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Visite du pape François aux institutions Européennes mardi 25 novembre 2014 Diocèse de Sens-Auxerre AUXERRE SENS DIOCESE

Visite du François à Strasbourg

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Visite du pape François aux institutions Européennes

mardi 25 novembre 2014

Diocèse de Sens-Auxerre

AUXERRESENS

DIOCESE

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Sommaire

Discours du pape François au Parlement européen 5

Discours du pape François au Conseil de l’Europe 17

Source des textes : site internet du VaticanMis en page par le Service Communication du diocèse de Sens-Auxerre

Crédits Photos :1re de couverture : Wikicommons4e de couverture : Observatore Romano

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Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Vice-présidents,Honorables Députés Européens,Personnes qui travaillent à des titres divers dans cet hémicycle,Chers amis,

Je vous remercie pour l’invitation à prendre la parole devant cette institutionfondamentale de la vie de l’Union Européenne, et pour l’opportunité quim’est offerte de m’adresser, à travers vous, à plus de cinq cents millions decitoyens des 28 pays membres que vous représentez. Je désire exprimer unegratitude particulière à vous, Monsieur le Président du Parlement, pour lesparoles cordiales de bienvenue que vous m’avez adressées, au nom de tousles membres de l’Assemblée.

Ma visite a lieu plus d’un quart de siècle après celle accomplie par le Pape Jean Paul II. Beaucoup de choses ont changé depuis lors, en Europe et dansle monde entier. Les blocs opposés qui divisaient alors le continent en deuxn’existent plus, et le désir que “l’Europe, se donnant souverainement desinstitutions libres, puisse un jour se déployer aux dimensions que lui ontdonnées la géographie et plus encore l’histoire”1, se réalise lentement.

À côté d’une Union Européenne plus grande, il y a aussi un monde pluscomplexe, et en fort mouvement. Un monde toujours plus interconnectéet globalisé, et donc de moins en moins “eurocentrique”. À une Unionplus étendue, plus in uente, semble cependant s’adjoindre l’image d’uneEurope un peu vieillie et comprimée, qui tend à se sentir moins protagonistedans un contexte qui la regarde souvent avec distance, mé ance, et parfoisavec suspicion.

1. Jean Paul II, Discours au Parlement européen, 11 octobre 1988, n. 5

Discours du pape François

au Parlement européen

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En m’adressant à vous aujourd’hui, à partir de ma vocation de pasteur, jedésire adresser à tous les citoyens européens un message d’espérance etd’encouragement.

Un message d’espérance fondé sur la con ance que les dif cultés peuventdevenir des promotrices puissantes d’unité, pour vaincre toutes les peursque l’Europe – avec le monde entier – est en train de traverser. L’espérancedans le Seigneur qui transforme le mal en bien, et la mort en vie.

Encouragement pour revenir à la ferme conviction des Pères fondateurs del’Union Européenne, qui ont souhaité un avenir fondé sur la capacité detravailler ensemble a n de dépasser les divisions, et favoriser la paix et lacommunion entre tous les peuples du continent. Au centre de cet ambitieuxprojet politique il y avait la con ance en l’homme, non pas tant commecitoyen, ni comme sujet économique, mais en l’homme comme personnedotée d’une dignité transcendante.

Je tiens avant tout à souligner le lien étroit qui existe entre ces deux paroles :“dignité” et “transcendante”.

La “dignité” est une parole-clé qui a caractérisé la reprise du second après-guerre. Notre histoire récente se caractérise par l’indubitable centralité dela promotion de la dignité humaine contre les violences multiples et lesdiscriminations qui, même en Europe, n’ont pas manqué dans le cours dessiècles. La perception de l’importance des droits humains naît justementcomme aboutissement d’un long chemin, fait de multiples souffrances etsacri ces, qui a contribué à former la conscience du caractère précieux,de l’unicité qu’on ne peut répéter de toute personne humaine individuelle.Cette conscience culturelle trouve son fondement, non seulement dans lesévénements de l’histoire, mais surtout dans la pensée européenne, caracté-risée par une riche rencontre, dont les nombreuses sources lointaines pro-viennent “de la Grèce et de Rome, de fonds celtes, germaniques et slaves,et du christianisme qui l’a profondément pétrie”2, donnant lieu justementau concept de “personne”.

2. Jean-Paul II, Discours à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 8 octobre 1988

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Aujourd’hui, la promotion des droits humains joue un rôle central dansl’engagement de l’Union Européenne, en vue de favoriser la dignité de lapersonne, en son sein comme dans ses rapports avec les autres pays. Ils’agit d’un engagement important et admirable, puisque trop de situationssubsistent encore dans lesquelles les êtres humains sont traités comme desobjets dont on peut programmer la conception, la con guration et l’uti-lité, et qui ensuite peuvent être jetés quand ils ne servent plus, parce qu’ilsdeviennent faibles, malades ou vieux.

Quelle dignité existe vraiment, quand manque la possibilité d’exprimer li-brement sa pensée ou de professer sans contrainte sa foi religieuse ? Quelledignité est possible, sans un cadre juridique clair, qui limite le domaine dela force et qui fasse prévaloir la loi sur la tyrannie du pouvoir ? Quelle digni-té peut jamais avoir un homme ou une femme qui fait l’objet de toute sortede discriminations ? Quelle dignité pourra jamais avoir une personne quin’a pas de nourriture ou le minimum nécessaire pour vivre et, pire encore,qui n’a pas le travail qui l’oint de dignité ?

Promouvoir la dignité de la personne signi e reconnaître qu’elle possèdedes droits inaliénables dont elle ne peut être privée au gré de certains, etencore moins au béné ce d’intérêts économiques.

