les

données de l'article de D. Buddingh.

Cette vie politique assez intense laisse entrevoir l'importance de la

famille. Leur domaine terrien était assez important; par ailleurs des cadets

de la famille se retrouvèrent également, au XIVo siècle, à la tête de

différentes seigneuries disséminées en Gueldre: Balgoyen, Dodendael,

Ewick, ou encore Aersen. Enfin, les mariages contractés avec des membres

de familles prestigieuses (Hollande-Hainaut, Bronckhorst, Heinsberg,

Limburg ... ) dès le XIIIo siècle leur assurèrent une place importante au sein

de la noblesse gueldroise et

51 I.-H. GOSSES, Handboek for de staatkundige geschiedenis der Nederlanden , LI: de Middeleeuwen ,

S'Gravenhage, 1959, p. 216.

52Cette redevance était due tous les sept ans en échange, non pas d'une protection, mais d'exemptions de droits de

douane (sur la Linge ou le Rhin?). À l'appui, Buddingh (p. 174) reproduit des données extraites d'un registre de

comptes dont il nous donne ainsi la référence: "un vieux manuscrit R.S. peut-être encore trouvable dans les archives

de Bueren" (I).

53Werner renvoie, pour ces données, à un travail moderne (SLICHTENHORST, I, p. 51) dont nous ignorons la

fiabilité. Ces données sont par ailleurs confirmées par nos deux généalogies: LE FORT, p. 302, et VOET V AN

OUDHEUSDEN, p. 79.

54Selon BUDDlNGH, p. 178, le chevalier Hugo de Bueren, signalé en 1152, fonda les monastères de Werslo et de

Wytmarsch, Mais Buddingh néglige de citer sa source ...

55voir WERNER, op. cit., pour un aperçu rapide des sources diplomatiques (éditées avant la fin du siècle passé). et

bien entendu les recueils diplomatiques de NIJHOFF.

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étrangère et, en faisant jouer tous les liens de parenté, une puissance

potentielle importante=. Nous avons sommes toutes affaire à un lignage

dynamique, à caractère international, plutôt qu'à de petits seigneurs locaux

repliés sur leur région.

Le château de Bueren était décrit comme une forteresse puissante,

entourée d'un triple fossé» Par ailleurs, la seigneurie s'enrichit fortement

par le commerce fluvial sur la Linge, que les seigneurs de Bueren surent

promouvoir, et, au moins au XIVo siècle, par deux foires annuellesv. Tout

ceci n'empêcha pas les Bueren, sans doute trop enclins à investir dans des

opérations militaires, de connaître à plusieurs reprises de sérieuses

difficultés financières.

Il est difficile d'y voir clair dans les liens féodaux des seigneurs de

Bueren. Jusqu'à la fin du XIIIo siècle, il semble que la seigneurie garde le

statut d'alleu, mais ses titulaires gravitent souvent dans l'entourage des ducs

de Gueldre-v, dont ils apparaissent parfois comme de proches conseillers.

Ce qui n'empêche pas certains d'entre eux de se lier, semble-t-il, avec

d'autres princes (Brabant, Hollande, Utrecht) au fil du tempsév. Jusqu'en

1298, la famille apparaît donc comme un lignage indépendant, apportant

son appui à différents princes et réalisant des transactions avec eux selon le

circonstances et les hasards des liens familiaux.

En 1298, Otton, seigneur de Bueren, dut céder son château au duc de

Gueldre Renaud pour des raisons mal définies. Il le récupéra ensuite sous

forme de fief61. Ainsi la seigneurie perdit-elle son statut

56Sans doute la puissance militaire, politique et financière des Bueren explique-t-elle comment ils se sont montrés

capables de défendre si longtemps leur indépendance.

57Buddingh, qui ne cite pas sa source. Adolphe d'Egmont jugea en tout cas la place assez sûre pour y emprisonner

son père Arnould d'Egmont de ]465 à 1471; le siège de Bueren en 1435 dura neuf longs mois malgré le grand nombre

des assaillants.

58Ces données sont exposées en vrac dans BUDDINGH, op. cit., pp. 192-193; nous émettons donc les réserves qui

conviennent.

59WERNER, pp. 388-390, cite un certain nombre d'actes importants émanant des ducs de Gueldre (privilèges

accordés à la ville de Zutphen, notamment), dont un seigneur de Bueren est témoin, ou dans lequel un seigneur de

Bueren joue un rôle important.

60ibid., p. 388-390. Sur le rôle d'Allard, seigneur de Bueren (début du XIVo siècle) auprès des comtes de Hollande-

Hainaut, voir différents actes dans A. WAUTERS. Table chronologique des chartes et diplômes imprimés

concernant l'histoire de la Belgique, Bruxelles, 1866-1904 :

-1. VIII, p. 516 (13 mai 1313) : A Ua rd de Bueren déclare de quelle façon il doit aider le comte de

Hollande, Hainaut, etc., en cas de guerre.

-t, lX, p. 439; t. VIII, p. 184 : deux actes attestant des bons rapports entre les comtes de Hollande et

la famille de Bueren;

Différentes données dans BUDDINGH, que nous n'avons pu contrôler, semblent également attester d'un lien entre ln

maison de Hollande et les Bueren au début du XIVo siècle. Le même auteur nous montre à d'autres époques la

famille de Bueren au service des ducs de Brabant ou de l'évêque d'Utrecht.

61 NlJHOFF, 1. J, acte n055. La raison de cette donation, telle qu'elle est mentionnée dans cet acte, reste évasive: le

seigneur de Bueren s'était "mal conduit" à l'égard du duc.

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d'alleu et entra-t-elle finalement dans le giron gueldrois. Il est possible que,

dans un premier temps, la famille ait tenté de se soustraire à cette dépendance.

Werner signale des difficultés entre Allard, successeur d'Otton, et son

suzeraine>, D'autres épisodes plus obscurs prennent place dans les décennies

suivantes: Otton, fils de cet Allard, fut, selon Buddingh, dépouillé de sa

seigneurie par le duc de Brabant, contre lequel il soutenait un conflit vers

1320. Lambert, frère du seigneur déchu, aurait alors tenu un temps le fief du

duc de Brabantsê. Quoi qu'il en soit, la ville de Bueren finit par redevenir un

fief de la Gueldre. En 1343, un autre Allard, seigneur de Bueren (fils de

Lambert), renforça ce lien vassalique en interdisant à ses descendants de se

marier en dehors de la Gueldre ou de vendre leur seigneurie sans l'accord du

duc64.

Entre-temps, durant tout le quatorzième siècle, les Bueren se

distinguent dans différents conflits dynastiqueso au sein du duché, et

manoeuvrent assez bien que pour garder leur terre dans leurs mains et prendre

de l'importance. Allard de Buerenes, le grand-père de Guillaume, investi le 13

août 1367 des seigneuries de Bueren et Beusincherne", régularisa ses rapports

avec les ducs de Gueldre: il obtint la restauration de ses droits sur le fief68, qui

semblent donc s'être détériores auparavant, ou tout au moins avoir nécessité

une confirmation au lendemain des querelles dynastiques dans lesquelles la

famille fut impliquée. Au début du X'V? siècle, la seigneurie de Bueren est

définitivement devenue un fief de Gueldre appelé à demeurer dans les mains

du lignage qui nous occupew.

62WERNER, p. 390.

63BUDDINGH, op. cit., p. l87-190. J. M. YAN WINTER, Ministerialiteit en ridderschap il! Gelre en Zutphen, t. I-II,

Groninge, 1962, p. 345, fait également allusion à un hommage au Brabant, sur lequel elle ne peut nous renseigner

davantage.

64NIJHOFF, t. 1. acte n0401.

65Pour la plupart en rapport avec la rivalité de deux grandes familles: Les Bronckhorst et les Heeckeren. 66fils

d'Allard, fils de Lambert.

67NIJHOFF, ur, acte na 154.

68L'acte d'investiture d'Allard (13 août 1367) constitue la première étape: la seigneurie de Bueren, qui devait auparavant

revenir au duc en l'absence d'héritier mâle, pouvait à présent se transmettre à une femme; de même, auparavant, la

seigneurie était considérée comme un "fief à 5 marcks": à défaut du p'aiement régulier de cette somme, le duc pouvait

reprendre possession du fief; par l'acte de 1367, le duc Edouard abolissait cette obligation. Dans le dernier quart du Xl'V" siècle, il dût y avoir un retour en arrière, peut-être dû à l'implication de la famille dans les querelles dynastiques en

Gueldre. À cette époque, deux partis s'affrontaient pour placer leur candidat à la tête du duché: les Bronckhorst et les

Heeckeren. Marié à une femme du premier parti, Allard soutint la candidature d'Édouard (il apparaît d'ailleurs dans un

acte de 1370 comme son "conseiller et ami", NIJHOFF, t.Il, acte nO 176). Mais Édouard mourut en 1371, et son frère

Renaud III, soutenu par les Heeckeren, prit sa place. Ce revers de fortune induisit sans doute la perte des avantages

conférés par Édouard à Allard. Ceci expliquerait pourquoi Allard dut se faire confirmer son investiture des fiefs de Bueren

el Beusinchern par Renaud IY, une fois le conflit apaisé (1402; NIJHOFF, t. II, acte n0263), et obtenir la restauration de

ses droits sur le fief le 12 août 1403.

69 Allard de Bueren était probablement redevenu un proche du duc de Gueldre: Le 9 juin 1399, on le trouve comme co-

signataire d'un acte d'alliance entre son suzerain et Jeanne de Brabant (A. VERKOOREN, Inventaire des chartes et

carlu/aires des duchés de Brabant et Limbourg et des pays d'outre-

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Page 27: Vincent de Bueren; capitaine des Liégeois · p. 27 - Jean de Buere.o l Bruxelles (1421). p. 28 - Problème de la succession en Gueldre. p. 29 - L'implication des Bueren dans les

C'est au petit-fils de ce seigneur, Guillaume, que nous allons à présent nous intéresser de plus près. Nous découvrirons ainsi comment la stabilité du fief, acquise par Allard, allait être remise en aventure par les actes de Guillaume, pour en arriver finalement au bannissement de la lignée.

2. Guillaume, seigneur de Bueren.

A vant d'aborder la vie tumultueuse du père de Vincent de Bueren, rappelons les limites de cet exposé: les faits et gestes de Guillaume ne sont pas le thème central de notre recherche. Nous ne chercherons pas à présenter ici une monographie sur ce personnage. Nous nous contenterons d'étudier ses actes militaires et diplomatiques les plus importants, avec pour intention de dégager le fil conducteur de sa politique, dans la mesure où ces données projetteront en aval une lueur nouvelle sur la vie de Vincent. Cette tâche est assez riche en soi, pour que l'on remette l'étude des problèmes secondaires à plus tard. Le tableau qui suit sera donc forcément incomplet; nous nous en tiendrons à

l'essentiel?'.

Nous parlerons beaucoup au cours de ce chapitre du frère cadet de Guillaume, Jean. La raison en est que les deux hommes ont toujours défendu les mêmes intérêts, et que les actes de l'un peuvent aider à

comprendre ceux de l'autre: ils s'inscrivent dans la même trame stratégique. C'est en analysant ensemble les agissements de ces deux personnages que nous pourrons proposer une clé de lecture pour leur politique.

Guillaume est le fils de Gisbert de Bueren, l'aîné des enfants d'Allard?", seigneur de Bueren. Ce personnage ne vécut pas très longtemps et mourut avant d'avoir gouverné ses domaines, lesquels passèrent directement des mains d'Allard à celles de Guillaume. Vers

Meuse, 1. II: 1396-1404, Bruxelles, 1966, actes n07333 et 7334). Nous verrons plus loin qu'il y avait peut-être un lien

familial obscur entre le duc et cette génération de Bueren.

70 En ce qui concerne l'étude des conflits entre Guillaume de Bueren et Arnould d'Egmont, l'introduction du

quatrième volume du recueil diplomatique de NIJHOFF offre une trame relativement complète; il ignore cependant

certains événements essentiels, comme le coup de main sur Grave de 1423. Beaucoup de données supplémentaires sur

la vie de Guillaume, provenant des travaux de BUDDINGH ou de WERNER, n'ont pu être vérifiées par nos soins

mais présentaient tout de même un intérêt assez élevé; nous y ferons donc allusion en note, avec les mêmes réserves

critiques qu'au chapitre précédent.

71Investi des seigneuries de de Bueren en Beusinchem en 1367.

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1389, Gisbert épousa Catherine de Heinsberg, seconde fille de Godefroid

de Heinsberg-Looz et de Philippine de Juliers?", un fait qui revêt une

importance déterminante pour le cours de la vie de ses enfants. La maison

de Heinsberg était alors en pleine expansion et commençait à faire valoir sa

puissance dans les pays d'entre Rhin et Meuse">.

D'après J.-M. Van Win ter, Gisbert fut investi de diverses seigneuries

supplémentaires (Beesd, Cannenburg) alors que son père était encore

seigneur de Bueren?-. Pour le reste, nous ne savons presque rien de sa vie.

Il est en tout cas certain qu'il ne mourut pas en 1397, comme le croyaient

Voet Van Oudheusden et Buddingh''>, car on retrouve encore un Gisbert de

Bueren, sur l'identité duquel il n'y a pas à douter, dans un acte du 16 mars

140076• Il était par contre certainement décédé en 1403, année où

Guillaume, encore enfant, se voit investi des seigneuries de Bueren et

Beusinchem?? sous la tutelle de son oncle paternel Otton?s. Ces éléments

nous permettent de placer la naissance de Guillaume entre 1390 et 1402, et

celle de son frère Jean entre 1391 et 1403.

L'héritage de Guillaume n'est pas des moindrest". Si on ajoute à la

liste de ses propres domaines les terres de son oncle (Jean de Bueren,

seigneur d'Ewicksv) et celle que son frère (Jean de Bueren, prévôt d'Aix)

acquiert encore le Il février 142581 (Oyen et Dieden, seigneurie et château),

on aura une idée des ressources et de la puissance potentielle de la famille

dans les premières décennies du

72 A. P V AN SCHILFGAARDE, De graven van Limburg-Styrum il! Gelderland el! de geschiedenis hunner

bezlttingen , t. I-III, Assen, 1961, p. 39 : acte du 19 août 1389, par lequel Allard, seigneur de Bueren, promet de

dédommager Guillaume de Bronckorst au sujet du mariage de Gisbert et Catherine de Heinsberg.

73cfr. W. J. ALBERTS, Overrlcht van de geschiedenis van de nederrijnse territoria tussen Maas en Rijn, t. Il:

1288-1500, Van Gorcum-Assen, 1982.

741.-M. VAN WINTER, op. cit., tableaux chronologiques.

75BUDDINGH, op. cit., p. 175.

76V AN SCHILFGAARDE, op. cit., p. 47 : Gisbert, oudste ZOI! van Bueren

77La seigneurie de Beesd devait également faire partie du patrimoine de Guillaume, tout comme elle avait fait partie

du patrimoine de Gisbert, si les renseignements que donne WERNER, op. cit., p. 392, sont exacts: selon cet auteur, en

effet, Guillaume vendit Beesd à Gisbert Pieck en 1425 (source non-citée). 78WERNER, Gelderse Kasteelen, p. 391.

Allard de Bueren vivait encore en 1402 (cfr, chapitre précédent). Otton de Bueren était son troisième fils, le frère

cadet de Gisbert (cff. généalogies de Voet van Oudheusden et Le Fort).

79La seigneurie d'Ewick qui faisait partie du patrimoine d'Allard de Bueren, passa dans les mains de son second fils,

Jean, frère cadet de Gisbert, et non dans celles de Guillaume.

80NIJHOFF. op. cit., t. IV, actes n02l et n025: Jean, troisième fils d'Allard de Bueren, mentionné en 1424 et 1436

comme seigneur d'Ewick.

81 NIJHOFF, t. III, acte n026

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quinzième siècle. Au début de sa vie de seigneur, Guillaume devait disposer

d'un capital considérabless.

Le premier acte public de Guillaume est la confirmation (1416) d'une

charte accordée par son grand-père à la ville de Buerens", En fait, cet acte

particulier (confirmer les privilèges octroyés par son prédécesseur) pourrait

bien marquer la majorité et l'entrée en fonction du nouveau seigneur.

Son frère Jean84 cumule rapidement les offices ecclésiastiques:

On le retrouve comme prévôt85 d'Aix (1419), prévôt de SainteMarie d'Utrecht

(attesté dès 1423, mais il occupait probablement déjà cette fonction fin

142086), et comme chanoine de Saint-Lambert à Liège (1421), peut-être même

comme prévôt de cette cathédrales", Sa carrière impressionnante peut

s'expliquer en partie par le soutien des Heinsberg: comme prévôt d'Aix, il

succède à son cousin88 Jean de Heinsberg, qui devient cette année-là évêque de

Lièges". Il est probable que celui-ci avait proposé et soutenu de toute son

influence la candidature de son cousin à sa successionw. De même, les

prébendes obtenues à Liège sont certainement un "cadeau" du nouvel évêque.

Il est certain, au vu des autres offices de Jean de Bueren, qu'il ne résidait

jamais à Liège. Ce "piston" de l'évêque de Liège, les enfants de Guillaume en

profiteront également par après?", si bien que l'on peut dire que l'ensemble des

carrières ecclésiastiques de

82BUDDINGH fournit quelques éléments intéressants, qui peuvent donner une idée de la puissance financière des

deux frères, mais qui sont malheureusement peu étayés: p. 196, il nous signale que Jean de Bueren avait prêté, à une

date non-mentionnée, une somme de 2652 florins du Rhin au fameux Jean de Bavière ("d'après un vieux parchemin

B.S. de 1419 conservé aux archives de Culemborg"). Un peu plus bas, Buddingh ajoute que la ville de Grave avait

été engagée -pour dettes- à Guillaume de Bueren (par le duc Reinald IV?), mais sa source est douteuse. Si cette

dernière information devait se vérifier, elle serait à mettre en rapport avec le coup de main de Jean de Bueren sur

Grave en 1421 et pourrait en partie expliquer J'animosité entre les Bueren et le duc de Gueldre Arnould d'Egmont

(dans l'hypothèse où celui-ci se serait montré mauvais payeur).

83NlJHOFF. t. III, acte n? 359.

84D'après BUDDINGH, p. 175 (source non citée) Jean est mentionné comme théologien de formation. 85U s'agit

bien ici d'un office ecclésiastique attaché à un chapitre.

86Lorsqu'il pose sa candidature à l'épiscopat d'Utrecht (octobre 1423), il est bien en place dans ces fonctions. Or, il

est prisonnier à Bruxelles de janvier 1421 à juin 1423. Il n'a donc pas pu entrer en fonction durant cette période.

87 Selon DE THEUX, t. II, p. 198. Personnellement, nous accorderions peu de foi à l'affirmation selon laquelle Jean

de Bueren portait' le titre de prévôt de Saint-Lambert. Cette allégation est mal étayée et repose sans doute sur une

confusion avec les autres offices de prévôt de l'intéressé.

88Jean de Heinsberg, évêque de Liège, est le fils aîné de Jean II de Heinsberg (mort en 1438), frère de Catherine de

Heinsberg et fils de Godefroid de Heinsberg et Philippine de Juliers. Il est donc le cousin germain des deux frères de

Bueren (Voir tableaux généalogiques en annexe).

89V AN DER AA, Biographisch Woordellboek der Nederlanden , Amsterdam. 20 éd., 1969, t. III, p. 141.

90Difficile de croire 1:1 une coïncidence: nous verrons encore Elsa de Bueren succéder à Jacqueline de Heinsberg

comme administratrice de l'abbaye de Thorn; dans ce second cas, nous pourrons mettre l'influence des Heinsberg en

évidence.

91 cfr. ch. 4. du présent travail.

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deux générations de Bueren s'enracine dans les faveurs de ce seul personnage.

En 1419, Guillaume épousa Marguerite, fille illégitime du comte de

Limbourgw. Nous ne connaissons pas d'enfant de ce mariage et nous ignorons

ce qu'il advint de cette première épouse. Mais par la suite, probablement avant

1431, Guillaume se remaria avec la fille du comte Bernard de la Lippe,

Errnengardess. C'est de cette seconde union que sont issus ses trois fils

(Vincent, Gisbert et Allard) et sa fille Elsa.

Nous pouvons à présent aborder la question des entreprises militaires

des deux frères, Guillaume et Jean de Bueren, et découvrir leur poids dans les

affaires de Gueldre entre 1420 et 1435 .. Cependant, il vaut mieux prendre

auparavant connaissance des complexités de la politique dans les régions du

Bas-Rhin, sans quoi nous y verrons difficilement clair.

W.-J. Alberts a très bien démêlé cet écheveau stratégiquevs. En toile de

fond, différents conflits d'hégémonie, dont le principal reste celui opposant le

parti des Kabeljauw (dont le champion est alors Jean de Bavière'") et celui

des Hoeks (Jacqueline de Bavière) pour la succession de Hollande, une lutte

qui détermine largement la politique des régions voisines depuis de

nombreuses années. La Gueldre apporte avec constance son soutien aux

Kabeljauw.

Les problèmes politiques d'Utrecht ont une influence plus directe sur

les frères de Bueren: du point de vue ecclésiastique, leurs seigneuries et leur

ville sont du ressort du diocèse d'Utrecht, et Jean est en outre chanoine et

prévôt de cette cité. A cette époque, les habitants d'Utrecht sont divisés par un

conflit entre deux partis: les Lockhorst et les Lichtenberg. Ces partis vont

rechercher des appuis en Hollande et s'aligner tout naturellement dans le

conflit hollandais:

92 J. HULSHOFF, Die Geschichte der Grafen und Herren von Limburg und Limburg-Styrum und ihrer Besitzungen,

t. 2, Assen-Münster, 1963, p. 432, acte nO 953 (proclamation du mariage).

930énéalogies de la famille de Bueren de LE FORT et de VOET VAN OUDHEUSDEN; selon BUDDINGH,

p. 201. Errnengarde figure dans un acte de 1431 en compagnie de son époux.

94Pour les données générales dont l'exposé s'ensuit, nous renvoyons principalement à WJ. ALBERTS,

Geschiedenis van Ge/der/and, van de vroegste tijden rot hel einde der middeleeuwen • 'S-Gravenhage, 1996; el du

même auteur, Overticht val! de geschiedenis vall de nederrijnse territoria tussen Maas en Rijn, t. II : 1288-1500,

Van Gorcurn-Assen, 1982. On trouvera également une vue d'ensemble dans P. J. BLOCK, Geschiedenis val! he!

Nederlandsche Vo/k, 1. 1, Leiden, 1912. et dans l'A lgemeene geschiedenis der nederlanden.

95I1 s'agit de l'ancien évêque de Liège, le vainqueur d'athée, qui avait renoncé à son siège épiscopal pour se

consacrer à des ambitions plus grandes, et mourut en 1425.

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les Lockhorst sont du côté Kabeljauw, tandis que les Lichtenberg sont

soutenus par les Hoeks.

À la même époque, la Bourgogne cherche à étendre son influence

dans les Pays-Bas. Son jeu, fait d'alliances et d'arbitrages, détermine

également la politique des pays rhénans. En 1424, Jean de Bavière, meneur

des Kabeljauw, fit du duc de Bourgogne son héritier pour la Hollande. La

Bourgogne se rangea donc de son côté, et, en 1425, Philippe le Bon hérita

de la Hollande, de la Zélande et du Hainaut.

Enfin, le tableau serait incomplet sans la volonté de prendre part au

pouvoir politique que manifestent les villes et les petits seigneurs terriens

de Gueldre. En 1418, une importante lettre d'union est signée par les villes

et la chevalerie gueldroises. Elle a pour but d'assurer la défense de leurs

droits commun, mais aussi tout particulièrement de fixer les modalités de la

succession de Renaud IV, duc de Gueldre et Juliers, qui n'avait pas

d'héritier. Les parties conviennent que son successeur serait choisi, non par

des puissances étrangères, mais seulement par un conseil réunissant les

représentants de la chevalerie et des villes. Ainsi la Gueldre entendait-elle

préserver son indépendance. Le pays de Juliers n'était pas associé à ce

processus de décision. Le duc Renaud laissa faire et l'émergence de cette

nouvelle force politique se passa dès lors sans heurts sérieux. Par la suite,

on la voit prendre part de plus en plus aux processus de décision et

contrôler l'avenir du duché.

Parmi les signataires de la lettre d'union, on trouve Jean de B

ueren?e. Son engagement dans cette alliance était peut-être sincère, mais

cela ne l'empêcha pas de la trahir dès la mort de Renaud IV, comme nous

allons le voir.

Les années 1420 et 1421 voient le conflit hollandais non seulement

dégénérer en affrontements entre la Gueldre et Utrecht, mais également

provoquer des remous à Bruxelles. Le duc de Brabant Jean IV avait en

effet épousé Jacqueline de Bavière, du parti Hoek, qui avait été dépossédée

de l'héritage de Hollande-ZélandeHainaut par son oncle Jean de Bavière.

Loin de soutenir sa femme dans ce conflit, Jean IV vivait en mésentente

avec elle, et les époux se li vraient une sorte de guerre froide faite

d'humiliations et d'assassinats de proches. En outre, le duc de Brabant s'était

aliéné la bourgeoisie de Bruxelles; en 1420, la ville projette de le remplacer

96NlJHOFF, t. III, acte n0374.

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par son propre frère, le comte de Saint-Pol, et offre son soutien à Jacqueline

de Bavière. Jean IV s'étant retiré à Bois-le-Duc, le comte de Saint-Pol fait

son entrée à Bruxelles en compagnie de la duchesse, le 2 octobre 1420. Il

emmène ensuite les Bruxellois dans des opérations militaires contre Jean de

Bavière. C'est ainsi que le Brabant s'engagea dans le conflit des Hoeks et

des Kabeljauw?".

Pour reprendre les choses en main après cette expédition menée à son

insu, Jean IV fit tout naturellement appel au parti des Kabeljauw. Il

emmène bientôt vers Bruxelles une importante armée conduite par

différents princes de l'Empire: le comte de Meurs, le seigneur de

Heinsberg'", et Jean de Bueren, prévôt d'Aix?". Pourquoi ce dernier

apporte-t-il son soutien au duc de Brabant? On pourrait l'expliquer par un

engagement dans le parti des Kabeljauw, mais nous verrons bientôt que

cette hypothèse tient mal la route'w. C'est, plus probablement, son oncle

Jean de Heinsberg qui l'a entraîné dans cette expédition. C'est la première

fois que nous voyons ainsi un Bueren faire cause commune avec sa famille

maternelle, mais c'est loin d'être la dernière fois que nous verrons le prévôt

d'Aix prendre les armes malgré ses voeux ecclésiastiques. Dans les sources

qui relatent ces événements, il apparaît toujours comme un des principaux

alliés du duc de Brabant, ce qui donne à penser qu'il emmenait avec lui des

troupes importantes'ct.

Le 21 janvier 1421, cette armée entre à Bruxelles grâce au soutien

des partisans de Jean IV. Le comte de Saint-Pol engage des négociations

avec son frère le duc, puis part librement rassembler ses alliés à Louvain.

La ville voit dès lors monter la tension entre une bourgeoisie prête à

exploser d'une part, et l'armée ducale et ses princes étrangers de l'autre. Ces

derniers se comportent en pays conquis, à commencer par leurs chefs Jean

de Heinsberg et Jean de Bueren, et irritent encore davantage la population.

Le matin du 29 janvier 1421, les métiers encerclent le palais et capturent les

princes

97 On trouvera le récit de l'épisode qui s'ensuit dans: HENNE- WAUTERS, Histoire de Bruxelles, pp. 170- 192;

et dans M. MARTENS (sous la dir, de), Histoire de Bruxelles, Toulouse, 1976, pp. 143-144.

98I1 s'agit ici de Jean II de Heinsberg (mort le 24-6-1438), donc de l'oncle de Guillaume et Jean de Bueren.

C'est l'un de ses fils, prénommé Jean également, qui devînt évêque de Liège en 1419.

99Edmond DE DYNTER, Chronique des ducs de Brabant, éd. P. F.-X. DE RAM, t. V, Bruxelles, 1857

(C.R.H.), p. 406; Jean de ST A VELOT, Chronique , éd. A. BORGNET, Bruxelles, 1961, p. 186; Cornelius

ZANTFLlET, Chronique, dans MARIENE et DURAND, 1. 5, col. 413-414.

100 Encore que de bons rapports semblent avoir été entretenus entre le prévôt d'Aix et Jean de Bavière, meneur

des Kabeljauw: nous avons signalé plus haut l'affirmation de Buddingh selon laquelle le premier avait prêté au

second, avant 1419, une somme de 2652 florins.

101" (et cum) Johanne de Bueren, preposito Aquensi, cum pluribus amicis suis ad hoc specialiter rogatis", dit DE

DYNTER (p. 406) en énumérant les principaux capitaines de l'armée.

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allemands 102. Dès lors, la commune a obtenu la victoire et se voit en

mesure de traiter avec le duc.

Après avoir exercé sa vengeance à l'encontre des partisans bruxellois de Jean IV et obtenu de celui-ci la fameuse charte de 1421 qui consacre sa participation au pouvoir, la commune se réconcilia petit-à-petit avec son prince, L'empereur, de son côté, multiplia les démarches pour garantir la sauvegarde des prisonniers germaniques. La situation s'étant apaisée, d'habiles diplomates obtiennent, le 9 avril 1422, la libération de ceux-ci, sous condition qu'ils signent un engagement de ne plus prendre la armes contre Bruxelles. La plupart des princes s'exécutent et sont libérés, mais, curieusement, Jean de Bueren s'obstine à refuser de signer et demeure captif. Il le restera encore plus d'un an. Le 10 juin 1423, profitant de la fête du Saint Sacrement, il s'évade avec quelques chevaliers Allemands 103. Quand il rentre en Gueldre, c'est pour se replonger aussitôt activement dans les affaires de son pays.

Le 25 juin 1423, Renaud IV, duc de Gueldre et Juliers, mourut subitement sans laisser d'héritier. Le chroniqueur Willem van Berchtem se fait l'écho de rumeurs insinuant que Jean de Bueren n'était pas étranger à cette mort'v". Nous pouvons difficilement porter crédit à cette accusation, étant donné le délai très court entre l'évasion de Jean et la mort du duc; ces bruits sont néanmoins révélateurs de l'état d'esprit de la population à l'égard du prévôt d'Aix. Le fait est qu'il pouvait effectivement avoir un mobile valable pour empoisonner le duc Renaud, ce que les notables des villes gueldroises semblent bien avoir perçu. Ce mobile, nous le découvrons dans la politique des Heinsberg :

En 1420, en effet, Adolphe, duc de Berg, et Jean II, seigneur de Heinsberg, qui pouvaient tous deux faire valoir des droits sur l'héritage du duc Renaud, s'étaient partagé sur papier le duché de Juliers 105.

Heinsberg en obtiendrait le quart; le duc de Berg dirigerait directement le reste, tout en voyant son allié lui prêter hommage pour sa part du duché. De plus, Adolphe de Berg s'adressa également à l'empereur, dès 1423, pour obtenir l'investiture du duché de Gueldre. Réunis sous une seule autorité, Berg, Juliers et la Gueldre

102La révolte fut déclenchée par une rumeur selon laquelle Heinsberg et ses alliés s'apprêtaient à tenter un

coup d'éclat et à purger la ville des principaux meneurs de J'opposition au duc (HENNE-WAUTERS, op. cit.,

p. 180).

103HENNE-WAUTERS, op. CiL, p. 192.

104Willem V AN BERCHTEM, Gelderse Kronleken , éd. A. J. DE MOOY, Arnhem, 1950, p. 72.

105Le duc Renaud avait approuvé cet accord, mais les états gueldrois entendaient bien décider eux-mêmes de

leur avenir.

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auraient constitué une puissance considérable sur le Bas-Rhin: c'est le

projet auquel oeuvraient les deux princcstvë. Le conflit entre leurs

prétentions et celles du nouveau duc de Gueldre élu par les états, Arnould

d'Egmont, allait rester latent une dizaine d'années.

C'est dans ces plans, nous semble-t-il, que l'on peut trouver une

interprétation cohérente à la politique des Bueren en 1423 et 1424. Unis par

leurs liens familiaux avec les Heinsberg, Guillaume et son frère Jean vont

soutenir leurs ambitions. Selon cette interprétation, les manoeuvres des

Bueren, et aussi les suspicions à l'égard du prévôt d'Aix mentionnées plus

hautrv? s'expliquent facilement. Ils vont devenir les principaux opposants

locaux d'Arnould d'Egmont, et appuyer ainsi au sein même de la Gueldre

les menées des deux princes. Disons-le d'emblée, cette solidarité avec les

Heinsberg trouvera rapidement ses limites; néanmoins il est très probable

qu'elle soit bien à l'origine de la longue hostilité entre Arnould d'Egmont et

le seigneur de Bueren.

Dès le début, les deux frères pèsent dans la balance. Aussitôt après la

mort de Renaud IV, les villes et la chevalerie de Gueldre tinrent conseil à

Nimègue pour élire le nouveau duc, comme prévu dans la lettre d'union de

1418. Le duc de Berg et son allié multiplièrent les démarches pour obtenir

leur faveur, mais bientôt la candidature d'Arnould d'Egmont, soutenue par

la majorité, émergea. Guillaume de Bueren devint le chef de file d'un parti

qui, au sein du conseil, s'opposait vivement à ce choix108. Cependant,

comme la majorité des voix continuait à se porter vers Arnould, les deux

frères envisagèrent d'autres moyens d'action.

Jean de Bueren est le premier à entrer en scène dans un des épisodes

les plus obscurs de l'histoire de Gueldre, un épisode que nous pouvons

interpréter comme une sorte de coup d'état contre le pouvoir naissant des

villes et de la chevalerie gueldroisestw. Alors que le jeune Arnould (alors

âgé de treize ans) attend avec son

106ALBERTS, Geschiedenis von Gelderland, op. cit., p. 95-96.

107Cest-à-dire. pour être tout à fait clair. que les villes de Gueldre devaient connaître la fidélité des Bueren

envers les Heinsberg; elles ont sans doute pensé que le prévôt d'Aix avait fait assassiner le duc pour servir leurs

desseins en hâtant la succession. L'épisode de Grave (cfr. plus bas) peut également avoir renforcé ces

suspicions; c'est d'ailleurs à son propos que Van BERCTHEM nous en fait part.

108Nijhoff, t. IV, p. VI.

I09Seul Willem de Berchtem nous parle de cet épisode, mais sa narration est longue et détaillée: Willem VAN

BERCHTEM, Gelderse Kronieken, p. 72-74. Le chroniqueur reste évasif sur les intentions précises de Jean de

Bueren; il se borne à adopter le point de vue des bourgeois et nous faÎt partager leurs craintes pour les deux fils

d'Egmont et leurs suspicions à l'égard du prévôt d'Aix dans la mort du duc Reinald. Nijhoff ignore cet épisode.

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frère 110 le résultat des délibérations au château de Grave, le prévôt d'Aix

s'introduit dans cette ville au crépuscule! Il avec une troupe en armes.

Laissant les chevaux à l'ombre des murailles, il pénètre dans le château et

s'empare des deux enfants. Avertis, les bourgeois de Grave se rassemblent

en nombre au pied de la forteresse et réclament à grands cris l'abaissement

du pont-levis. Jean leur répond avec mépris; aussitôt les habitants de la

ville s'arment et cherchent un moyen de pénétrer dans la place.

Deux bourgeois avisés se souviennent d'une poterne, et, tandis que

d'autres dialoguent avec le prévôt pour détourner son attention, ils

franchissent discrètement celle-ci. Sur ces entrefaites, Jean accepte de

montrer les enfants à la population qui craint pour leur vie. Il les amène à l'entrée du château et permet à l'assistance de leur parIer à travers la herse.

Mal lui en prend, car la petite troupe qui est rentrée dans la place à son insu

arrive dans son dos, neutralise ses hommes, s'empare de lui et ouvre grande

l'entrée du fort. Ainsi les habitants de Grave sauvèrent-ils leur futur duc du

péril.

À l'aurore, les membres du conseil de Nimègue 1 12 parviennent à

Grave et prennent en charge le prévôt. Jean de Bueren est emmené sous les

huées de la foule, tout particulièrement des femmes qui prétendaient le

mettre en piècel13. Soustrait à grand-peine à la vindicte populaire, il est

contraint de signer un document par lequel il renonce à toute promesse qu'il

aurait pu extorquer aux jeunes seigneurs d'Egmont, puis expulsé de la ville

avec ses hommes.

Quelques jours après, Arnould d'Egmont fut conduit à Nimègue sous bonne escorte et proclamé duc. Guillaume et Jean de Bueren refusèrent de reconnaître son autorité et s'opposèrent à lui jusqu'à une date indéterminée: Selon Van Berchtem, ils firent leur soumission le 10 Octobre 1423114; cependant, Nijhoff signale que le

llOGuillaume d'Egmont.

III Van Berchtem ne donne pas de date précise: il place l'épisode un "certain nombre de jours après la mort du duc

Reinald" et clairement avant l'élection d'Arnould. La présence d'Arnould à Grave offre aussi un élément de datation;

on sail qu'il s'y trouvait pendant [es délibérations (NIJHOFF, l. IV, p. VI) soit entre le 26 juin et le 9 juillet.

112"CollslIles Novimagenses ''. Le terme se rapporte vraisemblablement à l'ensemble des représentants des états

réunis à Nimègue pour élire le duc. et non seulement aux autorités communales de cette cité. Il était logique que les

états réagissent ensemble à cette attentat contre leur pouvoir naissant; la proximité des deux villes leur permettait

d'arriver le matin même.

113 On comprend fort bien la violence de la réaction des femmes de Grave contre cet homme qui a menacé des

enfants aimés du peuple; Jean de Bueren était probablement devenu un personnage haï dan son pays suite à cet

épisode; en témoigne le sort atroce que le bourgeois de Cu\emborg lui firent subir, le coeur léger, en 1428 (cfr. plus

bas).

J 14Van BERCHTEM, p. 75; Historia Gelriae auctore mlOlIymo, éd. par J. G. C. JOOSTING, Arnhem, 1902

(Vereeniging Gelre 2), p. 107.

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prévôt d'Aix tenait encore la forteresse de Oyen contre le duc l'année suivante, et un accord survint entre Jean de Bueren et Arnould d'Egmont le Il février 1425, accord par lequel Jean conservait le château et le fief d'Oyen et Dieden, mais s'engageait en contrepartie à le laisser ouvert au duc et à ne plus s'opposer à lui1l5.

Arnould fut reconnu presque partout en Gueldre et vint rapidement à bout des dernière résistances; mais Adolphe de Berg prit sans problèmes possession du Juliers. En outre, il avait obtenu de l'empereur Sigismond l'investiture du duché de Gueldre, ce dont les villes gueldroises ne semblaient guère se soucier. De même, Jean de Heinsberg ajouta à ses titres celui de seigneur de Juliers; mais en juillet 1426, après de premières hostilités avec la Gueldre, il s'éloigna de son allié de Berg et se tourna vers Amouldus. Les choses restèrent dans cet état jusqu'en 1433, chacun gardant ses positions. On peut comprendre que les Bueren, voyant le conflit se tasser, aient préféré rentrer dans le rang.

D'autres événements devaient par ailleurs retenir leur attention. L'évêque d'Utrecht, Frédéric de Blanckenheim, étant décédé au mois d'octobre 1423, la querelle des Lockhorst et des Lichtenberg se répercuta dans l'élection du nouvel évêque. Le candidat des seconds était Rudolph de Diepholt, Les Lockhorst lui opposèrent Zweder de Culemborg, mais le concurrent le plus sérieux de Diepholt était Jean de Buerenu", qui représentait le parti opposé à Arnould d'Egrnontus en Gueldre. Ce fut Diepholt qui l'emporta; cependant le pape invalida cette élection et voulut imposer Zweder de Culemborg à la tête du diocèse. Les luttes entre les Lockhorst et les Lichtenberg étaient prêtes éclater à nouveau.

