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Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
1
Les afrodescendants et le récit fondateur de la nation : monuments et dates commémoratives
Ana Frega
Historienne uruguayenne. Professeur titulaire du Département d’histoire de l’Uruguay à
l’Université de la République de Montevideo, Uruguay. Le présent essai reprend des analyses et
des passages de ses publications antérieures mentionnées dans la bibliographie.
Résumé
À l’heure des célébrations du Bicentenaire de l’émancipation, cet article traite des avancées et des
régressions dans la reconnaissance sociale de la participation des afrodescendants à ce processus
historique. Prenant pour point de départ le Centenaire de l’indépendance de l’Uruguay (1925-1930),
il analyse ensuite la quête d’un « héros noir » et ses significations, ainsi que celle d’une date à
laquelle commémorer – c’est-à-dire se remémorer ensemble – la contribution de la population
afrodescendante à l’édification de l’Uruguay. L’étude prend pour fil conducteur l’érection de trois
monuments dans des lieux publics à Montevideo. « El aguatero » (Le porteur d’eau), inauguré dans
le cadre du Centenaire « en hommage à la race noire », rappelle, quoique de manière non
intentionnelle, la place assignée au cours de l’histoire aux afrodescendants, et le stéréotype qui les
associait à une condition servile. « Ansina », effigie dévoilée en 1943 d’un esclave affranchi,
« assistant et fidèle compagnon » de José Artigas, offre à la communauté noire une image de leur
place dans le processus d’émancipation. La « Plaza Senzala-Caserío de los Negros », inaugurée en
2006 en tant que lieu de mémoire de la résistance et de la lutte contre la discrimination, témoigne du
renforcement des associations d’afrodescendants et d’une prise de conscience des formes de
discrimination présentes dans la société uruguayenne.
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Afro-Uruguay. Ruben Galloza (1926-2002)
Fresque murale au siège de l’Association culturelle et sociale Uruguay Negro (ASCUN) à
Montevideo, datée du 10 août 1991.
L’artiste y résume le parcours de la diaspora africaine en Uruguay : la terre natale, le débarquement
des populations réduites en esclavage, la participation aux guerres d’indépendance, le travail,
l’éducation, le football et des expressions culturelles telles que les « Salas de Nación » et le
candombe.
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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Introduction
Les célébrations du Bicentenaire de l’émancipation ont donné un nouvel élan à la réflexion sur la
diversité des composantes sociales et culturelles qui constituent l’identité multiple des Uruguayens,
alors que la communauté afro-uruguayenne commençait à s’organiser et à se mobiliser à grande
échelle, et que différentes politiques – encore insuffisantes – étaient lancées dans le domaine
législatif pour lutter contre la discrimination et favoriser la reconnaissance de la diversité
socioculturelle.
La prise en compte de la variable « ethnie-race » dans les statistiques a permis de calculer le
pourcentage approximatif des groupes d’ascendance africaine ou noire au sein de la population. Sur
la base des données recueillies lors de l’Enquête nationale sur les ménages de 2006, ce pourcentage
a pu être estimé à 9,1 % de l’ensemble des Uruguayens. Bien que la question ait porté davantage sur
l’autoperception des racines culturelles que sur la discrimination raciale, les résultats obtenus
montrent sans ambiguïté que les conditions de vie de la population d’origine africaine sont moins
favorables que celles de la population blanche. Le taux de pauvreté est deux fois plus élevé dans la
communauté d’origine africaine : 50 % contre 24 % dans la communauté blanche. Les taux de
chômage sont également supérieurs, les salaires plus bas, la durée des études moins longue et la
situation sanitaire plus précaire1.
La marque laissée par l’esclavage n’est pas seule responsable de ces inégalités criantes, même
si la « place » assignée dans l’histoire à la population d’origine africaine et les stéréotypes
persistants l’associant à une condition servile et à un naturel dépravé et paresseux2 font encore
sentir leurs effets aujourd’hui. Comme nous l’avons noté ailleurs, l’origine des communautés
afrodescendantes a été complètement passée sous silence en Uruguay. La vision élitiste de
l’« histoire nationale » qui prévaut dans l’enseignement fait l’impasse sur les circonstances de leur
arrivée forcée comme esclaves sur les terres orientales, sur leur résistance, leurs expressions
culturelles, leur participation à la vie sociale et économique locale, et la part qu’ils ont prises à la
révolution pour l’indépendance et à l’édification de l’État oriental. De plus, on a également fermé
les yeux sur les différentes formes de discrimination et de ségrégation raciales qui subsistent de nos
jours3. Si l’on veut inverser la tendance, il importe en tout premier lieu de prendre conscience de
l’existence de ces formes de discrimination. Pour lutter contre le racisme, la xénophobie et la
discrimination, il a été créé une commission honoraire chargée de préparer des mesures dans ce sens
(loi n° 17.817 du 6 septembre 2004). La loi n° 18.059 du 20 novembre 2006 a entre autres institué
la « Journée nationale du Candombe, de la culture afro-uruguayenne et de l’égalité raciale »
1 Bucheli ; Cabella (2010). 2 Islas ; Frega (2007), p. 383. 3 Frega (2011), p. 389.
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célébrée le 3 décembre de chaque année. L’article 2 dispose que cette manifestation « sera
l’occasion de valoriser et faire plus largement connaître l’expression culturelle du Candombe, la
contribution de la population afrodescendante à l’édification nationale, et son apport à la
construction de l’identité culturelle de la République orientale d’Uruguay » 4 . Il convient de
rappeler que la tradition culturelle du candombe, qui s’exprime par le son des tambours, la danse et
le chant, est inscrite sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité
(UNESCO) depuis 20095. En 2007, la Commission du patrimoine culturel de la Nation a choisi
comme thème de la Journée du patrimoine la reconnaissance et la diffusion des « cultures afro-
uruguayennes », et a classé monument historique national le site sur lequel on suppose que devait
s’élever, dans la baie de Montevideo, le « Caserío de los negros » où les victimes de la traite des
esclaves de la région du Río de la Plata étaient placées en quarantaine.
C’est dans ce cadre que nous nous proposons d’explorer quelques-uns des aspects de la place
des afrodescendants dans la mémoire sociale des Uruguayens. Nous nous pencherons tout d’abord
sur la période du Centenaire (1925-1930), pendant laquelle le discours dominant postulait
l’existence d’une société homogène d’ascendance européenne. Dans une seconde partie, nous
aborderons l’un des chevaux de bataille du mouvement contestataire des éléments d’origine
africaine : la contribution de la « race noire », expression utilisée comme revendication identitaire, à
l’émancipation de l’Uruguay. Enfin, nous retracerons les grandes étapes de la difficile recherche
d’une date de commémoration/revendication pour les afrodescendants en Uruguay. Pour conclure,
nous citerons quelques-unes des grandes lignes du projet « Lieux de mémoire de l’esclavage en
Uruguay » élaboré par l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay dans le cadre du projet de l’UNESCO
« La route de l’esclave ». Notre essai s’articule autour de l’inauguration de trois monuments érigés
dans des espaces publics. Comme le rappelle l’historien français Jacques Le Goff, l’origine
étymologique du mot monument est étroitement liée à la mémoire – il s’agit de « rappeler »,
d’« illuminer », d’« instruire » afin de perpétuer le souvenir.
Les afrodescendants lors de la célébration du Centenaire de l’Uruguay
Les festivités du Centenaire cherchaient à donner de l’Uruguay – dans ses frontières comme à
l’étranger – l’image d’un pays dont « presque tous les habitants sont de race blanche », en faisant
abstraction de « l’inquiétante problématique de l’indien ou du noir qui préoccupe tant l’ensemble
4 Le texte complet de ces lois est disponible à l’adresse suivante : http://www.parlamento.gub.uy 5 « Le Candombe et son espace socioculturel : une pratique communautaire ». En 2010 a été créé un groupe
d’experts composé de représentants confirmés des rythmes traditionnels du Candombe et de spécialistes de la culture afro-uruguayenne qui a été chargé, sous l’égide de la Commission du patrimoine culturel de la Nation, d’élaborer un plan de sauvegarde et de diffusion de ce bien patrimonial.
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5
des nations américaines »6. Cette image d’un pays jeune, bénéficiant d’une justice sociale avancée
et à l’avenir prometteur, était présentée comme le résultat de l’important courant migratoire
européen. Les protestations, en tout état de cause, visaient davantage le caractère « dangereux » de
cette immigration – anarchistes, socialistes –, ou la croissance de la culture urbaine au détriment des
racines rurales de l’identité – nativisme, créolisme7. Les textes scolaires « enseignaient » que la
population uruguayenne était de « race caucasienne », et les autorités éducatives proclamaient avec
fierté : « Notre pays est un cas particulier de cosmopolitisme apparu dans des conditions
exceptionnelles […] », en ceci que « [t]ous les pays de race blanche ont contribué à notre
construction et à notre perfectionnement »8.
