20
VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE Author(s): Victor Langlois Source: Revue Archéologique, 12e Année, No. 1 (AVRIL A SEPTEMBRE 1855), pp. 129-147 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41742218 . Accessed: 21/05/2014 20:02 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Archéologique. http://www.jstor.org This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTREAuthor(s): Victor LangloisSource: Revue Archéologique, 12e Année, No. 1 (AVRIL A SEPTEMBRE 1855), pp. 129-147Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/41742218 .

Accessed: 21/05/2014 20:02

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to RevueArchéologique.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

VOYAGE EN CILICIE.

CORYCUS,

SON ÍLB ET SON ANTRB.

Le 24 septembre 1852, j'avais quitté les ruines de Sébaste, ville située dans la Cilicie Trachée, au bord de la mer, espérant pouvoir atteindre Corycus avant la nuit. La journée avait été fatigante et le soleil accablant. Les chevaux marchaient péniblement par des sen- tiers rocailleux; afin de rendre leur allure plus sûre, l'escorte de zaptiés et moi cheminions à pied. En gravissant les rochers qui , dans ces parages, bordent la mer, nous apercevions, de temps à autre, le château de mer de Corycus, le moderne Kurko, dont les hautes tours se dessinaient sur les eaux. A mesure que nous avan- cions, le disque de la lune s'élevait derrière une masse de ruines imposantes situées sur une colline , au bord du rivage et à deux lieues environ de Sébaste.

Nous reprîmes un instant haleine , et , après une demi-heure de marche , nous fîmes halte sur une éminence couverle de décom- bres , de sarcophages , et d'où la vue embrassait complètement l'en- semble des ruines de l'antique cité de Corycus.

De larges assises de pierres , restes d'anciens édifices, de hautes murailles rongées par le temps , de vastes portiques chargés d'une végétation parasite se dessinaient vigoureusement sur la nappe de lumière argentée qui se fondait à l'horizon avec le bleu limpide du ciel.

Quelques rayons de lune glissant à travers les portiques, éclai- raient les colonnes placées symétriquement dans le centre des an- ciennes basiliques chrétiennes, dont les dallages disjoints dis- paraissaient presque entièrement sous l'herbe , la mousse et les broussailles.

Çà et là, enchâssés au milieu de murailles à demi écroulées, on voyait quelques fragments de sculptures et de bas-reliefs révélant une intention chrétienne; ou une inscription à moitié effacée qui rappelait les noms, maintenant oubliés, des anciens habitants de cette ville, jadis fameuse, aujourd'hui déserte.

De distance en distance , des sarcophages d'un seul morceau , plas XII. 9

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

130 REVOE ARCHÉOLOGIQUE. cés de chaque côté des chemins , au groupés autour d'une vieille église écroulée , gisaient à moitié enterrés dans le sol , et cachés par d'épaisses ronces.

Rien de plus sinistre que ces ruines éclairées par des reflets de lune, et dont les lambeaux semblent avoir emprunté la teinte livide d'un cadavre abandonné au milieu du désert; rien de plus triste qu'une nuit passée au milieu des débris amoncelés d'une cité des temps passés ; mais aussi rien de plus poétique , lorsque au soleil levant cette nature morte semble se réveiller, et que les pierres , en se réchauffant, se colorent des feux brûlants du ciel.

On pourrait croire qu'une journée d'exploration bien employée est pour le voyageur le présage d'un sommeil en rapport avec les fatigues du jour; il n'en est rien : la nuit passée au milieu des ruines enfante les djin, ces génies de l'Orient, qui campent invisibles, dans les décombres des cités mortes. Les hommes, pour échapper à ces êtres fantastiques que leur imagination a créés , éprouvent le besoin de se rapprocher, non par un sentiment de crainte , mais pour conter des histoires merveilleuses, telles que l'Orient sait en faire naître dans le cerveau ardent de ses poètes; alors maîtres et serviteurs, aghas et soldats, s'asseyent en cercle autour d'un feu qu'alimentent des herbes desséchées et des branches arrachées aux broussailles d'alentour. Le hibou quitte sa demeure et vient voler par soubresauts vers le campement, étonné de voir des êtres vivants dans la cité des tombeaux. Les chacals, attirés par l'odeur des viandes apprêtées pour le repas de la nuit , s'approchent des ruines , isolés ou en groupes , puis pénètrent plus avant eu poussant des cris plaintifs que répètent dans le lointain d'autres chacals qui répon- dent et se rendent à cet appel. On croirait entendre des femmes qui, du haut des collines, pleurent la perte d'un époux ou d'un enfant. Tenus en arrêt par nos chiens, sentinelles vigilantes, qui veillent à la garde du campement , et répondent à ces hôtes des ténèbres par des hurlements prolongés, les timides chacals se tai- sent, s'éloignent et vont porter ailleurs les angoisses d'une faim non assouvie.

Chacun de nous repose près de ses armes, tandis que, pour évi- ter les surprises, un Turkoman, placé en vigie sur la muraille écrou- lée d'un édifice ruiné , examine avec soin les abords du campe- ment, tout en aspirant la fumée de son tchibowk.

Ainsi se passe la nuit tout entière ; le sommeil est vingt fois in- terrompu par les aboiements des chiens , les cris des chacals , le hennissement des chevaux , enfin par la présence de ces myriades

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

VOTACř PANS LA CILICIE. 131

de mouches parasites dont l'incessant bourdonnement est eneore plus intolérable que la piqûre.

Le jour, qui venait de poindre, nous avait trouvés debout, pré- parant la besogne de la journée. Il s'agissait d'explorer les ruines de Corycus, de retrouver son antre si célèbre, de relever les in- scriptions ; enfin de dessiner les monuments , travail de plusieurs jours. Pendant que mon drogman, Bothros Rok, cherchait dans les ruines du château arménien un logement pour nous et nos che- vaux , une partie de mon escorte parlait avec ses armes pour chas- ser hors des ruines, tandis que je faisais à pied le tour de la ville, pour en mesurer l'étendue.