Diepholt fut reconnu à peu près partout dans le diocèse (sauf en Gueldre), mais son rival Zweder ne baissa pas les bras. Il cherche

1 15NIJHOFF, t. IV, acte na 26.

ll6Un accord est passé entre Jean de Heinsberg et Arnould d'Egmont en juillet 1426, par lequel le premier prête

hommage au second pour sa part du Juliers. Heinsberg entame alors des hostilités contre Adolphe de Berg

(NIJHOFF, t.lV, p. XXXIX). Ce renversement d'alliance ne durera pas au-delà de 1440 .

. 117V AN B ERCHTEM, p. 76; voir l'analyse de cette succession dans R. R. POST, Geschiedenis der Utrechsche

bisschopsverkiezingen tot 1535, Utrecht, 1933 tBijdragen val! he! lnstituut voor middeleeuwsche geschiedenis

der Rijks-universiteit le Utrecht).

118Cest l'opinion de R. R. POST, op. cit., p. 135-136, qui a dépouillé scrupuleusement les documents concernants

cette élection et nous semble le commentateur le plus autorisé en la matière. Rappelons qu'une partie de la Gueldre

faisait partie du diocèse d'Utrecht, ce qui explique comment un parti opposé à Arnould d'Egmont pouvait prendre de

l'importance dans cette élection. On ne s'étonnera pas, au vu de ce que nous avons déjà dit des rapports entre les

Heinsberg et les Bueren, que "évêque de Liège Jean de Heinsberg ait soutenu la candidature du prévôt d'Aix

(NIJHOFF, t. IV, p XV). En 1423, les Heinsberg avaient tout intérêt à soutenir leur cousin pour affaiblir le duc

Arnould. On voit, encore ici. la politique des deux lignages concorder.

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d'abord des appuis: Rudolph étant soutenu par les Hoeks, c'est vers le parti

des Kabeljauw que Zweder tourne tout naturellement ses regards. II obtint

ainsi (8 mars 1426) l'aide de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, toujours

en lutte contre Jacqueline de Bavière et les Hoeks en Hollande. Arnould

d'Egmont, uni à Zweder par les liens du sang, lui offre également son

soutien (16 juillet 1426), avant de passer lui-même une alliance avec le duc

de Bourgogne. Philippe le Bon contrôle cette triple alliance et se félicite de

voir son influence grandir: c'est le premier pied qu'il pose en Gueldreuv,

Au début de l'année 1427, Guillaume préside dans sa ville de Bueren

une réunion entre les ambassadeurs de Gueldre et ceux du postulat Rudolph

de Diepholtt". Pourquoi fut-il précisément choisi comme médiateur? Peut-

être en raison du prestige d'ancien candidat au siège épiscopal de son frère,

ou peut-être était-il déjà à ce moment proche de Diepholt. Cependant, la

réunion tourna rapidement court, et Utrecht se prépara à la guerre contre la

Gueldre.

Celle-ci ne tarde pas à éclater. Les Hoeks de Jacqueline de Bavière

apportent leur aide aux Utrechtois, et la Bourgogne, du côté opposé, se

lance dans les hostilités. La Betuwe et la région de Tiel (Tielerwaard), à la

frontière entre le domaine temporel d'Utrecht et la Gueldre, constituent le

premier objectif militaire du postulat. Guillaume de Bueren, dont les

possessions sont situées dans les régions menacées, est donc forcément

concerné. Mais c'est aux côtés de Diepholt qu'il range bientôt ses troupes.

Pourquoi ce choix? Nijhoff fournit un élément de réponse en soulignant

l'antagonisme entre la maison de Culernborg (la famille de Zweder) et celle

de B ueren 121; mais nous pensons surtout que Guillaume avait gros à gagner en soutenant Diepholt, comme nous allons l'exposer, alors qu'il

aurait retiré peu de bénéfice d'un soutien à son duc.

Le 25 juillet 1427, le seigneur de Bueren sert d'intermédiaire dans

une alliance entre Diepholt et Waleran de Meurs, seigneur du Bar et frère

de l'archevêque de Cologne. Le 27 août, lui-même et son frère Jean passent

secrètement un acte d'alliance avec le postulat. Les modalités de celui-ci

valent la peine d'être précisées: en cas de victoire, Tiel et une bonne partie

de la Betuwe et du Tielerwaard se voyaient attribués aux deux frères de

Bueren comme fiefs

119Rappelons que la Bourgogne, à la suite de ses manoeuvres, s'empara de la Gueldre dans les années 1470.

120NIJHOFF, t. IV, p. XXII.

12 (ibid., p. XXIX.

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d'Utrecht u". On comprend l'acharnement dont Guillaume fera preuve dans les expéditions dont le récit s'ensuit, quand on sait qu'elles lui donnaient l'occasion de tripler ses domaines et de devenir le seigneur le plus puissant de Gueldre, ou peu s'en faut. Il va devenir une menace sérieuse pour les villes gueldroises en tournant ses troupes vers l'intérieur du pays.

D'autant plus que les opérations s'annonçaient mal pour la Gueldre. Dans le courant du mois de juillet, Rudolph de Diepholt avait remporté une retentissante victoire sur le seigneur de Culemborg et les villes gueldroises, et ne rencontrait plus guère de résistance dans le Nord de la Gueldre!». Guillaume cache son jeu jusqu'au dernier moment. Début septembre, sous prétexte d'affaires importantes à traiter dans le plus grand secret, il invite à Bueren les autorités de la ville de Tiel. Ignorants qu'ils se jettent ainsi dans les griffes de l'ogre qui va fondre sur eux, les échevins répondent à l'appel. Guillaume les enferme aussitôt dans son château sous bonne surveillance et prend la nuit même la tête d'une armée d'Utrechtois et de Hoeks qui se dirige secrètement vers Tiel. Il pousse l'hypocrisie jusqu'à envoyer ses lettres de défi au duc Arnould le même soir, mais en prenant garde qu'elles ne puissent arriver qu'une fois la ville prise!>.

Pourtant, cette ruse n'était pas réellement nécessaire. Ne pouvant plus compter sur aucun secours, la ville n'avait plus que ses propres milices pour se défendre. En la privant en outre de ses autorités, Guillaume espère bien lui porter le coup de grâce. Cependant, il perd contre toute attente l'effet de surprise. Prévenus par un chevalier qui avait eu vent de la ruse, les bourgeois de Tiel préparent leur défense et dissimulent des bombardes sur les remparts, "dans la disposition la plus secrète qu'ils purent Il 125 •

122ibid., P XXV-XXVI, qui se base sur l'acte orignal conservé dans les archives d'Utrecht.

123ibid., p.xXVI.

124L'attaque sur Tiel et ses suites sont relatées par Willem VAN BERCHTEM, op. cit., p. 79-81; et dans l'Historia

Gelriae al/clore anonymo, p. 110-11]. Les deux auteurs puisent à la même source ou bien se sont inspirés l'un de

l'autre, comme l'indiquent manifestement les similitudes entres les deux versions. Ces deux textes diffèrent cependant

par la date de l'événement: Van Berchtem donne septembre 1427, alors que l'Historia Gelrlae parle de septembre de

l'année suivante. BUDDINGH (p. 197 et p. 199) se laissa troubler par ces discordances de dates au point de

dédoubler l'événement dans ses moindre détails, ce qui ne saurait tenir la route (on voit mal Guillaume tenter deux

fois exactement la même ruse avec le même résultat, et les autorités de Tiel tomber deux fois de suite dans le même

piège!). NIJHOFF (t. IV, p. XXVII), confrontant différents témoignages d'appoint, tranche la question en faveur de

l'année 1427 avec des arguments sérieux. On peut ajouter que les autorités de Tiel n'auraient certainement pas eu la

stupidité de répondre à l'invitation de Guillaume si elle leur était parvenue en 1428, après l'attaque des Bueren contre

Culemborg (voir plus bas); tandis qu'en septembre 1427, la ville pouvait encore ignorer l'alliance entre les Bueren et

Dicpholt. En outre, la paix signée en août 1428 entre les Bueren et le duc Arnould rend peu probable une attaque sur

Tiel en septembre de cette année.

125VAN BERCHTEM, p. 80.

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A vant l'aube, l'armée d'Utrecht parvient silencieusement devant les

portes de la ville et Guillaume, qui ne perçoit pas que les bourgeois sont en

alerte, lance l'assaut sans attendre. Mais aussitôt, du haut des remparts, les

bombardes se déchaînent à la stupéfaction des assiégeants et causent de

lourdes pertes dans leurs rangs. Loin de se démonter après l'échec de sa

ruse, le seigneur de Bueren rassemble ses troupes malmenées par l'artillerie

et tente l'assaut sur une seconde porte, qu'il espère moins bien préparée à l'attaque. Mais à nouveau il se heurte à des remparts bien défendus et au feu

des canons. Plus opiniâtre que jamais, Guillaume fait une troisième

tentative, mais sans plus de succès. Ses pertes importantes le forcent

bientôt à renoncer. Il avait tout misé sur une attaque rapide et imprévue, et

ne disposait sans doute pas du matériel nécessaire pour un siège en bonne

et due formel26.

L'armée se retire en dévastant la campagne des alentours, et brûle

notamment le monastère de Marienweerd (5 septembre 1427). Arnould

d'Egmont ne pouvait laisser ces offenses impunies. Quelques jours après, il

envahit les terres de Guillaume et ravage méthodiquement ses villages. Il

menace même la ville de Bueren, mais renonce devant ses remparts et se

retire bientôt sans être combattu. Le 26 septembre, le duc est de retour à sa

capitale de Rosendaalt?",

Ces représailles ne désarmèrent pas les deux frères. En janvier 1428,

Zweder réside chez les siens à Cu1emborg. Avec Jean de Bueren, Diepholt

projette un audacieux coup de main pour s'emparer de son rival et mettre

ainsi fin au conflit. A nouveau, il s'agit d'une opération "de commando"

misant sur la surprise, une technique dans laquelle on reconnaît décidément

la marque des Buerenus. L'armée rassemblée par le prévôt d'Aixl29 marche

vers Culemborg dans le plus grand secret, y parvient au début de la nuit, le

23 janvier 1428. Déjouant les guetteurs, Jean escalade les murailles avec

une quarantaine d'hommes et pénètre dans la ville, avec pour intention d'en

ouvrir les portes à son armée. Mais la petite troupe commet

126Matériel qui n'aurait pu être transporté sans ralentir sa troupe et révéler sa présence. 1

27NlJHOFF. t. IV, p. XXVIII.

128Le récit de cette expédition nous est également transmis par V AN BERCHTEM, p. 80; et par l'Historia Gelriae

auctore allonymo, p. 109-110. Il semble qu'elle ail également laissé des traces dans la correspondance de Zweder,

selon BUDDINGH, p. 199.

1 29D'après NIJHOFF, t. IV, p. XXIX-XXX, auquel nous empruntons les quelques données de ce récit qui ne

figurent pas dans les sources que nous avons vues, Guillaume faisait également partie de cette année. Nijhoff renvoie

pour cet épisode à une chronique de Tiel que nous n'avons pu nous procurer. Son récit correspond dans les grandes

lignes à celui de V AN BERCHTEM et de l'Historia Gelriae auctore anO/lymo (que Nijhoff ignorait).

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l'erreur de sonner du cor trop tôt, et se répand dans les rues aux cris de

"Hollande! Utrecht! Bueren!". Réveillés à la hâte, les bourgeois courent aux

armes et arrivent à défendre les portes. Le commando mené par Jean de

Bueren se trouve alors isolé à l'intérieur de la ville. Bientôt, la plupart de ses

hommes sont passés par le fil de l'épée et le prévôt d'Aix lui-même est capturé

non loin de la grandplace. Le reste de l'armée, resté au dehors, doit renoncer à

prendre d'assaut les murailles de Culemborg et se retire aussitôt.

Surpris dans leur sommeil mais cependant victorieux, les bourgeois

laissent libre cours à leur colère à l'égard du prévôt d'Aix. Cette fois, personne

ne peut le protéger de la vindicte populaire. Jean de Bueren est couché sur un

étal à poisson et traité selon les usages du métier des poisscnniersw. Ainsi

une mort atroce mit-elle un terme à une vie d'aventure. La frayeur que Jean

venait de causer aux habitants de la ville, mais aussi le souvenir du coup de

main sur Grave en 1423, suffisent à expliquer la barbarie du traitement qui lui

fut réservé. De même, la récente attaque sur Tiel, et, peut-être, l'antagonisme

entre Culemborg et Bueren, ont pu contribuer à déclencher cette sauvage

exécution: ce qui nous apparaît clairement, c'est que les deux frères de Bueren

représentaient depuis l'élection d'Arnould d'Egmont une menace directe et

récurrente pour la sécurité et le pouvoir naissant des villes de Gueldre. La

mise à mort sur l'étal à poissons, à la fois cruelle et teintée d'humour, est une

fête et un soulagement pour les bourgeois de Culernborg, la libération et

l'exorcisation de ce péril!».

En juin de la même année, suite aux succès du parti des Kabeljauw en

Hollande, une trêve fut signée entre Jacqueline de Bavière et Philippe le bon.

Exclu de celle-ci et perdant le soutien de ses alliées Hoeks, Rudolph de

Diepholt s'empressa de conclure la paix avec le duc de Bourgogne. Le conflit

entre les deux prétendants d'Utrecht commença dès lors à se résorber. Arnould

d'Egmont hésitait à soutenir seul la guerre contre Diepholt, qui pouvait encore

compter sur le soutien de l'Overijssel, et il devenait manifeste que les choses

allaient bientôt en rester là. Guillaume n'avait donc plus rien à espérer de cette

guerre. Le 6 août 1428, il entame des négociations avec les hommes de

confiance du duc Arnould; le 29 du même mois,

130" Et ewn interfecerunt op een vischbank" (V AN BERCHTEM, p, 80)

131 Il semble que cet événement ait longtemps laissé un souvenir vivace dans la tradition populaire de la ville.

Buddingh relève quelques témoignages du soulagement des habitants de Culemborg après cette attaque. ou

peut-être de la mauvaise réputation de Jean de Bueren: la victoire fut longtemps célébrée par une procession,

tandis qu'un dicton populaire disait "God donk! De proost val! Aaken op de vischbank! " ("Dieu merci! Le

prévôt d'Aix sur l'étal à poissons!") (BUDDINGH, p.199). Une stèle commémorative fut en outre dressée il

l'entrée de la ville (VAN DER AA, op. cit., t.IlI, p. 141).

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il conclut avec celui-ci une paix qui le laisse dans l'entière possession de

ses domaines et reçoit le pardon ducal'».

La paix entre Utrecht et la Gueldre fut signée peu après (12 JUIn

1430). Seul Jean, seigneur de Culemborg, resta sur pied de guerre quelques

temps. Le 17 juin 1431, il conclut cependant une trêve avec Diepholt par

l'intermédiaire du seigneur de Bueren!». On voit donc à nouveau

Guillaume normaliser ses rapports avec ses voisins et reprendre sa place de

diplomate.

Il semble que les expéditions au service de Diepholt aient endetté

sérieusement le seigneur· de Bueren. Buddingh signale plusieurs

documents témoignant de ses ventes et emprunts dans les années 1430 et

1431134; de même, Guillaume n'hésita pas à emprunter une certaine somme

d'argent au seigneur de Culemborg. Pour ce faire, il dut lui engager, avec

l'accord de son épouse Ermengarde de Lippe, une partie de sa seigneurie de

Beusinchern, et en 1433, faute de remboursement, Jean de Culemborg

s'empara de ce gage!». Ce n'était, pour le seigneur de Bueren, que le

prélude à des pertes plus importantes.

Débarrassé de la guerre avec Utrecht, Arnould d'Egmont allait à présent devoir faire face à d'autres problèmes. Jusqu'ici, le conflit avec les

prétendants à l'héritage du duc Renaud IV était resté latent. En juillet 1426,

après quelques hostilités, Arnould d'Egmont avait tout de même évacué

provisoirement le problème de Jean de Heinsberg: celui-ci lui avait prêté

hommage pour ses terres en Juliers et s'était dressé contre son compère

d'autrefois, le duc de Berg136, Mais ce dernier, qui contrôlait déjà le Juliers,

n'avait pas renoncé à acquérir la Gueldre, L'empereur et la cité de Cologne

appuyaient d'ailleurs ses prétentions. En 1429, les deux belligérants avaient

signé une trêve de 4 ans, mais chacun se préparait à l'affrontement. En

1430, le duc de Berg envoie encore aux villes gueldroises une copie de

l'acte impérial qui l'investit de la Gueldre et réclame leur

1 32NIlHOFF, t. IV, p. XXXII, qui se base sur la chronique de Tiel mentionnée plus haut; l' Historia Gelriae

auctore a/lonymo, p. Ill, confirme la date de la paix (29 août) et précise qu'elle fut obtenue grâce ft l'appui des amis

de Guillaume.

133NIJHOFF, t. IV, acte n081.

134BUDDINGH, p. 201: Guillaume aurait vendu, en 1430, un canal ou une douve (Watergang) à Redichem à son

neveu (mais de quel neveu s'agit-i!?); en 1431, il se serait reconnu débiteur d'une somme de 2900 florins du Rhin

(mais Buddingh omet de nous préciser envers qui, tout comme il omet, une fois encore, de citer sa source).

1 35BUDDINGH, p. 201; WERNER, op. cit., p. 392.

136NIJHOFF, 1. IV, p. XXXIX.

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soumission. En 1431, le ban impérial est proclamé contre Arnould d'Egmont et tous ses alliés'>".

La réconciliation entre le seigneur de Bueren et son duc n'était pas

durable. Guillaume se déclare bientôt pour Adolphe de Berg. Lorsque la

guerre éclate, en 1433, il se prépare à prendre les armes pour soutenir ses

prétentions, malgré la position des Heinsberg, qui assistent Arnould

d'Egmontus. En 1434, Guillaume entre en jeu et envahit la Gueldre!».

Aussitôt, Arnould décide de mettre un terme définitif au danger. Laissant

les troupes de Roermonde garder la frontière du Juliers contre le duc de

Berg, il rassemble les milices de Nimègue, d'Arnhem et de Zutphen et ses

vassaux du nord de la Gueldre, prend lui-même leur tête et s'en va assiéger

la ville de Bueren (l juin 1434)140.

Le siège dura neuf long mois. Pendant cette période, les forces vives

de la Gueldre s'épuisèrent une dernière fois contre la ténacité des Bueren.

Non content d'avoir levé le gros de ses troupes, Arnould d'Egmont avait

emmené avec lui une artillerie importante qui pilonnait sans relâche les

remparts de la ville. Selon Van Berchten, les troupes gueldroises subirent

néanmoins des pertes importantes; mais enfin, début mars 1435141, la ville

affamée se rendit au duc142• Les assiégés obtinrent la sauvegarde de leurs

corps et de leurs biens.

137p._J. BLOCK, t. I, op. cit., p. 427.

J38En 1433, Arnould d'Egmont, assisté de son père Jean d'Egmont et de Jean de Heinsberg, lance une expédition en

Juliers. VAN BERCHTEM, p. 82; Dit nabeschreven ist cronijk van Gelre, dans VAN DOORNINCK, Gelderse

kronleken , p. 178; Geschiedkundige aantekeningen uit de tweede helft der J 5de eeuw , dans V AN DOORNINCK,

idem, p. 93.

139VAN BERCHTEM, p. 83; Historia Gelriae auctore anonyme , p. JI t-112. Ces sources restent assez évasives; on

ignore donc s'il utilisait simplement ses propres forces ou s'il menait des troupes de Berg et de Cologne; on ignore

également le théâtre des opérations. D'après NlJHOFF, t. IV, p. XLIV, Guillaume avait été nommé militiae praefectus

par le duc de Berg.

140y AN BERCHTEM, p. 83; Historia Gelrlae auctore anonymo, p. 112.

141Le 9 mars, selon Van Berchtem; le Il selon j'Historia Ge/riae auctore aflonyl7lo; le 7 mars selon NIJHOFF, qui se

base sur la chronique de Tiel signalée plus haut.

142Van BERCHTEM, p. 83; Historia Gelriae auctore anonymo, p. 112; Dit nabeschreven iSI cronijk van Gelre, dans

VAN DOORNINCK, p. 112; Dit is dat beginsel ende oorsprong des lant; val! Gelre ende cronyken van de prince

van Gelre, dans VAN DOORNINCK, p. 17. Le texte de l'Historia Gelriae Gllollymo narre J'invasion de 1434 ct le

siège de Bueren qui s'ensuit directement à la suite du récit de la réconciliation entre Guillaume et le duc de 1429, el

juste avant le récit de l'invasion du Juliers par le duc Arnould en 1433. Il en résulte que J'on peut éventuellement être

tenté de placer la prise de Bueren entre 1430 et 1433; c'est ce que font différents auteurs, à commencer par l'éditeur de

la chronique anonyme et l'érudit PONTANUS. Mais l'ordre de narration des chroniques n'est pas nécessairement

chronologique et suit souvent la logique de l'auteur avant tout dans ce cas précis, ayant longuement parlé des Bueren

dans les pages précédentes, l'auteur anonyme en termine avec eux avant de revenir à des propos plus généraux; un

élément de datation irréfutable est d'ailleurs fourni par le texte: l'invasion de la Gueldre par Guillaume survint, nous

dit le texte, une fois la trêve entre le duc Arnould et le duc de Berg achevée, c'est à dire pas avant 1433. Les autres

sources sont toutes d'accord pour placer le siège en 1434-35, il n'y a donc pas lieu de mettre cette date en doute.

BUDDINGH trouvant, via ses travaux modernes, deux dates divergentes pour le siège de Bueren, commet à nouveau

l'erreur de dédoubler J'événement. Il place donc un premier siège de Bueren (que rien ne justifie) en 1430, puis

imagine une révolte des habitants de Bueren contre le duc, qui aurait remis Guillaume à la tête de sa seigneurie

jusqu'en 1435, moment du second siège.

3

8

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Guillaume et sa descendance furent bannis de Gueldre, et leurs terres confisquées. Arnould s'appropria personnellement la seigneurie de Bueren, qui fut confiée un temps à la maison de Culemborg avant de revenir à une branche cadette de la lignée d'Egmont.

***

A vant d'aller plus loin, voyons quelles conclusions nous pouvons déjà tirer de la carrière du seigneur de Bueren. Tentons de comprendre ses enjeux, et de dresser un portrait.

Nous avons souligné les liens de Guillaume avec la maison de Heinsberg. Gisbert de Bueren étant décédé sans avoir pu connaître bien longtemps ses fils, il est probable que sa femme, Catherine de Heinsberg, joua un rôle plus important dans leur éducation et exerça sur eux une influence considérable. Devenu adulte, Jean de Bueren bâtit une bonne partie de sa carrière ecclésiastique sur l'appui de sa famille maternelle: on pourrait parler d'un certain clientélisme, Nous verrons cette relation se perpétuer à la génération suivante.

Nous n'avons trouvé aucune trace d'un antagonisme qui aurait pu opposer, avant 1423, les maisons de Bueren et d'Egrnontws, et motiver la longue et systématique prise de position de Guillaume contre le nouveau duc. Tout au plus peut-on évoquer les liens du sang entre Arnould et le seigneur de Culemborg et la rivalité entre Bueren et Culemborgt=,

L'opposition à l'alliance des villes et de la chevalerie de Gueldre, à laquelle Arnould d'Egmont doit son titre, n'est manifestement pas non plus la cause première du conflit: au départ, les Bueren soutiennent cette union. Nous ne croyons pas que Jean et Guillaume aient eu le sentiment de s'opposer à elle, même si, dans les faits, ils ont fait peser sur l'union une menace en luttant contre le duc qu'elle avait porté au pouvoir. Il semble donc bien que c'est, au

143 Au contraire, il semble qu'il y ait des liens familiaux entre certains membres des deux familles: Jean de Bueren,

seigneur d'Ewick (l'oncle de Guillaume), apparaît comme conseiller et consangulneus du duc Arnould dans un acte

du 22 août 1424 (NIJHOFF. t. IV, acte n? 21) . De cet acte, et d'un autre document de la même année (une

transaction du duc Arnould) où il apparaît comme témoin (NIJHOFF, L IV, acte n025), on peut déduire que le

seigneur d'Ewick était resté, contrairement à son neveu, fidèle au duc. 144peut-être Guillaume craignait-il que le

nouveau duc soutienne le seigneur de Culemborg dans les litiges opposant les deux villes; cependant, n'oublions pas

que, si Jean de Culernborg avait des liens de parenté avec Arnould d'Egmont, Jean de Bueren, seigneur d'Ewick,

disposait du même avantage; par conséquent, Guillaume pouvait aussi compter sur J'influence de cet oncle dans ces

conflits.

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départ, principalement pour soutenir les prétentions des Heinsberg que les deux frères de Bueren se sont dressés contre le duc de Gueldre.

Mais la solidarité entre les deux familles trouve rapidement ses limites. A partir de 1426, Jean de Heinsberg-Looz se détourne du duc de Berg et prête hommage à Arnould d'Egmont pour sa part du Juliers. A-t-il réellement renoncé à ses ambitions, ou bien cherche-til encore à se ménager des avantages, en évoluant entre Adolphe de Berg, qui tient le Juliers, et Arnould, qui tient la Gueldre? Les choses ne sont pas claires. Mais lorsque, en 1433, Jean de Heinsberg chevauche en Juliers au coté du duc de Gueldre, tandis que Guillaume, dans le parti opposé, soutient militairement le duc de Berg, on voit mal comment les Bueren peuvent faire encore le jeu des Heinsberg. De même, on peut difficilement expliquer le soutien des deux frères à Rudolph de Diepholt, en 1427-1428, par l'intérêt de leur oncle, qui se tient à l'écart du conflit et s'est déjà réconcilié (pour un temps) avec Arnould d'Egmont. Encore que Jean de Heinsberg pouvait trouver son compte à voir le duc de Gueldre affaibli.

On rejettera toute hypothèse qui ferait des Bueren des clients fidèles de l'un des deux partis hollandais+": En 1421, à Bruxelles, Jean de Bueren soutient le parti des Kabeljauw; mais en servant Diepholt quelques années plus tard, son frère et lui font le jeu des Hoeks,

Mais alors, pourquoi cette longue lutte contre le duc de Gueldre, alors que celui-ci, loin de s'acharner sur les Bueren après les tensions originelles de 1423, siest toujours montré prêt à pardonner, allant même jusqu'à acheter leur fidélité en concédant à Jean les seigneuries de Oyen et Dieden? En quoi Arnould d'Egmont pouvait-il nuire à l'intérêt de Guillaume?

Sans doute faut-il éviter de faire d'Arnould d'Egmont le noeud du problème, et considérer l'ambition personnelle des Bueren comme le principal moteur de leur politique. À cet égard, l'acte d'alliance avec DiephoIt est très révélateur. Comme nous l'avons déjà souligné, la victoire du postulat aurait offert à Guillaume la plus grande partie de la Betuwe et du Tielerwaard; à peu de choses près le territoire de l'ancien comté de Tystrebant. Ce qui aurait fait d'eux les seigneurs les plus puissants de Gueldre: un lignage du gabarit des

) 45Nous avons assez insisté sur les nombreuses ramifications du conflit hollandais.

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Heinsberg, ou des Hornes à la fin du siècle. Qui sait ce qu'Adolphe de Berg,

qui n'avait avec les deux frères aucun rapport de parenté, leur avait offert en

échange de leur soutien 146?

Finalement, Guillaume et son frère apparaissent, à ce stade des

recherches, comme des seigneurs mercenaires, prêts à vendre leur appui -

militaire ou diplomatique- au plus offrant, et veillant avant tout à leur propre

intérêt, à leur propre expansion territoriale. Peutêtre l'alliance des villes et de

la chevalerie gueldroises, élément régulateur des velléités expansionnistes de

la noblesse, se prête-t-elle mal à leurs ambitions; dès lors ils ont plus à gagner

à servir les ennemis du pays. Peut-être choisissent-ils aussi leur camp en

fonction de leurs affinités et antipathies; mais c'est en tout cas pour leur

propre lignée qu'ils se battent. Prêts à toutes les ruses et à toutes les trahisons;

mais aussi -et ce trait les rachète - faisant preuve d'un courage, d'une audace et

d'une ténacité hors du commun. Leur puissance est supérieure à celle de la

plupart des petits seigneurs terriens; ce n'est certes pas encore la puissance

d'un duc ou d'un comte. Féodaux remuants, ils rêvent de mieux. En soulignant

leur esprit d'indépendance, nous rappelons que la terre de Bueren était restée

très longtemps un alleu.

L'appui des Bueren était de grande valeur pour tout prince qui voulait

s'en prendre à la Gueldre. La position stratégique de leurs domaines, mais

aussi leurs talents d'hommes d'action en firent des atouts précieux, tant pour

Diepholt que pour le duc de Berg. Ce n'est pas pour rien que les deux frères se

virent confier le commandement de troupes importantes lors des expéditions

de Tiel et de Culemborg, et sans doute également lorsque Guillaume envahit

la Gueldre en 1434. Nous avons vu quelle menace ils firent peser sur le Nord

du duché.

Pour compléter ces premières conclusions, nous tenons à souligner la

technique militaire des deux frères: leur goût pour les opérations-surprises, les

commandos qui s'infiltrent silencieusement chez l'ennemi, n'est pas sans

évoquer les opérations militaires liégeoises de 1468, auxquelles Vincent de

Bueren prendra part: le raid sur Tongres, le combat du faubourg Saint-

Léonard, les "600 Franchimontois" ressemblent par bien des points au coup de

main sur

1 46Lorsque VAN BERCHTEM. que nous considérons comme la source la plus fiable pour l'histoire de

Gueldre à celle époque. introduit dans son récit le soutien de Guillaume au duc de Berg. il le fait en ces termes:

"L'année suivante, Guillaume de Bueren, agissant el! échange de la faveur du duc de Berg, devint de nouveau

ennemi d'Arnould. " (p. 83).

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Grave de 1423, à l'attaque sur Tiel de 1427, au raid sur Culemborg de 1428.

Voilà posées les bases d'une nouvelle approche de Vincent de Bueren. En tenant compte de ses antécédents familiaux, il sera désormais difficile de défendre 1'image d'un héros patriotique ( liégeois?) et populaire, défenseur du Tiers-état. D'autant plus que nous trouverons encore Guillaume dans l'ombre de son fils ...

3. Les Bueren dans l'exil.

Nous pouvons à présent entrer dans la partie la plus obscure de l'existence de Guillaume.

Avant d'aller plus loin, il est temps de nous intéresser à ses enfants. Les deux généalogies modernes dont nous disposons -celle de Le Fortl47 et celle de Voet van Oudheusdenr-s- s'accordent, pour cette génération, sur l'ordre d'aînesse suivant:

1. Vincent ("heer van Bueren en Beusinchem") 2. Gisbert %㠱 Allard %㠱 Elsa

. Tous quatre seraient nés du second mariage de Guillaume avec Ermengarde de Lippe (après 1420).

Ces deux travaux doivent éveiller la suspicion, comme toute étude moderne négligeant de citer ses sources. Cependant ils s'accordent pour cette génération. Voyons si d'autres données peuvent confirmer ou infirmer l'ordre qu'ils présentent. Mettons Elsa à part, les filles étant souvent rangées après les garçons dans les généalogies.

Madame Josse-Hoffman, qui ignorait probablement Voet et Le Fort, supposait que Vincent était le plus jeune des 4 enfants. Elle proposait de placer, avec les réserves qui conviennent, sa naissance vers 1440, ce qui lui donnait environ 28 ans en 1468. Sans doute se

147LB FORT. P 302 et 308.

148p. 79-81.

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basait-elle sur le silence des sources à son sujet avant 1464. Cet argument a

silencio ; pourtant, n'a pas grande valeur: si nous connaissons un peu mieux

ses frères à cette époque, c'est uniquement parce que nous les rencontrons

dans leurs offices ecclésiastiques, et encore est-ce assez rare. De même, on

ne connaît qu'une seule mention de Guillaume à Liège avant 1464, alors

qu'il y réside déjà 10 ans auparavant. Au contraire, le fait que Vincent soit

le seul à ne pas avoir revêtu d'habit ecclésiastique plaide dans le sens de

Voet et Le Fort, l'aîné d'une famille noble devant généralement perpétuer la

lignée et hériter du domaine patemelt-s. Il porte en tout cas dans plusieurs

sources le titre de seigneur de Bueren et de Bcusinchemiw; en 1468, le

légat Onofrius lui donne encore le titre de cornes'»,

Par ailleurs, Allard est vraisemblablement plus jeune que Gisbert:

nous verrons le premier présenter ses lettres de noblesse et acquérir des

prébendes avec une dizaine d'années de retard sur le second. Tout ceci nous

incite à conserver notre confiance en ces deux généalogies pour cette

génération.

Elsa est la seule dont nous connaissions approximativement la date

de naissance: grâce à un acte contenu dans son propre cartulaire à l'abbaye

de Thorn, on peut placer avec certitude celle-ci entre octobre 1428 et

octobre 1429152. Cependant, on peut également spéculer sur la naissance de

ses frères sans aborder un terrain trop glissant. Gisbert présente ses lettres

de noblesse au chapitre cathédral de Cologne le 3 décembre 1443153. Il

acquiert aussitôt après une prébende au même chapitre 154 . On peut

supposer sans trop de risques d'erreur qu'il était âgé à ce moment d'au

moins une quinzaine d'années, âge qui correspond alors à la majorité. Il

serait donc né entre 1420 et 1428. Si Vincent est bien l'aîné, comme nous

avons toutes les raisons de le penser, il serait dès lors venu au monde entre

1420 et 1427. En 1468, ce n'était donc pas le jeune héros ardent présenté

par les romantiques, mais un homme déjà mûr. Enfin, on

1490n peut toutefois opposer à cet ordre de naissance un argument onomastique: 11 est vrai que le premier né d'une

famille noble porte souvent le prénom de son aïeul paternel. en l'occurrence Gisbert. Le nom d'Allard est également

fréquent chez les Bueren, alors que celui de Vincent n'est encore jamais apparu dans la lignée à notre connaissance.

150FAIRON, Regestes de la cité de Liège, 1. IV, p. 298: en 1468, il s'intitule lui-même Vincent, seigneur de Bueren,

capitaine des Liégeoix. Voir également le chapitre 9 du présent travail. 15lONOFRIUS, Mémoire sur les affaires de

Liège (1468) • éd. par S. BORMANS, Bruxelles, 1885, p.49. Pour être erroné, ce titre n'en est pas moins révélateur

du prestige de la famille.

1521. HABETS, De archieven va1l hel Kapiuel der hoogadelijke rijksabdij Thom, 1. I, s.\., 1889, p. 360, acte du 23

octobre 1451: La noble Elsa de Bueren, ..... âgée de 22 ans.

153Th._J. LACOMBLET, Urkundenbuch fur die Geschichte des Niederrheins , t. IV, Düsseldorf, 1858, p.297.

154W. KIS KY, Die Domkapitel der geistlichen Kurfiirsten in ihrer persônlichen Zusamenselzung im vierzehnten

und fiinftehnten Jahrundert, Weimar, 1906, p. 48.

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peut raisonnablement penser qu'Allard est né après sa soeur:" il ne présente

ses preuves de noblesses qu'en 1451155 (au moment où Elsa devenait déjà

administratrice de Thorn, à l'âge de 22 ans), et le premier bénéfice que nous

lui connaissions est une prébende au chapitre Saint-Lambert, au sein

duquel il est admis le 25 février 1454156, De plus, Adrien d'Oudenbosch le

qualifie encore, en 1465, d'homme jeune et inexpérimenté 1 57,

Qu'advint-il de cette famille après l'exil de 1435?

L'auteur de l'Historia Gelriae anonyme a trop longuement parlé des

Bueren pour les sortir de scène en nous laissant dans l'ignorance de leur

destin: Le seigneur de Bueren s'exila au duché de Berg aussi longtemps qu'il vécutv», nous apprend-il en concluant le récit du siège de la ville.

Nous savons, bien entendu, que Guillaume finit son existence à Liège, mais

il y a certainement dans cette affirmation une grande part de vérité, Ayant

tout perdu au service d'Adolphe de Berg, Guillaume n'a qu'un espoir de

retrouver son dominium : continuer à servir ce prince et escompter un

retournement du sort des armes, qui jetterait bas le duc Arnould et placerait

le duc de Berg à la tête de la Gueldre. Nous n'avons pas poussé nos

investigations dans les sources du duché de Berg; il est possible qu'on

puisse y trouver des documents attestant de son service, et, qui sait, de

celui de Vincent, auprès d'Adolphe dans les années qui suivirent. Il est

hautement probable que Guillaume ait continué à lutter pendant une

dizaine d'années aux côtés des ennemis de la Gueldrerw.

Plusieurs documents révèlent la présence des enfants de Guillaume à

Cologne: on trouve tout d'abord un acte du chapitre cathédral de la cité,

daté du 3 décembre 1443, par lequel Gisbert fournit au chapitre ses preuves

de noblesse en présence de son pèrel60, De même, Allard présente les

siennes en 145 }161 ~ Gisbert acquiert ensuite une prébende au même

chapitrew? (première

155M. JOSSE-HOFFMAN, op. cit., col. 62 .

156efr. chapitre 4 du présent travail.

157 Adrien, p 119.

158 Historia Gelriae auctore anonymo, p. 112. 1

59Cest aussi l'avis de BUDDINGH, p. 202.

16ÛTh.-J. LACOMBLET, t. IV, p. 297.

161JQSSE,HOFFMANN, op. cit., col. 66.

162D. BUDDINGH, p. 203; et KISKY, op. cit., p. 48 sont en contradiction à ce sujet. Pour le premier, il s'agit

d'Allard, pour le second de Gisbcrt. Il faut cependant privilégier l'opinion de Kisky, qui seul s'est penché sur les

archives du chapitre et a pu y rencontrer le nom du véritable chanoine de Bueren. En outre, l'année de la mort

de celui-ci, telle qu'on la trouve dans l'étude de Kisky, correspond à celle de la mort de Gisbert (1473) telle

qu'elle apparaît dans les sources liégeoises. Notons également le désaccord de nos

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mention comme chanoine le 22 janvier 1445163). Enfin, Elsa fut chanoinesse

de Sainte-Cécile'», dans la même cité, avant de devenir administratrice de

Thorn en 1451, puis plus tard abbesse. Nous ne nous étonnerons pas de

voir les Bueren jouir de ces prébendes: depuis de nombreuses générations,

on trouve des membres de leur famille parmi les chanoines de la cathédrale

et de Saint-Géréon'é-.

Ce n'est pas un hasard si nous trouvons les Bueren ici: Cologne est

l'alliée du duc de Berg dans la guerre contre la Gueldre. La cité représente

donc une destination des plus logiques pour le seigneur banni, et une

métropole ecclésiastique riche en perspectives pour ceux de ses enfants qui

se sont voués au service de Dieu. Nous constaterons plus loin que

Guillaume y possédait probablement des appuis, qui devaient lui permettre

d'échapper à la vindicte du duc de Bourgogne en 1469166. Par ailleurs, il n'y

a qu'à traverser le Rhin pour se trouver dans le duché de Berg.

la guerre entre Berg et la Gueldre dura encore plusieurs années. En

1437, le duc Adolphe mourut, et son neveu Gérard lui succéda. La maison

de Heinsberg se rangea à nouveau de son côté; ainsi les Bueren

retrouvaient-ils leurs alliés d'antan. Nous passons sur les péripéties du

conflit, qui ne nous apprendraient rien, et nous en venons à l'épisode qui y

mit un terme: la bataille de Linnich, le 3 novembre 1444, aux frontières de

la Gueldre et du Juliers, qui vît la déroute d'Arnould d'Egmont. Selon

Buddingh, Guillaume y participe, s'y distingue même par une bravoure

exceptionnellers", Bien entendu, cet auteur ne nous indique pas la source à laquelle il a puisé ce renseignement tant attendu. A-t-il lu que Guillaume de

Bueren prît part à la bataille? ou bien s'agissait-il d'un dominus de Bueren, auquel cas il pourrait déjà s'agir de Vincent, que nous verrons porter ce titre

dans les sources, même du vivant de son père, et qui pouvait alors être en

âge de combattre? Nous n'épiloguerons pas sur les imprécisions de

Buddingh et nous ne nous attarderons pas sur ce point.

deux généalogies à ce propos: LE FORT donne Gisbert de Bueren comme chanoine de Cologne, alors que VOET

VAN OUDHEUSDEN parle d'Allard.