Dans El libro del Centenario, 1825-1925 (Le livre du Centenaire, 1825-1925), publication de
luxe de grand format et abondamment illustrée, la composition de la population uruguayenne est
décrite en ces termes : « La population de race blanche de l’Uruguay est exclusivement d’origine
européenne » … « La race autochtone a disparu » … « La faible proportion d’individus d’origine
éthiopienne… que l’on avait fait venir du continent africain pour développer l’esclavage dans ces
régions est en baisse sensible, au point de ne plus représenter qu’un pourcentage infime de la
population »9. Le même ouvrage contient pourtant des photographies qui témoignent de la présence
d’afrodescendants dans les campagnes et dans les villes.
La légende dit : « Petit troupeau de chevaux créoles attendant d’être sellés dans un enclos
improvisé », sans faire mention du travailleur au premier plan. El libro del Centenario…, p. 69
6 Nin et Silva (1930), p. 10. 7 Islas ; Frega (2007), p. 360-361. 8 Rapport d’Abel J. Pérez dans Memoria de instrucción primaria au début du XXe siècle, cité dans Leone (2000),
p. 202-203. 9 Œuvre de Perfecto López Campaña et Raúl Castells Carafí, il fut édité à Montevideo par l’agence de publicité
Capurro & Cía en 1925, p. 43.
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La légende dit : « Hachage et conditionnement dans la plus importante conserverie de viande de
Montevideo ». El Libro del Centenario..., p. 131.
D’autres documents photographiques témoignent de la présence d’afrodescendants dans divers
métiers tels que lavandières, balayeurs, soldats ou cochers, etc. En dehors de certains détails
révélant une technologie plus avancée, ils ressemblent fort aux tableaux de mœurs des lithographies
de la première moitié du XIXe siècle.
Lavandières en 1900. Photographies. Musée et fonds d’archives historiques municipal.
Balayeur. Centre de la photographie, Intendance de Montevideo (CMDF).
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7
Sergent d’infanterie. Photographie, vers 1897. Centre national des archives de l’image SODRE.
Cocher. Voiture de ramassage de conserves vides (CMDF).
Au milieu des années 1920, face à ce déni, un afro-uruguayen, Lino Suarez Peña éleva la voix pour
tenter, à sa manière, d’élaborer une histoire de la population noire présente sur le territoire, depuis
le début de l’esclavage jusqu’à son abolition, ainsi que de son apport culturel et de ses principales
références, en réclamant auprès des responsables de l’enseignement public que « tous ces faits
soient intégrés à l’histoire nationale, car comme un arbre naît des entrailles de la terre, notre
présent est le fruit du passé »10.
Les célébrations du Centenaire en 1930 comprenaient l’installation dans des lieux publics
d’une série d’œuvres réalisées par des sculpteurs uruguayens, qui symbolisaient les « facteurs ayant
contribué à la formation de notre nationalité »11. Ainsi, en même temps que « El inmigrante »
(L’immigrant), « El estibador » (Le docker), « El obrero urbano » (L’ouvrier urbain), « La
maestra » (L’institutrice) et « El labrador » (Le paysan), « El aguatero » (Le porteur d’eau) prit 10 Manuscrit daté de 1924, cité dans Chagas (2007), p. 9. 11 « El Día », supplément du dimanche, Montevideo, 5 mars 1933, cité dans Ántola ; Ponte (2000), p. 224.
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place dans le décor quotidien des habitants de Montevideo12. « Le porteur d’eau noir », nom initial
de l’œuvre, avait été commandé au célèbre sculpteur uruguayen José Belloni. La statue fut
inaugurée en mai 1932 avec cette inscription sur son socle : « Le porteur d’eau. Hommage à la race
noire. Commission du Centenaire de 1930 » 13 . L’œuvre trahissait néanmoins certaines
réminiscences de l’esclavage en reproduisant, de manière non intentionnelle, la place assignée aux
noirs au cours de l’histoire et les stéréotypes qui les associaient à une condition servile14.
El aguatero. José Belloni (1882-1965). Monument érigé sur la Plaza Viera (avenues Rivera et
Francisco Muñoz) à Montevideo. Photo : Ana Frega.
La sculpture s’inscrivait dans le même registre iconographique que les livres scolaires ou les
journaux illustrés qui témoignaient de la place attribuée aux afrodescendants dans la société. Malgré
une longue présence dans les rangs de l’armée régulière de la République, leur participation active à
la geste indépendantiste ne fut pas retenue à l’heure de choisir un thème rappelant la
« contribution » des noirs à ce que l’on appelait « notre nationalité ». Il en avait été tout autrement
avec le « Guacho », monument inauguré en 1927 qui portait cette inscription : « Au premier élément
de travail et d’indépendance nationale », ou avec le groupe ethnique « charrua ». Dans ce dernier
cas, la Commission avait demandé la réalisation d’un monument intitulé « Les derniers charruas »,
rappelant les circonstances de la capture en 1833 de deux caciques, un chaman et une femme,
destinés à être « exhibés » en France. Réalisée par Edmundi Prati, Gervasio Furest Muñoz et
12 République orientale d’Uruguay. Commission nationale du Centenaire 1830-1930, Memoria de los trabajos
realizados, Montevideo, Impresoria Uruguaya, n.d., p. 28-29. 13 Monument érigé à Montevideo, sur la Plaza Viera, entre l’avenue du General Rivera et l’avenue Francisco
Muñoz. 14 Ántola et Ponte (2000, p. 225) évoquent une polémique concernant l’œuvre de Belloni qui ne représenterait pas
un porteur d’eau mais le collecteur d’excréments qui s’acquittait de cette tâche dans les maisons ne possédant pas de latrines.
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Enrique Lussich, la sculpture fut inaugurée en 1938. Entre autres images socialement acceptables de
cette ethnie on soulignait son caractère indomptable et brave, avec des expressions valorisantes
telles que « la griffe charrua ». Les livres scolaires de l’époque, comme La historia de Uruguay
(Histoire de l’Uruguay) d’Arturo Carbonell y Debali (1re édition en 1927), reflétaient ces
changements d’attitude vis-à-vis des gauchos et des autochtones en mentionnant leur participation
aux guerres d’indépendance aux côtés de José Artigas15.
La revendication d’un héros noir
Au milieu des années 1920, plusieurs voix s’élevèrent pour réclamer le droit de la communauté
noire d’avoir une place dans l’histoire nationale, alors que prenait de l’ampleur un mouvement dont
l’objectif était de rendre hommage à Ansina, compagnon de José Artigas au Paraguay durant les
trente dernières années de sa vie. On savait peu de choses de la vie du chef révolutionnaire dans ce
pays. Un témoignage publié dans « El Constitucional » de Montevideo le 1er juillet 1846 faisait
allusion à « Lenzina, un vieil homme qui l’accompagne depuis son exil »16. Cet article faisait suite à
la récente visite de José María Artigas à son père. L’éditeur du journal, Isidoro de María, publia en
1860 une biographie de José Artigas qui fut la première, semble-t-il, à mentionner le nom d’Ansina :
« Ansina, son vieux compagnon d’exil, de quatre ans plus âgé que le général, restait aux côtés de
son ancien chef et veillait sur lui »17.
Au début du XXe siècle, ces actions aboutirent à l’inscription de son nom dans les registres de
Montevideo18. Ce fut au cours de ces années que se produisit la confusion entre le sergent Manuel
Antonio Ledesma, « dernier soldat fidèle à Artigas », dont le nom apparaissait dans des documents
des années 1880 concernant la préparation du voyage au Paraguay du général Máximo Tajes, et
« l’assistant et le fidèle compagnon » de José Artigas, Ansina. Malgré de légitimes objections
mettant en avant la fragilité des preuves 19 , les rapports présentés par le Comité Ansina de
Guarambaré (localité où Ledesma avait vécu ses dernières années) furent validés, de même que les
requêtes d’Agustín Carrón, consul d’Uruguay au Paraguay. Par la suite, des démarches furent
entreprises afin d’obtenir le retour des restes du sergent Ledesma, qui furent exhumés en février
1925 et déposés en l’église de Guarambaré. Le rapatriement eut lieu au mois d’octobre 193820.
15 Voir Leone (2000), p. 176-177. 16 « El Constitucional », Montevideo, 1er juillet 1846, p. 2 (Emigración del General Artigas al Paraguay. Su vida y
situación) (Émigration du général Artigas au Paraguay. Sa vie et sa situation). 17 I. de María (1860), p. 34. 18 Voir Rodríguez (2006), p. 94-95. L’auteur précise que l’initiative a été présentée en 1917 par Marcelino Bottaro.
Concernant la participation de Bottaro, voir également Víctor Pereyra Pérez, « Luchemos » (« Luttons »), dans Ansina, Année IV, n° 4, Montevideo, 18 mai 1942 (non paginé).
19 Voir Ferreiro [1927]. 20 Petillo (1956), p. 27-28 et 51-52.
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10
Il est intéressant de noter la mobilisation de la communauté noire lors de cette requête. Entre 1939
et 1942, la revue Ansina, organe du Comité en faveur de l’hommage à Manuel Antonio Ledesma
(Ansina) fut publiée à raison d’un numéro par an. Le 18 mai 1939 fut déclaré jour férié, avec le
caractère de fête nationale, et « les restes de celui qui fut son fidèle assistant, don Manuel Antonio
Ledesma » furent veillés au pied du monument élevé à Artigas sur la Plaza Independencia.