Je ferai précéder la description des antiquités de Corycus par quelques détails que j'ai puisés , soit dans les auteurs anciens , soit dans les relations écrites du moyen âge , et qui , en raison de l'in- térêt qu'ils présentent, m'ont paru devoir faciliter l'intelligence du tableau que j'ai à faire de chacun des monuments de celle antique cité.

Le nom de Corycus est purement grec , ce qui prouve que la fon- dation de cetle cité est due à une colonie venue de Grèce , où se trouvait aussi une ville du même nom située à peu de distance de Delphes.

L'antiquité nous fournit, tant en Grèce qu'en Asie Mineure, plu- sieurs localités , villes , promontoires ou grottes du nom de xcópuxo« ou xupúxiov. Ce nom parait venir, par analogie de configuration et d'apparence, du mot xwpuxo;, qui exprime un sac de cuir, un val- lon , une espèce de navire , une sorte de coquillage , tous objets de forme renflée, à protubérance , et qui peuvent bien servir de terme de comparaison à des montagnes , rochers ou caps renfermant ou non des cavernes. Celte opinion , qui est celle d'un savant dont l'érudition est aussi profonde que variée, M. Guigniaut, est parfai- tement en rapport avec la topographie de la ville dont j'entreprends aujourd'hui la description. Disons cependant que, jusqu'ici , on avait généralement cru que l'étymologie du nom de Corycus devait se trouver dans le mot xpóxo; qui signifie safran , car on sait que le territoire de cette ville produisait le meilleur safran de la Cilicie. Toutefois xprfxoç qui, avouons-le, a une ressemblance frappante avec xúpuxoc, est un tout autre mot , une racine entièrement différente ; et d'ailleurs le safran du vallon de l'antre corycien de Cilicie ne parait point exister dans les autres localités du même nom.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

132 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. Avant l'occupation romaine, la ville de Corycus avait peu d'im-

portance ; toutefois , en sa qualité de colonie , elle jouissait de l'au- tonomie et battait monnaie. La divinité principale qui paraît avoir reçu à Corycus un CHlte spécial était Mercure , qui figure sur les monnaies de cette ville , frappées à l'époque grecque; sur quelques- unes d'elles (1), Mercure est représenté debout, tenant de la main droite une patère et de l'autre un caducée. Le témoignage du culte que les habitants de Corycus rendaient à Mercure est, du reste, con- firmé par Oppien qui, né lui-même dans celte ville, appelle Corycus la cité de Mercure (2).

Lorsque les Romains eurent réduit la Cilicie en province ro- maine, la ville de Corycus acquit de l'importance; Cicéron (3), qui fut gouverneur de cette province , Tite Live (4) , Pline (5) et d'autres auteurs en parlent à plusieurs reprises dans leurs écrits. Plus tard elle devint le port de Séleucie, et Oppien (6) dit d'elle : « "0<woi o'Kpjxtíoti; ttoXiv vocu9M]).utov a ořu Kíopúxiov vaiou». » ÉUenne de By- zance (7) nous apprend que Corycus était, de son temps, la ville la plus importante du district de Séleucie , et il ajoute qu'elle possé- dait un port et une petite lie. C'était à cette époque encore un re- paire de pirates, d'où l'adage si célèbre :

« Tou o'áp & K(opux8to( xpoáaaTo. »

Les renseignements que l'antiquité nous a laissés sur Corycus sont peu considérables , tandis qu'au contraire , ceux que nous a trans- mis le moyen âge sont de la plus haute importance. Corycus dont le nom altéré se retrouve sous la forme Gorighos , était en effet , sous les Byzantins et les Arméniens , une ville considérable. Ses ruines, qui datent principalement de ces deux époques, nous mon- trent qu'elle avait, au moyen âge, sinon une importance égale à celle de Tarse , du moins qu'elle avait plus d'étendue et servait de résidence, à l'époque des Arméniens, à des princes feudalaires de la couronne de Sis, parents des Thakavors, et qui étaient chargés de couvrir et de protéger à l'occident les boulevards de la royauté en Cilicie.

(1) Mionnet, Mid. gr., HI , 54, et suppl. , VU , 203-214; Revue num.. 1854 , Monn. de Cilicie, p. 10, n° 13. Corycus. (2) Cynég.y 111, 8, 6. (3) Ád, famil., XII, 13. (4) Hittor., XXXllI . 20. (5) Giogr., V, Î2. (6) Hai., III, v. 208-9 (7) De Urb. et Pop., v° Kórukion.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

TOTAGB DANS U CILICIE. 133

Depuis le XIII« siècle jusqu'à nos jours, beaucoup de Toyageurs ont visité Gorighos. Le chanoine d'Oldembourg, Willebrand, qui parcourait la Cilicie sous le règne de Léon II , premier roi Roupé- nien de cette partie de l'Asie Mineure, vint de Tarse à Gorighos, et raconte en ces termes, dans son itinéraire (1), son arrivée dans cette ville : « Per Tarsim, versus orientem descendimus, et inve- » nimus circa illas partes Hormeniam (2), in sylvis, in tuentibus « aquis et bono aere, nostra Teutoni« simillimam : quibus tribus die- « bus peragrantes, venimus Cure (3) : quœ est civilas in mari sita , « bonum habens portum, in quahodie mirabiles, quam vis dirutae, « apparent structura, ita ut nimirum eas Romanis structuris et •« ruinis comparaverim. »

Sanuto , dans ses Secreta fiãelium, crucis (4) , ne dit rien de Gori- ghos , seulement il signale le petit îlot dont parie Étienne de By- zance , et sur lequel nous reviendrons plus tard : « Coram autem « dicto Curco, qusedam insula invenitur. »