163KISKY, op. cit., p. 48.

164J. HABETS, t. I. op. cit., p. 360, acte du 23 octobre 145l.

165voir de nombreuses mentions dans les Regesten der Erzbischôfe VOJl Kôln ; Cependant, une autre famille noble de

Büren, que nous avons déja évoqué dans nos remarques critiques au début de ce travail, est largement représentée au

sein du chapitre de la cathédrale de Cologne. II est difficile d'y distinguer les membres de j'une et de l'autre famille; il

est cependant très probable que plusieurs des chanoines de ce chapitre sont bien des Bueren de Betuwe (prénoms

habituels dans la famille - origines gueldroises).

166page I12-1I3 du présent travail.

167BUDDINGH, p. 202.

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La bataille de Linnich ôta à Arnould d'Egmont tout espoir d'établir sa souveraineté sur le Juliers. Mais Guillaume ne profita jamais de la victoire. La paix signée entre les belligérants le 21 novembre de l'année suivante, au contraire, détruisit toutes ses chances de regagner ses domaines. L'acte, passé sous la médiation du duc de Clèves, impliquait d'une part Arnould d'Egmont, de l'autre Gérard, duc de Berg et Gérard de Heinsberg, comte de Blanckenheim. Il garantissait le statu quo: le Juliers restait attribué aux vainqueurs de Linnich, et Arnould gardait la Gueldre. Mais ce dernier obtenait une clause particulière concernant Guillaume: les princes du parti vainqueur, Berg et Heinsberg, s'engageaient à ne plus porter assistance au seigneur de Bueren contre le duc de Gueldre; dans le cas où Guillaume voudrait poursuivre la lutte contre lui, que ce soit par des moyens militaires ou juridiques, les deux princes devraient lui fermer leurs territoires. En contrepartie, Arnould renonçait également à

toute vengeance contre le seigneur déchu 168.

Le 21 novembre 1445 nous apparaît donc comme une date pivot dans l'histoire de la famille de Bueren. Abandonné par ses alliés, Guillaume a définitivement tout perdu. Seigneur sans terre et sans avenir, approchant déjà la cinquantaine, il n'a plus guère de perspectives de puissance. Plus rien ne le retient au duché de Berg. Trois de ses quatre enfants peuvent vivre de prébendes, et lui-même de l'aumône des princes. Mais quel avenir réserver à son fils Vincent, futur seigneur de Bueren dépossédé de son riche héritage?

De celui-ci, nous ignorons le début de carrière. Sans doute chercha-t-il à mettre son épée au service de quelque grand, peut-être du duc de Berg ou de la famille de Heinsberg, comme peut le faire un noble désargenté. Nous l'avons déjà souligné, il n'est pas impossible que des recherches ultérieures puissent permettre de découvrir des mentions du personnage dans quelque principauté Allemande.

Mais c'est à Liège, au pays de l'évêque Jean de Heinsberg, que la famille de Bueren trouva finalement un port d'attache et des perspectives d'avenir un peu plus riantes. Nous y trouvons mention des fils de Guillaume dès 1453; et dans les années qui suivirent, de nombreuses sources signalent leur présence dans la principauté épiscopale.

168NIJHOFF, t. IV, acte nO 227.

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4. Les Bueren à Liège

C'est donc entre 1445 et 1453 que les Bueren seraient venus s'établir à Liège, sans doute après avoir séjourné un temps à Cologne. Leur parenté avec l'évêque Jean de Heinsberg allait leur offrir un nouvel avenir. Rappelons que Guillaume de Bueren et l'évêque sont cousins; nous avons vu les bons rapports entre les Heinsberg et les Bueren dans les affaires de Gueldre, leur longue collaboration, interrompue un temps, reprise après l'exil. L'évêque ne pouvait pas faire moins que d'accueillir dignement la famille. Nous allons voir comment il offrit des prébendes et des postes importants aux enfants de Guillaume, comment il devient pour eux, ce que nous appellerions aujourd'hui un excellent "piston", Nous découvrirons ainsi comment la famille, après tant de déboires, émergea rapidement au premier plan du monde politique liégeois.

La première trace des enfants de Guillaume dans le diocèse de Liège remonte à 1'année 1451, année où Jacqueline de Heinsberg, soeur de l'évêque, résilie son canonicat à 1'abbaye de Thom'w, où elle exerçait en outre les fonctions d'administratrice 170. Elsa est la première à bénéficier de l'appui des Heinsberg et à se voir attribuer grâce à eux des prébendes à Thorn, suivies aussitôt de la charge d'administratrice de l'abbaye. Nous sommes en mesure de suivre toute la procédure de demande et d'obtention du canonicat et de la charge en question; il est intéressant de s'y attarder, parce qu'elle jette une lumière assez nette sur le rôle des Heinsberg dans la promotion d'Elsa. La future abbesse profite, par ailleurs, de la présence à Liège du cardinal-légat Nicolas de Cuse (excellent ami de l'évêque)!" pour obtenir sa prébende; enfin, la famille de Bueren n'est pas inconnue à l'abbaye de Thom, puisque plusieurs femmes de

1691'abbaye de Thorn, sise entre Liège et Gueldre, possédait de nombreuses terres. Elle avait le statut de petite

principauté ecclésiastique indépendante. Voir J. HOUTMORTELS, Thom. Hoogadelijke rijksabdij en vorstendom

, Maastricht, 1949.

170Une maladie empêchait l'abbesse Mechtilde de diriger les affaires de l'abbaye; le Saint-Siège avait reconnu et

défini la fonction d'administratrice de Jacqueline pour y suppléer. L'abbesse en titre ne s'éteignit qu'en 1459; jusque

là, Elsa remplit les fonctions d'administratrice à la suite de Jacqueline, aux mêmes conditions. Voir

HOUTMORTELS, op. cit., p. 46-52.

171 Le légat, acquit au projet de réforme des moeurs du clergé du pape Eugène IV, parvient à Liège le 4 octobre 1451

avec le mandat de légat en Allemagne. Les clercs liégeois, qui n'ont pas oublié qu'il occupe toujours le poste

d'archidiacre de Brabant, sollicitent "leur" légat pour qu'il leur accorde les avantages qui vont avec l'acceptation de la

réforme. Mais le peu de cas qu'ils font de celle-ci provoque une dispute; le légal quitte Liège pour Malmédy le 18

octobre. La réconciliation surviendra à Maastricht plusieurs mois après. Voir E. VAN STEENBERGHE. Le cardinal-légat Nicolas de Cuse, dans Leodium , t. 15, pp. 98- 123.

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ce lignage y bénéficièrent de prébendes au siècle précédentr". Avec ces

atouts en main, Elsa a tout pour réussir à s'imposer à la tête d'un chapitre

qui comprend, pourtant, bien des noms dont la noblesse vaut bien la sienne

173.

Le 23 octobre 1451, Elsa charge Sébastien de Visé, Thierry de

Zanten et Jean de Bastogne de postuler en son nom, auprès du légat, à la

prébende de Jacqueline et à la charge d'administratrice. L'acte est passé à Maastricht, dans la propre maison d'hôte de I'évêqueit-. Le légat, en querelle

avec les liégeois, se trouve alors à Malmédy.

Le 2 novembre, le légat reconnaît avoir reçu de Jacqueline de

Heinsberg son canonicat et ses prébendes, suite à l'intercession de

Sébastien de Visé. Il les offre à Elsa, qui semble de haute lignée. Cet acte a

le pouvoir de contraindre l'évêque de Liège, le chantre de la cathédrale et le

doyen de Saint Paul! 75 à reconnaître cette nomination 176. Il semble donc

que Sébastien de Visé était chargé à la fois de remettre au légat le canonicat

de Jacqueline et de solliciter son transfert à Elsa. Nul doute que les deux

femmes se soient entendus à l'avance pour que la seconde hérite des

prébendes de la première, selon un mode de transmission des bénéfices qui

n'avait rien d'exceptionnel à l'époque.

Le même jour, Nicolas de Cuse, usant de ses droits de légat, charge

l'évêque, le doyen de Saint-Paul et le chantre de SaintLambert de lui

soumettre une candidature valable à la succession de Jacqueline dans sa

charge d'administratrice.

L'évêque s'empressa de recommander Elsat?". Le 10 novembre, il

accomplit les voeux du légat et ordonne au chapitre de

172JuHa van Bueren est chanoinesse et écolâtre au moins de 1304 à 1336 (J. HABETS, op. cit., t. l, pp 156, 159,

160, 179 et p. UV); Margareta est chanoinesse de 1348 à 1368 (HABETS, t. l, pp. 222, 234, 239, 267 et p. LIX).

Ajoutons que Jean de Bueren, Seigneur d'Ewick (un des oncles de Guillaume). possédait des terres dans le domaine

de l'abbaye. qu'il cède en 1432 aux deux bâtards de son frère Otto (HABETS, t. l, p. 323).

1730n n'admettait au chapitre de Thorn que des filles de très haute noblesse (théoriquement. d'un lignage de comte,

prince ou dynaste). Les chanoinesses étaient particulièrement à cheval sur ces conditions d'admissions, n'hésitant pas

à protester lorsqu'on voulait leur imposer des personnes de moindre rang (VAN WINTER, op. cit., p. 177).

174HABETS, op. cit., t. I, p. 360.

175n semble donc que ces trois personnages avaient la responsabilité du monastère de Thorn. Les actes que nous

énumérons soulignent à de nombreuses reprises leur rôle dans la passation du canonicat; le chantre de Saint-Lambert

est témoin du serment prêté par la nouvelle administratrice.

176HABETS, op. cit., 1. I, p. 360.

1 77 Le chantre de la cathédrale également, Gislebert d'Overdievecht, est probablement acquis dès le départ à Elsa. Il

semble que ce personnage soit un ami des Bueren; nous voyons également, après sa mon en 1456, Gisbert de Bueren

hériter de sa maison claustrale (cff. p. 48 du présent travail). Il est d'ailleurs originaire du diocèse d'Utrecht (DE

THEUX. op. cit., l. Il, p. 236).

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Thorn d'accueillir la nouvelle chanoinesse. Le même jour, le cardinal-légat

confère la charge d'administratrice à Elsa178, qui prête serment dès le 16 du

même mois.

Le soutien de l'évêque dut' profiter également à Gisbert et à Allard.

C'est probablement peu avant le mois de mars 1453 que Gisbert!"? accéda à la charge d'archidiacre de Condroz, si l'on en juge par la mystérieuse

dispute dont les conclusions capitulaires de Saint-Lambert se font l'écho: le

2 mars 1453, Guillaume, intervenant au chapitre, déclare annuler le sceau

de l'archidiaconé de Condrozl80• Le 17 mars, Jas de la Marck fait serment de

restituer dans les 24 heures les lettres et registres concernants l'archidiaconé

de Condroz à Guillaume de Bueren'u. Donc ce personnage était en

possession de ces documents et probablement aussi du sceau, et il montrait

des réticences à les restituer. Guillaume, défendant les intérêts de son fils

nommé archidiacre, prit la précaution d'invalider le sceau pour que Jas de la

Marck ne puisse l'utiliser de façon abusive. Cette démarche de méfiance en

dit long: La Marck et Gisbert devaient être en conflit, vraisemblablement

pour l'attribution de l'office. Jos de la Marck en "séquestrait" les registres,

et Guillaume dut réagir devant le chapitre pour le forcer à les restituer à son

fils.

Jas de la Marck fut chanoine et écolâtre de Saint-lambert de 1444 à 1470182.

Comment en est-il venu à détenir le sceau et les documents relatifs à

l'archidiaconé de Condroz? En était-il l'archidiacre avant mars 1453?

Aucune source n'en fait mention comme tel. Cependant, le seul

prédécesseur de Gisbert à cet office qui nous soit connu est un docteur de

l'université de Florence, Nicolas de Forli. Il est mentionné comme

archidiacre en 1432, mais cesse de résider à Liège à partir de 1435183• Il n'a

donc pas pu remplir lui-même cette fonction à partir de ce moment, et il est

possible que Jas de la Marck ait soit occupé l'officet= (à partir de 1444 au

plus tôt), auquel cas nous aurions affaire ici à un problème

I78HABETS, t. 1, p. 36l.

1 79D'après DE THEUX. t. II, p. 234, Gisbert faisait déjà partie du chapitre en 1438; en l'absence de documents. nous

ne pouvons nous fier à ce travail qui comporte de nombreuses erreurs, notamment à propos de Gisbert de Bueren.

180 S. BaRMANS, Répertoire chronologique des conclusions capitulaires du chapitre cathédral de Saint-

Lambert à Liège. /427-1650 • dans A. H. E .• t. 6, Liège, 1869. p 16; AHL, fonds Cathédrale. secrétariat.

conclusions capitulaires. 1427-1459·

181BORMANS. Conclusions capitulaires. op. cit., p. 17.

182DE THEUX, op. cit., t. II. p. 247.

183DE THEUX. op. cit., l. II. p.202-203.

184Mais Jos de la Marck est déjà écolâtre de Saint-lambert. Il semble douteux qu'il ait pu concilier cette fonction

avec celle d'archidiacre.

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de succession difficile, soit rempli ces fonctions comme substitut de

Nicolas de Forlil85. Dans ce dernier cas, De la Marck espérait sans doute se

voir attribuer nominativement l'office (à la mort de l'italien") et n'aurait pas

apprécié de se voir damer le pion par Gisbert de Bueren. Ces deux

hypothèses expliqueraient en tout cas comment il en est venu à détenir ces

documents, et la situation conflictuelle expliquerait la séquestre de ceux-ci.

Nous ne sommes pas en mesure de clarifier davantage cette affaire; nous en

restons donc à ces hypothèses. Par contre, l'intervention de Guillaume est

intéressante à plusieurs titres. A travers elle, on peut mesurer non

seulement le soin qu'il prend des affaires de ses fils, mais également son

influence au chapitre. On trouvera d'ailleurs curieux qu'un laïque ait le

pouvoir d'annuler un sceau archidiaconal.

On ne trouve nulle part trace de la signature de Guillaume au bas des

actes épiscopaux. li ne semble pas avoir fait officiellement partie du

conseil de l'évêque, ni occupé de fonctions particulières à ses côtés. Il

devait cependant compter parmi ses proches confidents. Guillaume était

âgé d'au moins 55 ans en 1450; il avait déjà eu une vie chargée et s'y

entendait en affaires politiques et militaires. Il était tout dévoué à la famille

de l'évêque. Ses conseils devaient être précieux; nous continuerons à

prendre la mesure de son influence dans les affaires liégeoises.

Allard de Bueren, enfin, est reçu au chapitre le 25 février 1454186. On

le trouve déjà comme archidiacre de Famenne le 16 juin 1455187.

L'ascension de ce très jeune hommel88 est trop fulgurante pour qu'on n'y

voie pas la main de l'évêque et le signe de la position privilégiée des

Bueren au sein de la société liégeoise.

A l'exception de Vincent, voici donc les enfants de Guillaume placés

au premier rang du clergé liégeois. Qu'on juge donc de l'influence que

devait posséder une famille représentée par deux archidiacres et bientôt par

l'abbesse de Thorn, et dont le "patriarche" est un proche de l'évêque. A

peine installés à Liège, les bannis se sont établis fermement dans les

rouages politiques et religieux de la principauté. Si aucun document ne

nous permet d'estimer leur

18SNous connaissons au moins un cas où l'obligation de résidence des archidiacres ne fut pas respectée à la même

époque: il s'agit encore une fois de Nicolas de Cuse, qui était archidiacre de Brabant mais ne put remplir ces fonctions

en raison de sa charge de légat.

186BORMANS, Conclusions capitulaires , p 18.

187E. PONCELET, Répertoire chronologique des conclusions capitulaires du chapitre cathédral de Saint-

Lambert à Liège - supplément, dans A. H. E., t. 23, 1892, p. 480.

l88ADRIEN D'OUDENBOSCH, Chronique, éd. C. DE BORMAN, Liège, 1902, p. 130. On peut s'étonner

également de voir parvenir à un poste si élevé un chanoine qui, selon Adrien. ignorait même le latin.

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fortune foncière à Liège, les sources nous donnent cependant des traces de

leurs activités cléricales. Suivons donc les carrières ecclésiastiques des

Bueren, de leur entrée en fonction jusqu'au début des troubles de 1465-1468.

On trouve trace, toujours dans les conclusions capitulaires, d'une

promesse d'assistance entre Allard de Bueren, le doyen du chapitre Jean de

Monte et d'autres personnages ecclésiastiques, contre un certain Arnold

Gheister. Cette promesse est faite devant le chapitre le 16 juin 1455189. Nous

ne pouvons donner aucun éclaircissement sur cette affaire. Après la mort du

chantre de la cathédrale, Gisbert d'Overdievecht, Gisbert de Bueren est mis en

possession de la maison claustrale du défunt (29 août 1456)190. C'est tout ce

que l'on sait jusqu'en 1464.

La carrière d'Elsa est mieux connue, malgré les larges zones d'ombres

qui subsistent et qui rendent parfois difficile la compréhension des documents

que nous possédons. Le cartulaire de l'abbaye est assez fourni pour le Xvo

siècle; on possède en outre le cartulaire personnel d'Elsa'v'. L'abbesse

Mechtilde de Hornes mourut le 23 novembre 1459. Il était initialement prévu

que Jacqueline de Heinsberg lui succéderait; mais puisqu'elle avait renoncé à ses prébendes, ce fut Elsa qui prit tout naturellement sa place à la tête du

chapitre. Il semblerait toutefois qu'elle ait eu une concurrente en la personne

de Catherine de Wuchtenberg: un accord passé entre les deux femmes, qui

offrait la crosse à Elsa et dédommageait Catherine de Wuchtenberg par un

canonicat sans résidence à 1'abbaye, fut approuvé par le pape le 3 janvier

1462192. C'est l'évêque Louis de Bourbon qui avait servi d'intermédiaire entre

les deux candidates.

Nantie à présent d'une crosse abbatialeiw, Elsa dut faire face à plusieurs

problèmes et fut impliquée dans divers conflits. Elle eut une longue querelle

avec le seigneur de Hornes, tuteur-avoué de l'abbaye, et plusieurs chanoines et

chanoinesses de Thorn. Un arbitrage par Guillaume de Sombreffe, survenu le

31 mai 1461, ne mit pas un terme définitif au conflitiv-. La querelle

concernait peut-

1 89pONCELET, Conclusions capitulaires, p. 480.

190pONCELET, Conclusions capitulaires, p. 483.

191 Tous ces documents sont édités par J. HABETS, op. cit, L 1. t

92HABETS, op. cit., t. I, p. 377-378.

193Notons qu'Elsa a pour voisin le seigneur de Kessenich. c'est à dire Jean de Wilde, un des trois capitaines du

mouvement de 1468. Plusieurs actes du cartulaire attestent de transactions entre la "dame de Thorn" elle seigneur de

Kessenich.

194HABETS, t. l, p. 374-376.

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être des fiefs et biens fonciers de l'abbaye, comme le donnent à penser la

suite des événements. Nous y reviendrons un peu plus bas, non sans avoir

d'abord examiné l'épisode qui fit sans doute rebondir le conflit: l'abbé de

Tongerloo, Henri de Cremagio, agissant en tant que visitator de la curie

pontificale, avait condamné les usages anciens de Thorn comme ne

correspondant pas à la dignité attendue de l'abbaye. Le chapitre et l'abbesse

refusant de se soumettre à ses injonctions, l'abbé de Tongerloo fulmina

l'interdit contre Elsa (avant le 6 mai 1464)[95. La réaction de celle-ci fut des

plus déterminées. Elle fit appel aux doyens de la cathédrale, de Saint-Paul,

de SaintPierre, de Sainte-Croix et de Saint-Barthélémy, et, par leur

intermédiaire, à rien moins que tous les chapitres des églises primaires et

secondaires de Liège (mais non à l'évêque Louis de Bourbon), pour obtenir

leur soutien contre l'abbé de Tongerloo. L'acte est assez instructif pour que

l'on s'y attarde.

C'est le 6 mai 1464 que Jean d'Ittre, avocat de la cour de Liège, paraît

en temps que procurateur de l'abbesse devant les doyens précités. À la

demande de soutien qui lui est faite, ce conseil apportera une réponse

positive; il y met cependant une condition: que Gisbert et Allard de Bueren,

archidiacres, Guillaume de Bueren et Vincent de Bueren, qui tous

paraissent devant eux, s'abstiennent d'user de violence ou de causer

quelques dégâts que ce soit à l'abbaye de Tongerloo. Et, pour bien garantir

cette clause, les Bueren sont contraints d'engager leurs biens meubles et

immeubles'w.

Il s'agit de la première mention connue de Vincent. L'épisode est

intéressant. Il permet de constater que la famille n'a rien perdu de son

humeur belliqueuse, les deux archidiacres y compris; il laisse entrevoir les

moyens envisagés par les Bueren pour résoudre le problème et donne un

aperçu de la solidarité au sein de la famille. Enfin, il laisse supposer que les

Bueren disposent encore d'un minimum de moyens militaires. Typiquement

féodale, cette réaction suffit à inquiéter le clergé liégeois, qui préféra

garantir le calme et promettre le secours de sa diplomatie. Peut-être les

Bueren pouvaient-ils s'appuyer sur Raes de Heers et ses séditieux pour

nuire à l'abbaye de Tongerloo?

Le seigneur de Hornes profita de l'excommunication de l'abbesse de

Thorn pour faire main basse sur certains biens de l'abbaye. Tant que cette

sentence pesait sur Elsa, le chapitre était

1 95HOUTMORTELS, op. cit., p. 51.

196HABETS, t. I, p. 381. L'abbaye de Tongerloo pouvait se faire rembourser tout dégât que la famille de Bueren lui

aurait causé sur leurs biens engagés.

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incapable de se défendre juridiquement contre de tels abus. Le conflit

explique certainement pourquoi, selon Adrien, Guillaume de Bueren

conspira contre le seigneur de Hornes vers la fin de l'année 1464197. Alors

que Liège subissait déjà les manoeuvres de Raes de Heers et que la

situation politique était des plus instable, Guillaume sut si bien manoeuvrer

que Jacques de Hornes fut contraint de venir en personne s'expliquer à

Liège. Selon Adrien, il s'excusa convenablement, et sa réponse fut "agréée à

1'ensemble du palais". Toutefois l'affaire n'en resta pas là. Les "terrains,

marchandises, dîmes et propriétés Il , "châteaux, villages, terres et autres

lieux, biens meubles et immeubles" de l'abbaye ne furent pas restitués, et le

doyen de Saint-Paul intervint encore, le 14 mars 1465198, pour rappeler que

l'abbaye était sous la protection du pape et enjoindre aux usurpateurs des

biens en question de les restituer. Il brandit à cet effet une lettre de la curie

pontificale de mars 1454. Enfin, Jean de Rychtenstein, sous doyen de la

cathédrale de Cologne, et arbitre de la querelle entre Elsa et l'abbé de

Tongerloo, intervint le 22 avril 1465. Il fait savoir à l'ensemble du clergé

liégeois que l'excommunication est levée et "attribue à nulle autre que

l'abbesse Elsa de Bueren les fruits, revenus, allocations et émoluments de

l'abbatiale" sous peine d'excommunication. Le seigneur de Hornes n'ayant

pas respecté l'ordre de restituer les biens usurpés, il est appelé à

comparaîtreiw. Par la suite, nous n'entendons plus parler ni de

l'excommunication, ni du conflit avec Hornes.

Nous avons pu évaluer la puissance politique des Bueren à Liège; il

nous reste à présent à tenter d'estimer leur richesse. Nous aurions aimé en

savoir plus sur les ressources financières dont les Bueren disposent depuis

qu'ils ont quitté leur terre natale. Nous avons vu que Guillaume, au début

de sa vie politique, devait disposer d'un capital et de revenus fonciers

considérables. Nous l'avons vu également connaître, vers 1430, des

difficultés financières en raison de ses expéditions militaires répétées, au

point de devoir sacrifier une partie de son patrimoine pour satisfaire ses

créanciers. L'exil devait finalement lui couper totalement les vivres. En

1435, toutes ses possessions étaient saisies par le duc Arnould. Comment le

seigneur banni a-t-il dès lors subsisté? A-t-il pu sauver quelques richesses

et les emporter avec lui? Sans doute fut-il entretenu par le duc de Berg

durant la décennie qui suivit (1435-1445). Mais après la bataille de Linnich

et la paix de 1445, cet état de choses a manifestement changé. Vers cette

époque, son fils Gisbert avait

197 ADRIEN D'OUDENBOSCH, op. cit., p. 110.

198HABETS, L I, p. 383, acte n° 390.

199HABETS, t. 1, p. 383, n" 391.

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acquit une prébende à la cathédrale de Cologne qUI pouvait lui assurer un revenu décent.

Cependant, la famille ne SI attarda pas dans la cité rhénane et s'établit

à Liège. Dès lors, comme nous l'avons vu, les enfants de Guillaume,

Vincent excepté, y bénéficièrent de prébendes. L'abbaye de Thorn, avec ses

nombreux fiefs, brassait des sommes considérables, mais qui

n'appartenaient pas en propre à Elsa. Peutêtre en a-t-elle néanmoins tiré

profit. Quant à Guillaume et à sa femme, ils furent peut-être entretenus par

Jean de Heinsberg. La famille en est-elle restée là, dépendante de l'évêque,

des prébendes des enfants et d'un éventuel capital sauvé et emporté dans

l'exil, ou bien a-t-elle trouvé l'occasion de se reconstituer un véritable

patrimoine, de retrouver peut-être des rentes et revenus?

Nous n'avons nulle trace de propriétés immobilières des Bueren dans

la principauté. Cependant, il n'y a pas à douter de l'existence de celles-ci-w.

L'acte du 6 mai 1464, que nous avons déjà cité, et par lequel la famille

engage "ses biens meubles et immeubles" en atteste. Nous ne pouvons

cependant estimer l'ampleur de ces richesses. Nulle trace cependant d'une

propriété foncière. Quoi qu'il en soit, Guillaume se montre encore capable

de prodiguer ses largesses. En 1455, il offre à l'Église Saint-Michel un

vitrail qui le représentait avec son épouse Ermengarde, agenouillés,

entourés de leurs quartiers de noblessew'. De plus, en 1470, le clergé

liégeois lui réclame une somme de 1400 florins rhénans, un montant tout

de même considérable. Nous reviendrons sur cette affaire dans un prochain

chapitre-w.

Signalons, pour conclure ce chapitre, qu'Ermengarde de Lippe

s'éteignit le 17 juillet 1463203. Tout comme Guillaume par après,

200Nous parlons ici de biens possédés en propre, par opposition à la maison claustrale que se partagent Gisbert et

Allard, laquelle est attestée par les conclusions capitulaires (PONCELET, op. cit., p. 483 <1456».

201Th. GOBERT, Les rues de Liège, op. cit., t. VIII, p. 206. Ce vitrail n'existe plus; Gobert se base sur un compte

de la paroisse Saint-Michel de l'année 1490: en effet, le vitrail ayant eu à souffrir de l'incursion de voleurs cette

année-là, la paroisse en finança la restauration l'année même. Ce registre des comptes a, hélas, disparu également

depuis que Gobert l'a consulté, et nous n'avons dès lors d'autre choix que de nous en remettre à sa parole.

202p. 113 du présent travail.

203YOET VAN OUDHEUSDEN, et d'après lui D. BUDDINGH (p. 203), placent ce décès en 1463. Cependant, dans

le Recueil d'épitaphes de H Van den Berch édité par NA VEAU DE MARTEAU, l'épitaphe des époux Bueren (t.

II, n° 1390) parle du 17 juillet 1443. Il semble à priori que Van den Berch, qui a probablement vu lui-même la pierre

tombale, soit une source plus fiable que Voet, qui ne cite que trop rarement ses sources. Cependant, Yan den Berghe

est contredit par une mention ultérieure d'Brmengarde ( la donation de la verrière en 1455), et il est peu probable que

les Bueren aient déjà été établis à Liège en 1443. Il doit donc avoir commis une erreur de transcription (il en commet

d'ailleurs une autre dans la même inscription en donnant MCCCC comme date de la mort de Guillaume). Du reste, il

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elle fut enterrée au prieuré des Bons enfants que Jean de He' b ' /f -- 'IDS erg avait ~e orme quelques années auparavant pour y établir des Augustins .

. __ ~ous en restons là pour l'instant en ce qui concerne la vie liégeoise des ,Bueren. Nous avons déjà empiété quelque peu sur le regne d.e ~O~lS de Bourbon, et quelques mots d'explications au sujet ~e celu~-.cl s ~~po~ent avant d'aborder le rôle de la famille au sein de 1 opposmon liégeoise,

5. Les Bueren dans l'opposition liégeoise.

Les Bueren s'apprêtent en effet à vivre avec la cité une des pages les

plus dramatiques de son histoire=». Bien entendu, ils ne se contenteront pas

d'y jouer un simple rôle de spectateur, mais redeviendront des acteurs de

premier plan et nous donneront à nouveau toute la mesure de leur caractère.

Nous rappelons ici le contexte géopolitique et donnons un aperçu de

l'histoire de Liège, de l'avènement de Louis de Bourbon à la bataille de

Brusthem. Nous glisserons dans ce récit général ce que nous avons appris

de l'attitude de la famille. Il était nécessaire de préciser ce contexte de

façon parfois détaillée pour bien analyser les actes des B ueren, et tout

particulièrement la carrière de Vincent.

Tout au long de la première moitié du Xvo siècle, la principauté de

Liège avait vu l'étau bourguignon se resserrer autour d'elle. Tissant

patiemment sa toile géopolitique dans les Pays-Bas, Philippe le bon avait

non seulement acquis tous les territoires voisins (Namur en 1429, Brabant

et Limbourg un an plus tard et Luxembourg en 1462), mais encore fait la

preuve qu'il pouvait aussi étendre la main vers un siège épiscopal en

plaçant ses hommes de paille sur ceux de Tournai, Thérouanne, Cambrai et

Utrecht. Dans nos régions, il ne lui manquait que celui de Liège pour

compléter le

n'est pas difficile de comprendre que le X et le L de MCCCCLXIII auront été intervertis, soit par l'auteur, soit par

l'éditeur scientifique.

204Nous renvoyons, pour l'histoire de cette période, à trois synthèses essentielles: G. KURTH, La cité de Liège au

Moyen Age, t. III, Bruxelles-Liège, 1910, à partir de la page 137; l'introduction de J. LEJEUNE dans Liège et

Bourgogne. Catalogue de l'exposition tenue à Liège aux mois d'octobre et novembre 1468 , Liège, 1968; et enfin

la synthèse de J.-L. KUPPER, dans 1. STlENNON (sous la dir. de), Histoire de Liège, Toulouse, 1991.

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tableau et poursuivre son rêve d'une "Lotharingie" exclusivement bourguignonne. Le candidat au poste était déjà trouvé. Dès 1452, le duc avait tenté de faire accepter le jeune Louis de Bourbon au sein du chapitre, mais les chanoines avaient déjoué le piège et refusé le candidat.

Malgré les sentiments plutôt francophiles des liégeois, Jean de

Heinsberg était proche de la Bourgogne. Une alliance personnelle fort

embarrassante-v' l'unissait au duc et il aimait à fréquenter sa cour, tout

spécialement lorsque qu'il connaissait des déboires avec ses ouailles. À force de patience, Philippe obtint ce qu'il voulait: l'évêque renonça à sa

crosse le 22 novembre 1455.

Le pape avait besoin du duc pour mener à bien son projet de croisade

contre les Turcs. Disposant ainsi d'un argument de poids, Philippe n'eut

aucun mal à lui faire reconnaître Louis de Bourbon, qui fit son entrée à

Liège le 13 juillet 1456. Il allait être bien plus difficile de faire accepter le

nouvel évêque à ses sujets. Pleins de rancoeur depuis la bataille d'Othée,

échauffés par la guerre namuroise de 1430 et déjà sollicités par la France,

les Liégeois n'entendaient pas voir la Bourgogne se mêler à nouveau de

leurs affaires.

Pourtant, dans un premier temps, le conflit apparaît seulement

comme un désaccord entre l'élu et sa cité. Philippe le bon, discret et habile,

y joue à plusieurs reprises un rôle de médiateur, affecte une neutre

bienveillance qui ne dupe personne et veille ainsi sur les affaires liégeoises.

Il s'agit de la désormais habituelle discorde entre un prince-évêque qui

entend commander et une cité qui, nantie d'institutions démocratiques,

entend se diriger elle-même.

L'affrontement trouve d'emblée de nombreux tableaux où se jouer.

Jeune et malhabile, peu soucieux de sa consécration épiscopale, l'élu ne sut

pas se faire pardonner l'origine de son pouvoir. Il multiplia même les griefs

à son égard. Le renvoi, en 1459, et la disgrâce des anciens conseillers et

amis de Jean de Heinsberg, au nombre desquels on compte Guillaume de

Bueren-'», témoigne notamment de sa maladresse. Sûr du soutien de son

oncle le duc, il

205 Sans cesse pris entre celle alliance et les sentiments belliqueux à l'égard de la Bourgogne de ses sujets, l'évêque

dut déployer toute son adresse pour tirer son épingle du jeu. Lorsque Liège, en 1430, s'en prit au namurois, l'évêque,

honteux, fut cependant forcé d'envoyer ses lettres de défi au duc. Lorsque son propre frère, Gérard de Heinsberg, vint

proposer aux liégeois l'alliance avec la France, Jean n'eut d'autre choix que de s'absenter (voir J. DABIN, La politique française à Liège ail Xvos, dans B./.A.L. , t. 43 (1913), pp. 99-190).

206KURTH op. cit., p. 158.

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semble peu préoccupé de sa popularité. Quant aux liégeois, ils manquent de

l'expérience politique qui rend les démocraties stables et assurées, et

s'apprêtent à tomber dans les pièges de la démagogie et de la manipulation

politique. Parmi les contestataires et agitateurs, on trouve des citains de tout

étage comme Guillaume de la Violette ou Gilles de Metz, ou encore Gillet

Ponchin et Jean Rigault, meneurs du puissant métier des fèvres. Le prince

voit son autorité et sa hauteur constamment foulées aux pieds; même les

échevins, menacés de la fureur populaire, éprouveront bientôt des

difficultés à siéger sereinement. Très vite, plus personne ne contrôle

réellement les affaires liégeoises, et seules les impulsions populaires

parlent.

Dans ce contexte, les lois et les institutions sont devenues flottantes.

Sur le plan législatif, l'élu et la cité tentent d'abord chacun de tirer la

couverture à eux, comme en témoigne la "guerre des records" qui sévit en

1458207. La suspension de la justice par l'élu, le 15 juillet 1459, est comme le

symptôme de l'état d'anomie de la cité. On ne s'étonnera donc pas que les

fustigeants, battant la campagne lossaine en 1461, se fassent eux-mêmes

justice des excès des procureurs fiscaux. Plus le temps passe, et plus les

éléments modérateurs se tairont, par crainte de représailles. De maladresses

en provocations, les ponts se rompent entre la cité et son prince. Celuici

délaisse sa métropole et prononce bientôt l'interdit contre elle ( 29 octobre

1461).

Les coeurs se tournent vers la France dont le roi, qui a besoin d'une

diversion au sein des territoires bourguignons, flatte régulièrement ses "très

chiers especiaux amis liégeois" dans l'espoir de les dresser contre le duc.

Avec l'avènement de Louis XI, le 22 juillet 1461, cette politique gagne en

constance et en habileté208. Liège prend place sur l'échiquier royal.

C'est du mouvement des [ustig eants qu'émerge le nouvel homme

fort de la cité. Raes de Heers, un petit seigneur lossain qui s'appuie sur le

puissant métiers de fèvres209, est élu maître le 25 juillet 1463. À partir de ce

moment, c'est lui qui commande à Liège, du moins lorsqu'il peut contrôler

les ardeurs populaires. Cet

207cfr. KURTH. op. CiL, p. 148·152.

208Plusieurs études sont consacrées à la politique liégeoise de Charles VII et de Louis XI. Voir notamment J.

DABIN, op. cit., el, plus récemment, P. HARSIN, Liège entre France et Bourgogne au Xyo siècle, dans A.C.L.B., pp. 193-256.

209Sur ce personnage, v,?ire l'étude de G. XHAYET. Raes de l-!eers, un condottj~re liégeois du ?<yo siècle, dans Le

Moyen-Age , L 93 (1987), pp. 406-442 .. Il avait soutenu les Iusrigeants et les ~l,lle,s lossaines contre les

procureurs fiscaux en 1461, et avait ainsi gagné ~'?miti~ ,des ~eneurs de la cite. A partir de là, on le voit de plus en

plus paraître au premier plan de la politique liégeoise,

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ambitieux démagogue, suspecté par Kurth d'être purement et simplement un

agent à la solde de Louis XI21O, va donner à la politique contestataire de la cité

un tour des plus directs. La situation se radicalise; Liège s'achemine vers une

dictature qui vaut à peine mieux que la mainmise bourguignonne.

Raes de Heers entendait mener les affaires du pays sans l'élu.

Les relations avec celui-ci étaient désormais totalement rompues, et Raes

cherchait à mettre sous séquestre les biens de la mense épiscopale pour

couvrir ses dépenses. Le duc de Bourgogne, évincé des affaires liégeoises,

haussait le ton, mais la cité semblait avoir confiance en l'avenir. Pour assurer

celui-ci aux yeux de tous, Raes lui cherche des alliances. Avec Cologne et la

Bavière, d'une part; mais également avec le duc Gérard de Berg211• Est-il

possible que Guillaume de Bueren soit pour quelque chose dans la seconde? Il

est assurément l'homme le mieux placé parmi les séditieux pour traiter avec

son ancien allié212; qui d'autre que lui pourrait détenir les arguments capables

de convaincre cette famille qu'il connaît bien? Il est donc tentant de voir en lui

l'instigateur de cette tentative d'alliance qui, par ailleurs, resta sans effets.

Cependant, Raes se heurtait à présent à des résistances: il avait dû

forcer les villes thioises à signer ces alliances, et un membre d'une grande

famille patricienne, Fastré Baré de Surlet, s'opposait à lui en une suprême

tentative pour réconcilier la cité et son prince. Louis de Bourbon n'eût pas la

sagesse de profiter de l'occasion, et Fastré n'eût d'autre choix, s'il voulait rester

politiquement actif, que d'embrasser le parti de Raes. En attendant de voir

ainsi toute résistance à son encontre abolie, ce dernier testait une première fois

ses troupes dans l'expédition de Rheydt en Brabants».