Le sergent Manuel Antonio Ledesma. Selon Mario Petillo, la photographie a été prise par Máximo
Fleurquin au Paraguay.
La date choisie était celle de l’anniversaire de la bataille de Las Piedras, grande victoire
remportée par José Artigas en 1811 contre les forces de la coalition espagnole. Plus tard, l’urne
funéraire fut transférée au Panthéon national, pour reposer « auprès des cendres du Père de la
Patrie » 21 . L’Association patriotique d’Uruguay ainsi qu’un ensemble d’organisations
d’afrodescendants, regroupées en un comité de soutien à l’hommage présidé par Juan C. Arizmendi,
étaient à l’origine de cette reconnaissance. La presse se fit l’écho du fervent soutien populaire que
suscitèrent ces cérémonies. L’homme symbolisait une sorte de modèle d’intégration des
afrodescendants dans la société créole. Son image était transcendée par la « proximité » d’Artigas –
« ombre faite lumière » disait l’écrivain et poète Juan Zorilla de San Martín –, et représentait « un
parangon de loyauté » pour reprendre l’expression du député Julio V. Iturbide, auteur du projet de
loi visant à déposer l’urne mortuaire au Panthéon national, ou encore « notre Gaucho », selon les
termes de l’inspecteur de l’instruction primaire dans l’armée Mario Petillo, qui associait le
personnage aux couches populaires de la campagne orientale22.
21 Registro Nacional de leyes de la República Oriental del Uruguay. 1939, Montevideo, Imprimerie nationale,
1940, p. 264-265, loi n° 9814 du 24 mars 1939 et p. 386, loi n° 9822 du 12 mai 1939. 22 Voir Ansina, année I, n° 1, Montevideo, 18-5-1939 (non paginé). I. Casa Pereyra en était le rédacteur en chef et
Washington Viera le secrétaire de rédaction.
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11
Au cours des années suivantes, le Comité entreprit de faire ériger un monument en hommage à
Manuel Antonio Ledesma, Ansina. Ildefonso Pereda Valdés déclara : « en refondant le bronze
gâché dans de mauvaises représentations de l’homme noir, on façonnera la statue qui symbolisera
demain les plus hautes qualités de la race noire, et nul ne peut mieux les incarner que le soldat
Ansina »23. Œuvre de José Belloni, la sculpture fut inaugurée le 18 mai 194324. La figure assise
reproduisait la photographie de Ledesma déjà âgé, prise vers 1884 au Paraguay. Le sculpteur avait
remplacé le bâton qu’il tenait dans la main droite par une lance de bambou. Une stèle de granit gris
reproduisant en bas-relief la silhouette d’Artigas dans la citadelle de Montevideo d’après une toile
de Juan Manuel Blanes, se dressait à l’arrière du monument. Sur la partie inférieure de la stèle
étaient gravés ces mots : « Ensemble dans l’exil. Ensemble dans l’éternité. Ensemble dans leur
patrie pour la gloire d’un peuple reconnaissant ». Le chercheur Alejandro Gortázar, dans son
analyse du symbolisme de la sculpture, et notamment de l’opposition « Artigas-debout/Ansina-
assis », s’interroge sur « la part de la relation imaginaire entre le maître et l’esclave caractéristique
des sociétés esclavagistes, qui transparaît dans cette représentation »25.
Ansina. José Belloni (1882-1965). Inauguré le 18 mai 1943. Sur la stèle de granit, on peut lire ces
mots : « Ensemble dans l’exil. Ensemble dans l’éternité. Ensemble dans leur patrie pour la gloire
d’un peuple reconnaissant ». Le monument se trouve dans l’espace public situé au croisement des
avenues 8 de Octubre et Italia, à Montevideo. Photo : Ana Frega.
23 Pereda Valdés (1941), p. 116. 24 Le monument s’élève sur l’espace public situé au croisement des avenues 8 de Octubre et Italia, à Montevideo. 25 Gortázar (2003), p. 236 à 238.
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12
Au début des années 1950, à la date de commémoration du centenaire de la mort d’Artigas, le débat
sur l’identité d’Ansina fut relancé. Selon les écrits de Daniel Hammerly Dupuy, son véritable nom
était Joaquín Lenzina, chantre et poète, autrement dit témoin et narrateur de l’« épopée d’Artigas »26.
Le « fidèle assistant » acquérait désormais des attributs que Ledesma ne possédait pas. L’aura dont
le paraient la « proximité du héros » et la gloire de l’avoir côtoyé pâlissait, et le sergent dévoué à la
cause d’Artigas retourna à son rôle au sein des troupes orientales. Entre autres signes de ces
changements, son nom fut effacé du monument dédié à Ansina et ses restes déplacés. Après un
difficile périple, l’urne fut déposée le 14 mai 2011 face au pavillon du Bicentenaire, sur le lieu
commémorant la bataille de Las Piedras (18 mai 1811), dans l’actuel département de Canelones27.
Daniel Hammerly Dupuy et son fils, Víctor Hammerly Peverini, réunirent dans leur ouvrage Artigas
en la poesía de América (Artigas dans la poésie américaine) un ensemble de poèmes composés par
Ansina – du moins essayaient-ils d’en apporter la preuve. S’appuyant sur les informations
contenues dans l’un des poèmes, « Un siglo de recuerdos » (Un siècle de souvenirs), Daniel
Hammerly ébaucha une biographie de Joaquín Lenzina28. On y apprenait entre autres que celui-ci
était né à Montevideo en 1760, fils d’esclaves africains, qu’il avait parcouru les campagnes où il
avait appris à jouer de la guitare et à composer des chansons, qu’il avait été esclave au Brésil
jusqu’au jour où Artigas l’avait affranchi, et qu’il était resté depuis à ses côtés, l’accompagnant
pendant la révolution et durant les trente années passées au Paraguay. Il serait mort en 1860. Le titre
26 Hammerly Dupuy (1951). Publié auparavant dans le journal « El País » du 29 septembre 1950. 27 http://archivo.presidencia.gub.uy/sci:noticias/2011:05:2011051407.htm, consulté le 18-11-2011. 28 Hammerly ; Hammerly (1951), Tome 1, p. 23 à 34.
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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du chapitre illustre la principale attribution du personnage : « Ansina. Fiel payador de Artigas »
(Ansina, fidèle chantre d’Artigas).
Ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas la polémique qui s’est alors déchaînée quant à
l’authenticité des vers et des informations autobiographiques qu’ils contenaient (les originaux
auraient été copiés par Daniel Hammerly en 1928 à Asunción puis perdus), mais la métamorphose
du personnage subalterne, « transfiguré » par la proximité d’Artigas en « héros noir », acteur
significatif de l’épopée artiguiste. Après le retour de la démocratie en 1985 se manifesta un intérêt
croissant pour la reconnaissance des racines autochtones et africaines de l’identité uruguayenne, et
l’intégration de ces groupes dans les populations latino-américaines. Néanmoins, le paternalisme
persistant et l’absence de travaux et de moyens de recherche capables d’offrir une réponse
satisfaisante à cette demande sociale, aboutirent à la publication de récits et d’essais d’inégale
rigueur méthodologique. Certains qui postulent la fragmentation du passé et de la mémoire
développent une sorte de nouveau « discours mythique »29. En d’autres termes, ils perpétuent un
récit de la nation arc-bouté sur l’existence de « héros fondateurs », tributaire d’une conception de
l’histoire comme facteur d’intégration sociale et d’affirmation des entités étatiques constituées, peu
soucieuse d’étudier les processus sociaux dans toute leur complexité.
Á partir des années 1990, le personnage d’Ansina prit une nouvelle dimension. En 1996, les
poèmes de Joaquín Lenzina publiés par Daniel et Víctor Hammerly en 1951 furent édités en
Uruguay. Sous le titre de Ansina me llaman y Ansina yo soy… (On m’appelle Ansina et Ansina je
suis), l’Équipe interdisciplinaire pour la sauvegarde de la mémoire d’Ansina entreprit de dépeindre
ce personnage « dont le souvenir, ancré dans nos mémoires, a traversé le temps et ne peut
aujourd’hui retomber dans l’oubli »30. Les analyses postérieures de certains membres de l’Équipe
renforcèrent la tendance à mettre en doute l’ensemble de la production historiographique, jugeant
insuffisant le recours aux méthodes de documentation et d’analyse propres à la recherche historique.
