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Université de Lausanne, Ecole des HEC Histoire Economique 2003 - 2004 1919 - 1929 LE MONDE A L’AUBE DE LA GRANDE DEPRESSION Professeur Jean-Christian LAMBELET Assistant Simeon STOITZEV 1

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1919 - 1929 

LE MONDE A L’AUBE DE LA GRANDE DEPRESSION

Professeur Jean-Christian LAMBELETAssistant Simeon STOITZEV

Bozzo Matteo Dogaev DmitriyTABLE DES MATIERES

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INTRODUCTION GENERALE..............................................................3SITUATION POLITIQUE....................................................................3

Le Traités qui ont mis fin à la guerre.................................................................................4Le traité de Versailles.......................................................................................................4Le Traité de Locarno........................................................................................................6

La fin de l’Empire austro-hongrois.....................................................................................6La Yougoslavie..................................................................................................................6La Tchécoslovaquie..........................................................................................................7La Pologne.........................................................................................................................7L’Autriche...........................................................................................................................8La Hongrie.........................................................................................................................8

La Russie..............................................................................................................................10La France.............................................................................................................................11L’Allemagne.........................................................................................................................11La Grande-Bretagne...........................................................................................................12Les Etats-Unis......................................................................................................................13Conclusion...........................................................................................................................14

SITUATION ECONOMIQUE..............................................................14Evolution de l’économie mondiale...................................................................................14

Situation générale de l’après-guerre...........................................................................14Les Etats-Unis et la Grande Bretagne..........................................................................15La France.........................................................................................................................18Allemagne........................................................................................................................20Conclusion.......................................................................................................................20

Le système monétaire international................................................................................21L’étalon change-or..........................................................................................................21

La crise agricole aux Etats-Unis........................................................................................22L’agriculture américaine de l’après guerre.................................................................22La controverse sur l’indépendance de cette dépression dans l’agriculture...........23

Le problème des réparations............................................................................................24Versailles, un Traité insuffisant pour garantir un remboursement complet..........25Le plan de Dowes et le plan Young..............................................................................25Keynes et le "transfer problem"...................................................................................26

Les dettes de guerre..........................................................................................................27Les Américains, puissants créanciers de l’après-guerre...........................................27Une triangulation fragile................................................................................................28

Conclusion...........................................................................................................................29CONCLUSION GENERALE...............................................................30BIBLIOGRAPHIE...........................................................................31

INTRODUCTION GENERALE

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L’économie mondiale a été fréquemment bouleversée pendant le XXème siècle. Rien d’étonnant quand on observe les changements que notre monde connu d’un point de vue politique et technologique. Notre planète a surtout été secouée à deux reprises par des conflits généralisés qui ont décidé du nouvel ordre mondial. Ce n’est donc pas un hasard si la plus grave crise économique du siècle s’est déroulée entre ces deux guerres mondiales, à savoir au début des années 1930.

On l’appelle fréquemment « La Grande Crise » ou « La Grande Dépression » car elle a été tellement forte qu’elle a remis en question le système capitaliste dans lequel nous vivons encore aujourd’hui. Les enjeux qui résidaient dans son explication étaient énormes. Il fallait prouver que cette crise ne pouvait pas à elle seule remettre en cause le système tout entier, en décryptant ce qui était à l’origine de l’effondrement de l’économie mondiale. C’est une des raisons qui a poussé et pousse encore d’innombrables économistes à se pencher sur ce problème qui par son ampleur reste toujours gravé dans les esprits.

Afin de préparer l’analyse de la Grande Crise qui se fera tout au long du semestre, nous allons essayer de décrire le contexte politique et économique général qui régnait à l’aube de celle-ci. Les années 1919-1929 vont donc être au centre de ce travail qui n’a pas la prétention de donner une vision précise de tous les événements qui se sont passés, mais qui a pour but de peindre un tableau de la situation qui a conduit à la Grande Dépression.

Pour simplifier l’analyse, nous allons séparer les événements politiques et économiques de cette période, en cherchant cependant à faire ressortir de ce travail l’esprit général dans lequel se trouvait le monde avant la crise.

SITUATION POLITIQUE

Le paysage politique mondial durant la période allant du 11 novembre 1918 et le 23 octobre 1929 connut de nombreux bouleversements. Les changements dus à la réorganisation des territoires et des ressources de notre planète ont laissé des traces indélébiles. Avec la première guerre, des empires se sont effondrés, d’autres ont perdu leur influence tandis que les Etats-Unis découvraient leur place de première puissance mondiale. De nombreux traités sont à l’origine de ce nouveau paysage politique, dont le plus important est sûrement celui de Versailles qui a mis fin à plus de quatre années de guerre. En plus des changements de frontière, le monde était le témoin à cette époque de la montée des extrémismes de droite comme de gauche.

Cependant, malgré les difficultés rencontrées à cause des rancoeurs encore présentes entre les pays, la situation semblait se stabiliser peu à peu dans les années qui suivirent le conflit. Essayons donc de nous faire une idée de la situation politique de l’époque en examinant les faits et acteurs qui ont marqué l’histoire de ce début d’entre deux guerres.

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Le traités qui ont mis fin à la guerre

Le traité de VersaillesEn 1919, les Alliés et l’Allemagne mirent fin à la guerre en signant le Traité de Versailles. Vingt-sept pays ont pris part aux discussions mais cependant ce fut le « Conseil des Quatre » composé la France, représentée par Georges Clemenceau, des États-Unis, avec le président Wilson, du Royaume-Uni, avec Lloyd George et de l’Italie, avec Orlando, qui prit les décisions fondamentales. Notons que les représentants allemands de la nouvelle République de Weimar, qui désormais remplaçait l’Empire, ne furent pas conviés aux pourparlers. Deux tendances se démarquaient essentiellement de ces discussions. Certains comme la France, qui avaient été très touchés par la guerre, exigeaient que l’Allemagne soit contrainte à réparer tous les dégâts sans condition, tandis que les Anglo-saxons ne voulait pas oppresser l’Allemagne pour des raisons commerciales essentiellement.

Plusieurs décisions fondamentales ont été prises à ce moment-là. Tout d’abord, l’article premier stipula la création de la Société des Nations, ancêtre de l’actuelle Organisation des Nations Unies, afin de garantir le maintient de la paix en offrant une tribune de discussion aux les diplomates internationaux. Cependant, sa capacité à maintenir une stabilité politique était bien faible car elle n’avait pas de force armée à sa disposition, ce qui lui ôtait tout moyen de pression. Cet exemple montre bien la volonté des pays de converger vers une plus grande stabilité, mais souvent les moyens mis en place ne suivaient pas les bonnes intentions.