La position du clergé de la cité durant cette période de troubles

mériterait une bonne étude. Nous ne connaissons que quelques lignes

directrices de la politique du chapitre: sa méfiance envers les

21OKURTH, p. 175-176. Il s'explique à ce sujet: "II n'existe, cela se comprend, aucune preuve documentaire du lien

qui unissait Raze à la couronne de France, mais toute l'histoire du temps le proclame pour ainsi dire ... "

211Nous connaissons l'acte d'alliance avec Cologne (Th. LACOMBLET, op. cit., t. IV, p. 401-403 et FAIRON, Reg

estes, t. IV na 909 et 910); mais l'alliance avec Berg-Juliers est simplement citée par Adrien, sans qu'aucun document,

ni surtout aucun résultat concret ne vienne corroborer son témoignage. Mais de même que l'alliance signée avec

Cologne n'aboutit à aucun résultat, celle avec Berg a pu être signée sans jamais connaître d'applications. Lorsque "on

a affaire à une transaction aussi confidentielle que les alliances peuvent l'être, l'absence de documents n'est jamais un

argument fort; en outre, Adrien est un témoin qui n'invente jamais rien.

212cfr. chapitres 2 et 3 du présent travail. 2134-11 juillet 1464. Cff. J. KEMPEENERS, L'expédition de Rheydt en 1464, dans A.P.L., t. 2 (1897), pp.54-57.

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manoeuvres du roi et du ducu-, son souci de préserver ses intérêtsu>, ses

appels à la modération et ses tentatives de médiation. Quoi qu'il en soit, le

fossé entre le chapitre et l'élu semble s'être creusé de plus en plus au fil des

années. L'un et l'autre s'ignorent mutuellement. Louis de Bourbon a perdu

toute mesure et frappe sans grands discernement ses ennemis réels ou

présumés de ses armes ecclésiastiques. L'interdit, pratiquement permanent à

partir de 1461, posait au clergé des problèmes cruciaux. Après avoir tout

fait pour persuader l'élu de renoncer à cette mesure, il s'était divisé sur

l'attitude à adopter et, en 1462, seule une partie du personnel sacerdotal

s'était abstenue d'officier. Le légat Pierre Ferrici, envoyé apaiser le

différend, confirma l'interditns et excommunia les meneurs. Raes de Heers,

pour financer un appel au pape contre lui, tenta de forcer le chapitre à le

soutenir pécuniairement. Plus tard encore, les prêtres qui refusent d'officier

se verront menacés physiquement par la foule, ce qui provoquera la fuite de

bon nombres de chanoines>".

Dans ce contexte, on comprend mieux la lettre d'alliance passée le 8

octobre 1464 par une partie du clergé de l'ensemble de la principauté, au

lendemain de la confirmation de l'interdit, dans le but d'obtenir la levée de

celui-ci. Parmi les signatairesus, on trouve le doyen du chapitre Jean de

Seraing, le chantre de la cathédrale, bon nombre de chanoines importants,

et enfin les archidiacres Walter de Corswarem, Ghisbert de Bueren et

Allard de Bueren. Cet acte d'opposition à l'élu n'obtint aucun résultat. Plus

encore, les prêtres qui avaient refusé d'observer l'interdit furent frappés

d'excommunication-". Cette sentence frappa-t-elle les deux frères de

Bueren? Il y a tout lieu de le suspecter; tout au moins peut-on être

214Refus d'accepter Louis de Bourbon au sein du chapitre, décision de nommer un mambour dans l'attente de l'élection du

nouvel évêque, malgré la demande expresse du duc en sens contraire; méfiance à l'égard des ambassadeurs du roi de France

(déjà, lors de l'ambassade de Gérard de Heinsberg, le clergé découragea l'alliance française. Lorsque, en 1461, la cité choisit

comme médiateur entre elle et l'évêque le roi de France, le clergé, conscient du danger de ce choix, tenta de s'y opposer).

215Notamment lorsque, dans l'attente de la réception de Louis de Bourbon, les états prétendirent prendre pan à la

nomination d'un mambour, un privilège que le chapitre se réservait. Dans l'affaire du procès des procureurs fiscaux, le clergé

liégeois eut également il se plaindre de violations expresse de ses privilèges judiciaires; enfin, la contrainte du peuple sur le

clergé allait bientôt constituer une menace plus que sérieuse pour son indépendance.

216W septembre 1464.

217Lors de la joyeuse entrée de Marc de Bade.

218S. BORMANS, E. SCHOOLMEESTERS et E. PONCELET, Cartulaire de l'église Saint-Lambert à Liège, 6

vol., Bruxelles, 1893-1933 (CR.H.), nOI043.

219Laquelle fut levée par le pape le 22 avril 1470 seulement, suite à une ambassade du clergé liégeois à Rome. L'acte est

édité par U. BERLIERE, Inventaire analytique des Libri obligationum et solutionum des archives vaticanes,

Rome, 1904, p. 145-146.

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presque certain qu'Allard la subit, au vu de son comportement l'année

suivante220. Nous en reparlerons.

L'interdit et la suspension de la justice ne faisaient pas seulement le

malheur du clergé; ils posaient également à la cité un problème épineux.

Pour Raes, la solution était évidente. Il suffisait de la chercher dans le rêve

de toujours: se passer du prince. Le premier expédient au problème imaginé

fut d'autoriser, sur base d'un ancien droit, l'avoué à semondre à la place du

mayeur. Cette première violation radicale des droits du prince devait être

suivie de l'écartement pur et simple de celui-ci par la nomination d'un

mambour. Raes et Fastré exposèrent leur projet aux états le 21 mars 1465.

Leur candidat était un prince Allemand du nom de Marc de Bade.

Guillaume de Bueren fut le premier à donner ouvertement son

soutien au projet221• À partir de mars 1465, il n'y a plus de doute sur sa

position. S'il ne semble pas avoir joué de rôle politique direct en dehors de

cette intervention, son attachement à la cause de Raes est manifeste; et pour

y tenir une place, ce vieux et habile seigneur avait d'autres armes que

l'implication directe, comme nous allons le voir plus bas. Trop âgé pour se

lancer encore personnellement dans quelque aventure, Guillaume disposait

de fils tout aussi ardents qu'il l'avait lui-même été dans sa jeunesse pour

agir au sein du mouvement. On peut penser qu'il jouait encore à travers

eux.

N'allons pas plus loin sans nous être penchés sur les raisons du choix

des Bueren. Le règne de Jean de Heinsberg leur avait donné l'occasion de

prendre leur place à Liège. Après le départ de ce prince, la situation devait

se dégrader pour eux. Lassé d'entendre le peuple brandir le nom de son

prédécesseur comme le symbole de sa propre impopularité, Louis de

Bourbon avait pris les anciens amis et conseillers de Heinsberg en haine.

La vindicte dont il fit preuve à l'égard du seigneur de Morialmé témoigne

de sa mauvaise foi à leur égard222. Dans le courant de l'année 141)q 1::1

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Gueldre et ses démêles avec les Egmont. Une raison de plus de ne pas aimer les banniss>.

On peut aussi rechercher, dans le passé de la famille, des raisons de haïr la Bourgogne. Guillaume avait déjà pu compter Philippe le Bon parmi ses ennemis lors de la guerre entre Utrecht et la Gueldres>. Le seigneur de Bueren n'était pas aveugle: il percevait certainement, à travers l'interventionnisme bourguignon, la volonté d'expansion du duc dans les régions rhénanes. Il est possible qu'il ait éprouvé des sentiments très négatifs à l'égard de la Bourgogne, mais nous nous abstiendrons d'en faire nécessairement un ennemi farouche et irréductible du duc. C'est, nous semble-t-il, plus à Louis de Bourbon qu'à Philippe le Bon que les Bueren s'opposent dans un premier temps.

Après la joyeuse entrée du Mambouroe, créature de Raes de Heers, le nouveau régime se mît en place. On dressa des listes de proscription sur lesquelles figuraient tous ceux qui avaient déplu au maître de la cité; on força le chapitre à promettre son adhésion à la politique de la cité et à

transgresser l'interdit. Liège entrait dans le règne de la violence. Huy résistait, et le Charles le Téméraire armait la frontière Brabançonne. Le 23 mai, une ambassade française prestigieuse vint proposer aux liégeois l'alliance militaire contre la Bourgogne. Celle-ci fut signée le 17 juin 1465 par un conseil communal dominé par Raes. Louis XI était parvenu à ses fins et pouvait disposer de l'atout liégeois dans la guerre qu'il préparait contre son adversaire.

Fastré Baré de Surlet portait la verge du mayeur; pour contrôler la justice, il restait à Raes à nommer un official. Ce fut Allard ou Gisbert de Bueren, probablement le premier cité227• Adrien dit de lui qu'il était jeune ou puéril et poussait l'incompétence

224L'intérêt de Louis de Bourbon pour les affaires de sa soeur transparaîtra après la mort du téméraire, dans le

dessein qu'il forma de venir en aide à la fille de celle-ci et du duc Adolphe dans sa lutte contre Maximilien d'Autriche.

225voir chapitre 2. 22622 avril 1465.

227Gisbert, dit KURTH (p. 212). Mais Adrien ne précise pas expressément le nom du nouvel official: "noblilis vir, canonicus Leodiensis, fi/jus domini de Bueren ''. Il le qualifie également d' homo puerilis. De Theux et Poncelet

en ont donc déduit que le personnage était jeune et ont décrété qu'il s'agissait d'Allard (vraisemblablement plus jeune

que Gisbert; remarquons cependant que ce qualificatif ne définit pas nécessairement une jeunesse physique; il peut

aussi éventuellement définir une esprit immature. Ce terme ne constitue donc pas une preuve, mais à tout le moins

une forte présomption (les deux frères sont en fonction depuis plus de dix ans! S'ils sont encore "jeunes", quel âge

avaient-ils au début de leur offi~e?). Nous estimons en tout cas plus probable que l'official ait été Allard, dont nous

savons en outre qU'II fut écarté de ses fonctions d'archidiacres par après, sans doute pour celte raison (cfr. p. 63 du

présent travail).

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jusqu'à ignorer le latin228; ce devait être vrai, puisqu'on lui adjoint maître Jean

Herpel pour l'aider dans ses fonctionsuv (ce personnage était, selon Poncelet,

un observateur du roi de Francew'). Avec ce fils, Guillaume avait glissé un

pied dans le système politique mis en place par les séditieux. Si l'on suit

Adrien, l'official n'était pas de taille à remplir correctement son office. S'il

pouvait être contrôlé par Jean Herpel, il pouvait aussi servir les manoeuvres

de son père. Dans tous les cas, il n'était sans doute qu'un homme de paille.

Bientôt Huy, qui accueillait l'élu, tomba aux mains des séditieux et

Louis de Bourbon dut s'enfuir. Entre-temps le roi et le duc s'affrontaient à

Monthléry. Ce fut le second qui l'emporta, mais une rumeur contraire courut à

Liège. On y disait même que le duc était mourant. Cette nouvelle déchaîna les

passions populaires. L'un après l'autre, les métiers échappèrent au contrôle de

Raes et du mambour et se mirent en branle vers le Limbourg pour faire la

guerre à la Bourgogne. Les chefs n'eurent d'autre choix que de les suivre dans

cette aventure. Herve, Dalhem, Fauquemont brûlèrent sur leur chemin; mais

c'est aussi au cours de cette expédition que le mambour et ses hommes firent

défection et abandonnèrent les liégeois à leur sort, si bien que la campagne

ainsi interrompue ne devait leur laisser qu'un goût d'amertume.

Cependant, ces audaces avaient provoqué la riposte bourguignonne. Les

opérations débutèrent par diverses escarmouches dans le comté de Looz. Ne

pouvant plus compter sur les français, les Liégeois furent obligés de livrer

bataille aux lieutenants du duc à Montenaeken (20 octobre 1465). L'anarchie

qui régnait au sein des troupes liégeoises rendit la défaite inévitable. La

nouvelle du traité de Conflanss», qui la suivit, consterna les vaincus: Louis XI

avait signé avec le comte de Charolais une paix qui, malgré ses promesses,

n'incluait pas ses alliés liégeois. Les mains libres, Charles le Téméraire

rassemblait son armée et marchait sur Liège. Il ne restait plus à la cité

abandonnée de tous qu'à signer une paix honteuse avec l'ennemi. Le duc

devenait le haut avoué du pays et gagnait le libre passage sur les terres de la

principauté; les fortifications de l'entre Sambre et Meuse seraient abattues; une

lourde amende était infligée

228Adrien d'OUDENBOSCH, p. 130.

229 Au vu du témoignage d'Adrien, on peut se demander qui, jusqu'ici, avait secondé Allard dans son office

d'archidiacre ... à moins que le rôle de Jean Herpel ne relève plus d'une volonté de contrôler l'official que d'une réelle

nécessité pratique!

230pONCELET, Liste des vicaires généraux et des scelleurs de l'évêché de Liège, dans B.S.A.H.D.L., t. 30

(1939), p. 113. 2315 octobre.

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aux Liégeois, qui devaient en outre livrer 10 otages232. Liège n'était plus libre

de ses alliances et devrait recevoir la monnaie du duc. L'indépendance de la

principauté était sérieusement entamées».

L'indépendance, mais pas la fierté des Liégeois. Malgré Montenaeken,

la cité baigne encore dans une ivresse révolutionnaire aux caractères de fête

populaire. Une fête qui prend des formes odieuses par la multiplication des

actes de barbarie à l'encontre de tous ceux qui ont déplu au peuple surchauffé:

partisans de l'évêque, signataires de la paix; même Raes et Baré se trouvent

incapables de contrôler vraiment le peuple. Quant à Louis de Bourbon, qui a

enfin reçu la consécration épiscopale, il n'ose rentrer à Liège. Cette période

voit également la naissance des bandes de "maquisards" de la Verte Tente, dont nous aurons à reparler. Ces bandes réunissant des proscrits, des

aventuriers, des malheureux ruinés et des patriotes, et portant leur propre

livrée, naissent un peu partout dans le pays, coupent les voies de

communication, exhortent à la révolte et se livrent à des actes de brigandageo-

.

Nous n'entendrons plus parler de l'official de la cité. Son second, Jean

Herpel, ayant quitté Liège précipitanunent dès le 3 août 1465, le chanoine de

Bueren avait sans doute vu sa position s'affaiblir avant même la défaite de

Montenaeken. Poncelet présume qu'il cesse déjà d'occuper ses fonctions après

la défection de Marc de Bade235.

Les événements allaient se charger de rappeler aux liégeois la précarité

de leur situation. Exclue de la paix de Saint-Trond, Dinant attendait avec

angoisse la vengeance du Téméraire pour les outrages qu'elle lui avait fait

subir236. Elle implore l'aide de Liège; mais les meneurs de la cité tergiversent,

hésitant à rompre le traité. Quand ils se décident enfin à venir à son secours, il

est trop tard: il y a cinq jours que Dinant a capitulé (25 août 1466); ses

habitants sont massacrés et le téméraire entreprend méthodiquement de la

raser jusqu'au sol. Marqués par le drame, les liégeois rassemblent tout de

même leur armée et rencontrent l'ost du duc à Oleye. Mais la vue de

232L'adoption de cette mesure, en raison des manoeuvres de Raes et de Baré qui se sentaient directement visés, avait

tellement menacé l'acceptation du traité par la cité, que les négociateurs obtinrent que le duc y renonce, moyennant

une sérieuse majoration de l'amende.

233paix de Saint-Trond, 22 janvier 1466.

234voir F. VRANCKEN, Qui étaient les compagnons de la verte-Tente? dans R.B.P.H., t. 59 (1981). pp. 314-324;

et J. MICHIELS, De Getellen van de Groene Tent , dans A.P.L., t. 8 (1953), pp. 69-79. 235pONCELET. Liste des

vicaires généraux ... , op. cit., p. 113.

236Les Dinantais avaient traité Charles de bâtard de Jean de Heinsberg; ils avaient brûlé des effigies du duc.

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l'ennemi les fait hésiter. Plutôt que de se risquer dans une bataille

incertaine, ils préfèrent engager des négociations.

Le traité d'Oleye n'est qu'une aggravation de celui de SaintTrond.

Entre autres clauses, les Liégeois sont forcés à livrer au duc cinquante

otages, que Louis de Bourbon choisit lui-même parmi les meneurs 237, ou

peut-être tout simplement parmi ses ennemis personnels. Raes et Baré y

échappent; ce n'est pas le cas de Guillaume de Bueren, qui figure presque

en tête de la liste238. Le vieux seigneur dut donc prendre le chemin de

Bruxelles; nous déplorons vivement qu'aucune source ne nous donne

d'informations sur le moment de son retour239.

Cependant, les ardeurs révolutionnaires de la cité ne sont pas encore

éteintes. D'abord déstabilisé par le drame de Dinant, Raes rassemble les

ennemis les plus radicaux du duc et de l'évêque. Recrutant de plus en plus

ses lieutenants dans le bas-peuple -les vrais liégeois, armés de bâtons

plombés- il met sur pied l'impénétrable Secret conseil de la cité. Cet

organisme qu'il dirige sans partage se substitue au pouvoir princier et règne

en dictateur sur les destinées de la cité. Une répression féroce frappe tout

ceux qui transgressent ses directives, les partisans de l'évêque étant les

premiers ciblés.

C'est dans ce contexte peu reluisant que nous voyons pour la

première fois Vincent de Bueren cité parmi les meneurs. Avec Raes, Baré,

Eustache de Streel et Jean de Wilde, il commet "de grandes insolences" et

se dresse contre le duc, selon une annotation de provenance indéterminée

au texte d'Adrien d'Oudenbosche". Nous voyons ainsi apparaître l'acteur

qui nous occupe. Désormais, il fait partie des hommes forts de la cité, si du

moins on peut se fier à cette

237KURTH, p. 242. Les otages sont bel et bien choisis "parmi les plus coupables", comme le rappelle Charles

lui-même dans un acte du 7 Novembre 1467 (GACHARD, op. cit., t. II, p. 420).

238HENRI DE MERICA, Compendlosa historia de cladibus Leodiensium , dans DE RAM, Documents relatifs aux

troubles du pays de Liège sous les princes-évêques Louis de Bourbon el Jean de Hornes, Bruxelles, 1844, p. 160;

FAIRON, Regestes, t. IV, pp. 197-198. L'acte est daté du lO septembre. 239Les otages devaient garantir

l'exécution du traité de Saint-Trond, et notamment le paiement des indemnités de guerre dues au duc. Une

partie de ce paiement au moins devait échoir à la Saint Rémy suivante, date à laquelle les otages seraient libérés

et remplacés par 50 autres otages, et ainsi de suite d'échéance en échéance jusqu'au paiement de la totalité des

indemnités, lequel n'était pas encore achevé au moment du drame de 1468. Charles rappelle encore, le 18

Novembre 1467, qu'il détient toujours des otages (GACHARD, L II, p. 442); s'agit-il des otages initiaux, ou

bien la tournante a-t-elle été effectuée comme prévu initialement'? En tout cas, au moment du sac de Liège au

moins (30 octobre 1468),Guillaume devait avoir retrouvé sa liberté, car il figure parmi les réfugiés de la cité

abrités par Cologne après le drame et poursuivis de la vindicte du duc (cfr, chapitre 9 du présent travail).

240Aflflotatiolls sur les années 1401 à 1506 , éd. S. BALAU et E. FAIRON, Chroniques liégeoises, l. II, in-4°,

Bruxelles, 1931, p. 261.

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source; néanmoins, ni Adrien ni aucun autre auteur ne juge bon de nous en parler à ce stade.

Les "grandes insolences" dont il est question consistent, d'après cette

annotation, en exactions et violences perpétrées contre les bourgeois modérés

et les partisans de l'évêquea-r. On y retrouve donc les violences emmenées par

Raes et son conseil secret. Vincent faisait-il partie de cet organisme? Son rôle

à ce stade est plutôt flou, et l'annotation n'offre pas suffisamment de

précisions à son sujet. On n'en peut retenir que l'émergence du personnage,

Dans son ascension, qui débute ici, Vincent profite probablement du

prestige de son père. Guillaume avait l'oreille des séditieux; il était l'un des

anciens familiers de Jean de Heinsberg et avait déja démontré sa fidélité à la

cause liégeoise. De surcroît, personne n'a pu oublier qu'Allard de Bueren avait

été l'official des séditieux, Lorsqu'il débute sa carrière de meneur de

l'opposition aux côtés de Raes de Heers, Vincent n'est donc pas un inconnu

pour ses concitoyens.

Tous ces troubles laissaient présager de la suite des événements.

Le roi de France allait encore une fois les précipiter. Rompant le traité de

Conflans, Louis XI avait en effet repris les hostilités. La guerre qui renaît

trouve aussitôt son écho dans la principauté. Huy est reprise à l'évêque=? grâce

au soutien de patriotes hutois. Charles le Téméraire réunit bientôt une

immense armée (30 000 hommes au moins) dans l'intention de mettre un

terme définitif aux turbulences liégeoises. Avec une partie seulement de cet

effectif, il s'en prend d'abord à Huy, qui résiste victorieusement; puis le gros

de l'ost de Bourgogne assiège Saint-Trond. Liège doit réagir. Guillaume de

Berlo se voit remettre l'étendard de Saint-Lambert, qui flotte bientôt à la tête

d'une armée d'environ 15000 hommes venus principalement de Liège, de

Tongres et de la partie thioise de la principauté. Cette fois, c'est tout le pays

qui s'unit pour défendre son indépendance face à la terrifiante menace: relapse

envers le duc, la cité sait qu'elle n'a

241 Le texte semble associer (mais l'association n'est pas des plus nettes) Vincent à l'un des forfaits les plus

retentissants de cette période d'agitation: le meurtre de Jean le Charpentier, ancien bourgmestre de Dinant ayant

pactisé avec le duc, qui fut pris par les liégeois au début de l'année 1467 et mis à mort aussitôt après le décès de

Philippe le bon. Pour tenter d'empêcher ce meurtre prévisible, Charles le Téméraire était intervenu personnellement

en menaçant de s'en prendre aux otages qu'il détenait à Bruxelles. Si Guillaume était encore parmi ceux-ci à ce

moment, on voit mal Vincent risquer la vie de son père en prenant part à ce forfait; au contraire, dans cette hypothèse,

il dut user de toute son influence naissante pour tenter de l'empêcher. Jean le Charpentier fut cependant décapité et

écartelé, et ses membres furent exposés. Fort heureusement, le duc se garda bien de mettre sa menace à exécution et

s'abstint de toute représaille sur les otages. Dans l'incertitude du sort de Guillaume à ce moment, et vu l'imprécision

de notre source, nous ne pouvons ni accuser ni disculper Vincent de ce forfait. 24216_17 septembre 1467.

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aucune pitié à attendre de son haut-avoué, et l'on trouve, parmi les patriotes,

aussi bien des chanoines de la cathédrale que des membres du patriciat ou de

la noblesse. Nul doute que Vincent, et peut-être aussi Gisbert et Allard, aient

été du nombre.

L'armée liégeoise se dirige vers Saint-Trond dans l'intention d'en briser

le siège. Charles vient à sa rencontre. L'affrontement a lieu à Brustem le 28

octobre 1467243. Il mettra un terme définitif à la fête révolutionnaire. Malgré

les conseils des maîtres, les Tongrois de Jean de Wilde engagent le combat

vers 16h, mais se débandent bientôt sous une pluie de flèches. C'est alors au

tour des piquiers liégeois d'entrer vigoureusement en jeu. Leur charge inquiète

même le chroniqueur Philippe de Commynes, qui se tient aux côtés du duc.

Mais bientôt, le duc engage des troupes fraîches et le sort de la bataille

bascule. L'armée de Liège ploie, se débande et prend la fuite. Résistant

jusqu'au bout, Fastré Baré de Surlet tombe bientôt avec son carré de fidèles.

Eustache de Streel subit le même sort avec 3 ou 4000 piétons liégeois. Quant

à Raes et à son allié français, le bailli de Lyon, ils n'ont pas attendu la déroute

pour prendre la fuite. La nuit viendra interrompre les poursuites. Guillaume

de Berlo peut ramener à la cité son étendard vaincu.

Tandis que le duc réduit les villes lossaines à sa merci, à Liège on

délibère longtemps pour savoir si l'on se soumettra à l'ennemi ou si l'on osera

continuer la lutte. Les partisans de la paix l'emportant, tout ce que la cité

compte de meneurs trop compromis prend la fuite. Une sentence du duc les

bannira bientôt à jamais. Parmi eux, on trouve ceux qui reprendront le combat

un an plus tard: Jean de Wilde, Gossuin de Streel et, bien entendu, Vincent de

Bueren.

Le duc entre à Liège le 17 septembre, accompagné de Louis de

Bourbon. Nous ne rentrerons pas ici dans le détail de la sentence ducalca=.

Contentons-nous de rappeler qu'elle supprimait purement et simplement

toutes les institutions communales liégeoises, transférait le siège du diocèse à

Maastricht et livrait entièrement le pays à l'autorité bourguignonne,

représentée par Gui de Brimeu, seigneur d'Humbercourt. Le perron était

transporté à Bruges et les murailles de la ville étaient abattues. Liège avait

perdu son

243Sur celte bataille, voir surtout Cl. GAlER, Les grandes batailles de l'Histoire liégeoise ail Moyen Âge , Liège,

1980, pp. 165-178; CI. GAlER, Art et organisation militaires dans la principauté de Liège et dans le comté de Loo: ail Moyen Age. Mémoires A.R.B., Bruxelles, 1968, p. 342-348; et enfin Ch. BRUSTEN, Les campagnes liégeoises de

Charles le Téméraire. dans A. G.L.B. , pp. 81-100.

24427 novembre 1467.

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indépendance, ses privilèges, sa dignité et même son siège épiscopal. La cité

s'apprêtait à ployer sous le joug de Gui de Brimeu.

Il nous reste, pour clore ce chapitre, à voir ce qu'il advint du reste de la famille

de Bueren entre la terrible sentence et le retour de Vincent en septembre de

l'année suivante. On l'a vu, Guillaume dut rentrer, libre, à Liège, au plus tard

dans le courant de l'année 1468, si ce n'était déjà fait au moment de la bataille

de Brustem. Quant à Allard, il perdit son office d'archidiacre: celui-ci passa

dans les mains de l'un des plus fidèles conseillers de l'évêque, Robert de

Morialme>", dans des circonstances plutôt floues. Le légat Onofrius nous

donne des précisions à ce sujet: au mois d'octobre 1468, il apprend de la

bouche de Louis de Bourbon que maître Robert avait trompé le jeune

archidiacre en échange d'une certaine dignité (vraisemblablement

l'archidiaconat de Famenne). L'évêque; nous dit le légat, avoua tout ceci avec grande honte-v: Ces remords de Louis de Bourbon laissent penser qu'il a joué

un rôle peu loyal dans ce transfert -manifestement réalisé contre le gré

d'Allard- de l'archidiaconat de Famenne au bénéfice de son conseiller. À présent qu'il avait repris en main les reines du pouvoir, il avait toutes raisons

de remplacer ainsi>? un ennemi politique, probablement rex-official de Raes

de Heers, par un homme qui lui était fidèle. Allard payait son engagement

auprès des séditieux. Par la suite, nous verrons Vincent poursuivre Robert de

Morialmé de sa haine.

24SLa première mention de ce personnage comme archidiacre de Famenne est datée du 28 novembre 1467 (U.

BERLIERE, Les archidiacres de Liège au XVe siècle, dans Leodium , t.9 (1910). pp. 129). Dans un acte du 8

janvier 1466, Robert de Morialmé ne porte encore que le titre de "conseiller du prince"(DE RAM, op. cit., p. 553). On

peut penser qu'il obtint l'office au lendemain de la défaite liégeoise, quand Louis de Bourbon avait enfin rétabli son

autorité.

2460nofrius, p. 108.

247 Comment une telle destitution (?) est-elle possible légalement? Le flou qui entoure le mode de nomination des

archidiacres et le mode de permutation de l'office au xya siècle, nous empêche d'y voir clair. L'évêque doit

certainement intervenir dans ces opérations, et peut-être aussi le chapitre. Ajoutons que, si Allard avait été frappé

d'excommunication, il devenait plus facile de le faire tomber.

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6. Le retour des proscrits.

Au lendemain de la bataille de Brustem, Vincent de Bueren a donc

pris le maquis. Inutile de dire que, jusqu'au 9 septembre 1468, nous

n'aurons plus de témoignage direct le concernant. Nous devrons donc

étudier à travers nos sources les actes des fugitivi, terme qui désigne

désormais tous ceux qui, à l'approche de Charles le Téméraire, se sont

enfuis de la cité mais n'ont pas abandonné la lutte; ceux qui n'ont pas osé

rentrer après la signature de la paix, et que la sentence ducale du 26

novembre 1467 a banni à jamais de leurs biens248. Ce sont ces fugitifs qui,

conduits par Vincent de Bueren, Jean de Wilde et Gossuin de Stree!,

rentreront à Liège 9 mois plus tard et relanceront une dernière fois la lutte

contre la Bourgogne. Comme témoignage de leurs actes jusqu'à ce retour,

nous n'avons que de vagues échos perçus à Liège, relayés par différents

chroniqueurs. Une seule source se risque à plonger le regard au milieu de

leur misère et à nous raconter comment ils vivaient leur exil, mais nous

quittons alors l'historiographie pour entrer dans le domaine de la poésie: il

s'agit de l'oeuvre d'Ange de Viterbe, le poème sur le sac de Liège intitulé

De excidio civitatis Leodiensis . Bien entendu, il sera difficile d'y démêler

l'imagination lyrique et les bribes de vérité éventuellement recueillies par

l'auteur via le légat Onofrius.

Nous tenterons pourtant ici une approche analytique de la genèse de

ce dernier mouvement d'opposition à Charles le

248Selon F. VRANCKEN, Qui étaient les compagnons de la Verte-Tente, op. cit., p. 324, le terme de Fugitifs avait

en réalité une acceptation plus large et ne se bornait pas à limiter les bannis de novembre 1467. Selon cet auteur, en

1468, on utilisait tantôt ce terme, tantôt celui de Verte-Tente pour désigner l'ensemble des résistants, proscrits et autres

hors-la-loi, y compris les compagnons de la Verte-Tente. Cette affirmation nous semble à nuancer. Dans certains cas,

il semble bien qu'Adrien d'Oudenbosch emploie le terme ée fugitivi pour désigner les compagnons de la Verte-Tente

lossains (p. 198: plusieurs fugitivi furent saisis dans le comté de Looz. Il s'agit vraisemblablement de ces colubrissari

qui furent arrêtés à la même période selon Jean de Looz); Theodoricus PAULI (op. cit., p. 210) parle globalement des

exilés que l'on trouvait dans tout le pays; mais les deux seuls auteurs qui utilisent encore le terme de Verte- Tente

(Jean de LOOZ, Chronicon renan gestarum, p. 58; et Matthieu HERBENUS, Epistola dedicatoria quae poemati

de vastatlone Leodiensi ;11 codice Cameracensi praefiguratur , p. 358 )

le font toujours pour s'en référer à ce groupe en particulier; ils distinguent toujours la Verte-Tente des fugitifs

liégeois de Novembre 1467, comme nous allons le voir. Il est possible que les termes de fugitifs ou d'exilés aient

parfois été employés par le commun pour désigner J'ensemble des proscrits, comme le pense F. Vrancken; mais il

n'en va pas de même des termes de Couleuvriniers ou de Verte-Tente, qui gardent, lorsqu'ils sont utilisés, leur sens

précis. De même, chez les 2 auteurs qui font encore cette distinction, le terme de fugitivi retrouve un sens plus strict :

il s'agit bien des bannis de la sentence du 26 novembre.

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Téméraire, un mouvement qui naît du "maquis". Dans les sources comme

dans les travaux, nous avons trouvé à son propos un certain flou, lequel

s'explique naturellement par le caractère insaisissable et informel des

bandes de résistants. Ce sont principalement les chercheurs impliqués dans

la querelle sur les "Six cent Franchimontois'', en particulier Émile Fairon249

et l'abbé Coenentw, qui se sont réellement penchés sur l'origine de la

révolte et la composition des troupes liégeoises en septembre-octobre 1468.

Cette discussion passionnelle a donné lieu à bien des conclusions

contradictoires, et il nous a semblé nécessaire de faire le point et d'y

intégrer des acquis plus récents= 1 , Quelles sont les composantes du

mouvement? À partir de quand s'est-il organisé? Et grâce à qui? Quelles

sont les conditions favorables au retour des proscrits? Toutes questions

auxquelles nous essayerons d'apporter une réponse plus précise. Nous ne

perdons pas de vue une interrogation critique essentielle : que pouvons-

nous réellement espérer savoir, et à qui nous fier? Nous n'oublierons pas,

bien entendu, de souligner également le rôle de Vincent de Bueren.

a) Quels proscrits?

Lorsque les liégeois décident d'ouvrir leur portes au duc, après la

défaite de Brustem, c'est par centaines que les opposants à la paix fuient la

cité252, Une partie d'entre eux ne renonce pas à la lutte: ce sont eux que nous

verrons apparaître dans les sources à partir du mois d'août 1468, sous le

nom de fugitivi. D'après Jean de Haynin, ils ont trouvé refuge pour la

plupart en France, mais également en Alemaigne et en autre paist»,

Onofrius, Herbenus, Jean de Looz et Adrien d'Oudenbosch confirment la

présence d'un grand nombre de fugitifs sur la frontière françaisesv. D'autres

ennemis du duc et compagnons de la Verte-Tente allèrent probablement

chercher refuge à Cologne, mais ne purent y demeureras>. Il n'est pas exclu

249E. FAIRON, Les six cent franchimontois, op. cit.

250COENEN, op. cit.

251 Notamment J'élude de F. VRANCKEN, op. cit.

252Selon un bourgeois d'Ypres présent à Liège à la veille de l'arrivée du duc en novembre 1467, ceux qui choisissent l'exil

sont au nombre de 3 ou 4000, et sont principalement les opposants à la paix (Lettre de Louis Van den Rive, écrite

Liège le lundi 16 novembre 1467, dans GACHARD, op. cu., t. Il, p. 181. Onofrius rapporte un discours d'Arneil de

Velroux (l'un des meneurs de la cité en septembre-octobre (468), qui parle de 20000 bannis après Brustem

(ONOFRIUS, op. cit., p. 113) mais exagère certainement dans un souci démagogique. Pour Ameil de Velroux, ce sont

"tous ceux qui ont porté les armes à Brustem" qui ont été frappés par la sentence.

253HA YNIN, op. cit., 1. II, p 66.

254cfr. infra. De même, E. FAIRON, Les Six cent Franchimontois, op. cit., p. 145, signale que certains comptes de

receveurs bourguignons font également mention d'un groupe de hors-la-loi "français". 255FAIRON, Regestes, t. IV, p.

256.

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que d'autres encore soient restés sur le sol liégeois. Tous ces proscrits

mènent une vie misérable et cherchent à échapper à l'ennemi.

D'autre part, l'année suivante, les charges imposées à la cité et le

joug de Gui de Brimeu avaient à ce point réduit les habitants à la misère,

que beaucoup jugèrent plus sage de quitter Liège et de chercher ailleurs un

avenir plus riant256. Ce mouvement d'émigration reste ininterrompu au

moins jusqu'à l'arrivée du légat Onofrius. La plupart de ces émigrants vont

s'établir définitivement à l'étranger: les sources françaises attestent du

grand nombre de liégeois qui s'enracinèrent à cette époque dans le royaume

de Louis XI257, parfois en véritables communautés. Cependant, il est

possible qu'une partie de ceux qui ont quitté la cité dans le courant de

l'année 1468 soit également venue gonfler les rangs des résistants.

Mais les fugitifs ne sont pas les seuls à avoir pris le maquis. Depuis plusieurs années déjà, des villageois et des hors-la-loi du comté de

Looz s'étaient constitués en confréries de résistants. On les nommait

compagnons de la Verte Tente (ou teinte). Ce mouvement était né fin 1465 -

début 1466, à l'époque de la bataille de Montenaeken, quand le nord de la

principauté était tombé sous contrôle bourguignon. Les compagnons

constituaient alors un danger sérieux pour l'occupant, coupant les

communications, rançonnant ou tuant les partisans de l'évêque et se livrant

à divers actes de résistance.

À la mi-janvier 1466, cent cinquante d'entre eux, des paysans armés,

étaient tués à Wellen par le sire de Ravenstein. La Ve rte Tente s'était

ensuite progressivement étendue au reste du pays. Selon Onofrius, ces

"maquisards" furent bientôt plus de quatre mille258. On les reconnaissait à

leur tunique, partie de vert, partie de la couleur de leur localité d'origine; on

les désignait souvent sous le nom de couleuvriniers en raison de leur

affection pour la couleuvrine, une arme à feu idéale pour harceler

l'occupantssv. En mars 1466, l'évêque envoya contre eux ses troupes dans le

comté de Looz, mais

2560NOFRIUS, p.23.

257Voir à ce sujet L.E. HALKlN, Encore l'immigration liégeoise en France SOIIS Louis XI , dans La vie Wallonne,

t. 22, p. 132, Liège 1948; et J. RIGAULT, Quelques mots sur l'immigration liégeoise en France SOIiS LOtIÎS XI , dans La Vie Wa{{olllle , t. 22, pp. 32 à 36, Liège, 1948.

2580NOFRlUS, p. 13.

259yoir CL GAlER, Un étonnant précurseur: le combat du Kriekelerenbosh (17 janvier 1466) , dans Revue

internationale d'histoire militaire, 1965, pp. 283-287, qui traite précisément des techniques militaires des

compagnons de la Verte-Tente.

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subit un cuisant échec. Au mois d'août, on trouvait certains des compagnons

parmi les défenseurs de Dinant260•

La Verte Tente était bientôt devenue omniprésente dans les campagnes,

à tel point que Raes de Heers, craignant pour son propre pouvoir, s'était

opposé à elle, sans toutefois parvenir à la contrôler. L'ennemi national, quant à

lui, n'avait eu après Brustem de souci plus pressant que de se débarrasser

d'elle. Retranchés à nouveau à Wellen261, les compagnons de la Verte Tente

furent vaincus par les troupes de Bourgogne le 4 novembre 1467; une

soixantaine des leurs périssait dans ce combat262. Cette défaite devait mettre

un bémol à la puissance des couleuvriniers, mais n'était certainement pas

suffisante pour les disperser définitivement. Nous avons donc encore à

compter avec eux en 1468263. Le légat Onofrius atteste de leur présence parmi

les partisans liégeois assiégés par Charles le Téméraire au mois d'octobreas-.

Aux compagnons de la Verte-Tente, il faut encore ajouter les Locum de

Huy. En 1465 et 1466, cette ville se distinguait dans la principauté par sa

fidélité à l'élu. Le terme Locum y désignait les opposants à Louis de Bourbon.

Ceux-ci furent chassés de la ville en juin 1465, et devinrent, dès lors,

également des maquisards. Par la suite, alors que la Verte-Tente devenait de

plus en plus présente dans la châtellenie de Huy, les Locum se fondirent

probablement parmi eux, car le terme disparaît des sources265.

Enfin, il ne faudrait pas oublier que la destruction de Dinant a jeté sur

les routes bon nombre de partisans, dont une partie au moins n'a pas dû

renoncer à la vengeance.

260cfr. F. VRANCKEN, op. cit.

261 Wellen, notons-le, était le quartier général de la Verte-Tente: "Che dit village de Velline avoit este et estoit toute

lesperance et orgueil des bons hommes du pais, a cause de che quon avoit par pluseurs fois es II autres annees

paravent, este coure devant sans lavoir osse u voulu y assaillir" (Jean de HA YNIN, op. cit., t. l, p. 237.

262HA YNIN, op. cit., t. 1, p. 235-237.

263Charles le Téméraire essaye de les faire arrêter: lorsqu'il dicte au pays de Looz ses conditions de paix, le 8

novembre à Lowaige, il pose ses conditions: "item, et seront aussi tenus. de livre ... Gosuin de Strailles et tOIlS ses

complices ... Pareillement seront te7H1Z livrer comme dessus, tous ceulx qui ont esté ou sont de la Verte-Tente

esdittes ville et pays .... (S. BORMANS, Recueil des ordonnances de la principauté de Liège, Iere série, Bruxelles,

1878, p. 614. De même, il s'en prend à Cologne qui, selon lui, a donné asile à des compagnons de la Verte-Tente

(FAIRON, Regestes, LIV, p. 324).