Barbaro, qui faisait partie de l'expédition navale vénitienne qui mit le siège devant Gorighos, dans le courant du XV* siècle, donne des renseignements très-précis sur l'état de la ville à cette époque ; il entre même dans quelques détails sur ses monuments, et en par- ticulier sur les deux forteresses qui défendaient la ville et proté- geaient le port (5). Voici la traduction de la relation de ce voya- geur, que je donne dans son entier; elle est écrite en italien du XV* siècle, et n'offre aucune difficulté à la lecture : « Curco est situé au bord de la mer; à l'ouest se trouve un écueil qui n'en est éloigné que d'un tiers de mille. Sur cet écueil on voit un château qui paraît être assez fort, de belle apparence et bien construit; mais actuellement il est en grande partie ruiné. Sur la porte principale on lit de belles inscriptions qui paraissent être écrites en caractères arméniens, mais d'une autre forme que ceux employés aujourd'hui par les Arméniens (6); si bien, que les Arméniens que j'avais avec moi ne purent pas les déchiffrer. Le château ruiné (7) est sur la

(1) In Leonis Allalii Su|A[itxTa, op. 141. [Col, agr ., 1652, Vo.) (2) L'Arménie. (3) Gorighos. (4) L. II, p. tv, chap. XXVI, p. 89, éd. Bongars. (5) Barbaro, Viagg ., p. 28-29 (Venise, Aide, 1543, in-8). (6) Ces inscriptions, dont on lira plus loin la traduction , sont en majuscules en-

chevêtrées; c'est ce qui fait que Barbaro et ses drogmans arméniens ne reconnurent pas ces caractères, qui ont en effet peu de ressemblance avec les majuscules et les minuscules des manuscrits du XVe siècle. (7) C'est le château situé sur le bord de la mer.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

134 REVUE AftCHÊOLOGIQDE. route qui va au port ; Sa distance de Curco est celle d'Un trait d'ar- balète. Curco est en partie bâti sur un rocher, et en partie au bord de la mer, sur le rivage. Le rocher est à l'est et taillé à pic au-dessus d'un précipice profond. La plage est défendue par une muraille trcs-épaisse et escarpée, afin d'en défendre l'approche aux bom- bardes. Dans ce château se trouve une autre forteresse avec des murailles épaisses et des tours très-élevées, laquelle a environ deux tiers de mille de circonférence (1). Sur les portes, qui sont au nom- bre de deux, on voit des inscriptions arméniennes (2). Toutes les parties de ce château ont leur citerne d'eau douce , et dans les en- droits publics on trouve encore quatre puits très-profonds remplis d'une eau excellente qui pourrait alimenter une grande cité. Au sortir de la porte qui est à l'est, on prend un chemin situé à une portée de flèche du château (3), le chemin est bordé de sarcophages de marbre (4) d'un seul morceau (une grande partie sont brisés), et qui se prolongent de chaque côté du chemin jusqu'à une église éloignée seulement d'un demi-mille. Cette église parait très-grande et bien bâtie , ornée de grosses colonnes de marbre et de belles sculptures. La contrée qui avoisine le château est montagneuse, et les rochers ressemblent à ceux de l'Istrie. Ils sont habités par les gens du seigneur Caraman. Cette contrée produit du froment en abondance, du coton, des bestiaux, principalement des bœufs, beaucoup de chevaux et plusieurs espèces d'excellents fruits. Le climat y est tempéré. Près de la Marine, sont deux châteaux très- forts , dont l'un est bâti sur une éminence ; le premier est éloigné de la mer par une distance équivalente à un trait d'arc , et l'autre est à six milles du précédent. Ce dernier est bâti au bord du rivage , et paraît bien fortifié (5). »

Les voyageurs modernes qui ont parcouru la Cilicie-Trachéc, se sont tous arrêtés aux ruines de Gorighos. L'amiral Beaufort, le comte L. de Laborde, P. de Tchihaltcheff, P. Trcmaux, etc., sont unanimes pour dépeindre l'aspect imposant de ces ruines; cepen- dant on doit regretter que les trois derniers voyageurs que je viens de nommer n'aient point encore achevé la publication que chacun

(t) En d'autres termes, Barbaro veut dire que le château a deux enceintes de murailles et de tours. (2) Il ne reste plus aujourd'hui que la trace de Tune de ces inscriptions qui est à

peine visible. (3) La voie romaine. (4) Ils sont tout simplement en calcaire. (5) Ce sont les Châteaux-Blancs (Ak-Kafa ou Kalessi).

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

VOYAGE DANS LA CILICIE. 135

d'eux en a commencée; et, en effet, il n'est pas douteux que la description d'une ville, comme l*an tique Corycus, ne soit pour eux l'occasion de faire connaître des particularilés intéressantes qui ont pu échapper aux voyageurs du moyen âge.

