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1 Certificat International d’Écologie Humaine (CIEH) Évolution du concept d’ INCONSCIENT des cultures primitives à la psychanalyse Marie-Jeanne LOISEAU 2011

Évolution du concept d’ INCONSCIENT des cultures ...€¦ · Possession démoniaque a) Exorcisme, b) Extraction mécanique de l'intrus, c) Envoi du démon dans un autre être vivant

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Certificat International d’Écologie Humaine (CIEH)

Évolution du concept d’ INCONSCIENT des cultures primitives à la psychanalyse

Marie-Jeanne LOISEAU

2011

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PLAN

Le concept d'inconscient (quelques définitions, description).

Première Partie : Aspects Historiques

Chapitre I : Les ancêtres lointains de la psychothérapie dynamique.

Chapitre II : Le traitement primitif au regard de la thérapeutique scientifique naissante.

Chapitre III : La genèse de la psychiatrie dynamique. 1. Gassner. 2. Mesmer. 3. Puységur.

4. Le choc du spiritisme. 5. L’Ecole de Nancy : A. Liébault, H. Bernheim.

6. Charcot. 7. Perspective historique et sociale.

Chapitre IV : L’exploration de l’Inconscient. 1. Les courants philosophiques :

- Kant. - Schopenhauer. - Lipps - Von Hartmann - Mann.

2. L’approche expérimentale : Fechner. 3. L’approche clinique :

- Héricourt. - Charcot et Bernheim. - Janet. - Breuer. - Freud.

Deuxième partie : L’Inconscient et la Psychanalyse

Chapitre V : Sigmund Freud et la Psychanalyse. Introduction. 1. 1856-1896 2. 1896-1899. 3. 1899-1905. 4. 1905-1920. 5. 1920-1939.

Chapitre VI : Autres aspects théoriques de l’Inconscient au XXe siècle. 1. Alfred Adler. 2. Carl-Gustav Jung. 3. Ouverture vers la psychanalyse des enfants : - Anna Freud. - Mélanie Klein. - Donald Winnicott.

Chapitre VII : Ce que l’inconscient freudien n'est pas : parallèles et différences avec l’inconscient des sciences cognitives.

Deux vignettes cliniques. Bibliographie.

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Le concept d'inconscient Quelques définitions : - Inconscience : privation de la conscience et/ou de la connaissance (Petit Robert). - Inconscient : (en tant qu’adjectif) fait référence aux adjectifs suivants (Encyclopédie Larousse) :

- fou

- « plus fort que soi »

spontané -

machinal -

instinctif -

eautomatiqu -

- en psychologie : - ensemble de faits psychiques qui échappent à la conscience - l’une des 3 instances psychique dans la première topique freudienne. Description : Si le concept d’inconscient n’est pas une découverte freudienne, Sigmund Freud lui a donné tout son poids en le concevant comme une hypothèse (métapsychologique) pour rendre compte d’un lien entre les événements traumatiques sexuels de la vie du sujet et les effets de refoulement de représentations sexuelles inacceptables qui en découlent et se laissent percevoir dans son symptôme. Les rêves, les actes manqués (réussis ou non !) et les symptômes névrotiques, que Freud a rencontrés dès le début de ses recherches, témoignent de l’existence de cet ordre inconscient. L’inconscient mis au jour est inséparable du refoulement qui en définit le fonctionnement. Les désirs refoulés (donc inconscients) continuent d’exister et n’ont rien perdu de leur dynamisme. Toutefois, le Refoulé n’est qu’une partie de l’Inconscient.

Freud distingue les actes psychiques inconscients des actes psychiques conscients, mais parmi les actes psychiques inconscients, il distingue ceux qui sont susceptibles de devenir conscients et qui forment le système préconscient. Cela lui permet de définir la notion d’appareil psychique (Première Topique) dans le cadre de laquelle on peut situer un acte psychique ou un conflit entre plusieurs tendances. Le système préconscient/conscient s’oppose activement au retour du Refoulé à la conscience, par la mise en place de résistances.

L’inconscient est le réservoir des désirs, et de désirs inconciliables. Il n’existe dans l’inconscient ni doute, ni négation, ni degré dans la certitude. L’inconscient est atemporel (en dehors du temps) et en-dehors de la réalité. Il est le « lit » des processus primaires dits archaïques.

C’est un réservoir énergétique : un désir peut transférer sur un autre une partie de son énergie (le déplacement). L’énergie de plusieurs désirs peuvent se concentrer sur un seul (condensation). C’est cette mobilité (déplacement ou condensation) que Freud nomme un processus primaire. Un tel processus apparaît nettement dans le rêve.

Le système préconscient/conscient est régi par des processus dits secondaires permettant de différer

(prise de recul) la satisfaction d’un désir. Inconscient (processus primaires) Préconscient / conscient (processus secondaires)

Hors du temps Hors de la réalité

A l’épreuve de la réalité

Possibilité de différer la satisfaction

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Première Partie : Aspects Historiques

Chapitre I : Les ancêtres lointains de la psychothérapie dynamique.

L'exploration systématique de l'inconscient est une entreprise récente, mais l'utilisation du psychisme à des fins thérapeutiques est très ancienne. A. Découverte de la thérapeutique primitive : L'un des premiers à comprendre l'intérêt scientifique des méthodes de guérison primitives fut l'ethnologue allemand Adolf Bastian (1826-1905), en Guyane Britannique. La médecine primitive avait déjà fait l'objet de publications éparses. Max Bartels a rassemblé et ordonné ces données disparates : Théorie de la maladie Traitement Pénétration de l'objet-maladie Extraction de l'objet-maladie Perte de l'âme Recherche, retour, réintégration Possession démoniaque a) Exorcisme,

b) Extraction mécanique de l'intrus, c) Envoi du démon dans un autre être vivant

Violation d'un tabou Confession Sorcellerie / Magie Contre-sorcellerie

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Chapitre II : Le traitement primitif au regard de l a thérapeutique scientifique naissante. Le guérisseur est bien plus qu'un médecin : la personnalité la plus considérée du groupe social.

Le thérapeute est un spécialiste parmi d'autres.

Le guérisseur doit surtout son efficacité à sa personnalité.

Le thérapeute applique des techniques scientifiques sous une forme impersonnelle

Le guérisseur est essentiellement un psychosomaticien : il recourt à des techniques psychologiques pour traiter de nombreuses maladies organiques.

Il y a divorce entre la thérapeutique physique et la thérapeutique psychique. La psychiatrie met l'accent sur le traitement physique de la maladie mentale.

La formation du guérisseur est longue et exigeante, elle comprend souvent l'expérience d'une grave perturbation d'ordre émotif qu'il lui faut surmonter pour être capable de guérir les autres.

La formation est longue, mais purement rationnelle. Les problèmes personnels, médicaux ou affectifs du médecin n'entrent pas en ligne de compte.

Le guérisseur se rattache à une école qui a ses propres enseignements et traditions, distincts de ceux des autres écoles.

Le thérapeute agit en se fondant sur une médecine unifiée, branche de la science et non sur une doctrine ésotérique.