264 Au combat du faubourg Saint-Léonard, les partisans liégeois jaillissent de la cité sur l'ennemi en criant: "Vive

Liège et la Verdure!" (ONOFRIUS, p. 169). Ceci révèle bien la présence des couleuvriniers parmiles défenseurs de

Liège.

265F. VRANCKEN, p. 318-319.

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Disons-le d'emblée: Il serait hasardeux de faire de Vincent de Bueren266 et de

Jean de Wilde267 les capitaines de la Verte-Tente en 1468268. Comme nous le

verrons, il est probable qu'ils n'aient eu aucun rapport avec les

couleuvriniers lossains avant leur retour à Liège en septembre; tout au plus

pourrons-nous suspecter la présence de certains compagnons de la V erte-

Tente au sein de la troupe de fugitivi menés par ces deux hommes.

Nous voyons donc que les proscrits et hors-la-loi étaient d'origines

diverses. Comme le dit F. Vrancken, lices groupes apparaissent dès que les

villes sont réduites par le duc. L'ennemi tenant la ville, les bourgeois les

plus convaincus choisissent l'exil et mènent des opérations de guérilla qui

rendent les campagnes peu sûres pour l'occupant've. En décembre 1465

déjà, au lendemain de la défaite de Montenaeken, Dinant regorgeait de

réfugiés et de partisans proscrits-". Après Brustem, ce phénomène de

désertion des villes par les partisans n'a pas dû perdre de son ampleur, et

d'autres encore ont probablement pris le maquis. Mais depuis l'entrée de

Charles le téméraire à Liège en Novembre 1467, les sources sont

silencieuses tant à propos des fugitifs de Liège que des compagnons de la

Verte-Tente.

b) Quelles conditions favorables à la révolte?

C'est au début du mois d'août 1468 que l'on entend à nouveau parler

des proscrits. À ce moment éclatent des troubles dans différentes régions de

la principauté, parfois fort éloignées les unes des autres. Cette

synchronisation apparente amena l'abbé Coenen à affirmer qu' "il y avait

une entente entre les différents groupes"?". Nous ne saurions le suivre dans

ce raisonnement. En effet, le circonstances suffisent largement à expliquer

ce regain d'activité général. À ce moment, la France et la Bourgogne

s'apprêtaient à reprendre leurs hostilités. Les résistants de toutes origines

pouvaient par conséquent escompter un nouveau retournement de situation

et

266JQSSE-HOFFMAN, op. cit., col. 62.

267 J. CHESTRET DE HANEFFE. Jean de Wilde. étude historique sur tin chef liégeois du XVe siècle. dans

B.I.A.L., t. 13 (1877), p. 12.

268Nous rejoignons en la matière l'opinion de F. VRANCKEN. op. cit., p. 321.

269idem, p. 322.

270Voir notamment GACHARD, op. cit., t. II, p. 369, acte du 10 décembre 1465. Lire à ce sujet A.

BORGNET. Le sac de Dinant par Charles le Téméraire (1466), dans A. S. A. N., t. 3, 1853, pp. 1-57. 271

COENEN. op. cit., p. 253. Notons déja que Coenen commet des erreurs lorsqu'il distingue ces différents

groupes, comme nous allons le voir.

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placer leurs espoirs dans le roi de Frances». Rien d'étonnant donc, à ce

qu'ils aient repris spontanément la lutte dans tout le pays. Le coup d'envoi

des troubles est donné par le départ de Gui de Brimeu, qui quitte la cité

début août pour rejoindre son duc-">. La garnison bourguignonne à Liège a

dès lors perdu son chef, et Charles le Téméraire semble trop occupé pour

venir mettre de l'ordre dans les affaires Iiégeoisesv". L'évêque mis à part,

les rebelles ont déjà le champ libre.

Nous devons également tenir compte d'un autre élément favorable

aux proscrits : la présence à Liège du légat pontifical Onofrius, évêque de

Tricaria>», envoyé par le Saint-Siège afin de rétablir la concorde entre

Louis de Bourbon et ses sujets et de défendre les intérêts de l'église

liégeoise contre les abus du Téméraire. Arrivé à Liège le 30 avril, il avait

été accueilli en grande pompe par l'évêque et la population; il avait

commencé par lever l'interdit, puis s'était engagé dans des négociations

avec le duc en vue d'obtenir des amendements à la sentence du 26

novembre. Il avait rapidement gagné la confiance de l'évêque et des

liégeois. Nous aurons à reparler de son rôle dans la stratégie des proscrits.

c) Quelles bandes de proscrits peut-on identifier?

Le 4 août, des fugitivi de Leodio s'attaquèrent sans succès au château

de Bouillon. Il s'agissait certainement des bannis installés près de la

frontière française, dont nous avons déjà parlé plus haut, et dont font

mention certains comptes de receveurs bourguignons. Le même mois, des

fugitivi s'attaquèrent également au château de Montfort sur l'Ourthe, et,

cette fois, emportèrent la place. À la même période, enfin, les fugitifs qui

s'étaient déjà attaqués à Bouillon commettaient quelques exactions dans le

marquisat de Franchimont, à Fléron, à Polleur. La rumeur du retour des

proscrits parvint alors à Liège. Tous ces actes sont probablement à imputer

au même groupe: une troupe qui remonte de France, s'en prend d'abord à

Bouillon, puis, se rapprochant de la cité, à Montfort et au

272Theodoricus PAULI, p. 2lO, est explicite à ce propos: "Interea, fama discordiae inter regem et

Karolunt Burgundiae ducem increbescente, per totam patriam exules Leodienses dolentes ..................... .. sperantes

ducem Karolum in tantum a rege gravatum, quod nOI! rediret sine belli discrimine, vener/mt ................ "

273 Adrien d'OUDENBOSCH, p. 198: "In principio Augusti dominus dux demandavit dominum de Humbercourt,

qui veniret ad colloquium sibi. Quo recedente, videbatur aliqulbus quod rem haberent ad nutum, et coeperunt boni

cives in Leodio satis timere, quia [ama incoepit volare quod fugitivi vellent reverti, quia primo ceperunt [ortalitium

de Montfort ... "

274Jean de HA YNIN développe également le rapport entre les affaires françaises du Téméraire, qui occupaient toute

son attention, et le retour des proscrits, persuadés d'avoir le champ libre.

275 Arrivé à Liège le 30 avril. il fut accueilli en grande pompe par l'évêque et la population.

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Franchimont. Nous nous opposons ici à la thèse de Godefroid Kurth276 et de

l'abbé Coenen-?", qui faisaient des fugitifs qui s'en prennent à Montfort et

de ceux qui s'en prennent à Bouillon deux groupes différents. Ceci mérite

d'être clarifié: voyons tout d'abord le passage d'Adrien d'Oudenbosch qui

sert de base à cette thèse.

Au début du mois d'août, le duc rappela le sire de Humb ercourttïs à lui

pour qu'il vienne à son colloque. Apprenant cela, certain y virent un signe, et

les bon citoyens de Liège commencèrent à trembler, parce que la rumeur

commençait à se répandre que les fugitifs voulaient revenir, lesquels fugitifs,

premièrement, prirent le château de Montfort en Condroz, et, ayant tué tout

ceux qu'ils avaient trouvé à l'intérieur, détruisirent tout ce qu'ils trouvèrent.

Au comté de Looz; ]2 fugitifs furent capturés, puis exécutés en divers

endroits.

Adrien revient alors en arrière, pour nous parler du mariage du duc

au début du mois de juillet. Il se penche ensuite de nouveau sur les méfaits

des fugitifs:

Aux environs du IV août, les fugitifs de Liège au nombre de 340

environ entrèrent à Bouillon, tentèrent de prendre la forteresse, mais

échouèrent. De même, certain d'entre eux279 tentèrent de tuer le receveur du

prince au pays de Franchimont; on y envoya alors quelques hommes de la

part de Louis de Bourbon, qui brûlèrent trois maisons à Polleur. C'est

pourquoi Jean Beausaint, l'un de ces fugitifs, et quelques-uns de ses

compagnons mirent le feu à la maison de Gérard le Changeur à Fléron .... 28o

Pour Coenen, le raisonnement est le suivant: puisque la prise de

Montfort et l'attaque de Bouillon surviennent toutes deux début août, au vu

de la distance entre ces deux places, il devait y avoir deux groupes

différents : l'un, stationné au pays de Franchimont et au Rivage, qui s'en

prend à Montfort et au receveur du prince; l'autre, près de la frontière

française, qui pénètre à Bouillon. Et Coenen d'ajouter "qu'il devait y avoir

une entente entre les différents groupes", puis de s'envoler dans diverses

déductions selon lesquelles on trouvait des proscrits liégeois réfugiés au

Rivage et à

276KURTH, p. 286.

277 COENEN, Franchimontois ou Liégeois, p. 253.

278Gui de Brimeu est le seigneur d'Humbercourt; il apparaît généralement sous ce nom dans les sources

liégeoises.

279 Aliqui ex ipsis (fugitivi).

280Adrien d'OUDENBOSCH, p. 197-198.

7

4

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Franchimont depuis Brustemssr. Dans son article, Les six cent

Franchimontois, Émile Fairon pointait plusieurs difficultés qui rendaient

peu probable la présence d'un vaste groupe de proscrits au Franchimont

durant l'année 1468282, notamment le fait que des receveurs du prince

avaient pu y opérer avec une escorte réduite les mois précédents.

Par ailleurs, la thèse de Kurth et de Coenen résulte d'une mauvaise

lecture d'Adrien. En effet, si cet auteur donne une date précise pour

l'attaque sur Bouillon, il ne fait rien de tel pour la prise de Montfort; et c'est

le lire abusivement que de dire que cet événement survint début août. Notre

chroniqueur ne place à cette date que le départ de Gui de Brimeu, lequel

rend espoir aux proscrits et entraîne, à plus ou moins long terme, leur

attaque sur Montfort. Par ailleurs, Adrien dit explicitement que se sont les

mêmes fugitifs ( aliqui ex ipsis) qui s'en sont pris à Bouillon et au receveur

du prince au pays de Franchimont, ce qui ne cadre pas avec l'analyse de

Coenen.

Mais, nous dira-t-on, Adrien place le siège de Montfort entre le

départ de Gui de Brimeu (début août) et la tentative de Bouillon (qui

survient le 4 août)!

Il est évident qu'Adrien ne respecte plus ici d'ordre chronologique

dans son récit (Il n'hésite d'ailleurs pas à faire une disgression pour parler

du mariage du duc en juillet). En fait, il nous semble que notre auteur

énumère en vrac les événements qui ont précédé la prise de Liège par les

proscrits, dans 1'ordre où il s'en rappelle. Dans cette hypothèse, seul est

gênant le primo par lequel Adrien semble marquer une succession

d'événements, dont l'assaut sur Montfort serait le premier. En réalité, cet

adverbe ne se met en relation, dans la logique d'Adrien, qu'avec les

événements du 9 septembre:

281 Lesquels proscrits liégeois auraient pris dans le langage courant le nom de "ceux de Franchimont", d'où l'erreur

de Commynes en ce qui concerne l'expédition des "600 Franchimontois" (dont les auteurs seraient donc bien des

liégeois. C.q.f.d). L'hypothèse des "liégeois de Franchimont" se heurtait cependant à un passage d'Adrien, qui

démontrait que les franchimontois arrivés à Liège dans les jours qui suivirent le 9 septembre étaient ensuite très vite

rentrés chez eux, pour être rappelés à Liège seulement avant la bataille de Lantin. On pouvait difficilement admettre

que des proscrits liégeois appelés franchimontois soient retournés à leurs huttes de misère alors que les révoltés

tenaient la ville: Coenen admettait la difficulté, mais la contournait de façon maladroite. Nous pensons donc. comme

Émile Fairon, que ces franchimontois qui affluent à Liège à partir du 9 septembre sont bien, dans leur majorité. des

habitants du marquisat.

282FAIRON. Les Six cent Fran ch imon tois , op. cit, pp 140-152.

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Le chroniqueur envisage d'abord de parler de l'entrée à Liège des

fugitifs français à cette date. Il se rappelle que leur bande a pris Montfort

peu avant la métropole, et marque donc cet épisode préalable d'un primo. Rassemblant les notes de son Diarium, il se rend ensuite compte qu'il y

avait plus à en dire, et mentionne divers troubles qui ont éclaté au comté de

Looz (confondant d'ailleurs probablement, en la matière, les fugitifs

liégeois et la Verte-Tente lossaine). Il s'avise alors qu'il a également omis

de parler du mariage du duc, ce qu'il fait avant de se pencher à nouveau sur

ses [ugitivi. Lui revient alors en mémoire un événement qui l'a moins

marqué, parce que plus distant283 : l'attaque sur Bouillon. Il se souvient alors

que les 340 proscrits qui sont les auteurs de cette tentative ont, après avoir

échoué, progressé vers Liège de semaines en semaines, pour arriver

finalement sur l'Ourthe, Rôdant dans la région, certains de ceux-ci (qui

s'étaient d'abord attaqués à Bouillon) ont alors tenté de tuer le receveur du

prince à Franchimont. On a dès lors tout lieu de penser que ce sont les

même encore qui ont porté leur effort sur Montfort, non loin de là, à peu

près à la même périodew',

Nous sommes donc ici confrontés à un problème délicat de lecture de

source. Notre interprétation doit pénétrer dans l'esprit d'Adrien, essayer de

comprendre sa logique, pour expliquer les incohérences apparentes de ce

passage. Plus que jamais, nous sommes dans le subjectif. Que l'on penche

pour l'hypothèse de Kurth et Coenen ou pour la nôtre, l'on se heurte de

toute façon sur un obstacle: un aliqui ex ipsis dans le premier cas, un primo

dans le second. Nous pensons cependant que les attaques sur Montfort et

Bouillon sont le fait d'un même groupe, parce que c'est l'explication la plus

claire, la plus évidente : Partant de Bouillon, les proscrits doivent

fatalement passer par la vallée de l'Ourthe pour arriver à Liège. Il est

probable que seul les fugitifs de la frontière française, commandés par des

chevaliers d'expérience (notamment Vincent de Bueren) dont nous verrons

l'audace, aient pu se révéler capables de prendre une place forte avec si peu

de moyens.

Mais quelle que soit la lecture que l'on fait de cet extrait, il est,

répétons-le, abusif de placer l'attaque sur Montfort début août et d'en

déduire qu'il existe deux groupes.

283Notons toutefois qu'il se montre capable de donner une date approximative.

284 deux groupes opérant dans la même région (Ourthe-Franchimont) début septembre auraient vraisemblablement

fusionné avant de marcher sur la cité; mais les proscrits qui rentrent à Liège sous la conduite de Vincent de Bueren

sont toujours environ 300 (cff. p. 78 du présent travail).

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Nous pensons donc avoir isolé le groupe "français", et même retracé en partie son itinéraire. Comme monsieur Fairon, nous doutons fort de l'existence d'un autre parti important dans le Franchimont et le Rivage avant l'arrivée de proscrits "français" dans ces régions. Cependant, nous ne dénions pas aux habitants du Franchimont eux-même une volonté de résister à l'ennemi, volonté dont ils feront bientôt la preuve.

Mais le comté de Looz reste, lui, un nid de partisans hors-la-loi d'après Jean de Looz, à la même période, beaucoup d'hommes en pays

de Looz furent maltraités par les couleuvriniers qui, la nuit,

s'embusquaient et les surprenaient, ou bien les rançonnaient, ou encore menaçaient de livrer leur maison aux flammesvo, à la suite de quoi certains de ces brigands furent pris et exécutés2

86. Jusqu'à ce point de son récit, Jean de Looz a toujours utilisé le terme de couleuvriniers pour désigner strictement les compagnons de la Verte- Tente-ë". Il fait toujours une distinction entre les fugitivi et les Colubrissariv»; c'est donc qu'il ne parle pas ici de fugitifs liégeois, mais bien des compagnons de la Verte-Tente. Nous sommes dans la partie thioise de la principauté, dans la région où est né ce mouvement, et où il s'est toujours montré le plus actif. Les confréries lossaines de la Verte-Tente ne sont donc pas mortes, et leurs activités de brigandage renaissent à cette période, avec le départ de Gui de Brimeu.

Les méthodes de cet ensemble lossain le distinguent bien des fugitifs "français": les couleuvriniers se contentent de rançonner et de brûler quelques maisons-se, comme ils l'ont toujours fait auparavant, alors que le groupe venant de France fait preuve d'une stratégie plus raisonnée et d'une certaine audace militaire en sien prenant à des places fortes bien situées: leur organisation tient sans doute aux hommes qui les mènent, les anciens lieutenants de Raes de

285Jean de LOOZ, op. cit., p. 58.

286Sans doute est-ce à ces "brigands" de la Verte-Tente qu'Adrien fait allusion, dans le passage que nous venons

d'analyser, lorsqu'il écrit: In comitatu lossensi, X/l filer/ml capti, et in diversis lacis rotati .

287 Jean de Looz est né en 1459. Il était donc très jeune; c'est pourquoi il préfère souvent se baser sur t'oeuvre

d'Adrien d'Oudenbosch pour les faits antérieurs à 1482. Cependant, il se fait ici plus précis qu'Adrien. Cela tient

probablement au fait que ses parents et lui-même avaient dû fuir le comté de Looz pour Liège en 1466 en raison des

exactions des compagnons de la Verte-Tente, comme il le dit lui-même dans son introduction; partant, notre auteur

est plus attentif à leurs actes, qui ont davantage marqué son enfance; les échos de leur reprise d'activité l'été 1468

n'ont pas dû échapper à ses parents et à lui-même. C'est pourquoi Jean de Looz est peut-être une des sources les plus

fiables à propos des couleuvriniers. 288Cfr. p. 58: "De inde, circa initium septembri, multa [ama spargebatur apud

Leodium de adventu Colubrissariorum et aliorum profugorum ex pa/ria relegatorum," Nous mettons ceci au clair

en raison de l'affirmation de F. VRANCKEN, op. cit., p. 324, selon laquelle on utilisait désormais indifféremment les

termes de Fugitivi ou de Yerte- Tente pour désigner tous les proscrits. 28911 s'agit certainement, comme toujours, de maisons de "collaborateurs" : ce seraient donc bien des habitants du

pays de Locz, connaissant bien leurs victimes, qui commettent ces exactions.

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Heers, au nombre desquels on compte plusieurs chevaliers rompus aux affaires de la guerre.

À notre connaissance, rien n'indique que ces deux ensembles, les seuls que nous puissions dégager ifugitivi de la frontière française - couleuvriniers lossains) aient eu entre eux des contacts. Ce serait aller un peu vite -et simplifier commodément la réalité- que d'affirmer avec F. Vrancken que tous les groupes se sont fondus dans l'exil2

90.

Il est difficile de déterminer précisément la composition de ces

groupes de proscrits. Ceux de la frontière française sont principalement des

Liégeois qui ont fui la cité après Brusternwi, mais deux témoignages

semblent affirmer qu'il y avait également parmi eux des compagnons de la

Yerte-Tentern, Cette hypothèse est, à notre sens, crédible: n'oublions pas

que la Verte-Tente ne désigne pas une, mais plusieurs confréries, bon

nombre de villages ayant chacun la leur293. Ces confréries avaient sans doute

une "capitale" avant Brustem (le village de Wellen), mais nous ignorons si

elles avaient encore entre elles une unité en 1468. Il est plausible que

certaines confréries (les confréries de langue romane plus proches de

l'influence de Liège?), après l'arrivée du duc, se soient jointes aux

capitaines liégeois qui fuyaient vers la France. Les confréries lossaines en

tout cas sont restées au pays, mettant un temps leurs opérations en

sourdine, reprenant une activité plus intense aux mois de juillet-août 1468.

Peut-être à ce moment ont-elles retrouvé un chef en la personne de Jean de

Loobosch. La distance suffisait en tout cas à les couper des fugitifs

"français" avant le mois de septembre.

290F. VRANCKEN, op. cit., p. 324.

291 Adrien, qui reste malgré tout le témoin le plus précis, l'affirme clairement: fugltivi de Leodio (Adrien

d'OUDENBOSCH, p. 197-198); il nous donne par ailleurs les noms de certains membres de ce groupe, tel Jean

Beausaint, qui sont bien des liégeois (cfr. p 85, note 342).

292HERBENUS, p. 358; Jean de LOOZ, p. 58. Nous devons cependant nous méfier de la précision de ces deux

témoins. Il est douteux qu'ils aient été valablement informés de la composition du groupe "français" en août. S'ils ont

pu en savoir plus, c'est de la bouche des liégeois qui avaient assisté à l'arrivée de cette troupe à Liège le 9 septembre,

et qui ont pu alors y distinguer des compagnons de la Verte-Tente selon leurs cris de ralliement ou leurs tuniques.

L'information serait alors valable. Mais dans les jours qui suivirent arrivèrent ensuite les lossains, et parmi eux il y avait certainement bon nombre de couleuvriniers: il est possible que nos deux auteurs aient abusivement assimilés

ceux-ci aux membres du premier groupe, dans la confusion que ces événements avaient provoquée.

293Les compagnons portaient une tunique partie de vert, partie de leur localité d'origine. Il y avait donc un sentiment

commun d'appartenance à un même mouvement, mais aussi une identité liée à un sousgroupe. La défaite de Wellen a

bien pu faire éclater la Verte-Tente en ses différentes composantes.

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d) Quel élément moteur pour la révolte?

Portons notre attention sur ce groupe "français Il, qui deviendra

rapidement l'élément initiateur de la révolte. Nous savons déjà qu'il est

constitué, au moins dans sa majeure partie, de liégeois exilés et qu'il a passé

l'hiver dans la forêt d'Ardenncw-, aux frontières de la principauté. Sans doute

cette troupe concentrait-elle en son sein les anciens lieutenants de Raes de

Heers, peut-être aussi les membres de son conseil secret, ce qui expliquerait

son rôle moteur-s>. Les noms de ses capitaines nous sont d'ailleurs déj à connus: il s'agit de Jean de Wilde, Vincent de Bueren et Gossuin de Streel, qui

s'étaient auparavant distingués parmi les séditieux.

Nous connaissons à présent mieux Vincent de Bueren. Nous avons vu

la haute noblesse de ses origines, et constaté l'engagement de sa famille dans

l'opposition à Louis de Bourbon. Vincent bénéficiait du prestige de son père

pour se faire un nom parmi les séditieux et devenir l'un de ces patriciens

meneurs de la plèbe que Liège, à l'image des villes italiennes, a déjà connus à plusieurs reprises, Jusqu'ici, pourtant, il n'a été qu'un lieutenant de Raes de

Heers et n'a pas joué un rôle majeur. Mais après Brustem, les liégeois ont

perdu leurs principaux capitaines: Fastré Baré Surlet est tombé au combat;

quant à Raes de Heers, il a abandonné la partie et s'est réfugié à la cour de

France; il ne reviendra plus à Liège avant de nombreuses années, Vincent a

donc le champ libre pour s'imposer à la tête du mouvement. Lui qui aurait pu

être un des seigneurs les plus puissants de Gueldre si le sort avait été plus

favorable à son père devait rêver d'un avenir de rechange. Il a d'autant plus de

raisons de se dresser contre l'évêque et le régime bourguignon que ceux-ci

l'ont privé du seul prestige dont sa famille bénéficiait encore après l'exil de

Gueldre. L'exemple de Raes de Heers a pu lui démontrer les perspectives qui

s'offriraient à lui en épousant la cause des séditieux. Du riche seigneur terrien,

fin stratège et diplomate, qu'il aurait pu être, Vincent va se muer en

"condottiere" prêt à tout risquer pour réussir. Chassé de Liège comme son père

l'avait été de Gueldre et du duché de Berg, il aurait eu de quoi désespérer de

son destin. Il a choisi une attitude plus volontaire.

294Matthieu HERBENUS, p. 358.

295Nous rejoignons ici l'opinion d'Émile FAIRON, op. cit. ,p. 145.

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Son principal comparse est son cousin au deuxième degré, Jean de

Wilde, seigneur de Kessenich en Juliers296, par ailleurs également voisin

d'Elsa de Bueren à Thorn. Lui aussi est de haut lignage, et proche de la

famille de Heinsberg par les liens du sang: il est le fils d'Arnould de

Hornes, seigneur de Kessenich, et d'Élisabeth, fille naturelle de Jean II de

Heinsberg. Il est donc un neveu de l'ancien évêque Jean de Heinsberg.

Cette parenté l'amena à côtoyer davantage les liégeois. En 1456, il achète, à

l'insu de Louis de Bourbon, le concours armé des métiers de la cité pour

s'emparer du fief de Bocholt (Campine), sur lequel il se trouve avoir des

prétentions. Cet épisode dut contribuer à attirer sur lui la haine de l'élu, déjà

allumée par ses liens familiaux avec l'ancien évêque. Jean de Wilde se jette

dès lors dans l'opposition. Dès 1465, il fait partie des esprits les plus

échauffés. En 1467, il commande à Brustem les milices de Tongres; après

la défaite, il prend lui aussi le maquis297•

Gossuin de Streel, enfin, est issu d'un petit lignage de Hesbaye.

Il est le fils d'Eustache de Streel , tombé à Brustem, et s'est déjà signalé,

malgré son jeune âge, par son opposition farouche à l'élu. Il avait à ce point

provoqué l'ire du duc qu'après Brustem, Charles le Téméraire imposa aux

villes lossaines, entre autres clauses, de lui livrer Gossuin de Streel et ses

complicessw.

Avec eux, on trouve également un certain Pierre Rouhaertsw.

Ce personnage, qui ne s'est pas encore distingué jusqu'ici, fera beaucoup

parler de lui une dizaine d'années plus tard en poursuivant la lutte aux côtés

de Guillaume de La Marck300•

Peut-être faut-il se méfier de l'image exaltée par le romantisme, selon

laquelle Vincent de Bueren, Gossuin de Streel et

296Nous sommes à présent assez familiers avec la politique gueldroise pour comprendre pourquoi Onofrius appelle

Jean de Wilde "miles de patribus Guelriae" alors que sa terre se trouve en Juliers ...

297J. CHESTRET DE HANEFFE. op. CiL, pp. 1 à 8.

298c. DE BORMAN, Gossuin de Streel ,dans Leodium , t. 6, Liège, 1907, pp. 7 -16.

299Jean de LOOZ, p. 59. Jean de Haynin atteste également de sa présence parmi les capitaines au moment du sac de

Liège (DE HAYNIN, L II, p. 282).

300cfr. P. HARSIN, P. HARSIN, Etudes critiques sur l'histoire de la principauté de Liège, t. 1: La principauté de

Liège à la fin dei règne de Louis de Bourbon et SOliS celui de Jean de Homes, 1477-1505, Liège, 1957, pp. 57-160: en

l477, Rouhaert monte un complot destiné à livrer Louis de Bourbon à Louis XI. Après l'échec de cette conjuration, il

parvient à s'enfuir et prend la tête des bandes de maquisards francophiles qui écument alors le pays. en tant que

"capitaine et conducteur des Liegeoys de par le roy de France". Il est frappé d'une peine de bannissement le 22

octobre 1477. En 1480, il rejoint Guillaume de La Marck et devient son plus fidèle lieutenant Lorsque La Marck tue

Bourbon. s'empare de Liège et prend le titre de marnbour, Rouhaert devient mayeur de la cité et profite du régime

pour s'enrichir. En 1485. il tient la place de Montfort pour son maître. Enfin. après la chute de Guillaume de La

Marck. il est à nouveau banni, puis, selon Jean de Looz, exécuté. Durant toute sa carrière, il avait épousé la cause

française; en 1482, il était réputé tenir sa solde directement du roi de France.

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Jean de Wilde ont passé toute l'année dans les forêts, partageant la vie

misérable des proscrits depuis leur fuite de Liège. Cette image est celle que

donne Ange de Viterbewt, mais c'est un poète que l'idée a dû séduire. Les

autres témoignages n'affirment en rien qu'ils menaient cette vie depuis le

début de l'occupation bourguignonne, mais seulement qu'ils se trouvaient

avec les fugitifs au moment où ceux-ci réapparaissent dans les sourcesw'.

Peut-être au contraire ontils tout d'abord suivi leur chef Raes de Heers à la

cour Française, pour revenir prendre la tête du mouvement seulement

lorsque le vent avait tourné. Peut-être sont-ils encore le lien entre les

proscrits et leur allié de toujours, le roi Louis XI; mais nous n'irons pas

jusqu'à affirmer qu'ils étaient les agents du souverain.

Mais que devons-nous penser de cette étrange phrase de Jean de

Haynin: Mes ousi tost .... que cheus qui estoite en Franse estoite averti que

le Roy ne les y voilait plus soutoitierv», au desplaisir de monsieur de Bourgogne, toutte ches dittes gens deun coumeun aeort se rassemblerte

ensanble, ou au mains la pluspart, et sen revinderte devers la chite de

Liege .. .304. Doit-on comprendre que Louis XI s'était compromis avec les

proscrits et leur avait ensuite coupé les vivres? Ou tout au moins, qu'à la

prière du duc, il avait menacé de les faire chasser de ses territoires pour

faire bonne figure devant lui? Jean de Haynin s'y entendait plus en affaires

strictement militaires que politiques; il arrive qu'il se fasse l'écho de la

propagande bourguignonne. Nous ne sommes pas en mesure d'en dire plus

sur base de ce seul témoignage; nous tenions cependant à attirer l'attention

sur cette curieuse assertion.

Réveillés comme les autres par la guerre entre la France et la

Bourgogne, les proscrits "français" reprennent la route du pays. Quel était

leur projet? Ange de Viterbe plonge son regard de poète au sein de ce

groupe. Il met ainsi en scène une longue discussion entre ses capitaines, au

cours de laquelle ceux-ci débattent de leur avenir305• Vincent de Bueren

(manifestement un des personnages favoris du poète) excite ses partisans à

rentrer à Liège; mais le sage

30lANGE DE VITERBE, De excidio civitatis Leodlensis ,dans MARTÈNE et DURAND, Amplissima collectio , L

IV, Paris, 1729, col. 1396-1397 et col. 1389.

3020nofrius, par exemple, nous les présente par cette phrase: " ... exules Leodienses facti per ducem in sentencia

praedicta, qui erant in Francia et locis circumvicinis, assumptis capitaneis illustri Vincentio de Buren, comite,

Johanne der Wilde, ..... , Gosuino de Stralen, intrarunt civitatem ... ". Tout dépend de la façon dont on veut lire le

verbe adsumo: associer à, adjoindre à (dans le sens: "ajouter en plus de ce qui était déjà avant").

303Soutoitier: loger, abriter, recueillir (GODEFROID, Dictionnaire de l'ancienne langue française, t. VII, Paris, 1892,

p. 71 )

304HAYNIN, T. II, p. 66.

30SANGE DE VITERBE, dans MARTENE-DURAND, col. 1396-1397.

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Jean de Wilde lui oppose l'appel au pape afin d'obtenir la levée de l'interdit.

Sans doute ce dialogue n'a-t-il pour but que de mettre en valeur le

personnage du légat, dont Ange de Viterbe fait l'apologie, et d'introduire

son arrivée à Liège. Nous n'avons aucun élément confirmant une

ambassade des proscrits auprès du Saint-Siège, et l'idée même nous semble

douteuse.

Cependant, nous verrons le rôle du légat pontifical dans la politique

de Vincent de Bueren et de ses compagnons. Selon Adrien306, les proscrits

avaient dès le départ prévu de s'en prendre à la garnison bourguignonne de

Liège, mais de ne pas faire de mal aux partisans de l'évêque, afin de

pouvoir le reconnaître comme leur prince légitime. Une stratégie qui vise

donc à se débarrasser de l'occupant en se conciliant néanmoins Louis de

Bourbon; en somme une tentative pour rompre les liens entre celui-ci et

Charles le Téméraire. Ceci ne pouvait être possible qu'avec la présence du

légat du pape, qui pouvait seul gêner ce rapport temporel entre l'évêque et

son oncle avec des arguments spirituels. Soit c'est Bourbon, soit c'est toute

la Bourgognetwt s'éctie Vincent au cours du dialogue mentionné plus haut,

afin de persuader les siens d'adopter cette stratégie. Ange de Viterbe rejoint

donc ici l'interprétation d'Adrien, et tous deux donnent à penser que ce plan

d'action avait été d'avance mûri par les capitaines. Nous verrons de fait les

proscrits se tenir globalement à celui-ci. Comme nous le voyons, les

Liégeois désespérés avaient abaissés leurs exigences pour se concentrer sur

le péril le plus évident: la mainmise bourguignonne.

e) naissance de la révolte.

On les trouve donc à Bouillon, le 4 août. Ils échouent devant la

forteresse et poursuivent ensuite leur chemin vers la cité. Il leur faudra

environ un mois pour y parvenir. Un délai qui ne doit pas surprendre : les

proscrits étaient misérables, démontés, et mal ravitaillés; il leur fallait sans

doute chercher sur place leur nourriture. C'est sans doute vers la fin du

mois d'août qu'ils s'en prennent au château de Montfort-sur-l'Ourthe, et,

cette fois, emportent la place. Disposant ainsi d'une base non loin de Liège,

ils purent commencer à soulever les habitants du Franchimont et du

Rivage. Peut-être y demeurèrent-ils quelques temps; la rumeur de leur

retour commença alors à inquiéter les partisans du prince.

306 Adrien d'OUDENBOSCH, p. 202.

307 ANGE DE VITERBE, col. 1396.

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Entre-temps, Louis de Bourbon commettait une erreur fatale.

Le 25 août, il quittait Liège pour Maastricht, afin d'assister à une réunion des

états. Désormais, la cité était privée de tous les hauts personnages du régime;

les proscrits n'en espéraient peut-être pas tant. À la fin du mois, Gui de

Brimeu, toujours absent, écrit à Renard de Rouveroy et au sire de Corswarem

pour qu'ils se hâtent de faire garder tous les passages contre les fugitifs; mais

l'ordre n'est pas exécuté308.

De combien de proscrits se compose le groupe "français"? Au moment

où ils s'en prennent à Bouillon, Adrien d'Oudenbosch parle de 340 personnes-

w. Plus loin, le même auteur nous affirme qu' "au début, ils n'étaient pas 240",

mais qu'ils furent rejoints, dans leur retour vers Liège, par bon nombre de

rebelles. Ces deux chiffres sont assez proches pour que l'on puisse imaginer

qu'un C se soit perdu ou ajouté lors d'une transcription. Onofrius donne le

chiffre, assez proche, de 300 personnes-u'. Thierry Pauwels parle lui de 600

personnes, mais seulement au moment où le groupe pénètre dans la cité, alors

que d'autres se sont déjà joints à eux. Tous ces chiffres concordent assez bien;

on peut donc penser qu'ils étaient, à l'origine, environ 300.

Le matin du 9 septembre, on apprit à Liège que les gués de la Meuse à

hauteur de Seraing étaient garnis de fugitifs armés. Les autorités de la cité se

refusent cependant à réagir. Après avoir attendu quelques temps à Seraing, les

proscrits se répandent à Flémalle et à Jemeppe, et entraînent dans leurs rangs

bon nombre d'habitants de ces localités. Alors, enfin, Renard de Rouveroy et

le mayeur Jacques de Morialmé prennent les armes avec leurs partisans, et se

portent à leur rencontre. Mais déjà les insurgés sont trop nombreux, et, à leur

vue, les troupes du mayeur prennent la fuite.

Rien ne s'oppose plus désormais aux fugitifs. Insignés d'une croix droite

(par opposition à la croix de Saint-André de la Bourgogne), ils pénètrent à

Liège vers midi aux cris de "Vive le Roi et les francs-liégeois!", massacrent

quelques fuyards et partisans du duc, et se rallient la majeure partie de la

population. Se répandant dans les rues, ils fracturent les maisons des

collaborateurs du régime et s'emparent des armes, de la nourriture et des

vêtements qu'ils y trouvent. Le soir même) Vincent de Bueren et Jean de

Wilde s'établissent au palais; les autres proscrits slins tallent dans les maisons

308Adrien d'QUDENBOSCH, p. 199.

309Ibid." p. 198.

3100NOFRIUS, p. 50.

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des fuyards. Bientôt, tous, à Liège, portent la croix droite; tous ceux qui adhéraient ouvertement au duc et à l'évêque ont pris la fuite ou se sont fait massacrer>!'. La nouvelle de leur coup d'éclat se répand comme une traînée de poudre. De jour en jour, les patriotes affluent vers la cité: ils sont bientôt plus de 10000312. Le Franchimont et le Rivage, notamment, contribuent à renforcer les effectifs des rebellesu-.

Parmi les arrivants, on trouve également les partisans du comté de

LOOZ314, conduits par Jean de Loobosch. Il n'est pas inutile de présenter ce

personnage _: issu de la noblesse lossaine, cet homrne "très grand de corps,

mais petit par le courage", tel que le dépeignent les persiflages d'Henri de

Mericau>, était déjà connu auparavant dans le pays de Looz comme l'un des

opposants à l'évêque. Lorsque les troupes de Bourgogne s'étaient répandus

dans la partie thioise de la principauté, peu avant la bataille de

Montenaeken, il avait tenté de leur résister avec les patriotes lossains. Battu

par Jean de Clèves le 18 septembre 1465316, il s'était replié dans la forteresse

de Herck et, après la défaite liégeoise du 20 octobre, avait encore un temps

tenu cette place contre l'ennemiu". Nous perdons ensuite la trace de Jean de

Loobosch jusqu'à son retour à Liège en septembre 1468. Peut-être s'est-il

imposé comme capitaine d'une partie de la Verte-Tente lossaine durant

l'année 1468; ou peut-être ne rentre-t-il en jeu qu'à l'annonce du retour des

fugitivi de France: il est impossible de trancher cette question. Il dut en tout

cas réunir ses anciens suivants lossains et bon nombre de couleuvriniers

pour les emmener à Liège.

C'est seulement à partir du moment où tous les résistants convergent

vers la cité et promettent fidélité à Vincent de Bueren que l'on peut

réellement parler d'organisation de la révolte. Le retour des fugitifs de la

frontière française a mis le feu aux poudres; auparavant, n'existaient

probablement que des groupes de partisans épars que rien, à notre

connaissance, n'unissait encore.

Les capitaines de la révolte sont presque tous issus de la noblesse.

Déjà suivis par un certain nombre de proscrits, ils rallient

311Adrien d'OUDENBOSCH, p. 199-202; ONOFRlUS, p. 50; HERBENUS, p. 358; TH. PAULI, p. 210-212;

ANGE DE VITERBE, col. 1430-1432; Jean de LOOZ, p. 58; Jacopo PICCOLOMINI. op. cit., p.374.

3120NOFRIUS, p. 50.

313 Adrien d'OUDENBOSCH, p. 202.

314Adrien d'OUDENBOSCH, p. 202; Jean de LOOZ, p. 58.

315HENRI DE MERICA, p. 151.

316THEODORICUS PAULI, p. 192.

317HENRI DE MERICA, p. 151.

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sur place une bonne partie de la population liégeoise : la plus pauvre, selon

Adrien; mais Onofrius, généralement plus honnête, parle de "toute la cité".

Les deux maîtres mis en place par Vincent de Bueren seront d'ailleurs tout

deux issus du patriciat; en outre, on comptait bien des patriciens parmi les

jugitiviv». De façon générale, ce sont toutes les classes sociales du pays

qui contribuent à la lutte renaissante contre la Bourgogne.

7. Vincent de Bueren, "capitaine des Liégeoix".

Le premier souci des capitaines des proscrits, une fois la cité dans

leurs mains, fut de la purger de tous ceux qui n'épousaient pas leur cause.

Toute la journée du 9 septembre, Liège est le théâtre d'une intense activité.