L'amiral Beaufort, qui a parcouru, avec grand soin, la côte de la Karamanie, nous a donné sur Corycus des détails fort curieux. Voici en substance la description faite par le savant amiral dans son volume d'exploration (1). Tout près de Perchendy, ville ruinée, dont le nom ancien était Pseudo' on Kalo Coracesium , il y a deux châteaux en ruine et inhabités, nommés Kurko-Kalessi , l'un sur la terre ferme , près des ruines d'une ville antique , l'autre situé dans une petite île tout près du rivage ; il s'y trouve quelques anti- quités. Le premier a été indubitablement un lieu très-fort entouré de doubles murailles , dont chacune est flanquée de tours , et de plus environnée d'un fossé qui communique avec la mer par le moyen d'une excavation de trente pieds de profondeur, taillée dans le roc : une jetée qui se prolonge dans la mer est terminée par un monument antique ruiné qui peut avoir été un fanal. Les murailles de l'ancienne ville sont encore assez bien conservées pour qu'on en puisse tracer l'enceinte; des bains, des tombeaux nombreux, tout invite les voyageurs à visiter de nouveau ce lieu que l'amiral Beaufort n'a pu voir en détail. 11 y fait néanmoins une observation que Letronne a mentionnée dans le compte rendu de l'ouvrage du savant amiral , inséré dans le Journal des Savants (2), à cause de son importance. « Nous avons, dit-il, copié un grand nombre d'in- scriptions en cet endroit, mais elles sont toutes sépulcrales, excepté une qui fait mention des bains de Dionysius Christianus. Une de ces inscriptions, précédée de la croix grecque, a été trouvée sur un mausolée construit en pierres irrégulières , dans le style cyclo- péen, circonstance qui, peut-être, montrerait que ce style de bâtir n'est point une preuve de très-grande antiquité, à moins que l'imi- tation de l'antique n'ait été d'usage en ce temps, comme il l'est de nos jours. » On doit regretter que l'amiral Beaufort ne nous ait pas transmis le dessin de ce mausolée ; car si la construction est bien réellement cyclopéenne , son observation est des plus curieuses; mais nous présumons que ce qu'il a pris pour une construction cyclopéenne n'est autre chose que Yincertum de Yitruve, tel qu'on le voit dans beaucoup de monuments romains. Cet incertum res-

(1) Karamania (Lond., in-8, 1818). (2) Année 1819.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

136 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.

semble, pour l'arrangement des pierres, h la construction pélas- gique ou cyclopéenne, mais il en diffère essentiellement par la petitesse des pierres et par l'emploi du ciment.

Le nom de Gorycus s'altéra pendant tout le moyen âge, et chaque écrivain modifia à son gré le nom primitif de cette ville en l'appro- priant plus ou moins heureusement au langage qui lui était fami- lier. Ainsi, les chroniqueurs latins des croisades appellent Corycus, Curco , Cure; les Français, et notamment Guillaume de Machaut, lui donnent tantôt le nom de Le Court , et tantôt celui de Le Coure ( 1). Les Orientaux, au contraire, conservaient avec plus ďexactilude la forme primitive; ainsi les Arméniens appelèrent Gorycus, Gorighos , et nous retrouvons ce même nom écrit en syriaque , sous la forme Kourikous.

Nous avons dit plus haut que Gorighos avait appartenu à une famille arménienne, vassale des Thakavors Roupéniens, tant que dura la monarchie arménienne dans ce pays. En 1361, Gorighos était un comté possédé par une famille des Lusignans de Chypre (2), après que Pierre Ier en eut fait la conquête en 1360, ainsi que ce fait est rapporté par G. de Machaut (3) :

Le premier an de sa coronne 11 s'en ala en Ermenie , Là prist , par force et par maistrie Un chastel qu'un appeloit Goure. Si vous en dirai brief et court : Li chasliaus fut subjet aus Turs, Grans et puissans, fors et seurs De fossez , de tours, de muraille. Mais à l'espée qui bien taille Versa tout, comble et fondement. Là se porta si fièrement Que tout fut mort quan qu'il trouva.

11 existe des pièces du règne de Jean II, roi de Chypre, conser- vées aux Archives de Malte, et relatives à la conquête de Gorighos par le grand karaman , lbrahim-Bey. M. de Mas-Lastrie les a pu- bliées dans le tome IH de ses documents de l'Histoire de Chypre (4). En 1448, Gorighos fut enlevé aux Lusignans par le grand karaman,

(1) La prinse d'Alixandre. Bibl. imp., 7609, fol. 323, 335 et passim. (2) Raynaldi, XXV, p. 35. (3) Ms. fol. 313, dans le t. II de Ylïist. de Chypre de M. de Mas-Latrie, p. 267,

note. (4) Année 1448, p. 48, 53.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

VOYAGE DANS LA CILICIB. 137

qui en resta le maitre jusqu'à l'époque où la Karamanie passa entre les mains des Turcs ottomans, qui la possèdent encore aujourd'hui, et la font administrer par des pachas-gouverneurs.

J'ai dit ce qu'était Corycus dans l'antiquité et le moyen âge , d'après les sources anciennes et les témoignages que nous ont lais- sés les voyageurs du moyen âge et modernes ; maintenant je vais décrire les divers monuments de cette ville qui appartiennent , en grande partie, aux époques byzantine et arménienne.

Les monuments grecs sont les plus nombreux; les édifices armé- niens sont les plus importants. Je commencerai par les premiers , qui n'ont, je crois, été étudiés jusqu'ici que d'une manière super- ficielle.

Les ruines de l'époque byzantine consistent en une vaste nécro- pole composée de chambres sépulcrales creusées à même le roc, et de sarcophages d'un seul morceau de rocher surmontés d'un cou- vercle prismatique à oreillettes, couvrant plusieurs monticules, ou bordant, dans une longueur de plusieurs kilomètres, la voie ro- maine pavée, qui, venant de Selefké, passait à Gorighos, Sébaste, Lamas, Pompeïopolis, Adana, Mopsueste, et conduisait en Syrie par les gorges de l'Àmanus.

Des grottes sépulcrales creusées dans le roc se voient en plusieurs endroits de la ville , et notamment ä l'est du château de terre de Gorighos; elles sont en grand nombre dans une espèce de bas-fond entouré de rochers, et formant, pour ainsi dire, un columbarium naturel. Au-dessus ou à côté de chacune des ouvertures carrées qui donnent entrée aux chambres creusées à même le roc , on lit des inscriptions grecques appartenant, pour la plupart, à des fonction- naires ecclésiastiques (1). L'entrée de ces chambres était fermée au moyen d'une pierre que l'on scellait avec du ciment. Mais comme ces chambres ont toutes été violées par les musulmans , lors de la conquête , les pierres gisent à moitié enterrées dans le sol au-des- sous de l'ouverture qu'elles servaient à fermer. Aujourd'hui toutes les chambres sont vides, et on peut à peine reconnaître les niches dans lesquelles on déposait les cercueils.