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Chapitre III : La genèse de la psychiatrie dynamique. On peut faire remonter la naissance de la psychothérapie dynamique moderne à 1775, année du conflit entre l'exorciste Gassner et le médecin Messmer. Un notaire consignait par écrit toute parole et tout acte de l'un comme de l'autre, ces rapports officiels étant contresignés par des témoins distingués. 1. Johann Joseph Gassner (1727-1779), humble curé de campagne autrichien, est un des plus célèbres guérisseurs de son temps : il pratique des exorcismes en présence d'autorités ecclésiastiques catholiques et protestantes, de médecins, de nobles, de bourgeois, de sceptiques et de croyants. Il utilise une mise en scène "sacerdotale" (en particulier patient à genoux) et provoque des phénomènes étonnants : crises de convulsions, mélancolie, docilité et amnésie partielle. Gassner, souffrant de violents maux de tête et de vertiges qui empiraient au moment de célébrer la messe, de prêcher ou de confesser, soupçonne l'œuvre du malin et a recours aux formules d’exorcismes (auto-exorcisme) : ses troubles disparaissent. Sa renommée s'accroît par l'utilisation de certains personnages comme "faire-valoir" et aussi parce qu'il a des protecteurs haut placés. Les publications de Gassner séparent bien les maladies naturelles (du domaine du médecin) des maladies surnaturelles (initiation de maladies naturelles par un démon, effets de sorcellerie, possession démoniaque). Pour lui, la guérison nécessite au préalable la foi (au nom de Jésus) et le consentement (avant un exorcisme). En agissant ainsi, il considère sa position comme irréprochable sur les plans de l'orthodoxie catholique et de la médecine. Il eut de puissants détracteurs et ses actes déchaînèrent des passions au moment du choc entre la tradition (jugée obscurantiste) et le siècle des lumières (primauté de la raison) qui aboutit aux révolutions américaine et française (le reste de l'Europe était alors régi par le "despotisme éclairé", sorte de compromis dont les représentants étaient Marie-Thérèse d'Autriche, Frédéric II de Prusse et Catherine de Russie). NB: l'Eglise Catholique subit aussi l'influence des lumières, mais des procès de sorcellerie eurent lieu jusqu'en 1782. 2. Franz-Anton Mesmer (1734-1815), autrichien également, opère dans ce contexte le passage décisif de l'exorcisme à la psychothérapie dynamique. Il avait découvert un principe nouveau, le "magnétisme animal", qui guérissait par simple toucher ou approche tactile, et prétendait que Gassner guérissait, à son insu, selon les mêmes principes. Le "combat" entre les deux était inégal car Mesmer s'était très tôt assuré la protection de riches personnages pour subvenir à ses besoins lorsqu'il passa de la théologie à la philosophie, puis au droit et à la médecine. Il épousa d'ailleurs une riche veuve. Gassner, devenu gênant, fut contraint à ne plus exercer. La technique de Messmer est de remplacer le magnétisme animal par des aimants, placés sur le patient, qui sont censés dissiper les maux des patients (lesquels avaient ingéré une mixture contenant du fer). Comme pour Gassner, l'arrivée de Mesmer provoque dans son entourage des "douleurs étranges" (ce qui avait accru sa notoriété, et la croyance en ses pouvoirs hors du commun). Mais sa célébrité est aussi battue en brèche et il doit quitter l'Autriche pour Paris. Sa doctrine est résumée par lui en 4 points : 1) Un fluide subtil (magnétisme) emplit l'univers, intermédiaire entre tous les corps (vivants ou non). La maladie est la conséquence d'une mauvaise répartition de ce fluide. Soigner, c'est développer des techniques pour restaurer l'équilibre, ce fluide pouvant être emmagasiné, canalisé et transmis d'un corps à un autre. Mesmer lui-même était porteur en abondance de ce magnétisme animal.

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2) Il s'agit d'une théorie physique (recours au rationnel et non au mystique). Mais Mesmer croyait à l'influence du soleil, de la lune et des planètes sur le corps humain (maillon faible). 3) Dans le souci d'une explication rationnelle, l'analogie est faite entre le fluide magnétique et le fluide électrique qui venait d'être découvert (courants, décharges, charges positives et négatives). Les crises provoquées par le fluide sont spécifiques des diverses maladies (asthme, épilepsie, ...) et résultent d’une mauvaise répartition de ce fluide dans le corps humain. 4) Mesmer s'est efforcé de synthétiser : "Il n'y a qu'une maladie, qu'un remède, qu'une guérison", le fluide magnétique étant une thérapeutique universelle qui amènerait la médecine à sa perfection. Les mises en scène sont de plus en plus spectaculaires, Messmer devient despotique et trouve dans ses séances un intérêt pécuniaire.

Mesmer, s'appuyant sur des analogies par les découvertes de l'époque dans le domaine de l'électricité et du magnétisme, attribue à son fluide des pôles, des conducteurs, des décharges, des courants, des isolateurs et des accumulateurs. Son célèbre « baquet » est censé concentrer le fluide. Il enseignait également qu'il existait deux fluides, l'un négatif, l'autre positif, se neutralisant l'un l'autre.

Ceci dure jusqu'en 1784 où une commission composée de scientifiques (l'astronome Bailly, le chimiste Lavoisier, le médecin Guillotin, le physicien Benjamin Franklin) et de l'ambassadeur des Etats-Unis, conclut qu'aucune preuve n'est apportée de l'existence physique d'un fluide magnétique et que les effets thérapeutiques sont dus à l' "imagination". Messmer est alors lâché par ses disciples. La question reste ouverte de savoir si Mesmer fut un précurseur ou le fondateur de la psychiatrie dynamique, dont il est incontestablement à l'origine. 3. Armand Puységur (Armand de Chastenet, Marquis de Puységur, 1751-1825) est à l'origine de l'hypnose. Disciple de Mesmer, il utilise le magnétisme pour organiser des séances collectives ("somnambulisme artificiel" + "lucidité") : - déclenchement de "crises parfaites" en état de veille apparente, dans un rapport électif entre le magnétiseur et son sujet qui exécute ses ordres, - amnésie totale ensuite. L'originalité de Puységur est : - l'utilisation de l'hypnose uniquement à des fins thérapeutiques (pas d'expérimentation ou de démonstrations : respect du malade), - le fait que le véritable agent de la guérison est la volonté du magnétiseur, - la volonté de faire une œuvre rationnelle : création d'une Société publiant des rapports annuels sur les traitements et les cas traités, avec le nom des praticiens et des malades ainsi que la nature de la maladie. 4. Le choc du spiritisme : En 1840-1850 aux Etats-Unis, se propage une rumeur au sujet de la famille Fox et de sa maison, hantée par les esprits de personnes décédées qui suivent partout les vivants. S'ensuit une véritable contagion qui se propage d'abord en Angleterre et en Allemagne, puis en France (1853), et dans toute l'Europe occidentale. Des réunions de spiritisme s'organisent dans tous les pays. Les manifestations (écriture automatique, "parler en transe", esprits frappeurs, etc.) dépendent beaucoup de la personnalité des participants (certaines personnes empêchent les esprits de se manifester). Un grand nombre de médiums extraordinaires apparaissent alors. Il y a ensuite un lent déclin, suivi d'un discrédit du spiritisme. L'avènement du spiritisme joue un rôle capital dans l'histoire de la psychologie dynamique, en offrant indirectement aux psychologues et aux psychopathologistes de nouvelles méthodes d'investigation pour étudier l'esprit humain, et le moyen d'explorer l'inconscient.

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5. L'école de Nancy (1860-1880) : Ambroise Liébeault (1823-1904), médecin de campagne, en est le fondateur : malgré le discrédit jeté sur le magnétisme et l'hypnose, il ose y recourir pour soigner (le traitement par magnétisme étant gratuit alors que la médecine officielle est payante). Il est considéré comme un charlatan. Hippolyte Bernheim (1840-1919), Alsacien qui a fui l'occupation allemande en 1871, est à l'origine de sa célébrité. Il crée une nouvelle université à Nancy, qui vibre alors d'une vie nouvelle en raison des nombreux réfugiés alsaciens, et ne pratique l'hypnose que lorsqu'il estime avoir une chance de succès thérapeutique. Bernheim doit sa réputation à son adoption en 1882 de la méthode hypnotique de Liébault. En 1886 il publie "De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique". Une rivalité acharnée oppose Bernheim à Charcot (Ecole de Paris), qui a présenté une célèbre communication sur l'hypnotisme, où il soutient que l'hypnose est un état pathologique propre aux hystériques (théorie de l'hystérie à productions artificielles). Bernheim, qui révèle au même moment les travaux de Liébeault, prend le contre-pied (et dénie la théorie de l'hystérie) en définissant "la suggestibilité comme aptitude à transformer une idée en acte". Il est un des premiers à abandonner l’hypnose pour la suggestion à l’état de veille qu’il nomme "psychothérapie". Freud, qui fut pour quelques semaines son élève en 1889, fut impressionné par son affirmation que l'amnésie post-hypnotique n'était que partielle (en se concentrant, le malade parvenait à se souvenir de ce qu'il avait éprouvé pendant l'hypnose). Freud appliquera sa technique jusqu’en 1893 dans ses premières approches de l’hystérie et traduira son ouvrage en allemand. Les principales autres œuvres de Bernheim sont "De la suggestion dans l’état hypnotique et dans l’état de veille" (1884), "Hypnotisme, suggestion, psychothérapie" et "Etudes nouvelles" (1891). 6. Jean-Martin Charcot (1825-1893) et l'Ecole de la Salpêtrière : Charcot est venu tardivement à l'étude des phénomènes psychiques mais, personnalité puissante, il organise fermement sous sa direction l'Ecole de la Salpêtrière. Il est considéré comme le plus grand neurologue de son temps et s'entoure d'une équipe de collaborateurs qualifiés. Des dossiers médicaux détaillés sont rédigés, ainsi que des rapports d'autopsies. Des laboratoires se spécialisent dans l'étude des épilepsies et des hystéries, en essayant de les différencier dans un souci constant de description des symptômes. Charcot étudie l' "hypnose scientifique" qu'il fait accepter par l'Académie des Sciences (qui l'avait déjà rejetée à trois reprises). Ses cours magistraux et ses présentations de malades ont un effet "enchanteur", mais il a aussi ses détracteurs. Admiré en tant que neurologue, il est parfois traité de charlatan quand il s'aventure sur le terrain de l'hypnose et mène ses études spectaculaires sur l'hystérie. Pour lui, l'hypnotisme est la voie royale vers l'exploration de l'inconscient. Il mène également de nombreuses études sur les personnalités multiples, simultanées ou successives, mutuellement conscientes ou amnésiques l'une de l'autre, et sur les agglomérations de personnalités et fait surtout une théorie de l'hystérie. 7. Perspective historique et sociale : Historiquement, la psychothérapie dynamique moderne émane de la médecine primitive et l'on pourrait montrer une évolution : - de l'exorcisme au magnétisme, - du magnétisme à l'hypnotisme, - de l'hypnotisme aux écoles de psychothérapie dynamique moderne. Cependant, cette évolution historique est très liée à l'évolution de la société en Europe occidentale.