Le traité définit aussi le nouveau paysage politique du monde en réglant par exemple les nouvelles frontières des pays qui formait l’ancien Empire austro-hongrois. Il attribua l’Alsace-Lorraine à la France et retira plus de 67 000 km2 de territoire à l’Allemagne qui perdit près de 10% de sa population.

Enfin, en vertu de l’article 231 du traité, l’Allemagne fut considérée comme responsable de la guerre. Le corollaire de cet article fut que l’Allemagne devait s’acquitter d’importantes réparations financières. Cet aspect fondamental sera traité en détail dans la deuxième partie de ce travail.

Certaines de ces décisions ont eu des conséquences graves qui ont compromis la paix, c’est pourquoi nous allons les examiner un peu plus loin en nous focalisant sur les problèmes des pays les plus importants.

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Lien pour consulter le traité de Versailles dans son intégralité 1 : http://www.lib.byu.edu/~rdh/wwi/versailles.html

Le Traité de LocarnoLe Traité de Locarno, signé en octobre 1925, était supposé assurer une garantie du respect des frontières établies par le traité de Versailles. Pour finir, il a surtout mis fin aux distinctions faites entre les vainqueurs, les Alliés, et la perdante, l’Allemagne. Enfin, la guerre semblait de l’histoire passée et on assista à un retour à la normale dans les relations internationales grâce à un accord sur le respect des règles de la Société des Nations. Cependant, l'Allemagne, qui s’était engagée à ne pas violer les frontières, refusa toujours de reconnaître les délimitations de la Tchécoslovaquie et de la Pologne.

La fin de l’Empire austro-hongrois

La guerre a été fatale à l’Empire austro-hongrois. Sa dissolution a donné naissance à plusieurs nouveaux Etats : l’Autriche, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Pologne et la Yougoslavie. Le facteur principal qui a conduit à cette nouvelle distribution géographique a été l’application de l’un des 14 points de Woodrow Wilson, à savoir le droit à l’autodétermination des peuples. La création de ces nouveaux Etats a permis aux Alliés de mettre en place ce qui est communément appelé « le cordon sanitaire ». Ce dernier devait servir de protection contre la menace bolchevique qui se précisait à l’Est. Ces pays rendirent la France d’autant plus heureuse qu’elle pensait désormais pouvoir posséder un double front si l’Allemagne revenait à avoir

1 Source: World War I Document Archive, Brigham Young University

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des intentions belliqueuses. Au bout du compte, ces pays à qui les Alliés avaient promis un futur meilleur grâce à leur nouvelle indépendance, se sont retrouvés plus tard dans des situations bien plus critiques. Ils ont été en définitive des victimes plutôt que des gagnants, car ils jouèrent le rôle de « pièces d’échecs contrôlées par les grands Etats 2 ». Regardons de plus près la situation de chacun de ces nouveaux pays.

La Yougoslavie La Yougoslavie a été officiellement crée en décembre 1918. Tout de suite, une forte rivalité entre Serbes, Macédoniens et Croates s’est installée dans le pays. Le roi serbe Pierre suivi de son fils Alexander gouvernèrent durant les années 1920. Dès le début de leur mandat, ils durent faire face à des problèmes découlant des confrontations incessantes entre le Parti Croate des Paysans et le Partie Radicale Serbe. Ces paysans se plaignaient au sujet des impôts trop élevés et de l’impossibilité pour eux d’accéder aux grades supérieurs de l’armée. Avec le temps, les mouvements communistes ont commencé à se renforcer et en 1924, les députés du Parti des paysans furent arrêtés et condamnés à l’inéligibilité pour leurs idées trop à gauche. En 1928, un député de Monténégro frustré par l’impossibilité de faire passer des lois est même entré dans le parlement avec un pistolet et a commencé à tirer. Il tua 3 personnes, parmi lesquels se trouvait le leader du Parti Radical Serbe, Strepan Radic. L’histoire yougoslave a connu bien d’autres exemples d’intimidations et d’assassinats. Cela montre bien que la création des ses nouveaux Etats n’a pas directement aidé à résoudre les problèmes politiques et ramener le calme, mais à l’inverse a créé plus d’instabilité.

La TchécoslovaquieLa Tchécoslovaquie a repris le pire et le meilleur de l’empire. Créé en octobre 1918, le pays comptait 13.5 millions de citoyens parmi lesquels il y avait 3.25 millions d’allemands ! Des minorités de Polonais et Juifs en faisaient partie également. Malgré cette cohabitation parfois difficile, cet Etat a quand même réussi à instaurer une relative stabilité politique en mettant sur pied une démocratie avec suffrage proportionnel. Une constitution claire et précise qui trouvait un compromis entre la majorité des acteurs politiques de Tchécoslovaquie permit aux gouvernements successifs de diriger le pays sans trop de problèmes. Cependant, les inégalités entre Allemands, Juifs, Tchèques, Slovaques, Ruthènes et Magyars étaient très marquées.

Le système politique de ce pays a commencé à battre de l’aile lorsqu’un Parti d’extrême droite a vu son électorat croître vers la fin des années 1920, notamment chez les Sudètes (anciens allemands).

La PologneLa Pologne, crée en novembre 1918, comptait plus de 27 millions d’habitants. Seulement 18 millions étaient des polonais, tandis que le reste était un mélange d’ukrainiens, de juifs, de biélorusses, mais surtout d’allemands (1 millions). La mise en 2 Source: Laver, J. et Wolfson R. ,Years of Change - Europe, 1890 - 1945

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place d’un gouvernement stable a été problématique car les Alliés, la Russie et la Pologne elle-même voulaient chacun décider de l’homme qui devait diriger le pays. Les trois camps trouvèrent cependant un accord pour une constitution commune en 1921. Cette cohabitation a rendu les première années d’existence de ce pays bien difficiles. Vers la fin de la décennie, la démocratie n’était désormais plus qu’une illusion car les gouvernements n’arrivaient plus à se mettre en place.

Outre ses problèmes de politique intérieure, la Pologne était en conflit permanent avec ses voisins qui n’acceptaient pas les nouvelles frontières. Par exemple, l’Allemagne refusait d’admettre l’autorité de la Pologne sur le corridor de Dantzig qui était habité par des citoyens qui votaient traditionnellement en faveur des allemands.

