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Résumé Une étude quantitative et longitudinale a été menée pour éva- luer les effets du Programme d’intervention familiale (PRIFAM) sur l’adaptation de parents d’un enfant atteint d’une déficience, telles la trisomie 21 et la fissure labiale, palatine ou labiopala- tine. Elle comporte une analyse des effets de l’intervention en fonction du temps de mesure, du type de déficience de l’enfant et du sexe du parent. Dans l’ensemble, les résultats de l’étude montrent que les parents qui ont participé à l’intervention s’adaptent mieux à la situation que ceux qui n’y ont pas par- ticipé. Ils vivent moins de stress parental, ont des perceptions et attitudes plus positives relativement à la déficience de leur enfant et à leur situation parentale, ont davantage confiance en leurs propres ressources et dans le soutien que d’autres peuvent leur apporter, vivent moins de détresse émotionnelle, d’anxiété et de dépression, et se soutiennent davantage entre conjoints. De façon générale, les bénéfices qu’ils en retirent se maintiennent dans le temps, soit durant la période où les enfants sont âgés de 6 à 18 mois. Les résultats sont relati- vement les mêmes chez les parents d’un enfant atteint de triso- mie 21 et ceux d’un enfant ayant une fissure labiale, palatine ou labiopalatine. Mots clés : déficience, intervention précoce, partenariat, adaptation, compétences parentales. sommaire VOLUME 9 NUMÉRO 2

VOLUME 9 NUMÉRO 2 - oiiq.org · Elle comporte une analyse des effets de l’intervention en fonction du temps de mesure,du type de déficience de l’enfant et du sexe du parent

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RésuméUne étude quantitative et longitudinale a été menée pour éva-luer les effets du Programme d’intervention familiale (PRIFAM)sur l’adaptation de parents d’un enfant atteint d’une déficience,telles la trisomie 21 et la fissure labiale, palatine ou labiopala-tine. Elle comporte une analyse des effets de l’intervention enfonction du temps de mesure, du type de déficience de l’enfantet du sexe du parent. Dans l’ensemble, les résultats de l’étudemontrent que les parents qui ont participé à l’interventions’adaptent mieux à la situation que ceux qui n’y ont pas par-ticipé. Ils vivent moins de stress parental, ont des perceptionset attitudes plus positives relativement à la déficience de leurenfant et à leur situation parentale, ont davantage confiance enleurs propres ressources et dans le soutien que d’autrespeuvent leur apporter, vivent moins de détresse émotionnelle,d’anxiété et de dépression, et se soutiennent davantage entreconjoints. De façon générale, les bénéfices qu’ils en retirent semaintiennent dans le temps, soit durant la période où lesenfants sont âgés de 6 à 18 mois. Les résultats sont relati-vement les mêmes chez les parents d’un enfant atteint de triso-mie 21 et ceux d’un enfant ayant une fissure labiale, palatine oulabiopalatine.

Mots clés : déficience, intervention précoce, partenariat, adaptation,compétences parentales.

sommaireV O L U M E 9 N U M É R O 2

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Sciences

La naissance d’un enfant est un événement quiexige une adaptation de la part de tous les mem-bres de la famille et implique l’apprentissage d’unnouveau rôle, celui de parent. Cette période de

transition, habituellement planifiée et prévisible, entraînegénéralement une nouvelle façon de vivre et d’envisager lavie.Cependant, la naissance d’un enfant peut constituer unévénement imprévisible lorsque le bébé est atteint d’unedéficience. Cette situation de transition est de nature àengendrer un stress d’autant plus intense que l’enfant nerépond pas aux attentes des parents (Schumacher etMeleis, 1994 ; Schlossberg, 1981).

La problématiqueChaque année, au Canada et au Québec, de 2 % à 3 % desnouveau-nés présentent une anomalie grave (MSSS, 1997 ;Laframboise, 1996). Parmi ces anomalies, la trisomie 21atteint environ un enfant pour 800 naissances (Rogers etRoizen, 1991) et la fissure labiale ou palatine, un enfantpour 1000 naissances (Laframboise, 1996).

Cet enfant, que les parents espéraient à leur image etqui devait combler leurs attentes, représente une réalitéqui met en péril le processus d’attachement parent-enfant amorcé bien avant la naissance (Bouchard etPelchat, 1997 ; Carlson et al., 1990 ; Pelchat, 1993 ; Slomabnet Konstantareas, 1990). Les parents doivent renoncer àl’enfant désiré et imaginé « parfait », et vivre un processusde deuil semblable à celui que provoque la mort d’unenfant. De plus, ils doivent s’adapter au nouvel enfant et àson problème afin de pouvoir lui manifester de l’affectionet lui donner les soins qu’il requiert (Fortier et Wanlass,1984 ; Pelchat, 1989 ; O’Sullivan, 1985).

Bien qu’il soit reconnu que la plupart de ces familless’adaptent relativement bien à une telle situation (Bennettet al., 1996), d’autres sont dépassés sur le plan de leurscapacités adaptatives et vivent un stress intense qui, à plusou moins long terme, peut laisser des séquelles chez lapersonne, le couple, le nouveau-né et même la familleélargie. De façon générale, les parents d’enfants atteintsd’une déficience présentent les caractéristiques suivantes :• Sur le plan personnel, ils ont plus de problèmes de santé

physique, une plus forte incidence de symptômestels que la dépression, l’anxiété et la détresse émotion-nelle, une moins grande estime d’eux-mêmes et davan-tage de stress que les parents d’enfants sans déficience(Beckman 1991 ; Goldberg et al., 1990 ; Miller et al.,1992).

• Sur le plan conjugal, ils seraient particulièrementexposés à avoir des problèmes relationnels et des pro-blèmes de communication qui, dans plusieurs cas,mènent à la séparation ou au divorce (Dallaire, 1984 ;Fortier et Wanlass, 1984).

• Sur le plan social, ils éprouvent souvent des sentimentsd’isolement et de marginalisation (Carlson et al., 1990 ;Pelchat et al., à paraître) ainsi que d’érosion de leurréseau de soutien (Kazak et Marvin, 1984).Les professionnels de la santé doivent, quant à eux,

apprendre à composer avec l’expérience de ces familles etadapter leurs interventions de façon à répondre auxbesoins de chacun de leurs membres (Pelchat et al., 1999).Cependant, comme ils ressentent souvent un malaisedevant la souffrance de ces familles, ils ont tendance àadopter un comportement de retrait plutôt que de satis-faire leurs besoins (Bouchard et al., 1994 ; Boucher et al.,

L’adaptation des parents d’enfants atteints d’une déficience

Effets d’un programmed’intervention familiale

précoce

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PAR DIANE PELCHAT, INF., PH.D., NICOLE RICARD, INF., PH.D.

ET HÉLÈNE LEFEBVRE, INF., PH.D.

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1989). De plus, les infirmières sont appelées à jouer unrôle-clé de soutien auprès de ces familles, mais éprouventdes difficultés à les aider à gérer la situation (Pelchat-Borgeat, 1978 ; Pelchat, 1993).

Aussi, pour répondre aux besoins formulés par desparents et des infirmières exerçant en périnatalité dans lemilieu hospitalier, une chercheuse a élaboré, à la fin desannées 1980, un programme d’intervention familiale sys-témique précoce, le PRIFAM. L’étude décrite dans leprésent article visait à évaluer les effets de ce programmesur l’adaptation de parents d’un enfant atteint d’une défi-cience physique.

Recension des programmes d’interventionPlusieurs stratégies d’intervention ont été proposées etde nombreux programmes d’intervention élaborés pourvenir en aide aux familles ayant un enfant atteint d’unedéficience. Ces programmes ont pour but d’améliorerle développement de l’enfant, mais ne tiennent pascompte des besoins particuliers et des difficultésd’adaptation des parents et des autres membres de lafamille. En outre, les programmes d’intervention et lesétudes analysant leurs effets sur la famille comportentd’importantes limites, entre autres le fait qu’elles nevisent pas une intervention suffisamment précoce, soit

dès la naissance de l’enfant ou, du moins, durant lespremiers mois de vie (Baker, 1984 ; Boucher et al., 1989 ;Lamarche, 1987 ; Pelchat, 1989, 1992).

Or,des auteurs ont montré qu’une intervention précocepermettrait d’aider les familles lorsque leurs besoins sontconsidérables, dans les premiers mois de vie de l’enfant.En effet, durant cette période, les parents doivent à la foiss’adapter à leur situation parentale, faire le deuil de l’enfantdésiré « parfait » et apprendre à développer leurs compé-tences parentales (Bouchard et Pelchat, 1997 ; Pelchat etBerthiaume, 1996). Une intervention très précoce permet-trait en outre de prendre en compte la façon dont l’an-nonce de la déficience est faite aux parents.Cette annonceest un moment crucial pour les parents, et la manière dontils la vivent a des conséquences importantes sur leuradaptation et celle de la famille (Bailey et Simeonsson,1988 ; Detraux, 1989 ; Eliason, 1991 ; Sauter, 1989). Sansparler des conséquences difficilement réparables de déci-sions prises à ce moment-là sur l’avenir de l’enfant. Lesrésultats d’études menées au Québec montrent qu’il existeune réelle lacune à cet égard (Bouchard et al., 1994).Et c’estce que le PRIFAM veut corriger, puisqu’il s’applique dès lanaissance de l’enfant et vise précisément à favoriser l’adap-tation de chaque membre de la famille (voir Le PRIFAM :un programme fondé sur le partenariat, p. 26).

Méthodologie

Cette étude quantitative et longitudinale visait deux objec-tifs : évaluer les effets du PRIFAM sur l’adaptation desfamilles ayant un enfant atteint de trisomie 21 ou d’unefissure labiale, palatine ou labiopalatine, selon un pland’analyse longitudinale comprenant de multiples indica-teurs de l’adaptation parentale ; et évaluer les effets del’intervention sur l’adaptation familiale selon le temps demesure, le type de déficience chez l’enfant et le sexe duparent.

ÉchantillonL’échantillon se composait de 74 familles biparentalesou 148 parents. Deux groupes de parents ont participé àl’étude :• un groupe expérimental (n = 46) comprenant 21 familles

dont l’enfant est atteint de trisomie 21 et 25 famillesdont l’enfant a une fissure ; elles ont bénéficié duPRIFAM ;

• un groupe de contrôle (n = 53) constitué de parentsd’enfants ayant les mêmes déficiences (n = 19 et 34respectivement) ; ils n’ont pas bénéficié du PRIFAMmais des services habituels.Les participants ont été recrutés, entre septembre 1993

et avril 1995, par des infirmières dans 14 hôpitaux urbains

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et semi-urbains des régions de Montréal et de Québec. Lescritères de sélection étaient les suivants : l’enfant vit avecses parents et n’est pas adopté ; la famille ne participe pasà d’autres projets de recherche durant cette étude ; lesparents peuvent s’exprimer en français et habitent à moinsde 90 minutes de route des lieux de recrutement.

Pour des raisons d’ordre éthique, la sélection desfamilles n’a pas été faite de façon aléatoire, mais en fonc-tion de la date de mise sur pied du PRIFAM. Ainsi, lesfamilles recrutées avant le début du programme d’inter-vention forment le groupe de contrôle, et celles recrutéesun an plus tard ont participé à l’intervention et constituentle groupe expérimental.

Collecte des donnéesToutes les familles ont dû participer aux trois étapes de lacollecte des données : lorsque les enfants étaient âgés de6 mois (T1), de 12 mois (T2) et de 18 mois (T3). Les entre-vues avec les parents ont eu lieu au domicile familial.

Instruments de mesureTrois dimensions de l’adaptation parentale ont été éva-luées aux T1, T2 et T3 : le stress parental, la détresse émo-tionnelle et le soutien conjugal.

Plusieurs aspects du stress parental ont été évalués àl’aide de deux instruments de mesure : le Stress Appraisal

Measure ou SAM (Peacock et Wong, 1990) et le ParentingStress Index ou PSI (Abidin, 1990).• Le SAM est un questionnaire autoadministré compre-

nant 28 énoncés qui mesurent la perception du stressdans diverses dimensions de l’expérience parentalevécue auprès d’un enfant présentant un problème par-ticulier. Il a été traduit en français et a fait l’objet d’ana-lyses de validation (Pelchat et al., 1994). La fidélité del’instrument a été évaluée à l’aide d’une mesure deconsistance interne (alpha de Cronbach), et une vali-dation de construit a également été effectuée. Danscette étude, les coefficients alpha varient de 0,73 à 0,86,comme dans les versions anglaise et française del’échelle.

• Le PSI est un instrument de dépistage et de diagnosticqui mesure l’intensité du stress dans diverses dimen-sions du système parent-enfant. Cinq des 13 sous-échelles du PSI ont été administrées aux parents,et troisd’entre elles, dont la consistance interne s’est avéréeadéquate, ont été retenues pour les analyses. Le PSI aété validé dans plusieurs études et auprès de diversespopulations ; dans la présente étude, les coefficientsalpha varient de 0,70 à 0,81, ce qui est comparable auxindices obtenus avec d’autres échantillons (Lacharitéet al., 1992).La détresse émotionnelle a été mesurée à l’aide de la

version abrégée de l’Indice de détresse émotionnellede l’Enquête Santé Québec (Préville et al., 1992). Cettemesure est une adaptation française du PsychiatricSymptom Index (Ilfeld, 1976). Elle comporte 14 énoncésdécrivant différents symptômes psychologiques, dontl’anxiété, la dépression, la colère et certains troublescognitifs.

Enfin, le soutien conjugal a été évalué à l’aide d’unemesure du soutien émotionnel du conjoint et d’unemesure de satisfaction de la répartition des tâches dans lecouple. La mesure du soutien émotionnel du conjoint esttirée d’une échelle (Guay-Genest, 1987) à laquelle deuxénoncés ont été ajoutés (Smolla, 1988). Elle comporte dixénoncés présentés sous la forme d’une échelle de Likertde huit points évaluant la perception du soutien émotion-nel et la disponibilité du conjoint. Dans la présente étude,les coefficients de consistance interne sont supérieurs à0,94 aux trois temps de mesure.

La mesure de satisfaction de la répartition des tâchesprovient, quant à elle, d’une échelle de mesure qui n’a pasencore été validée. Elle a trait à la satisfaction à l’égard dupartage des tâches et des responsabilités entre conjoints.

Analyse des donnéesLes effets de l’intervention, du temps de mesure, du typede déficience et du sexe du parent sur chacune des

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mesures de l’adaptation ont été évalués à l’aide del’analyse de variance (ANOVA). Cette analyse comportaitdes mesures doublement répétées selon le temps demesure et le sexe du parent. L’ANOVA a été réalisée pourchacune des mesures de l’adaptation afin d’évaluer leseffets directs de chaque variable indépendante et les inter-actions entre les variables. Les effets d’interactions entrel’intervention et les autres variables indépendantes per-mettent d’évaluer la variation de l’effet de l’interventionsur l’adaptation selon le temps de mesure, le type de défi-cience et le sexe du parent. Lorsque de telles interactionssont significatives, l’analyse des effets simples permet devérifier à quel temps de mesure et dans quel sous-groupede parents l’effet de l’intervention est significatif.

Les résultats

Les résultats confirment l’efficacité du PRIFAM à favoriserde façon significative l’adaptation des parents et, dans unecertaine mesure, le développement des enfants durant les18 premiers mois de vie. Selon la majorité des indicateursde stress parental, de détresse émotionnelle et de soutienconjugal, les parents qui ont participé à l’interventionprésentent une meilleure adaptation à la déficience de leurenfant et à leur situation parentale qu’un groupe compa-rable de parents qui n’y ont pas participé.

L’intervention a eu un effet significatif sur 10 des 16mesures de l’adaptation considérées dans cette étude.Pour six d’entre elles — la menace, le contrôle des autres,la détresse émotionnelle, l’anxiété, la dépression et le sou-tien émotionnel du conjoint —, l’effet de l’intervention estmajeur, c’est-à-dire qu’il est le même à chaque temps demesure, indépendamment de la variable temps, du type dedéficience de l’enfant et du sexe du parent.

Comparativement aux parents du groupe de contrôle,les parents du groupe expérimental se sentent moinsmenacés par leur situation parentale, ont davantageconfiance dans l’aide qu’ils peuvent recevoir des autres,vivent moins de détresse émotionnelle, d’anxiété et dedépression, et se sentent davantage soutenus émotion-nellement par leur conjoint.

Pour quatre autres mesures — la restriction du rôle, ledéfi, le contrôle de soi et le soutien conjugal —, l’effet del’intervention sur l’adaptation interagit avec un de cesfacteurs.

Restriction du rôle – L’interaction significative entrel’intervention et le temps de mesure représente uneffet significatif de l’intervention sur cette variableseulement au T1. Lorsque les enfants étaient âgés de sixmois, les parents qui ont participé à l’intervention sesentaient moins menacés par leur rôle de parent que lesparents du groupe de contrôle.Défi – L’interaction entre l’intervention et le sexe duparent révèle un effet d’intervention significatifseulement chez les mères : celles du groupe expéri-mental semblent davantage portées à considérer leursituation comme un défi que les mères du groupe decontrôle.Contrôle de soi – L’interaction entre l’intervention, letemps de mesure et le type de déficience sur cettevariable révèle un effet significatif de l’intervention auT1 chez les parents d’enfants atteints de trisomie 21, etaux T2 et T3 chez les parents d’enfants ayant une fissurelabiale, palatine ou labiopalatine.Soutien conjugal – L’interaction entre l’interventionet le type de déficience révèle un effet significatif del’intervention sur cette variable seulement pour lesparents d’enfants atteints de trisomie 21. Pour cesparents, la participation à l’intervention est associée àun plus grand soutien de la part de leur conjoint.Dans tous les cas étudiés, l’intervention a accru la

confiance des parents dans les ressources mises à leur dis-position pour faire face à leur situation.

Enfin, les niveaux de stress et de détresse émotionnellemoins élevés chez les parents du groupe expérimentalainsi que le soutien conjugal plus marqué dans ce groupecomparativement au groupe de contrôle témoignent d’unemeilleure adaptation des parents qui ont participé auPRIFAM.

Discussion des résultats

De façon générale, les résultats résumés plus haut corro-borent ceux d’études relativement récentes portant surl’efficacité de différents types d’intervention visant àréduire le stress parental et à améliorer l’adaptation des

lLes résultats confirment l’efficacité

du PRIFAM à favoriser de façon

significative l’adaptation des parents

et, dans une certaine mesure, le

développement des enfants durant

les 18 premiers mois de vie.

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parents ayant un enfant atteint d’une déficience(Brinker et al., 1994 ; Bristol et al., 1993 ; Shonkoff et al.,1992). Cependant, la présente étude va encore plus loinen examinant un certain nombre de dimensions de l’adap-tation parentale à différentes périodes ainsi que deux fac-teurs possibles d’efficacité de l’intervention.

L’effet du PRIFAM sur les multiples dimensions de l’adaptation familialeLes résultats de cette étude révèlent que le niveau destress parental moins élevé dans le groupe expérimen-tal que dans le groupe de contrôle favorise chez cesparents l’adoption d’attitudes, de perceptions et de senti-ments plus positifs. Parce qu’ils sont plus positifs etconfiants, les parents sont plus en mesure de faire faceaux différentes exigences de la situation. Ils ont davantageconfiance en eux-mêmes et visent une meilleure relationavec leur enfant, leur conjoint et leur entourage. Lorsqueles variables perceptions et attitudes liées au dévelop-pement de l’adaptation familiale sont prises en compte,de tels changements représentent un bon indicatif del’adaptation future des parents (Belsky et al., 1984 ;Wrightet al., 1996). Par ailleurs, le niveau de détresse émotion-nelle, d’anxiété et de dépression moins élevé chez lesparents du groupe expérimental indique que l’inter-vention contribue à réduire la charge émotionnelle desparents et à maintenir leur qualité de vie et leur santé.

L’effet positif de l’intervention sur le soutien émo-tionnel et le soutien conjugal confirme également l’im-portance du PRIFAM sur l’adaptation des conjoints. Unmeilleur soutien conjugal est le signe d’une meilleureadaptation des parents à leur situation parentale parti-culière, le signe également que la déficience de l’enfant

n’est pas vécue par les conjoints comme une menace pourl’équilibre de leur relation. De plus, un meilleur soutienémotionnel entre conjoints est un facteur important dumaintien de l’harmonie familiale. L’effet de l’interventionà cet égard présente un intérêt particulier compte tenudu risque élevé de séparation des conjoints à la suite de lanaissance d’un enfant atteint d’une déficience (Dallaire,1984 ; Fortier et Wanlass, 1984).

L’efficacité de l’interventionDans l’ensemble, les effets du PRIFAM varient peu selonle temps de mesure, le type de déficience et le sexe desparents. Sur les 10 mesures de l’adaptation qui ont connuun effet significatif, trois présentent un effet variable del’intervention en fonction du temps de mesure ou du typede déficience, et une seule présente un effet variable enfonction du sexe du parent.

Les effets selon le temps de mesureLes résultats de l’étude concordent jusqu’à un certain

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point avec ceux rapportés dans les rares études longitu-dinales qui ont porté sur les effets d’un programme d’in-tervention. Le maintien des effets de l’intervention surplusieurs dimensions de l’adaptation parentale confirmeque les bénéfices que retirent les parents de leur partici-pation au PRIFAM ne sont pas transitoires. En effet, ils sepoursuivent durant les douze mois suivant la fin de l’in-tervention, quand les enfants sont âgés de 12 mois et de18 mois.

Étant donné l’importance de cette période dans ledéveloppement de l’enfant, le maintien des gains faits parles parents peut contribuer de façon notable audéveloppement immédiat de l’enfant mais aussi à sondéveloppement futur. Il est fort probable que le maintiendes gains aura également une incidence importante surl’adaptation éventuelle des parents.

Les effets selon le type de déficienceL’étude montre une absence relative d’écart entre l’effetde l’intervention chez les parents d’enfants atteints detrisomie 21 et l’effet de l’intervention chez les parentsd’enfants ayant une fissure labiale, palatine ou labiopala-tine. Ce résultat est remarquable, étant donné la gravité dela trisomie 21 par rapport à la fissure. Sans minimiser lestress et la détresse que les parents d’un enfant ayant unefissure peuvent vivre les premiers mois suivant sa nais-sance,on peut toutefois affirmer que la trisomie 21 est unedéficience plus grave que la fissure sur le plan dudéveloppement de l’enfant. De fait, les parents d’enfantstrisomiques manifestent plus de stress parental et dedétresse émotionnelle que les parents d’enfants ayant unefissure. Cependant, cette étude indique clairement que lesparents d’enfants ayant une fissure bénéficient de l’inter-vention autant que les parents d’enfants trisomiques.

Il y a lieu de penser que cette similitude des effets duPRIFAM dans les deux groupes de parents est propre à uneintervention effectuée dès la naissance de l’enfant et sepoursuivant durant les premiers mois de vie de l’enfant.Étant donné l’évolution habituelle des deux types de défi-cience, on peut présumer que la similarité des effets del’intervention dans les deux groupes de parents n’est quetemporaire. Alors que les difficultés les plus importantesdes enfants ayant une fissure se résorbent graduellementau cours de la première année, grâce aux interventionschirurgicales, celles des enfants atteints de trisomie 21s’accentuent durant la même période. Pour les parentsd’enfants trisomiques, la prise de conscience des diffé-rences entre leur enfant et les enfants sans déficience s’in-tensifie à mesure que l’enfant avance en âge. Ces parentsdemandent d’ailleurs d’avoir un suivi prolongé, et la majo-rité d’entre eux ont de la difficulté à prendre congé del’intervenante au terme de leur participation au PRIFAM.

Aussi, tout porte à croire qu’une intervention à plus longterme leur serait particulièrement bénéfique.

Les effets selon le sexe des parentsLa similarité des effets du PRIFAM chez les mères et lespères est étonnante lorsqu’on examine les niveaux de stressparental et de détresse émotionnelle vécus par la mère.Elle serait liée à la période durant laquelle l’adaptation desparents a été évaluée. Il est possible que des différencesplus évidentes émergent par la suite aux diverses étapesdu développement de l’enfant. Compte tenu du rôle déter-minant de chacun des parents dans le développement del’enfant, il paraît d’autant plus important d’intégrer lespères dans les programmes d’intervention auprès desfamilles dont un enfant est atteint d’une déficience.

Les avantages du PRIFAM pour les parents…Les bénéfices que retirent les participants au PRIFAMressortent clairement de cette étude :• les changements d’attitudes et de comportements des

parents survenus dès les premiers mois de vie de l’en-fant sont susceptibles d’influer favorablement surl’adaptation ultérieure des parents, de l’enfant et de lafamille ;

• l’implication du père dès la naissance de l’enfant peutaider à maintenir l’harmonie familiale, voire à prévenirl’éclatement de la famille ;

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• l’amélioration de l’adaptation des parents, de leur degréd’autonomie et de leur perception de la déficience del’enfant favorise une utilisation éclairée et judicieusedes ressources disponibles et,par voie de conséquence,la réduction des coûts des services de santé.

… et pour les infirmièresDes professionnels de la santé, les infirmières sont lesmieux outillées pour intervenir auprès des familles ensituation de stress intense, à reconnaître l’expertise desparents et à faire confiance à leurs compétences. Ellesont appris à guider les parents dans la prise de leursresponsabilités, de leurs choix et de leurs décisions cequi, par ricochet, facilite leur travail. Aussi, l’applica-tion du PRIFAM présente de nombreux avantages pourles infirmières.• En assumant le rôle de guide auprès des familles, elles

contribuent à réduire les risques d’épuisement profes-sionnel souvent liés à la pratique infirmière dans dessituations éprouvantes émotivement et vécues àrépétition.

• À l’instar des parents, elles reconnaissent que la relationde partenariat est une condition essentielle à l’adap-tation à la nouvelle situation de vie et affirment quel’exercice de leur profession se transforme et devientplus satisfaisant.

Recommandations pour la pratique infirmièreet la rechercheLa collaboration entre les divers professionnels qui inter-viennent auprès des familles dont un enfant est atteintd’une déficience est essentielle pour assurer la continuitédu suivi des familles ainsi que la satisfaction de leursbesoins. Un suivi prolongé des deux groupes de parentspermettrait de mieux connaître l’évolution de la famille,son adaptation et ses besoins liés aux étapes subséquentes

du développement de l’enfant. Il pourrait égalementmettre à contribution l’ensemble des intervenants del’équipe multidisciplinaire.

Par ailleurs, sur le plan des effets du PRIFAM sur l’adap-tation des parents, il serait approprié d’entreprendre desétudes similaires avec des parents d’enfants ayant d’autrestypes de déficiences. Enfin, divers facteurs pourraient êtreexaminés et des recherches effectuées afin de déterminerles éléments qui contribuent à l’efficacité du PRIFAM. Desétudes comparatives, par exemple, pourraient être menéesafin d’examiner l’efficacité relative de diverses interven-tions et l’importance relative de l’information transmise

aux parents, de la précocité de l’intervention et d’un typeparticulier de partenariat établi entre les parents et l’infir-mière au cours de l’intervention.

Sciences

cCompte tenu du rôle déterminant

de chacun des parents dans le

développement de l’enfant, il paraît

d’autant plus important d’intégrer

les pères dans les programmes

d’intervention...

Cette recherche a été financée par le Conseil québécois de la recherchesociale (CQRS, 1993-1995) et par Santé Canada, Programme national derecherche et de développement en matière de santé (PNRDS,1994-1998).

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Suzanne Durand, responsable de l’équipe d’infirmières duCentre hospitalier ambulatoire régional de Laval qui intervien-nent auprès des parents.

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24 NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2001 L’INFIRMIÈRE DU QUÉBEC

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Les auteuresDIANE PELCHAT est professeure agrégée à la Faculté des sciences

infirmières de l’Université de Montréal. Elle est chercheuse au Centre de recherche interdisciplinaire de réadaptation du Montréal métropolitain(CRIR) et responsable de l’Équipe de recherche interdisciplinaire sur lafamille (ERIFAM).

NICOLE RICARD est professeure titulaire à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal. Ses activités d’enseignementportent sur les soins psychiatriques et la pratique infirmière avancée. Elle est aussi chercheuse au Centre de recherche Fernand-Seguin affilié à l’Hôpital Louis-H. Lafontaine.

HÉLÈNE LEFEBVRE est professeure adjointe à la Faculté des sciencesinfirmières de l’Université de Montréal. Elle est chercheuse au Centre derecherche interdisciplinaire de réadaptation du Montréal métropolitain(CRIR) et coresponsable de l’Équipe de recherche interdisciplinaire sur la famille (ERIFAM).

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