A la fin du XVIIIe siècle, les populations européennes étaient réparties en classes sociales rigides qui

distinguaient nettement la Noblesse et le Peuple (En France : Noblesse, Clergé et Tiers-Etat). Ceci explique les différences entre Mesmer et Puységur :

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- Appelé à traiter des dames distinguées, aristocratiques, Mesmer déclenchait ses célèbres crises, qui n’étaient que des "abréactions" de la névrose à la mode dans ce milieu (les "vapeurs"). Le baquet de Mesmer faisait appel au goût de l’aristocratie pour la physique d’amateur. - En traitant des paysans, Puységur aboutissait au sommeil magnétique, équivalent d’une relation autorité / subordination entre un maître (aristocrate) et un serviteur (paysan). L’ "arbre magnétisé" de Puységur évoquait le folklore paysan (arbres sacrés des croyances populaires). La montée de la bourgeoisie au XIXe siècle aboutit à une forme de psychologie individuelle et collective plus autoritaire, la suggestion hypnotique. La révolution industrielle, la montée du prolétariat et celle des nationalismes aboutirent à deux nouvelles doctrines, le darwinisme et le marxisme. Ces transformations marquent l'évolution des maladies mentales.

Deux manifestations nouvelles de névrose apparaissent et passent au premier plan : la neurasthénie et les phobies, ce qui conduit à l’émergence d’une psychiatrie dynamique (c'est-à-dire sans lésion connue) s'opposant à la psychiatrie fonctionnelle (organique). Les idées et les émotions sont alors perçues comme des expressions de phénomènes dynamogènes ou inhibiteurs, se rapportant aux notions d'inhibition ou de régression.

Parallèlement, l'étude des rêves (1880-1900) se développe. Le Romantisme leur apportait déjà beaucoup d'importance, en insistant sur le processus créateur dont ils témoignent. Le processus onirique sous-jacent ne se révèle à la conscience qu'à travers les rêves nocturnes. C'est peu avant cette époque que paraissent les travaux de trois grands pionniers de l’exploration des rêves : Scherner (La vie du rêve, 1861 ; Freud s'y référera), Haury (Le sommeil et les rêves, 1861) et Hervey de Saint-Denys (Les rêves et le moyen de les diriger, 1867) qui joueront un rôle fondamental dans l’élaboration ultérieure des théories du rêve de Freud et de Jung.

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Chapitre IV : L'exploration de l'Inconscient. Durant les dernières décennies du XIXe siècle, la notion psychique d'inconscient est peu à peu admise, ainsi que l'existence d'une vie mentale inconsciente. D'où une quête de preuves par les psychologues.

1. Les courants philosophiques : - Emmanuel Kant (1724-1804) qui distinguait entre les phénomènes et les noumènes (choses en soi), semble avoir eu l’intuition d’une partie inconsciente de l’esprit humain. - Arthur Schopenhauer (1788-1860). Son principal ouvrage : "Le monde comme volonté et comme représentation" (1819) ne connut le succès qu'en 1880. Schopenhauer, qui ne fut célèbre qu'à partir de 1850, fut le maître à penser de Wagner et de Nietzsche. Se distinguant par rapport à Kant, Schopenhauer distingue la représentation et la volonté (identifiant la volonté à l'inconscient tel que le concevaient les romantiques (avec le caractère dynamique des forces aveugles). La volonté ne se contente pas de mouvoir l'univers, elle meut aussi l'homme qui est un être irrationnel, dirigé de l'intérieur par des forces qu'il ignore et dont il a à peine conscience. La conscience est par rapport à l'inconscient comme la surface du globe terrestre par rapport à son intérieur, qui nous est inconnu. Ces forces irrationnelles comprennent deux instincts (subterfuges de la Volonté au service de la Génération) : - l'instinct de conservation, - l'instinct sexuel (de loin le plus important). Ce dernier est la plus haute affirmation de la vie et la plus grande préoccupation de l'homme. Quand elle entre en conflit avec lui, aucune autre motivation ne peut être assurée de la victoire. "Il est une illusion de l'individu qui pense agir pour son propre avantage, alors qu'il ne fait qu'accompagner le dessein de l'espèce". La volonté (= inconscient) conduit nos pensées et est l'adversaire inavoué de l'intellect : elle peut contraindre l'homme à éviter les pensées qui lui seraient déplaisantes (= refoulement). "L'opposition mise par la Volonté à laisser ce qu'elle abhorre arriver à la connaissance de l'intellect constitue le point faible à travers lequel la folie peut faire irruption dans l'Esprit". - Théodor Lipps (1851-1914), philosophe allemand, est le premier, antérieurement à Freud, a avoir reconnu l'inconscient comme concept fondateur de la psychologie, en lui donnant un cadre scientifique positiviste. Il considérait la psychologie comme la base de la philosophie, et en excluait la métaphysique. - Karl Robert Eduard Von Hartmann (1842-1906). Les spéculations et les découvertes de la psychologie romantique allemande atteignent leur apogée avec sa Psychologie de l'Inconscient (1869). L'Inconscient de Hartmann se présente comme un dynamisme hautement intelligent quoique aveugle, sous-jacent à l'univers visible. Il se décompose en trois niveaux : - L'inconscient absolu, essence même de l'univers. - L'Inconscient physiologique dans l'origine, le développement et l'évolution des êtres vivants, y compris l'Homme. - L'inconscient relatif à la psychologie, qui est l'origine de notre vie mentale consciente. Dans une grande richesse d'arguments, Hartmann a réuni un grand nombre de données pertinentes relatives à la perception, l'association des idées, les jeux d'esprit, la vie affective, l'instinct, les traits de personnalité, la destinée personnelle, ainsi que sur le rôle de l'Inconscient dans la langue, la religion, l'histoire et la vie en société. - Thomas Mann (1875-1955), parmi les écrivains du début du XXe siècle, est profondément marqué par la métaphysique de Schopenhauer. Il lui semble que la description freudienne du Moi et du Surmoi ressemble "à un cheveu près" à celle que donne Schopenhauer de la Volonté et de l'Intellect après transposition de la

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métaphysique à la psychologie, la psychologie des rêves, la grande importance accordée à la sexualité et tout ce système de pensée constituant "une anticipation psychologique des conceptions analytiques à un degré tout à fait étonnant". Cependant, Freud considérait l'instinct sexuel en lui-même, ne parlant que rarement de la procréation. On peut faire un parallèle entre ces deux personnalités ayant une secrète affinité, une attitude commune de réaction contre la société bourgeoise contemporaine et qui, pour des raisons différentes, étaient imprégnées de ressentiment.

2. L'approche expérimentale : Gustav Fechner (1801-1887). Fechner fut l’instigateur, en 1850, de la psychophysique, qui vise à rendre mesurables les phénomènes d’ordre psychologique. Il formula la loi de Weber-Fechner (la sensation varie comme le logarithme de l’excitation) utilisée en particulier en acoustique. Son approche – expérimentale – de l'inconscient se fait essentiellement par l'étude de la parapsychologie (pendule, hypnose, ...). Cependant, Freud (qui l’appelait "le grand Fechner") intégrera à sa métapsychologie plusieurs concepts dus à Fechner, en particulier les notions d’énergie mentale et de "topographie" de l’esprit, et les principes de plaisir-déplaisir, de constance et de répétition.

3. L'approche clinique est largement utilisée tout au long du XIXe siècle.

- Jules Héricourt répertorie parmi les manifestations quotidiennes de la vie inconsciente : - les habitudes, - les instincts, - les souvenirs oubliés, - les problèmes résolus durant le sommeil, - les sentiments inexplicables (par exemple : sympathie, antipathie, ...) Ces manifestations inconscientes se transforment en pensées et en sentiments que nous imaginons être les nôtres, mais même dans la vie quotidienne et diurne, notre esprit conscient reste soumis à notre inconscient. Les relations entre Conscient et Inconscient peuvent prendre trois formes : - la collaboration pacifique (inconscient = auxiliaire silencieux), - la brouille (l'inconscient s'organise en personnalité seconde), - la rébellion, qui entraîne des manifestations telles que les impulsions, les phobies, les obsessions, et même la folie (quand le conscient succombe à l'inconscient). - Jean-Martin Charcot (1825-1893) et Hyppolyte Bernheim (1840-1919) ont été cités dans le chapitre précédent (page 8). - Pierre Janet (1840-1919) publie en 1889 "L'automatisme psychologique", qui aura une influence considérable. Il est le point de jonction entre la première psychiatrie dynamique et les systèmes plus récents. Son œuvre est la principale source de Freud, d'Adler et de Jung. Entre Janet et les trois autres on peut distinguer une opposition entre l'Esprit des Lumières et le Romantisme. Entre 1901 et 1934, Janet donne chaque année un cours différent au Collège de France. Il est reconnu comme spécialiste des névroses lorsqu'il publie "Les médicamentations psychologiques" (1919), traité complet et systématique de psychothérapie (1100 pages), devenu depuis un peu obsolète. À sa mort, ses observations sur plus de 5000 malades (parmi lesquels deux sont restées célèbres : Léonie et Madeleine, dont il protégea l’identité par respect pour leurs parents) furent détruites selon ses vœux. L’influence de Janet sur Freud fut considérable. C'est lui qui a créé le mot subconscient. Certains voient une étroite parenté entre le concept de transfert de Freud et l'influence somnambulique et la suggestibilité de Janet (son outil thérapeutique). Dans "Formulation du double principe de la vie psychique", Freud se réfère à la fonction du réel de Janet en définissant un principe de réalité.La fonction de synthèse de Janet, élargie ultérieurement dans sa "Psychologie des tendances" et dans sa théorie de la construction de la personnalité, annonce le glissement de la Psychanalyse freudienne d'une psychologie de l'Inconscient vers une psychologie du Moi.

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- Joseph Breuer (1842-1925) est un médecin autrichien et clinicien remarquable, surtout connu pour sa rencontre avec Freud (1880) et sa collaboration suivie avec lui (1882-1895), inaugurée par la célèbre étude du cas Anna O., fondamentale aussi bien pour la compréhension psychopathologisque de l’hystérie que comme point de départ de la théorie de l’inconscient et de la méthode analytique, anticipée par Breuer sous le nom de "Méthode cathartique". Ils publient ensemble un article intitulé "Les mécanismes psychiques des phénomènes hystériques" (1893). Cependant, la théorie freudienne de l’étiologie sexuelle des névroses oppose Breuer à Freud et leur collaboration prend fin en 1895, l’année même où est publié le produit de leur travail théorique , "Etudes sur l'hystérie" (1895).

- Sigmund Freud (1856-1939) : fait l’objet du chapitre V.

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Deuxième Partie : Introduction à l'œuvre de Freud

et de ses successeurs

Chapitre V: Sigmund Freud et la Psychanalyse. Introduction :

70 ans après la mort de Freud, son œuvre va tomber dans le domaine public. C'est à partir de l'inconscient que Freud a construit sa métapsychologie, dans le cadre conceptuel de la clinique. Mais l'usage du terme "inconscient" est d'une grande hétérogénéité, et de plus, il est évolutif.

Quel chemin parcouru entre le travail autour du traumatisme sexuel, et le concept de çà, ouvert sur le corps par ses motions corporelles (actions de mouvoir, mouvements pulsionnels). L'inconscient, contrairement aux idées reçues, n'a pas été découvert par les psychanalystes. Ces derniers n'ignorent pas les contributions des philosophes (voir chapitre IV), même s'ils n'ont pas tellement conscience de leur dette envers eux. Ce concept est en évolution constante, même après Freud - Inconscient archaïque de Mélanie Klein, - Inconscient lacanien coupé de ses attaches corporelles (« structuré comme un langage »), alors que pour Freud, l'inconscient se pose comme médiation entre le corporel et le spirituel. Le génie de Freud s'inscrit très bien dans le mouvement des sciences de son époque : par exemple, Jackson travaille sur la stratification, la différenciation et la complexification croissante du système nerveux, aboutissant à la conclusion qu'il existe un contrôle dynamique des niveaux inférieurs par les niveaux supérieurs et qu'il y a régression pathologique quand ce contrôle est affecté. Freud va reprendre ce modèle dans sa métapsychologie, dont la cohérence interne ne s'est jamais démentie. En particulier la vision d’une stratification des niveaux de différenciation et de complexification du système nerveux. Le terme de psychanalyse ne s’applique qu’aux méthodes d’investigation et de traitement inventées par Sigmund Freud et aux théories qui en découlent. Les dissidents contemporains de Freud, tels que Adler et Jung, ont utilisé d’autres termes pour nommer leurs théories et leurs pratiques ("psychologie individuelle" pour Adler et "psychologie analytique" pour Jung). Dans la psychanalyse, Freud distingue trois aspects : 1) "Une méthode d’investigation de processus mentaux à peu près inaccessibles à toute autre méthode". 2) "Une technique de traitement des désordres névrotiques basée sur cette méthode d’investigation". 3) "Un corps de savoir psychologique dont l’accumulation tend à la formation d’une nouvelle discipline scientifique" (1922). La psychanalyse a vu le jour à la fin du XIXe siècle, les années précédentes ayant été très riches pour la médecine psychologique, ces avancées ayant facilité son avènement. Pour résumer : - de 1880 à 1890, on note un intérêt particulier pour les névroses et en particulier pour l’hystérie, - l’hypnose est utilisée comme moyen d’investigation, - l’action pathogène des souvenirs inconscients d’événements traumatiques est mise en évidence, - les actions thérapeutiques utilisées sont l’hypnose, la suggestion et la catharsis.

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1. 1856-1896:

Sigmund Freud est né en 1856 en Moravie (qui faisait alors partie de l’Autriche), à Příbor, (République tchèque), dans une famille juive ouverte à la philosophie des lumières. Après plusieurs déménagements, sa famille s’installe à Vienne en 1860. Freud y restera jusqu’à son exil forcé à Londres en 1938. Il se passionne pour la biologie darwinienne et la civilisation grecque, mais s’inscrit à la faculté de médecine. Il obtient son diplôme en 1881 avec 3 ans de retard sur le cursus normal de l’époque. Il renonce à la recherche (en histologie), se forme en chirurgie puis en psychiatrie à partir de 1883. Il étudie à Paris auprès de Charcot (1885-1886), puis la pédiatrie à Berlin. Il revient à Vienne en 1886 pour se marier et ouvrir un cabinet privé. Une communication qu’il fait en octobre 1886 sur l’hystérie masculine provoque une polémique à la Société des médecins de Vienne, dont il devient cependant membre en 1887. C’est la même année qu’il fait la rencontre de Wilhelm Fliess, médecin berlinois, avec qui il commence une correspondance scientifique et amicale qui durera jusqu’en 1902 et sera le support de son auto-analyse. En 1893, Freud présente son premier travail sur "Le mécanisme psychique des phénomènes hystériques". En 1895, il publie avec Joseph Breuer (voir page 11) les "Etudes sur l’hystérie" : au moyen de l’ hypnose, ils montrent que les symptômes hystériques prennent leur source dans des perturbations émotionnelles appartenant au passé, et qui peuvent être complètement exclues de la conscience. 2. Période 1896-1899 :

La mort de son père touche Freud douloureusement en 1896, et ouvre pour lui une période intense d’auto-analyse mêlée de dépression et de névrose, qu’Ellenberger appellera sa "maladie créatrice". C’est en effet également une période de travail intense au cours de laquelle il élabore les bases de la psychanalyse. Freud n’est pas un adepte de l’hypnose qu’il juge insuffisamment scientifique et inaccessible à certains patients. Il lui préfère vite une autre méthode, la suggestion à l’état de veille. Cette méthode lui permet de mettre à jour l’importance de la résistance du malade. Pour que le patient puisse guérir, il faut arriver à supprimer cette résistance, appelée refoulement, fondée sur la défense du patient contre des tendances "critiquables" (culpabilité). Ainsi voit le jour la technique permettant au patient d’abandonner toute attitude critique, et d’interpréter le matériel comme il se présente. La règle fondamentale de la "libre association" s’impose à Freud : tout exprimer, même ce qui paraît désagréable, absurde, superficiel ou sans relation avec le sujet, permet la libération des affects refoulés. C’est à l’interprétation de ce matériel, à la fois procédé d’investigation et de traitement, que Freud donne le nom de psychanalyse. La découverte de l’importance du transfert compléte les bases dont les prémices se trouvent déjà dans les "Etudes sur l’hystérie" : « Le patient se conduit envers le psychanalyste comme il s’est conduit dans son enfance par rapport à des personnes de son entourage. [Ainsi] l’observation du présent mettait l’observateur sur la voie du passé ». En parallèle, le patient est amené à reconnaître, à apprivoiser des émotions qu’il n’avait pas maîtrisées dans le passé et dont il n’avait pu se défendre qu’en les refoulant dans l’inconscient. 3. Période 1899-1905 :

Durant cette période, Freud est l’unique pionnier de la psychanalyse. Il publie "L’interprétation des rêves" (1899), "Psychopathologie de la vie quotidienne" (1901), "Trois essais sur la sexualité" (1905) et "Le mot d’esprit et sa relation avec l’inconscient" (1905). Ces observations prennent place dans une vue d’ensemble de la vie mentale sur la base d’une dualité des pulsions sexuelles visant à la conservation de l’espèce et celle de l’individu. « L’appareil psychique a pour fonction de réduire les tensions déplaisantes, soit par leur décharge, soit par un processus intrapsychique de défense et de refoulement » Le conscient n’est perçu que comme la partie émergente de l’iceberg, l’appareil psychique étant inconscient dans sa majeure partie. Les parties refoulées dans l’inconscient tentent de se réactualiser, par exemple dans les rêves ou les symptômes névrotiques. Elles ont été refoulées dans la petite enfance, au cours du développement de la sexualité infantile , c'est-à-dire dès la naissance et jusqu’à l’âge de 3 à 5 ans, le point culminant étant pour Freud l’apparition du complexe d’Œdipe.

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4. Période 1905-1920 :

Les "Trois essais sur la sexualité" (1905) inaugurent une étape nouvelle dans l’élaboration de la psychanalyse et la psychopathologie est revue par Freud en fonction de l’organisation de la sexualité et des mouvements intrapsychiques que Freud dégage et analyse à la lumière du concept de pulsion.La pulsion occupera une place centrale et l’essentiel de la psychanalyse sera fondé sur la théorie des pulsions que Freud ne cessera d’approfondir : il publiera même une deuxième théorie des pulsions. Freud définit la pulsion (processus dynamique faisant tendre l’organisme vers un but) par : - sa source, qui la relie au fonctionnement corporel au sens large, - sa poussée (mesurant la quantité d’excitation mise en jeu, d’un point de vue économique), - son but, qui est d’amener la satisfaction et d’abaisser le niveau d’excitation (dont la montée est cause de déplaisir), - son objet, qui pour Freud est sexuel. La pulsion sexuelle va de l’auto-érotisme à l’amour d’objet et passe par l’autonomie des zones érogènes et leur subordination au primat des organes génitaux. L’énergie permettant la transformation des pulsions sexuelles quant à leur objet ou à leur but est appelée libido (terme introduit par Freud dès 1894, mais dont il élargira le champ. Jung ira même jusqu’à en faire un synonyme d’"énergie psychique" en général). Il introduit par ailleurs le concept des fantasmes originaires, formations fantasmatiques issues de l’observation des relations sexuelles des parents, de la séduction, de la castration … À ces trois fantasmes de "scène primitive" (L’homme aux loups), de séduction et de castration (Le petit Hans) peuvent être ajoutés deux autres : l’idée "d’être un enfant trouvé" (au cœur du roman familial des névrosés) et celui du "retour au ventre maternel" (L’homme aux loups). Pour Freud, ces fantasmes ont un caractère universel (fantasmes originaires de l’identité) : « ils possèdent une réalité psychique qui s’oppose à la réalité matérielle », et dans la névrose, « c’est la réalité psychique qui est déterminante ». Le texte "Un enfant est battu" illustre le degré de développement atteint en 1919 par la psychanalyse, inconcevable sans la théorie des pulsions. Il n’a pas été rattaché par Freud aux fantasmes originaires. Ce fantasme est étroitement lié à des sentiments de plaisir : 1. Le père bat un enfant haï par moi, donc le père n’aime que moi, ce qui implique déjà un choix d’objet sexuel (amour incestueux : premier temps du fantasme œdipien) : ce fantasme est conscient. 2. Le refoulement intervient : il est issu de la culpabilité. La conscience de la culpabilité explique la transformation souterraine du fantasme dans sa deuxième phase (inconsciente) : "Je suis battu par mon père" (renversement du triomphe). 3. La punition est la conséquence du renversement du plaisir triomphant ("il n’aime que moi" transformé en "non, il ne m’aime pas, car il me bat"). Il s’agit donc d’un fantasme masochiste teinté de plaisir qui peut se décliner ainsi : l’amour incestueux est à la fois refoulé ("il ne m’aime pas") et puni ("il me bat"). Freud est déjà sur le terrain du complexe d’Œdipe. Il est suivi par la période de latence (abandon du désir oedipien et refoulement sexuel) qui laisse la place à l’activité psychique (que la sexualité continue cependant d’organiser). Freud reconnaît une valeur organisatrice aux fantasmes originaires, qu’ils renvoient ou non à des expériences vécues. La métapsychologie de Freud s’appuie sur la notion essentielle de pulsion : il s’agit de décrire l’inconscient, inaccessible à l’observation directe. Elle offre trois aspects : 1) La topique (point de vue théorique séparant l’appareil psychique en un certain nombre de systèmes ayant des fonctions différentes) : - Première topique : conscient, l’ inconscient et préconscient (non conscient, mais séparé de l’inconscient par une censure qui le transforme) - Deuxième topique (1920) : Ça (pôle pulsionnel), Moi (médiateur équilibrant les pulsions et les contraintes de la morale et de la société) et Surmoi (héritier du complexe d’Œdipe, équivalent à la conscience morale). 2) La dynamique qui prend en considération le jeu des représentations des instances les unes par rapport aux autres. 3) L’économique qui prend en compte les quantités d’énergie psychique ou d’excitation mises en jeu dans les différents mouvements du psychisme.

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5. Période 1920-1939 :

L’article "Au-delà du principe de plaisir" (1920), où Freud introduit pour la première fois l’hypothèse de pulsions de mort (tendant à la réduction des tensions et ramenant l’être vivant à l’état "anorganique") est cependant dans le prolongement de ses travaux précédents (en particulier "Pour introduire le Narcissisme"). On y trouve les prémices de ses dernières œuvres, notamment "Le Moi et le Ça". Freud postule le primat du principe de plaisir. Relayé par le principe de réalité (qui implique le renoncement à la satisfaction, ou son ajournement), le plaisir reste cependant le but à atteindre. Le déplaisir peut être le résultat d’un conflit intrapsychique : ce qui est plaisir pour une instance (par ex. le Ça) peut être déplaisir pour une autre (par ex. le Surmoi) ou vice-versa. Si le postulat fondamental de conflit psychique est reconnu, des désaccords interviennent « sur la nature des éléments en conflit, des modalités de celui-ci, et de ses conséquences ». « Freud postule théoriquement un conflit originel fondamental, mettant en jeu les formes les plus primitives de l’activité psychique ». Il y a d’un côté le conflit sexualité / autoconservation et de l’autre le conflit pulsion de vie / pulsion de mort (ou Eros / Thanatos), la pulsion de vie recouvrant aussi bien la sexualité que l’auto-conservation. Ces deux théories du conflit ne se remplacent pas l’une l’autre, mais se complètent. La seconde vient « rééquilibrer la première : le moment intermédiaire passe par les élaborations nouvelles proposées dans l’article "Pour introduire le Narcissisme" ». Les pulsions sexuelles font alors partie des instincts de vie, pour la conservation de l’espèce et de l’individu. Le masochisme primaire est compris en tant que conséquence de l’instinct de mort (retour à l’inanimé), alors que l’agressivité est secondaire, s’adressant à l’objet provocateur d’une excitation qui contrarie le "principe de Nirvânâ" (tendance à la réduction maximale du désir pour atteindre la quiétude). Les deux pulsions antagonistes Eros (pulsion de vie) et Thanatos (pulsion de mort) sont ainsi toujours étroitement intriquées. Freud ne parle plus alors de pulsions sexuelles, mais de « fonction sexuelle comme moyen de connaître Eros », et l’autodestruction devient pour Freud l’expression fondamentale de la pulsion de mort. La dernière grande œuvre théorique de Freud, "Le Moi et le Ça", développe la deuxième topique : 1) Le Ça (terme emprunté à Groddeck, mais déjà présent chez Nietzsche), pôle pulsionnel de la personnalité, est inconscient, héréditaire, inné pour une part et pour l’autre acquis et refoulé. Cette instance contre laquelle s’exerce la défense n’est plus définie comme pôle inconscient, mais comme pôle pulsionnel de la personnalité. - C’est un réservoir d’énergie psychique (point de vue économique). - Il entre en conflit avec le Moi et le Surmoi qui, d’un point de vue génétique en sont des différenciations. - Il est le lieu de la Folie et de la démesure. 2) Le Surmoi (ou "idéal du moi") est une structure englobante assurant trois fonctions : l’auto-observation, la conscience morale et l’Idéal. - Il emprunte son énergie au Ça et sa formation résulte du complexe d’Œdipe. - Il est inconscient, et sa répression du Ça s’exerce par l’intermédiaire du Moi et du Narcissisme. - Le Ça tend à exclure le Surmoi et vice-versa. - Le narcissisme du Moi exige la satisfaction de la pulsion (l’idéal du moi a ses exigences narcissiques). 3) Le Moi se distingue du Ça et du Surmoi : il assure une fonction d’adaptation. - Il dépend à la fois des revendications du Ça, des impératifs du Surmoi, et des exigences de la réalité. - Il a une fonction de médiateur : dans une perspective dynamique il représente les conflits névrotiques, le pôle défensif de la personnalité, et dans une perspective économique il est un facteur de liaison entre les processus psychiques.

Au niveau des symptômes, la théorie s’enrichit des concepts d’angoisse et de défense. En pratique, la conception du transfert est remise en question : il prend un sens plus précis, il est toujours répétitif, mais à travers lui, l’analyste « devient un allié du Moi ». Le but de l’analyse n’est plus de rendre conscient ce qui était inconscient, mais de restituer au Moi sa force et sa fonction de maîtrise. L’angoisse devient un signal-symptôme se manifestant au niveau du Moi quand la satisfaction pulsionnelle est menacée par l’extérieur.

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Elle est liée à la menace de la perte de l’objet (donc à la castration). Elle est aussi liée à la culpabilité et à la menace de perte d’amour.

Freud dégage alors le concept de mécanisme de défense du Moi, reléguant au second plan les notions de résistance et de refoulement. Concernant la théorie du rêve et le symptôme, la première topique paraissait mieux adaptée parce que plus applicable au discours associatif. Cependant, le concept de Surmoi rend la théorie plus cohérente et plus "morale".

Les dernières œuvres de Freud appliquent ses thèses métapsychiques à l’ensemble de l’humanité :

"Totem et tabou" (1912), "Psychologie des foules et analyse du Moi" (1921), "L’avenir d’une illusion" (1927, sur le phénomène religieux), "Malaise dans la civilisation" (1929), "Pourquoi la guerre ?" (1933) et "Moïse et le monothéisme" (1939). Tous ces textes ont pour but de prouver que le destin de l’individu est inséparable de celui de la communauté dont il fait partie, et les derniers introduisent le concept de "meurtre du père primitif". L’être humain est à la fois pulsionnel et social.

Pour Freud dans "Malaise dans la civilisation" (1929), la culpabilité est « le lieu où se nouent la haine et l’amour, ce qui en fait le moteur de la civilisation ». « Quelle est la finalité de la vie ? C’est l’aspiration au bonheur », mais « le destin que l’Homme soit heureux n’est pas compris dans le dessein de la création ». Freud pense que le développement de la civilisation est du même type que la genèse du Moi chez l’individu. De même que l’individu est en conflit avec lui-même (sa condition somatique), avec avec ses semblables et avec l’environnement naturel, la civilisation ne se bâtit que dans des conflits entre les hommes, entre les peuples, et contre la nature. « Les hommes ne peuvent ni supporter la civilisation, ni s’en passer. Il leur faut être ensemble/séparément » (Ruth Menahem).

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Chapitre VI : Autres aspects théoriques de l’Inconscient au XXe siècle . Ce chapitre se limite volontairement à la première moitié du XXe siècle, c'est-à-dire aux contemporains de Freud (représentés principalement par Alfred Adler et Carl-Gustav Jung). Bien entendu, le concept d’inconscient, que ce soit en psychanalyse ou dans l’approche par les neurosciences, est resté par la suite au centre de beaucoup d’études et de controverses qui pourraient faire l’objet d’un ou plusieurs nouveaux chapitres… Cependant, pour la période postérieure à la seconde guerre mondiale, seule sera considérée ici l’ouverture spécifique vers la psychanalyse des enfants, qui repose essentiellement sur Anna Freud, Mélanie Klein et Donald Winnicott.

1. Alfred Adler (1870-1937), viennois comme Freud, s’affronta souvent à lui et trouva sa propre voie dans une opposition portant sur de nombreux points : - De façon générale, sa philosophie est optimiste alors que Freud est pessimiste. - Il considère l’individu comme une unité indivisible, en opposition avec les "instances" de Freud. - Alors que pour Freud, le moi - opprimé par le surmoi et menacé par la civilisation – se crée des défenses pour éviter, si possible, le passage à l’acte, pour Adler l’individu est porté à commettre des actes agressifs contre la société et se retranche derrière des "barricades" en cas d’échec. - Pour Freud l’enfant a un sentiment de toute-puissance, alors qu’Adler lui attribue un sentiment d’infériorité. - Dans la sexualité, Freud donne une importance fondamentale à la libido (ses fixations, ses régressions), alors qu’Adler lie le comportement sexuel à la volonté de puissance. - Le complexe d’Œdipe est au centre relations de l’enfant avec son père et sa mère, alors qu’Adler insiste sur les relations à l’intérieur de la fratrie. - Pour Freud, la femme souffre d’un sentiment d’infériorité ("envie du pénis"), alors que pour Adler, c’est l’homme qui souffre d’un sentiment d’infériorité (sa puissance sexuelle étant plus limitée que celle de la femme). - La névrose qui pour Freud est une conséquence inévitable de la civilisation, inhérente à la condition humaine, est pour Adler une ruse de l’individu pour échapper à ses obligations envers la communauté. - La première guerre mondiale pousse Freud à développer le concept d’"instinct de mort" et Adler celui de "sentiment communautaire". - Enfin, dans la cure psychanalytique freudienne, le patient est étendu sur un divan et n’a pas l’analyste dans son champ de vision, alors que dans la psychothérapie adlérienne, le patient et le thérapeute sont assis face à face.

2. Carl-Gustav Jung (1875-1961) passa toute sa vie dans sa Suisse natale, avec cependant de nombreux voyages en Europe, en Amérique du Nord, en Afrique et en Inde.

Elève de Janet à Paris, puis psychiatre à l’hôpital du Burghölzli à Bâle (dirigé alors par Bleuler), il découvre Freud en 1906 et après une rencontre avec lui en 1907 devint un passionné de la psychanalyse (qu’il préférait appeler psychologie analytique ou "psychologie des profondeurs"). Une collaboration s’établit entre Freud, Bleuler et Jung, qui quitta l’hôpital pour s’occuper de sa clientèle privée à Küsnacht, près de Zürich. Mais Jung n’accepta jamais le la théorie du complexe d’Œdipe et reprocha à Freud son autoritarisme : il rompit avec lui en 1913.

Jung fit entre 1910 et 1913 une expérience analogue à l’auto-analyse de Freud, qui le conduisit aux concepts d’archétype et d’inconscient collectif. Il vécut l’inconscient comme une "anima" (sous-personnalité féminine autonome) et se trouva engagé dans un processus qu’il nomma "individuation", conduisant l’individu à la "découverte du soi". C’est sur ces bases qu’il mit au point sa méthode thérapeutique.

Dans les années vingt, il s’intéressa aux civilisations non européennes et fit plusieurs voyages (en Afrique du Nord, chez les Indiens Pueblos du Nouveau-Mexique), et passa plusieurs mois dans une tribu africaine au Kenya (1926). Il s’intéressa également aux pratiques médiumniques et à l’alchimie. Les années trente le firent s’intéresser aux psychoses collectives. Ayant été président d’une association internationale de psychothérapie issue d’une association allemande, il fut cependant accusé de sympathie pour le nazisme, ce qui n’était probablement pas le cas.

Il passa les 15 dernières années de sa vie à soigner des patients en adaptant le plus possible le traitement à la personnalité de chacun, mais publia essentiellement des ouvrages relatifs à l’alchimie, l’ethnologie ou les symboles. Il participa secrètement à des expériences de parapsychologie.

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3. Ouverture vers la psychanalyse des enfants : - Anna Freud (1895-1982), fille de S. Freud, adapte la méthode de son père aux enfants et fonde à Londres la Clinique d’Hampstead (1938). Elle s’intéresse d’abord au développement de l’enfant en classant les troubles par rapport au déroulement "normal", étudie les modes de régression et fait la différence entre les troubles pathologiques transitoires et permanents. Dans la relation mère/enfant, elle part du narcissisme primitif de l’enfant qui inclut la mère elle-même et étudie les mécanismes de la socialisation, fondés sur l’imitation (régulation des pulsions, permettant l’accès aux règles sociales), l’identification (désir de s’approprier les aspects désirables de l’adulte) et l’introjection (qui aboutit à la formation du Surmoi). Anna Freud donne une grande importance à l’environnement et considère que la plupart des conflits de l’enfant sont des conflits d’adaptation. Ceci la conduit à apporter cinq aménagements essentiels à la pratique psychanalytique : 1) Phase préparatoire (historique, anamnèse) et de motivation de l’enfant. 2)Interprétation des mécanismes de défense névrotique dès la première entrevue, afin de situer d’emblée l’enfant dans un espace analytique. 3) Interprétation des rêves, rêveries et dessins. 4) Dans le transfert, qui ne peut pas reproduire une situation déjà vécue, l’analyste ne peut rester neutre et jouera un rôle éducatif en tolérant la liberté d’expression (extériorisation du ça) et en servant à la fois de Surmoi et de Moi auxiliaire. 5) L’analyse, plus qu’une thérapeutique, a pour but une adaptation psychosociale de l’enfant. - Melanie Klein (1882-1960) : Née à Vienne, Melanie Klein a été marquée douloureusement par plusieurs deuils au cours de son enfance et de son adolescence. Mariée jeune (1903) et tout de suite mère de famille, elle n’achève pas ses études de médecine. Pour lutter contre la dépression, elle entreprend à Budapest une psychanalyse avec Sandor Ferenczi (qui parlera d’elle à Freud comme d’ « une certaine Mme le Dr Klein (pas médecin) … qui a fait de très bonnes observations sur les enfants ») et devient en 1919 une des premières femmes psychanalystes, membre de la Société Hongroise. À la suite de son divorce, elle s’installe à Berlin (1923) et entame une deuxième analyse avec Karl Abraham, avec qui elle collabore jusqu’à la mort de ce dernier. Elle travaille ensuite à Londres avec Ernest Jones à partir de 1927. Au fur et à mesure de son travail personnel, elle remanie certains concepts freudiens et c’est par son expérience clinique qu’elle met en place son propre système théorique, qui deviendra l’une des trois tendances de la Société Psychiatrique Britannique (freudienne, kleinienne, indépendante). Faisant sienne la seconde théorie des pulsions de Freud, elle en fait cependant une réélaboration. L’œuvre de Mélanie Klein est centrée sur le développement affectif du bébé dans sa première année et pose l’oralité comme moteur central de ce développement. Melanie Klein développe une technique psychanalytique appropriée au jeune enfant et fondée sur le jeu qu’elle considère comme l’équivalent chez lui des associations libres chez l’adulte losqu’il s’agit de mettre en actes les fantasmes et donc de manifester l’inconscient. Elle introduit le concept de "position", qui remplace celui de "stade"(chez Freud) et permet aux modalités du psychisme de se manifester tout au long de la vie. De son hypothèse d’un Moi précoce, elle déduit l’existence d’un œdipe archaïque vers l’âge d’un an. Parallèlement, elle constate, pour le tout jeune enfant, la prévalence des "objets fantasmatiques" qui sont plus important dans ses relations que les personnes réelles, et met l’accent sur l’importance du monde imaginaire (peuplé de "bons" et de "méchants"). Ceci l’amène à la notion de "clivage" (clivage des objets, puis du Moi) : « Cette impulsion au clivage coexiste dès le début de la vie avec une tendance croissante à l’intégration ». L’intégration du Moi se fait en plusieurs étapes : - Elle prend appui tout d’abord sur "l’introjection du bon objet" (qui est d’abord un objet partiel : le sein de la mère). Si cette introjection est accompagnée d’un sentiment suffisant de sécurité (dépendant d’un contact établi entre l’inconscient de la mère et celui de son enfant), elle constitue le noyau profond du Moi.

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- Cependant, même dans le cas de circonstances favorables, une angoisse persécutive apparaît et atteint son paroxysme vers le 3e mois où s’instaure la "position schizo-paranoïde", provenant du conflit entre pulsion de vie et pulsion de mort (Mélanie Klein fait siennes en 1932 les thèses tardives de Freud sur l’instinct de vie et l’instinct de mort ; un - Vers le 4e mois s’installe la "position dépressive" : Le bébé acquiert progressivement le sentiment de son unité et peut établir des relations avec sa mère comme objet total. Mais la confrontation avec sa dépendance totale vis-à-vis de sa mère, ainsi que la jalousie à l’égard des autres le conduit à une profonde détresse. - L’intégration du Moi (qui n’est jamais complète ni permanente) va de pair avec celle de l’objet, et se fait par la réduction progressive des clivages. Des angoisses subsistent, liées à l’ambivalence (crainte de destruction par un mauvais objet et culpabilité d’avoir peut-être perdu le bon objet initial en raison de sa capacité de destruction). - Le sentiment de dépression mobilise le désir de réparer les objets détruits, de leur redonner vie et intégrité. Le bébé découvrant les moyens d’accéder à la réalité extérieure découvre et différencie l’amour et la haine. - Après un surmoi archaïque (responsable de tout ce que l’enfant vit comme désagréable) apparaît le véritable Surmoi (au sens de Freud) qui se développe à partir de l’"objet idéal" auquel le Moi aspire à s’identifier ("idéal du Moi"). Sur le plan technique, Mélanie Klein introduit le concept de "transfert négatif" [définition ?] et la notion de responsabilité de l’analyste dans le soulagement des souffrances psychiques (avec les seuls moyens analytiques de compréhension et d’interprétation du matériel de transfert). La personnification du jeu sert souvent d’appui projectif incarnant les figures changeantes du monde intérieur de l’enfant et révèle les mécanismes de défense. L’analyste, par ses interprétations [Rôle de l’interprétation ?], montre à l’enfant la valeur symbolique du jeu. Contrairement à ce que développe Anna Freud, l’enfant est capable de transfert très jeune, de sorte que l’analyste ne joue pas un rôle éducatif : il y a même antinomie entre psychanalyse et pédagogie. - Donald Winnicott (1896-1971) : D’une enfance en Angleterre, dans un foyer stable et affectueux, avant la première guerre mondiale, il a gardé un optimisme fondamental (« pour tout individu, la vie peut être créative et intéressante »). Il n’acceptera jamais l’explication freudienne de l’agressivité en termes d’instinct de mort. Winnicott poursuit des études de médecine pendant et après la première guerre mondiale. Passionné également de biologie (Darwin) et intéressé par toutes les autres sciences, lorsqu’il lit Freud au début des années vingt, il voit dans la psychanalyse un pont entre la médecine et la biologie, permettant d’aller au-delà de la psychologie "objective" : « Pour faire de la recherche, il faut avoir des idées. Il y a une orientation subjective dans l’investigation. L’objectivité arrive plus tard grâce au travail planifié et grâce à la comparaison des observations faites à partir de différents points de vue. » Comme Mélanie Klein, il utilise le jeu avec les enfants et développe la notion d’espace et d’objet "transitionnels". Il présente son travail comme complémentaire de celui de S. Freud et de M. Klein. Cinq concepts sont fondamentaux pour lui : 1) La "préoccupation maternelle primaire", état de la mère pendant la grossesse et les premières semaines de la vie du nourrisson, adéquation totale entre la mère et l’enfant qui fait que celui-ci ne perçoit ni danger ni menace et peut s’investir lui-même. 2) Le "holding", environnement stable capable de porter l’enfant physiquement et psychiquement. Il s’agit de quelque chose considéré comme naturel par la mère, qui comprend spontanément ce qui est bon pour son enfant. En étant "bonne" (dans la plupart des cas), la mère donne à l’enfant l’"illusion positive" de créer lui-même la réalité extérieure, ce qui lui permet d’émerger de la fusion en trois étapes : une dépendance absolue, suivie d’une dépendance relative (il relie le comportement de la mère à ses besoins), puis enfin d’une relative indépendance où il est capable de différer ("Halluciner le biberon pour patienter"). 3) L’ "espace potentiel ", entre sa réalité interne et la réalité extérieure distincte. Une des manifestation de cet espace est l’"objet transitionnel", première possession non-Moi de l’enfant, qu’il aime et maltraite à la fois, et qui sera délaissé quand il perdra sa signification affective. 4) L’agressivité : l’enfant commence par un stade de non-inquiétude et de cruauté qu’il doit vivre pleinement, sous peine de ne pas être capable d’aimer. Vient alors le stade du souci, de l’inquiétude (intégration du Moi), de la capacité de se sentir coupable ou d’avoir du chagrin.

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5) Le "self", début de l’intégration du « je », qui est une fonction d’adaptation aux événements extérieurs. Il doit être accepté par l’environnement (essentiellement la mère), sinon se développe un "faux self", personnalité d’emprunt (rôle, dissimulation) qui se soumet à l’environnement par peur de la désintégration, réaction qui peut aller jusqu’au repli autistique. Sur le plan thérapeutique, Winnicott utilise l’échange verbal, corporel (pour les bébés) et graphique (en particulier le "squiggle game" où le thérapeute dessine un gribouillis que l’enfant doit transformer pour en faire quelque chose, puis l’enfant gribouille et le thérapeute complète, le jeu permettant généralement d’atteindre les zones de conflit ou de détresse). D’après Winnicott, la cure classique n’est pas adaptée aux "faux self", qu’il faut laisser s’installer dans un état de dépendance vis-à-vis du thérapeute (comme celle du nourrisson envers sa mère. Ensuite seulement sera mis en place un "holding", pour restaurer la confiance et la réciprocité. L’analyste doit un jour ou l’autre confronter le patient avec ce qu’il craint le plus : un effondrement qui s’est en fait déjà produit, une "agonie primitive", que le transfert a pour but de lui faire éprouver en l’étayant suffisamment pour lui permettre de le supporter.