L’AutricheL’Autriche comptait 8 millions d’habitants après la guerre. Son activité économique était très limitée mais elle avait sur les autres pays un avantage socio-politique considérable, à savoir qu’elle n’avait pas de problème de multiples ethnies. Tout de même les Autrichiens, qui étaient pour la majorité pro Allemands, souhaitaient une union, pourtant interdite, avec l’Allemagne pour des raisons politiques et économiques. Après un retour au calme, ce pays fut secoué en 1927 par une montée de l’insatisfaction qui se traduisit par des manifestations violemment réprimées par l’armée ainsi que d’une montée du Parti d’extrême droite.

La HongrieLa République hongroise a été proclamée en novembre 1918. Très tôt, elle fut confrontée à une tentative d’envahissement du Nord de la part de la Tchécoslovaquie. Le gouvernement a alors viré vers le communisme pour s’assurer du soutien des bolcheviques en cas de guerre. Ces derniers laissèrent cependant les roumains occuper Budapest un peu plus tard. Résultat, ce pays s’est engouffré dans un système politique qui l’a fait stagner et sortir complètement de la grande scène internationale.

Les nations de l'Empire austro - hongrois à la fin de la guerre (1918) 3

3 Source: Encyclopaedia BRITANNICA on-line version

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Que doit-on conclure de ces nombreux exemples de pays issu de l’Empire austro-hongrois ? Tout d’abord le fait que les frontières décidées à Versailles sur les fondements des idées du président Wilson n’ont fait que diviser un grand problème en plusieurs petits problèmes. Après avoir tracé des cartes avec des beaux idéaux, les Alliés ne se sont plus assez soucié de ce qui se passait à l’Est pour maintenir la stabilité. Les européens ont eu le traité de Locarno qui a permis de sceller la paix quelques années après Versailles, tandis que l’Est n’a pas eu cette chance et a connu une période de bouleversement pendant tout l’entre deux guerres. Il était prévisible qu’avec autant de communautés allemandes mécontentes de leur dispersion, on ne pourrait éviter l’apparition de problèmes.

La Russie

En novembre 1918, la Russie a connu une violente guerre civile. Les forces de l'armée Rouge, appelées les bolcheviques, menèrent une révolution contre le pouvoir établi du Tsar. Bien que celui-ci était appuyé par les Alliés, il n’a pas pu se défendre contre une population rurale complètement favorable aux idées bolcheviques, qui promettaient d’apporter en cette période de crise plus de richesse et d’égalité. Ce fût l’avènement du système communiste Russe conduit par Lénine, qui confisqua toutes

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les fortunes et bannit le marchandage. Sa logique économique était la redistribution équitable des ressources. Outre ses idées d'extrême gauche, le régime mis en place se voulait dictatorial et utilisait la terreur pour se maintenir en place. Par exemple, en août 1918 une jeune femme a commis une tentative d'assassinat contre Lénine et les représailles contre cet acte montre bien la violence du régime instauré: les services secrets ont tué le jour même plus de 1500 personnes. En décembre 1922, les républiques d'Ukraine, de Biélorussie et de Russie ont été réunies sous le nom de U.R.S.S. Chaque république était indépendante sur les questions socio-culturelles mais politiquement dépendante du pouvoir central de Moscou.

Les années 1920 ont apporté beaucoup d'espoir aux couches populaires qui profitaient tout d'un coup de la redistribution des ressources. Cependant, ce revirement politique a coupé l'U.R.S.S. du monde. Au niveau mondial, c'est un énorme marché qui s'éteignait et bien des pays en ont ressenti les effets. Notons que les soviétiques, malgré leur fermeture, ont créé une association sous le nom de Comintern pour promouvoir le communisme en dehors de leurs frontières dans le but d’aboutir à une révolution mondiale. L'influence grandissante de leurs idéaux força certains pays à interdire la propagande communiste pour freiner la déstabilisation de leur système politique.

En conclusion, on peut affirmer que l'URSS s'est renfermée et a perdu tout son poids politique durant les années 1920. Le pays était donc dans une situation d'isolation diplomatique. Le rôle de l'URSS sur le plan économique et politique n'a pas été décisif dans le développement de la Grande Crise, mais ce pays a continuellement contribué à alimenter les tensions dans certains parlements étrangers qui contenaient quelques députés communistes.

La France

La France fut sûrement le pays le plus touché par la guerre. En effet, ce conflit lui a coûté 1 385 000 de vies ainsi que plus de 2 000 000 de blessés. Comme la plupart des combats s'était déroulée sur son sol, les ravages des territoires furent importants. Le peuple et le gouvernement français avaient donc des grands travaux devant eux mais le choc psychologique était dur à encaisser. En effet, voici une statistique choquante: plus de 50% des hommes âgés entre 20 et 32 ans en 1914 ont été tués durant la guerre. Il est compréhensible qu'un sentiment de revanche et d'insécurité a poussé la France à vouloir punir l'Allemagne au Traité de Versailles comme nous l'avons vu auparavant.

A la fin de la guerre, le système politique français est resté assez stable malgré les débats animés sur le sort devant être réservé à l'Allemagne. Le parlement a gardé son indépendance après la guerre tout en accordant progressivement au premier ministre des pouvoirs suffisants pour effectuer des "règlements de nécessité" lui permettant d'agir vite et efficacement pour le maintien de la stabilité. Le parti communiste chercha à déstabiliser le gouvernement mais sans succès, car ce dernier se trouvait en en concurrence à gauche avec le parti de Léon Blum, un socialiste à l'origine des congés payés.

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Durant la période allant de 1919 à 1928, le parlement français était de centre droite sauf lorsqu'il a viré à gauche en 1926 à cause de la peur de la politique fiscale du gouvernement des années précédentes et des méfiances face à une détérioration de la situation concernant l'intervention des Français dans le Ruhr. En effet, face à la persistance des Allemands à ne pas payer les réparations, le gouvernement français décida d'occuper cette région, ce qui l’obligea à supporter des coûts énormes.

En définitive, ces dix ans ont été marqués par des solutions à court terme et par des politiques improvisatrices utiles juste pour la création d’un sentiment d'accord et de stabilité.