Le « fidèle chantre » de Hammerly Dupuy devint le « valeureux combattant et sage afro-oriental »,
« chef de file des mouvements révolutionnaires afro-américains »31. À l’évidence, nous sommes
loin du critère scientifique selon lequel l’historien « ne peut inventer les faits qu’il étudie », comme
l’a souligné Eric Hobsbawm, faisant allusion aux dangers d’une certaine vision de l’histoire qui ne
fait pas clairement la part de la réalité et de la fiction32. Dans une optique un peu différente, prenant
également le contre-pied de « ceux qui s’efforcent de maintenir un statu quo dicté par la tradition »
29 Teresa Porzecanski (1992), p. 49 à 61. 30 Équipe de travail interdisciplinaire pour la sauvegarde de la mémoire d’Ansina (1996), p. 12. Ont participé à ses
travaux, dans l’ordre alphabétique : Danilo Antón, Nelson Caula, Isabel Izquierdo et Armandi Miraldi. 31 Abella (1999). Sources utilisées pour cette étude : http://www.chasque.net/vecinet/abella00.htm, consulté le 20-
10-2009. 32 Hobsbawm (1998), p. 18.
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comme ces « panégyriques fantaisistes, donnant l’image fausse d’un leader noir quasiment
supérieur à Artigas lui-même », un autre membre de l’Équipe reprit l’analyse des personnages de
Joaquín Lenzina et de Manuel Antonio Ledesma en les rapprochant d’un afrodescendant qui
apparaît dans certains documents sous le nom de Montevideo ou Martínez, et qui avait également
des liens avec Artigas au Paraguay, et essaya de tisser le récit de leurs vies à partir des témoignages
et souvenirs qui continuent de se perpétuer ou de se recréer jusqu’à nos jours33.
Selon nous, la prise en compte du rôle des afrodescendants dans la construction de la nation
ne devrait pas reproduire le schéma traditionnel qui conçoit les guerres d’indépendance comme des
« entreprises nationales » et les aborde sous un angle unique excluant l’étude du processus dans sa
dimension ethnique et culturelle. La vision du passé qui, aujourd’hui encore, nie la participation des
afrodescendants dans le récit historique de la formation de la nation ne doit pas être combattue
suivant le même schéma linéaire par le simple « rajout » d’autres personnages ou groupes sociaux.
La transfiguration de José Artigas en héros national a eu pour effet de déformer ou d’occulter les
différentes contradictions entourant ce processus historique. Le « culte » s’est mué en « trahison »,
comme l’a relevé l’historien uruguayen José Pedro Barrán dans un article éloquent sur la
participation des couches populaires à l’élaboration des mesures prises par le gouvernement
révolutionnaire34. Éclairer d’un jour nouveau le mouvement d’indépendance ne pourra ni effacer les
survivances du système esclavagiste, ni condamner les voies autres que l’engagement dans les
troupes patriotiques qu’empruntèrent les populations asservies en quête de liberté. De nombreuses
proclamations de l’époque présentaient la révolution comme le « cri des peuples d’Amérique
réclamant leur liberté ». Néanmoins, l’interprétation du concept variait en fonction des intérêts et de
la position de celui qui l’évoquait, et dans le cas des révolutions latino-américaines notamment, ce
concept était particulièrement restrictif à l’égard des esclaves. Même si, à ce stade, certaines
tendances venues de la Colonie commençaient à gagner du terrain, comme le droit pour les esclaves
d’acheter leur liberté et celle de leur famille, ou de demander un « acte de vente » en cas de mauvais
traitements, la conquête de la liberté fut un processus complexe mêlant expérience individuelle et
expérience collective, d’où une grande diversité des réponses et des réactions, qui ne peut donc
admettre une lecture unique. Comme nous l’avons noté ailleurs, la rupture des institutions facilita la
fuite des esclaves, amena à recruter des afrodescendants, libres ou esclaves, et encouragea
également la promulgation de dispositions en faveur d’une abolition progressive de l’esclavage. À
ces mesures officielles s’ajoutèrent (comme des compléments ou incitations) ou s’opposèrent les
différentes tactiques de résistance mises en œuvre par la population asservie.
33 Caula (2004), p. 213 à 278. 34 José Pedro Barrán, « Artigas : del culto a la traición » (Artigas : du culte à la trahison), dans Brecha,
Montevideo, 20 juin 1986, p. 11.
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Au sein même des groupes dirigeants de la révolution, la tension entre des « droits » contradictoires
devint manifeste. D’un côté, le droit de chacun à la liberté encourageait les mesures abolitionnistes.
De l’autre, le droit de l’individu à la propriété protégeait les maîtres favorables à la cause. Et enfin,
le droit qui, dans la plupart des cas, finit par l’emporter : celui des gouvernements de recruter des
armées pour la « défense de la patrie », qui détermina l’enrôlement obligatoire des esclaves dans
des bataillons de « pardos » (mulâtres) et « morenos » (noirs) contre promesses de liberté.
Les chemins de la liberté au temps de la révolution35
La rupture révolutionnaire bouleversa complètement l’ordre social dans la région du Río de la Plata.
Mobilisés sous des consignes trop générales, invoquant le plus souvent la lutte pour la liberté, la
reconnaissance des droits coutumiers, l’aspiration à un monde « plus juste » ou le retour à une
égalité originelle, les occupants de terres sur lesquelles il n’avaient aucun droit, les journaliers et les
esclaves en fuite, pour ne citer qu’eux, virent dans la troupe commandée par José Artigas une
chance de réaliser leurs aspirations. Dans la Province orientale, les afrodescendants furent déclarés
« infortunés » et on décida qu’ils devaient être les premiers bénéficiaires des fermes et des
troupeaux confisqués aux « mauvais européens et aux américains pires encore »36.
Les exemples qui suivent illustrent les différentes voies utilisées par les esclaves pour
conquérir leur liberté. Notre objectif est d’approcher par ce biais la perception idéologique des
femmes et des hommes asservis dans le contexte révolutionnaire. Le double langage des
proclamations, le maintien des conditions de soumission et d’exploitation, et le sacrifice et
l’engagement dans l’espoir d’améliorer la condition individuelle ou collective, révélèrent des
« héros » et des « héroïnes » jusqu’alors anonymes qui nous offrent des pistes intéressantes, sans
idéalisation, concernant la participation des afrodescendants au processus de l’indépendance.
L’une des premières conséquences de l’explosion révolutionnaire fut la fuite des esclaves. En
novembre 1811, le commandant de la base navale de Montevideo informa les autorités espagnoles
que les insurgés avaient emmené « environ mille esclaves des deux sexes »37. Il est intéressant de
noter que, si les troupes promettaient la liberté aux esclaves de sexe masculin qui s’enrôlaient, un
certain nombre de femmes esclaves en profitèrent pour réclamer les avantages promis à ceux qui
s’enfuyaient de chez leurs maîtres espagnols. Après la défaite des Espagnols en juin 1814,
maîtresses et esclaves se présentèrent devant les tribunaux pour faire valoir leurs droits.
35 Ce paragraphe résume en grande partie l’article paru sous le même titre qui figure dans la bibliographie. 36 Article 6 du « Règlement provisoire de la Province orientale pour le développement des campagnes et la sécurité
des fermiers », Quartier général, 10 septembre 1815. Dans CNAA (1987), tome XXI, p. 93 à 98. 37 CNAA (1953), tome IV, p. 369 à 375. Un recensement effectué en 1810, bien qu’imparfait sur le plan de
l’enregistrement des données, indique que sur une population de 11 554 habitants, 4 210 étaient des afrodescendants (3 646 esclaves et 564 hommes libres). Archive générale de la Nation (ci-après AGN), Fonds d’archives administratives général (ci-après AGA), livre 249.
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Tel fut le cas d’Ana, esclave de doña Manuela Antonio Cuba, qui avait réussi à rejoindre les troupes
des assiégeants où elle avait épousé un « moreno » du bataillon des Affranchis38. En juillet 1814,
lorsque Montevideo se rendit à l’armée du directoire des Provinces Unies, doña Manuela demanda
que son esclave lui soit rendue, alléguant qu’« elle ne pensait qu’à s’enfuir ». Les autorités
révolutionnaires, exerçant leur droit de capture d’un « bien appartenant à l’ennemi » en « période
d’hostilités », décidèrent d’affranchir l’intéressée. Autre exemple, le cas de María del Pilar, esclave
de doña Rosa Fernández, à qui le directoire avait accordé la « liberté civile » en 1814, mais qui, en
1815, après la victoire des troupes artiguistes et un changement de gouvernement, dut affronter une
nouvelle fois son ancienne maîtresse qui faisait valoir qu’elle ne s’était pas enfuie en temps de
guerre39. La sentence fut prononcée en faveur de la maîtresse et María del Pilar dut à nouveau saisir
la justice en présentant un billet signé de José Artigas, citoyen et chef des Orientales, daté du mois
de décembre 1813, en pleine guerre. Grâce à ce document, le maire de Montevideo ordonna
d’inscrire le titre à la liberté de María del Pilar dans les registres. Dans les deux cas, les maîtresses
accusèrent leurs esclaves de tenter de fuir à la moindre occasion et invoquèrent clairement
l’« ordre » et leur droit à la propriété. Elles tentèrent en outre de faire jouer en leur faveur la
coexistence et les chassés-croisés de plusieurs gouvernements dans la bande orientale. Les décisions
de justice, quant à elles, ne remettaient pas en cause l’institution de l’esclavage, mais s’appuyaient
sur les normes du droit naturel et du droit des gens, qui régissait les guerres entre les nations.
38 AGN, fonds du Greffe du gouvernement et des finances (ci-après EGH), casier 108, dossier 25. 39 AGN, EGH, casier 111, dossier 50.
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Scène de l’« Exode du peuple oriental ». Guillermo Rodríguez (1889-1959). Tableau réalisé vers
1923. Musée national d’histoire, Montevideo. Le tableau fait référence à l’émigration de plus de
4 400 personnes accompagnant la fuite de l’armée orientale pour échapper à la domination
espagnole à la fin de l’année 1811. Le recensement des familles effectué avant la traversée du
fleuve Uruguay avait comptabilisé près d’un demi-millier d’esclaves, hommes et femmes.
Dans la région du Río de la Plata, la tendance à une abolition progressive de l’esclavage se traduisit
par un décret du mois d’avril 1812 interdisant le trafic d’esclaves et par la résolution prise par la
jeune Assemblée générale constituante qui disposait qu’à compter du 31 janvier 1813, nul ne
naîtrait plus esclave dans les Provinces unies40. Alors que dans l’ancienne capitale coloniale, les
enfants d’esclaves étaient déclarés libres, dans la Province orientale, il fallait recourir aux tribunaux
pour obtenir l’application de cette disposition. Un propriétaire appela même à la rupture des
relations entre les Provinces unies et la Ligue fédérale pour pouvoir soutenir que cette loi n’était pas
d’application dans la bande orientale. En cette affaire, le document présenté par la requérante disait
40 Frega, Borucki, Chagas, Stalla (2004), p. 117-118.
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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ceci : « Don José Artigas, qui a eu la charge de cette province, n’a jamais désapprouvé cette
mesure, et l’a au contraire fait appliquer »41.
Le cas de Gregoria Fruanes, « mulâtre et native de Montevideo » qui se présenta devant les
autorités artiguistes en 1815 pour défendre les droits de son fils, est un exemple intéressant du
décalage existant entre la liberté proclamée et les pratiques esclavagistes42. Elle accusait son maître,
Don Juan Méndez Caldeira, d’avoir inclus dans son prix de vente la valeur de son fils de deux ans,
né libre durant le siège de la ville, « au temps béni d’un système libéral et de la liberté, écho de la
clameur de l’Amérique tout entière et de la nature elle-même ». L’argumentation de Gregoria
s’appuyait sur le caractère contradictoire des paroles et des actes de Méndez Caldeyra. Elle
dénonçait l’ingratitude de son maître après « sept années de services, passées à nourrir et élever ses
enfants […] et à s’acquitter d’autres corvées (qu’il est préférable de passer sous silence) imposées
par les circonstances et ma misérable condition d’esclave ». Elle déclarait également que son
maître « ne pens[ait] qu’à son intérêt et contredi[sai]t par ses actes le patriotisme et l’honnêteté
dont il se vant[ait] ». Et au cas où cette leçon de politique et d’humanité n’aurait pas suffi, elle
ajoutait que le paiement de la taxe ne s’appliquait pas aux opérations d’achat-vente antérieures, ce
qui, conformément à une mesure du régime colonial, lui donnait droit à la liberté. Juan Méndez
Caldeyra avait occupé diverses fonctions dans l’aile modérée de la révolution : intendant des
troupes, régisseur pendant l’administration de la ville par le Gouvernement de Buenos Aires, puis
chargé de recueillir des dons pour les uniformes du régiment des Dragons de la liberté, et enfin
capitaine de la Compagnie civique des chasseurs en 1815. Il possédait également un grand nombre
d’esclaves, et ce n’était pas la première fois qu’il avait à répondre de plaintes déposées contre lui.
L’affaire révélait le véritable cœur du débat : les limites du « Système libéral et pour la liberté »
proclamé par la révolution. Il semble évident que pour Méndez Caldeyra, comme pour de nombreux
partisans de l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne, la révolution avait atteint son but final en
remplaçant les autorités par d’autres, mais ils n’admettaient pas que d’autres mesures pussent
remettre en question la position sociale qu’ils occupaient, ni leur droit à la propriété.
En novembre 1820, alors que la Province orientale était passée sous le contrôle des forces
luso-brésiliennes, Don Vicente Ramos, habitant de San Salvador où il exerçait les fonctions de juge,
se présenta devant les autorités de la Colonie pour réclamer la propriété d’une « petite enfant
noire », fille de son ancienne servante Cristina. Il alléguait que « dans cette région, aucun ordre de
liberté n’[avait] été donné concernant les nouveau-nés noirs ». Le document présenté par l’esclave
41 AGN, archives judiciaires, casier 18, Maldonado et sa juridiction, dossier n° 29 « Réclamation de Don Vicente
Ramos au sujet de la fille d’une esclave noire lui ayant appartenue ». 42 AGN, EGH, casier 112, dossier 55, p. 1-2. La note est signée « à la requête de la plaignante » par José Ma
Storache. Le jugement favorable au maître met fin à la procédure.
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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Cristina soutenait au contraire que « Don José Artigas, qui a gouverné cette province, n’[avait]
jamais désapprouvé cette mesure » et qu’il avait informé « tous les curés de la région de la marche
à suivre concernant les affranchis dans leur paroisse ». Il faisait en outre état de l’existence
d’antécédents favorables dans la jurisprudence, ce qui confirme une fois de plus qu’il fallait saisir
les tribunaux pour faire appliquer cette disposition.
La lecture des archives judiciaires montre la persistance des idées esclavagistes dans la société
de l’époque. Qu’il s’agisse de demandes de restitution d’esclaves, ou des mécanismes mis en œuvre
pour échapper aux recrutements, les esclaves étaient toujours considérés comme des « choses ».
« Les maîtres ont un droit de propriété sur leurs esclaves, comme sur l’ensemble de leurs
possessions », affirmait en juin 1820 un habitant de Maldonado faisant appel d’une décision qui
ordonnait la remise d’un acte de vente à une esclave se plaignant de mauvais traitements. « Tout
maître a le droit d’infliger une correction aux serviteurs qui s’enfuient sans pour autant qu’on le
dépouille de son domaine »43.
Le gouvernement d’Artigas avait également recours au recrutement d’esclaves pour renforcer
les troupes, c’est pourquoi l’enrôlement de noirs ou de mulâtres esclaves ou affranchis fut l’une des
premières mesures prises en 1815. On les destinait à grossir le corps d’artillerie où, en plus des
fonctions militaires proprement dites, ils étaient chargés de transporter les armes, de creuser les
tranchées, de construire les hangars et d’accomplir d’autres tâches pénibles. Calculant le montant de
la solde que devait recevoir la garnison de Montevideo, le gouverneur décida que les soldats des
régiments de mulâtres et de noirs ne recevraient que trois pesos par mois au lieu des six pesos que
percevaient les hommes des autres régiments44.
L’intégration d’afrodescendants dans l’armée lésait des intérêts particuliers et, quand il ne
s’agissait pas d’« ennemis du système », les propriétaires négociaient, souvent avec succès, la
restitution de leurs esclaves ou le paiement du prix demandé. Le gouverneur de Montevideo
ordonna en avril 1816 l’arrestation d’un grand nombre d’esclaves qui s’étaient enfuis dans les
campagnes à la faveur de la confusion créée par la révolution, et annonça que quiconque les
recueillerait serait condamné à indemniser leurs maîtres de « l’intégralité du temps passé à se
cacher chez eux »45. Le fait que plusieurs maires et commandants aient rétorqué que nul ne se
trouvait dans cette situation dans leur région, ou n’aient livré tout au plus qu’un ou deux esclaves
recherchés, pourrait s’interpréter comme une reconnaissance du droit à la liberté des fuyards ou
comme le signe d’un besoin de main-d’œuvre dans la région.
43 AGN,AGA, livre 291, p. 76 à 86. 44 CNAA, (1991), tome XXIV, p. 272-273. En 1816, après une baisse générale des soldes, les hommes des troupes
de vétérans reçurent trois pesos, et les mulâtres et les noirs deux pesos et demi, ce qui équivalait à la solde du régiment civil de cavalerie. (Ibid. p. 417-418).
45 CNAA (1993), tome XXVII, p. 88, 139, 169, 198 et 290.
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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En 1816, l’invasion portugaise obligea le gouvernement artiguiste à se montrer moins circonspect
envers les « propriétaires ». Le représentant d’Artigas à Montevideo, Miguel Barreyro, ordonna la
formation d’un nouveau bataillon de « morenos ». Afin de parer à d’éventuelles plaintes, il
déclara : « Les noirs serviront dans la milice, les maîtres seront ainsi assurés qu’ils se trouvent en
lieu sûr et qu’ils leur sont retirés afin de les discipliner, de les entraîner et de les tenir prêts à partir
au premier ordre donné »46. En l’espace d’une semaine, 390 esclaves avaient été recrutés, et, les
neuf compagnies s’ajoutant aux bataillons de noirs et de mulâtres libres déjà existants, la liste de
revue du mois de janvier 1817 (juste avant l’abandon de Montevideo par les troupes orientales)
recensait 555 soldats, 72 lieutenants, 14 tambours et flûtes et 39 sergents47. Bien que l’incorporation
au bataillon en tant que miliciens n’impliquât pas clairement la possibilité d’être affranchis, c’est
ainsi que l’entendirent les propriétaires à qui on avait retiré leurs esclaves « sans même le notifier »
et qui jugèrent la mesure « despotique »48.
Aux yeux des esclaves, l’intégration dans les troupes patriotiques pouvait être une étape
transitoire. De la même manière qu’ils avaient fui la maison de leurs maîtres, ils pouvaient déserter
leurs régiments et gagner ainsi plus vite leur liberté. L’expérience de l’époque coloniale où un
espace rural ouvert et multiethnique alimentait les idées de « marronnage » n’était pas loin, de
même que la tentation d’établir une société dans des lieux inaccessibles, comme cela aurait pu se
produire lors de la tentative de fuite massive de 1803. Tel est le cas notamment du noir Antonio
Rodríguez, qui se présenta devant le gouverneur de Montevideo en avril 1816 pour demander sa
liberté – il était en effet emprisonné dans la citadelle – afin de s’engager « dans la milice de
l’artillerie » où, « en tant que noir libre […], je ferai mon possible pour me rendre utile à la
Patrie » 49 . Selon sa déposition, il avait servi dans le 10e régiment après que les troupes du
Directoire eurent pris possession de Montevideo50. Il avouait sans gêne aucune qu’il avait déserté
un peu plus tard
– rappelons que les troupes orientales commandées par José Artigas étaient en guerre contre l’armée
du Directoire des Provinces unies – et qu’il avait alors gagné sa vie en travaillant dans les champs.
Son ancien maître, il l’avait envoyé en prison lorsque celui-ci avait refusé de continuer à lui
concéder « l’intégralité ou une partie du travail effectué ». Dans son argumentation, il soulignait :
« Excellence, je suis libre depuis ma naissance, et ce monsieur a cessé d’être mon maître lorsqu’il
m’a remis aux mains de l’armée. Pourquoi, donc, contre toute justice, veut-il à nouveau me réduire
46 CNAA (1998), tome XXXI, p. 199-200. 47 AGN, AGA, livre 894, feuillets 13 à 24, 53 et 61 à 64. 48 Ardao (1954), p. 83. 49 AGN, EGH, casier 113, dossier 35. 50 Le 10e régiment d’infanterie était composé d’environ 75 % de noirs, 8 % de mulâtres et 17 % de blancs.
Andrews (1990), p. 144.
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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en esclavage alors que la Patrie m’a affranchi et a reconnu mes droits ? Si ce monsieur était
américain, ou s’il avait prodigué ses faveurs au gouvernement en soutenant le système, je ne ferais
aucune objection et me soumettrais à ses ordres ; mais, Votre Excellence, il est européen et ennemi
du pays où il vit. »
Cette requête met en évidence l’appropriation du message révolutionnaire – la restauration
des droits et la lutte pour la liberté – et les désaccords entre « Européens » (Espagnols) et
Américains.
Au début de l’année 1817, les Portugais, commandés par Carlos Federico Lecor, baron de la
Laguna, prirent possession de Montevideo. Ils bénéficiaient de l’appui d’une partie de l’élite
hispano-créole de la bande orientale et du directoire des Provinces unies du Río de la Plata. Pour
ceux qui étaient hostiles à un retour de la domination espagnole, mais qui ne souhaitaient pas non
plus la « révolution sociale » que laissait présager l’artiguisme, les Provinces unies, tout comme le
Portugal, pouvaient représenter une solution de secours. L’insubordination du régiment des
affranchis fut une aubaine pour les Portugais : sur les 700 hommes composant les régiments de
noirs et de mulâtres plus de 400 arrivèrent à Montevideo, sous la protection d’un édit proclamé le
9 juin 1817, qui offrait des facilités à tous les chefs, officiers et individus qui déposeraient les armes.
Les esclaves armés qui rallieraient l’armée portugaise ou toute position occupée par l’un de ses
détachements, quant à eux « gagneraient leur liberté sur le champ » sans exception51. D’après les
informations transmises par Lecor à son gouvernement fin septembre, les conditions de transfert des
troupes à Buenos Aires furent négociées avec les officiers. Le chef portugais était de plus
pratiquement certain que le directoire ne pourrait pas non plus profiter de l’intégralité de cette force,
car il était clair « que la majorité des noirs ne voulaient pas embarquer »52.
Le récit du colonel espagnol Juan Jacinto de Vargas à l’ambassadeur en poste à Río de Janeiro
nous fournit quelques pistes sur le comportement individuel et collectif des noirs en cette occasion.
En vertu de l’accord conclu le 29 septembre 1817, les soldats qui passaient les lignes portugaises
étaient logés à l’extérieur des murs de Montevideo puis montaient dans des embarcations afin de
gagner les navires que les emmèneraient à Buenos Aires. Selon Vargas :
« Au nom de tous, ou de la plupart, ils avaient envoyé [à Lecor] une délégation déclarant [que] ce
n’était pas volontairement qu’ils partaient à Buenos Aires mais forcés par leurs officiers et qu’ils
voulaient rester à Montevideo. À la suite de quoi, et après que plusieurs se furent jetés à l’eau, ils
avaient été débarqués deux ou trois jours plus tard et cantonnés, sans armes, dans la ville. »53
51 Blanco Acevedo (1950), p. 205. 52 CNAA (2000), tome XXXII, p. 242 à 244. 53 Archives historiques nationales de Madrid (AHN-M), État, dossier 3791, casier 1.
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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Bauza protesta en vain contre l’« évidente incitation » poussant les troupes des affranchis à la
désertion et le soutien dont ils bénéficiaient de la part des matelots de la flotte portugaise. La
réponse de Lecor, dont l’objectif était bien de conserver ce potentiel de guerre humain, évoquait le
droit des soldats à décider de leur sort. Il défendait le droit d’asile de toutes les catégories
d’individus – « si les affranchis rallient le pavillon portugais, je ne peux leur refuser ma protection,
ni ne suis obligé d’employer la force pour les envoyer à Buenos Aires » – et mettait en avant le désir
de liberté des esclaves :
« Chacun connaît et peut confirmer la volonté tenace des affranchis de jouir de leur liberté,
[…].Votre Excellence se trompe en supposant que la conduite des noirs est le résultat d’une
incitation alors que l’espoir de liberté est une motivation assez puissante […] sans que l’influence
des dérisoires promesses des matelots ne soit nécessaire. »54
De la même façon que les Portugais essayaient de gagner à leur faveur les soldats
afrodescendants qui servaient dans les régiments des troupes orientales, l’artiguisme fit appel à ceux
qui avaient déserté des bataillons des Provinces unies. Au début de 1817, le chef des troupes
orientales s’adressa au Gouverneur de Santa Fe, Mariano Vera pour ordonner que « tous les
affranchis » des troupes de Buenos Aires « qui se trouvaient dans cette ville » gagnent le quartier
général car ils alimentaient « ce régiment et celui de Blandengues »55.
Un bataillon de 200 soldats noirs poursuivit la lutte contre les Portugais sous les ordres du
colonel José María Gorgonio Aguiar. Cet officier, d’origine aristocratique, faisait partie du noyau
qui lança et défendit cette étape radicale de la révolution. Après les défaites subies sur les rives du
fleuve Uruguay en 1818, Aguiar fut envoyé avec ses troupes dans la région de Maldonado. Sa
mission consistait à « contenir l’attitude arbitraire des habitants » qui collaboraient avec les
Portugais56. En décembre 1819, il se dirigea avec le Bataillon des noirs vers la frontière portugaise ;
en 1820, ces troupes rallièrent les dernières forces artiguistes qui se battaient contre Francisco
Ramírez avant de gagner finalement le Paraguay en septembre 1820. D’après les témoignages
recueillis par Héctor Francisco Découd, quelques soldats se seraient installés à Laurelty, une
localité située à quelques lieues d’Asunción où on leur aurait fourni des outils pour travailler la
terre57. Selon des documents qui font état de la situation de Manuel Antonio Ledesma, ils auraient
été transférés en différents endroits, dont Guarambaré, donnant ainsi naissance aux Artigas-Cué
(peuple d’Artigas) 58 . Il est intéressant de remarquer que, récemment encore, on considérait
54 AGN, fonds d’archives et musée d’histoire, classeur 12. 55 CNAA (2003), tome XXXIV, p. 25. 56 CNAA (2006), tome XXXVI, p. 59-60. 57 Découd (1930), p. 13-14. 58 Caula (2004).
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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pratiquement ces descendants comme les « uniques » noirs du Paraguay, en oubliant l’important
contingent d’esclaves qui étaient utilisés dans les exploitations agricoles des jésuites59.
À la fin des années 1820, le naturaliste français Auguste de Saint-Hilaire parcourut une partie
du territoire oriental après la défaite du mouvement artiguiste. Entre autres témoignages recueillis
dans son journal, il signalait que les soldats qui avaient fait preuve de plus de courage en toutes
occasions étaient des esclaves « car ils se battaient pour leur propre liberté ». D’autres, au contraire,
évoquaient la « subversion » de l’ordre social qu’avait provoqué leur intégration dans l’armée. Le
propriétaire d’un domaine de la région se plaignait en ces termes : « il n’était pas rare qu’un noir,
un mulâtre ou un indien s’autoproclame officier et parte avec sa bande piller les exploitations » et
malgré tout, « il fallait se déclarer satisfait »60.
L’intégration des esclaves dans les troupes, où ils apprenaient à organiser des actions
collectives et où ils occupaient une position de force, avait renforcé chez les maîtres la conviction
qu’il fallait mettre en place des moyens de contrôle. Les afrodescendants sans maître ni patron
étaient considérés comme dangereux et devaient être poursuivis. Témoin la plainte déposée contre
le noir « nommé Juan Antonio », qui « avait servi la Patrie sous les ordres d’Aguiar [Gorgonio] »
et avait déclaré avoir été « esclave d’un officier des troupes portugaises et être resté lorsque celles-
ci étaient entrées pour la première fois dans cette région ». En février 1821, il fut remis au
gouverneur de Maldonodo par le maire de San Carlos, qui l’informa qu’il avait été emprisonné
pendant neuf jours pour avoir insulté « en pleine nuit et en état d’ébriété un habitant de la ville ». Il
ajoutait dans son rapport qu’il fallait prendre d’autres mesures « car ce noir errant dans les
campagnes ne sera d’aucune utilité à la population »61. Même lorsque l’on admettait que les noirs
et les mulâtres puissent être affranchis après avoir servi dans l’armée, on considérait qu’ils devaient
être « disciplinés » comme les indiens, les gauchos et les « vagabonds ». La crainte d’un
« désordre » social s’ajoutait au préjugé ethnique.
La requête du noir Antonio Rodríguez était bien loin d’être satisfaite. La « patrie » ne lui avait
pas véritablement rendu la liberté. L’unique défense complète des intérêts des afrodescendants ne
viendrait que de leurs propres stratégies. La mobilisation militaire leur avait ouvert des chemins
vers la liberté, mais les promesses faites au moment de leur engagement n’en n’étaient pas les
uniques garants. L’armée leur apportait l’expérience de l’organisation, créait des liens de solidarité
et offrait des possibilités de négociation qui n’existaient pas auparavant. L’étude de ces processus
59 Rapport d’Ignacio Telesca pour le projet « Lieux de mémoire de l’esclavage en Argentine, au Paraguay et en
Uruguay », inédit. 60 Saint-Hilaire (2005), p. 79. 61 AGN, AGA, liv. 291, f.313.
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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particuliers est nécessaire pour comprendre la complexité du rôle des couches populaires dans la
révolution et dans la création de l’État oriental.
Que commémorer ?
Le 12 décembre 1942, à la demande du Comité national du centenaire de l’abolition de l’esclavage,
des commémorations de ces événements ainsi qu’un hommage aux figures marquantes de la
communauté noire furent organisés. À l’époque cependant, le mouvement de revendication
trahissait des divergences notables. Les articles publiés dans la revue Ansina reflétaient cette
diversité. Aguedo Suárez Peña soulignait que la démocratie uruguayenne encourageait « la
solidarité entre toutes ses composantes, sans accorder d’importance aux différences raciales ». À
l’inverse, Omar Olivera dénonçait les « formules démocratiques trop souvent galvaudées par le
caciquisme politicien », et réclamait un « nouvel ordre social fondé sur le droit légitime de tous,
sans distinction de castes ni de races »62. Comme l’a souligné l’historien nord-américain George
Reid Andrews, certains centres et associations communautaires créés par les afrodescendants
– notamment l’Association culturelle et sociale Uruguay (ACSU), fondée en 1941 – se sont fait
l’écho de « la strate la plus ambitieuse d’une communauté en pleine ascension qui luttait pour
obtenir les mêmes droits et les mêmes avantages que la classe moyenne blanche »63. Le choix de la
date a donné lieu à une controverse politico-militante. Lors de la Grande Guerre, un conflit à la fois
régional et international qui se déroula entre 1838 et 1852, le gouvernement favorable au parti
Colorado approuva la loi de 1842. La légitimité de ce gouvernement n’était pas reconnue par le
parti Blanco qui, pendant la guerre, fit le siège de Montevideo au début des années 1843, et instaura
un gouvernement parallèle qui édicta une loi abolissant l’esclavage le 28 octobre 184664.
Pendant les années 1960 furent célébrés les 150 ans de la révolution orientale et les 200 ans de
la naissance de José Artigas. Ces commémorations furent pour de nombreuses associations
d’afrodescendants l’occasion de rappeler aux autorités la nécessité de consacrer un jour à la
mémoire de la « race noire ». En 1964, année du bicentenaire de la naissance d’Artigas, le Centre
culturel Rosa Negra proposa de célébrer le 12 décembre (référence à l’abolition de l’esclavage
approuvée en 1842) la « Journée de la loyauté » pour rendre hommage à Ansina, mais la proposition
ne fut pas retenue65. Cette initiative mêlait une vague référence à l’existence de l’esclavage en
Uruguay – en choisissant une des dates de son abolition – à l’appropriation du « héros noir », en
insistant sur sa constante présence auprès du « Père de la Patrie ».
62 Cf. Ansina, Año II, n° 2, Montevideo, 18-5-1940 (non paginé). 63 Andrews (2011), p. 147-148. 64 Concernant les caractéristiques et l’application de chacune de ces deux lois, voir Borucki ; Chagas ; Stalla
(2004). 65 Le fait a été mentionné comme précédent en 1975. Voir Uruguay, Conseil d’État, Actas del Consejo de Estado,
séance du mardi 8 juin 1982, Journal officiel n°21.291, p. 201 à 203.
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En 1975, proclamée « Année orientale » (150e anniversaire des événements de 1825) par la
dictature militaire, une nouvelle initiative reconnaissant la participation de la communauté noire au
processus d’indépendance de l’Uruguay fut proposée. Le Comité national pour l’hommage aux
héros de la race noire dont le siège se situe dans les locaux de l’Association culturelle et sociale
Uruguay (ACSU) proposa de retenir la date du 7 septembre – c’est en effet ce jour-là, en 1825, que
la Chambre des représentants avait décidé que nul ne naîtrait plus esclave dans la Province orientale
– « pour se souvenir des différentes composantes de notre race qui ont participé activement à
l’épopée indépendantiste ». En réponse à cette demande, la Commission du 150e anniversaire des
événements de 1825 reprit la proposition antérieure de choisir le 12 décembre comme « Journée de
la loyauté »66. Si les avis différaient concernant l’objet de la commémoration, l’idée de mettre la
loyauté à l’honneur faisait l’unanimité. L’hommage à Ansina se fondait sur sa fidélité à Artigas et
s’étendait à l’ensemble de l’armée des patriotes. À aucun moment on n’envisagea la possibilité que
ces bataillons de noirs et de mulâtres aient pu lutter pour leurs propres intérêts, loin peut-être des
préoccupations d’indépendance politique, et davantage motivés par la résistance à l’esclavage et la
quête de la liberté.
En mars 1982, un nouveau projet fut soumis au Conseil d’État, tendant à faire de la « Journée
de la loyauté » du 12 décembre une commémoration de caractère civil et un hommage à Ansina.
Dans son argumentation, Fernando Assunçao, membre du Conseil, notait que la date à laquelle
l’esclavage avait été aboli était « la mieux à même d’exprimer ces sentiments et de rendre hommage
à Ansina, fidèle serviteur noir du général Artigas et, à travers lui, à l’ensemble des hommes de
couleur qui [avaient] servi la Patrie tout au long de l’épopée indépendantiste »67. Au cours du
débat, toutefois, la signification donnée à la commémoration changea, et toute référence à
l’esclavage, à la « race noire » ou à l’existence d’une discrimination raciale en Uruguay disparut. Le
14 juin 1982 fut promulgué le décret-loi n°15.290 qui déclarait le « 5 septembre Journée de la
loyauté artiguiste, commémoration civile en hommage à Ansina, fidèle serviteur du général Artigas
depuis ses jeunes années jusqu’à sa mort »68. Marcial Bugallo, porte-parole du Conseil d’État,
expliqua que peu importait qu’il s’agisse de Ledesma ou de Lencina, l’hommage s’adressait à
« l’être loyal et fidèle serviteur de notre grand homme », et à travers lui, à tous les hommes « à la
peau sombre et au cœur clair » qui avaient lutté pour les idéaux de la Patrie. Wilson Craviotto,
autre membre du Conseil, déclara que la date du 5 septembre (1820), jour où Artigas était entré au
Paraguay, avait été choisie car ce que l’on commémorait était la loyauté artiguiste et non pas la
66 Intervention d’Antonio Gabito Barrios, membre du Conseil d’État. 67 Uruguay, Conseil d’État, Actas del Consejo de Estado, Journal officiel n° 21.220, séance du mardi 30 mars
1982, p. 67. 68 Version électronique. http://www.parlamento.gub.uy/leyes/AccesoTextoLey.asp?Ley=15290&Anchor=,
consulté le 18-10-2009.
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loyauté en elle-même, « car justement, au nom de l’égalité raciale réclamée de longue date,
proclamée et effective dans notre pays, il ne s’agissait pas de rendre hommage à une race en
particulier ». Jorge Amondarain, également membre du Conseil, alla plus loin et soutint que « la
race noire » ne faisait l’objet d’aucune « différence de droits ou de traitement social par rapport
aux citoyens blancs », mais que, au contraire, en Uruguay « nous montrons avec une fierté légitime
les citoyens noirs intégrés à tous les niveaux de notre société sans la moindre trace d’éventuelles
différences »69 . Sans vouloir polémiquer sur les propos des membres du Conseil d’État de la
dictature militaire, il convient de rappeler qu’en vertu d’un décret du pouvoir exécutif de 1978 qui
autorisait la municipalité à désigner les « habitations vétustes » et à en expulser les occupants manu
militari, les premières expulsions pour démolition eurent lieu dans des lieux emblématiques de la
communauté d’afrodescendants et de la société uruguayenne tout entière, comme par exemple le
conventillo (petit immeuble) « Medio mundo », dans le quartier sud, ou la cité de « Reus al sur »
dans le quartier Palermo70.
Le retour de la démocratie en 1985 donna un nouvel élan au mouvement des afrodescendants
en Uruguay. De nouvelles associations virent le jour, en particulier « Organizaciones Mundo Afro »
qui commença ses activités en 1988, réclamant la reconnaissance de la contribution des
afrodescendants à la formation sociale et culturelle de l’Uruguay, ainsi que l’adoption de mesures
décisives, de nature à contribuer efficacement à améliorer les conditions de vie de cette
communauté dans le pays.
Deux décennies passèrent avant qu’une date de célébration du patrimoine culturel afro-
uruguayen et d’appel à la lutte contre la discrimination ne soit approuvée. L’initiative en revient à
Edgardo Ortuño, alors député du parti « Frente Amplio », qui proposa de choisir comme événement
à commémorer une action de résistance de la communauté d’ascendance africaine pendant la
dictature militaire : le dernier appel des tambours du candombe du conventillo Medio Mundo le
3 décembre 1978. Il s’en expliquait ainsi : « Ce qui s’est produit ce jour-là est un acte spontané, un
dernier salut à l’un des berceaux de l’esprit du candombe, un engagement pris envers ce
patrimoine, et une manifestation de rejet et de résistance face à l’injustice lourde de racisme de
ceux qui prétendaient que « les noirs » et leurs tambours donnaient de la ville une image
misérable »71. La commémoration changeait ainsi de perspective. Au lieu d’une action exercée
« d’en haut » par des mesures législatives qui ne faisaient que partiellement avancer la lutte pour la
liberté, l’événement que l’on choisit de « se remémorer ensemble » fut une initiative venue « d’en
69 Uruguay, Conseil d’État, Actas del Consejo de Estado, Journal officiel n° 21.291, séance du mardi 8 juin 1982,
p. 197 à 199. Le projet fut approuvé à l’unanimité lors de cette séance. 70 Alfaro (2008), p. 79. 71 Uruguay. Diario de la Cámara de Representantes, n° 3369, 47e sesión, 10 octubre 2006, p. 8.
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bas », dont les acteurs étaient les membres de la communauté noire revendiquant leurs racines
culturelles et leurs droits.
Dans le cadre de la deuxième phase du projet « La route de l’esclave », un travail portant sur
les « Sites de mémoire de l’esclavage en Argentine, au Paraguay et en Uruguay » est en cours, sous
l’égide du Secteur de la culture du Bureau de l’UNESCO de Montevideo. Ses principaux objectifs
sont : (a) approfondir les connaissances relatives aux caractéristiques de la traite et de l’esclavage
dans la région ; (b) mener des recherches sur les cultures, les langues, la musique, les costumes et
les rites des populations réduites en esclavage, en vue de renouer les liens avec les origines ;
(c) rendre plus visibles leurs formes de résistance et leurs efforts de préservation de leurs valeurs
culturelles ; (d) mettre en valeur la contribution de la diaspora africaine à la construction de
l’histoire et des traditions nationales ; (e) mettre en évidence les conséquences de l’esclavage à
notre époque et (f) encourager des structures sociales plus respectueuses de la diversité, plus
équitables et plus démocratiques. Les orientations définies à court et à moyen terme combinent les
activités de recherche, d’enseignement et de diffusion des connaissances, et se concentrent sur la
définition des « sites de mémoire », conçus comme des lieux où rompre le silence et rendre tangible
la problématique de l’esclavage72.
Le « Caserío de los negros » ou « Caserío de Filipinas », situé sur le littoral de Montevideo,
sur la rive gauche du fleuve Miguelete, est l’un des « sites de mémoire » proposé par l’Uruguay.
Depuis la fin du XVIIIe siècle et au plus fort de la traite, cet espace physique était le lieu où étaient
débarqués et parqués les esclaves, avant d’être amenés dans la région du Río de la Plata par la Real
Compañía de Filipinas (1787-1789), puis remis à des trafiquants privés, et ce jusqu’à la fin de la
traite à grande échelle, en 1812, lors de la révolution pour l’indépendance. Montevideo fut le plus
important port négrier de cette partie des Amériques. Il recevait les esclaves provenant des six têtes
de pont africaines qui alimentaient le trafic transatlantique (Afrique du Sud-Est, Afrique centre-
occidentale, golfe du Biafra, golfe du Bénin, Côte d’Or et Guinée occidentale), ainsi que du Brésil,
pour les acheminer ensuite vers Buenos Aires, le Chili, le Haut-Pérou et Lima73. Pendant la période
révolutionnaire, les bâtiments servirent à loger les troupes ou les prisonniers ; on lança même l’idée
d’y installer un lazaret. Avec le temps, les installations furent démantelées, le terrain fut découpé en
parcelles et passa aux mains de particuliers. Le lieu conserva néanmoins son nom pendant plusieurs
décennies.
72 Voir document de travail du projet « La route de l’esclave » (Uruguay). Synthèse des réunions du groupe de
travail. Commission nationale uruguayenne pour l’UNESCO, 2009, texte ronéotypé. 73 Borucki ; Chagas ; Stalla (2010).
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Soixante-dix années se sont écoulées depuis qu’Ildefonso Pereda Valdés, l’un des pionniers
de la recherche sur les racines africaines de la culture uruguayenne, suscita une prise de conscience
en tentant de localiser ce lieu 74 . Il est indispensable d’avancer dans la recherche historico-
archéologique pour connaître l’emplacement exact des installations du « Caserío de los negros », le
rôle de Montevideo dans la traite négrière de la région du Río de la Plata, les connexions avec le
Brésil et Buenos Aires et d’autres régions qui constituent les États actuels de l’Argentine, de la
Bolivie et du Pérou, ainsi que les différentes activités développées à partir et à destination du
« Caserío », en relation notamment avec le lieu de débarquement, d’accueil, de surveillance, de
sépulture ou de ravitaillement.
Des progrès ont été faits au cours de ces dernières années, mais ils restent insuffisants. L’un
des lieux – le site de l’entreprise ANCAP (Administration nationale des combustibles, alcool et
Portland) – a été classé monument historique national. Sur un autre lieu, situé sur l’emplacement de
l’école n° 47 rue Capurro et du parc du même nom, a été lancée une expérience pilote associant
l’école publique et l’université de la République à un projet de recherche, qui contribue ainsi « à la
reconnaissance de l’impact de la diversité culturelle et des minorités sur le développement
historique de la société uruguayenne »75. En outre, le 15 mai 2006, devant la mobilisation de
nombreuses associations d’afrodescendants et d’habitants locaux, l’Intendance de Montevideo
désigna sous le nom de « Caserío de los Negros » un espace public situé à proximité des deux sites
supposés, qui fut inauguré le 2 décembre de la même année, la veille de la première célébration de
la Journée nationale du Candombe, de la culture afro-uruguayenne et de l’égalité entre les races.
Le chemin est encore long. Nous nous trouvons face à ce que l’historien français Jacques
Revel a appelé « un devoir d’histoire »76. La mémoire passe souvent par l’évocation d’objets plutôt
que de récits. Il ne s’agit pas d’un lieu où arriver mais d’où partir, pour un périple qui tende à
donner un sens à ces objets et à en dévoiler la signification. Une des tâches de l’historien consiste
précisément à explorer ces récits, à inviter à la réflexion sur un lieu et une époque, sur une mémoire
qui demande à être parcourue.
74 Pereda Valdés (1941), p. 33. Il situe le « Caserío de los Negros » sur la rue República Francesa et l’avenue
Sudamérica, dans le quartier Capurro à Montevideo. 75 ANEP. Conseil de l’enseignement préprimaire et primaire. Bulletin n° 145 du 18 août 2009. 76 Revel (2005).
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