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La Météorologie - n° 54 - août 2006 33 Climatologie Évolution des valeurs extrêmes de température et de précipitations au cours du XX e siècle en France Jean-Marc Moisselin et Brigitte Dubuisson Météo-France Direction de la Climatologie - 42, avenue Gaspard-Coriolis - 31057 Toulouse Cedex [email protected] Résumé Les séries climatiques quotidiennes de référence permettent de caractériser l’évolution des valeurs extrêmes en France. Tous les indices de tempéra- ture sur la période 1951-2000 tradui- sent un réchauffement marqué et des traces d’augmentation de variabilité sont repérées pour les températures maximales. Les tendances des préci- pitations sont moins systématiques, mais on relève l’augmentation des sécheresses estivales et l’allongement des périodes pluvieuses. Abstract Evolution of extremes of temperature and precipitations during the 20th century in France The use of daily reference series helps estimate trends of extremes over France. Analyzing the climate indices emphasizes the systematic increase of all temperature-related indices for the period 1951-2000. A positive trend in variability is found for maximum temperature. Less systematic trends are found in precipitation, except for an increase in summer droughts and annual wet spells. L e climat se caractérise par un état moyen, mais aussi par des varia- tions autour de cet état moyen. L’étude des changements climatiques passe donc à la fois par celle de l’évolu- tion des paramètres moyens et par celle des extrêmes. La définition des extrêmes que l’on retiendra est celle des climatolo- gistes : les extrêmes sont des phénomènes rares (Houghton et al., 2001). D’autres domaines d’activité retiennent des accep- tions différentes, mais les notions de vul- nérabilité, de population affectée viennent alors compliquer l’analyse. Les difficultés de l’étude des extrêmes L’étude de l’évolution des extrêmes à partir de données instrumentales pose de nombreux problèmes spécifiques. La disponibilité des documents La disponibilité en documents originaux est limitée pour les données quotidiennes qui permettent de caractériser les extrê- mes. En effet, les données anciennes disponibles sont souvent issues de chro- niques mensuelles ou annuelles compi- lées dans des annales. Les données quotidiennes qui ont servi au calcul des valeurs mensuelles sont parfois introuva- bles. Le rapport du Groupe intergouver- nemental d’experts sur l’évolution du cli- mat (Giec) souligne le manque de don- nées pour une évaluation quantitative des phénomènes extrêmes à l’échelle mon- diale (Houghton et al., 2001). Certaines données de phénomènes extrêmes parti- culiers sont très rarement disponibles, par exemple celles sur la grêle. De plus, même lorsque les données quotidiennes étaient disponibles avec les valeurs men- suelles, les actions de saisie ont pu se concentrer prioritairement sur les don- nées mensuelles, pour des questions de coût ou de rapidité. Contrôle et correction des données Les données manquantes sont générale- ment nombreuses dans les séries quoti- diennes, alors que les séries mensuelles sont souvent complètes même si des valeurs ont dû être reconstituées (sans que soient systématiquement documen- tées les méthodes pour y parvenir). Le rétablissement des données manquantes quotidiennes à partir des données des stations voisines est difficile : • Les méthodes de reconstitution s’ap- puient sur des similitudes de comporte- ments entre stations voisines et les liens sont plus faibles lorsque l’on s’intéresse à des pas de temps courts. • Il est malaisé de distinguer une valeur erronée ponctuelle d’une valeur hors normes. • Les changements de capteurs et les déplacements de site introduisent des ruptures d’homogénéité dans les séries (Moisselin et al., 2002).

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Évolution des valeursextrêmes de température et de précipitations au cours du XXe siècle en FranceJean-Marc Moisselin et Brigitte DubuissonMétéo-France Direction de la Climatologie - 42, avenue Gaspard-Coriolis - 31057 Toulouse [email protected]

RésuméLes séries climatiques quotidiennes deréférence permettent de caractériserl’évolution des valeurs extrêmes enFrance. Tous les indices de tempéra-ture sur la période 1951-2000 tradui-sent un réchauffement marqué et destraces d’augmentation de variabilitésont repérées pour les températuresmaximales. Les tendances des préci-pitations sont moins systématiques,mais on relève l’augmentation dessécheresses estivales et l’allongementdes périodes pluvieuses.

AbstractEvolution of extremes of temperature and precipitationsduring the 20th century in France

The use of daily reference series helpsestimate trends of extremes overFrance. Analyzing the climate indicesemphasizes the systematic increase ofall temperature-related indices for theperiod 1951-2000. A positive trend invariability is found for maximumtemperature. Less systematic trendsare found in precipitation, except foran increase in summer droughts andannual wet spells.

L e climat se caractérise par un étatmoyen, mais aussi par des varia-tions autour de cet état moyen.

L’étude des changements climatiquespasse donc à la fois par celle de l’évolu-tion des paramètres moyens et par celledes extrêmes. La définition des extrêmesque l’on retiendra est celle des climatolo-gistes : les extrêmes sont des phénomènesrares (Houghton et al., 2001). D’autresdomaines d’activité retiennent des accep-tions différentes, mais les notions de vul-nérabilité, de population affectée viennentalors compliquer l’analyse.

Les difficultés de l’étude des extrêmesL’étude de l’évolution des extrêmes àpartir de données instrumentales posede nombreux problèmes spécifiques.

La disponibilité des documentsLa disponibilité en documents originauxest limitée pour les données quotidiennesqui permettent de caractériser les extrê-mes. En effet, les données anciennesdisponibles sont souvent issues de chro-niques mensuelles ou annuelles compi-lées dans des annales. Les donnéesquotidiennes qui ont servi au calcul desvaleurs mensuelles sont parfois introuva-bles. Le rapport du Groupe intergouver-

nemental d’experts sur l’évolution du cli-mat (Giec) souligne le manque de don-nées pour une évaluation quantitative desphénomènes extrêmes à l’échelle mon-diale (Houghton et al., 2001). Certainesdonnées de phénomènes extrêmes parti-culiers sont très rarement disponibles, parexemple celles sur la grêle. De plus,même lorsque les données quotidiennesétaient disponibles avec les valeurs men-suelles, les actions de saisie ont pu seconcentrer prioritairement sur les don-nées mensuelles, pour des questions decoût ou de rapidité.

Contrôle et correction des donnéesLes données manquantes sont générale-ment nombreuses dans les séries quoti-diennes, alors que les séries mensuellessont souvent complètes même si desvaleurs ont dû être reconstituées (sansque soient systématiquement documen-tées les méthodes pour y parvenir). Lerétablissement des données manquantesquotidiennes à partir des données desstations voisines est difficile :• Les méthodes de reconstitution s’ap-puient sur des similitudes de comporte-ments entre stations voisines et les lienssont plus faibles lorsque l’on s’intéresseà des pas de temps courts.• Il est malaisé de distinguer une valeurerronée ponctuelle d’une valeur horsnormes.• Les changements de capteurs et lesdéplacements de site introduisent desruptures d’homogénéité dans les séries(Moisselin et al., 2002).

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Des problèmes délicats de mise en forme et d’échange des donnéesL’accès aux observations quotidiennesconstitue encore un frein à l’échangeinternational de données. Les réticencessont moins grandes lorsqu’il s’agit dedonnées calculées sur une grille régu-lière, à partir desquelles on ne peut pasretrouver la valeur réellement observée.L’interpolation de paramètres moyensmensuels sur une grille régulière est une

opération habituelle. En revanche, il n’enva pas de même pour l’étude des phéno-mènes extrêmes en raison des problèmesde densité des observations, de cohérencespatiale (Frich et al., 2002) et du lissagequi résulte d’un passage en points degrille. Comme il est souvent nécessaired’étudier les extrêmes sur un ensemble destations, il est plus difficile de constituerdes bases internationales de référenceavec des données quotidiennes.

Les évolutions observéessont-elles significatives ?Il faut trouver un compromis entrerareté des phénomènes et caractèresignificatif de leur évolution car les pro-blèmes d’échantillonnage empêchent des’intéresser à des extrêmes en deçàd’une certaine fréquence. « Dans unesérie de 100 saisons une multiplicationde la fréquence par 1,5 peut être détec-tée avec une probabilité de 0,6 pour desévénements avec une durée de retour de30 jours. Cette probabilité chute à 0,2pour des événements de durée de retour100 jours » (Frei et Schär, 2001).

Face à une évolution significative desextrêmes, on n’est pas en mesure de tran-cher entre l’impact d’une évolution de lamoyenne, celui d’une modification de lavariance ou celui d’un changement pluscomplexe de la distribution. Des analysesplus poussées doivent être menées.

Un discours à adapterLes manières de définir les extrêmes sontnombreuses. Même si l’on ne tientcompte que du seul point de vue de lacommunauté climatique, on peut retenirdifférents seuils, absolus ou relatifs.D’autre part, les calculs analytiques sur lecaractère significatif des évolutions enfonction de la rareté des phénomènes(Frei et Schär, 2001) soulèvent le pro-blème du discours aux usagers et aupublic : les extrêmes d’une période don-née sont généralement caractérisés pardes durées de retour élevées (10 ans ouplus) et cette approche n’est plus adaptéequand on s’intéresse à leur évolution (surun siècle ou moins). Les indicateurs utili-sés pour l’évaluation du risque sur unepériode donnée ne sont plus applicablespour l’étude de l’évolution de ce risque.Prenons l’exemple des catastrophes natu-relles de type inondation dont l’indemni-sation s’appuie sur la comparaison entrel’événement et un événement de réfé-rence ayant chaque année une chance surdix de se produire : on parle de durée deretour de 10 ans. Les statistiques établies

Si les ruptures peu-vent être corrigées surles données mensuel-les (Moisselin et al.,2002), les méthodesd’homogénéisationclassiques ne sont pasapplicables aux don-nées quotidiennes.L’homogénéisationdes données quoti-diennes apparaît doncplus ardue que celledes données mensuel-les. Ce n’est pas ladétection des rupturesqui pose problèmepuisque cette infor-mation peut provenirde l’analyse des sériesannuelles. Des procé-dures spécifiques ontété développées dansce but (Wijngaard etal., 2003). La difficulté réside dans l’esti-mation de la correction. Quand on consi-dère la série annuelle, l’impact deschangements extra-climatiques est modé-lisé comme un biais constant, assez facileà estimer. Mais ce n’est plus vrai pour desséries quotidiennes, pour lesquelles lescorrections devraient varier en fonctiondes conditions météorologiques dechaque jour. Pour ces raisons, certainsauteurs se contentent d’un examen gra-phique de l’homogénéité et supprimentdes analyses les séries jugées hétérogènes(Peterson et al., 2002).

Le Bulletin météorologiqueannuel du département

des Pyrénées-Orientales pour1906. (Photo Météo-France)

Un tableau d’observations quotidiennes contenu dans le Bulletin météorologique annuel du département desPyrénées-Orientales. (Photo Météo-France)

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Sol craquelé par la sécheresse dans un champ de maïs. (Photo Météo-France)

sur quelques décennies permettent dedéterminer les caractéristiques de l’évé-nement de référence mais pas de préciserson évolution ; pour étudier l’évolutionde ce type d’extrême très rare, on s’ap-puie généralement sur celle d’événe-ments plus fréquents. On note aussi àl’occasion de chaque catastrophe clima-tique que la question de l’attribution de lacatastrophe aux changements climatiquesen cours est posée par les médias. On nepeut prétendre cependant qu’à mettre enévidence une évolution d’un risquemodéré. Les extrêmes sont des indica-teurs médiocres des changements clima-tiques, alors que leur impact socio-économique est important ; en revanche,la moyenne est un indicateur plutôt fiable, mais peu informatif pour les usa-gers (OcCC, 2003).

En dépit des difficultés, un axe de recherche majeurLes difficultés rencontrées pour carac-tériser l’évolution des extrêmes sont àmettre en regard de l’importance accor-dée à cette évolution par les différentsusagers sensibles aux changements cli-matiques. Le dernier rapport du groupede travail II du Giec recense les consé-quences des évolutions de différentsextrêmes pour plusieurs secteurs et pré-cise que le potentiel destructeur desphénomènes extrêmes provient de leurgravité et de leur caractère soudain etimprévisible (McCarthy et al., 2001).

L’étude des extrêmes apparaît donccomme un axe de recherche majeur. Leprojet pluridisciplinaire du programmeGestion et impact du changement clima-tique (GICC), Impact des changementsanthropiques sur la fréquence des phé-nomènes extrêmes de vent, de tempéra-

ture et de précipitations (Imfrex),financé par le ministère de l’Écologie etdu Développement durable (Medd) a eupour but de caractériser l’évolution pas-sée et prévue des phénomènes extrêmes.Les séries observées retenues dans leprojet ont permis de quantifier et d’ana-lyser l’évolution des extrêmes au coursdu XXe siècle ainsi que de valider et decalibrer les modèles numériques de cli-mat pour la fin du XXIe siècle. L’objet decet article est de présenter l’évolutiondes événements extrêmes déterminés àpartir des séries quotidiennes de tempé-rature et précipitations en France.

Méthodologie adoptée pour caractériser l’évolution des extrêmes

Les séries quotidiennes de référenceLa plupart des indices climatiques devaleurs extrêmes étant définis à partirde données quotidiennes, la premièreétape est donc la constitution des sériesquotidiennes exploitables sur une lon-gue période. Cette sélection est effec-tuée pour les séries quotidiennes deprécipitations et de températures mini-male et maximale.

L’étude des changements climatiques àpartir de séries brutes, sans contrôle spé-cifique ni examen des ruptures d’originenon climatique, peut conduire à desconclusions erronées. Cela est vrai pourles données mensuelles et a fortiori pour

les données quotidiennes. Dans le cas dela méthode utilisée à Météo-France(Caussinus et Mestre, 2004), l’homogé-néisation des séries mensuelles fournit ladate et l’amplitude des ruptures détec-tées. S’il n’est pas possible d’appliquerbrutalement les coefficients correcteursaux données quotidiennes, les dates desruptures permettent de déterminer despériodes supposées homogènes. Parexemple, si la série des valeurs mensuel-les présente une rupture forte en 1935(que l’on peut corriger), la série des don-nées quotidiennes présente égalementune rupture forte en 1935 (que l’on nesait pas corriger) : ces données quotidien-nes antérieures à 1935 ne seront donc pasutilisées. Cette méthode offre l’avantage,d’une part, de bénéficier des travaux derecensement et de tri des postes climato-logiques menés lors de la phase d’homo-généisation des séries mensuelles et,d’autre part, de pouvoir associer systéma-tiquement un diagnostic sur la moyenne àun diagnostic sur les extrêmes. Mais ellea aussi des limites : ainsi, une rupture surune partie des données quotidiennes n’estpas forcément visible sur la moyenne, parexemple en cas de rupture complexe agis-sant de manière opposée sur les extrêmeschauds et les extrêmes froids.

En complément, d’autres critères per-mettent d’affiner la sélection et exploi-tent les métadonnées disponibles. Endéfinitive, pour chaque date d’une sériequotidienne, les critères suivants sontcalculés en prenant comme référence ladate la plus récente de la série : – le taux de données manquantes (10 %au maximum) ; – le plus grand déplacement horizontalet la somme vectorielle des déplace-ments horizontaux successifs (10 km aumaximum) ; – le plus grand déplacement de postesur la verticale et la somme algébriquedes déplacements verticaux (50 m aumaximum) ; – l’amplitude de la rupture la plus fortedétectée sur les données mensuelleshomogénéisées et la somme algébriquedes amplitudes de rupture (0,5 °C pourles séries de températures et 10 % pourles précipitations).

Ces seuils permettent de répondre à laquestion « à partir de quand la série quo-tidienne peut-elle être utilisée pour l’étude des évolutions climatiques ? ».Entre cette date et la fin de la série, lasérie devient série quotidienne de réfé-rence (SQR). Cette approche dite de

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sélection sans correction desdonnées quotidiennes a déjà étéemployée dans différentes étudessur l’évolution observée du climat(Frich et al., 2002).

Les séries mensuelles homogé-néisées séculaires sont au nom-bre de 70 pour les températureset de l’ordre de 300 pour les pré-cipitations. Le nombre de SQRexploitables dépend ensuite de lapériode considérée et du para-mètre. Ainsi, les stations dispo-sant d’une SQR de températureminimale pour une période don-née ne disposent pas nécessaire-ment d’une SQR de températuremaximale sur cette période. Eneffet, les deux paramètres ont étéhomogénéisés indépendamment,les instruments et les causes derupture ne sont pas nécessaire-ment les mêmes. Les SQRdisponibles sur la période 1951-2000 sont au nombre de 26 pourles températures minimales, 43pour les températures maxima-les et 98 pour les précipitations,ce qui permet une analysedétaillée des évolutions clima-tiques (figure 1).

Les outils diagnostiques : les indices climatiquesDe nombreux indices climatiquesont été définis par la commu-nauté des climatologues. Certainsconcernent les événements ex-trêmes. Le projet ClimateVariability and Predictability(Clivar) du Programme mondialde recherche sur le climat(PMRC) de l’Organisationmétéorologique mondiale(OMM) a proposé une liste dedifférents indices. Certains d’en-tre eux sont repris et calculéspour différentes séries dans lecadre du projet européen EuropeanClimate Assessment and Dataset(ECA&D) dont le site Internet présenteun dictionnaire complet d’indices.

Le groupe de travail commun Clivar-Commission de climatologie de l’OMMrecommande une liste de dix indices sim-ples et accessibles (Frich et al., 2002).

Ces indices servent de base à la compa-raison des changements climatiques surles extrêmes d’une région à l’autre.

On distingue deux grands groupes d’in-dices : ceux qui sont définis par desseuils fixes et ceux qui sont définis pardes quantiles. Dans le premier groupe,on trouvera par exemple le nombre de

jours de gel, le nombre de joursd’été (lorsque la températuremaximale, Tx, dépasse 25 °C), lenombre de jours de fortes préci-pitations (lorsque le cumul deprécipitations, RR, dépasse 10 mm). Ces seuils ne sont pastrès élevés : cela est dû à lanécessité déjà signalée de tra-vailler à partir d’événementsextrêmes « pas trop rares » et àcelle de présenter des indicesayant un sens dans un nombremaximal de régions du globe.Étudier l’évolution des extrêmesde température revient donc, parexemple, à étudier l’évolution dunombre annuel de jours de gelsur un ensemble de stations.Dans le deuxième groupe d’indi-ces, on s’intéresse à des quanti-les. Par exemple, le décile annuelsupérieur des températuresmaximales à une station (Tx90),ou décile chaud, est la valeurdépassée par 10 % des journées.Pour caractériser les écarts auxvaleurs saisonnières, des indicessont établis à partir de seuilsdéfinis quotidiennement pourchaque station sur une périodede référence : la période de réfé-rence choisie par la Direction dela climatologie de Météo-Franceest 1971-2000, mais on trouveencore beaucoup d’études utili-sant la période 1961-1990. Parexemple, l’indice des nuits rela-tivement froides (Tn10p) ca-ractérise les nuits pendantlesquelles la température mini-male (Tn) est nettement en des-sous des valeurs saisonnières.On commence par calculer cesvaleurs saisonnières : chaquejour du calendrier, on déterminele décile inférieur (décile froid)des températures minimalesquotidiennes sur une fenêtreglissante de 5 jours et sur lapériode de référence 1971-2000.Sur toute la profondeur de lasérie quotidienne, on répertorieensuite les journées avec Tninférieure au décile inférieurquotidien : Tn10p correspondalors au pourcentage de ces nuitsrelativement froides sur une

période donnée. Les indices sont pré-sentés dans les tableaux 1 et 2 (p. 5).

Malgré leur multiplicité, ces indices ontl’avantage de la simplicité. Cependant,certains extrêmes ne sont pas présents, enparticulier ceux qui associent différentsprocessus, se renforçant, se succédant ouadditionnant leurs effets (OcCC, 2003).

Figure 1 - Les séries quotidiennes de référence pour la période 1951-2000 :

températures minimales (a), températures maximales (b),

précipitations (c).

b

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Évolution des indicesclimatiques en France

Rappel de l’évolution de la moyenne sur la période 1901-2000Les travaux sur l’homogénéisation deslongues séries de données ont permis depréciser la nature des changements cli-matiques en France (Moisselin et al.,2002). Ils montrent un réchauffementde l’ordre de 1 °C au cours du XXe siè-cle. Ce réchauffement, plus marquépour les températures minimales quepour les maximales, présente des dispa-rités régionales et saisonnières. Il s’ac-célère à la fin des années 1980. Parailleurs, la pluviométrie annuelle appa-raît plutôt à la hausse.

Ces séries à haute résolution spatialesont les candidates naturelles des étudesde détection des changements clima-tiques à échelle régionale (Spagnoli etal., 2002). Les travaux menés sur l’évo-lution de l’insolation (Moisselin etCanellas, 2005) ont rappelé l’intérêt detravailler sur plusieurs paramètres pourpréciser la confiance à accorder auxévolutions constatées.

Aperçu de l’évolutiondes extrêmes au cours de la période 1901-2000 Le nombre de séries quotidiennes cen-tenaires exploitables est limité, maisoffre un aperçu de l’évolution desextrêmes au cours du XXe siècle. Onnote sur la série quotidienne centenairede Toulouse (figure 2) que le pourcen-tage de nuits relativement froides dimi-nue et que le pourcentage de nuitsrelativement chaudes augmente : c’estune conséquence de la hausse des tem-pératures nocturnes à Toulouse aucours du XXe siècle (réchauffement del’ordre 0,13 °C par décennie). Lescourbes ne présentent pas de symétrie

Tableau 1 - Principaux indices relatifs aux températures présentés dans cet article. Tn température minimale quotidienne, Tx températuremaximale quotidienne, Tm température moyenne quotidienne (Tn+Tx)/2.

Tableau 2 - Principaux indices relatifs aux précipitations. RR cumul quotidien des précipitations.

Indice Unité Définition

Cfd jour Nombre maximal de jours consécutifs de gel (Tn ≤ 0 °C)

Cid jour Nombre maximal de jours consécutifs sans dégel (Tx ≤ 0 °C)

Cwdi jour Nombre de jours de vague de froid : Tn inférieure de 5 °C pendant au moins 6 jours à la moyenne quotidienne calculée sur une fenêtre glissante de 5 jours sur la période 1971-2000

Dju °C Degrés-jours de type climaticien Somme des écarts à 18 °C des températures moyennes supérieures à 18 °C

Etr °C Amplitude thermique absolue (maximum des Tx moins minimum des Tn)

Fd jour Nombre de jours de gel (Tn ≤ 0 °C)

Fsl0 jour Nombre de jours entre la première et la dernière gelée

Gsl jour Période de croissance végétative : période séparant les 6 premiers jours consécutifs avec Tm > 5 °C des 6 premiers jours après le 1er juillet avec Tm < 5 °C

Hwdi jour Nombre de jours de vague de chaleur : Tx supérieure de 5 °C pendant au moins 6 jours à la moyenne calculée quotidiennement sur une fenêtre glissante de 5 jours sur la période 1971-2000

Id jour Nombre de jours sans dégel (Tx ≤ 0 °C)

Su jour Nombre de journées d’été (Tx > 25 °C)

Tn10 °C Décile inférieur de la température minimale

Tn90 °C Décile supérieur de la température minimale

Tm10, Tm90, °C Définis de manière analogue à Tn10 et Tn90 mais pour Tm et TxTx10, Tx90

Tn10p % Pourcentage de nuits relativement froides :Tn inférieure au premier décile calculé quotidiennement sur une fenêtre glissante de 5 jours, sur la période 1971-2000

Tn90p % Pourcentage de nuits relativement chaudes :Tn supérieure au dernier décile calculé quotidiennement sur une fenêtre glissante de 5 jours, sur la période 1971-2000

Tx10p % Pourcentage de journées relativement froides. Défini de manière analogue à Tn10p mais pour Tx

Tx90p % Pourcentage de journées relativement chaudes. Défini de manière analogue à Tn90p mais pour Tx

Sigma-Tn °C Écart type de la température minimale

Sigma-Tm °C Définis de manière analogue à Sigma-Tn mais pour Tm et Tx et Sigma-Tx

Tr jour Nombre de nuits « tropicales » (Tn > 20 °C)

Vtn °C Variabilité moyenne jour à jour de la température minimale

Vtm , Vtx °C Définis de manière analogue à Vtn mais pour Tm et Tx .

Indice Unité Définition

Cdd jour Nombre maximal de jours secs consécutifs (RR < 1 mm)

Cwd jour Nombre maximal de jours consécutifs de pluie (RR ≥ 1 mm)

Dry-spell- jour Durée moyenne des périodes sèches (RR < 1mm)mean

Pdd % Total du nombre de jours secs consécutifs rapporté au nombretotal de jours secs

Pww % Total du nombre de jours pluvieux consécutifs rapporté au nombre total de jours pluvieux

R10 jour Nombre de jours de fortes précipitations (RR ≥ 10 mm)

R20 jour Nombre de jours de très fortes précipitations (RR ≥ 20 mm)

R1d mm Maximum des précipitations sur 1 jour

R3d, R5d, mm Maximum des cumuls de précipitations sur 3, 5 et 10 joursR10d

RR1 jour Nombre de jours de pluie (RR ≥ 1 mm)

Sdii mm/jour Cumul de pluie moyen des jours pluvieuxR95t % Fraction des précipitations supérieures au demi-décile supérieur

des précipitations, demi-décile établi parmi les jours pluvieux, sur la période 1971-2000

Wet-spell- jour Durée moyenne des périodes pluvieuses mean

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systématique : nombreuses nuits froidesà la fin des années 1950, peu de nuitschaudes au début des années 1970. Celaillustre l’intérêt de travailler sur d’autresparamètres que la moyenne. Sur les dixdernières années, les deux courbes s’é-loignent de la courbe de tendance, cequi traduit une accélération du réchauf-fement.

Les indices classiques pour la période 1951-2000Les tableaux 3 et 4 présentent les évolu-tions en France sur la période 1951-2000 en s’appuyant sur les indicesrecommandés par le programme Clivar.On note la diminution des extrêmesfroids et l’augmentation des extrêmeschauds. La médiane des tendances dunombre de jours de gel est de -3,2jours/décennie, le quartile supérieur destendances du pourcentage de nuits rela-tivement chaudes de 1,5 jour/décennie.La hausse du pourcentage de nuits rela-tivement chaudes est encore plus fran-che en été. Le quartile supérieur destendances de la période de croissancevégétative est de 5,9 jours/décennie,avec une hausse remarquable au Nord-Est. Le quartile supérieur des tendancesdu nombre de jours de vagues de chaleurest de 1,1 jour/décennie, la hausse de cetindice est un peu plus marquée au prin-temps et à l’automne.

Alors que les évolutions des tempéra-tures sont en général assez nettes, lesprécipitations présentent un signal pluscontrasté, dans la continuité de précé-

dentes analyses (Moisselin et al., 2002).Les évolutions sont en majorité nonsignificatives et les ordres de grandeursont faibles. Ainsi, le quartile supérieurdes tendances du nombre de jours defortes précipitations vaut 0,8 jour/décennie, le quartile inférieur des ten-dances du nombre maximal de jourssecs consécutifs vaut –0,7 jour/décen-nie et le quartile supérieur des tendan-ces du maximum de précipitationscumulées sur 5 jours vaut 2 mm/décen-nie. Les indices présentent générale-ment un contraste nord-sud avec unepluviométrie plutôt en hausse sur unegrande partie nord : le nombre de joursde fortes précipitations est plutôt en hausse au nord, le maximum desprécipitations cumulées sur 5 jours est

aussi en hausse sur les deux tiers nord.Les indices présentent également uncontraste saisonnier été-hiver avec dessécheresses estivales en augmentation :le nombre de jours de fortes précipita-tions, le maximum des précipitationscumulées sur 5 jours et le cumul depluie moyen des jours pluvieux sontplutôt en baisse en été, et le nombremaximal de jours secs consécutifs estplutôt en hausse en été.

Cette sélection d’indices est néan-moins critiquable sur certains plans :• Par définition, certains indices sontsurtout adaptés à certains types de cli-mat. Ainsi, le nombre de jours devagues de chaleur (Hwdi) et la périodede croissance végétative (Gsl) ne sontpas adaptés au climat océanique. Legroupe Statistical and Regional dyna-mical Downscaling of Extremes forEuropean Regions (Stardex) l’a notépour le nombre de jours de vagues dechaleur et suggère une modification del’indice en tenant compte de valeursrelatives (Stardex, 2003).• Certains indices sont sensibles à l’échantillonnage ou à des problèmesponctuels dans les données ; par exem-ple, deux valeurs dans l’année seule-ment définissent l’amplitude thermiqueabsolue (Etr). • L’absence de symétrie dans les indicesconstitue un obstacle à une analyse pluscomplète. Ainsi, le pourcentage de nuitsrelativement chaudes (Tn90p) est pré-sent, mais pas ceux de nuits relativementfroides (Tx10p) ou de journées relative-ment froides ou de journées relative-ment chaudes (tx90p).

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20

1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000

Figure 2 - Évolution de l’indice des nuits relativement froides (Tn10p, en rouge) et de l’indice des nuits relative-ment chaudes (Tn90p, en violet) à Toulouse-Blagnac au cours du XXe siècle (en %).

Tableau 3 - Évolution annuelle en France métropolitaine sur la période 1951-2000 des indices de températuresparmi les dix indices recommandés dans l’échange des informations relatives à l’évolution du climat (Frich et al.,2002). Les colonnes avec les flèches donnent le pourcentage de séries présentant une évolution significative (flè-ches verticales) ou non (flèches inclinées), positive (flèche vers le haut) ou négative (flèches vers le bas). N repré-sente le nombre de séries. Le caractère significatif est établi au moyen d’un test sur le coefficient de Spearman(corrélation des rangs) avec une confiance de 95 %. Les cases en gras sont celles qui présentent les plus fortesconcentrations de cas.

Tableau 4 - Idem tableau 3 pour les indices relatifs aux précipitations.

Évolution annuelle

Indice N

Nombre de jours de gel (Fd) 77 23 0 0 26

Amplitude thermique absolue (Etr) 6 72 22 0 18

Période de croissance végétative (Gsl) 0 22 50 28 18

Nombre de jours de vagues de chaleur (Hwdi) 2 5 80 13 40

Pourcentage de nuits relativement chaudes (Tn90p) 0 0 0 100 26

Évolution annuelle

Indice N

Nombre de jours de fortes précipitations (R10) 3 30 56 11 98Nombre maximal de jours secs consécutifs (Cdd) 5 56 39 0 98

Maximum des précipitations cumulées sur 5 jours (R5d) 0 25 68 7 98

Cumul de pluie moyen des jours pluvieux (Sdii) 19 42 33 6 98

Fraction des précipitations supérieures 3 40 52 5 98au 95e centile (R95t)

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La Météorologie - n° 54 - août 2006 39

Tableau 5 - Analyse sur la période 1951-2000 en France métropolitaine des extrêmes climatiques simples proposés par Easterling et al. (2000).

Tableau 6 - Analyse sur la période 1951-2000 en France métropolitaine des extrêmes climatiques complexes proposés par Easterling et al. (2000).

Phénomène Tendance observée en France sur la période 1951-2000

Températures maximales plus élevées NetteTendances de Tx de 0,15 à 0,3 °C/décennieConfirmée par la baisse des indices « journées relativement froides » (Tx10p), « journées sans dégel » (Id) et la hausse des indices « journées relativement chaudes » (Tx90p), « jours d’été » (Su), « décile supérieur de la température maximale » (Tx90)

Plus d’étés chauds Nette à la fois sur les températures minimales et maximales estivalesTendances de Tx de 0,25 à 0,4 °C/décennie.Tendances de Tn de 0,25 à 0,4 °C/décennieConfirmée par la baisse des indices estivaux « journées relativement froides » (Tx10p), « nuits relativement froides » (Tn10p) et la hausse des indices estivaux « journées relativement chaudes » (Tx90p), « nuits relativement chaudes » (Tn90p), « jours d’été » (Su) et « nuits tropicales » (Tr)

Températures minimales plus élevées Nette quelle que soit la saisonTendances de Tn de 0,2 à 0,35 °C/décennieConfirmée par la baisse des indices « nuits relativement froides » (Tn10p), « nombre de jours de gel » (Fd) et la hausse de l’indice « nuits relativement chaudes » (Tn90p)

Moins de jours de gel NetteTendances du nombre de jours de gel (Td) de –0,3 à -5,8 jours/décennie

Plus d’événements générant Pas nettedes cumuls journaliers intenses Si le nombre de jours de fortes précipitations, avec plus de 10 mm (R10) est en hausse sur les deux tiers

nord du pays, les indices « maximum des précipitations sur 1 jour » (R1d), « cumul de pluie moyen des jours pluvieux » (Sdii) et nombre de jours de très fortes précipitations, avec plus de 20 mm (R20) ne confirment pas

Plus d’événements générant Pas généraliséedes cumuls intenses L’indice « maximum des précipitations sur 5 jours » (R5d) est en hausse sur les deux tiers Nord du pays sur plusieurs jours (et surtout en automne)

Confirmée par les indices : « maximum des précipitations sur 3 jours » (R3d) et « maximum des précipitations sur 10 jours » (R10d)

Phénomène Tendance observée en France sur la période 1951-2000

Plus de vagues de chaleur Relativement nette (pas d’indice vraiment pertinent) Indice « nombre de jours de vague de chaleur » (Hwdi): tendance de –0,5 à 2,1 jours/décennie

Moins de vagues de froid Relativement nette (un peu plus que Hwdi) Indice « nombre de jours de vague de froid » (Cwdi) : tendances de –0,2 à –2,2 jours/décennieConfirmé par la baisse des indices : « maximum du nombre de jours consécutifs de gel » (Cfd), « maximum du nombre de jours consécutifs sans dégel » (Cid) et « nombre de jours entre la première et la dernière gelée » (Fsl0, les évolutions de ce dernier indice étant plus marquées)

Sécheresses aggravées Relativement nette en été (mais plutôt moins de sécheresses sur l’année)L’indice « nombre maximal de jours secs consécutifs » (Cdd) est en hausse en été et atteint jusqu’à 2 jours/décennie.Confirmé par la baisse des cumuls estivaux de précipitations, et par la hausse des indices « durée moyenne des périodes sèches » (Dry-spell-mean), « total du nombre de jours secs consécutifs rapporté au nombre total de jours secs » (Pdd)

Plus d’événements pluvieux Relativement netteMédiane des tendances du nombre de jours de pluie (Rr1) : 2,3 jours/décennieVoir aussi l’indice « nombre maximal de jours consécutifs de pluie » (Cwd)

Figure 3a - Évolution annuelle de l’indice du nombre de jours de gel (Fd) en France. Voir tableau 3 pour la signification des symboles.

En se référant à une partie des extrêmesanalysés sur le XXe siècle par Easterlinget al. (2000) et repris dans le rapport duGiec (Houghton et al., 2001), on obtientles tableaux 5 et 6 ci-dessus.

Les figures 3a et 3b illustrent la baissegénéralisée de l’indice nombre de joursde gel. L’évolution du gel est spectacu-laire : à Montélimar, on passe de plus de40 jours annuels de gel au début desannées 1950 à moins de 30 à la fin desannées 1990. L’étude du nombre de joursentre la première et la dernière geléemontre que la durée de la saison de gel a

baissé de plus de 23 jours encinquante ans pour la moitiédes séries quotidiennes cin-quantenaires de températureminimale.

Ces résultats sont compara-bles à ceux qui ont été établisau niveau européen dans lecadre du projet ECA&D(figure 4) : sur la période1946-1999, la majorité desséries du nombre de jours degel est en baisse (surtout ausud du 60e parallèle).

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40 La Météorologie - n° 54 - août 2006

sur le nombre maxi-mal de jours secsconsécutifs : les pério-des sèches sont plutôten baisse annuelle(surtout au printemps)et en assez nette aug-mentation estivale.Leurs pendants « hu-mides » montrent desévolutions nettementplus marquées surl’année et traduisentun allongement despériodes pluvieuses :43 % de hausses si-gnificatives du nom-bre maximal du joursde pluie consécutifs,59 % de hausses signi-ficatives du pourcen-tage du nombre dejours de pluie consé-cutifs, 57 % de haus-ses significatives de ladurée moyenne despériodes pluvieuses(figure 5). Les haussesles plus nettes se

situent à l’automne et au printemps et, làaussi, le signal est inversé en été.

Examinons l’évolution de la variabilitéde température sur la période 1951-2000.Le pourcentage de nuits relativementfroides est en baisse significative pourtoutes les séries quotidiennes de réfé-rence quelle que soit la saison. Pour les

nuits relativementchaudes, les résultatssont symétriques :hausse significative dupourcentage pour tou-tes les SQR et pourtoutes les saisons. Lesindices portant direc-tement sur la variabi-lité des températuresminimales (écart typede la températureminimale, variabilitéd’un jour à l’autre dela température mini-

male) montrent plutôt une diminution,non significative en général, de la varia-bilité. En revanche, pour les températuresmaximales, on constate une augmenta-tion beaucoup plus nette pour le pourcen-tage de journées relativement chaudesque pour celui des journées relativementfroides : l’augmentation des températuresmaximales relativement chaudes est pro-portionnellement plus marquée que ladiminution des températures maximalesrelativement froides. On note aussi unenette majorité de hausses (non significati-ves en général) pour l’écart type de latempérature maximale et pour sa variabi-lité moyenne d’un jour sur l’autre. Defaçon plus détaillée, on remarque quec’est plutôt l’été que la variabilité destempératures maximales a augmenté.Ainsi, pour les indices estivaux des déci-les inférieur et supérieur de la tempéra-ture maximale, la médiane des tendancesdu premier décile est de 0,1 °C/décenniealors que celle du dernier décile est de 0,5 °C/décennie.

La question de la variabilité a été abordéede différentes manières dans la littérature. Par exemple, en faisant l’hy-pothèse d’absence de modification de lavariabilité et connaissant l’augmentationde la température minimale moyenne etcelle des nuits relativement froides, onpeut calculer l’augmentation des nuitsrelativement chaudes et la comparer avecl’augmentation réellement constatée(Klein Tank et Können, 2003). On peutaussi construire un indice à partir desdéciles inférieur et supérieur de la tempé-rature (Klein Tank et al., 2004).

Können et Klein Tank (2003) suggèrentune augmentation de la variabilité enEurope pour les températures minima-les et maximales durant la sous-période1976-1999 et une diminution du mêmeordre de grandeur durant la période1946-1975.

Que penser des diagnosticssur les séries observéesaprès 2000 ?Les séries mensuelles homogénéiséess’arrêtant en 2000 dans le cas général, laprolongation des SQR au-delà de cetteannée ne garantit pas l’absence de rup-ture lors des années qui suivent : un cri-tère majeur de sélection des donnéesn’est plus applicable. Cependant, la priseen compte d’événements marquants pos-térieurs à 2000 a été réclamée par les dif-férents partenaires d’Imfrex (jusqu’en2003, année de démarrage du projet). Onpense naturellement à la canicule d’août

Positif mais non significatif à 5 %

Non significatif à 25 %

Négatif mais non significatif à 5 %

0 - -2

-2 - -4

-4 - -6

Figure 3b - Évolution annuellede l’indice du nombre de jours de gel (Fd) à Orléans(indice en rouge, tendance1951-2000 en violet).

Figure 4 - Tendances du nombre annuel de jours de gel (Fd) sur la période 1946-1999. Source projet ECA&D.

Figure 5 - Évolution annuellesur la période 1951-2000 de la durée moyenne des périodes pluvieuses(Wet-spell-mean). Voir le tableau 3 pour la signification des symboles.

20

40

60

80

1950 1960 1970 1980 1990 2000

Les autres indices pour la période 1951-2000La richesse des indices permet l’étude dedomaines assez peu visités jusqu’alors.Les indices de sécheresse (pourcentagedu nombre de jours secs consécutifs etdurée moyenne des périodes sèches)confirment le comportement déjà noté

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La Météorologie - n° 54 - août 2006 41

Tableau 7 - Rang de l’indice estival 2003 pour diversindices sur la période 1951-2003 (ou sur la période

disponible si elle est plus courte). Les valeurs en grascorrespondent au record de l’indice pour la station.

2003, mais aussi à lavague de froid dedécembre 2001, auxinondations d’Anduzede septembre 2002 etdu Sud-Est en novem-bre-décembre 2003.Les résultats au-delàde 2000 doivent ce-pendant être analysésavec plus de prudenceque sur les autrespériodes.

Les postes de Stras-bourg-Entzheim (ou-vert en 1921) et Strasbourg jardinbotanique (ouvert en 1923) sont distantsde dix km ; chacun d’eux est SQR pourla température minimale et maximale àpartir de 1961 et donc pour la tempéra-ture moyenne journalière à partir decette date. Dans la figure 6, on examinel’évolution des degrés-jours de type cli-maticien pour ces deux postes. Cetindice est une valeur représentative del’écart entre la température moyenned’une journée donnée en un lieu et unseuil de température préétabli. Il sert engénéral à évaluer les dépenses en éner-gie pour la climatisation : les tempéra-tures moyennes journalières au-dessusdu seuil de 18 °C sont cumulées sur lapériode estivale.

On note que l’allure des deux courbes ycompris au-delà de 2000 est compara-ble ; la somme des degrés-jours duposte installé dans le jardin botanique, àl’écart des habitations, est sans grandesurprise inférieure à celui implanté surl’aéroport d’Entzheim. L’indice est à lahausse sur les deux postes (environ 100 °C sur l’ensemble de la période).L’écart entre les coefficients de détermi-nation des deux postes n’est pas signifi-catif avec une confiance de 95 %, celuide l’aéroport étant plus faible (0,17contre 0,31). L’année 2003 ressort trèsnettement : plus de 150 °C au-dessus duprécédent record pour Strasbourg-Entzheim. Elle contribue par ailleursfortement à la tendance, de l’ordre de50 % pour les deux postes ! La caniculede 2003 a en effet été exceptionnelle parson intensité et sa durée (Bessemoulinet al., 2004). On retrouve aussi les épi-sodes chauds remarquables de 1976,1983 et 1994 (Bessemoulin et al., 2004)et la signature des étés frais, par exem-ple les cinq étés postérieurs à la cani-cule de 1976, de 1977 à 1981.