Les places sont garnies d'hommes en armes; les partisans du duc qui

n'avaient pas pu fuir sont massacrés ou jetés en prison, le reste de la

population se réfugie dans les églises ou collabore activement avec les

rebelles.

Leur seconde préoccupation est de se concilier le légat Onofrius. Dès

le début, ils font preuve d'égards envers lui et les siens : le 9 septembre,

après avoir vainement prié le légat de prendre la fuite, l'un de ses

suivants»v s'efforça de quitter la ville. Les insurgés l'arrêtèrent et le

dépouillèrent; mais aussitôt, Vincent de Bueren intervint personnellement

pour le remettre en liberté320. Le soir même, Onofrius, qui craignait de voir

ses efforts de paix ruinés par l'arrivée des proscrits, envoya des émissaires

auprès d'eux pour s'enquérir de leurs intentions. Ayant tenu conseil, les

capitaines font répondre au légat "qu'ils sont des citoyens et des nobles de

la cité et patrie de Liège, un jour exilés de Liège; qu'ils sont affamés,

assoiffés et presque nus; qu'ils ne peuvent supporter l'exil davantage, qu'ils retournent donc à leur patrie, leur maison et leurs fils; mais que leur

intention est d'obéir au pape et à son légat, ainsi qu'à leur prince suprême

l'évêque, pour lequel ils étaient prêts à exposer leurs corps, leur vie et

leurs biens; mais que la présence du légat serait nécessaire pour que l'évêque s'arrache lui-même, et eux-mêmes avec lui, à une intolérable

servitude, etc ... "321

318Notamment Jean Beausaint (Adrien d'OUDENBOSCH. p. 198).

3190uillaume. abbé de Deutz, qui apparaît chez Onofrius et Ange de Viterbe sous le nom de "Tuitius".

320ANGE DE VITERBE, col. l433; ONOFRlUS. p. 51.

3210NOFRlUS, p. 52.

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Le lendemain matin, Vincent de Bueren, Jean de Wilde et Gossuin de

Streel s'entretiennent personnellement avec le légat à l'abbaye de Saint-

Jacques, en présence de représentants du chapitre cathédral. Les capitaines

renouvellent leur intention de faire la paix avec l'évêque, Onofrius, de son

côté, s'engage à intercéder pour eux auprès de celui-ci; il consent en outre à

maintenir la célébration des offices divins322. Ayant ainsi gagné la

bienveillance du légat, les proscrits peuvent espérer atteindre leur but:

trancher les liens entre Louis de Bourbon et Charles le Téméraire. Le prince

avait d'ailleurs lui-même à se plaindre de l'omniprésence de la Bourgogne

dans ses affaires, et avait déjà auparavant chargé Onofrius de porter ses

doléances au duc, On pouvait donc se prendre à rêver qu'il fasse corps avec sa

cité et réagisse lui aussi contre cette "intolérable servitude". La présence du

légat pontifical surtout, devait lui rappeler qu'il était, en principe, l'évêque

d'une principauté épiscopale indépendante et non ragent d'une puissance

étrangères».

Ceci fait, les proscrits réunissent l'assemblée du peuple au palais et

jettent les fondements d'un nouveau régime. Leur premier acte est de restaurer

toutes les institutions communales, métiers et franchises abolies par le duc de

Bourgogne. Diverses mesures sont prises pour assurer la défense de la cité :

restauration des murailles, provision d'armes et de munitionsv-, demande de

renforts au roi de France. Des délégués sont désignés pour accompagner le

légat dans son ambassade à l'évêque. Deux maîtres enfin sont élus: Ameil de

Velroux et Gilles de Lens325.

La remise en vigueur (progressive?) de la maîtrise et du pouvoir des

métiers n'empêcha pas les trois capitaines, Vincent de Bueren, Jean de Wilde

et Gossuin de Streel, de rester la principale autorité de la cité jusqu'au sac de

celle-ci. Le 26 septembre, c'est Vincent de Bueren qui, en temps que capitaine

des liégeoix, avec son conseilhe et les XXXII boins mestiers de la cité de

Liège, répond à une lettre de la ville de Colognes>, alors que celle-ci s'était

adressée aux "bourgmestres et conseil de la cité" (donc aux institutions

3220NOPRIUS. p. 53·54; Adrien d'OUDENBOSCH. p. 201 et 203.

323Si le Saint-Siège eut. dans les affaires liégeoises. des rapports ambigus avec la Bourgogne, le légat. lui. se fait

clairement le défenseur de l'indépendance de la principauté.

324Notamment des traits à poudre: voir FAIRON. Regestes, t. IV, p. 297.

325La date de leur élection n'est pas claire: selon Adrien d'OUDENBOSCH, p. 204, le légat les créa maîtres le

premier octobre seulement; mais KURTH, La cité de Liège au Moyen.Âge, t. III, p. 292, relève plusieurs éléments

indiquant qu'ils remplissaient déja ces fonctions de facto beaucoup plus tôt.

326pAIRON, Regestes, t. IV, p. 297.

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cornmunalesjv". Nous n'avons, cela se comprend, aucun document

d'archives émanant du régime de septembre-octobre 1468 en dehors de

cette lettre, si bien qu'il est difficile d'en étudier l'aspect institutionnel. Les

sources narratives sont loin d'être explicites quant à l'organisation politique

de la cité. Celle-ci dut en fait rester assez flottante. Des deux maîtres, seul

Ameil de Velroux semble jouer un rôle majeur dans la conduite des affaires

de Liège, Toutes les opérations militaires sont menées par les trois

capitaines; ceux-ci enflamment la foule et restent les interlocuteurs

incontournables du légat328. De Haynin les qualifie explicitement de p

rinch.ip aux cappitaines et gouverneurs de la chite 329,

Existait-il une hiérarchie entre ces capitaines, un personnage central dans l'organisation politique de la cité, qui aurait agi comme un mambour, sans toutefois en prendre le titre?

Pour le témoin privilégié qu'est Adrien d'Oudenbosch, les choses

sont claires : quand les proscrits reviennent de France, Vincent de Bueren

est bien leur capitaine (Jean de Wilde n'apparaissant que comme son

second). Tous les fugitifs lui ont juré fidélité, et ceux qui viennent gonfler

les rangs de sa troupe peu avant son entrée à Liège sont tenus au même

serment au fur et à mesure qu'ils affluent-v, Vincent est ensuite toujours

présenté comme le chef militaire de la cité, Les paroles qu'Adrien prête à

Louis de Bourbon lorsque celui-ci, à peine rentré à Liège, s'adresse à la

population, sont révélatrices du prestige que notre auteur attribue à notre

personnage: Tout comme le sire de Bueren a été votre capitaine, je veux

l'être à mon tour personnellement; ayez confiance en moi comme moi j'ai confiance en VOUS33l, Par cette réplique, Adrien d'Oudenbosch place Vincent

sur le même pied que l'évêque; il en fait une sorte de mambour qui l'a

remplacé dans ses fonctions princières, que Louis entend à présent

reprendre personnellement en main332, En outre, quand il montre ainsi Louis

de Bourbon jouant sur cette

327Ibid., p. 296.

328Même si celui-ci, semble-t-i1, chercha avant tout à promouvoir la personnalité politique d'Ameil de Velroux, qui

était un citoyen de Liège modéré et non un "condottiere" dont on pouvait mettre en doute le sens civique ou un

proscrit désespéré et prêt à tout.

329Jean DE HA YNIN, t. II, p. 75.

330 Adrien, d'OUDENBOSCH, p. 201: "Vincentius autem de Buren, capitaneus eorum, C[li fidelitatem promiserant,

illa nocte locavit se cum domino Johanne dei Ville in palatio episcopi. "; p. 200 : avant d'entrer à Liège, "[ugitivi ...

omnes quos invenire poterant ultra Mosam constrinxerunt pel' juramentum quod eis adhaererent ''.

331Adrien d'OUDENBOSCH, p. 208.

332Ces paroles sont évidemment, pour l'évêque, une bonne façon de sauver la face: Vincent et ses compagnons sont

allés rechercher le prince après avoir "rempli l'intérim"! Nous ne saurions évidemment affirmer que Louis de

Bourbon les aie vraiment prononcées; ce qui est intéressant, c'est qu'Adrien les ait jugées réalistes et, sans doute,

connaissant notre auteur, proches des propos réels du prince.

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comparaison avec Vincent de Bueren, Adrien dévoile la confiance que les

Liégeois plaçaient en celui-ci: comme si l'évêque avait voulu jouer sur la

corde sensible en cherchant à bénéficier de son prestige.

Les autres sources sont moins précises. Jean de Haynin, au moment du

siège de Liège, cite tous les capitaines sur le même pied: et pour lors dadont,

les princhipaux cappitaines et gouverneurs de la chite, chesttoite mesirre

Jehan de Wille, mesirre de Strelle, et mesirre de Bure, et un dinandois noume Matou/et. Herbenus fait de même=>, ainsi que Thierry Pauwelsn-, Ce

dernier omet d'ailleurs de citer Gossuin de Streel, Onofrius n'indique jamais

formellement de préséance entre eux; toutefois, il laisse entrevoir la

supériorité de Vincent : assiégé par les liégeois dans son hôtel à Tongres (9

octobre), c'est lui que le légat demandera à voir en priorité sur les autres

capitainest». Ange de Viterbe fait la part belle à Vincent tout au long de son

récit, mais ne donne pas plus d'indications. Seul Jean de Looz omet de le citer,

et présente Jean de Wilde, secondé par Rouhaert, comme le chef de "ceux qui

reviennent de France"336.

Le témoignage de Jean de Looz ne saurait primer sur ceux d'Adrien et

d'Onofrius, qui sont les mieux placés pour nous renseigner sur les capitaines:

le premier parce qu'il suit les affaires de la ville avec une grande attention, le

second parce qu'en outre, il est amené à côtoyer régulièrement ses chefs.

Vincent de Bueren semble donc bien avoir été l'autorité centrale à

Liège en septembre et octobre 1468. La lettre à Cologne confirme notre

opinion en la matière : à travers celle-ci, Vincent apparaît comme le

personnage qui "chapeaute" les institutions communales. "Son conseilhe", qui

la signe avec lui, est très probablement le conseil de la cité337.

Le pouvoir de Vincent ne ressemble cependant pas à une dictature

absolue. L'on sait que le conseil de la cité restait, depuis la

333HERBENUS, p. 358.

334TH. PAULI, p. 210, 21l.

3350NOFRIUS, p. 96.: "Rogavit ut cito accurerent Yincentium Buren et alios Leodienses capitaneos ". Onofrius,

qui fut aussi surpris que l'évêque par le coup de main sur Tongres, nous montre ici qu'il lui semblait naturel que ce

soit Vincent qui ait mené les années liégeoises dans cette expédition. Vincent était pourtant resté à Liège.

336Jean de LOOZ. p. 58.

337Dans les actes diplomatiques liégeois du XVo siècle, le "conseil de Liège" signifie toujours le conseil de la cité

(voir FAIRON, Regestes, t. IV), qui se compose des 2 maîtres. de 4 conseillers, du rentier. des 64 jurés et des 64

gouverneurs de métiers. L'association avec les 32 métiers indique bien que l'on parle ici des institutions émanant de

ceux-ci; c'est d'ailleurs à elles que s'était adressé la ville de Cologne.

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fin du siècle précédent, théoriquement dépendant de son électoratns. Dans

les circonstances exceptionnelles, il arrivait que l'assemblée du peuple

(c'est-à-dire l'ensemble des membres des métiers) soit convoquée au palais

pour prendre une décision difficile: notamment la signature d'une paix

après une défaite, ou l'élection d'un mambour. Or, jamais cette assemblée

étendue n'a aussi souvent siégé que durant les mois de septembre et octobre

1468 : on la voit réunie pour rejeter ou accepter les conditions de paix

proposées par l'évêque. pour décider des ambassades envoyées au duc, et en

d'autres circonstances encore339. Dans cette période troublée, c'est donc toute

la cité de Liège qui décide en commun de son destin. À travers les sources,

Vincent n'apparaît pas dans ce processus de décision et reste discret; l'on

voit par contre Gossuin de Streel ou le maître Ameil de Velroux (modéré)

prendre la parole et peser de leur éloquence sur les choix de l'assemblée.

Donc, durant cette période particulière, le conseil se reposait le plus

souvent sur les bourgeois pour les décisions d'importance. En somme, il

semblerait que les institutions communales aient fonctionné

démocratiquement, mais sous la tutelle du "capitaine des liégeoix". Vincent

de Bueren et ses compagnons n'ont pas imposé formellement leur volonté à

la cité. Tout au plus peut-on soupçonner une certaine mainmise de leur part

sur le conseil lui-même, pour les décisions au jour le jour, et une grande

influence sur la foule.

Dans les opérations militaires, nous verrons généralement Vincent

de Bueren conduire le gros de troupes, laissant à Jean de Wilde et Gossuin

de Streelles opérations de commando ou d'avantgarde. Toutefois, nous

nous garderons de minimiser l'importance de ses deux compagnons. Ces

hommes d'action charismatiques étaient pour Vincent plus que des

lieutenants: des partenaires à part entière. La tête pensante de la cité était

bien une trinité=v.

338Sur le conseil de la cité, voir KURTH, La cité de Liège au Moyen-Âge, t. II, pp. 130-150; HARSIN, Etudes

critiques sur l'histoire de la principal/té de Liège, 1. I, Liège, 1957, pp. 312·313. Notons que nous ignorons sur quel

mode les institutions communales furent restaurée le 10 septembre: sur celui du régiment de Heinsberg, ou sur le

mode antérieur à la défaite d'Othée? M. F!anckson penche pour la seconde hypothèse (M. FRANCKSON, Les

bourgmestres de Liège au Moyen-Age, ses origines à la paix de Saint-Jacques, mémoire présenté en vue de

l'obtention du grade de licencié en histoire, U.L.G., 1982- 1983) puisque l'évêque n'était pas en mesure d'exercer les

attributions que lui conférait le Régiment (nomination des électeurs); il est d'ailleurs probable que les électeurs déjà

en place (ils étaient nommés à vie) aient fui la cité ou aient été tués dans les années antérieures, ou bien le 9

septembre même.

339 Chez Adrien d'Oudenbosch, l'expression "convocatur palatio simul" révèle la tenue d'une telle assemblée. Voici

une liste des réunions de celle-ci en septembre-octobre 1468: Adrien d'OUDENBOSCH, p. 201 et 203 (l0 septembre:

restauration des institutions communales); p. 208 (retour de Louis de Bourbon); p. 209 (l'évêque se plaint au palais du

meurtre de Robert de Morialmé); p. 211 (l'évêque propose au palais d'aller trouver le duc pour parler de paix).

340Selon l'expression de Godefroid Kurth.

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Qu'en conclure? Et comment définir le rôle politique de notre personnage? D'une part, en s'installant au palais, Vincent se pose en alternative à l'évêque. D'autre part, il semble présider les institutions communales, tout en laissant à l'assemblée des métiers une large part de décision. Enfin, il est à la tête des armées liégeoises à la bataille de Lantin. Le titre de "capitaine des Liégeois", qu'il se confère luimême, est des plus vagues. Le terme de "capitaine, chief tain " , en effet, n'a guère de sens précis : "chef, meneur d'hommes", avec généralement une portée militaire> 1 , Mais Vincent n'est pas seulement un chef d'armée, il est aussi un gouverneur, selon l'expression de Jean de Haynin. S'il est devenu le pivot de toutes les entreprises de la cité, il est loin d'en être le seul acteur majeur, et l'on voit notamment émerger la personnalité du maître Ameil de Velroux. Cette idée d'un "capitaine des Liégeois", instaurée par Vincent de Bueren, sera reprise dix ans plus tard par Pierre Rouhaert.

Il ne devait pas être évident pour le capitaine des liég eoix d'asseoir son autorité sur le véritable "bouillon de culture" de citains, partisans et hors-la-loi venus de tous les horizons du pays qu'était rapidement devenue la cité. Vincent disposait de plusieurs atouts: le prestige d'avoir déclenché le mouvement, la direction du groupe de rebelles le plus important et l'avantage de s'être installé au palais le premier; la solidarité avec son cousin Jean de Wilde et le charismatique Gossuin de Streel, l'estime des liégeois et les contacts directs avec le légat.

Adrien nous rapporte cependant plusieurs sources de tension à

l'intérieur même de la ville. Il semble en fait que chacun reconnaissait d'abord l'autorité de son propre chef de bande, mais acceptait plus ou moins les directives venues du palais. La présence permanente de groupes étrangers à la cité, très remuants, était par ailleurs mal ressentie par la population, Plusieurs petits capitaines n'en faisaient qu'à leur tête et continuaient à parcourir les rues en armes avec leurs suivants, même au moment où les négociations semblaient proches de mener à la paix342,

Jean de Loobosch, toujours

34lGODEFROID, Dictionnaire de L'ancienne langue française, 1. IL

342Notammenl Jean Bausaint et un certain Ywan : Adrien d'OUDENBOSCH, p. 204. insiste sur le remue-ménage

que ces deux personnages causent dans la cité; le premier des deux, un patricien, est déja plusieurs fois signalé dans

les pages qui précèdent comme un des fugitivi les plus agités: Adrien d'OUDENBOSCH, p. 198 et p. 203. Il s'agit du

fils de J'échevin du même nom, décédé vers 1439 (Adrien d'OUDENBOSCH. éd. DE BORMAN, p. 312). Un certain

Gilles, fils de Jean Dammeoude, est également signalé par son agressivité au moment où l'on attend le retour de

l'évêque (fin septembre) : méfiant, il s'obstinait à se tenir sur le marché avec ses compagnons, armés de couleuvrines.

Nous ignorons si Gilles Damrneoude était un des proscrits de retour ou bien un citoyen liégeois ayant pris récemment

les armes (bien que l'usage de la couleuvrine nous incite à pencher pour la première solution); l'on sait en tout cas

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suivi personnellement par une centaine de Iossains, était le plus puissant

d'entre eux; la présence de sa troupe dérangeait bon nombre de bourgeoisw. À terme, Vincent de Bueren parvint cependant à contrôler ce personnage et à l'intégrer à l'organisation de Liège. Fin octobre, dans les derniers moments de

résistance de la cité, les partisans sont bien disciplinées et se montrent

capables d'opérations remarquablement coordonnées: Raes de Heers n'était

jamais parvenu à ce résultat.

Signalons, en parallèle, la présence à Liège de Pentecôte de

Grevenbruck, l'épouse de Raes de Heers, attestée dès le 10 octobrc>«. Peut-

être celle-ci préparait-elle le retour de son époux.

Penchons-nous à présent sur les négociations entre l'évêque et la cité.

Dès le 14 septembre, Onofrius, accompagné des députés liégeois, s'embarqua

vers Maastricht pour y rencontrer Bourbon. Au moment du départ, les

bourgeois vinrent en grand nombre sur le quai de la Goffe, pour lui manifester

les espoirs qu'ils plaçaient en son ambassade. En chemin, la délégation tomba

aux mains du sire d'Argenteau, à la solde du Brabant. L'évêque intervint pour

la faire libérer, et rencontra le légat quelques jours après. Le prince consentit à

faire la paix avec la cité, mais ses conditions étaient difficilement acceptable

pour les proscrits : 1°) ceux-ci devraient quitter Liège 2°) les Liégeois

déposeraient les armes et rompraient leurs bannières. Il n'était pas fait mention

du sort des franchises de la cité, nouvellement restaurées>o.

Le 22 septembre, Onofrius, de retour à Liège, expose ces conditions

au palais avec le soutien du modéré Ameil de Velroux. Mais la foule

murmure, et l'intervention de Gossuin de Streel, particulièrement éloquent ce

jour là, suffit à provoquer le refus massif de la population. Les métiers se

réunissent et rejettent les conditions de l'évêque. Pour défendre leur position,

les bannis arguent qu'ils n'ont été chassés ni par l'évêque, ni par le pape, mais

par le duc de Bourgogne, qui n'avait sur eux aucun droit. Ils exhortent la foule

à poursuivre la lutte pour défendre leurs libertés à peine regagnées>".

que Jean Beausaint était bien l'un des fugitifs revenus de France; quant à Jean de Loobosch, nous savons qu'il était le

chef d'une bande d'étrangers à la cité.

343 Adrien d'OUDENBOSCH, p. 204.

344Ibid., p. 209; Jean de LOOZ, p. 58.

34SKURTH, op. cit., t. III, pp. 294-295.

346KURTH, op. cit., t. III, p. 295-298.

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Toutefois, pour prouver leur bonne volonté, les proscrits acceptent de

se retirer en Outre-Meuse et de livrer des otages. Le légat est chargé d'un

nouveau message pour l'évêque, par lequel le prélat est prié de rentrer à

Liège sans tarder, mais supplié de ne pas se faire accompagner des

quelques personnes de son entourage qui avaient encouru la colère du

peuple. Louis de Bourbon accueille favorablement le geste de conciliation

des proscrits et leur accorde le droit de rester en Outre-Meuse, mais refuse

de discuter des franchises de la cité et du retour de ses collaborateurs.

Cependant les Liégeois acceptent ces nouvelles conditions, qui permettent

au moins aux bannis de demeurer à Liège.

Mais lorsque Onofrius vient porter leur réponse à Louis de

Bourbon, celui-ci se montre soudain moins conciliant et fait machine

arrière. Déjà ses troupes convergent vers la cité; plusieurs escarmouches

éclatent aux portes de Liège. C'est qu'entre-temps, Charles le Téméraire

était rentré en jeu. Le 25 septembre, l'évêque s'excuse auprès du légat de

devoir renoncer à toute négociation: le duc vient en effet de l'informer qu'il

compte s'occuper personnellement de la soumission les Liégeois; il lui

annonce l'arrivée des troupes de Gui de Brimeu. Dès lors, Bourbon n'ose

plus faire le moindre pas vers la cité, qu'il sait déjà condamnée>".

Ainsi l'évêque, incapable de faire valoir sa propre volonté dans les

affaires de sa principauté, demeurait un jouet entre les mains du duc.

Onofrius voulut toutefois faire une dernière tentative pour le détourner de

son puissant protecteur. À Tongres, il lui adresse publiquement des paroles

que les trois capitaines liégeois auraient à coup sûr applaudi (28 septembre)

: Tu es témoin de tous les efforts que j'ai fait au nom du Saint-Siège pour te

réconcilier avec tes sujets. Tu as vu que j'étais parvenu à des résultats inespérés. Aujourd'hui, ce ne sont plus tes sujets, c'est toi qui es l'ennemi

de la paix. Si tu refuses de te réconcilier avec eux par peur des princes

étrangers qui ont soif du sang de ton peuple, il ne me reste plus qu'à me

retirer et à voir si je ne dois pas t'infliger le peines canoniques que tu as encourues pour avoir laissé dépouiller ton Église>».

Ces paroles eurent sur le prince l'effet escompté. Ému par les

suppliques de son entourage, il s'engagea par écrit à rentrer à Liège au plus

tôt. Ainsi le légat, répondant aux espoirs de Vincent de Bueren et de ses

compagnons, était-il presque parvenu à rendre à l'évêque, et par là même à

toute la principauté, un début

347Ibid., p. 297-299.

3480NOFRIUS, p. 69.

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d'indépendance. La réconciliation entre Bourbon et ses sujets aurait peut-être

pu neutraliser la riposte bourguignonne si le prince avait eu le courage de tenir

tête à Charles le Téméraire. Mais hélas, il n'en fut rien. Le 30 septembre, les

Liégeois attendirent vainement leur évêque. Au lieu de leur prince, ce sont les

soldats bourguignons qu'ils voient arriver à quelques lieues seulement de la

cité, dévastant quelques villages dans les environs.

Aussitôt, des troubles éclatent à Liège. On ne croit plus en la parole du

prince; on ne croit plus même en celle du légat, que quelques esprits échauffés

veulent agresser dans sa retraite de Saint Jacques: une soixantaine de citoyens

durent s'improviser ses gardes du corps contre ce péril. Onofrius décide alors

de ne plus attendre Bourbon davantage et d'aller lui-même le rechercher à

Tongres dans une suprême tentative de conciliation. Directement escorté par

Vincent de Bueren et Gossuin de Streel, il prend la route le dimanche 2

octobre. À mi-chemin, la petite troupe rencontre des hommes d'armes envoyés

à sa rencontre par le prince. Aussitôt, le légat conseille à son escorte de ne pas

s'avancer plus avant pour ne pas risquer une échauffourée, prend congé d'elle

et rejoint les soldats épiscopaux 349.

Parvenu à Tongres, Onofrius ne peut que constater la soumission de

l'évêque à Charles le Téméraire. Bourbon exhibe une lettre du puissant duc:

celui-ci consent à laisser son protégé se réconcilier avec son peuple, sous

condition expresse qu'il ne modifie rien à la sentence du 26 novembre. Toute

modification, ajoute-t-il, serait considéré par lui comme une déclaration de

guerre. Au vu d'une telle lettre, il était clair que le faible Louis de Bourbon

n'oserait plus se compromettre davantage dans des négociations, Le légat fit

donc une dernière tentative auprès de Gui de Brimeu, qui venait d'arriver à

Tongres avec 4000 hommes; celui-ci se retrancha également derrière la

volonté de son duc35o,

Les Liégeois avaient déjà compris que tout espoir de paix était

désormais vain, Les capitaines résolurent donc d'entrer en action et de

s'emparer de leur prince par la force. Le 8 octobre, ils se décident pour une

surprise nocturne, la seule stratégie qui avait une chance de réussir au vu de

leur infériorité militaire. Vers 5 heures, Jean de Wilde et Gossuin de Streel

réunissent leurs "hommes; Jean de Loobosch fait de même avec ses

compagnons dans un pré devant Saint-Laurent. En faisant un large détour à

travers la Hesbaye, tous

3490NOFRIUS, p. 81-82.

350KURTH, pp" 302-304.

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se dirigent vers Tongres>', évitant ainsi les éclaireurs de l'ennemi. Vincent

de Bueren, lui, demeure à Liêget>- : sans doute était-il plus prudent de

laisser à la cité l'un de ses chefs, alors que Gui de Brimeu pouvait toujours

gagner l'expédition liégeoise de vitesse et menacer la ville. De plus, peut-

être le pouvoir des proscrits, encore instable, risquait-il de vaciller si tous

leurs chefs étaient absents.

Tongres n'avait plus de murailles depuis Brustem. La garnison

bourguignonne ne s'attendait à aucun assaut et s'était laissée aller à boire la

majeure partie de la nuit, si bien que les Liégeois pénétrèrent sans difficulté

dans la ville. Onofrius nous a laissé un récit haut en couleur de cet épisode:

se répandant dans les rues, les assaillants massacrent tous les soldats qui

leur tombent sous la main, tout en recherchent activement Louis de

Bourbon et Gui de Brimeu. Ceux-ci, quittant in-extremis leur résidence par

les jardins, viennent rejoindre Onofrius dans son hôtel et se placent sous sa

protection. Au petit matin, les liégeois parviennent devant cet hôtel et

réclament le légat. Celui-ci émerge de la demeure, découvre une rue

jonchée de cadavres sur lesquels se penchent des détrousseurs et,

surmontant le sentiment de désolation qui s'empare de lui à cette vue,

monte sur une petite échelle pour se révéler aux pillards. S'exprimant du

mieux qu'il peut en français, il demande à s'entretenir avec Vincent de

Bueren et les autres capitaines. On l'accueille avec respect; on lui répond

que Vincent est resté à Liège, et que seuls Jean de Wilde et Gossuin de

Streel sont présents. Onofrius fait mander ceux-ci au plus vite devant lui353•

Questionné par le légat sur les intentions de sa troupe, Jean de Wilde

répond qu'il ne désire qu'une chose : voir son évêque l'accompagner à

Liège. Dès lors, Bourbon n'a plus vraiment le choix. Il paraît devant les

Liégeois et accepte de les suivre à condition de pouvoir se faire

accompagner par les membres de sa cour et d'être traité avec les honneurs

dus à son rang. On lui répond que ses suivants disposeront d'un sauf-

conduit, à l'exception de ceux que la cité considère comme traîtres. Gui de

Brimeu se révèle

351 Adrien d'OUDENBOSCH, p. 204.

352Theodoricus PA UU, p. 211, prétend que Vincent menait l'expédition; mais ONOFRIUS, p. 95, affirme

clairement qu'il n'était pas au nombre des capitaines présents à Tongres; et Adrien d'OUDENBOSCH. p. 204,

qui énumère les chefs de celle entreprise, ne le nomme pas. On n'hésitera guère à rejeter le témoignage (souvent

fantaisiste) de Theodoricus Pauli, d'autant plus qu'Onofrius, qui fut lui-même assiégé dans son hôtel à Tongres

par les liégeois et est donc un témoin des plus direct, avait demandé à s'entretenir avec Vincent de Bueren, et

s'était vu répondre formellement que celui-ci était resté à Liège: il n'y a pas lieu de mettre son témoignage en

doute.

3530NOFRIUS, p. 94-96; voir aussi ANGE DE VITERBE, col. 1442-1444; Adrien d'OUDENBOSCH, p. 205;

et également THEODORICUS PAUU, p. 212, et HENRI DE MERICA, pp. 173-174, qui donnent de cet

épisode un récit plus fantaisiste.

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également aux capitaines et se constitue prisonnier sous serment, sous

condition de n'être pas emmené à Liège, de disposer d'un délai de 40 jours et

de pouvoir disposer de ses armes. Jean de Wilde lui accorde toutes les

garanties désirées: il devra ruser pour les faire respecter, en homme

d'honneurv-. La troupe triomphante peut, dès lors, reprendre le chemin de la

métropole. Le jour même, l'évêque rentrait enfin à Liège.

Vincent de Bueren, informé de son arnvee, conduisit à sa rencontre une

grande partie de la population de la cité; Louis de Bourbon fit alors son entrée

en grande pompe (9 octobre). Nul doute que ces festivités ne purent dissiper

totalement son sentiment d'être un prisonnier de marque plutôt qu'un prince de

retour.

Le lendemain, Onofrius déjouait les manoeuvres de Louis XL Répondant à la demande de renforts qui lui avait été adressée début

septembre, le roi de France avait envoyé une délégation à la cité. Le légat,

après avoir consulté l'évêque pour la forme, écarta les ambassadeurs et rompit

ainsi les contacts entre Liège et la France. Il est malheureusement impossible

de déterminer si Onofrius avait agi à l'insu des capitaines. Peut-être ceux-ci

n'avaient-ils eu d'autre choix que de le laisser faire en raison de la présence de

l'évêque, officiellement redevenu leur prince par leur propre volonté, ou tout

simplement parce que c'était au légat lui-même que le roi de France avait

adressé sa délégations». Le lendemain, les liégeois déposaient les insignes

français pour écouter le premier discours de Louis de Bourbon.

L'évêque retrouvait un semblant de dignité en s'adressant à la foule (11

octobre) : Mes enfants, nous avons été réciproquement en guerre, je l'ai

faite contre vous, et vous l'avez faite contre moi; je trouve maintenant que j'ai été mal informé,' prenons à l'avenir une sage résolution. Soyez pour

moi des enfants bons et soumis, je veux être bon prince pour vous; ayez

confiance en moi, parce que je veux vivre et mourir avec vous, mais il faut

que tous soit pardonné de part et d'autre ... le sire de Bueren a été votre capitaine, désormais je veux l'être moi-même en personne; ayez confiance

en moi comme moi en VOUS356. Ainsi l'évêque proclamait-il la fin de la

"mambournie" de V incent de B ueren et son retour à la tête des affaires de

Liège. La cité retrouvait un régime communal et épiscopal: les deux maîtres

354Voir le récit que donne de ccl entretien CHESTRET DE HANEFFE, Jean cie Wilde, op. cit., pp. 12- 13.

355Dans le but, dit Kurth, de compromettre le Saint-Siège (KURTH, p.306)

356Adrien d'OUDENBOSCH, p. 208.

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étaient maintenus malgré la sentence du 26 novembre 1467; quant aux

capitaines des proscrits, ils n'étaient pas exclus de la structure politique,

puisque Jean de Wilde se voyait confier la verge du mayeur et devenait

ainsi la plus haute autorité judiciaire du pays. Il est d'ailleurs probable que

la foule aurait mal accepté l'écartement pur et simple des hommes qui

l'avaient amenée à ces heureux résultats. Il est difficile de préciser le rôle

exact de Vincent dans les jours qui suivirent; il est probable qu'il restait fort

présent auprès des autorités qu'il avait lui-même rétablies et qu'il préparait

la guerre contre la Bourgogne. Peut-être imposait-il tacitement ses volontés

à l'évêque; sans doute était-il toujours l'homme fort de la cité.

L'on fit revenir à Liège les biens de Louis de Bourbon. Le grand

intendant du prince était Robert de Morialrné, successeur d'Allard de

Bueren comme archidiacre de Famenne. Par sa collaboration avec l'ennemi,

il était devenu l'un des hommes les plus honnis des Liégeois»". Blessé au

combat de Tongres, il était demeuré dans cette ville après le départ de son

maître. Le prince le fit bientôt mander auprès de lui et le chargea de

ramener ses trésors au palais. L'archidiacre se fit donc conduire à Liège,

installé sur une charrette au beau milieu des joyaux de l'évêque. En chemin,

le convoi rencontra une bande de "pillards»!" en armes. Ceux-ci,

remarquant la richesse des biens convoyés, se mirent à rôder autour du

chariot, et s'informèrent de leur provenance. On leur répondit qu'il s'agissait

des trésors de Louis de Bourbon et du légat, et les pillards potentiels

s'abstinrent d'abord de toute agression. Mais à ce moment, un adolescent

reconnut le blessé et le désigna à la fureur de ses compagnons. Aussitôt,

Robert de Morialme fut mis en pièce de la façon la plus atroce qui soit359.

Le prince réclama aussitôt le prix de cette insulte au grand mayeur, et

le légat lui-même, qui s'était donné trop de mal pour laisser ainsi ruiner son

oeuvre de concorde, brandit la menace de l'interdit. Jean de Wilde

s'empressa donc d'ouvrir une enquête pour punir les auteurs du crime. On

en découvrit deux ou trois dans un village voisin, qui avaient emportés avec

eux des vases précieux appartenant à l'évêque et se désignaient donc

comme des coupables incontestables; ils furent jetés en prison, mais leur

jugement fut postposé en raison de la guerre avec la Bourgogne.

Cependant, le légat acquit peu après la conviction que Vincent de Bueren

était le

357DE THEUX, op. cit., t. Il, p. 270.

358C'est le Lenne employé par Onofrius. Il s'agit certainement d'une bande de liégeois.

3590NOFRIUS, p. 106-107; Adrien d'OUDENBOSCH, p. 209.

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commanditaire du meurtre, ou tout au moins qu'il l'avait encouragé d'une

façon ou d'une autre : Il lui découvrit un mobile lorsque l'évêque, soulageant

sa conscience, lui avoua comment il avait luimême, de façon partiale, privé

Allard de Bueren de l'archidiaconat de Famenne pour confier celui-ci à Robert

de Morialmé=''. Si Vincent a bien trempé dans ce meurtre, il a agi par

vengeance et par solidarité familiale.

Entre-temps, le roi de France lui-même se retournait contre les liégeois.

La nouvelle du coup de main sur Tongres était parvenue le Il octobre aux

oreilles du duc, alors qu'il négociait à Péronne avec Louis XI. Aussitôt,

Charles le Téméraire entra dans une colère noire et, voyant clair dans le jeu

du monarque, s'en prit à lui, Craignant pour sa vie, Louis XI apaisa son

adversaire en lui promettant son soutien militaire contre ses anciens alliés.

Aussitôt, ces deux puissants personnages se mirent en campagne à marche

forcée361.

la principauté n'eut pas même le temps de refaire son unité.

Parti proclamer la réconciliation nationale dans le comté de Looz, Ameil de

Velroux dut rebrousser chemin à l'annonce de l'arrivée des bourguignons: une

avant-garde de 4 à 5000 hommes, menée par le maréchal de Bourgogne362, qui

s'établit à Tongres et la pilla le jour même, Dans les jours qui suivirent, leur

nombre augmenta sans cesse; leurs troupes commencèrent dès lors à ravager

les campagnes hesbignonnesw.

Une assemblée du palais fut à nouveau réunie; on y décida d'accorder

un sauf-conduit aux capitaines bourguignons pour venir s'entretenir avec

Louis de Bourbon à Liège-=. La rencontre ne donna guère de résultat. Les

Liégeois étaient prêts à se soumettre à toutes les injonctions du duc pour

obtenir la paix, mais refusaient le départ des bannis et hésitaient à livrer leurs

armes à l'ennemies.

Après le départ de la délégation bourguignonne, le légat prodigua aux

liégeois son "ultime conseil": il tenta de les persuader de ne pas aller au

devant de l'adversaire, mais de demeurer à Liège

3600NOFRIUS, p. 108: Compertum est autem postea VincemillS Bueren fieri fecisse ob causant fratris sui, quem

magister Robertus ill permutatio cuiusdam dignitatis deceperat : idque episcopus sibi in faciem dixit, presente

legato, non sille dus ri/bore; licet excusatione levi.

361 Voir le récit de l'entrevue de Péronne chez Philippe de COMMYNES, mémoires, éd. par J. CALMETfE, t.

1 (1464-1474), Paris, 1924 (Les classiques de l'Histoire de France y, pp. 146-148.

362plülippe de Savoie.

363KURTH, t. III, p. 308.

364 Adrien d'OUDENBOSCH, pp. 209-210.

365KURTH, op. cit., t. III, p. 309.

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pour ne pas aggraver la colère du Térnéraire=e. Les liégeois ne purent se

résoudre à une attitude aussi passive. Mieux valait mourir en tentant sa chance

que d'attendre en vain une illusoire clémence.

8. Les derniers jours de Liège

Liège s'organisa donc du mieux qu'elle put pour résister. On fit venir

des renforts du Franchimont et du Rivage; on fit proclamer que les absents

devraient rentrer dans les trois jours sous peine d'être tenus pour ennemis. Le

21 octobre, ravant-garde bourguignonne stationnée à Tongres se mettait en

marche vers la cité; diverses escarmouches éclataient sur son chemin.

Quelques villageois arrivèrent à Liège pleins de confiance, exhibant l'or qu'ils

avaient pris sur les cadavres de pillards isolés; ils vinrent informer Vincent de

Bueren de l'arrivée de l'ennemi. Il fut convenu de se porter à la rencontre de

celui-ci dès le Iendemainw', malgré les réticences de Jean de Wilde: en fait,

celui-ci fut presque haché menu par les Liégeois pour n'avoir pas fait montre

de l'ardeur que l'on attendait de lui368, si bien que l'on peut se demander si les

capitaines avaient eux-mêmes décidé de la bataille ou si, comme à l'époque de

Raes de Heers, ils avaient été contraints de suivre leurs troupes.

Vincent prend donc les choses en main. Durant la nuit, il rassemble les

forces liégeoises: environ 4000 hommes de pied et 700 cavaliers, selon

Adrien369• Onofrius porte ces chiffres à 8000 combattants, dont un millier à

cheval=v, alors que Jean de Haynin parle de 10000 ou de 11000 hornmess? r.

La cavalerie était improvisée : elle était constituée principalement de partisans

peu habitués aux batailles rangées, montés sur les bêtes enlevées aux

3660NOFRIUS, p. 123.

367 Adrien d'OUDENBOSCH, p. 210. Cet auteur commet une erreur quand il signale que les Bourguignons devaient

quitter Tongres le lendemain matin (22 octobre) : ils étaient déjà en route le 21, et avaient établis leur campement le

soir même à Lantin (cff. Jean de HAYNIN, t. Il, p. 71). 3680NOFRIUS, p. 126.

369 Adrien d'OUDENBOSCH, p. 211.

3700NOFRIUS, pp. 126-127.

