6
1 MONTEVERDI mento d'Arianna Müller-Molinari René Jacobs Concerto Vocale HMA 1951129 CLAUDIO MONTEVERDI Lamento d'Arianna HELGA MÜLLER-MOLINARI RENÉ JACOBS CONCERTO VOCALE Ariane à Naxos selon Monteverdi. Le lamento d’Arianna fut sans conteste la pièce la plus célèbre de Monteverdi de son vivant : le compositeur la considérait comme la seule digne de passer à la postérité, et ce n’est pas un hasard s’il nous est seulement parvenu du grand opéra Arianna de 1608 cette scène mémorable. Monteverdi mettrait à profit toute l’expérience acquise grâce à l’opéra naissant dans ses madrigaux plus tardifs, dont on trouvera sur ce disque les exemples les plus aboutis. Les premières décennies du XVII e siècle furent une période de bouleversement comme il y en eut peu dans l’histoire de la musique : disparition progressive du madrigal polyphonique et naissance du chant soliste avec accompagnement d’accord, absorption des anciens modes d’église par les nouvelles tonalités harmoniques, apparition de nouveaux genres comme l’opéra et l’oratorio, de nouvelles formes comme l’aria de chambre et le duo de chambre, la cantate ou la sonate, développement d’un langage musical spécifiquement vocal et spécifiquement instrumental. A toutes ces évolutions, qui prirent naissance en divers endroits et furent encouragées par un grand nombre de musiciens et de théoriciens, participa un compositeur dont la renommée a surpassé jusqu’à nos jours celle de ses contemporains : Claudio Monteverdi, né à Crémone en 1567, musicien à la cour de Vincenzo Gonzaga à Mantoue de 1590 à 1612, et maître de chapelle de San Marco à Venise de 1613 jusqu’à sa mort en 1643. La musique vocale de Monteverdi est à la fois le reflet et le précurseur de l’évolution musicale de son temps ; les années passées à Mantoue sont marquées par sa préoccupation pour le madrigal polyphonique à cinq voix aussi bien que par sa confrontation avec le genre naissant de l’opéra dont il composa les premiers chefs-d’œuvre avec L’Orfeo (1607) et L’Arianna (1608). Durant les trente années qu’il passa à Venise, il se consacra davantage, en raison de sa fonction, à la musique sacrée, mais en même temps il prit part à l’évolution du concert vocal pour une formation réduite, expérimenta de nouvelles formes de musique de théâtre et composa à la fin de sa vie, pour les opéras de Venise nouvellement ouverts à tout public, de nombreux opéras qui connurent un grand succès et dont le style est assez éloigné de celui des œuvres de Mantoue. Bien que l’on ne puisse guère parler d’une “école monteverdienne” à Venise, un cercle de musiciens importants s’était rassemblé autour du célèbre maître de chapelle de San Marco. Dans ce qui a dû être un vif échange d’idées, ils firent l’histoire de la musique. Parmi eux se trouvait également, vers 1637, Benedetto Ferrari (c.1600-1681), de trente ans plus jeune que Monteverdi, un compositeur, théorbiste et librettiste d’une grande culture, aussi bien littéraire que musicale. Il avait étudié à Rome et loué le théâtre de San Cassiano en 1637 avec le chanteur et compositeur romain Francesco Manelli, devenant ainsi l’un des cofondateurs de l’opéra en tant qu’institution publique et commerciale. Ferrari était un admirateur de Monteverdi qu’il appela, dans l’un de ses sonnets, oracolo della musica. Malgré tous ses liens avec Monteverdi, sa musique possède une individualité stylistique impressionnante. Ferrari est, avec Monteverdi, l’un des compositeurs les plus importants de son temps ; mais son destin a été, jusqu’à présent, de rester dans l’ombre de Monteverdi et d’être considéré comme le fidèle vassal du vieux maître. Il est cependant difficile aujourd’hui de définir l’importance des impulsions que Monteverdi reçut de compositeurs plus jeunes comme Ferrari ou Cavalli. L’opéra L’incoronazione di Poppea est un exemple classique de la confusion de la situation musicale à Venise et des problèmes que pose la transmission des documents. Nous en possédons le livret et savons que Monteverdi l’a mis en musique. Il en existe deux manuscrits divergents, tous deux postérieurs à la mort de Monteverdi, et dont aucun n’est entièrement conforme à la source sûre et la plus ancienne de l’opéra, le scénario de 1643. On ne peut établir avec certitude quelle musique a été vraiment composée par Monteverdi, et laquelle a été modifiée, omise ou ajoutée plus tard. Un fait est pourtant frappant : le célèbre duo final de Nérone et Poppée après la cérémonie du couronnement manque dans le scénario de 1643. Mais le texte de ce duo se trouve à la fin du livret de Benedetto Ferrari, Il pastor regio, représenté à Bologne en 1641 – un an avant L’incoronazione di Poppea. La musique pour ce livret, également de Ferrari, a été perdue. Ferrari serait-il le compositeur de ce duo d’amour génial et sensuellement frivole ? Notre enregistrement soulève cette possibilité pour la discussion.