L’Allemagne

L’Allemagne, pays désigné comme principal responsable de la guerre, a été pendant les années 1920 au centre des débats et des polémiques. En effet, ce pays d’Europe central avait des frontières communes avec de nombreux Etats et le nouveau tracé de celles-ci engendra d’énormes désaccords. L’exemple le plus flagrant est la mise sous tutelle polonaise du port de Dantzig. L’Allemagne a toujours refusé les frontières orientales qui lui avait été imposées et cela a créé un fort sentiment d’injustice. De plus, conformément à la partie IV du traité de Versailles, les allemands ont perdu tout leur empire colonial au profit de la France, de la Belgique, du Royaume-Uni et du Japon, ce qui les a privé de ressources indispensables pour une reconstruction rapide.

A l’intérieur du pays, le traité de Versailles a été qualifié de « diktat » et a rendu les foules plus attentives aux discours nationalistes, dont ceux d’un certain Adolf Hitler. Le sentiment d’injustice était d’autant plus grand à ce moment là que le traité contenait plusieurs articles en contradiction avec les 14 points de Wilson rédigés avant l’armistice.

Le gouvernement qui était chargé de ramener le pays à la prospérité après le conflit instaura la nouvelle République de Weimar. Celui-ci s’est constitué en accord avec les alliés après que la menace communiste dirigée par Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg ai été écrasée violemment. Cependant, ce gouvernement eut du mal à gagner la confiance de ses concitoyens car ceux-ci gardaient en mémoire le véritable « coup de poignard dans le dos» qu’il avait reçu lors de l’acceptation de la défaite par leurs dirigeants. Les grosses difficultés apparurent surtout dans la première moitié de la décennie où l’Allemagne a du faire face à une tentative de coup d’Etat emmenée par Hitler, à l’invasion de la Ruhr par la France sans parler de la grave crise économique. Aidé par une forte reprise économique, la stabilisation du régime entre 1925 et 1929 n’a cependant pas réussi à éradiquer l’influence grandissante des mouvements d’extrême droite qui ont pris le pouvoir pour de bon suite à la Grande Crise.

La Grande-Bretagne

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Le souvenir de la Première Guerre mondiale a fait naître chez les Britanniques le désir d’éviter un autre conflit. Le pays joua donc un rôle de premier ordre au sein de la Société des Nations. La politique étrangère du gouvernement britannique était essentiellement guidée par le souci de ne pas voir l’Allemagne trop affaiblie. Voilà pourquoi le Royaume-Uni n’a pas soutenu la politique française d’occupation de la Ruhr et s’est battue aux côtés des américains pour l’allègement du fardeau financier de la République de Weimar. Cette compassion, motivée avant tout après par des aspirations d’ordre économiques et par leur habituelle doctrine de « balance of power » du continent, conduisit cependant la Grande-Bretagne à laisser trop de champs ouverts à l’Allemagne qui quelques années plus tard a pu reconstruire une armée rapidement.

Au niveau social, ce pays a connu une décennie assez difficile à cause de mouvements ouvriers appelés « Trade Unions » qui se mobilisèrent pour protester lors de grèves générales. A la fin des années 1920, le calme est revenu grâce à la modification de la législation sociale (droit de vote aux femmes par exemple) du pays qui avait satisfait la plupart des protestataires.

En ce qui concerne son Empire colonial, le Royaume-Uni conserva toutes ses conquêtes en proclamant cependant l’égalité de certaines nations comme le Canada et l’Australie au sein du Commonwealth.

Notons que les années juste avant la crise des 1930 ne donnaient aucun indice à propos de la crise future car le pays fonctionnait très bien et jouissait d’une certaine stabilité dans les domaines de l’économie et de la politique.

Les Etats-Unis

Les Etats-Unis ont participé eux aussi aux discussions de Versailles mais n’ont cependant pas ratifié le traité, car le Sénat ne partageait pas la dure peine infligée à l’Allemagne et parce qu’il rompait avec leur tradition isolationniste. Ils signèrent donc un traité séparé avec l’Allemagne le 2 juillet 1921. Durant toute la décennie, les Etats-Unis se sont beaucoup impliqués pour paix en cherchant à convaincre les européens que la guerre faisait partie du passé. C’est en effet eux qui ont donné à travers les 14 points du président Wilson les bases pour la fondation de la Société des Nations à laquelle ils n’ont cependant ironiquement pas adhéré.

Stimulé par une forte croissance économique, les Etats-Unis ont connu une grande stabilité politique pendant les années 1919-1929, mis à part quelques problèmes d’émeutes dues au racisme. Comme d’autres pays atteints par la « red scare », les américains durent faire face à la montée en puissance d’activistes d’extrême gauche qu’ils maîtrisèrent cependant par une déportation systématique en U.R.S.S.

Conclusion

Quelles constations pouvons-nous faire au sujet de cette première partie de l’analyse consacrée aux aspects politiques de l’avant-crise ?

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Ce qui revient le plus souvent et qui est le plus étonnant est le fait que les pays occidentaux semblaient converger vers une stabilité politique qui, si elle n’avait pas été perturbée par la Grande Crise des années trente, n’aurait sûrement pas conduit le monde vers une deuxième guerre mondiale. Cette stabilité ne concerne cependant pas les pays de l’Est qui eux traversaient une période difficile due à la gestion complexe des nouvelles frontières.

SITUATION ECONOMIQUE

Evolution de l’économie mondiale 

Situation générale de l’après-guerreOn estime à plus de 300 milliards de dollars 4 la perte que la planète a subit à cause de la guerre. Les dommages n’ont bien entendu pas été les mêmes pour les principaux acteurs économiques mondiaux, voilà pourquoi il convient de traiter l’évolution de la situation au cas par cas tout en concluant par une synthèse définissant une tendance globale.

On pouvait penser que l’économie mondiale aurait du mal à se remettre de la guerre mais il n’en fut ainsi. Certains facteurs ont principalement stimulé l’économie et l’ont conduite vers un retour la croissance. Tout d’abord, lors de ce conflit qui a duré un peu plus de quatre ans, les particuliers ont très peu dépensé et beaucoup épargné. La demande de biens des ménages impatients d’acheter a donc explosé dès la fin de la guerre. La demande des entreprises a aussi augmenté brutalement, celles-ci devant rapidement reconstituer leurs stocks. Enfin, il faut souligner l’influence des politiques budgétaires expansives des gouvernements qui, malgré les problèmes financiers induits par le conflit, ont continué à garder les dépenses publiques à des niveaux élevés.

Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne Ce sont surtout les pays détenant des ressources en capital suffisantes, à savoir les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont pu profiter de ces opportunités pour relancer leur industrie. Dès 1919, l’économie de ces pays est repartie de plus belle. La conséquence de cette euphorie a été une rapide hausse du niveau des prix, et les gouvernements de ces deux pays ont alors dû vite réagir pour éviter une inflation démesurée. Par exemple, les autorités financières américaines se sont empressées d’augmenter les taux d’intérêts au début de l’année 1920 pour réduire un peu l’investissement et freiner l’inflation. Cette hausse importante des taux d’intérêt a eu l’effet espéré et la croissance de la masse monétaire M1 a ralenti en 1920 et a même été négative en 1921. Les prix ainsi que la production industrielle ont alors chuté fortement entraînant le pays dans une courte récession. La Grande-Bretagne a quant à elle suivi l’exemple de ses cousins peu après.

4 Source: Kennedy, D.M., Freedom from Fear

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Money market rate aux Etats - Unis (1919 - 1929) 5

Masse monétaire M1 aux Etats - Unis (1919 - 1929) 6

La maîtrise de l’inflation de la part des autorités financières de l’époque a été assez remarquable, même si cela s’est fait au détriment de la croissance. En effet, l’ajustement des prix a permis de revenir à des niveaux qui ont ensuite été stables pour les six années suivantes.

Indice des prix à la consommation aux Etats - Unis (1919 - 1929) 7

5Source: Christian Saint - Etienne, The Great Depression 1929 - 1938, page 56 Source: Christian Saint - Etienne, The Great Depression 1929 - 1938, page 5 7 Source: Christian Saint - Etienne, The Great Depression 1929 - 1938, page 5

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Vers la fin de l’année 1921, l’économie s’est stabilisée dans les pays anglo-saxons, qui avaient décidemment une structure financière solide même après avoir traversé des années de guerre. La consolidation des prix a permis à la confiance de s’installer et les Etats-Unis connurent alors à nouveau une forte croissance. La production industrielle a atteint des sommets en progressant de 63% en moins de deux ans. De 1923 à 1929, l’économie américaine a continué à connaître une croissance régulière excepté le boom de 1926 provoqué essentiellement par l’explosion du marché de l’automobile. En effet, ce n’est pas uniquement la production d’automobile en soi qui a tiré l’économie, mais surtout tous les marchés parallèles comme celui des pompes à essence, des garages, des routes, des raffineries, etc. La Grande-Bretagne a connu aussi une croissance soutenue pendant cette période sans pour autant atteindre les niveaux des Etats-Unis.

PIB aux Etats - Unis (1919 - 1929) 8

PIB en Grande - Bretagne 1920 - 1929 9

8 Source: Christian Saint - Etienne, The Great Depression 1929 - 1938, page 59 Source: Christian Saint - Etienne, The Great Depression 1929 - 1938, page 6

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On décrit souvent les années les années 1925-1929 comme un boom économique. Cependant certains auteurs relativisent la grandeur de cette bulle en constatant que plusieurs indicateurs macroéconomiques importants n’ont que subit modérément l’influence de celle-ci, comme le taux de chômage ou les salaires10. Soulignons aussi le fait que pendant la période de 1925-1929 précédant la grande crise, ces deux pays ont réussi à maintenir leur masse monétaire assez stable en utilisant des méthodes différentes. Les Etats-Unis ont utilisé une politique monétaire active tandis que la Grande Bretagne est rentrée à nouveau dans la parité-or.

En ce qui concerne les marchés boursiers, il est clair qu’il y a eu un énorme boom à la fin des années 1920 qui a créé une bulle spéculative encore présente dans les esprits aujourd’hui.

Les cours du Dow JONES (1920-1929) 11

10 Entre 1925 et 1929, les salaires n’ont augmenté que de 5% (Kindleberger, The World in Depression)11 Source: www.dowjones.com Archives

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La FranceDès la fin de la guerre, la l’Etat français s’attendait à vite renflouer ses caisses avec l’argent devant être versé en réparation par l’Allemagne. Pour cette raison il accorda immédiatement d’innombrables prêts publics dans l’optique d’une reconstruction rapide du pays. Cependant, l’argent tardant à venir, la France a vu sa dette déjà considérable à la fin du conflit doubler entre 1918 et 1923. Dès qu’il fut évident que l’Allemagne ne rembourserait pas ce qui était convenu, la France n’avait comme seule alternative une diminution de sa dette réelle à travers une forte inflation.

Indice des prix à la consommation en France (1920 - 1929) 12

Cette situation pénible se stabilisa avec l’arrivé en 1926 de Raymond Poincaré qui assuma les charges de Premier ministre et de ministre des Finances. Ce dernier eut le courage de rehausser les taxes fortement pour retrouver un budget équilibré en 192613. Il procéda aussi à une dévaluation de 80% du franc en 1927 car il était convaincu qu’il n’y aurait pas une déflation suffisamment importante pour revenir à la parité d’avant-guerre.

Poussée par une dette réelle considérablement diminuée et par un retour à la confiance, l’économie française connut une fin de décennie fleurissante. La production industrielle du pays, qui a augmenté d’environ 30% entre 1927 et 1930, en est le meilleur exemple. Certains, dont Keynes, qualifient de « visionnaires » les mesures prises par Poincaré car non seulement il a su relancer son économie mais il a surtout construit des bases solides qui ont permis à la France de résister relativement bien la Grande crise qui a suivi.

Evolution du PIB en FRANCE (1920 - 1929) 14

12 Source: Christian Saint - Etienne, The Great Depression 1929 - 1938, page 713 Pour la 1ère fois depuis 1913 !14 Source: Christian Saint - Etienne, The Great Depression 1929 - 1938, page 7

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L' AllemagneL’Allemagne a dû faire face à un déficit très important pendant et après la guerre. Pour subvenir à ses besoins, le gouvernement allemand a choisi d’utiliser une méthode très dangereuse de financement, à savoir la création excessive de monnaie. Quand cet outil est utilisé de manière démesurée, il conduit souvent à des dérapages au niveau de l’inflation. En effet, c’est sûrement de là que provient l’hyperinflation qui a touché l’Allemagne au début des années 1920. En juin 1922, un dollar valait 100 000 marks, en novembre il en valait 4 000 000. Ce n’est qu’au mois de novembre 1923 que la situation s’est un peu stabilisée essentiellement grâce à l’introduction d’une nouvelle monnaie et à la réduction du déficit budgétaire.