371 HA YNIN, t. II, p. 72 : un chiffre probablement grossi par la propagande bourguignonne, dont Haynin se fait

souvent l'écho. Cl. GAIER, Art et organisation militaire. dans la principauté de Liège au Moyen Âge, op. cit, p. 72,

juge les chiffres d'Adrien d'Oudenbosch plus crédibles.

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troupes de Gui de Brimeu lors du coup de main sur Tongresv". Quant aux

milices de la cité, elles avaient fait jusque là la preuve de leur indiscipline

dans les guerres contre la Bourgogne. Le 22 octobre, aux petites heures,

cette armée de fortune quittait la cité et marchait à la rencontre de l'ennemi.

Le maréchal de Bourgogne avait établi son campement non loin du

village de Lantin. Les Liégeois espéraient l'y surprendre tôt dans la journée.

Hélas, non loin d'Othée, ils rencontrèrent un fort parti d'éclaireurs montés,

lesquels prirent aussitôt la fuite et s'en allèrent prévenir leurs chefs de

l'attaque imminentes">. L'effet de surprise était en grande partie perdu, Jean

de Haynin=- décrit le branle-bas de combat causé par la nouvelle dans le

campement bourguignon : chacun s'arme au plus vite, sangle sa salade,

retrouve sa monture. Sitôt qu'il peut rassembler assez d'hommes sur pied de

guerre, le maréchal court sus à l'ennemi sans attendre les traînards. Le

premier choc lui est défavorable. Les Liégeois, dans leur élan, menacent

même un temps de le déborder sous leur nombre. Mais bientôt, le sire de

Ravensteinr'- arrive en renfort avec le restant des troupes, Dès lors, la

cavalerie bourguignonne se montre la plus forte: celle des patriotes ne peut

leur résister et tourne bientôt les talons. Les Liégeois rompent alors les

rangs et prennent la fuite. Vincent fait preuve en ces circonstances d'un

courage exceptionnel: il n'hésite pas à descendre de cheval pour tenter de

rallier ses troupes, hypothéquant ainsi son propre salutv«. Mais rien n'y fait;

les vaincus sont poursuivis et massacrés impitoyablement jusqu'aux portes

de la cité377.

Quelques centaines d'hornmcsr'e se sont réfugiés dans l'église de

Lantin. Ainsi piégés en plein coeur de l'armée bourguignonne, ils se

vendent bravement sous la conduite d'un chevalier dont l'histoire a

3720NOFR1US, p. 127.

373Adrien d'OUDENBOSCH, p. 211; Jean de HAYNIN, t. II, p. 72.

374Ce chevalier-chroniqueur accompagnait l'avant-garde bourguignone. 11 est un témoin direct, des plus fiable, si

l'on excepte sa tendance à se faire J'écho de la propagande des chefs de l'année, notamment en matière de chiffres.

375Adolphe de Clèves, sire de Ravenstein. 376

Adrien d'OUDENBOSCH, p. 2\1.

377HAYNIN, II, p. 72, témoin direct, nous permet de suivre la bataille du point de vue bourguignon; inversement,

ONOFR1US, pp. 124, nous la fait vivre du côté liégeois. Adrien d'OUDENBOSCH, pp. 210-211, en donne un récit

nettement moins complet et parfois erroné (en le lisant, on a l'impression qu'il n'y eut pas même d'engagement). Jean

de LOOZ, p. 59, et PICCOLOMINI, p. 378, sont des plus brefs; Jean de MASILLES, p. 305, et Antoine de LOISEY,

p. 303 complètent le point de vue bourguignon. Dans notre récit de j'épisode, nous avons principalement confronté De

Haynin et Onofrius, qui concordent à tout point de vue; quelques données d'Adrien (rencontre des éclaireurs) et de

Jean de Masilles, confirmées tacitement par Jean de Haynin, ont également été prises en compte. 3782 à 300 selon Jean de HAYNIN; 500 selon ONOFRIUS et Jean de MASILLES.

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oublié le nom. L'ennemi les assiege longtemps, se heurtant à une résistance

désespérée qui lui arrache parfois des cris .l' admira tions r'"; mais bientôt

l'église est prise et les Liégeois massacrés jusqu'au dernier380•

La journée de Lantin coûta à la cité un petit millier d'hommes e n v iro n-

t+, et anéantit définitivement tout espoir de victoire nilitaire. À Liège, l'arrivée

imminente de l'ennemi provoqua une oanique sans précédent. Une grande

partie de la population prit la 'uite; Louis de Bourbon lui-même se réfugia

dans la grande tour de Saint-Lambert en compagnie du légat et de plusieurs

centaines de »ourgeo is. Mais bientôt on put voir l'armée se retirer

rrovisoirement: si elle avait su ce qui se passait dans la cité à ce noment,

constate Godefroid Kurth, elle aurait pu s'emparer d'elle

)( coup férir382.

Le lendemain, une rumeur consternante vint porter un coup

.upplérnentaire au moral des Liégeois: on disait, sans trop pouvoir y .roire,

que le roi de France marchait avec l'ennemi. L'assemblée du ialais fut réunie

le matin même. Onofrius proposa d'accomplir un lernier effort diplomatique:

il irait lui-même avec le prince trouver =harles le Téméraire pour lui parler de

paix. Ce projet suscita une live discussion au sein de l'assemblée, car on ne

pouvait plus guère .spérer de miracle de cette ambassade, et beaucoup

jugeaient que les .leux prélats étaient de précieux otages pour la cité. Mais

l'éloquence l'Ameil de Velroux pesa à nouveau dans la balance, et l'on finit

par ;e ranger à l'avis du légaP83. Ainsi les Liégeois plaçaient-ils, pour la

rremière fois, un peu de confiance dans la personne de leur ~Y·ue384.

Le courageux Ameil se joignit à la délégation. Le jour même, lean de

Wilde escorta celle-ci jusqu'aux abords du campement de __ antin, avant de

s'en retourner vers la cité, laissant les ambassadeurs ivrés à eux-mêmes.

L'accueil bourguignon fut des moins cordiaux:

·79 Jean de MASILLES: "et les conduisait ung chevalier, le capitain, bien vaillant homme; ... et jurent là aictes de

grans vaillances d'une part et d'autre, et se vendirent bien les villains, lesquelz. à la fin, 'emorarent tOIlS mors avec

leurdit capitain, el Ile print 011 point cedit jour ung seul prisonnier, ains fut out mis à l'espée. "

380Yoir E. FAIRON, Lantin et Loncin. Del/X noms glorieux de I10S fastes militaires, dans E. ; AIRON, Miscellanées

historiques, Liège, J 845, pp. 187-192.

;8 J Selon l'estimation de CI. GAlER, Art et organisation militaire dans la principauté de Liège, op. cir., 1.72. '82 1 KURTH, t. III, p. 312. 'S3 ' KURTH, t. III, p. 312.

i84Mais les liégeois tinrent à garder en otage les membres de l'entourage du prince; ainsi pouvaient-ils se irémunir

contre toute trahison de Louis de Bourbon. Jean de Loobosch fut donc chargé. de garder les (bords du palais pour

empêcher les otages de l'accompagner (Adrien d'OUDENBOSCH, p. 211).

100 101

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mains audacieux, héritage des exploits de son père en Gueldre. C'est sans

doute de ces deux acquits militaires préalables que dérivera la stratégie des

Liégeois; c'est l'imagination et la ténacité qui, mieux qu'un roi de France

félon, deviendront leurs meilleures alliées. Grâce à elles, une poignée

d'assiégés vont parvenir à causer plus d'une alerte sérieuse à leur tout-puissant

ennemi.

Le soir du mercredi 26 octobre, l'avant-garde bourguignonne, menée

par le sire de Ravenstein et Philippe de Savoie, pénétrait dans le faubourg

Saint-Leonard. La pluie et la boue s'alliaient pour rendre difficile la

progression d'une armée. Les Liégeois se retranchèrent derrière les murs de la

cité. Les bourguignons, peut-être trop en confiancewv, voulurent provoquer

l'ennemi avant d'avoir affermi leurs positions : ils incendièrent quelques

maisons du faubourg et approchèrent leurs enseignes de la porte Saint Léonard

pour tenter un premier assaut. Il leur en coûta deux drapeaux, car les Liégeois

sortirent de leurs retranchements et les tinrent en respect trois heures durant,

avant d'être refoulés derrière leur murs.w'

La nuit vint donc surprendre une armée bourguignonne maîtresse du

faubourg, mais fort désorganisée: debout sous la pluie battante, enlisés dans la

boue, hommes et bêtes attendent un ravitaillement qui tarde; dans la

pénombre, les chefs tentent sans grand succès de donner un semblant dl ordre

à leurs positions. À la fin, chacun se loge où il peut dans les maisons

environnantes, sans grande ordonnance, et parfois loin de son chef de lance392.

Quand ils virent ceste [ollie et maulvais desordre=s, les capitaines liégeois

décidèrent aussitôt d'en tirer parti pour causer un maximum de pertes aux

assiégeants.

La sortie de la nuit du 26 au 27 octobre est peut-être l'épisode des

guerres entre Liège et la Bourgogne le mieux documenté, grâce notamment à

la publication, par E. Poncelet, de nombreux témoignages de soldats

bourguignonsv-. C'est la première opération

390Pour COMMYNES (p. 148), les soldats de l'avant-garde étaient pressés par l'attrait du butin; s'ils avaient pu

prendre Liège sans attendre le gros de l'année, ils n'auraient pas hésité à le faire.

391 Adrien d'OUDENBOSCH, p. 212; Jean de MASILLES, p. 306; HA YNIN, p. 73; Enquête touchant la mort du chevalier Co/art de Vendegies, tombé art combat de Saint-Leonard lez-Liège le 27 octobre 1468, éditée par E.

PONCELET, Le combat du faubourg Saint-Léonard à Liège, 27 octobre /468, p. 278 et 286.

392HA YNIN. t. II, p. 74; COMMYNES, p. l48, Enquête touchant la mort de Collart de Vendegies, p. 279 et 282.

393COMMYNES, p. 148.

394E. PONCELET, Le combat dit faubourg Saint-Leonard, il Liège, le 27 octobre J 468 , dans A. H. L.. t. 2 (1940),

pp. 268-295 : Mr Poncelet a retrouvé, dans les archives de la cour souveraine de Mons, le procès verbal d'une enquête

datée de février-mars 1469, visant à établir le décès du chevalier Collart de Vendegies. Celui-ci. qui faisait partie de

J'année bourguignonne, était tombé lors de cette fameuse attaque

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"de commando" des assiégés, Au beau milieu de la nuit, Jean de Wilde

rassemble un certain nombre de partisans, principalement franchimontois et

rivageoisw>, armés de piques et de plommées en fer396, Sous la conduite du

courageux capitaine, ils sortent par Païenporte, progressent silencieusement

parmi les vignes qui couvrent les coteaux et s'infiltrent dans le campement

bourguignon. Là, peut-être partagés en différents groupes>?", ils

commencent à massacrer furtivement tous les hommes qu'ils rencontrent,

s'approchant calmement de leur victimes comme s'ils étaient des

Bourguignons, avant de se ruer sur elles et de les abattre, puis de s'éloigner

aussitôt pour reprendre cette comédie mortelle un peu plus loin. Parfois ils

pénètrent dans les maisons et en massacrent tous les occupantsws. L'effet

est dévastateur: bientôt, tout le campement est en alerte, mais dans

l'obscurité, nul ne sait plus qui est liégeois, qui est bourguignon: on voit de

petits groupes d'hommes armés, que l'on est incapable d'identifier avec

certitude, arpenter les rues dans les ténèbres et se ruer les uns sur les autres;

plus d'un chevalier bourguignon périt de s'être rallié à la mauvaise

enseigneê?s. La panique gagne bientôt les coeurs les plus enhardis, d'autant

plus que nul ne connaît le nombre réel des assaillants, et que la nuit et la

confusion sont propices à toutes les affabulations. Dans ces conditions, les

commandeurs de l'avant-garde bourguignonne éprouvent toutes les peines

du monde à réorganiser leurs troupes-w. Les témoignages de soldats

publiés par E. Poncelet sont encore tout empreints de la terreur qui envahit

leur campement cette nuit-là.

Mais ce n'est pas encore tout. Rassemblés derrière la porte Saint-

Léonard, le gros des forces liégeoises tente une sortie pour profiter de la

panique et mettre l'ennemi en déroute. L'échec de cette entreprise n'est dû

qu'à la présence d'esprit de certains chefs bourguignons, qui, ayant prévu le

piège, tirerent avecques leurs

nocturne. Ce document exceptionnel comprend notamment plusieurs témoignages de soldats bourguignons, compagnons

du défunt, qui avaient vécu avec lui cette péripétie et en donnent tour à tour une relation circonstanciée.

395Adrien d'OUDENBOSCH, p. 212.

396E. PONCELET, op. cit., p. 275.

397 C'est ce qui ressort d'une étude attentive des différents témoignage compris dans l' Enquête. 398Cette

technique est décrite tout particulièrement par HA YNIN, t. Il, p. 74.

399Cest notamment ce qui arriva peut-être à Colart de Vendegies, que ses compagnons virent, le plus calmement du monde, s'approcher d'un groupe armé en constatant placidement: "allons! voilà nos gens!"; mais aussitôt qu'il se fut

dirigé vers lui, ses compagnons crurent y reconnaître des liégeois avec lesquels ils avaient déjà croisé le fer quelques

minutes auparavant dans la confusion la plus totale (Enquête touchant la mort de Collart de Vendegies, p. 280); c'est

la dernière fois que des témoins aperçurent Collart de Vendegies en vie. Nous résumons cette péripétie dans le but de

donner une idée du chaos régnant alors dans le campement, que les différents témoignages de l'Enquête rendent à

merveille.

400COMMYNES, p. 148; HA YNlN, p. 75; Adrien d'OUDENBOSCH, P. 112; ONOFRIUS, p. l69; Enquêtes

touchant la mort de Col/art de Yendegies ... , pp. 277-296.

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enseignes droit à la porte, de paour qu'ils ne saillissent par là.v»: Les

Liégeois sont donc reçus vigoureusement et contraints de se replier dans la

cité402,

Selon Ange de Viterbe, c'est Vincent de Bueren qui mène cet assaut

massif. Le poète nous décrit longuement son duel contre Jean de Berghe:

ralliant les bourguignons, ce dernier a fait reculer les Liégeois dans

l'embrasure de la porte, Mais survient Vincent de Bueren, "ce héros", qui

abat le cheval de son adversaire et menace de l'achever; les troupes

bourguignonnes ont toutes les peines du monde à protéger le blessé de la

fureur de son ennemi et à repousser les Liégeois derrière leur remparts'».

Ange de Viterbe est le seul à souligner le rôle de Vincent dans cette

entreprise. Nous avons déjà signalé la méfiance qui s'impose lorsque l'on

utilise son oeuvre comme source. Cependant, il est tout à fait logique de

trouver encore une fois le principal capitaine des Liégeois à la tête du gros

des troupes; on admettra difficilement qu'il dormait au moment où

l'ensemble de ses hommes s'engageait dans cette opération si prometteuse.

Le silence des autres sources à son propos ne doit en rien nous inquiéter'?'.

Alors même que l'assaut massif avait échoué, Jean de Wilde et ses

compagnons poursuivaient leur oeuvre de destruction au sein du

campement+". Seules les premières lueurs du jour viennent révéler leur

petit nombre à l'adversaire; dès lors, il leur devient impossible de se

confondre encore avec la soldatesque ennemie. Celle-ci se ressaisit,

identifie facilement les intrus et commence à les repousser vers la cité. Jean

de Wilde est grièvement blessé; trouvant la porte Saint-Léonard fermée, il

parvient à se hisser par-dessus la muraille, pour venir mourir à l'intérieur de

la cité. Son sacrifice n'aura pas été vain : les Bourguignons ont perdu plus

d'hommes dans cette escarmouche qu'au combat de Lantin406, Deux mille

archers ont pris

401COMMYNES, p. 149.

402COMMYNES, p. 149; HAYNIN, p. 75; ONOFRIUS, p. 169; ANGE DE VITERBE, col. 1468- 1470.

403ANGE DE VITERBE, col. 1469.

404En dehors d'Ange de Viterbe, les témoignages de source liégeoise sont assez brefs. Tous ne précisent

d'ailleurs pas que Jean de Wilde menait l' "infiltration" dans le campement, qui, souvent, a seule retenu leur

attention (voir, par exemple, Adrien d'Oudenbosch).

405HA YNIN, p. 175: "mes les autres demorerte toujours es rues el au chans jusques GU jour quil furie

pareillement comme les mitres reboutes et plusieurs tues. ''; COMMYNES, p. 149.

406 Jean de Haynin parle de 210 tués, Commynes de 800 et Onofrius de 1500. Le chiffre de Haynin est

certainement trop bas: il résulte de la dissimulation des cadavres décidée par les chefs bourguignons (cfr. plus

bas). Commynes, qui est dans la confidence du duc. est certainement mieux informé des pertes réelles;

Onofrius, enfin, apprit tout ces événements par des témoignages postérieurs, et l'on peut suspecter que la

rumeur avait déja grossi les chiffres lorsqu'ils sont parvenus à ses oreilles.

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la fuite-v", et Gui de Brimeu lui-même a été blessé au combat-và. L'effet

psychologique est considérable: pour y parer, les capitaines de l'avant-garde

firent jeter leurs morts à la Meuse afin de dissimuler leur nombre; à l'inverse,

ils exposèrent les cadavres des Liégeois abattus bien en vue des rerupartssw.

Cette nuit de cauchemar avait épuisé l'envahisseur, déjà fatigué par la rigueur

du climat et les retards de ravitaillement. Des messagers furent envoyés vers

l'armée du duc, pour le prier de se hâter-w.

Le jour même, Charles le Téméraire et Louis XI arrivaient en vue de la

cité. Ils établirent leur campement dans le faubourg SainteWalburge, au-

dessus de la cité; Philippe de Savoie, avec l'avantgarde, gardait sa position au

faubourg Saint-Leonard. Entre les deux armées, on disposa un réseau de

postes de guets à flanc de colline. Le siège n'était pas hermétique : dans les

jours qui suivirent, bon nombre de bourgeois s'enfuirent en traversant la

Meuse+u. L'artillerie bourguignonne entra bientôt en action. Jusqu'à la fin, les

assiégés continuèrent à harceler l'ennemi par d'incessantes sorties menées par

les failles de leurs remparts-re. Aucune d'elles ne devait se révéler décisive,

jusqu'à cette nuit du 29 au 30 octobre, quelques heures avant l'assaut final

prévu par le duc, où les capitaines liégeois imaginèrent une opération de la

dernière chance.

Les Six cent Franchimontois

Nous en arrivons à l'épisode le plus fameux, la célèbre sortie des six

cent Franchi montois qui aurait pu, si elle avait réussi, changer le cours de

l'histoire. Il est peu d'escarmouches qui aient autant intéressé les chroniqueurs;

il est peu d'épisode que les historiens aient décrit avec une telle emphase, que

la littérature se soit approprié avec une telle ferveur. C'est ainsi que Vincent de

Bueren entre dans l'histoire par la grande porte. Retenu généralement comme

un des deux meneurs de l'expédition, le capitaine des Liégeois se voit gratifié

d'une solide réputation héroïque. Si une montagne de Liège porte son nom,

c'est en l'honneur de son dévouement patriotique à cette occasion. Il convient

407 Adrien d'OUDENBOSCH. p. 112 et ANGE DE VITERBE. col. 1469. 408

Adrien d'OUDENBOSCH, p. 112.

4090NOFRlUS, p. 169.

410COMMYNES, p. 150.

411 KURTH, t. III, p. 218.

412Jean de MASILLES, p. 306; Antoine de LOISEY, p. 303; COMMYNES, p. 152.

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donc de s'attarder à ce fait d'armes, et d'y mettre en exergue le rôle de

Vincent.

Or, précisément, celui-ci est plutôt flou. A tel point qu'il va falloir

examiner minutieusement les détails de l'expédition, au risque d'avoir des

surprises. La discussion qui va suivre pourra sembler un peu longue; il est

toutefois nécessaire d'analyser encore une fois ce qui n'est, somme toute, qu'un

"détail de l'histoire"!», si l'on veut déterminer correctement la part prise à

l'action par Vincent de Bueren.

Les faits sont suffisamment connus pour se dispenser de les

rappeler+!+, On sait que le commando qui avait pour mission de s'infiltrer

dans le campement de l'armée bourguignonne sur le faubourg Sainte

Walburge, de parvenir jusqu'aux maisons où logeaient le roi et le duc et de les

capturer, était mené par Gossuin de Streel-r>. Certains historiens mettent, à

raison, le rôle de Gossuin en avant, et passent sous silence l'action de Vincent.

D'autres, plus soucieux de détails, nous apprennent que le capitaine des

Liégeois était censé faire diversion sur l'avant-garde bourguignonne, qui

campait toujours au faubourg Saint Léonard: c'est, notamment, la position de

Godefroid Kurth-!é, qui précise que cette diversion, pour une raison inconnue,

n'eût pas lieu. Vincent de Bueren a-t-il donc fait défection cette nuit-là? Et

quel était le but de cette manoeuvre?

Revenons-en donc aux sources. Parmi les nombreux chroniqueurs qui

reprennent l'événement-r', le cardinal Piccolomini est le seul à faire mention

du rôle de Vincent. De même, il est le seul

d413selon le mot de E. FAIRON.

414Sur les Six cent Franchimontois, voir: A. DE NOUE, Promenade à Beaufays, dans B.I.A.L., t. 14, Liège,

1878, pp. 421-524; G. RUHL, L'expédition des six cent franchimontois à Sainte- Walburge (30 octobre 1468) ,

dans B. S. A. H. D. L. , t. 9, Liège, 1895, pp. 147- 157; J. DEMARTEAU, Les six cent franchimontois , dans C S. A. H. D. L., Liège, 1892, p. 73-114; J. COENEN, Franchimontois 011 liégeois, dans BJA.L., t. 42, Liège, 1912,

pp. 249-262; G. KURTH, À la rescousse des 600 Franchimontois. Lettre à M. Henri Pirenne, dans Bulletin de la

classe de lettres de l'Académie royale de Belgique, 1913, p. 486-502; E. FAIRON, Les six cent franchimontois ,

dans Wallollia , t. 22, Liège, 1914, pp. 136-155; L. FRIPPIAT, L'épisode des Six cent Franchlmontois, mémoire

présenté en vue de l'obtention du grade de licencié en histoire, U.L.G., 1973; TH. GOBERT, Liège à travers les

âges. Les rues de Liège, nouvelle éd., 1. V, Bruxelles, 1976, p. 276-284.

415La plupart des chroniqueurs ignorent le nom du capitaine du commando. Cependant, le fait est assez attesté

par le témoignage d'Adrien d'Oudenbosh (op. cit., p. 215) , confirmé par Piccolomini (op. cit., p.379).

416G. KURTH, t. III, Liège, 1910, p. 322.

417 On trouvera une relation de l'épisode des 600 Franchimontois dans les sources suivantes: Adrien

d'OUDENBOSCH, pp. 215-216; PICCOLOMINI, pp. 379-381; ONOFRIUS, pp. 172-173; DE HAYNIN, t. Il,

pp. 76-77; COMMYNES, pp. 154-158; Henri de MERICA, p. 177; THEODORICUS PAULI, pp. 220; ANGE

DE VITERBE, col. 1491-1492; et enfin dans les lettres de Jean de MASILLES et d'Antoine de LOISEY (op.

cit.),

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à prêter aux liégeois l'intention de faire une attaque sur le faubourg Saint-Léonard-te cette nuit-là. Voyons ce qu'il en dit:

les Liégeois, encerclés si étroitement, rapportèrent toutes ces choses aux

deux courageux frères, Gossuin et Bueren. Ce qui restait de leurs effectifs les

suivrait pour qu'ils les mènent aussitôt en quelque lieu que ce soit. Ceux-ci, ayant

réfléchi et convoqué à eux quelques-uns des meneurs, leur font savoir qu'il n 'y a

pas de salut pour la ville s'ils ne tentent pas quelque chose d'audacieux. Comme

tous, aussitôt, se disent prêts à cela pour délivrer la patrie, ils partagent la

troupe entre Bueren et Gossuin et entreprennent, bien entendu la nuit (qui était

imminente) ce plan d'attaque: Gossuin ferait l'assaut sur le camp royal'!", qui

ne devait pas s'attendre à cela

dans une telle armée, tandis que Bueren attaquerait Philippeuv par une

manoeuvre semblable, afin que l'une des deux armées, ayant perçu les clameurs

de l'autre, désespère d'obtenir d'elle du renfort et

soit mise en fuite .................... Tout étant convenu, chacun va vers son but.

Leur courage fut plus grand que leur réussite. Gossuin était déjà parvenu au

camp sans être remarqué, et attendait de recevoir le signal de Bueren, par

lequel il lui serait indiqué que lui aussi était parvenu au camp de Philippe et que

le combat était commencé; mais celui-ci étant exécuté tardivement, certains

impatients de la troupe de Gossuin, se glissent discrètement vers les tentes du roi

et du duc et commencent à les incendier, et cl sauter férocement sur les ennemis.

etc ...

La suite du récit de Piccolornini raconte comment, réveillés trop tôt par l'attaque des "impatients", les Bourguignons de Sainte Walburge prennent les armes et alertent l'avant-garde par leurs cris. Des deux côtés, l'attaque est un échec. Le récit aborde ensuite immédiatement l'assaut final de la ville, sans transition ni repères chronologiques.

A première vue, Piccolomini nous donne ici des indications

précieuses sur la stratégie des Liégeois. Il s'agirait donc de mener une

double "infilrration-n fi de nuit, en profitant de l'obscurité pour faire croire à

des assaillants assez nombreux, qui pourraient se permettre d'attaquer

simultanément les deux camps. En somme, les liégeois auraient recherché

exactement le même effet que lors de la

418pICCOLOMINI. op. cit., p. 379-380.

419Donc sur la partie de l'armée qui campe à Sainte Walburge.

420philippe de Savoie commande l'avant-garde. Donc sur celle-ci, toujours installée au faubourg SaintLeonard

421 Nous ne connaissons pas de terme militaire plus adéquat.

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sortie du 27 octobre, mais en doublant l'action; le but étant tout simplement

de mettre l'armée de Bourgogne en fuite (I).

La version de Piccolomini suscite pourtant rapidement des doutes,

dès qu'on la confronte aux autres témoignages: aucune autre source ne nous

parle de l'attaque de Vincent sur l'avant-garde. Nous allons voir

méthodiquement quels sont les autres problèmes posés par le témoignage

du cardinal.

Et tout d'abord, on peut se demander si Piccolomini a bien compris

que le but du commando de Gossuin, de toute l'opération en fait, était de

mettre la main sur le roi et le duc. Il met l'accent sur une toute autre

stratégie, et fait à peine allusion aux logement des deux princes; on a

l'impression, en le lisant, que les Liégeois se retrouvent à proximité presque

par hasard. Or, que l'opération ait précisément visé cet objectif est

indéniable, et les autres sources sont formelles à ce sujet. La présence des

deux guides422, les propriétaires des maisons où logent le roi et le duc, aux

côtés des "Six cent" suffit d'ailleurs à ôter tout doute sur les intentions

initiales de Gossuin. Mais Piccolomini raisonne selon une toute autre

logique. Manifestement, il ne comprend pas correctement l'événement, et

s'inscrit en faux des autres chroniques avec une toute autre interprétation.

Godefroid Kurth n'a pas tenu compte de cette singulière discordance de logique. Il a tenté de concilier les sources, et donc interprété Piccolomini selon une logique qui n'est pas la sienne, celle, plus juste, des autres témoignages: pour Kurth, la stratégie de Gossuin aurait donc été de "Pénétrer par surprise dans le camp bourguignon et jusqu'au logis du duc et l'enlever ou au besoin le tuer dans son sommeil, pendant que d'autre part une diversion faite contre l'avant-garde bourguignonne empêcherait celle-ci de venir à la rescousse, "423.

Or) cette explication ne tient pas debout, si l'on réfléchit un peu aux faits et qu'on reconnaît aux capitaines liégeois un minimum de lucidité: L'avant-garde bourguignonne était hors jeu dès le départ. Elle ne devait pas rentrer dans les comptes des liégeois. Commynes

422COMMYNES, p. 155 : "El avoient pour guide l'ouste de la maison ail estait logié le Roy, et aussi l'ouste dela

maison où estait logié le duc de Bourgongne "; p. 157 : "Le premier homme des leurs qui fit! tué, JlIt l'hal/ste dudict

duc, lequel ne mourut pas si toust, et l'ouys parler ". Pour mettre ce témoignage en doute, il faudrait admettre que

Commynes soit un fieffé menteur; en outre, on voit mal quel intérêt il aurait eu à inventer ces deux guides.

423G. KURTH, op. cit., l. III, p. 321-322.

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précise que les deux armées, malgré leur proximité apparente, sont coupées l'une de l'autre:

De la porte où nous estions logez jusques à celle où estait notre avant garde y avoit peu chemin par dedans la ville, mais par le dehors y avait bien trois lieues, tant y a de barricanes et de maulvais chemins: aussi c'estoit fin cueur de l'hiver.ï>

Autrement dit, il faudrait longtemps à des renforts éventuels pour

venir de l'avant-garde au faubourg Sainte-Walburge, à partir du moment où

l'alerte serait donnée. Or, Gossuin sait qu'il doit rester discret le plus

longtemps possible, et qu'à partir du moment où il sera découvert, il lui

faudra agir et se retirer très vite avant que les bourguignons surpris n'aient

pu se ressaisir, sans quoi il sera incapable de résister à des ennemis bien

plus nombreux. En clair, le temps que l'avant garde parvienne sur les lieux,

et tout sera terminé, pour le meilleur où pour le pire. Il est donc inutile d'en

tenir compte dans ses calculs.

D'ailleurs, l'arrivée de renforts venus de l'avant-garde, pour

importants qu'ils soient, n'aurait plus changé grand chose à la situation : si

l'alerte était donnée trop tôt, l'ennemi était de toute façon déjà en

surnombre. De plus, l'avant-garde aurait-elle pris la peine de se déplacer en

entendant le bruit des combats? forte de son expérience du jeudi précédent,

elle sait le petit nombre des Liégeois et ne se laisse probablement plus

impressionner.

Autant prévenir toute objection. Si le but de l'attaque sur Saint-

Léonard, dira-t-on, n'était pas d'empêcher cette armée de venir à la

rescousse, peut-être était-il simplement de détourner l'attention des troupes

cantonnées à Sainte-Walburge vers l'extérieur de leur camp? C'est peu

plausible. Dans cette hypothèse, il y a deux cas possibles: ou bien la

diversion est déclenchée, sciemment ou non, avant que l'alerte soit donnée,

et elle a pour effet de la provoquer, réveillant tout le campement y compris

le duc, et réduisant donc sérieusement les chances de Gossuin. Ou bien elle

survient après, et n'est plus d'un grand effet. On voit mal les troupes de

Sainte-Walburge s'intéresser massivement à des événements extérieurs

alors qu'on combat dans leur campement. Donc cette explication n'est pas

très solide non plus; on ne peut arguer en sa faveur qu'une certaine

confusion qui en naîtrait.

424COMMYNES, p. 152. Il insiste encore là-dessus à plusieurs reprises. Signalons qu'il existait des postes de relais

entre les deux années, destinés à maintenir le contact entre elles (KURTH, p. 318).

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En fait, l'attaque sur le faubourg Saint-Leonard ne se comprend que

dans la logique (erronée) de Piccolomini; mais qu'on la confronte au véritable

objectif de l'expédition des Six cent, et il devient impossible de lui donner un

sens.

Piccolomini n'a donc rien compris. On s'étonnera que Kurth en ait fait

un témoin remarquablement bien renseigné. D'autant plus qu'il commet des

erreurs manifestes à tout bout de champ: il fait de Vincent et de Gossuin des

frères; il les connaît d'ailleurs très mal, puisque, pour l'un, il ne donne que le

prénom, et pour l'autre seulement le nom; il ignore manifestement la distance

entre les deux armées; surtout, il ignore le but manifeste de l'expédition.

Piccolomini n'est pas un témoin direct. C'est un italien qui rédige une

chronique des événements de son temps, dans laquelle la chute de Liège

n'occupe qu'un bref chapitre. Nous ne savons pas d'où il tire ses

renseignements. Sa méthode même est douteuse: au lieu de s'intéresser

simplement aux faits qu'on lui rapporte, il reconstitue le conciliabule que les

liégeois ont tenu avant de se lancer dans l'entreprise. Sait-il si les meneurs

convoqués par Gossuin et Vincent se sont dit prêts au sacrifice, sans la

moindre hésitation, sitôt le plan proposé? Non, sans doute; mais il a jugé que

son récit serait plus vivant en l'affirmant. Tout comme, sur base du peu qu'il

savait, il a cherché à comprendre le but de l'expédition et s'est trompé. Dans

ces conditions, peut-on faire primer ce témoin sur Commynes, qui a vécu

l'attaque de très près (rappelons qu'il logeait avec le duc) et qui fait preuve

d'une méthode plus fiable, alors que, on va le VOIr, l'hypothèse de

Piccolomini est en contradiction avec celui-ci?

Par ailleurs, l'erreur de Piccolomini en ce qui concerne l'attaque sur

Saint-Léonard peut s'expliquer facilement par une confusion avec la sortie du

vingt-sept octobre, qui, on le sait, fut menée par de Wilde sur le faubourg en

question. Une explication très plausible, puisque c'est là un événement dont le

cardinal ne parle pas : il aura amalgamé les deux sorties. Les deux

escarmouches se ressemblaient par trop de traits pour que notre auteur ait pu

les distinguer lorsque les faits lui furent rapportés. Le flou chronologique qui

entoure sa narration du siège de Liège atteste bien de son manque de

connaissances précises de ces événements.

On le voit, il y a matière à rediscuter encore une fois le problème des

Franchimontois. Certes, beaucoup d'encre a coulé déjà sur le sujet, mais c'était

souvent pour s'intéresser uniquement à deux questions dans une querelle

d'érudit un peu absurde: étaient-ils six cent? Étaient-ils vraiment

Franchirnontois? Ces questions ont occulté

110

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d'autres problèmes, d'ordre stratégique, et alors que les historiens

argumentaient méticuleusement sur une seule assertion de Commynes, ils

ont pu accepter sans trop réfléchir une hypothèse qui ne tenait pas la route.

Pourtant, il valait la peine de réfléchir plus sérieusement à leur

stratégie. La sortie des Franchimontois est une opération "de commando"

bien conçue, et non l'aveugle tentative de désespérés. Dans sa réalisation,

les liégeois bénéficient de l'expérience du vingtsept octobre, dont elle

reprend, comme nous allons le voir, l'idée stratégique générale. Le

problème posé par le but particulier de l'expédition est le suivant: il ne

suffisait pas à Gossuin de s'infiltrer dans le camp et de parvenir jusqu'à la

maison où logeait le duc, ce qui constituait déjà un exploit. Il fallait encore

pouvoir ramener le prisonnier en ville. Nous ne pensons pas que les

Franchimontois aient eu en tête de tuer le Téméraire, sauf s'ils en étaient

réduits aux toutes dernières extrémités: ils avaient bien plus d'intérêt à le

ramener vivant, et éventuellement le roi avec lui. Il fallait donc prévoir une

solution pour le retour en ville.

Gobert pose honnêtement la question, mais sans, hélas, proposer de

réponse: "Mais comment, après cet enlèvement, auraient-ils pu traverser

une grande armé avec de tels captifs? On les leur eût repris ou, de

désespoir, les ravisseurs les auraient finalement mis à mort. A leur tour,

ceux-ci auraient péri fatalement sous les coups de leur millier d'ennemis

altérés de vengeance.t'œA en croire Gobert, les Liégeois ne se seraient

même pas posés la question. Peuton imaginer ces valeureux capitaines,

devenus des spécialistes des coups de main audacieux, montant

minutieusement une telle entreprise afin d'arriver à grand-peine jusqu'à leur

ennemi, pour ne savoir ensuite que faire de leur(s) captif(s)? Donc les

Liégeois avaient prévu la phase finale de l'expédition, sans quoi toute

l'opération eût été caduque. Ce n'est pas parce cette phase n'a pas été

atteinte qu'il faut l'oublier dans le dessein initial des Franchimontois.

C'est ici que le reste des troupes liégeoises entre en jeu. Commynes parle lui aussi d'une sortie des liégeois destinée à appuyer le

commando. Voyons la description qu'il donne du dessein des Liégeois:

.... pourquoy les surprindroient ( le roi et le duc) si de près qu'il: les

tueraient au prendraient avant que leurs gens fussent

425Th. GOBERT. Les rues de Liège, t. V.p. 280.

III

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assemblez; et qu'ii: n'avaient point Loing à se retirer; et que, au fort, s'il

faillait qu'ilz mourussent pour executer une telle entreprinse, qu'ii:

prendraient la mort en gré, car aussi bien se veoient ii: de tout poinct: detruictz; comme dit est. Ilz ordonnerent oultre que tout le peuple de la ville

sauldroit par la porte, laquelle respondoit du long de la grande rue de

nostrest» faulxbourg, avecques un grand hu, esperant desconfire tout ce qui

estait logé en cedict [aulsbourg. Et n'estaient point hors d'esperance d'avoir

une bien grande .. 427 victoire, ......... .

Et cette sortie eut bien lieu, mais en vain:

Ceulx qui estaient ordonnés à saillir par la porte, saillirent, mais il:

trouverent largement gens au guet, et qui ja s'estoient assemblez, qui tous les

rebouterent et ne se monstrerent plus si apres que les aultres.vs

Notre illustre auteur donne noir sur blanc la solution prévue par les

liégeois au problème que nous venons de poser. Quand il parle de la sortie

par la porte Sainte-Walburge après avoir précisé que "ilz n'avaient point

loing à se retirer" notre chroniqueur poursuit le fil de ses idées en toute

logique. L'un et l'autre élément sont les raisons, bien comprises par

Commynes, qui devaient donner au commando de Gossuin une bonne

chance de rentrer en ville avec leur prisonnier.

Voyons l'intérêt stratégique de cette manoeu vre. Gossuin n'espère

pas s'emparer du duc, d'évidence bien gardé, sans déclencher l'alerte. Il sait

qu'une fois l'objectif atteint, le camp sera en ébullition et qu'il sera difficile

de se frayer un chemin. Dès lors, la seule chance des Franchimontois est de

profiter de la confusion. Cette confusion, la sortie massive des liégeois par

la porte devait l'accentuer (comme le jeudi précédent), jetant le désarroi, au

moins pour quelques minutes) dans le campement, détournant l'attention et

les forces ennemies de Gossuin, qui aurait alors une chance de traverser les

lignes, de faire la jonction avec les liégeois et de rentrer derrière leurs

rangs; ou mieux, de prendre un autre itinéraire-a? pour sortir du campement

au beau milieu du chaos, profitant ainsi de

426Comynes. rappelons-Je, loge avec le duc au faubourg Sainte Walburge. C'est donc bien de la porte Sainte

Walburge qu'il s'agit.

427COMMYNES, op. cit., p. 155.

428COMMYNES. op. cit., p. 158.

429 Il importe de noter qu'il serait difficile de ramener le(s) prisonnierts) par le même itinéraire qu'à l'aller, c'est à

dire par le fonds Pirette trop escarpé pour y transporter aisément des captifs.

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la diversion. Dans l'un ou l'autre cas, les Liégeois pouvaient alors se retirer,

rentrer en ville et fermer la porte devant l'ennemi: le duc était à eux.

Il Y avait bien une diversion prévue; mais pas sur l'avantgarde. Seul

le discrédit jeté sur le témoignage de Commynes à la fin du siècle passé par

quelques érudits soucieux de prouver qu' "ils n'étaient pas Franchimontois"

quoi que l'illustre chambellan de Bourgogne en ait dit, a pu faire préférer la

version de Piccolomini à ce témoignage, pourtant clair et logique. La

diversion de Piccolornini est une gageure; celle de Commynes résout bien

des problèmes-w.