De manière générale, plusieurs indicespermettent d’identifier la canicule del’été 2003. Les différents indices carac-térisant les fortes températures estivales(voir tableau 7) mettent tous en évi-dence le caractère exceptionnel de l’été2003 par rapport aux étés 1951-2003pour une grande partie du pays, à la foispour les fortes températures minimaleset maximales et en durée (pour les indi-ces fonction du nombre de jours pourlesquels un seuil absolu ou relatif estdépassé).

Informationspour le climat futurOutre l’examen des tendances passées,les séries quotidiennes de référence ontcontribué à valider et calibrer les modè-les numériques de climat pour le climatprésent : modèle Arpège du Centrenational de recherche météorologiquede Météo-France ou modèle LMDZ duLaboratoire de météorologie dyna-mique de l’Institut Pierre SimonLaplace. La calibration est une méthodede correction des sorties de modèle,appliquée une fois le comportementgénéral du modèle validé. Elle estconduite en construisant à chaque pointde grille du modèle, pour chaque para-mètre et chaque saison, une fonctionqui transforme la donnée quotidiennedu modèle pour la période « climat pré-sent » en donnée observée, cette fonc-tion est ensuite appliquée aux donnéespour la période « climat futur ». Lesséries quotidiennes de référence ont

donc participé, indirectement, à la des-cription du climat prévu à la fin du XXIe

siècle. Selon un scénario du Giec detype A2 (plutôt pessimiste) appliqué aumodèle Arpège, le réchauffement entrela fin du XXe siècle et la fin du XXIe siè-cle serait compris entre 3 °C et 3,5 °C,avec des impacts significatifs sur lesévènements extrêmes : en particulier unété sur deux de la fin de siècle serait aumoins aussi chaud que l’été 2003.

ConclusionDonnées quotidiennes fiables et relati-vement nombreuses, les SQR ont mon-tré leur intérêt pour l’étude del’évolution des extrêmes de températureet de précipitations, de la mêmemanière que les séries mensuelleshomogénéisées ont montré le leur pourl’étude des paramètres moyens.

La principale crainte liée à une évolu-tion du climat vient de l’augmentationpossible de la fréquence des phénomè-nes extrêmes. Notre étude a permis uneavancée significative dans la quantifi-cation des évolutions des phénomènesextrêmes en France au cours des der-nières décennies et certaines évolutionssont particulièrement nettes. Tous lesindices de température vont dans lesens d’un réchauffement marqué sur lapériode 1951-2000. S’ajoutant à l’effetde l’augmentation de la moyenne,l’augmentation de la variabilité destempératures maximales estivales ren-force le risque de canicule. Des indicesde précipitations, on retient d’abordl’augmentation des cumuls annuels,surtout au Nord et en hiver. L’été, lessécheresses deviennent plus fréquenteset intenses et, pour certains secteurs,les effets se superposent à ceux liés àl’augmentation des températures. Parexemple, le groupe II du Giec(McCarthy et al., 2001) souligne lerisque de détérioration des sols enEurope méridionale avec un climat pluschaud et plus sec. Les précipitationsintenses ne présentent pas d’augmenta-tion significative.

Figure 6 - Évolution des Dju l’été (en °C) pour deux stations voisines àStrasbourg (Entzheim en rouge, jardin botanique violet).

hwdi su tn10p tn90p tx10p tx90p tx10 tx90 dju tr

Paris 1/53 1/53 2/45 1/45 4/53 1/53 1/53 1/53 1/45 1/45

Rennes 6/53 2/53 1/53 1/53 1/53 2/53 1/53 1/53 1/53 1/53

Toulouse 2/53 1/53 1/53 1/53 1/53 1/53 1/53 1/53 1/53 1/53

Strasbourg-Enzheim 1/53 1/53 2/53 1/53 1/53 1/53 1/53 1/53 1/53 1/53

Marignane 1/53 1/53 1/43 1/43 2/53 1/53 1/53 1/53 1/43 1/43

Lyon-Bron 1/53 1/53 1/37 1/37 1/53 1/53 1/53 1/53 1/37 1/37

Lille-Lesquin 12/53 4/53 3/34 2/34 2/53 3/53 1/53 3/53 2/34 1/34

50

150

250

350

450

550

1960 1970 1980 1990 2000

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42 La Météorologie - n° 54 - août 2006

Ces changements, parfois marqués, ontdes conséquences potentielles impor-tantes et l’étude des extrêmes fait partiede celle des impacts. Le groupe II duGiec (McCarthy et al., 2001) répertoriede nombreuses conséquences possiblesde l’augmentation des extrêmes relatifsà la température diurne, de l’augmenta-tion des extrêmes relatifs à la tempéra-ture nocturne et de la baisse du nombrede journées froides : santé, tourisme,agriculture, aires de répartition et d’ac-tivité des animaux, consommation etfiabilité des approvisionnements éner-gétiques.

On rappellera aussi à ce stade que desétudes précédentes, avec une approchedifférente de celle des SQR, n’avaientpas conclu à une augmentation du nom-

bre ou de l’intensité des tempêtes enFrance (Dreveton, 2002). De manièreplus générale, les indices clairs de chan-gement du régime des tempêtes d’hiver,par exemple, font défaut (OcCC, 2003).

Les recherches méthodologiques sur lesextrêmes en cours à Météo-France por-tent maintenant sur les corrections desdonnées quotidiennes une fois les rup-tures détectées et sur la modélisationdes paramètres des lois de valeurs extrê-mes. Elles portent aussi sur la prolonga-tion des SQR, qui passe nécessairementpar celle des séries mensuelles homogé-néisées.

Les climatologistes, régulièrement etmassivement sollicités par les médias,espèrent aussi que les efforts entrepris

pour mener à bien une démarche quan-titative et rationnelle permettront d’em-pêcher l’attribution systématique auchangement climatique de chaque nou-velle catastrophe.

Si l’on associe aux diagnostics observésceux qui sont prévus pour les décenniesà venir, on dispose d’un ensemble per-mettant de mieux cerner les impacts deschangements climatiques et de définirde possibles stratégies d’adaptation.

RemerciementsCes travaux ont été menés dans lecadre du projet GICC/Imfrex financépar le ministère de l’Écologie et duDéveloppement durable.

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Bibliographie