Voir les textes chantés (pdf)

  • Upload
    vantruc

  • View
    227

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Voir les textes chantés (pdf)

1

MONTEVERDILamento d'Arianna

Helga Müller-MolinariRené Jacobs

Concerto VocaleHMA 1951129

CLAUDIO MONTEVERDILamento d'AriannaHELGA MÜLLER-MOLINARIRENÉ JACOBSCONCERTO VOCALE

Ariane à Naxos selon Monteverdi.

Le lamento d’Arianna fut sans conteste la pièce la plus

célèbre de Monteverdi de son vivant : le compositeur

la considérait comme la seule digne de passer à la

postérité, et ce n’est pas un hasard s’il nous est

seulement parvenu du grand opéra Arianna de 1608

cette scène mémorable. Monteverdi mettrait à profit

toute l’expérience acquise grâce à l’opéra naissant

dans ses madrigaux plus tardifs, dont on trouvera sur

ce disque les exemples les plus aboutis.

Les premières décennies du xviie siècle furent une période de bouleversement comme il y en eut peu dans l’histoire de la musique : disparition progressive du madrigal polyphonique et naissance du chant soliste avec accompagnement d’accord, absorption des anciens modes d’église par les nouvelles tonalités harmoniques, apparition de nouveaux genres comme l’opéra et l’oratorio, de nouvelles formes comme l’aria de chambre et le duo de chambre, la cantate ou la sonate, développement d’un langage musical spécifiquement vocal et spécifiquement instrumental.A toutes ces évolutions, qui prirent naissance en divers endroits et furent encouragées par un grand nombre de musiciens et de théoriciens, participa un compositeur dont la renommée a surpassé jusqu’à nos jours celle de ses contemporains : Claudio Monteverdi, né à Crémone en 1567, musicien à la cour de Vincenzo Gonzaga à Mantoue de 1590 à 1612, et maître de chapelle de San Marco à Venise de 1613 jusqu’à sa mort en 1643. La musique vocale de Monteverdi est à la fois le reflet et le précurseur de l’évolution musicale de son temps ; les années passées à Mantoue sont marquées par sa préoccupation pour le madrigal polyphonique à cinq voix aussi bien que par sa confrontation avec le genre naissant de l’opéra dont il composa les premiers chefs-d’œuvre avec L’Orfeo (1607) et L’Arianna (1608). Durant les trente années qu’il passa à Venise, il se consacra davantage, en raison de sa fonction, à la musique sacrée, mais en même temps il prit part à l’évolution du concert vocal pour une formation réduite, expérimenta de nouvelles formes de musique de théâtre et composa à la fin de sa vie, pour les opéras de Venise nouvellement ouverts à tout public, de nombreux opéras qui connurent un grand succès et dont le style est assez éloigné de celui des œuvres de Mantoue.Bien que l’on ne puisse guère parler d’une “école monteverdienne” à Venise, un cercle de musiciens importants s’était rassemblé autour du célèbre maître de chapelle de San Marco. Dans ce qui a dû être un vif échange d’idées, ils firent l’histoire de la musique. Parmi eux se trouvait également, vers 1637, Benedetto Ferrari (c.1600-1681), de trente ans plus jeune que Monteverdi, un compositeur, théorbiste et librettiste d’une grande culture, aussi bien littéraire que musicale. Il avait étudié à Rome et loué le théâtre de San Cassiano en 1637 avec le chanteur et compositeur romain Francesco Manelli, devenant ainsi l’un des cofondateurs de l’opéra en tant qu’institution publique et commerciale. Ferrari était un admirateur de Monteverdi qu’il appela, dans l’un de ses sonnets, oracolo della musica. Malgré tous ses liens avec Monteverdi, sa musique possède une individualité stylistique impressionnante. Ferrari est, avec Monteverdi, l’un des compositeurs les plus importants de son temps ; mais son destin a été, jusqu’à présent, de rester dans l’ombre de Monteverdi et d’être considéré comme le fidèle vassal du vieux maître. Il est cependant difficile aujourd’hui de définir l’importance des impulsions que Monteverdi reçut de compositeurs plus jeunes comme Ferrari ou Cavalli.L’opéra L’incoronazione di Poppea est un exemple classique de la confusion de la situation musicale à Venise et des problèmes que pose la transmission des documents. Nous en possédons le livret et savons que Monteverdi l’a mis en musique. Il en existe deux manuscrits divergents, tous deux postérieurs à la mort de Monteverdi, et dont aucun n’est entièrement conforme à la source sûre et la plus ancienne de l’opéra, le scénario de 1643. On ne peut établir avec certitude quelle musique a été vraiment composée par Monteverdi, et laquelle a été modifiée, omise ou ajoutée plus tard. Un fait est pourtant frappant : le célèbre duo final de Nérone et Poppée après la cérémonie du couronnement manque dans le scénario de 1643. Mais le texte de ce duo se trouve à la fin du livret de Benedetto Ferrari, Il pastor regio, représenté à Bologne en 1641 – un an avant L’incoronazione di Poppea. La musique pour ce livret, également de Ferrari, a été perdue. Ferrari serait-il le compositeur de ce duo d’amour génial et sensuellement frivole ? Notre enregistrement soulève cette possibilité pour la discussion.

Page 2: Voir les textes chantés (pdf)