Des rouages aussi délicats, si bien conçus soient-ils, pouvaient

facilement se gripper au moindre problème. La nuit du vingt neuf au trente

octobre 1468, Gossuin de Streel et une poignée d'hommes décidés (nul

doute qu'ils ne pouvaient être six cent, ils auraient trop attiré l'attention) se

glissent silencieusement hors de la ville par la porte Sainte Marguerite et

escaladent le fond Pirette, qui n'est pas sérieusement gardé (l'ennemi ne

s'attend pas à une irruption de ce côté). Pendant ce temps, massés le plus

discrètement possible derrière la porte Sainte Walburge, une forte troupe

d'hommes bien disciplinés attend en silence de jouer son rôle. Gossuin et sa

troupe éliminent par surprise quelques sentinelles sans être repérés, puis,

guidés par les propriétaires des deux maisons, se dirigent jusqu'à celles-ci

en affectant d'être des mercenaires à la solde des bourguignons, comme

s'ils campaient avec l'armée sur cette colline depuis plusieurs jours. Ils

évoluent entre les maisons du faubourg et les tentes dressées tout autour; ils

touchent presque au but; mais un grain de sable vient tout gâcher; nous ne

saurons jamais avec certitude Iequel-!' , tant il est hasardeux d'espérer un

témoignage fiable, même du plus honnête et du plus direct des témoins,

dans une telle confusion.

Réagissant avec sang-froid, le commando désormais découvert se

rue vers son but, mais les gardes du corps, mis en alerte trop tôt, réagissent

avec tout autant de sang-froid et repoussent l'assaillant. Le camp est en

éveil, les soldats s'arment comme ils peuvent et

430 À notre connaissance, seul Émile Fairon avait fait confiance à Commynes sur ce point et parlait d'une sortie par

la porte Sainte Walburge (E. FAIRON, Lantin et Loncin, op. cit., p. 190); mais ce choix relevait d'un parti-pris pour

cette source; il nous a donc paru encore utile de présenter cette argumentation qui analyse dans le détail la stratégie

des "600", et met en relief sa parenté avec ln sortie du jeudi 27 octobre.

431 Godefroid Kurth se hasarde pourtant à tenter de déterminer lequel dans La cité de Liège ml MoyenÂge. L'explication qu'il dégage ( la reconnaissance des liégeois à leur langage) est certes la plus plausible; mais il reste

imprudent d'en faire une certitude.

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convergent vers le lieu du combat. Comprenant que leur moment est venu,

mais ignorant si Gossuin est parvenu à s'emparer du duc, les liégeois

massés derrière la porte l'ouvrent à toute volée et font irruption dans le

faubourg. Mais l'ennemi est prudent, et les assaillants ne vont pas très loin.

Bientôt ils se replient, incertain de la réussite de leur coup. Gossuin et les

siens ont déjà compris, entretemps, qu'ils ont échoué; il ne leur reste qu'à

tenter de sauver leur peau. Bredouilles, mais au moins sans être

embarrassés d'un prisonnier, une partie d'entre eux arrive à rentrer dans la

cité.

Et Vincent de Bueren, finalement, quelle part a-t-il pris à

l'entreprise? Le seul témoignage qui le mentionnait dans cette affaire a

fondu comme neige au soleil. Il serait hasardeux de le placer aux côtés de

Gossuin: on peut supposer qu'Adrien en aurait fait mention. Il serait

beaucoup plus tentant de le placer à la tête des troupes qui sortent par la

porte Sainte Walburge: cela expliquerait pourquoi Piccolomini, dans toute

sa confusion, a retenu néanmoins son nom. Cela cadrerait par ailleurs très

bien avec le rôle que le personnage tient à Lantin, et probablement lors de

la sortie du vingt-sept.: celui du capitaine principal, qui mène le gros de la

troupe, laissant à ses lieutenants les opérations de commando. De toute

évidence, on aurait du mal à accepter que Vincent n'ait pas pris part à l'opération de la dernière chance. Tenons qu'il mène la sortie par la porte,

tout en restant prudent, puisque, en l'absence de témoignages, on ne peut

rien affirmer avec certitude ...

***

L'expédition des "Six cent Franchimontois" avait échoué. Liège

venait de brûler sa dernière cartouche, d'inspirer une dernière fois terreur,

stupéfaction et admiration à ses bourreaux. Il reste que la hardiesse des

rebelles avait donné des cauchemars aux assaillants. Peu avant l'assaut

final, les troupes bourguignonnes rechignent encore à se mesurer à la

dérisoire poignée de partisans épuisés qui se terre à l'intérieur de la cité.

Commynes se fait l'écho de la crainte des assiégeants:

... car chacun craignait tres fort cest assaut, pour le grand nombre (?) du

peuple qui estait dedans et aussi pour la grand hardiesse qu'ii: leur

avoient veu faire, n 'avoit pas deux heures.' et eussent esté tres

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contens attendre encore aulcuns jours ou les recevoir à quelque

composition+u.

Et l'illustre chambellan de Bourgogne de se livrer à quelques

considérations :

C'est peu de chose que du peuple, s'il n'est conduict par quelque chief qu'ilz

aient en reverence et en craincte, sauf qu'il est des heures et des temps que en

leur fureur ilz sont bien à craindreo>.

Nous tenons à rappeler la nécessité dans laquelle s'étaient trouvés les

chefs bourguignons de dissimuler leurs morts après la sortie du 27 octobre,

pour limiter les dégâts au moral des troupes,

Nous voyons donc que le succès de la tactique des Liégeois ne

résidait pas tant dans son effet meurtrier que dans sa portée psychologique,

dans sa capacité à inspirer une peur insidieuse et à forcer l'ennemi à se tenir

tout le temps sur ses gardes. La sortie du faubourg Saint-Léonard avait bien

failli mettre l'avant-garde en déroute; celle des Six cent aurait pu abattre le

puissant duc de Bourgogne; mais surtout, toutes avaient miné le moral et

les forces des assaillants. La tactique des sorties n'a en soi rien

d'extraordinaire : c'est l'expédient classique des assiégés qui espèrent

désorganiser l'assiégeant au moment où il s'y attend le moins. Mais

l'innovation résulte dans cette façon de s'insinuer dans les rangs de l'ennemi

et d'y jeter le désarroi, pour tenter ensuite une véritable sortie qui menace

de balayer l'adversaire désorganisé: une technique que l'on retrouve tant la

nuit du 27 que celle du 30 octobres>. En cela, comme le remarque

Commynes, leur servit leur inconvenient, c'est assavoir la ruyne de leurs

murailles, car ils saillaient par où ils vouloienn», Les capitaines liégeois ont

parfaitement su s'adapter au cadre un peu particulier de II affrontement,

pour en tirer profit de façon originale. Vincent de Bueren, Jean de Wilde et

Gossuin de Streel sont parvenus à des résultats inespérés.

432COMMYNES, p. 159.

433COMMYNES, p. 161.

434Dans l'épisode des "600 Franchimontois", les liégeois, entendons-nous, ne peuvent espérer balayer l'adversaire

par leur sortie massive: ils se savent trop peu nombreux pour ce faire, et ce n'est d'ailleurs pas le but de la manoeuvre,

comme nous l'avons démontré. Il reste que la présence du commando de Gossuin a effectivement semé le désarroi

chez les bourguignons de Sainte-Walburge et tourné leurs forces vers l'intérieur de leur camp. Dès lors, Vincent de

Bueren peut espérer faire une percée efficace au moins un temps avec ses troupes, percée qui doit permettre à

Gossuin de s'enfuir. Si le but de l'opération des "600" est différent de celui de la sortie du 27 octobre, l'idée

stratégique est exactement la même. 435COMMYNES, p. 148.

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Mais le duc de Bourgogne n'était pas homme à pardonner à ceux qui

l'avaient personnellement menacé. Il savait que cette situation ne pouvait

durer éternellement sans fatiguer inutilement ses hcrnme.s r", et que la cité

était une proie facile. Le matin du 30 octobre, les bombardes donnèrent le

signal de l'assaut final. Chacune des deux armées -celle de Sainte-Walburge

et celle de Saint-Léonards'élance de son côté437 vers les faibles remparts de

Liège. Par un feu nourri, les bourguignons nettoient les rempart de leurs

derniers défenseurs, avec tant d'efficacité que peu ou nus ne sosoite

plainement amonstrer desus les murs quil ne [uiste ataintv". bientôt les

Bourguignons prennent pied sur la muraille dégarnie et pénètrent dans la

cité439•

Aussitôt, les derniers défenseurs se retirent dans l'île=", Là, dit

Ange de Viterbe, Vincent de Bueren combattit longtemps encore devant

Saint-Paul en compagnie de Gossuin de Streel, Nous avons à plusieurs

reprises parlé de la façon dont Ange de Viterbe mettait notre héros en

scène; nous ne pouvons résister à reproduire dans son entièreté ce passage

au moins, car il illustre de façon éclatante que le personnage de Vincent

fut, bien avant le romantisme, avant même sa propre mort, récupéré par

l'imagination littéraire:

En un autre endroit combat le capitaine Vincent, gloire de la race liégeoise. Il décide de ne pas abandonner ses positions à moins d'être massacré et jeté dans la Meuse: il combattait, recouvert de son armure, et mettait en fuite les ennemis de son épée. Une centaine de bourguignons aux armes étincelantes viennent contre lui, et le malmènent de leurs coups sauvages; mais celui-ci, comme un sanglier encerclés par des chiens hurlants, les met tous en déroute, et les effraye de sa lance et de son expression menaçante. Déjà il en a envoyé bon nombre au Léthé. À ses côtés, Gossuin le persuade de fuir, disant: "Glorieux capitaine, cl quoi sert-il de défendre la patrie par les armes contre l'ennemi? Déjà la ville,

436HA YNIN. t. II, p. 79 : Quand le roy et mondit sieur le duc et les aultres prinches el segneurs ... , virte que

ches dis Liegois saventuroite si fort et quil nacontoite ainsi que riens a leur vie, et quil avoite desja flle et affolle

des gens de bien et de 11011, il sapenserte que plus atenderoit 0/1 de les asaillir el envair, et plus poroite tl/er et

affoler de leurs gens.

437 Selon COMMYNES, l'attaque est menée sur ces deux fronts; selon Jean de MASILLES el Jean de HA YNIN,

sur trois fronts.

438HA YNIN, t. Il. p. 79.

439De nombreuses sources relatent la prise de la cité: ADRIEN. p. 216; Ange de VITERBE, col. 1492- 1497;

HAYNIN, p. 79-80; Jean de MASILLES, p. 306-307; Antoine de LOISEY, p. 303; COMMYNES, p. 159-161;

ONOFRlUS. p. 175; PICCOLOMINl, p. 380; auxquels il faut encore ajouter les témoignages, moins précis, de

Theodoricus Pauli, Henri de Merica, Olivier de la Marche el la chronyk der Landen val! Overmaas.

440Jean de MASILLES, p. 207; confirmé par Ange de VITERBE, col. 1496, qui présente Vincent de Bueren el [es

derniers résistants combattant devant Saint-Paul.

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principale gloire des Belges+", est prise, et c'est certainement de la démence de

vouloir mourir, alors que nous pouvons tous deux nous sauver avec nos

compagnons. Il ne vaut pas la peine de ne pas quitter la ville et de rester à

contempler Saint Paul. La collégiale Saint-Denis est prise, et aussi Sainte Croix

et Saint Barthélémi. Déjà les troupes bourguignonnes de Jean ont emporté toutes

les reliques, et celles de Saint Martin. Je conseille que nous quittions la patrie,

car les églises de SaintLambert sont emportées, captives du Duc et du Roi, et il n

'y a plus un seul espoir de salut. Réfugions-nous dans le secret de la forêt

d'Ardennes. Il Ceci dit, Vincent quitta le combat, et se dirige vers la forêt,

accompagné de nombreux citoyens nobles. 442

Les autres témoignages sont plus sobres sur la dernière résistance de

Vincent. Thierry Pauwels confirme en partie le témoignage d'Ange de

Viterbe: il signale que les derniers résistants combattirent un temps au

corps à corps dans la cité envahie, puis prirent la fuite sous le

commandement de Vincent de Bueren+ü. Onofrius déclare que, une fois

l'ennemi dans la ville, Vincent et Gossuin de Streel prirent la fuite par "le

pont de la Meuse" vers la forêt d'Ardennes, emmenant avec eux ce qui

restait des effectifs liégeois: 800 cavaliers et 2000 piétons+s. Jean de

Haynin se contente de mentionner la fuite des capitaines après la prise de la

cité: il cite Vincent, Pierre Rouhaert, un certain Madoulet de Dinant et la

femme de Raes de Heers+". Adrien d'Oudenbosch se laisse aller à médire,

prétendant que les capitaines ont fui bien avant l'assaut, non sans s'être

offert un dernier repas dans la cité446. Retenons-en que, cédant pied à un

moment où à un autre, après s'être réfugié dans l'île, Vincent de Bueren

emmena avec lui ce qui restait de ses troupes. Jusqu'au bout, il aura défendu

cette cité qui, au fond, n'était pas vraiment la sienne.

Nous n'avons pas l'intention de nous étendre ici sur le sac de la cité,

dès lors que notre personnage est sorti de scène. Après le drame, nous

perdons à nouveau la trace de Vincent, pour 20 ans cette fois. Pour

reprendre les termes de Madame Josse -Hoffman, "d'une prudente obscurité

dépendait désormais son salut'<-". Il parvint en tout cas à se mettre en

sécurité hors des limites de la principauté, loin de la vindicte du Téméraire.

Nous ne savons pas ce

441 Ange de Viterbe pousse sa volonté de coller à ses modèles antiques jusqu'à l'extrême. Il s'obstine ainsi à désigner

les territoires et les peuples sous leur dénomination antique chaque fois que possible.

442Ange de VITERBE, col. 1496.

443Theodoricus PAULI, p. 222.

4440NOFRlUS, p. 175.

445 l 82 DE HAYNIN, LI, p. .

446Adrien d'OUDENBOCH, p. 216. 447

JOSSE-HOFFMAN, op. cit., p. 64.

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qu'il fit de ces troupes qui le suivaient encore en quittant la cité agonisante:

sans doute les derniers Francs-Liégeois se dispersèrentils rapidement pour

multiplier leur chances d'échapper à l'ennemi. À cet égard, le sort des autres

capitaines liégeois est révélateur: alors que Gossuin de Streel fut capturé

quelque temps après dans des circonstances mystérieuses par le seigneur de

La Marck, puis décapité à Bruxelles pour amuser la cour=s, ce Madoulet de

Dinant que Jean de Haynin cite parmi les principaux meneurs alla se

réfugier chez sa mère à Val-Notre-Dame, où il fut également pris avant la

fin de la campagne bourguignonne=v. Nous ignorons tout du sort de Jean de

Loobosch; quant à Pierre Rouhaert, à long terme, il osa rentrer dans la cité

où il reprit une activité politique dans les dernières années du règne de

Louis de Bourbon. Il semble donc que chacun était rapidement parti de son

côté. En ce qui concerne Vincent, nous ne connaîtrons jamais clairement

les péripéties de sa fuite. Laissons donc provisoirement l'étude du

personnage en suspend, et revenons-en d'abord au reste de sa famille.

9. La faluille de Bueren après 1468.

Comme beaucoup de liégeois, Guillaume se réfugia à Cologne après

le sac de la cité. Cette ville, qui avait toujours conservé des relations avec

Liège durant les années précédentes, semblait offrir un abri sûr à tous les

acteurs de la révolte soucieux d'échapper à l'acharnement du duc. Pour

Guillaume, qui y possédait probablement encore des appuis, le choix de

Cologne semblait s'imposer naturellement. Peut-être, d'ailleurs, Vincent a-

t-il pris la même décision et séjourné dans cette cité un certain temps en

compagnie de son père; mais, si c'est le cas, nous allons constater qu'il n'a

pas pu y demeurer bien longtemps.

Car Charles le Téméraire avait le bras long. Non content d'avoir rasé

la majeure partie de la cité de Liège, massacré ses habitants et poursuivi le

peuple en fuite malgré les rigueurs de l'hiver, il poussa la ténacité jusqu'à

exiger encore de Cologne qu'elle lui livre lises ennemis liégeois". Dans sa

réponse, datée du 4 avril

448E. PONCELET, Goswin de streel, dans Biographie nationale de Belgique , 1. 24, Bruxelles, 1926- 1929, col.

175.

449DE HA YNIN, t. II, p. 86.

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146945°, la ville fait savoir au duc qu'elle est prête à exécuter ses volontés.

Elle s'engage à emprisonner ou chasser de ses murs, par une véritable

campagne organisée, "les compagnons de la VerteTente et autres ennemis

de Sa Grâce", à l'exception de Guillaume de Bueren et de Henri Busseaus,

"trop vieux et décrépits par l'âge", et prétendants avoir demandé leur grâce

au duc. Ainsi Guillaume échappa-t-il à la colère bourguignonne. Sans

doute, ses appuis locaux avaient-ils dû jouer en cette affaire. Cet épisode

nous incite en tout cas à penser qu'il figurait encore parmi les meneurs

liégeois recherchés par le Téméraire. Quant à Vincent, s'il était bien à

Cologne, il dut être averti à temps et quitter la ville sain et sauf.

Les mésaventures de Guillaume ne s'arrêtaient cependant pas encore

là. Moins d'un an après, il fut arrêté à Maastricht, en raison "d'une somme

de 1400 florins rhénans qu'il devait verser en sept paiements "451,

Cependant, il parvint à quitter la ville à l'insu des autorités et disparaît alors

des sources. Dans une lettre du 27 avril 1470, le clergé liégeois supplie le

duc de lui prêter assistance pour contraindre le vieux seigneur à lui payer

cette somme, laquelle serait ensuite utilisée pour le paiement des

indemnités de guerres dues au vainqueurcv:

Item, supplient les gens d'église que le seigneur de Bueren soit

astraint paier ses VI paiements, montant à la somme de XIIlIe florins, pour

laquelle il a par cidevant esté arresté en la ville de Trect sur Meuse, et

parti d'icelle sans le sceu desdits gens d'église, au pourchas desquels ledit

arrest estait fait, pour iceulx XII/le florins estre convertir, comme dessus, à

la descharge desdites eglises et au pratt/fit de Monseigneur le duc.

pareillement de messire Raesse de Lintre de la semblable somme de

XI/Ile florins.

En quoi consiste cette somme, à laquelle nous avions par ailleurs déjà

fait allusion? S'agit-il d'une dette personelle, contractée auparavant auprès

du clergé pour un motif indépendant des troubles? L'association avec la

dette de Raes de Heers (exactement le même montant) nous incite plutôt à

pencher pour 2 hypothèses:

450FAIRON, Regestes, t. IV, p. 324. 451Adrien

d'OUDENBOSCH, p. 227-228.

452FAIRON, Regestes, t. IV, p. 343: "Points et articles remontrés au duc de Bourgogne par le clergé de Liège à

propos des avances faites par lui à la cité de Liège pour permettre à celle-ci de payer les amendes dues à Charles le

Téméraire",

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1°) Raes et Guillaume ont chacun emprunté 1400 florins au clergé

liégeois durant les années de troubles pour soutenir les frais de guerre de la

cité (tout comme Raes avait emprunté, de même, à Cologne).

2°) Il s'agit plutôt d'une contribution au paiement des indemnités de

guerre qui leur aurait été imposée personnellement en raison de leur

responsabilité dans l'action.

En tout cas, la dette de Guillaume semblait revêtir suffisamment

d'importance aux yeux du clergé453 pour qu'Adrien juge bon de nous en

parler.

C'est le dernier épisode d'une vie bien remplie. Chargé d'années, le

vieux seigneur dut s'éteindre quelques temps après->. Il fut enterré aux

côtés de son épouse au prieuré des Bons Enfants. La date de sa mort est

malheureusement incomplète sur la dalle funéraire:

Hinc iacet sepultus nobilis Dns Wilhelmus, Dns de Bueren et de Buesinchem. Qui obiit anno Dni MCCCC455

Manifestement, les derniers chiffres de la date sont manquants;

cependant nous ne pensons pas que Guillaume ait pu vivre au-delà de 1480.

Gisbert n'est plus mentionné nulle part comme archidiacre de

Condroz'r=; mais la première mention de son successeur à cet office,

Simon de Sluse, est datée du 8 août 1473457 (année de la mort de Gisbert

selon W. Kisky458). Il est donc probablement resté titulaire de l'office

jusqu'à la fin de ses jours.

Nous ne trouvons plus trace d'Allard après 1467, année durant

laquelle il partageait encore, comme simple chanoine, sa maison

453Le clergé s'était engagé à participer au paiement des indemnités de guerre, et avait notamment hypothéqué

bon nombre de ses biens pour obtenir un délai pour la cité(i mai 1468). Le chapitre gérait le versement des

traites. Voir plusieurs actes dans GACHARD, t. II, notamment p. 493.

454Nous ignorons où BUDDINGH fi trouvé que Guillaume était décédé en 1461.

455H. V AN DEN BERCH, Recueil d'épitaphes, éd. L. NA VEAU DE MARTEAU et A. POULLET, t.H,

Liège, 1928, n? 1390.

4560n connaît cependant un acte du 6 août 1469, par lequel J'abbé de Stavelot-Malmédy demande à

l'archidiacre de Condroz (dont le nom n'est pas cité) d'autoriser une permutation de cure: J. HALKIN et CiG,

ROLAND, Recueil des chartes de l'abbaye de Stavelot-Malmédy, t. II, Bruxelles, 1930 (C.R.H.), p. 499). Nous

ne possédons pas la réponse de l'archidiacre, si bien que cet échange de documents ne peut pas nous renseigner

davantage sur le titulaire de l'office à cc moment.

457BERLIERE, Les archidiacres de Liège, op. cit., p. 130; DE THEUX,\. II, pp. 292-293.

4S8Voir note 152 du présent travail.

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claustrale avec son frère459. Est-il décédé en 1468, ou par après? Peut-être a-t-il

tout simplement été définitivement écarté du chapitre.

Elsa de Bueren, abbesse de Thorn, se manifeste encore auprès du

chapitre de Saint-Lambert le 5 avril 1472, pour se plaindre d'une de ses

chanoinesses, Gertrude de Sombreffe, qui avait causé des dommages à son

abbaye46o. Nous ignorons la réponse qui fut donnée à sa requête, L'abbesse

s'éteignit le 27 septembre de l'année suivante-ct, et c'est, précisément,

Gertrude de Sombreffe qui lui succéda,

Revenons-en à Vincent, et tentons d'envisager ses perspectives d'avenir.

De toute évidence, il ne pouvait caresser le rêve de retourner à Bueren: la

terre, d'abord administrée par un représentant du duc après sa confiscation, fut

confiée à la maison de Culemborg en 1444462, En 1465, Adolphe d'Egmont, en

lutte contre son père le duc de Gueldre Arnould, captura son géniteur et le tint

enfermé au château de Bueren durant sept années, Inutile de dire que, jusqu'en

1472, c'était une des places les plus surveillées du pays463. Cette année-là, le

Téméraire se retourna contre Adolphe d'Egmont et fit libérer son père pour le

remettre au pouvoir, ce qui permit au puissant duc de Bourgogne de devenir

l'héritier de la Gueldre. Frédéric d'Egmont obtint alors pour lui le fief de

Bueren, malgré l'opposition de la maison de Culemborg-s-, et donna naissance

à la lignée des comtes de Bueren de la maison d'Egmont.

C'est en 1488 que nous retrouvons à nouveau la trace de Vincent. Pour

poursuivre notre étude, nous n'avons plus que quelques actes privés qui jettent

une lumière bien insuffisante sur la fin de ses jours. Dans ces documents,

Vincent est accompagné de son épouse, Agnès van der Eese van

Grambsbergen-é>. Nous ignorons quand cette union survint, mais Le Fort et

Voet s'accordent à dire

459D'après E. PONCELET, Liste des vicaires généraux et des scelleurs de l'évêché de Liège, dans B.S.A.H.D.L., t. 30

(1939), p. 114, un registre de comptes du chapitre mentionne celte maison claustrale pour J'année 1467 (Chapitre Saint-

Lambert, payes de l'années 1468).

460BORMANS, Conclusions capitulaires, op. cit., p. 23.

461 J. HABETS, De archieven van het Kapittel der hoogadelijke rijksabdij Thom 1 t. l, s.l., 1889. p. LXXII.

462BUDDINGH, op. cit., P 202. Empressons-nous de dire que cette information est indirectement confirmée par plusieurs

sources (cfr. note 460)

463WERNER, op. cit., p. 393-394.

464La maison de Culernborg fit plusieurs fois opposition à la donation devant le conseil de Malines en 1475 et 1476 : voir

TH. DE SIvHDT el 1. STRUBBE, Chronologische lijsten vall de geextendeerde sententïen ell procesbundels

berustende in het a rch ief van de Grote Rad van Mechelen 1 Bruxelles, 1966, p. 108 et 124.

465Grambsbergen, sur la Vecht, Nord de l'Overijssel.

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qu'aucun héritier ne vit le jour-ss. C'est probablement dans l'Overijssel que le dernier "seigneur de Bueren et de Boesinchem'', comme il s'intitule encore lui-même, s'était établi; cependant nous ne pouvons le localiser avec précision.

Le 26 juillet 1488, Vincent, seigneur de Bueren et Beusinchem, et

son épouse Agnès procédaient à un échange de serfs avec Gisbert, seigneur

de Bronckhorst-s". Par ailleurs, Werner signale plusieurs actes contenus

dans un cartulaire de l'abbaye de Sibculo468, que nous n'avons pu nous

procurer: par les deux premiers, datés de 1491 et 1493, les époux se

reconnaissaient redevable d'une rente envers Dirk de Schulenburg; le

troisième nous apprend en outre qu'Agnès van der Eese van Grambsbergen

était veuve en 1505; elle était alors encore redevable d'une rente envers

l'abbaye de Sibculo-w.

De ces maigres informations, que peut-on tirer? Peu de choses: tout

au moins peut-on placer le décès de Vincent entre 1492 et 150547°. Posséda-

t-il à nouveau des terres, comme l'échange de serfs le donne à penser? Sans

doute, tout au plus, quelque donation du sire de Grambsbergen à sa fille et à son nouvel époux. Peut-être alors, est-ce par sa femme que Vincent put

obtenir de quoi terminer ses jours dans la dignité due à son rang. Il est

curieux que, dans l'acte de 1491, partiellement retranscrit par Werner, le

nom d'Agnès

apparaisse avant celui de son conjoint, contrairement aux usages.

Ainsi s'éteignit, entre 1492 et 1505, la branche aînée de l'illustre

lignée des seigneurs de Bueren, dont Vincent fut le dernier héritier.

466En 1468, Vincent n'avait probablement encore jamais été marié, car Adrien d'OUDENBOSCH, p. 210, le qualifie

de damoiseau (domicellus de Bueren ).

467 A.P. VAN SCHILFGAARDE, Lymburg-Styrum, op. cit., p. 114.

46SCisterciennc . à Hardenberg, Overijssel ( 1. H. COTIINEAU, Répertoire topo-bibliographique des abbayes et

prieurés, t. Il, s.l., 1938, p. 3028.

469WERNER, op. cit., p. 393.

470Et non pas en 1505 même, comme l'affirme, sur base des mêmes informations, madame JosseHoffman.

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CONCLUSIONS

Au moment de donner à cette étude sa conclusion globale, nous

sommes quelque peu mal à l'aise. En effet, en étudiant étape par étape la

vie de Vincent de Bueren, nous en sommes venus à aborder tour à tour

divers problèmes historiques connexes: les motivations politiques de

Guillaume de Bueren et son rôle au sein de l'opposition liégeoise, la

structure politique de la cité durant les mois de septembre et octobre 1468,

la stratégie militaire des Liégeois dans leur ultime résistance à Charles le

Téméraire, pour ne citer que les principaux. On pensera peut-être que le

personnage de Vincent n'était pour nous qu'un simple fil conducteur, un

prétexte à des investigations diverses. Qu'importe, celles-ci découlaient de

notre volonté de mieux comprendre tout ce qui avait déterminé la vie de

Vincent. Nous avons déjà conclu sur ces questions particulières au cours du

travail. Nous nous efforcerons donc ici de concentrer notre attention sur le

personnage, et sur lui seul, et de résumer nos connaissances à son sujet.

Malheureusement, comme nous l'avons souligné dès le départ, peu

de sources nous renseignent directement sur lui. Le mieux à faire était, dès

lors, d'étudier sa famille. Cette recherche s'est montrée fertile en

enseignements. Nous avons ainsi découvert un puissant lignage féodal, qui

faillit bien concrétiser ses plus hautes ambitions et imposer son nom

comme l'un des plus respectés des pays du Bas-Rhin. Nous avons

également découvert un personnage fascinant, Guillaume, seigneur de

Bueren, homme retors mais volontaire, ambitieux, mais d'un courage et

d'une ténacité hors du commun. Nous l'avons vu subir défaites après

défaites jusqu'à ce que ses rêves de puissance s'écroulent définitivement. Ce

sont les mésaventures de ce père qui ont déterminé le cours de la vie de

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Vincent. Exilé au duché de Berg, puis trahi par ses alliés, Guillaume de

Bueren s'établit finalement à Liège vers 1450. Là, grâce à l'appui de son

cousin Jean de Heinsberg, il retrouva rapidement une situation confortable,

et ses enfants parvinrent aisément à de hautes fonctions ecclésiastiques.

Nous avons souligné tout au long du travail le rôle de la maison de

Heinsberg dans l'évolution de la famille de Bueren.

Quant à Vincent, qui aurait pu hériter de vastes domaines et devenir

un des plus puissants seigneurs du Bas-Rhin si son père avait connu plus de

réussite, il n'avait pas grand-chose à espérer de l'avenir. Peut-être mit-il tout

d'abord son épée au service de quelque prince; cette période de sa vie

restera toujours obscure pour nous. C'est en 1464 que nous prenons pour la

première fois véritablement contact avec lui: nous le voyons ainsi, aux

côtés de son père et de ses frères, prêt à défendre les armes à la main les

intérêts de sa soeur Elsa dans une sombre querelle ecclésiastique.

Entre-temps, la situation de la famille s'était à nouveau dégradée:

Louis de Bourbon avait hérité de la crosse épiscopale, et il se méfiait des

Bueren. Ainsi, ayant à peine retrouvé quelque puissance à travers les

positions éminentes occupées par ses enfants, Guillaume se vit-il à nouveau

frappé de disgrâce. Il prit donc une fois encore la voie de l'opposition. Nous

le voyons émerger comme l'une des figures de proue de la sédition contre

l'évêque, puis subir les représailles du duc de Bourgogne.

C'est alors que Vincent commence à prendre sa place sur la scène

politique liégeoise. En 1467, il compte parmi les lieutenants de Raes de

Heers, ou tout au moins parmi ses sympathisants les plus remuants. Il prend

vraisemblablement part à la bataille de Brustem, puis est banni avec les

autres meneurs de la révolte. Nous perdons alors sa trace durant huit mois.

Début août 1468, il revient de France à la tête d'un groupe de proscrits,

misérables et mal équipés. Celui-ci concentrait probablement en son sein la

plupart des têtes pensantes de l'opposition. Dans cette véritable Odyssée

vers Liège, Vincent fait preuve de la même audace militaire que son père:

avec des moyens certainement dérisoires, il ose s'en prendre à Bouillon,

sans succès, puis, avec plus de réussite, au château de Montfort. Surprenant

l'ennemi, il parvient à Liège le 9 septembre, s'attache les rebelles par un

serment et s'impose comme le "capitaine des liégeois".

Ainsi devint-il, pour deux mois seulement, l'autorité centrale à Liège.

Nous avons examiné d'aussi près que possible son pouvoir sur la cité; nous

avons constaté qu'il s'appuyait sur des institutions

124

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communales restaurées et que les décisions importantes étaient

généralement confiées démocratiquement à l'assemblée des métiers, Nous

avons défini son rôle comme celui d'une sorte de "tuteur" du conseil de la

cité, doublé d'un chef militaire, qui s'était en outre provisoirement posé en

alternative à l'évêque. Durant deux mois, il va ainsi ressusciter les rêves

d'indépendance et d'autogestion des Liégeois. Sans établir une dictature

comme Raes de Heers, mais probablement en manoeuvrant habilement la

foule et en s'appuyant sur deux compagnons charismatiques: Jean de Wilde

et Gossuin de Streel. Hélas, la défaite de Lantin devait bientôt sonner le

glas de ce régime et annoncer la chute de Liège. Bientôt, Charles le

Téméraire rassembla son immense armée pour punir les audacieux.

Nous avons examiné de près la tactique militaire des liégeois face à

leur puissant ennemi, une tactique qui allie audace et inventivité pour tirer

parti du moindre avantage. Nous avons étudié ainsi la genèse d'un des faits

d'armes les plus célèbres de l'histoire liégeoise, le coup de main des "Six

cent Franchimontois", et mis en relief la "répétition générale" que

constituait pour celui-ci la sortie du 27 octobre. Nous avons pu suspecter le

rôle de Vincent, et peutêtre même de son père, dans la conception de ces

deux opérations : en effet, l'inventivité dont ces faits d'armes font la preuve

évoque les exploits de jeunesse de Guillaume et de son frère Jean; sans

doute, les liégeois ont-ils pu profiter de l'expérience du vieux seigneur de

Bueren.

Sur la fin de la vie de Vincent, enfin, nous ne sommes pas en

mesure d'apporter de nouveaux éléments. Nous nous contenterons de

conclure qu'il est mort dans l'Overijssel entre 1492 et 1505, sans avoir

renoncé à ses titres de seigneur de Bueren et de Beusinchem.

Mais qui était l'homme? Notre analyse du personnage doit d'abord

faire preuve de scepticisme. Jusqu'ici, Vincent avait été présenté comme un

véritable héros patriotique, animé par de nobles sentiments. Nous nous

devons, quant à nous, de lui chercher des motivations plus pragmatiques:

mieux vaut être d'abord incrédule, et toujours suspecter dans les actes des

puissants de ce monde le jeu des intérêts personnels.

Pour déterminer les motivations de Vincent de Bueren, nous n'avons

comme repères que son passé familial. Celui-ci est loin d'être riche en

vertus patriotiques : son père, Guillaume, s'est maintes fois dressé contre

son propre pays pour satisfaire ses ambitions. Il n'a rien d'un chef

populaire; au contraire, dans sa

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jeunesse, le seigneur de Bueren était devenu une menace pour l'alliance des

villes gueldroises. Son oncle Jean de Bueren, qui n'hésitait pas à s'en prendre à des enfants, n'avait rien d'un héros désintéressé. Ces deux personnalités étaient

manifestement mues par l'appât du gain dans toutes leurs entreprises, et il n'est

sans doute pas exagéré de les qualifier de "seigneurs-mercenaires". Ajoutons

que Vincent n'est pas né à Liège; la cité n'est pour lui qu'une terre d'exil et l'on

peut s'étonner qu'il ait voulu donner sa vie pour elle.

Pourtant, il serait sans doute injuste de juger Vincent uniquement

d'après sa famille. Essayons de déterminer sa personnalité. Noble de haut-

lignage, son enfance dut être bercée par le récit des exploits militaires de son

père et de son oncle. À la promesse d'un héritage brillant, le jeune Vincent vit

petit-à-petit se substituer les difficultés financières et l'exil. Parvenu

finalement à Liège, il dut se contenter de maigres perspectives d'avenir,

lesquelles devaient encore s'amenuiser avec l'arrivée de Louis de Bourbon.

C'était bien peu pour un caractère aussi ardent. On peut comprendre qu'il ait

choisi la voie de l'opposition, qui seule, à présent, pouvait lui permettre

d'engager son épée dans de plus grands desseins. Le riche seigneur territorial

est devenu un "condottiere" hardi et entreprenant. Lequel, finalement, se place

à la tête d'une cité prestigieuse et trouve ainsi un emploi à la mesure de ses

ambitions.

Ceci dit, nous ne pouvons dénier à notre personnage de véritables traits

héroïques, même si on lui ôte l'honneur d'avoir mené le commando des "Six

cent Franchimontois" avec Gossuin de Streel. Son courage est manifeste en

plusieurs autres occasions, particulièrement à la bataille de Lantin, où il prend

le risque de descendre de cheval pour rallier ses troupes. Rien ne l'obligeait à combattre jusqu'au bout pour défendre la cité, alors que tout était clairement

perdu. Loin d'être un chef inaccessible, il sut se mettre au service de la cité, et

on le voit notamment escorter humblement le légat Onofrius dans une

expédition périlleuse. Vincent de Bueren fut un authentique chevalier, de ceux

qui n'aspirent qu'à utiliser leur épée dans une cause à leur mesure, pour obtenir

la gloire, la puissance et la fortune. Et qui s'y tiennent au risque de leur vie.

On peut comprendre le prestige dont il bénéficiait à Liège, et qui transparaît à

travers l'oeuvre d'Adrien d'Oudenbosch.

Avec Vincent de Bueren, c'est toute une vieille lignée féodale qui brille

d'un dernier éclat, puis s'éteint avec les derniers feux du Moyen-Âge.

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Pour conclure, nous ne pouvons faire mieux que de céder la parole à Godefroid Kurth et de relire le tableau commun qu'il donnait du caractère de Vincent de Bueren, Jean de Wilde et Gossuin de Streel. L'analyse était d'une grande finesse. Nous n'avons que peu de nuances a y ajouter:

Gossuin de Streel, Jean dt! Wilde et Vincent de Bueren appartenaient tous les trois à cette noblesse féodale des Pays-Bas dont l'histoire nous offre tant de types curieux et caractéristiques. Ce qu'on remarque tout d'abord chez eux, c'est le développement excessif d'une personnalité vigoureuse et sans scrupules, qui ne veut connaùre aucune entrave à ses volontés et qui se platt à imposer les siennes par la force. Incapables de vivre dans une société régulière, 014 la liberté elle-même est obligée de connattre ses limites, ils étaient à leur aise et respiraient largement dans l'atmosphère ardente des guerres civiles, où leur audace, leur énergie, leur foi en eux-mêmes leur assurèrent bientôt le premier rang .... doués d'un courage fabuleux, ils imprimaient le cachet de l'héroïsme à toutes leurs entreprises, et l'histoire a toujours mesuré à une aune spéciale les gens qui savent donner leur vie pour leur causeov.

471KURTH, t.lII. p.287-288.

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Abréviations utilisées dans ce travail :

A.C.L.B : Liege et Bourgogne: Actes du colloque tenu à Uige les 28, 29, 30 octobre 1968 t Liëge, 1972

A. E. L. : Archives de l'état li Liège.

A.H.E.: Annalectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Belgique

A.H.L.: annuaire d'histoire liégeoise

A. P. L. : L'ancien pays de Looz.

A.S.A.N.: Annales de la Société archéologique de Namur.

B.C.R.H.: Bulletin de la commission royale d'histoire

B.I.A.L. : Bulletin de l'Institut archéologique liégeois.

B. S. B. L.: Bulletin de la Société des bibliophiles liégeois.

B. S. V. A. H. : Bulletin de la Société verviétoise d'art et d'histoire.

C.R.H. : Commission royale d'histoire.

C. S. A. H. L. D. L. : Conférences de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liëge,

P. S. H. A. D. L. : Publications de la Société d'art et d'histoire du diocèse

de Liège.

R. B. P. H. : Revue Belge de philologie et d'histoire

R. I. H. M. : Revue internationale d'histoire militaire.

V. M. K. V. A. T. L.: Verslagen en mededeelingen van de Koninldijke Vlaamse Akademie voor taal en letterkunde.

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