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Adrienne von Speyr et le sacrement de pénitence 1. Trois traits biographiques Adrierme von Speyr (1902-1967) n'étant pas une inconnue pour les lecteurs de la revue *, il suffira d'esquisser quelques traits de sa biographie qui sont en rapport plus ou moins étroit avec la confession. Le premier est sa volonté inflexible de devenir médecin. Fille d'un oculiste protestant de Baie qui exerça sa profession à La Chaux-de-Fonds, elle manifesta très tôt son sens du malade, apai- sant par sa présence les patients de son oncle. Après la mort prématurée de son père, elle décida, malgré l'opposition des siens, de devenir docteur en médecine afin de servir 'ainsi Dieu et le prochain dans toute la mesure de ses ressources. Le surcroît de travail qu'elle s'imposa en donnant des leçons particulières pour payer ses études et qu'aggravait l'hostilité de sa mère lui fit con- tracter une affection tuberculeuse qu'elle dut soigner deux ans durant. Elle garda toujours une santé fragile, malgré une extra- ordinaire vitalité 2 . Les dix dernières années de sa vie elle fut condamnée à une inaction de plus en plus pénible. Elle succomba après une agonie interminable. Cette femme qui avait voulu se vouer à l'exercice de la médecine pour soulager ceux qui souffrent connut d'expérience la souffrance. Et elle fut unie au Serviteur souffrant surtout par des « Passions » éprouvées les trois derniers jours de la Semaine Sainte 3 . Le second trait à relever est une disponibilité mariale qui n'atteignit son épanouissement que dans l'Eglise catholique. Une vision de la Vierge Marie dont elle fut gratifiée vers l'âge de quinze 1. Voir les recensions : 1951, 419, 670 ; 1953, 94 ; 1957, 891 ; 1973, 941 ; 1974, 428, 743 ; 1975, 659 ; 1977, 598 ; 1979, 789 ; 1980, 284 ; 1981, 128. 2. Sur tout ceci, lire Fragments autobiographiques, coll. Le Sycomore, Paris, Lethielleux ; Namur, Culture et Vérité, 1978. 3. Les journaux concernant ses expériences plus personnelles, surtout « Passions » et visions, significatives au point de vue théologique, viennent rïo cn-rf-.^T îi'nT'QC T^S/ITKÏC

von Balthasar, H.U. - Adrienne von Speyr et le sacrement de pénitence. 1985

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  • Adrienne von Speyret le sacrement de pnitence

    1. Trois traits biographiques

    Adrierme von Speyr (1902-1967) n'tant pas une inconnue pourles lecteurs de la revue *, il suffira d'esquisser quelques traits desa biographie qui sont en rapport plus ou moins troit avec laconfession. Le premier est sa volont inflexible de devenir mdecin.Fille d'un oculiste protestant de Baie qui exera sa profession LaChaux-de-Fonds, elle manifesta trs tt son sens du malade, apai-sant par sa prsence les patients de son oncle. Aprs la mortprmature de son pre, elle dcida, malgr l'opposition des siens,de devenir docteur en mdecine afin de servir 'ainsi Dieu et leprochain dans toute la mesure de ses ressources. Le surcrot detravail qu'elle s'imposa en donnant des leons particulires pourpayer ses tudes et qu'aggravait l'hostilit de sa mre lui fit con-tracter une affection tuberculeuse qu'elle dut soigner deux ansdurant. Elle garda toujours une sant fragile, malgr une extra-ordinaire vitalit2. Les dix dernires annes de sa vie elle futcondamne une inaction de plus en plus pnible. Elle succombaaprs une agonie interminable. Cette femme qui avait voulu sevouer l'exercice de la mdecine pour soulager ceux qui souffrentconnut d'exprience la souffrance. Et elle fut unie au Serviteursouffrant surtout par des Passions prouves les trois derniersjours de la Semaine Sainte3.