Les autres grottes sépulcrales sont situées au nord-ouest du châ- teau , et étagées sur toute la longueur d'un rocher qu'on a taillé en différents endroits, afin de rendre sa forme régulière. A l'ex-

il) Cf. mon Recueil dee ituer. de la Cilicie, p. 39 et su'v.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

138 RBVCB ARCHÉOLOGIQUE. trémité sud de ce rocher, on voit un bas-relief représentant un guerrier debout, vêlu d'une tunique qui descend jusqu'au genou, et qui est retenue à la ceinture par un baudrier auquel est suspendue une épée. De la main droite ce guerrier tient la haste ou un laba- rum. La tête de ce personnage a été cassée et enlevée par un voya- geur anglais qui parcourait la Karamanie il y a environ trente ans, et qui pourrait bien être l'amiral Beaufort lui-même, d'après les renseignements que j'ai eus de Turkomans de la tribu voisine. Cette représentation est dépourvue d'inscriptions ainsi que les chambres sépulcrales qui sont à gauche du personnage. Le n° 2 de la planche 259 donne une vue exacte de cette série de grottes, et la représentation du personnage inconnu dont je viens de parler.

Les sarcophages qui ne contenaient qu'un seul personnage sont plus nombreux que les chambres, tandis qu'au contraire les grottes sépulcrales étaient ce qu'on pourrait appeler des sépultures de fa- mille ou de communauté. Les sarcophages s'étendent, comme je l'ai dit plus haut, sur les deux côtés de la voie romaine et couvrent tous les mamelons d'alentour à une grande distance. Les gens du pays, toujours disposés à exagérer, même les choses les plus simples, portent, à la manière d'Homère, à dix mille le nombre des sarco- phages , mais en réduisant ce nombre des deux tiers, on est encore au-dessus de la vérité.

Tous ces sarcophages sont couverts d'inscriptions grecques de l'é- poque byzantine. Ce sont surtout despajos, des diacres et autres fonctionnaires ecclésiastiques.

On remarque, toutefois, au milieu de cette prodigieuse quantité de personnages de l'Église orientale, qui ont été ensevelis dans ces sarcophages, des inscriptions rappelant les noms d'artisans et d'in- dividus appartenant à l'ordre laïque, comme par exemple celles de sarraf Eugène et de Théophile, fils du potier Tyrannus (1).

Au milieu de cette nécropole, tout à côté de la route et à l'est du château, on voit les restes, assez bien conservés, d'une église by- zantine entourée de constructions, qui semblent avoir appartenu à un monastère grec. Un bel arc, à demi écroulé, est construit sur la route et semble avoir été autrefois un lieu de péage dont le privi- lège appartenait sans doute aux moines du couvent. C'est tout à l'en- tour de ce monastère que se voient lé plus de sarcophages porlant des inscriptions qui révèlent les noms et les dignités des pères de

(1) Mon Recueil d'inscr p. 41, 115, et p. 42, n° 119.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

VOYAGE DANS LA CILICIE* 139

celte communauté. Plusieurs autres églises et des ruines de con- structions diverses se voient encore dans différents endroits de la nécropole. Seulement leur état de délabrement ne m'a pas permis de les étudier.

Je ne donnerai pas ici le texte des inscriptions que j'ai copiées dans celte nécropole, mais le lecteur pourra les étudier dans le re- cueil des inscriptions de la Cilicie, que j'ai publié au retour de mon voyage (1); La ville byzantine s'étend depuis la base orientale de la nécropole jusqu'au bord de la mer, sur un mamelon boisé qui fait partie de la chaîne du Taurus. On y voit les restes de maisons cl de différents autres édifices, mais on n'y remarque pas d'églises. On voit en cet endroit un petit édifice à toit conique, et qui sert de tom- beau à un santon vénéré par les Turkomans qui venaient camper l'hiver dans les ruines de la ville. Ce turbeh renferme un sarcophage brisé qui contenait les restes du cheïk dont le nom se lit sur l'in- scription gravée au-dessus de la porte.

Je passe aux monuments de l'époque arménienne. Comme je le disais plus haut, les monuments arméniens, s'ils ne

sont pas les plus nombreux, sont au moins les plus importants. Le rôle qu'ils ont joué dans l'histoire, les mentions fréquentes que l'on trouve dans les écrivains orientaux et occidentaux, sont une preuve de l'importance de Gorighos sous les Roupéniens d'Arménie et les Lusignans de Chypre.

Ces monuments consistent en deux châteaux qui devaient être considérés comme imprenables au moyen âge, à cause de l'épaisseur de leurs murailles, la hauteur de leurs tours et leur position presque inaccessible pour l'époque où ils furent construits.

On a déjà lu plus haut ce que disent de Gorighos les voyageurs du moyen âge et modernes qui ont visité la Cilicie; on a vu l'hom- mage rendu à la vaillance du roi Pierre Ier, de Chypre, par Guil- laume de Machaut, lorsqu'il s'empara du château de cette ville; et on peut se faire par là une idée de ce que devait être, pour les guerriers du moyen âge, l'attaque et la prise ďune semblable forte- resse.

Laissant de côté ce que peuvent avoir dit nos devanciers sur le château de Gorighos, je vais décrire cette construction militaire d'une architecture purement arménienne, et n'ayant de rapports

(l) Paris, Leleux, 1854, un vol* in-4 avec pl.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

140 UTOS ARCHÉOLOGIQUE.

qu'avec les châteaux de Sis, d'Anazarbe, du Tumlo-Kalessi, etc., comme eux élevés par les Arméniens , dans la Cilicie des plaines , et sur les confins méridionaux du Taurus.