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Chapitre VII : Ce que l'inconscient freudien n'est pas. Parallèle et différences avec le concept d’inconscient dans les sciences cognitives (d’après l’article de Vassilis Kapsambelis dans L’inconscient freudien (sous la dir. De G. Bayle).

Après l’"inconscient freudien", le concept d’inconscient fait une nouvelle apparition : dans les neurosciences cognitives, que nous dénommerons "inconscient cognitif" afin de l’en démarquer.

1. L’inconscient freudien n’est pas le non-conscient : Freud insiste sur ce point tout au long de son œuvre. Les sciences cognitives tentent expérimentalement de mettre l’inconscient en évidence par le biais des perceptions subliminales, dont le sujet n’a pas conscience, mais dont il tient compte sans le savoir. Freud ne postule pas de définition de la conscience (y en a-t-il une pour lui ?), il ne parle que de "perception- conscience". Par exemple : jusqu’à un certain âge, l’enfant n’est pas en mesure d’expliciter la différence entre filles et garçons. Pourtant, l’expérience montre que la différence est bien perçue et donc fait partie du système "perception-conscience". Ce n’est que dans un deuxième temps que cette différence sera explicitée. Elle devient alors consciente selon les critères des sciences cognitives, à la suite de plusieurs opérations d’ordre inconscient et incluant une certaine temporalité. La définition même de la conscience est différente entre la psychanalyse et les sciences cognitives : manifestement seule une partie relativement limitée de la "perception-conscience" de Freud recoupe la conscience au sens cognitif du terme.

Pour Freud, une représentation n’est pas inconsciente, elle le devient, et en général dau terme d’un conflit intra-psychique. Elle n’aura d’ailleurs de cesse de revenir dans le conscient. L’inconscient freudien « est conçu dans le cadre d’un système essentiellement dynamique et conflictuel », à la différence de l’inconscient cognitif qui n’est qu’une simple absence de conscience.

2. Différence épistémologique : Les sciences cognitives s’intéressent à tout ce qui concerne le cerveau : aussi bien les représentations rendues inconscientes (au sens psychanalytique) que celles qui sont inconscientes parce qu’inactives ou inactivées, ne jouant pas de rôle particulier dans le travail psychique au moment étudié. Il n’est pas certain que Freud se soit intéressé au cerveau : il n’a fait qu’"importer" en psychologie quelques principes ou règles générales de la biologie. Ceci dans le but de fonder une métapsychologie en les faisant représenter par des concepts tels que les pulsions, l’investissement, la libido… Il s’intéresse à ce qui "s’active" ou reste "activement désactivé" plutôt qu’à l’organisation générale du cerveau, à ce qui est en mouvement ou en arrêt obligatoire (inhibition), à ce qui s’associe ou se dissocie. En bref, il s’intéresse à la vie psychique mais pas au cerveau. « Il ne confond pas l’édifice avec les personnages qui l’habitent, même s’il sait que les trajectoires de ces personnages sont en partie déterminées par l’édifice ».

3. L’inconscient freudien n’est pas concerné par une localisation cérébrale, cependant, l’inconscient freudien et celui des sciences cognitives ont tous deux besoin du concept de mémoire. En neurosciences, la mémoire est assez bien localisée (hippocampe), et ces régions cérébrales connaissent un développement différé dans le temps (après 2 ou 3 ans), d’où la tentation d’étayer les modèles psychanalytiques par des expériences précoces sans possibilité de représentation. Cependant, il est peu probable que la mémoire au sens psychanalytique du terme ait des points communs avec celle des sciences cognitives, car elle est en rapport direct avec la notion de temps, avec l’ambiguïté entre ce qui vit, ce qui revit et ce qui survit. En psychanalyse, point de mémoire sans remémoration ou reviviscence, donc sans un certain degré d’élaboration. Lorsque le psychanalyste pense avoir trouvé un souvenir, il ne le considère pas comme une « relique du passé, enfouie, puis exhumée intacte » mais comme une production du ici-et-maintenant, qui le « renseigne davantage sur la façon dont le passé se relie au présent et se transforme à travers cette reliaison ».

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4. Dans les deux approches, l’accès à l’inconscient se fait à travers la représentation verbale : Pour les sciences cognitives, les représentations verbales sont considérées comme une "donnée dure" du dispositif expérimental. Pour Freud, par contre, elles ne sont pas l’élément central de sa conception de l’inconscient : il leur pré-suppose des formations antérieures, des "représentations de choses" qui seraient les premières à peupler le psychisme humain. Mais ces dernières ne se réduisent pas aux impressions visuelles : elles englobent « les traces tactiles, olfactives, les impressions visuelles imprécises, les effets de posture, de tenue, en tant qu’apparitions d’un élément psychique issu d’un dehors (du corps, du monde dit extérieur) ».

5. « L’inconscient freudien n’est autre que la première représentation mentale de la motion pulsionnelle », inconcevable autrement qu’en termes de satisfaction, « le lieu psychique qui recueille toute la pression d’une vie pulsionnelle qui déterminera une vie psychique (…) sous la domination ininterrompue du principe de plaisir ». En effet, à partir de 1920, Freud, au-delà de l’inconscient, s’intéresse à la "motion pulsionnelle", s’interrogeant sur ce mouvement, biologique en dernière instance, et sur la façon dont celui-ci « cherche à se faire représenter dans un espace de l’organisme défini comme "psychisme" ».

6. L’inconscient freudien n’est pas "neutre", il est doté d’une certaine "intentionnalité". Pour les sciences cognitives, l’inconscient est compris comme « de grands enchaînements de représentations, déterminées de façon phylogénétique, qui construisent des automatismes autour de réactions de base : défense, survie, procréation, recherche de nourriture ». Freud, au début de son œuvre, fait toute une série d’hypothèses les pulsions qui serviraient de base à l’activité psychique qu’il découvre. Par exemple, ce qui l’intéresse, ce n’est pas que tous les humains mangent, mais que certains ne mangent pas (les anorexiques). « C’est de cette intentionnalité que nous parle l’inconscient freudien, à l’opposé de ce que peut découvrir et expliciter l’inconscient cognitif ».

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Deux vignettes cliniques Bibliographie (alphabétique) Dominique J. Arnoux – Melanie Klein - coll. "Psychanalystes d'aujourd'hui", Presses Universitaires de France (1997) Gérard Bayle (sous la direction de) – L'inconscient freudien / Recherche, écoute, métapsychologie – coll. "Monographies et débats de psychanalyse", Presses Universitaires de France (2010) Françoise Coblence – Sigmund Freud (1886-1897) – coll. "Psychanalystes d'aujourd'hui", Presses Universitaires de France (2000) Madeleine Davis, David Wallbridge – Winnicott, introduction à son œuvre – coll. "Bibliothèque de psychanalyse", Presses Universitaires de France (1992) Paul Denis – Sigmund Freud (1905-1920) – coll. "Psychanalystes d'aujourd'hui", Presses Universitaires de France (2000) Henri F. Ellenberger – Histoire de la découverte de l'inconscient – Ed. Fayard (2006) Sigmund Freud – Psychopathologie de la vie quotidienne – Petite Bibliothèque Payot (1971) Laurence Kahn – Sigmund Freud (1897-1904) – coll. "Psychanalystes d'aujourd'hui", Presses Universitaires de France (2000) Daniel Lagache – La psychanalyse – coll. "Que sais-je ?", Presses Universitaires de France (1971) Jean Laplanche et Jean-Baptiste Pontalis – Vocabulaire de la psychanalyse – "Bibliothèque de psychanalyse", Presses Universitaires de France (1971) Claude Le Guen – Le refoulement – coll. "Que sais-je ?", Presses Universitaires de France (1997) Claude Le Guen – Dictionnaire freudien – Presses Universitaires de France (2008) Ruth Menahem – Sigmund Freud (1920-1939) – coll. "Psychanalystes d'aujourd'hui", Presses Universitaires de France (2000) Alain de Mijolla et Sophie de Mijolla (sous la direction de) – Psychanalyse – coll. "Fondamental", Presses Universitaires de France (2008) Denys Ribas – Avancées freudiennes (textes réunis, 1954-2009) – Revue Française de Psychanalyse (Août 2010) Sites Internet : http://fr.wikipedia.org/ http://psychiatriinfirmiere.free.fr/