    Le second trait relever est une disponibilit mariale quin'atteignit son panouissement que dans l'Eglise catholique. Unevision de la Vierge Marie dont elle fut gratifie vers l'ge de quinze

    1. Voir les recensions : 1951, 419, 670 ; 1953, 94 ; 1957, 891 ; 1973,941 ; 1974, 428, 743 ; 1975, 659 ; 1977, 598 ; 1979, 789 ; 1980, 284 ;1981, 128.

    2. Sur tout ceci, lire Fragments autobiographiques, coll. Le Sycomore,Paris, Lethielleux ; Namur, Culture et Vrit, 1978.

    3. Les journaux concernant ses expriences plus personnelles, surtout Passions et visions, significatives au point de vue thologique, viennentro cn-rf-.^ T i'nT'QC T^S/ITKC

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    ans et qui lui laissa une plaie au cur4 lui donna le pressentimentqu'elle appartiendrait corps et me Dieu. Aussi prouva-t-elle,encore protestante, que son mariage avec son premier poux,qu'humainement elle aimait beaucoup, comportait quelque chosede faux, sans pourtant que se prsente alors une autre voie prendre. Aprs la mort de son mari, qu'elle avait prvue et quila peina profondment, elle se remaria, par compassion, avec unlve et successeur du disparu ; mais cette union ne fut pasconsomme.

    La disponibilit mariale, qui s'accomplit pour Adrienne dansl'Eglise catholique, est un des noms de l' attitude de confes-sion dont il va tre question.

    Le dernier trait que nous signalerons chez elle est sa recherchespirituelle : qute de la vrit dans une ouverture qui soit lamesure du Dieu toujours plus grand et un abandon incondition-nel la mission reue dans le Christ et l'Eglise. Cette qute de lavrit, dont fait partie celle de la confession, aboutit en 1940lorsqu'elle se convertit entre les mains de celui qui allait devenirson confesseur et directeur de conscience. Elle dcouvrit alorsdans la doctrine catholique qui lui tait enseigne ce qu'elle avaitdepuis toujours cherch et attendu. Elle reut une telle abon-dance de clarts sur les questions de foi, de thologie et de spiri-tualit (pour elle, les trois ne font qu'un) que les dictes, notespar son pre spirituel, remplissent quelque soixante volumes5.

    2. Charisme de prophtie

    Ces ouvrages se situent d'une manire originale dans l'histoirede la spiritualit catholique. Ils sont exempts de toute exagrationsentimentale ; ils sont, dans la profondeur de la contemplation,

    4. Fragments, p. 127.5. Outre l'ouvrage cit n. 2 et 4, mentionnons : L'exprience de la prire

    (puis), 1978 ; Parole de la Croix et Sacrement, 1979 ; La servante duSeigneur, 1980 : Le livre de l'obissance, 1980 ; La confession, 1981 ; Elie,1981 ; Jean : Le discours d'Adieu. Tome I, Mditations sur les chapitres13-14, 1982 ; Tome II, Mditations sur les chapitres 15-17, 1983 ; Troisfemmes devant le Seigneur, 1984 ; La Face du Pre, 1984. A paratre en1985 : Jean : Naissance de l'Eglise. Tome 1 (ch. 18-20) ; Tome II (ch. 21).Tous ces ouvrages appartiennent la mme collection Le Sycomore,Paris, Lethielleux ; Namur, Culture et Vrit ; en Belgique, ils sontdiffuss par H. Dessain, Lige. On peut se procurer ces ouvrages et tousrenseignements utiles auprs de l'Amiti Adrienne von Speyr, c/o ThierryDejond, rue de Bruxelles, 61, B-6000 Namur.

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    sobres, ralistes, objectifs, visant toujours le centre dogmatiqueet vitant les rptitions.

    Ils se distinguent par un charisme extraordinaire que possdaitleur auteur. Compris la manire de saint Paul et de saint Thomasd'Aquin, ce don reu de l'Esprit consiste non seulement pntrerdu regard les choses divines, mais savoir les exposer, toutesvastes et profondes qu'elles sont, en termes accessibles tous etd'une manire bnfique pour l'Eglise ".

    Il n'est pas de sujet dogmatique de la doctrine trinitaire l'eschatologie, en passant par la christologie, l'ecclsiologie, ladoctrine des sacrements et la vie chrtienne sur lesquelsAdrienne ne se soit exprime non seulement avec profondeur maisaussi, bien souvent, d'une faon neuve et utile au progrs de lathologie. Mais, pas plus que la vrit chrtienne ne peut se rduire un systme , parce que le Dieu toujours plus grand fait clatertout systme, la vue qu'Adrienne von Speyr eut du Mystre divinne saurait se ramener un ordre linaire, en dpit de la sobretransparence de ce qu'elle disait : la Trinit divine, qui pntreet dirige toutes choses, n'est accessible qu' travers l'immenserichesse des rencontres de Dieu avec le monde, avec le pch, avecla conversion, en passant par l'Incarnation, la Croix et la R-surrection de son Fils ainsi que par tous les aspects de l'existencechrtienne.

    Pour autant la thologie d'Adrienne est polycentrique . Danssa vision d'ensemble il existe certains points magntiques ordonnantautour d'eux divers aspects qui les rendent visibles en toute leurampleur. L'un de ces points est la confession. Ce n'est pas en vainque, encore enfant, puis tudiante et ensuite mdecin, elle avaitcherch avec une obstination particulire la communaut chrtiennedans laquelle la confession possderait sa figure vritable, conforme l'Evangile. Elle la cherchera ensuite dans les diffrentes sectes,dans les divers mouvements auxquels on s'agrge par un aveupublic des pchs, pour vivre dsormais une existence de converti . Elle la cherchera aussi prs de mdecins qui intro-duisent une confession dans leur mthode thrapeutique ; elletentera, souvent en vain, de se confesser d'autres personnes.

    6. C'est pourquoi le colloque qui sera organis sur sa doctrine ( Rome,du 27 au 29 septembre 1985, la suggestion du Pape) aura pour titre :

    A'^TnoTirit vnn STWITT t^. an Tmasinn fwp.14.sin.1p '

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    Ce qui lui a toujours manqu, elle ne le trouve qu' son entredans l'Eglise catholique : l'autorit confre par le Seigneur sesministres et les habilitant pardonner les pchs. La dcouvertede cette forme accomplie de la confession fut pour elle non seule-ment l'aboutissement de sa longue recherche, mais encore le pointde dpart d'une vision thologique d'une richesse inoue, quiatteint sa cristallisation centrale dans son livre La confession7(traduit en quatre langues) et se donne des expressions complmen-taires dans d'autres ouvrages.

    Ici nous n'analyserons pas ce livre en dtail. La varit dessujets traits dborderait le cadre d'un article. Nous laisseronsde ct ses notations concrtes touchant divers types de confession(confession de conversion, confession gnrale, confession dedvotion, etc.), les moments particuliers du droulement de laconfession, la personne du pnitent, le confesseur et son ministre,la vie de la confession. Nous retiendrons trois piliers quisoutiennent l'ensemble et dans lesquels deviennent videntes l'ori-ginalit et la solidit de la thologie d'Adrienne.

    3. L'attitude de confessionDans beaucoup de ses uvres on rencontre le terme, invent

    par elle, d' attitude de confession (Beichthaltung). Cetteattitude peut se dcrire comme une disposition habituelle s'ouvrirsans rserve, l o cette ouverture a un sens et rpond uneexigence. Cette disponibilit est trs proche de l' indiffrence ignatienne, laquelle est prte jouer cartes sur table avec Dieu,ou de qu'on lit en saint Jean : qui fait la vrit (a-lfheia :non cach) vient la lumire ( J n 3,21), ou encore de l'affirma-tion paulinienne : tout ce qui se manifeste est lumire (Ep J,14). De sorte que l'oppos de cette attitude, c'est--direle pch, est dfini comme mensonge (Jn 8,44).

    S'ouvrir n'est d'ailleurs pas une fin en soi, dans les relationsd'amour. Etre limpide l'un pour l'autre, cela signifie s'offrir rci-proquement avec tout ce qui est propre chacun. Aussi la raisonultime de l'attitude de confession peut-elle se situer dans la vietrinitaire de Dieu :

    Dieu se tient devant Dieu dans l'attitude qui lui est due. On peutla dsigner analogiquement comme attitude de confession parce que

    7. Cf. supra, note 6. Les chiffres entre parenthse dans notre textermivmant. nnv nan'aa i^a nat mivraua riana ua ^naAnu^fin Pw>nBi'Bo

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    Dieu s'y montre toi qu'il est et parce que de cette rvlation attenduepar Dieu lui-mme surgit la situation toujours nouvelle de la visionet de l'amour... Dieu en effet n'est pas un tre fig, il est vie ternellesans cesse jaillissante. Pour Dieu c'est une batitude de se dvoilerdevant Dieu. Joie de la communication rciproque qui comprendle fait de montrer et l'accueil de ce qui est montr (p. 21).

    De ce mystre trinitaire nous n'avons connaissance, il est vrai,qu' travers la parfaite attitude de confession du Fils incarn placdevant le Pre : le Pre aime le Fils et lui montre tout ce qu'ilfait (Jn 5,20), et le Fils dclare : tout ce qui est mien t'appar-tient {Jn 17,20). Dans le Fils il nous est possible de voir enleur unit son attitude de confession (adrinienne), son obissance(ignatieime) et son amour pour le Pre (johannique). Jsus con-frera aux siens cette attitude fondamentale en leur donnant part sa relation de Fils, de Fils qui se reoit du Pre dans son treincarn, et en leur prescrivant un amour rciproque qui devratre model sur le don total qu'il fait de lui-mme (Jn 3,16) ; et,s'ils ont succomb au pch et au mensonge, il leur offrira lesacrement de la confession qui leur donne la possibilit de s'ouvrir un autre homme dot d'autorit divine dans l'Esprit Saint, desorte qu'ils puissent ensemble merger de leur obscurit dansla lumire divine.

    Par l nous sommes dj parvenus dans le champ du secondaspect de cette thologie de la confession, aspect qui en constitueaussi le centre. C'est la thologie de la Croix.

    4. La confession originaire

    Si le pch est mensonge et donc par l se cache devant la vritde Dieu (cf. Gn 3,9-10), quiconque fait le mal dteste la lumireet ne vient pas la lumire ( J n 3,20). Mais si, d'autre part, Jsusen croix porte sur lui tout le pch du monde et, dans son ouver-ture immuable envers le Pre, le lui manifeste, alors la Croixpeut tre caractrise comme confession originaire (Urbeichte).Il faut ajouter que Jsus n'exprime pas devant le Pre le pchcomme une ralit qui lui serait trangre, mais comme une ralitdont, tant notre frre, il veut non pas se dsolidariser mais aucontraire goter jusqu'au fond tout ce qu'elle comporte de tnbreet d'loignement de Dieu. Telle est en effet l'entreprise qui natd'une dcision de la Sainte Trinit en faveur du monde, pour lequelle Fils se livre depuis l'ternit (1 P 1,19), l'ceuvre qui assumedans l'conomie divine, la forme d'un ordre du Pre et d'une

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    obissance du Fils : C'est en effet Dieu qui s'est rconcili lemonde dans le Christ... celui qui n'avait pas connu le pch, Dieul'a trait comme pcheur en notre faveur, afin que nous puissionsdevenir travers lui la justice de Dieu (2 Co ^,19-21). La confession originaire est la Croix, parce que sur elle, dans uneabsolue obissance, tout l'abandon de Dieu propre l'tat de pch,et ainsi la vrit (mme de ce qui est pch et de ce qui le cause)se rvle plus puissante que le mensonge.

    L'uvre d'obissance du Fils est la glorification du Pre et desa volont de sauver le monde. D'o, Pques, il reoit sa glori-fication dans le Pre ( J n 13, 31-32) ; la rsurrection de Jsus esten mme temps l'absolution donne au monde par le Pre. Aussiy a-t-il une haute convenance ce que le sacrement de la confessionsoit institu justement le jour de Pques : Recevez l'EspritSaint ; qui vous remettrez les pchs... ( J n 20, 22-23).