Le château de Gorighos se compose de deux édifices distincts, dont l'un, élevé au bord de la mer, était relié au second par ime digue qui existait au moyen âge, mais qui depuis s'est rompue. Cette digue allait rejoindre un tlot situé à environ un kilomètre du ri- vage, et sur lequel s'élève le second édifice, qui formait, avec le premier, une construction militaire très-redoutable. Entre le rivage, l'Ilot et appuyé à la digue, se trouvait formé tout naturellement un port bien défendu et qui pouvait contenir de nombreux navires.

Le numéro 1er de la planche 259 représente le château de Gori- ghos. Cette forteresse, placée à l'extrémité occidentale du royaume d'Arménie, était confiée, pour sa défense, à des princes de la famille royale, qui étaient chargés d'empêcher les invasions des émirs Sed- joukides de Konieh. Tant que dura le royaume d'Arménie, et même après la chute du dernier des Lusignans de Sis, Gorighos fut la seule place qui parvint à résister aux conquérants musulmans, déjà maî- tres du pays; et grâce à l'opiniâtre résistance des guerriers latins qui y tenaient garnisop pour les Lusignans de l'Ile de Chypre, cette place resta au pouvoir des chrétiens jusqu'à l'an 1448, époque à la- quelle elle tomba aux mains des infidèles.

Pour éviter toute confusion entre les deux forteresses de Gori- ghos, je désignerai chacune d'elles, dans ma relation, par le nom qui lui est propre; ainsi j'appellerai château de terre celle qui s'é- lève au bord du rivage, et je donnerai le nom de château de mer à la forteresse construite sur l'îlot. Le numéro l,r de la planche 260 ci- jointe ne laissera d'ailleurs aucun doute sur ces désignations.

Le château de terre occupe une grande étendue de terrain au bord de la mer. Il est en partie construit sur un rocher qui a servi de fondements à ses murailles et que l'on a taillé au ciseau, afin de creuser le fossé que l'on voit encore au nord et à l'est de l'édifice. Un torrent venant du nord-est remplissait ce fossé qui, en débor- dant, écoulait le surplus de ses eaux dans la mer, par deux écluses dont on aperçoit encore la trace à même le rocher et près du rivage. Une double enceinte, flanquée de bastions et de tours, servait de dé- fense au château. Une porte monumentale, ouverte sur la mer, don- nait accès à la digue et livrait passage à la garnison qui allait de l'un à l'autre château. Une autre porte, ouverte au nord, permettait l'entrée dans la place, au moyen d'un pont -levis. Dans chacune des tours on avait pratiqué des escaliers qui conduisaient aux remparts.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 14: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

VOYAGE DANS LA CILICIE. l4l Dans l'intérieur du château sont les mines de différentes construc- tions, telles que chapelles, logements pour la garnison, magasins et prisons.

On compte trois chapelles dans ce château : dans l'une, la prin- cipale, dont voici le plan, les parois intérieures représentent, peints

Légende.

A. - Portes. C. - Arceaux. F - Baies.

à fresque, des saints du calendrier arménien, de grande dimension. Les arceaux qui soutenaient la voûte, aujourd'hui écroulée, sont aussi rehaussés de peintures à fresque, figurant des ornementations du genre de celles que l'on remarque sur les manuscrits arméniens des XIII, XIV et XVe siècles. Les autres chapelles sont entièrement encombrées de pierres, et ne m'ont offert aucune particularité importante.

Je passe maintenant au château de mer. On a vu plus haut que dès le temps du géographe Étienne de

Byzance , il est question de l'îlot de Corycus ; on a vu aussi que plusieurs voyageurs du moyen âge en ont fait mention, ainsi que du château qui y fut construit par les Arméniens. Je vais décrire ce château qui, grâce à son isolement et à la distance qui le sépare de la terre, s'est conservé dans presque toute son intégrité depuis le siège de 1448, à la suite duquel il tomba au pouvoir du grand karaman, Ibrahim-Bey.

Si l'on se rappelle le passage de Barbaro, que j'ai donné plus haut, on verra que la description du château faite au XVe siècle par l'am- bassadeur vénitien, est conforme à celle que je vais donner, sauf toutefois pour certains détails, que l'auteur, peu archéologue de sa

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 15: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

142 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.

nature, n'a pas jugé à propos d'indiquer. Mais avant de donner la description de ce château, qu'on me permette de dire comment j'ai pu le visiter, puisque déjà on sait que la jetée, qui reliait le château de mer à celui de terre est rompue depuis de longues années.

Il n'est possible de visiter l'île et le château qu'avec une barque, et c'est à ce moyen que j'eus recours. Une mahone, sorte de grand bateau destiné au transport des colis, m'avait été envoyée de Mer- sine, port de Tarsous, par M. Mazoillier, consul de France, et je croyais qu'il me serait possible d'arriver avec elle jusqu'aux rochers qui bordent l'îlot. Mais comme cette mahone tirait beaucoup d'eau et que l'îlot est entouré de tous côtés de récifs, je ne pus en appro- cher. J'eus recours alors, pour aborder, au seul moyen en mon pou- voir et qui consistait à construire, avec les deux mâts de la mahone et quelques planches, un radeau, avec lequel les matelots et moi parvînmes jusqu'aux rochers.

Le château de mer couvre toute la surface de l'îlot de Gorighos ; c'est une construction ovoïde formée de murailles extrêmement épaisses, reliées de distance en distance par de grosses tours ron- des, dont la hauteur dépasse de quelques pieds celle des murs de la forteresse. A l'ouest se trouve le donjon. C'est une tour carrée, dont la porte est, comme le dit Barbaro dans sa relation, ornée d'inscrip- tions arméniennes.

La porte du château est au nord 1/4 ouest. Elle est ogivale et en- tourée d'une ornementation élégante. Cette porte donné accès dans la forteresse par une salle voûtée.