Mais il convient de faire attention pour ne pas tomber dans des équivoquesqui peuvent naître d’un malentendu sur le concept de droits humains et deleur abus paradoxal. Il y a en effet aujourd’hui la tendance à une revendica-tion toujours plus grande des droits individuels – je suis tenté de dire indi-vidualistes –, qui cache une conception de la personne humaine détachéede tout contexte social et anthropologique, presque comme une “monade”(µονας ), toujours plus insensible aux autres “monades” présentes autourde soi. Au concept de droit, celui - aussi essentiel et complémentaire - dedevoir, ne semble plus associé, de sorte qu’on nit par af rmer les droitsindividuels sans tenir compte que tout être humain est lié à un contextesocial dans lequel ses droits et devoirs sont connexes à ceux des autres etau bien commun de la société elle-même.

Par conséquent je considère qu’il est plus que jamais vital d’approfondir

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aujourd’hui une culture des droits humains qui puisse sagement relier ladimension individuelle, ou mieux, personnelle, à celle de bien commun, dece “nous-tous” formé d’individus, de familles et de groupes intermédiairesqui s’unissent en communauté sociale3. En effet, si le droit de chacun n’estpas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il nit par se concevoircomme sans limites et, par conséquent, devenir source de con its et deviolences.

Parler de la dignité transcendante de l’homme signi e donc faire appel àsa nature, à sa capacité innée de distinguer le bien du mal, à cette “bous-sole” inscrite dans nos cœurs et que Dieu a imprimée dans l’univers créé4 ;cela signi e surtout de regarder l’homme non pas comme un absolu, maiscomme un être relationnel. Une des maladies que je vois la plus répandueaujourd’hui en Europe est la solitude, précisément de celui qui est privéde liens. On la voit particulièrement chez les personnes âgées, souventabandonnées à leur destin, comme aussi chez les jeunes privés de pointsde référence et d’opportunités pour l’avenir ; on la voit chez les nombreuxpauvres qui peuplent nos villes ; on la voit dans le regard perdu des migrantsqui sont venus ici en recherche d’un avenir meilleur.

Cette solitude a été ensuite accentuée par la crise économique, dont leseffets perdurent encore, avec des conséquences dramatiques du point devue social. On peut constater qu’au cours des dernières années, à côté duprocessus d’élargissement de l’Union Européenne, s’est accrue la mé ancedes citoyens vis-à-vis des institutions considérées comme distantes, occu-pées à établir des règles perçues comme éloignées de la sensibilité despeuples particuliers, sinon complètement nuisibles. D’un peu partout on a

une impression générale de fatigue, de vieillissement, d’une Europe grand-mère et non plus féconde et vivante. Par conséquent, les grands idéaux quiont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive, en faveur dela technique bureaucratique de ses institutions.

À cela s’ajoutent des styles de vie un peu égoïstes, caractérisés par uneopulence désormais insoutenable et souvent indifférente au monde envi-

3. Cf. Benoît XVI, Caritas in veritate, n. 7 ; Conc. Œcum. Vat. II, Const. Past. Gaudium et spes, n. 264. Cf. Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 37

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ronnant, surtout aux plus pauvres. On constate avec regret une prévalencedes questions techniques et économiques au centre du débat politique, audétriment d’une authentique orientation anthropologique5. L’être humainrisque d’être réduit à un simple engrenage d’un mécanisme qui le traite àla manière d’un bien de consommation à utiliser, de sorte que – nous leremarquons malheureusement souvent – lorsque la vie n’est pas utile aufonctionnement de ce mécanisme elle est éliminée sans trop de scrupule,comme dans le cas des malades, des malades en phase terminale, des per-sonnes âgées abandonnées et sans soin, ou des enfants tués avant de naître.

C’est une grande méprise qui advient “quand l’absolutisation de la tech-nique prévaut”6, ce qui nit par produire “une confusion entre la n etmoyens”7. Résultat inévitable de la “culture du déchet“ et de la “mentalitéde consommation exagérée”. Au contraire, af rmer la dignité de la per-sonne c’est reconnaître le caractère précieux de la vie humaine, qui nous estdonnée gratuitement et qui ne peut, pour cette raison, être objet d’échangeou de commerce. Dans votre vocation de parlementaires, vous êtes aussiappelés à une grande mission, bien qu’elle puisse sembler inutile : prendresoin de la fragilité, de la fragilité des peuples et des personnes. Prendre soin

de la fragilité veut dire force et tendresse, lutte et fécondité, au milieu d’unmodèle fonctionnaliste et privatisé qui conduit inexorablement à la “culturedu déchet”. Prendre soin de la fragilité de la personne et des peuples signi-

e garder la mémoire et l’espérance ; signi e prendre en charge la personneprésente dans sa situation la plus marginale et angoissante et être capablede l’oindre de dignité8.

Comment donc redonner espérance en l’avenir, de sorte que, à partir des

jeunes générations, on retrouve la con ance a n de poursuivre le grandidéal d’une Europe unie et en paix, créative et entreprenante, respectueusedes droits et consciente de ses devoirs ?

Pour répondre à cette question, permettez-moi de recourir à une image.

5. Cf. Evangelii gaudium, n. 556. Benoît XVI, Caritas in veritate, n. 71.7. Ibid.8. Cf. Evangelii gaudium, n. 209.

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Une des fresques les plus célèbres de Raphaël qui se trouvent au Vaticanreprésente la dite École d’Athènes. Au centre se trouvent Platon et Aristote.Le premier a le doigt qui pointe vers le haut, vers le monde des idées, nouspourrions dire vers le ciel ; le second tend la main en avant, vers celui quiregarde, vers la terre, la réalité concrète. Cela me paraît être une image quidécrit bien l’Europe et son histoire, faite de la rencontre continuelle entre leciel et la terre, où le ciel indique l’ouverture à la transcendance, à Dieu, quia depuis toujours caractérisé l’homme européen, et la terre qui représentesa capacité pratique et concrète à affronter les situations et les problèmes.

L’avenir de l’Europe dépend de la redécouverte du lien vital et inséparableentre ces deux éléments. Une Europe qui n’a plus la capacité de s’ouvrir àla dimension transcendante de la vie est une Europe qui lentement risquede perdre son âme, ainsi que cet “esprit humaniste” qu’elle aime et défendcependant.

Précisément à partir de la nécessité d’une ouverture au transcendant, jeveux af rmer la centralité de la personne humaine, qui se trouve autrementà la merci des modes et des pouvoirs du moment. En ce sens j’estime fon-damental, non seulement le patrimoine que le christianisme a laissé dans lepassé pour la formation socioculturelle du continent, mais surtout la contri-bution qu’il veut donner, aujourd’hui et dans l’avenir, à sa croissance. Cettecontribution n’est pas un danger pour la laïcité des États ni pour l’indépen-dance des institutions de l’Union, mais au contraire un enrichissement. Lesidéaux qui l’ont formée dès l’origine le montrent bien : la paix, la subsidia-rité et la solidarité réciproque, un humanisme centré sur le respect de ladignité de la personne.

Je désire donc renouveler la disponibilité du Saint Siège et de l’Église catho-lique – à travers la Commission des Conférences Épiscopales Européennes(COMECE) – pour entretenir un dialogue pro table, ouvert et transparentavec les institutions de l’Union Européenne. De même, je suis convaincuqu’une Europe capable de mettre à pro t ses propres racines religieuses,sachant en recueillir la richesse et les potentialités, peut être plus facilementimmunisée contre les nombreux extrémismes qui déferlent dans le monde

d’aujourd’hui, et aussi contre le grand vide d’idées auquel nous assistons en

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Occident, parce que “c’est l’oubli de Dieu, et non pas sa glori cation, quiengendre la violence”9.

Nous ne pouvons pas ici ne pas rappeler les nombreuses injustices et per-sécutions qui frappent quotidiennement les minorités religieuses, en parti-culier chrétiennes, en divers endroits du monde. Des communautés et despersonnes sont l’objet de violences barbares : chassées de leurs maisons etde leurs patries ; vendues comme esclaves ; tuées, décapitées, cruci ées etbrûlées vives, sous le silence honteux et complice de beaucoup.

La devise de l’Union Européenne est Unité dans la diversité, mais l’unité nesigni e pas uniformité politique, économique, culturelle ou de pensée. Enréalité, toute unité authentique vit de la richesse des diversités qui la com-posent : comme une famille qui est d’autant plus unie que chacun des sienspeut être, sans crainte, davantage soi-même. Dans ce sens, j’estime quel’Europe est une famille des peuples, lesquels pourront sentir les institutionsde l’Union proches dans la mesure où elles sauront sagement conjuguerl’idéal de l’unité à laquelle on aspire, à la diversité propre de chacun, valo-risant les traditions particulières, prenant conscience de son histoire et deses racines, se libérant de nombreuses manipulations et phobies. Mettre aucentre la personne humaine signi e avant tout faire en sorte qu’elle exprimelibrement son visage et sa créativité, au niveau des individus comme auniveau des peuples.

D’autre part, les particularités de chacun constituent une richesse authen-tique dans la mesure où elles sont mises au service de tous. Il faut toujoursse souvenir de l’architecture propre de l’Union Européenne, basée sur lesprincipes de solidarité et de subsidiarité, de sorte que l’aide mutuelle pré-vale, et que l’on puisse marcher dans la con ance réciproque.

Dans cette dynamique d’unité-particularité, se pose à vous, Mesdames etMessieurs les Eurodéputés, l’exigence de maintenir vivante la démocratie,la démocratie des peuples d’Europe. Il est connu qu’une conception unifor-misante de la mondialité touche la vitalité du système démocratique, affai-

9. Benoît XVI, Discours aux Membres du Corps Diplomatique, 7 janvier 2013

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blissant le débat riche, fécond et constructif des organisations et des partispolitiques entre eux.

On court ainsi le risque de vivre dans le règne de l’idée, de la seule parole,de l’image, du sophisme… et de nir par confondre la réalité de la démo-cratie avec un nouveau nominalisme politique. Maintenir vivante la démo-cratie en Europe demande d’éviter les “manières globalisantes” de diluer laréalité : les purismes angéliques, les totalitarismes du relativisme, les fon-damentalismes anhistoriques, les éthiques sans bonté, les intellectualismessans sagesse10.

Maintenir vivante la réalité des démocraties est un dé de ce moment his-torique, en évitant que leur force réelle – force politique expressive despeuples – soit écartée face à la pression d’intérêts multinationaux non uni-versels, qui les fragilisent et les transforment en systèmes uniformisés de pou-voir nancier au service d’empires inconnus. C’est un dé qu’aujourd’huil’histoire vous lance.

Donner espérance à l’Europe ne signi e pas seulement reconnaître la cen-tralité de la personne humaine, mais implique aussi d’en favoriser les capa-cités. Il s’agit donc d’y investir ainsi que dans les domaines où ses talentsse forment et portent du fruit. Le premier domaine est sûrement celui del’éducation, à partir de la famille, cellule fondamentale et élément précieuxde toute société. La famille unie, féconde et indissoluble porte avec elleles éléments fondamentaux pour donner espérance à l’avenir. Sans cettesolidité, on nit par construire sur le sable, avec de graves conséquencessociales. D’autre part, souligner l’importance de la famille non seulementaide à donner des perspectives et l’espérance aux nouvelles générations,mais aussi aux nombreuses personnes âgées, souvent contraintes à vivredans des conditions de solitude et d’abandon parce qu’il n’y a plus la cha-leur d’un foyer familial en mesure de les accompagner et de les soutenir.

À côté de la famille, il y a les institutions éducatives : écoles et universités.L’éducation ne peut se limiter à fournir un ensemble de connaissances tech-

10 Cf. Evangelii gaudium, n. 231

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niques, mais elle doit favoriser le processus plus complexe de croissance dela personne humaine dans sa totalité. Les jeunes d’aujourd’hui demandentà pouvoir avoir une formation adéquate et complète pour regarder l’aveniravec espérance, plutôt qu’avec désillusion. Ensuite, les potentialités créa-tives de l’Europe dans divers domaines de la recherche scienti que, dontcertains ne sont pas encore complètement explorés, sont nombreuses. Ilsuf t de penser par exemple aux sources alternatives d’énergie, dont le dé-veloppement servirait beaucoup à la protection de l’environnement.

L’Europe a toujours été en première ligne dans un louable engagement enfaveur de l’écologie. Notre terre a en effet besoin de soins continus et d’at-tentions ; chacun a une responsabilité personnelle dans la protection de lacréation, don précieux que Dieu a mis entre les mains des hommes. Celasigni e, d’une part, que la nature est à notre disposition, que nous pouvonsen jouir et en faire un bon usage ; mais, d’autre part, cela signi e que nousn’en sommes pas les propriétaires. Gardiens, mais non propriétaires. Parconséquent, nous devons l’aimer et la respecter, tandis qu’“au contraire,nous sommes souvent guidés par l’orgueil de dominer, de posséder, demanipuler, d’exploiter ; nous ne la “gardons” pas, nous ne la respectons

pas, nous ne la considérons pas comme un don gratuit dont il faut prendresoin”11. Respecter l’environnement signi e cependant non seulement se li-miter à éviter de le dé gurer, mais aussi l’utiliser pour le bien. Je pense sur-tout au secteur agricole, appelé à donner soutien et nourriture à l’homme.On ne peut tolérer que des millions de personnes dans le monde meurentde faim, tandis que des tonnes de denrées alimentaires sont jetées chaquejour de nos tables. En outre, respecter la nature, nous rappelle que l’hommelui-même en est une partie fondamentale. À côté d’une écologie environne-mentale, il faut donc une écologie humaine, faite du respect de la personne,que j’ai voulu rappeler aujourd’hui en m’adressant à vous.

Le deuxième domaine dans lequel eurissent les talents de la personnehumaine, c’est le travail. Il est temps de favoriser les politiques de l’emploi,mais il est surtout nécessaire de redonner la dignité au travail, en garantis-sant aussi d’adéquates conditions pour sa réalisation. Cela implique, d’unepart, de repérer de nouvelles manières de conjuguer la exibilité du marché

11 François, Audience générale, 5 juin 2013.

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avec les nécessités de stabilité et de certitude des perspectives d’emploi, in-dispensables pour le développement humain des travailleurs ; d’autre part,cela signi e favoriser un contexte social adéquat, qui ne vise pas l’exploi-tation des personnes, mais à garantir, à travers le travail, la possibilité deconstruire une famille et d’éduquer les enfants.

De même, il est nécessaire d’affronter ensemble la question migratoire. Onne peut tolérer que la Mer Méditerranéenne devienne un grand cimetière !Dans les barques qui arrivent quotidiennement sur les côtes européennes, ily a des hommes et des femmes qui ont besoin d’accueil et d’aide. L’absenced’un soutien réciproque au sein de l’Union Européenne risque d’encouragerdes solutions particularistes aux problèmes, qui ne tiennent pas compte dela dignité humaine des immigrés, favorisant le travail d’esclave et des ten-sions sociales continuelles. L’Europe sera en mesure de faire face aux pro-blématiques liées à l’immigration si elle sait proposer avec clarté sa propreidentité culturelle et mettre en acte des législations adéquates qui sachenten même temps protéger les droits des citoyens européens et garantir l’ac-cueil des migrants ; si elle sait adopter des politiques justes, courageuses etconcrètes qui aident leurs pays d’origine dans le développement sociopoli-

tique et dans la résolution des con its internes – cause principale de ce phé-nomène – au lieu des politiques d’intérêt qui accroissent et alimentent cescon its. Il est nécessaire d’agir sur les causes et non seulement sur les effets.

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs les Députés,

La conscience de sa propre identité est nécessaire aussi pour dialoguer demanière prospective avec les États qui ont demandé d’entrer pour faire par-tie de l’Union Européenne à l’avenir. Je pense surtout à ceux de l’aire bal-kanique pour lesquels l’entrée dans l’Union Européenne pourra répondreà l’idéal de paix dans une région qui a grandement souffert des con itsdans le passé. En n, la conscience de sa propre identité est indispensabledans les rapports avec les autres pays voisins, particulièrement avec ceuxqui bordent la Méditerranée, dont beaucoup souffrent à cause de con itsinternes et de la pression du fondamentalisme religieux ainsi que du terro-risme international.

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À vous législateurs, revient le devoir de protéger et de faire grandir l’identitéeuropéenne, a n que les citoyens retrouvent con ance dans les institutionsde l’Union et dans le projet de paix et d’amitié qui en est le fondement.Sachant que “plus grandit le pouvoir de l’homme plus s’élargit le champde ses responsabilités, personnelles et communautaires”12. Je vous exhortedonc à travailler pour que l’Europe redécouvre sa bonne âme.

Un auteur anonyme du IIe siècle a écrit que “les chrétiens représentent dansle monde ce qu’est l’âme dans le corps”13. Le rôle de l’âme est de soutenirle corps, d’en être la conscience et la mémoire historique. Et une histoirebimillénaire lie l’Europe et le christianisme. Une histoire non exempte decon its et d’erreurs, et aussi de péchés, mais toujours animée par le désir deconstruire pour le bien. Nous le voyons dans la beauté de nos villes, et plusencore dans celle des multiples œuvres de charité et d’édi cation humainecommune qui parsèment le continent. Cette histoire, en grande partie, estencore à écrire. Elle est notre présent et aussi notre avenir. Elle est notreidentité. Et l’Europe a fortement besoin de redécouvrir son visage pour gran-dir, selon l’esprit de ses Pères fondateurs, dans la paix et dans la concorde,puisqu’elle-même n’est pas encore à l’abri de con its.

Chers Eurodéputés, l’heure est venue de construire ensemble l’Europe quitourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de lapersonne humaine, des valeurs inaliénables ; l’Europe qui embrasse aveccourage son passé et regarde avec con ance son avenir pour vivre plei-nement et avec espérance son présent. Le moment est venu d’abandonnerl’idée d’une Europe effrayée et repliée sur elle-même, pour susciter et pro-mouvoir l’Europe protagoniste, porteuse de science, d’art, de musique, de

valeurs humaines et aussi de foi. L’Europe qui contemple le ciel et poursuitdes idéaux ; l’Europe qui regarde, défend et protège l’homme ; l’Europe quichemine sur la terre sûre et solide, précieux point de référence pour toutel’humanité !

Merci.

12. Gaudium et spes, 34.13. Cf. Lettre à Diognète, 6.

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Monsieur le Secrétaire Général,Madame la Présidente,Excellences, Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de pouvoir prendre la parole en cette Assemblée qui voit réu-nie une représentation signi cative de l’Assemblée Parlementaire du Conseil del’Europe, les Représentants des pays membres, les Juges de la Cour européennedes Droits de l’Homme, et aussi les diverses Institutions qui composent le Conseilde l’Europe. De fait, presque toute l’Europe est présente en cette enceinte, avecses peuples, ses langues, ses expressions culturelles et religieuses, qui constituentla richesse de ce continent. Je suis particulièrement reconnaissant à Monsieur leSecrétaire général du Conseil de l’Europe, Monsieur Thorbjørn Jagland, pour la

courtoise invitation et pour les aimables paroles de bienvenue qu’il m’a adres-sées. Je salue Madame Anne Brasseur, Présidente de l’Assemblée parlementaire,ainsi que les représentants des diverses institutions qui composent le Conseil del’Europe. Je vous remercie tous de tout cœur pour l’engagement que vous prodi-guez et pour la contribution que vous offrez à la paix en Europe, par la promotionde la démocratie, des droits humains et de l’État de droit.

Dans l’intention de ses Pères fondateurs, le Conseil de l’Europe, qui célèbre cetteannée son 65e anniversaire, répondait à une tension vers un idéal d’unité qui, àplusieurs reprises, a animé la vie du continent depuis l’antiquité. Cependant, aucours des siècles, des poussées particularistes ont souvent prévalu, caractériséespar la succession de diverses volontés hégémoniques. Qu’il suf se de penser quedix ans avant ce 5 mai 1949, où a été signé à Londres le Traité qui a institué leConseil de l’Europe, commençait le plus cruel et le plus déchirant con it dontces terres se souviennent et dont les divisions se sont poursuivies pendant delongues années, alors que ce qu’on a appelé le rideau de fer coupait en deux lecontinent de la Mer Baltique au Golfe de Trieste. Le projet des Pères fondateursétait de reconstruire l’Europe dans un esprit de service mutuel, qui aujourd’huiencore, dans un monde plus enclin à revendiquer qu’à servir, doit constituer la

Discours du pape François

au Conseil de l’Europe

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clef de voûte de la mission du Conseil de l’Europe, en faveur de la paix, de laliberté et de la dignité humaine.

D’autre part, la voie privilégiée vers la paix - pour éviter que ce qui est arrivédurant les deux guerres mondiales du siècle dernier ne se répète -, c’est de recon-naître dans l’autre non un ennemi à combattre, mais un frère à accueillir. Il s’agitd’un processus continu, qu’on ne peut jamais considérer pleinement achevé.C’est justement l’intuition qu’ont eue les Pères fondateurs, qui ont compris que lapaix était un bien à conquérir continuellement, et qu’elle exigeait une vigilanceabsolue. Ils étaient conscients que les guerres s’alimentent dans le but de prendrepossession des espaces, de ger les processus qui progressent et de chercher àles arrêter ; par contre, ils recherchaient la paix qui peut s’obtenir seulement parl’attitude constante d’initier des processus et de les poursuivre. De cette manière,ils af rmaient la volonté de cheminer en mûrissant dans le temps, parce que c’estjustement le temps qui gouverne les espaces, les éclaire et les transforme en unechaîne continue de croissance, sans voies de retour. C’est pourquoi, construire lapaix demande de privilégier les actions qui génèrent de nouveaux dynamismesdans la société et impliquent d’autres personnes et d’autres groupes qui les déve-lopperont, jusqu’à ce qu’ils portent du fruit dans des événements historiquesimportants1.

Pour cela, ils ont créé cet Organisme stable. Le bienheureux Paul VI, quelquesannées après, eut à rappeler que “les institutions mêmes qui, sur le plan juridiqueet dans le concert des nations, ont pour rôle - et ont le mérite - de proclamer etde conserver la paix, n’atteignent le but prévu que si elles sont continuellementà l’œuvre, si elles savent à chaque instant engendrer la paix, faire la paix”2. Unchemin constant d’humanisation est nécessaire, de sorte qu’ “il ne suf t pas decontenir les guerres, de suspendre les luttes, (…) une paix imposée ne suf t pas,non plus qu’une paix utilitaire et provisoire ; il faut tendre vers une paix aimée,

libre, fraternelle, et donc fondée sur la réconciliation des esprits”3. C’est-à-direpoursuivre les processus sans anxiété mais certainement avec des convictions

claires et avec ténacité.

Pour conquérir le bien de la paix, il faut avant tout y éduquer, en éloignant uneculture du con it qui vise à la peur de l’autre, à la marginalisation de celui qui

1. Cf. Evangelii gaudium, n. 2232. Paul VI, Message pour la VIIIe Journée Mondiale de la Paix, 8 décembre 19743. Ibid.

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pense ou vit de manière différente. Il est vrai que le con it ne peut être ignoré oudissimulé, il doit être assumé. Mais si nous y restons bloqués, nous perdons laperspective, les horizons se limitent et la réalité elle-même demeure fragmentée.

Quand nous nous arrêtons à la situation con ictuelle, nous perdons le sens del’unité profonde de la réalité4, nous arrêtons l’histoire et nous tombons dans lesusures internes des contradictions stériles.

Malheureusement, la paix est encore trop souvent blessée. Elle l’est dans de nom-breuses parties du monde, où font rage des con its de diverses sortes. Elle l’estaussi ici en Europe, où des tensions ne cessent pas. Que de douleur et combiende morts encore sur ce continent, qui aspire à la paix, mais pourtant retombe faci-lement dans les tentations d’autrefois ! Pour cela, l’œuvre du Conseil de l’Europedans la recherche d’une solution politique aux crises en cours est importante etencourageante.

Mais la paix est aussi mise à l’épreuve par d’autres formes de con it, tels que leterrorisme religieux et international, qui nourrit un profond mépris pour la viehumaine et fauche sans discernement des victimes innocentes. Ce phénomèneest malheureusement très souvent alimenté par un tra c d’armes en toute tran-quillité. L’Église considère que “la course aux armements est une plaie extrême-

ment grave de l’humanité et lèse les pauvres d’une manière intolérable”5

. La paixest violée aussi par le tra c des êtres humains, qui est le nouvel esclavage denotre temps et qui transforme les personnes en marchandises d’échange, privantles victimes de toute dignité. Assez souvent, nous notons également commentces phénomènes sont liés entre eux. Le Conseil de l’Europe, à travers ses Com-missions et ses Groupes d’Experts, exerce un rôle important et signi catif dans lecombat contre ces formes d’inhumanité.

Cependant, la paix n’est pas la simple absence de guerres, de con its et de ten-sions. Dans la vision chrétienne, elle est, en même temps, don de Dieu et fruit del’action libre et raisonnable de l’homme qui entend poursuivre le bien commundans la vérité et dans l’amour. “Cet ordre rationnel et moral s’appuie précisémentsur la décision de la conscience des êtres humains à la recherche de l’harmoniedans leurs rapports réciproques, dans le respect de la justice pour tous”6.

4. Cf. Evangelii gaudium, n. 2265. Catéchisme de l’Église Catholique, n. 2329 et Gaudium et spes n. 816. Jean-Paul II, Message pour la XVe Journée Mondiale de la Paix, 8 décembre 1981, n. 4

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Comment donc poursuivre l’objectif ambitieux de la paix ?

Le chemin choisi par le Conseil de l’Europe est avant tout celui de la promo-tion des droits humains, auxquels est lié le développement de la démocratie etde l’État de droit. C’est un travail particulièrement précieux, avec d’importantesimplications éthiques et sociales, puisque d’une juste conception de ces termeset d’une ré exion constante sur eux dépendent le développement de nos socié-tés, leur cohabitation paci que et leur avenir. Cette recherche est l’une des plusgrandes contributions que l’Europe a offerte et offre encore au monde entier.

C’est pourquoi, en cette enceinte, je ressens le devoir de rappeler l’importance

de l’apport et de la responsabilité de l’Europe dans le développement culturel del’humanité. Je voudrais le faire en partant d’une image que j’emprunte à un poèteitalien du XXe siècle, Clemente Rebora, qui, dans l’une de ses poésies, décrit unpeuplier, avec ses branches élevées vers le ciel et agitées par le vent, son troncsolide et ferme, ainsi que ses racines profondes qui s’enfoncent dans la terre7. Enun certain sens, nous pouvons penser à l’Europe à la lumière de cette image.

Au cours de son histoire, elle a toujours tendu vers le haut, vers des objectifsnouveaux et ambitieux, animée par un désir insatiable de connaissance, de dé-veloppement, de progrès, de paix et d’unité. Mais l’élévation de la pensée, dela culture, des découvertes scienti ques est possible seulement à cause de lasolidité du tronc et de la profondeur des racines qui l’alimentent. Si les racinesse perdent, lentement le tronc se vide et meurt et les branches – autrefois vigou-reuses et droites – se plient vers la terre et tombent. Ici, se trouve peut-être l’undes paradoxes les plus incompréhensibles pour une mentalité scienti que quis’isole : pour marcher vers l’avenir, il faut le passé, de profondes racines sontnécessaires et il faut aussi le courage de ne pas se cacher face au présent et à sesdé s. Il faut de la mémoire, du courage, une utopie saine et humaine.

D’autre part – fait observer Rebora – “le tronc s’enfonce là où il y a davantagede vrai”8. Les racines s’alimentent de la vérité, qui constitue la nourriture, la sève

7. “Vibra nel vento con tutte le sue foglie / il pioppo severo ; / spasima l’aria in tutte le sue doglie / nell’ansia del pensiero : / dal tronco in rami per fronde si esprime / tutte al ciel tese con raccoltecime : / fermo rimane il tronco del mistero, / e il tronco s’inabissa ov’è più vero”, Il pioppo in : Cantidell’Infermità, ed. Vanni Scheiwiller, Milano 1957, 328. Ibid.

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vitale de n’importe quelle société qui désire être vraiment libre, humaine et soli-daire. En outre, la vérité fait appel à la conscience, qui est irréductible aux condi-tionnements, et pour cela est capable de connaître sa propre dignité et de s’ouvrir

à l’absolu, en devenant source des choix fondamentaux guidés par la recherchedu bien pour les autres et pour soi et lieu d’une liberté responsable9.

Il faut en suite garder bien présent à l’esprit que sans cette recherche de la vérité,chacun devient la mesure de soi-même et de son propre agir, ouvrant la voie àl’af rmation subjective des droits, de sorte qu’à la conception de droit humain,qui a en soi une portée universelle, se substitue l’idée de droit individualiste. Celaconduit à être foncièrement insouciant des autres et à favoriser la globalisationde l’indifférence qui naît de l’égoïsme, fruit d’une conception de l’homme inca-pable d’accueillir la vérité et de vivre une authentique dimension sociale.

Un tel individualisme rend humainement pauvre et culturellement stérile, parcequ’il rompt de fait les racines fécondes sur lesquelles se greffe l’arbre. De l’indi-vidualisme indifférent naît le culte de l’opulence, auquel correspond la culturede déchet dans laquelle nous sommes immergés. Nous avons, de fait, trop dechoses, qui souvent ne servent pas, mais nous ne sommes plus en mesure deconstruire d’authentiques relations humaines, empreintes de vérité et de respect

mutuel. Ainsi, aujourd’hui nous avons devant les yeux l’image d’une Europe bles-sée, à cause des nombreuses épreuves du passé, mais aussi à cause des crisesactuelles, qu’elle ne semble plus capable d’affronter avec la vitalité et l’énergied’autrefois. Une Europe un peu fatiguée, pessimiste, qui se sent assiégée par lesnouveautés provenant d’autres continents.

À l’Europe, nous pouvons demander : où est ta vigueur ? Où est cette tension versun idéal qui a animé ton histoire et l’a rendue grande ? Où est ton esprit d’entre-prise et de curiosité ? Où est ta soif de vérité, que jusqu’à présent tu as communi-quée au monde avec passion ?

De la réponse à ces questions, dépendra l’avenir du continent. D’autre part –pour revenir à l’image de Rebora – un tronc sans racines peut continuer d’avoirune apparence de vie, mais à l’intérieur il se vide et meurt. L’Europe doit ré é-chir pour savoir si son immense patrimoine humain, artistique, technique, social,politique, économique et religieux est un simple héritage de musée du passé,

9. Cf. Jean-Paul II, Discours à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 8 oc-tobre 1988, n. 4

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ou bien si elle est encore capable d’inspirer la culture et d’ouvrir ses trésors àl’humanité entière. Dans la réponse à cette interrogation, le Conseil de l’Europeavec ses institutions a un rôle de première importance.

Je pense particulièrement au rôle de la Cour européenne des Droits de l’Homme,qui constitue en quelque sorte la ‘‘conscience’’ de l’Europe pour le respect desdroits humains. Je souhaite que cette conscience mûrisse toujours plus, non parun simple consensus entre les parties, mais comme fruit de la tension vers cesracines profondes, qui constituent les fondements sur lesquels les Pères fonda-teurs de l’Europe contemporaine ont choisi de construire.

Avec les racines – qu’il faut chercher, trouver et maintenir vivantes par l’exercicequotidien de la mémoire, puisqu’elles constituent le patrimoine génétique del’Europe – il y a les dé s actuels du continent qui nous obligent à une créativitécontinue, pour que ces racines soient fécondes aujourd’hui et se projettent versdes utopies de l’avenir. Je me permets d’en mentionner seulement deux : le déde la multipolarité et le dé de la transversalité.

L’histoire de l’Europe peut nous amener à concevoir celle-ci naïvement commeune bipolarité, ou tout au plus comme une tripolarité (pensons à l’antique concep-

tion : Rome – Byzance – Moscou), et à nous mouvoir à l’intérieur de ce schéma,fruit de réductionnismes géopolitiques hégémoniques, dans l’interprétation duprésent et dans la projection vers l’utopie de l’avenir.

Aujourd’hui, les choses ne se présentent pas ainsi et nous pouvons légitimementparler d’une Europe multipolaire. Les tensions – aussi bien celles qui construisentque celles qui détruisent – se produisent entre de multiples pôles culturels, reli-gieux et politiques. L’Europe aujourd’hui affronte le dé de “globaliser” mais demanière originale cette multipolarité. Les cultures ne s’identi ent pas nécessaire-ment avec les pays : certains d’entre eux ont diverses cultures et certaines culturess’expriment dans divers pays. Il en est de même des expressions politiques, reli-gieuses et associatives.

Globaliser de manière originale – je souligne cela : de manière originale – la mul-tipolarité comporte le dé d’une harmonie constructive, libérée d’hégémoniesqui, bien qu’elles semblent pragmatiquement faciliter le chemin, nissent pardétruire l’originalité culturelle et religieuse des peuples.

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Parler de la multipolarité européenne signi e parler de peuples qui naissent,croissent et se projettent vers l’avenir. La tâche de globaliser la multipolarité del’Europe, nous ne pouvons pas l’imaginer avec l’image de la sphère – dans la-

quelle tout est égal et ordonné, mais qui en dé nitive est réductrice puisquechaque point est équidistant du centre – mais plutôt avec celle du polyèdre, oùl’unité harmonique du tout conserve la particularité de chacune des parties. Au-jourd’hui, l’Europe est multipolaire dans ses relations et ses tensions ; on ne peutni penser ni construire l’Europe sans assumer à fond cette réalité multipolaire.

L’autre dé que je voudrais mentionner est la transversalité. Je pars d’une expé-rience personnelle : dans les rencontres avec les politiciens de divers pays del’Europe, j’ai pu remarquer que les politiciens jeunes affrontent la réalité avecune perspective différente par rapport à leurs collègues plus adultes. Ils disentpeut-être des choses apparemment similaires, mais l’approche est différente. Lesparoles sont semblables, mais la musique est différente. Cela s’observe chez lesjeunes politiciens des divers partis. Cette donnée empirique indique une réalitéde l’Europe contemporaine que l’on ne peut ignorer sur le chemin de la conso-lidation continentale et de sa projection future : tenir compte de cette transver-salité qui se retrouve dans tous les domaines. Cela ne peut se faire sans recourirau dialogue, même inter-générationnel. Si nous voulions dé nir aujourd’hui lecontinent, nous devrions parler d’une Europe en dialogue, qui fait en sorte quela transversalité d’opinions et de ré exions soit au service des peuples unis dansl’harmonie.

Emprunter ce chemin de communication transversale comporte non seulementune empathie générationnelle mais aussi une méthodologie historique de crois-sance. Dans le monde politique actuel de l’Europe, le dialogue uniquement in-terne aux organismes (politiques, religieux, culturels) de sa propre appartenancese révèle stérile. L’histoire aujourd’hui demande pour la rencontre, la capacité

de sortir des structures qui “contiennent” sa propre identité a n de la rendre plusforte et plus féconde dans la confrontation fraternelle de la transversalité. UneEurope qui dialogue seulement entre ses groupes d’appartenance fermés reste àmi-chemin ; on a besoin de l’esprit de jeunesse qui accepte le dé de la transver-salité.

Dans cette perspective, j’accueille positivement la volonté du Conseil de l’Europed’investir dans le dialogue inter-culturel, y compris dans sa dimension religieuse,par les Rencontres sur la dimension religieuse du dialogue interculturel. Il s’agitd’une occasion propice pour un échange ouvert, respectueux et enrichissant

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entre personnes et groupes de diverses origines, tradition ethnique, linguistiqueet religieuse, dans un esprit de compréhension et de respect mutuel.

Ces rencontres semblent particulièrement importantes dans le contexte actuelmulticulturel, multipolaire, à la recherche de son propre visage pour conjugueravec sagesse l’identité européenne formée à travers les siècles avec les instancesprovenant des autres peuples qui se manifestent à présent sur le continent.

C’est dans cette logique qu’il faut comprendre l’apport que le christianisme peutfournir aujourd’hui au développement culturel et social européen dans le cadred’une relation correcte entre religion et société. Dans la vision chrétienne, rai-

son et foi, religion et société sont appelées à s’éclairer réciproquement, en sesoutenant mutuellement et, si nécessaire, en se puri ant les unes les autres desextrémismes idéologiques dans lesquelles elles peuvent tomber. La société euro-péenne tout entière ne peut que tirer pro t d’un lien renouvelé entre les deuxdomaines, soit pour faire face à un fondamentalisme religieux qui est surtoutennemi de Dieu, soit pour remédier à une raison “réduite”, qui ne fait pas hon-neur à l’homme.

Les thèmes d’actualité, dans lesquels je suis convaincu qu’il peut y avoir un enri-chissement mutuel, où l’Église catholique – particulièrement à travers le Conseildes Conférences Épiscopales d’Europe (CCEE) – peut collaborer avec le Conseilde l’Europe et offrir une contribution fondamentale, sont très nombreux. Avanttout, à la lumière de tout ce que je viens de dire, il y a le domaine d’une ré exionéthique sur les droits humains, sur lesquels votre Organisation est souvent appe-lée à se pencher. Je pense particulièrement aux thèmes liés à la protection de lavie humaine, questions délicates qui ont besoin d’être soumises à un examenattentif, qui tienne compte de la vérité de tout l’être humain, sans se limiter à desdomaines spéci ques médicaux, scienti ques ou juridiques.

De même, ils sont nombreux, les dé s du monde contemporains qui requièrentune étude et un engagement commun, à commencer par l’accueil des migrants,qui ont besoin d’abord et avant tout de l’essentiel pour vivre, mais principalementque leur dignité de personnes soit reconnue. Il y a ensuite le grave problème dutravail, surtout en ce qui concerne les niveaux élevés de chômage des jeunesdans beaucoup de pays – une vraie hypothèque pour l’avenir – mais aussi pourla question de la dignité du travail.

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Je souhaite vivement que s’instaure une nouvelle collaboration sociale et éco-nomique, affranchie de conditionnements idéologiques, qui sache faire face aumonde globalisé, en maintenant vivant ce sens de solidarité et de charité réci-

proques qui a tant caractérisé le visage de l’Europe grâce à l’action généreusede centaines d’hommes et de femmes – dont certains sont considérés saints parl’Église catholique – qui, au cours des siècles, se sont dépensés pour développerle continent, tant à travers l’activité d’entreprise qu’à travers des œuvres éduca-tives, d’assistance et de promotion humaine. Surtout ces dernières représententun point de référence important pour les nombreux pauvres qui vivent en Eu-rope. Combien il y en a dans nos rues ! Ils demandent non seulement le painpour survivre, ce qui est le plus élémentaire des droits, mais ils demandent aussià redécouvrir la valeur de leur propre vie, que la pauvreté tend à faire oublier, et

à retrouver la dignité conférée par le travail.

En n, parmi les thèmes qui sollicitent notre ré exion et notre collaboration, il ya la protection de l’environnement, de notre bien-aimée Terre qui est la granderessource que Dieu nous a donnée et qui est à notre disposition non pour êtredé gurée, exploitée et avilie, mais pour que nous puissions y vivre avec dignité,en jouissant de son immense beauté.

Monsieur le Secrétaire, Madame la Présidente, Excellences, Mesdames et Mes-sieurs,

Le bienheureux Paul VI a dé ni l’Église “experte en humanité”10. Dans le monde,à l’imitation du Christ, malgré les péchés de ses enfants, elle ne cherche riend’autre que de servir et de rendre témoignage à la vérité11. Rien d’autre que cetesprit ne nous guide dans le soutien du chemin de l’humanité.

Avec cette disposition d’esprit, le Saint-Siège entend continuer sa propre colla-boration avec le Conseil de l’Europe, qui revêt aujourd’hui un rôle fondamentalpour forger la mentalité des futures générations d’Européens. Il s’agit d’effectuerensemble une ré exion dans tous les domaines, a n que s’instaure une sorte de“nouvelle agorà”, dans laquelle chaque instance civile et religieuse puisse libre-ment se confronter avec les autres, même dans la séparation des domaines etdans la diversité des positions, animée exclusivement par le désir de vérité et parcelui d’édi er le bien commun. La culture, en effet, naît toujours de la rencontre

10. Lett. Enc. Populorum progressio, n. 13.11. Cf. ibid.

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réciproque, destinée à stimuler la richesse intellectuelle et la créativité de ceuxqui y prennent part ; et cela, outre le fait que c’est la réalisation du bien, cela estbeauté. Je souhaite que l’Europe, en redécouvrant son patrimoine historique et la

profondeur de ses racines, en assumant sa vivante multipolarité et le phénomènede la transversalité en dialogue, retrouve cette jeunesse d’esprit qui l’a rendueféconde et grande.

Merci !

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