    Ds lors, la confession en tant que sacrement trouve son lieudans la suite du Christ : elle comporte un moment de la Passion se confesser prsente un caractre pnitentiel , mais le faitmme qu'on puisse se confesser est une grce offerte par Pques.Lorsqu'elle parle de celui qui reoit le sacrement, Adriennevon Speyr a toujours en vue, cela va de soi, le fidle pris indivi-duellement (elle n'aurait pu prendre en considration le problmed'une absolution collective sans confession personnelle des pchs,vu qu'elle dictait le livre vers la fin des annes quarante). C'taitle cas d'autant plus qu'elle voyait l'institution du sacrementcomme le terme inclusif d'une longue srie d'expriences de Jsusavec des hommes individuels : c'est toujours dans une relationpersonnelle que le Seigneur prend contact avec les malades, avec lespcheurs ou avec des gens qui (comme Nicodme) ne comprennentpas. A celui-ci les pchs sont remis, celui-l les yeux sont ouverts.Il n'en allait pas de mme dans l'Ancien Testament, o, au fond,l'interlocuteur de Dieu tait toujours le peuple : le peuple reniaitDieu, le peuple implorait misricorde, le peuple se convertissait Dieu, etc. Des personnalits individuelles comme Mose ou lesrois intervenaient comme reprsentants du peuple. Bien sr, partir d'Ezchiel, il y a eu une imputation personnelle de la fauteet de la conversion, en quoi justement un agir moral est rendupossible. Mais les sacrements au sens propre ne pouvaient existerqu' partir de Jsus-Christ et par Jsus-Christ qui a transmis sonEglise son tre (Wesen) propre et sa vertu de gurison.

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    La confession, conclut Adrienne, est l pour pour les pcheurs,ceux pour lesquels quelque chose d'autre, telle l'Eucharistie, restetrop lev, trop saint, trop incomprhensible.

    On m'a baptis, mais je ne vis pas conformment la rgle de cebaptme. On m'a confirm, mais je ne suis pas un aptre du Christ...Je me rends compte de toute la peine que l'Eglise prend pourmoi..., mais cela ne me sert rien. On me prsente des saints, maisje n'en suis pas un ! Je vis dans le pch. En tant que pcheur,j'aurai toujours, vis--vis de l'Eglise, le dernier mot... Mais si onme dit que le confessionnal est rserv aux pcheurs, alors je voisclairement : voici finalement une place pour moi. C'est de moiprcisment qu'il s'agit. Ce banc a t fabriqu prcisment pour moi.Je peux videmment trouver aussi redire la confession. Maiscela ne m'empchera pas de savoir que c'est bien l ce qui concernema propre situation. Si on parle de la communion des saints, je saispertinemment que je n'en fais pas partie, Mais si on me dit : ilexiste une communion des pcheurs, qui en fait partie ? je sais in-failliblement que j'en fais partie (p. 86).

    Avec cette notion tonnante de communion des pcheurs ,nous sommes une fois encore confronts la position fondamentaled'Adrienne, position que rend comprhensible tout ce qu'on a ditde la souffrance endure par le Seigneur, notre place, sur laCroix. C'est l en effet que se tiennent rassembls les pcheurs,tous enferms dans leur gosme et semblant par l constituerle contraire d'une communion. Et, depuis la Croix, le plus grandpoids du pch ne vient plus individuellement de chaque pcheur,de la mauvaise conscience dont il voudrait se dfaire par la con-fession, mais de ce qui est inflig au Fils de Dieu. La vraie contri-tion ne peut plus se diriger vers le moi propre, qui regrette d'avoirreni son idal, mais seulement vers Celui qui a pris sur lui eteffac la faute de ce moi. La chose la plus pouvantable, c'est queDieu ait t offens ; et le fait que moi (aussi) je l'ai offens n'estqu'un moment particulier de cette chose pouvantable.

    Pour cette raison, Adrienne souligne fortement dans beaucoupde ses uvres et tout fait spontanment dans ses propresconfessions , ct de l'aspect personnel du pch, l'aspectsocial. Elle le fait remarquer aussi dans sa description de la confes-sion des saints, par exemple chez un saint Franois, qui a pch,mais qui en se confessant regarde l'offense reue par le Seigneurplus qu' lui-mme. Ce qui ressort plus fortement encore chezdes saints qui sont sans pch , tels que Louis de Gonzague : il confesse la distance existant entre lui et l'amour infini de Dieu,dont il ne peut arriver rejoindre l'tre toujours plus grand.

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    Du reste, quand elle fait allusion l'aspect social , Adriennene veut nullement dsigner ce qu'aujourd'hui on exprime parce terme (se trouver sociologiquement dans le pige de situationsconomiques et politiques objectivement injustes), mais bien cequelque chose qui appartient au corps mystique du Christ, danslequel, proprement parler, il n'y a rien de priv.

    Comme, son avis, une part du pch du monde doit toujoursentrer dans une confession personnelle, de mme l'absolution reuepar chaque croyant ira au-del de sa personne, touchera d'unemanire non reprsentable le monde dans sa totalit. C'est ainsique personne ne peut communier seulement pour soi : celacontredirait clairement le terme de communion, qui signifietoujours communion avec Dieu et avec le corps mystique duChrist, dont personne ne peut fixer les limites. De mme que parti-ciper au corps et au sang du Christ est une participation ce quia t donn pour la vie du monde , de mme la participation la Croix, pour autant que celle-ci est confession originaire, estune actualisation sacramentelle de cette absolution gnrale quifut prononce Pques sur le monde rconcili avec Dieu en satotalit.

    5. L'attitude de confession des saintsII est enfin un troisime aspect de la thologie d'Adrienne con-

    cernant l'attitude de confession. Nous l'baucherons brivement,puisqu'il appartient au charisme accord Adrienne pour leprofit (1 Co 12,7) de tous dans l'Eglise, mais que cet aspect ducharisme ne peut tre ni imit ni dsir. Il a t donn Adriennede voir et de dcrire devant Dieu l' attitude de confession et avec elle l'attitude de prire de certains saints et d'autrespersonnalits de l'Eglise, mettant ainsi en lumire une tonnanterichesse de particularits personnelles : chaque saint, chaque chr-tien, a quelque chose d'unique dans ses rapports avec Dieu. Enoutre il apparat que mme chez les saints canoniss il y eut desdfauts dans l'attitude de confession durant leur vie terrestre, aumoins en des tapes bien dtermines de leur volution, dfautsqui n'ont pas t embellis lors de leur dvoilement. Pour exprimerqu'au ciel l'attitude de confession est parfaite, fut manifeste unemanire de confession faite par l'Eglise cleste pour le tempsvcu sur la terre, cela afin d'instruire, d'exhorter et aussi d'en-courager ceux qui luttent encore ici-bas pour parvenir une justeattitude de confession. Assurment, dans cette vue beaucoup de

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    choses restent mystrieuses : le fait que dans la batitude clesteon puisse regarder sans se troubler ses erreurs passes et se tenirainsi en face d'autres membres de la communaut des saints, c'estdans l'enseignement chrtien un point sur lequel on a vraimentpeu rflchi. Cependant, si l'on en revient ce qui est premierchez Adrienne, le fondement trinitaire et christologique de l' atti-tude de confession , cette confession cleste devient compr-hensible. C'est ainsi qu'Adrienne a parl aussi diffrentes reprisesde l'attitude de confession de Marie :

    Elle ne se sent pas exclue de la communaut des confessants ,puisqu'elle participe au degr le plus lev l'attitude de confessionde son Fils. Elle participe la confession de tous les pcheurs lo le Fils, dans son humanit, est parfaitement transparent devantle Pre ; elle reste, malgr sa perfection, dans une constante tensionvers cette transparence inaccessible (p. 235).

    Et si son sujet on peut dj parler de tension, combien plussera-t-il possible d'en parler propos de tous les autres saints,qui par des voies diffrentes tendirent cette transparence ?

    Il a t donn Adrienne une autre manire encore de voirl'attitude de confession des saints. Elle s'est vu prescrire des exer-cices pnitentiels qui, par tapes fixes, devinrent de plus en plusdifficiles et dont les dernires tapes n'taient apparemment plus exigibles . Adrienne eut parcourir ces tapes dans l'esprit dediffrents saints. Il devint alors vident que beaucoup d'entre euxs'taient laiss conduire dans une silencieuse humilit jusqu'au non exigible , tandis que d'autres s'taient arrts tel ou telautre endroit et, avant les tapes les plus difficiles, avaient renonc poursuivre. Ceux qui vont l'extrme peuvent s'tonner de ceque Dieu puisse aller si loin dans ses exigences : mais ce n'estpas eux de dcider quelles sont les possibilits de Dieu. MarieWard dclare lors d'une telle preuve : En fin de compte ce n'estpas nous dterminer ce que Dieu peut ou ne peut pas. Et nousdevrions nous rjouir s'il nous dbarrasse de toutes ces conceptionsfiges qui lui mettent des limites. Elle voulait quelque chosed'audacieux et de neuf. Et elle reconnat que Dieu peut tre beau-coup plus audacieux qu'elle ne se l'tait figur. Jeanne de Chantaidit : C'est dur, mais je m'efforce d'accepter et de dplacer lepoids de l'preuve. Ce qui est difficile ne m'appartient pas. Dieudoit mettre l'preuve, moi obir. Et Mathilde de Hackebom : Je regrette d'avoir dit plus haut que je ne crois pas que Dieuouisse exieer davantaee.

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    Ce ne sont l que quelques exemples de parfaite attitude deconfession. Fidle cette manire de voir, Adrienne fut galementd'avis qu'un confesseur pourrait, s'il le jugeait bon, requrir deson dirig qu'il se confesse. Pour son compte personnel, il n'y eutpas de problme de ce genre ; il s'agissait simplement de l'actuali-sation d'une disposition qui tait toujours prsente.

    Conclusion

    Quelle est enfin la source d'une telle thologie de la confession ?On la dcouvrira au centre de la vie mystique d'Adrienne vonSpeyr. De saint Ignace de Loyola, avec lequel elle avait une relationconfiante et qui lui tait apparu de nombreuses fois, elle avaitappris l' indiffrence tant thoriquement que pratiquement.En la renvoyant l'vangile selon saint Jean, saint Ignace luipermit de dcouvrir premirement le fondement christologique detoute indiffrence : la disponibilit toujours plus ouverte du Filspour le Pre ; deuximement, le germe de la sainte Eglise plant la Croix, savoir la relation entre Marie et le disciple bien-aim,qui sont transparents l'un l'autre comme au Seigneur, et enfin lacommunion entre Pierre et Jean, puisque selon ]n 21,15, Jean,disparaissant devant Pierre en tout dsintressement et obissanceecclsiale, ne se rserve pas le plus grand amour mais enquelque sorte le lui cde. Or, c'est seulement sur la base de satransparence totale que le disciple bien-aim est capable, en s'effa-ant, de rtablir aprs la Passion l'unit entre l'Eglise marialeimmacule (Ep 5,21) et l'Eglise apostolique pcheresse (Judasa trahi, Pierre a reni le Seigneur qui fut abandonn par les siens).

    Ainsi claire par l'vangile de saint Jean, l'indiffrence estparvenue ce qu'Ignace avait, en saint qu'il tait, regard commel'attitude chrtienne concrte. Voil aussi ce qui a t le plusclairement exprim dans la vie d'Adrienne et dans sa thologie.

    CH-4051 Basel H.U. VON BALTHASARArnold Bcklinstrasse 42

    Sommaire. Pour A. von Speyr, la confession sacramentelle actualisel' attitude de confession , reflet et participation de l'attitude de Jsustotalement ouvert au. Pre. Dans la Croix se situe la confession originaire .Adrienne contemple cette attitude en Marie et chez les saints. Elle se rclamedu auatri&me vaneile et de laint lenaoe.