Ce château a été construit à une époque de beaucoup postérieure à celle du château de terre. Il n'a pas été achevé, et toute la cour in- térieure est remplie de matériaux qui n'ont point été mis en place. A l'est, au sud et à l'ouest règne un cloître bien conservé, mais inachevé dans quelques-unes de ses parties. J'ai vu sur les mu- railles diverses initiales tracées sans doute par des voyageurs qui le visitèrent à diverses époqùes. L'une de ces initiáles a été rapportée

a[&

par l'amiral Beaufort, et je l'ai reproduite dans mon recueil d'in- scriptions de la Cilicie.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 16: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

VOYAGE DANS LA CILICIE. 143 Sur la muraille intérieure du côté du nord, j'ai copié, sur une

pierre, les lettres suivantes tracées en relief AO Y (!)• La tour carrée, dont j'ai parlé tout à l'heure, et qui domine les

autres constructions du château, porte deux inscriptions arménien- nes, dont je donne ici la traduction :

Io « Dans l'année 637 de l'ère arménienne; du Christ 1206 D'Adam d'Alexandre des Arméniens 160 Et dans l'année 1078 de l'ère des Séleuçides Le roi Léon a báti ce château les fils du prince

2° Dans l'année des Arméniens 700 par le pieux roi Eéthum ce château princier a été construit le grand prince, fils d'Héthum. . . .

Au milieu de la cour se trouve une citerne d'eau potable qui provient des pluies, car il n'y a point de source dans l'îlot, et je n'ai pas vu trace d'un aqueduc qui aurait porté l'eau du château de terre dans celui de mer.

Quand K. Bailie visita la Cilicie, il trouva dans les ruines du châ - teau de mer une longue inscription grecque. Je l'ai reproduite d'a- près ce voyageur (2) dans mon recueil d'inscriptions (3) ; mais comme elle est en mauvais état, je ne l'ai point expliquée, laissant à de plus habiles le soin de la déchiffrer.

En faisant, en dehors des murailles de ce château le tour de l'île, pour m'assurer s'il n'y avait pas d'inscriplions relatives à la domi- nation chypriote, je m'aperçus qu'il existait, de distance en dis- tance des meurtrières pratiquées dans l'épaisseur des murs. Ces meurtrières, très-multipliées sur le côlé sud du château, servaient à se défendre de l'approche des navires qui auraient tenté de jeter des troupes sur les récifs pour l'escalade des murailles.

L'île de Gorighos ou de Kurko n'est indiquée dans aucune carte marine; ce sont MM. Beaufort et Kiepert qui, les premiers, l'ont signalée. Les cartes marines anglaises et françaises que j'ai eues entre les mains n'indiquent nullement cet îlot ; car lorsqu'on passe

(1) lnscr . de la Cilicie , p. 47, n° 144. (2) Fasciculus inscr. grœc t. II, n° 115; A., p. 90-92. (3) P. 46, n° 142.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 17: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

14 i BBVUE ARCHÉOLOGIQUE. en mer, à quelque distance du rivage, on peut croire que le châ- teau de mer de Kurko et celui de terre ne font qu'un, et que l'îlot est le prolongement d'une langue de terre de petite étendue. Les hydrographes qui ont fait, à plusieurs reprises, des sondages sur le littoral de la Karamanie ont tous négligé de visiter ce point, et c'est l'amiral Beaufort qui, le premier, a rectifié sur sa carte l'erreur des navigateurs. Cette ignorance de la côte a occasionné souvent des naufrages, car les navires croyant pouvoir entrer dans le golfe, formé par l'Ilot et le rivage, pour éviter les gros temps, venaient se briser contre les écueils dont le premier est environné de toutes parts. Je signale ce point aux hydrographes, et je souhaite qu'il puisse servir de renseignement aux capitaines des navires marchands qui fréquentent ces parages en se rendant à Mersine et Alexandrette.

Si le lecteur veut bien me suivre à quelques heures de Corycus, au nord-est, je le conduirai, par la pensée, dans un vallon planté d'ar- bres, et traversé dans sa longueur par un torrent desséché pendant l'été, et qui, à l'époque de la fonte des neiges, devient un véritable fleuve, tant à cause de sa largeur que par l'étendue de son cours. Par celte raison, qui a engagé les nomenclateurs turcs à baptiser tous les torrents du nom de deli-sou (eau folle), je lui donnerai ce nom, car le cours d'eau en question n'est indiqué dans aucune carte et encore moins dans les géographies. En tournant encore à l'est et en traversant plusieurs fois le deli-sou pour trouver un che- min praticable, on parvient, par une série de rochers accidentés, à une vallée très-ombragée, et qui se termine au nord par deux énormes blocs de calcaire miocène dont la base est séparée, mais dont les sommets se touchent, de manière à former un angle aigu et une voûte en arête.

Une caverne profonde , humide , et faiblement éclairée par les rayons du soleil qui pénètrent à travers les arbres dont l'ouverture de la grotte est plantée , est ce que les anciens appelaient Y antre corycien , où des hommes, agités par une fùreur divine et possédés d'un délire prophétique, rendaient des oracles (l).

Une eau saumâtre croupit dans l'intérieur de cette caverne , et de temps à autre , surtout à la fonte des neiges , elle déborde eu dehors de la caverne et fertilise les abords de la grotte où se culli-

li) Slrabon, XII ; Pomp. Mela, XIH •, Séoèque, Quest, nat., Ill, u.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 18: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

VOTAGB DANS IA CILICIE. 145 vait autrefois le safran , xpóxo? (1), donton retrouve , çà et là, des plants isolés que recueillent des Turkomans de la tribu voisine (2).