2

MONTEVERDILamento d'Arianna

Helga Müller-MolinariRené Jacobs

Concerto Vocale

Historiquement, il n’est pas invraisemblable que Ferrari soit l’auteur du duo Pur ti miro. Les parties extrêmes de ce duo de forme tripartite sont composées sur une basse obstinée dont Ferrari, tout comme Monteverdi et d’autres compositeurs du cercle vénitien, faisait souvent usage, une basse formée de quatre longues notes diatoniques descendantes. A une époque où les formes anciennes de la musique vocale étaient tombées en désuétude et où l’on recherchait de nouvelles formes musicalement praticables dans lesquelles le texte devait dominer sur la musique, la basse obstinée prit une grande importance comme possibilité d’organisation formelle d’une composition. Le potentiel unificateur de tels courts ostinati permettait au compositeur de donner libre cours à son imagination dans les voix supérieures. Cette tension entre le schéma immuable de l’accompagnement instrumental et les possibilités illimitées de la déclamation vocale fait tout le charme de ces compositions avec basse obstinée. La cantate spirituelle de Ferrari, Queste pungenti spine, utilise la même basse obstinée que Pur ti miro : quatre strophes avec ostinato, parfois hautement virtuoses, interrompues par un refrain sans ostinato. La cantate de Ferrari fut imprimée en 1637, l’année où il vint à Venise.Cette basse en quartes descendantes est une forme très élaborée de basse obstinée. Les modèles de basse qui s’étaient développés à partir d’airs originellement chantés ou dérivés de formules de danse étaient beaucoup moins abstraits. Parmi les premiers se trouve la Romanesca, l’une des mélodies de basse les plus populaires durant les premières décennies du chant soliste avec accompagnement instrumental. Elle forme aussi la basse du duo Ohimé, dov’è il mio ben, tiré du Septième Livre de Madrigaux de Monteverdi. Elle y est cependant difficilement reconnaissable comme mélodie, étant réduite à une ossature d’accords déjà remarquablement proche de la future basse en quartes descendantes. La Ciaccona sur laquelle est basé Zefiro torna de Monteverdi, tiré des Scherzi musicali de 1632, fait partie des basses dérivées de danses. Les contradictions rythmiques entre cette basse et la structure vocale madrigalesque font toute la fascination de cette pièce exubérante.L’innovation révolutionnaire que représente la basse obstinée, et particulièrement celle basée sur des danses, devient évidente si on la compare aux deux duos Non è di gentil core et O come sei gentile du Septième Livre de Madrigaux de Monteverdi. Ceux-ci ne diffèrent pas, par leur structure vocale, de Zefiro torna, mais une basse en accords, non obstinée, donne un tout autre esprit à leur style vocal.La plus célèbre composition de Monteverdi, qui acquit un renom presque légendaire de son vivant même, est le Lamento d’Arianna. Ce n’est pas par hasard que ce Lamento est le seul fragment de l’opéra L’Arianna (1608) à nous être parvenu. Monteverdi lui-même l’avait choisi comme la seule scène digne de passer à la postérité et l’avait publié séparément en 1623. La lamentation d’Ariane sur le rivage de l’île de Naxos, son désespoir d’avoir été abandonnée par Thésée, sa fureur grandissante, ses malédictions, ses imprécations, puis son découragement et sa résignation sont dépeints par Monteverdi dans une musique qui adhère au contenu du texte d’une manière absolument inédite, révélant les émotions entre les lignes du texte sans pour autant sacrifier son individualité et devenir une simple “servante des mots” cachée derrière la déclamation. Le mouvement scénique, l’action et la musique se fondent en une unité indivisible de la plus haute intensité expressive.La scène pastorale publiée après la mort du compositeur, Bel pastor, ignore tout de la tragédie d’un humain désespéré. C’est un petit duo de séduction dont le ton sentimental léger se change sans cesse en une moquerie taquine et amoureuse – une pièce qui ne cède en rien à la gaieté exubérante de Zefiro torna.

SILKE LEOPOLD

Page 3: Voir les textes chantés (pdf)

3

MONTEVERDILamento d'Arianna

Helga Müller-MolinariRené Jacobs

Concerto Vocale

1 | ZefirotornaOttavio Rinuccini

Zefiro torna, e di soavi accentil’aer fa grato e’l piè discioglie a l’onde,e, mormorando tra le verdi fronde,fa danzar al bel suon su’l prato i fiori.

Inghirlandato il crin Fillide e Clorinote temprando amor care e gioconde;e da monti e da valli ime e profonderaddoppian l’armonia gli antri canori.

Sorge più vaga in ciel l’aurora, e’l sole,sparge più luci d’or; più puro argentofregia di Teti il bel ceruleo manto.

Sol io, per selve abbandonata e sole,l’ardor di due begli occhi e’l mio tormento,come vuol mia ventura, hor piango, hor canto.

2 | RomanescaBernardo Tasso

Ohimè dov’è il mio ben, dov’è il mio core?Chi m’asconde il mio ben e chi me’l toglie?

Dunque ha potuto sol desio d’onoredarmi fera cagion di tante doglie.

Dunque ha potuto inme più che’l mio amoreambiziose e troppo lievi voglie.

Ahi sciocco mondo e cieco, ahi cruda sorte,che ministro mi fai della mia morte.

3 | NonèdigentilcoreFabrizio degl’Atti

Non è di gentil corechi non arde d’amore!Ma voi, che del mio cor l’anima setee nel foco d’amor lieta godete,gentil al par d’ogn’altre havete il core,perch’ardete d’amore.Dunque non è, non è di gentil corechi non arde d’amore.

4 | CantataspiritualeOttavio Ortu

Queste pungenti spineche ne’ boschi d’abissonodrite et allevateaffliggono, trafiggono,o crudeltate, il mio Signor e Dio.Son saette divineche col foco del cieloaddolcite e temprateallettano, dilettano,o gran pietate, il cor divoto e pio.

E tu, Anima mia,non sai che sia dolore,ancor non senti amore?

Ahi miserella, ascolta,i tuoi vani diletti,i piaceri, i contentiinducono, conducono,o pene, o stenti, tè stessa al cieco inferno.Deh sì, mira una voltadel tuo celeste amantele ferite e i tormentiche chiamano, richiamano,o dolci accenti, tè stessa al ciel eterno.E pure, Anime mia,

Zéphyr est de retour ! D’accents délicieuxl’air est agrémenté ; déjà ses pieds agitent l’onde,il passe en murmurant dans les feuillages verts,et fait danser les fleurs dans le pré à sa belle musique.

Les cheveux parés de fleurs, Phyllis et Clorischantent en accents joyeux et tout chargés d’amour ;depuis les hauts sommets jusqu’aux vallées profondesles antres pleins d’échos redoublent l’harmonie.

Voici, plus belle encore, surgir l’aurore au ciel,le soleil se répandre en plus de rayons d’or,et Thétis argenter son beau manteau d’azur.

Moi seul, dans les forêts désertes et solitaires,je pleure et je chante, comme le veut mon destin,l’ardeur de deux beaux yeux et mon tourment.

Hélas, où est ma vie, où est mon cœur ?Qui me cache mon amour, qui me le prend ?

Ainsi, seul le désir d’honneurpouvait susciter un tel malheur.

Ainsi, c’est plus que mon amourqui pouvait faire naître en moi des désirs vains et futiles.

Ah, monde fou, aveugle, sort cruel,qui a fait de moi le ministre de ma propre mort.

Peut-il être agréable, le cœurqui ne brûle d’amour ?Mais vous, qui de mon cœur êtes le centre mêmeet du feu de l’amour vous faites jouissance,à l’égal de nulle autre avez le cœur aimableparce que vous aimez.Donc on ne peut être agréableque quand on brûle d’amour !

Ces piquantes épinesdans les forêts d’Enfergrandies, épanouies,accablent, transpercent,ô cruauté, mon Seigneur et mon Dieu.Ce sont des flèches divinesqui au feu du ciel adoucieset tempéréesattirent à elles et réjouissent,piété suprême ! le cœur dévot et pieux.

Et toi, mon Ame,tu ne sais pas ce qu’est souffrir,tu n’en éprouves pas d’amour ?

Ah, misérable, écoute :tes vaines délices,tes plaisirs, tes satisfactions,te poussent, te conduisent,ô comble de misère ! toi-même au noir Enfer.Va, contemple une foisla blessure de ton céleste amant,et ses tourmentsqui t’appellent, te réclament,quels doux accents ! toi-même au Paradis.Pourtant, mon Ame,

Page 4: Voir les textes chantés (pdf)

4

non sai che sia dolore,ancor non senti amore?Stolta che fai, che pensi?Il tuo Giesù tradito,il tuo Giesù piagatosi lacera, si macera,ohimè, che stato, solo per darti vita.O tu ingrata, i sensiogn’hor più cruda induri,sei di cor sì spietato,sì rigido, sì frigido,o stella, o fato, che non procuri aita?Ben veggo, Anima mia,non sai che sia dolore,ancor non senti amore?

Così dunque vivraisenz’amor, senza duolo,no, no, rivolgi il coreprieghevole, piacevole,o buon fervore, a sì gravi martiri.E riverente homai,pentita e lagrimosamanda dal petto fuorecaldissimi, dolcissimid’amor sensi e sospiri.Così, Anima mia,non sai che sia dolore,ancor non senti amore?

5 | Lamentod’AriannaOttavio Rinuccini

Lasciatemi morire,e chi volete voi che mi confortein così dura sorte,in così gran martire?Lasciatemi morire.

O Teseo, o Teseo mio,sì che mio ti vo’ dir, chè mio pur sei,benchè t’involi, ahi crudo, agli occhi miei.volgiti, Teseo mio,volgiti, Teseo, o Dio,volgiti indietro a rimirar coleiche lasciato ha per te la patria e’l regno,e in queste arene ancora,

cibo di fere dispietate e crude,lascierà l’ossa ignude.O Teseo, o Teseo mio,se tu sapessi, o Dio,se tu sapessi, ohimè, come s’affannala povera Arianna,forse, forse pentitorivolgeresti ancor la prora al lito.Ma con l’aure serenetu te ne vai felice, et io qui piango;a te prepara Ateneliete pompe superbe, et io rimangocibo di fere in solitarie arene;te l’uno e l’altro tuo vecchio parentestringeran lieti, et iopiù non vedrovvi, o madre, o padre mio.

Dove, dove è la fedeche tanto mi giuravi?Così nell’alta sedetu mi ripon degli avi?Son queste le corone,onde m’adorni il crine?Questi gli scettri sono,queste le gemme e gl’ori:Lasciarmi in abbandonoa fera che mi strazi e mi divori?Ah Teseo, ah Teseo mio,

ne sais-tu pas ce qu’est souffrir :ne ressens-tu pas encore son amour ?Folle, comment réagis-tu ? A quoi penses-tu,quand Jésus trahi,ton cher Jésus sanglantse consume de souffrance(Hélas ! quel spectacle !) seulement pour te donner la vie.O toi, ingrate, toujours plustu endurcis ton cœur :est-il si impitoyable,si inflexible, si glacial,ô étoile, ô destin, que tu n’apportes aucune aide ?Je le vois bien, mon Ame,tu ne sais pas ce qu’est souffrir.Sais-tu encore ce qu’est aimer ?

Eh bien, vis donc ainsi,sans aimer, sans souffrir…Non ! tourne plutôt ton cœurassoupli, agréable à Dieu,avec ferveur, vers un si dur martyre.Et désormais réceptive,repentie, sanglotante,tire de ta poitrineles plus chauds, les plus douxdes sentiments et des soupirs… d’amour !Ainsi, mon Ame, tu ne sais ce qu’est la douleur,n’en éprouves-tu pas encore de l’amour ?

Laissez-moi mourir !Eh ! Qui peut m’être un réconforten un destin si dur,en si grande torture ?Laissez-moi mourir !

O Thésée, ô mon Thésée,je te dis mien car tu es mien en vérité,bien qu’échappé, ô méchant, à mes regards.Reviens-moi, mon Thésée,Dieu ! reviens sur tes paset regarde celle qui pour toia quitté sa patrie et sa couronne,et sur ces bords aujourd’hui,

la proie d’affreux, d’impitoyables fauves,laissera des os décharnés.O Thésée, mon cher Thésée,si tu savais, mon Dieu !si tu savais, hélas ! combienla pauvre Arianne souffre,peut-être, repenti, vers cette plageà nouveau dirigerais-tu ta proue ;tandis que sous des vents propicestu t’en vas, heureux, et que je pleure,Athènes te prépareun fastueux accueil – je reste, quant à moi,la proie des fauves sur ces bords solitaires.Tes deux parents âgést’embrasseront joyeux – et moi,je ne vous verrai plus, ô ma mère et mon père !

Où donc, où est la foique tu m’as tant jurée ?Le voici, le trône de tes aïeuxoù tu m’as fait monter ?Voilà les diadèmesdont couronner ma tête ?Et voilà donc les sceptres,les joyaux, les bijoux ?Tu m’as abandonnée à des monstrestout prêts à me dévorer après m’avoir déchirée !Ah, Thésée, mon cher Thésée,

Page 5: Voir les textes chantés (pdf)

5

école de notre damemass for christmas day

ensemble organunmarcel pére`s

Lascerai tu morire,invan piangendo, invan gridando aita,la misera Ariannache a te fidossi e ti diè gloria e vita?

Ahi, che non pur risponde!Ahi, che più d’aspe è sordo a miei lamenti!O nembi, o turbi, o venti,sommergetelo voi dentro a quell’onde,correte, orche e balene,e delle membra immondeempiete le voragini profonde!Che parlo, ahi, che vaneggio?Misera, ohimè, che chieggio?O Teseo, o Teseo mio,non son, non son quell’ioche i feri detti sciolse;parlò l’affano mio, parlò il dolore;parlò la lingua, sì, ma non già il core.

Misera, ancor do locoa la tradita speme, e non si spegnefra tanto scherno ancor d’amor il foco?Spegni tu, Morte, omai le fiamme indegne.O madre, o padre, o de l’antico regnosuperbi alberghi, ov’ebbi d’or la cuna,o servi, o fidi amici (ahi fato indegno!),mirate, ove m’ha scorto empia fortuna!Mirate di che duol m’han fatto eredel’amor mio, la mia fede, e’l altrui inganno.Così va chi tropp’ama e troppo crede.

6 | BelpastorOttavio Rinuccini

Ninfa Bel pastor, dal cui bel guardo spira foco, ond’io tutt’ardo m’ami tu?Pastore Sì, cor mio!Ninfa Com’io desio!Pastore Sì, cor mio!Ninfa Dimmi quanto?Pastore Tanto, tanto!Ninfa Quanto, quanto?Pastore O tanto, tanto!Ninfa Come che?Pastore Come te, Pastorella Tutta bella.Ninfa Questi vezzi, e questo dire non fan pago il mio desire. Se tu m’ami, o mio bel foco, dimmi ancor, ma fuor di gioco: Come che?Pastore Come te, Pastorella tutta bella.Ninfa Vieppiù lieta udito avrei: T’amo al par degli occhi miei.Pastore Come rei del mio cordoglio questi lumi amar non voglio. Di mirar non satii ancora la beltà che sì m’accora.Ninfa Come che?Pastore Come te, Pastorella tutta bella!Ninfa Fa sentirmi altre parole, se pur voi ch’io mi console. M’ami tu?Pastore Sì, cor mio!Ninfa Come la vita?Pastore No, ch’afflitto e sbigottito d’odio e sdegno e non d’amore, fatt’albergo di dolore per due luci, anzi due stelle

laisseras-tu mourir,pleurant en vain, criant à l’aide en vain,la misérable Arianne qui sur ta foit’offrit et sa gloire et sa vie ?

Ah ! tu ne réponds plus mêmeà mes plaintes, plus sourd qu’une vipère !Nuées, orages, vents,sous les vagues engloutissez-le !Accourez tous, monstres marins,et de ses membres qui me font horreurremplissez les gouffres abyssaux !Que dis-je, hélas ! en mon délire ?Dans ma misère, que demandè-je ?O Thésée, mon cher Thésée,je ne suis pas cellequi se répandit en dures imprécations :c’est mon chagrin, ma douleur qui parla,c’est ma langue, certes oui : mais ce n’est pas mon cœur.

Malheureuse, et tu t’accroches encoreà la fausse espérance ? Et tant de dérisionne l’éteint pas encore, cette ardeur de l’amour ?Eteins-les désormais, ô Mort, ces indignes tendresses !O ma mère, ô mon père, ô de mon vieux royaumedemeures somptueuses où brilla ma jeunesse !O ma cour, mes amis fidèles (Ah, destin bien indigne !),voyez où m’a conduite un sort vraiment contraire,voyez de quel chagrin m’ont rendue héritièremon amour et ma foi et la tromperie d’un autre.Là finit qui trop aime et qui fut trop crédule.

Nymphe Beau berger dont les jolis yeux lancent des flammes où je me consume toute, m’aimes-tu ?Berger Oui, mon cher amour !Nymphe Comme je désire ?Berger Oui, mon cher amour !Nymphe Dis-moi combien tu m’aimes ?Berger Tant et tant !Nymphe Combien, combien ?Berger Oh ! tant et tant !Nymphe Comme quoi ?Berger Comme toi, ô ma belle pastourelle !Nymphe Ces câlineries, ces doux petits mots ne satisfont pas mon désir. Si tu m’aimes, ô mon bel incendie, dis-moi donc (mais pour de vrai) comme quoi ?Berger Comme toi, ô ma belle pastourelle !Nymphe J’aurais bien mieux aimé entendre quelque chose comme : “Je t’aime comme mes propres yeux.”Berger Coupables de me faire souffrir, je ne veux pas aimer mes yeux point encore rassasiés de la vue de la belle qui me tue.Nymphe Belle comme quoi ?Berger Belle comme toi, ô ma belle pastourelle !Nymphe Fais-moi entendre autre chose si tu veux que je me console. M’aimes-tu ?Berger Oui, mon cher amour !Nymphe Comme ta vie ?Berger Non ! car toute de peine et d’effroi, ma vie est devenue un douloureux séjour de haine et de dédain – et non plus de l’amour, à cause de deux yeux comme des étoiles

Page 6: Voir les textes chantés (pdf)

6

troppo crude e troppo belle.Ninfa Come che?Pastore Come te, Pastorella tutta bella.Ninfa Non mi dir più, come, dimmi: Io t’amo!Pastore Io t’amo!Ninfa Come te?Pastore No ch’io stesso odio me stesso.Ninfa Deh se m’ami dimmi spesso.Pastore Sì, cor mio!Ninfa Com’io desio?Pastore Sì, cor mio.Ninfa Dimmi quanto?Pastore Tanto, tanto!Ninfa Quanto, quanto?Pastore O tanto, tanto!

7 | OcomeseigentileGiambattista Guarini

O come sei gentile,caro augellino! O quantoè’l mio stato amoroso al tuo simile!Tu prigion, io prigion; tu canti, io canto,tu canti per coleiche t’ha legato, et io canto per lei.Ma in questo è differentela mia sorte dolente:che giova pur a te l’esser canoro.Vivi cantando, et io cantando moro.

6 | DuoPoppea/NeroneBenedetto Ferrari

Pur ti miro,pur ti godo,pur ti stringo,pur t’annodo.Più non peno,più non moro,o mia vita, o mio tesoro.

Io son tua,tu son io,speme mia,dillo dì,tu sei purl’idol mio,sì mio ben,sì mio cor,mia vita sì.

aussi méchantes que belles !Nymphe Belles comme quoi ?Berger Belles comme toi, ô ma belle pastourelle !Nymphe Ne me dis plus comment tu m’aimes, mais dis : je t’aime.Berger Je t’aime.Nymphe Comme tu m’aimes, toi ?Berger Non ! car je me hais moi-même.Nymphe Ciel ! si tu m’aimes, dis-le vite !Berger Oui, mon cœur !Nymphe Tu m’aimes comme je le désire ?Berger Oui, mon cœur !Nymphe Dis-moi un peu, combien ?Berger Tellement, tellement !Nymphe Combien, combien ?Berger Oh ! Tellement, tellement !

Es-tu aimable, cher oiselet !Combien mon amoureux état ressemble au tien !Toi dans ta prison, moi dans la mienne,tu chantes ? Moi, de même ;tu chantes pour celle qui t’a embobinéet je chante pour elle ;mais en cela mon sort lamentable diffère du tien,que le chant te procure quelque chose d’utile.Tu vis tout en chantantet moi, tout en chantant, je meurs.

Je t’admire,et t’enserre,et t’enlace.Plus ne souffreet ne meurs,ô ma vie,mon amour !

Je suis tienne,tienne je suis,dis-le,mon espérance,dis-le donc,redis-le,mon chéri,ô ma vie,ô mon cœur !