Cependant, cette stabilisation a été complète surtout grâce à un gros prêt international qui a été le précurseur d’un massif afflue de capitaux venant de l’étranger. En 1926, l’Allemagne s’est définitivement remise de sa grave crise monétaire et son économie avait le vent en poupe poussée par une industrie lourde en pleine expansion. Les chiffres de la production industrielle allemande à cette époque sont impressionnants : entre 1926 et 1927, elle a progressé de 31% ! Au niveau de l’investissement net, ce pays faisait fort aussi : ce dernier représentait entre 1927 et 1928 environ 11.8% du produit national.

Il y avait cependant un bémol à cette euphorie, à savoir que la moitié de cet investissement net provenait de prêts étrangers. Le problème des prêts mérite en soi d’être examiné un peu plus profondément, voilà pourquoi nous y consacrerons un chapitre un peu plus loin.

ConclusionNous venons de peindre l’évolution des économies des principaux acteurs économiques mondiaux de l’époque. Cherchons maintenant à conclure ce chapitre en dégageant les grandes tendances communes à tous les pays traités. Après un conflit dévastateur, l’économie mondiale semblait reprendre le chemin de la stabilité. Cependant, comme tout le monde le sait aujourd’hui, cette stabilité ne dura pas et les causes de cette rechute furent nombreuses.

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La description que nous venons de faire de l’évolution économique des pays les plus influents n’est pas suffisante pour comprendre la situation de l’époque et y voir des failles. En effet, il est nécessaire d’approfondir certains points qui, selon les auteurs auxquels nous nous référons, ont joué un rôle important dans le chemin qui a conduit à la Grande Crise.

Le système monétaire international

Le système de l’étalon or, qui avait comme caractéristique principale le fait que chaque pays avait une monnaie échangeable contre de l’or à un taux fixe, avait connu un grand succès avant la première guerre mondiale grâce à ses vertus stabilisatrices. Cependant, comme ce système rendait impossible le financement des dépenses militaires par l’émission de monnaie, les gouvernements l’abandonnèrent pendant le conflit. La conséquence directe de cette politique monétaire largement utilisée a été une forte inflation dès la fin de la guerre.

L’étalon change-orCherchant à retrouver la stabilité d’avant-guerre, les Etats-Unis revinrent à la parité or en 1919, suivis quelques années plus tard par les autres pays qui apportèrent cependant une modification à l’ancien système. En effet, lors d’une conférence à Gênes en 1922, un ensemble de pays dont l’Italie, la France, le Japon et la Grande-Bretagne faisaient partie, réalisa que les besoins des banques centrales en or risquaient de ne plus être satisfaits et donc il fut décidé d’adopter un système dit d’étalon change - or. Ce nouveau système devait résoudre ce problème en permettant aux petits pays de détenir comme réserve des devises de certains grands pays.

A l’aube de la Grande Crise, ce système montra ses limites. En effet, quand les Etats-Unis contractèrent leur masse monétaire pour freiner leur économie en « surchauffe » et que la France revint à la parité or, une masse de capitaux afflua vers ces deux pays. Le surplus dans leur balance des paiements fit que ces deux pays amassaient l’or mondial, pour en détenir jusqu’à 70% à eux seuls en 1932.

En définitive, ce système sensé garantir l’équilibre monétaire mondial n’a pas tenu son rôle jusqu’au bout et beaucoup le considère même comme la cause principale de la Grande Crise.

La crise agricole aux Etats-Unis

Les Etats-Unis ont connu une crise dans le secteur agricole à une période où beaucoup d’autres industries fleurissaient. Certains y voient un signe prémonitoire de la crise de 1931 tandis que d’autres minimisent son importance. Essayons de voir quelles sont les causes principales de cette crise agricole avant de discuter de la controverse sur son lien avec la Grande Crise.

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L’agriculture américaine de l’après guerreDans la littérature, le terme de crise est presque unanimement utilisé pour décrire le moment difficile qu’a connu l’agriculture américaine pendant les années 1920. Cependant, avant d’aller plus loin dans l’analyse, notons qu’en termes réels l’agriculture américaine n’a pas souffert autant qu’on le dit souvent. En effet, le nombre de travailleurs agricoles, à savoir plus de 10,5 millions, n’a pas varié entre 1919 et 1929. La même réflexion est valable aussi pour la production en termes réels, qui a progressé doucement pendant cette période. Alors pourquoi parle-t-on de crise ? Christian Saint-Etienne fournit deux explications.

Tout d’abord, l’agriculture américaine a mal digéré le retour à la normal dans le marché dès la fin de la guerre. En effet, les agriculteurs américains ont bénéficié pendant le conflit de conditions de marché particulièrement favorables. Etant donné que leurs produits étaient très prisés en période de guerre à cause de l’absence de certains concurrents européens sur le marché, les producteurs américains vendaient à des prix bien plus élevés qu’auparavant. Cependant, la pénurie qui régnait pendant la guerre a vite disparu dès 1919 et l’industrie agricole américaine a dû faire face à un renouveau dans la concurrence et donc à une baisse rapide des prix sur le marché. Bien que les agriculteurs aient perçu cette baisse comme une crise, les statistiques montrent que les prix sont juste revenus aux niveaux d’avant-guerre.

Une autre raison explique pourquoi on perçoit cette période comme une crise dans l’agriculture américaine. Si l’on compare les chiffres de la production réelle du secteur agricole avec ceux du produit national réel, on comprend l’inquiétude des agriculteurs de l’époque. En effet, la production agricole a augmenté en moyenne de 1% par an entre 1920 et 1929, tandis que le produit national a lui augmenté en moyenne de 4% sur la même période.

Pourcentage du secteur agricole dans le PIB (USA) 15

15 Source: Christian Saint - Etienne, The Great Depression 1929 - 1938, page 11

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La controverse sur l’indépendance de cette dépression dans l’agricultureY-t-il un lien de cause à effet entre ces deux crise ou sont-elle indépendantes ? Voilà une question qui divise.

Certains observateurs sont convaincus que les crises dans les différents domaines comme l’agriculture ou le monde financier sont largement indépendantes, celles-ci faisant partie de cycles de marché. Kindleberger affirme que cette idée provient essentiellement de la tendance à résumer la Grande Crise en une série d’accidents historique.

Le Président Hoover résuma lui en deux facteurs les causes qui ont poussé ce secteur à la stagnation. Premièrement, il affirma que ce sont des spéculations qui ont déstabilisé le marché et que les gouvernements européens ont une part de responsabilité car ils n’ont pas eu le courage d’intervenir. Cette dernière accusation ne doit pas cependant faire oublier que cette crise est partie avant tout de spéculations aux Etats-Unis. Le deuxième argument avec lequel le président justifiait cette crise était le fait que ce secteur se trouvait partout dans le monde en situation de surproduction. Notons que ce dernier aspect a été le précurseur d’une situation qui a touché bien d’autres marchés.

Le débat sur les causes et les conséquences de la crise de ce secteur n’ont jamais cessé, et les argument pour et contre se multiplient. Plutôt que de nous attarder sur les détails de ce débat, nous préférons en présenter un aspect en particulier qui montre bien l’esprit et le comportement des producteurs agricoles à l’aube de la Grande Crise.

Christian Saint-Etienne insiste beaucoup sur le rôle politique et économique qu’ont joué les acteurs de ce marché à l’époque. En effet, il souligne le fait que le lobby agricole était très puissant au Congrès américain et qu’il a sûrement poussé ce dernier à prendre des décisions contraires à l’intérêt de l’économie tout entière.

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Supportant mal la chute des prix de l’après-guerre ainsi que les performance en demi-teinte de leur secteur par rapport à l’économie en général, les agriculteurs ont fait pression sur le président républicain Hoover pour qu’il introduise de lourdes taxes à l’importation. Politiquement faible sans l’appui de ce lobby, il se plia aux revendications vers la fin des années 1920. Le problème a été que les pays européens ont très mal pris ces nouvelles frontières au commerce international et ont donc réagit en rendant eux aussi leur frontière plus hermétiques. De plus, le présidant a agit malgré une pétition de plus de 1 000 économistes américains qui prévoyaient l’inutilité d’une telle mesure. Le résultat de cette politique a été que l’agriculture américaine n’a pas corrigé le déficit de sa balance commercial et que le commerce international a commencé à se détériorer. En voulant agir uniquement dans leurs propres intérêts, ce lobby a donc sûrement contribué à sa façon à la fragilisation de la situation d’avant 1931.

Cette crise agricole est un exemple qui a fait tirer la sonnette d’alarme à plus d’un. Ce secteur souffrait avant les autres de problèmes qui n’ont pas tardé à se propager. Sur la question de savoir si cette crise est un peu responsable de la Grande Crise de 1931, nous ne voulons pas essayer d’y répondre clairement car ce n’est pas le but de notre travail. Constatons juste la fragilité des bases de ce secteur qui n’a pas su se restructurer de manière adéquate suite aux changements de l’après-guerre et qui a influencé négativement la politique de son pays.

Le problème des réparations

Le problème des réparations est un sujet historique très controversé. Nous allons cependant laisser ce débat en suspens jusqu’à notre exposé oral qui y sera en grande partie consacré. Essayons quand même de comprendre en quoi consistaient ces réparations et dans quelle mesure elles ont été exécutées.

Versailles, un traité insuffisant pour garantir un remboursement completHistoriquement, la France fait figure de bon élève en ce qui concerne les réparations de guerre. En effet, après leur défaite à Waterloo, les français ont versé 700 millions de francs à la Grande-Bretagne ; en 1871, l’Allemagne a reçu de la France environ 5 000 millions de marks suite au conflit qui les a opposé. Après avoir payé, les français allait enfin recevoir eux aussi des compensations de la part des allemands pour les dégâts occasionné lors de la première guerre mondiale. Cependant, le processus de remboursement ne fut jamais complété.

Tout commença à Versailles où l’on essaya de trouver un compromis sur le montant des réparations, mais on se demandait à ce moment-là comment faire payer un pays comme l’Allemagne qui devait déjà faire face à des coûts de guerre importants ? La conclusion de ce traité fut donc difficile et aucun montant fixe ne fut décidé. On trouva juste un accord sur des principes généraux de paiement en titres étrangers et en exportations en attendant qu’une commission ne tranche sur une somme précise.

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Le montant fixé en 1921 fut 132 000 millions de marks en or, mais les Allemand estimaient à ce moment-là avoir déjà remboursé 20'000 millions grâce au travaux effectués dans les territoires cédés à la France. Les membres alliés de la commission estimèrent cependant la somme déjà versée à environ 7900 millions, ce qui créa un premier désaccord sur plus de 12 000 millions. En attendant, les Allemands perdirent la propriété de tous leurs brevets. Un climat tendu régnait donc entre les deux pays qui ne montraient pas de signes de bonne volonté. Par exemple, la France refusa d’utiliser des ouvriers allemands pour la reconstruction du Nord du pays, tandis que l’Allemagne affirmait ne pas pouvoir fournir plus de charbon bien qu’en 1926 elle en exporta largement en Grande Bretagne. La querelle est devenue totale et des troupes françaises pénétrèrent en Ruhr en réaction à la diminution des paiements provenant de l’Allemagne. De plus, l’hyperinflation est venue corser la situation à ce moment-là.

Le plan de Dowes et le plan YoungL’Allemagne, la France et la Grande Bretagne réussirent enfin à se mettre d’accord en mettant sur pied une nouvelle commission chargée d’établir un plan d’action pour rééquilibrer le budget de l’Allemagne et stabiliser sa monnaie. Cette commission était présidée par le directeur du Bureau du budget américain Charles G. Dowes accompagné de la crème des financiers de Wall or Cette commission a établi un calendrier de remboursement commençant par un paiement annuel de 1 000 millions de marks en or suivis de montants de 2 000 millions qui devaient varier en fonction de la conjoncture économique, mais le total à verser ne fut pas encore fixé. Pour satisfaire Poincaré qui demandait des matières premières, un prêt de 800 millions de marks fut accordé à l’Allemagne afin de lui permettre de relancer l’investissement en capital.

En 1929, on a dû à nouveau négocier le mode de paiement des réparations et redéfinir son échelonnement pour parvenir enfin à une somme totale. Ces nouvelles conditions furent définies dans le plan Young qui contenait un accord sur le paiement d'une somme totale de 37 milliards de marks versable annuellement jusqu'en 1989.

Notons qu’en définitive, l’Allemagne n’a pas payé entièrement ce qui était prévu, contrairement à la France qui avait toujours maintenu ses engagements. Sur les 37 milliards promis, l'Allemagne n'en paya que 17 milliards 16. Cette somme est d'autant plus scandaleuse que l'Allemagne a reçu des prêts venant de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis pour plus de 27 milliards, ce qui montre bien que les allemands n'ont pas été aussi accablés après la guerre que certains voudraient bien le faire croire.

Keynes et le "transfer problem"Un aspect important du problème des réparations mérite encore notre attention. En 1929, Keynes souligna une conséquence négative des remboursements de guerre qu'il nomma "transfer problem". Lorsqu'un pays comme l'Allemagne est forcé à verser des montants fixes à un autre pays comme la France, il effectue automatiquement aussi un transfert de son pouvoir d'achat. Cela a comme

16 Source: The Time History of the World, Time Books, London, 1997

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conséquence une détérioration des échanges internationaux du débiteur qui peut conduire souvent à une diminution de la valeur de ses biens produits pour l'exportation. Le problème vient du fait que le débiteur utilise ces biens pour rembourser ses dettes mais il risque de ne pas pouvoir le faire entièrement car sa production a perdu de la valeur. Le pays créancier se voit donc lui aussi perdant car il ne récupère pas ce qui lui était dû.

Il n'est pas étonnant que Keynes souligne cet effet pervers provenant de ces réparations dont il était l'un des principaux détracteurs. Cette justification des "difficultés" de l'Allemagne à rembourser la France ne suffit cependant pas à excuser la somme colossal non payée.

Les dettes de guerre

Les Américains, puissants créanciers de l’après-guerrePendant la première guerre mondiale, les Etats-Unis ont fourni des matières premières et de l’argent aux Européens qui se déchiraient mutuellement. Dès la fin du conflit, les américains n’ont pas voulu entendre parler de réparations, mais ils souhaitaient négocier le remboursement des créances qu’ils avaient contre l’Europe. La Grande-Bretagne, elle, proposa d’effacer les dettes de guerre mais, face à l’insistance des Etats-Unis qui voulaient récupérer l’argent prêté, elle n’eut pas le choix et dû réclamer un remboursement au moins pour le montant qu’elle devait aux américains. Cet exemple montre bien qu’à ce moment-là, les Etats-Unis ont pris les reines du monde qui lui était débiteur. Leur position de force leur permit de négocier pays par pays en accordant des taux différents selon la réalité économique de chaque débiteur. La Grande-Bretagne, par exemple, se vit attribuer un taux élevé de plus de 3% sur sa dette remboursable sur soixante-deux ans. On comprend ce taux d’intérêt en regardant le graphique ci-dessous qui montre que la Grande-Bretagne était elle aussi une grande créancière et donc ne méritait pas les faveurs des américains. Par contre, des pays en difficulté comme la France, l’Italie et la Yougoslavie ont obtenu respectivement des taux de 1.6%, 0.4% et 1%.

Dettes entre les alliés à la fin de la guerre 17

17 Source : Charles Kindleberger, The World in Depression 1929 - 1939

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Une triangulation fragile Parmi toutes les situations fragiles qui découlaient des dettes de guerre, une se démarque. Un vrai cercle vicieux s'était formé entre trois pays, à savoir l'Allemagne, les Etats-Unis et la France.

Tout d'abord, l'Allemagne recevait des prêts à court terme des américains qu'elle allouait aux remboursements de ses dettes envers la France et à l'investissement en capital. Quand ils recevaient de l'argent des réparations, les français en profitaient pour rembourser à leur tour les Etats-Unis dont ils étaient les débiteurs. Cette triangulation a montré toute sa fragilité le jour où les Etats-Unis ont cessé de prêter à court terme à l'Allemagne. En effet les allemands, ayant investi à long terme en capital, n'avaient plus les fonds nécessaires pour rembourser régulièrement la France, qui se retrouva alors aussi en difficulté.

Schéma de la Triangulation 18

18 Source: cours du Professeur Lambelet, 21 octobre 2003

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Etats-Unis

France

Grande-Bretagne

Autres pays est endetté envers

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Cet exemple montre bien comment ce système économique qui semblait converger vers une stabilisation, ne tenait certaines fois qu'à un fil.

Conclusion

Nous voilà parvenu à la fin de notre description de l’économie pendant les années 1919-1929. En parcourant plusieurs ouvrages traitant de la situation économique ayant précédé la Grande Dépression, nous nous sommes rendu compte de la complexité de la situation. En effet, l’ordre mondial a changé à ce moment-là et les équilibres ont été bouleversés. Les politiques monétaires variaient constamment en réponse à une inflation instable, les querelles politiques et les incompréhensions bloquaient le bon déroulement des échanges internationaux, des chassés croisés de prêts et de réparations d’après-guerre déstabilisaient les marchés… Cette liste pourrait continuer sur plusieurs pages, ce qui montre qu’il ne manquait pas de facteurs pouvant mener une économie vers une dépression, malgré un retour apparent à la stabilité.

Si l’on zoom en arrière et que l’on examine cette période par rapport à l’évolution de l’économie mondiale sur les deux derniers siècles, on s’aperçoit qu’elle a représenté un tournant important. En effet, c’est à ce moment-là que l’Europe a définitivement perdu sa domination sur l’économie mondiale au profit des Etats-Unis et même du Japon. Sa position d’infériorité par rapport à leur concurrent d’outre Atlantique est d’ailleurs toujours d’actualité.

CONCLUSION GENERALE

Nous voilà parvenus au bout de notre analyse politique et économique des années ayant précédé la Grande crise de 1931. En abordant ce vaste sujet, nous nous sommes demandé comment traiter la masse d'information qui était à notre disposition sans nous perdre dans des détails inutiles à l'analyse. Nous avons décidé d'opter pour le choix de certains auteurs que le professeur Lambelet nous a recommandés en étant conscients que le choix des sujets sur lesquels ils se focalisent est en partie arbitraire. Nous avons cependant été confrontés à un problème

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Etats-Unis

Allemagne

France

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inattendu, à savoir que malgré un grand nombre d'ouvrages à notre disposition, certains chiffres importants nous ont échappé comme le montant final des réparations versées par l'Allemagne qui nous a pour finir été communiqué par le professeur.

La littérature que nous avons utilisée ne traite que très peu d'un autre aspect de la crise que nous aurions pu développer dans un troisième chapitre. Les hommes et leur condition psychologique du moment ne sont-ils pas en soi une cause probable de l'effondrement du système? Probablement que oui, car on ne répète jamais assez que la plupart des familles européennes ont perdu un membre proche ou éloigné pendant le conflit et les traces de ces drames n'ont sûrement pas pu disparaître avec la signature de traités. L'absence d'une génération de têtes pensantes décimée pendant la guerre a sûrement aussi pesé dans la balance.

La voie est maintenant ouverte pour les groupes suivants qui nous l'espérons auront acquis par la lecture de ce document des informations suffisamment claires pour rentrer dans le vif du sujet.

BIBLIOGRAPHIE

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