En face de l'ouverture de la caverne, se trouve une ancienne église byzantine , ornée de peintures à fresque et qui sert d'étable aux Turkomans qui campent en cet endroit. La longueur de la cá- veme est , selon M. de Tchihattcheff (3) qui a visité après moi l'antre corycien , de 271 mètres , et sa hauteur de 30 mètres. La description du savant voyageur russe est fort exacte ; seulement il a eu , je crois , le tort de ne pas mentionner la végétation luxuriante qui entoure la grotte et la domine. L'immense forêt au milieu de la- quelle se trouve l'antre est trop remarquable pour qu'elle ait pu échapper à un savant aussi attentif. Je dois dire cependant qu'à l'époque de l'année où voyageait M. de Tchihattcheff, la végétation pouvait n'être pas encore dans toute sa vigueur ; mais comme moi il s'est aperçu sans doute que, pour arriver à la caverne, le chemin était rempli de difficultés , à cause des épaisses broussailles, des hautes herbes , des roseaux qui rendent la marche pénible et quel- quefois même dangereuse pour l'explorateur. L'antre de Corycus n'avait pas été visité par les voyageurs du moyen âge et modernes, et M. de Tchihattcheff, qui n'avait pas eu connaissance de mon explo- ration de la Cilicie Trachée, vers la fin de l'année 1852, a cru qu'il avait retrouvé le premier la caverne décrite avec tant de détails par Pomponius Mela. Depuis la publication de son article, j'ai connu personnellement le savant voyageur russe , et il est tombé d'accord avec moi sur la priorité de ma visite à cette grotte si fa- meuse dans l'antiquité , et sur l'existence des plants de safran à l'entrée de la caverne.

Dans sa lettre à M. J. Mohl, insérée dans le Journal asiatique, M. Tchihattcheff signale une inscription qu'il a vue sur l'une des parois intérieures du rocher. Cette inscription , ainsi que d'autres qu'il avait jointes à son mémoire , n'ayant pu être insérée dans le Journal asiatique, il a bien voulu me les communiquer lors de son départ de Paris , vers l'automne de 1854 , par l'entremise de M. Jules Mohl. Ces inscriptions, qui doivent être intéressantes, offrent mal- heureusement des traces de mutilation, et leur provenance n'est

(1) Strabon, XII; Pline, XXI, 17; Q. Curce, III, 4; Horace, Sat., Il, 4,68; Martial, bpigr., IX, 39, 6; Xèno ph., A nab., I, 2, 22; Lucrèce, II, 416.

(2} J'ai donné à M. de Tchihattcheff un échantillon des plants de safran de Co- rycus.

(3) Journal asiat., 1854. Lettre à M. Jules Mohl sur les antiquités de l'Asie Mi neure.

XII. 10

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 19: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

146 MJVÚB ARCHÉOLOGIQUE.

pas indiquée. Il esl probable que l'inscription (le la grotte de Cory- CU8 se trouve parmi celles dont je donne ici le texte et qui pourront être expliquées un jour par quelque savant épigraphiste versé dans l'étude du déchiffrement des textes lapidaires. J'ai eu soin de les transcrire avec beaucoup d'exactitude , d'après les copies faites sur les lieux, eu 1853, par M. de Tchihattcheff. Seulement il est bon de prévenir le lecteur que M. Trémaux,,qui voyageait en Asie Mi- neure en même temps que M. de Tchihattcheff, a recueilli aussi de nombreuses inscriptions dans les localités qu'a parcourues ce voya- geur, et il est probable que quelques-uns des textes publiés ici S3 trouvent dans le recueil de M. Trémaux, qui s'occupe actuellement de la publication de la partie de son ouvrage relative à l'Asie.

N° 1.

OAHMOI • . LH ONK AAYAIONKAAYAIO . . ONKYP2INA2AMOMAPETH2 . . EVNOIA[2]TH2EI2THNriAn . . OMAnonporoN . . neothpak. . . • • •TOYAHMOYMEniTON T. X.

N° 2.

...NCASnPnTOYMACI..II

. . . CYNnANTOCOIKOYTOn. . . C£BAC[T]HriATPIA. . . .

N" 3.

• • ACKECIKAIAPY. . . OICHAAAOGM- . . 8XOIOGA. . . OKHAHENOHCBOHOEIIEINAI ... 01 . . . OOACOOCAOCIKACIP6. . . ACTOC- . . O E...NCIIII YtlAOYC. • . OAIII

N° 4.

M • T. OYAAZZHAIA I - LXOT . Z • - . AZMENTTNOBA NinNOenNIEBLAZTÍlN] . . IABI. YAETONBOVAAtlONj KAIEZITH2EYK MIA2[A]PX0N0I I PON A ONE

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 20: VOYAGE EN CILICIE. CORYCUS, SON ÎLE ET SON ANTRE

VOYAGE DANS LA CILICIE. 147

EKTnniÁinNXPi MONZANTIKAITOIIYKNNO I2YATIOMA • • . KAriTOIKTEAM

N° 5. Ar AOHlJTY] XHI

M.AYPHAI022H KPATOY2 AA AAPI AN02 BOYAEYTH2 KAI AO IONI KH 1 1 0AVMIH0NNIKH2 nEI2AI02 nAPA

A0202 NEIKH2 Al TAME TAAAACYAAAEYA OIAAAEAOEYA...

N° C. M. ANTONIVS NICePHORVS MAPK02 ANTÍ1NI02 NIKHOOPOI

N° 7.

AnOAAHNIOCCOAA T020Y APAN L..KAIAIIMOI • -AEïANA IEAY TOYI2 • • - CONI XI ON... Til TA E2 NE ... • KE.. Il AIANILTICAAIIN EEHTOAiriAPAr ..EOE AlOEAir

Tels sont les résultats de mon exploration de Corycus, le mo- derne Kurko, ville jadis fameuse, ruines aujourd'hui informes. Ce mémoire pourra paraître insuffisant , mais il servira au moins de jalon , et un jour, sans doute , les descriptions qu'il contient seront complétées par d'autres voyageurs qui viendront enfin dire le der- nier mot sur les monuments des villes mortes de l'Asie Mineure.

Victor Langlois.

This content downloaded from 194.29.185.65 on Wed, 21 May 2014 20:02:16 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions