1
Notes de lecture 657 . ThCorie des emotions. ktude historico-psychologique. Traduit du russe par N. Zavialoff, C. Saunier. Introduction de N. Zavialoff. Paris : L’Harmattan ; 1998. Apres avoir attendu quelque 67 ans, l’ceuvre de Vygotsky aurait merite mieux qu’un pave de plus de 400 pages, saris intertitres pour ainsi dire, saris index, et avec une bibliographie succincte et difficile a reperer, tant la typographie et la mise en pages sont de mauvaise qualite. Enfin rejouissons-nous, nous avons un deuxieme ouvrage traduit en francais parmi la prolifique ceuvre de Vygotsky ! RCdigC entre 1931 et 1933, ce texte n’a fait l’objet dune publication complete en russe qu’en 1984 (a l’exception de deux extraits en 1968 et en 1970). Une longue introduction passionnante et fort erudite de Nicolas Zavialoff permet de mieux situer la pensee de Vygotsky, ses concepts majeurs et l’interet de ses apports dans les theorisations actuelles dune neurobiologie des emotions, telle que la defendent, par exemple, Damasio ou Dantzer. La Thtorie des &notions developpe un questionnement deja present dans Penste et lungage, concernant le lien entre cognitif et Cmotif. Si la determination sociale du lan- gage apparait toujours comme premiere, Vygotsky, n’ignorant pas l’importance du champ biologique, cherche a comprendre les modes d’interaction entre corps et esprit. 11refute ainsi une theorie cartesienne des passions et denonce ses influences sur les con- ceptions mecanicistes et spiritualistes de la psychologie contemporaine. La pensee de Vygotsky postule non seulement une unite psychosomatique, mais Cgalement une interaction constante et primaire entre unite psychosomatique et milieu. De ce fait, son modele devance le modele biopsychosocial, dominant actuellement dans l’approche neurobiologique des emotions, pour tendre vers la modelisation d’un systeme en chan- gement perpetuel et en Cquilibre instable. Non seulement le sujet participe a l’effort adaptatif, mais l’expression comme la reconnaissance de ses emotions sont dependantes du milieu et de la culture qui leur donne forme. On est loin d’un modble des stresseurs qui susciteraient des emotions et des reponses moderatrices adaptatives permettant d’en moduler l’impact. Avec Vygotsky, on se rapproche davantage de la modelisation dune intrication originaire et complexe entre systemelmilieu, dont les interactions ne peuvent se comprendre par exclusion mais par addition socio-biopsychologique. Faute de prendre en compte une telle approche, le resultat Cpouvantable auquel nous am&e la psychologie des emotions contemporaine, c’est d’avoir totalement prive de sens les passions de l’ame et d’avoir supprime tout espoir de comprendre un jour la signifi- cation vitale de la passion et, avec elle, de toute la conscience humaine. Au fond, ce resultat est deja integralement contenu dans la theorie cartesienne que nous venons d’examiner (p. 330). A lire et a relire par tous ceux qui s’interessent a la question de la conscience dans son enracinement psychocorporel et psychosocial. M. SantiagoDelefosse

Vygotsky L, ,Théorie des émotions. Étude historico-psychologique Traduit du russe par N. Zavialoff, C. Saunier. Introduction de N. Zavialoff (1998) L'Harmattan,Paris 463

Embed Size (px)

Citation preview

Notes de lecture 657

. ThCorie des emotions. ktude historico-psychologique. Traduit du russe par N. Zavialoff, C. Saunier. Introduction de N. Zavialoff. Paris : L’Harmattan ; 1998.

Apres avoir attendu quelque 67 ans, l’ceuvre de Vygotsky aurait merite mieux qu’un pave de plus de 400 pages, saris intertitres pour ainsi dire, saris index, et avec une bibliographie succincte et difficile a reperer, tant la typographie et la mise en pages sont de mauvaise qualite. Enfin rejouissons-nous, nous avons un deuxieme ouvrage traduit en francais parmi la prolifique ceuvre de Vygotsky ! RCdigC entre 1931 et 1933, ce texte n’a fait l’objet dune publication complete en russe qu’en 1984 (a l’exception de deux extraits en 1968 et en 1970). Une longue introduction passionnante et fort erudite de Nicolas Zavialoff permet de mieux situer la pensee de Vygotsky, ses concepts majeurs et l’interet de ses apports dans les theorisations actuelles dune neurobiologie des emotions, telle que la defendent, par exemple, Damasio ou Dantzer.

La Thtorie des &notions developpe un questionnement deja present dans Penste et lungage, concernant le lien entre cognitif et Cmotif. Si la determination sociale du lan- gage apparait toujours comme premiere, Vygotsky, n’ignorant pas l’importance du champ biologique, cherche a comprendre les modes d’interaction entre corps et esprit. 11 refute ainsi une theorie cartesienne des passions et denonce ses influences sur les con- ceptions mecanicistes et spiritualistes de la psychologie contemporaine. La pensee de Vygotsky postule non seulement une unite psychosomatique, mais Cgalement une interaction constante et primaire entre unite psychosomatique et milieu. De ce fait, son modele devance le modele biopsychosocial, dominant actuellement dans l’approche neurobiologique des emotions, pour tendre vers la modelisation d’un systeme en chan- gement perpetuel et en Cquilibre instable. Non seulement le sujet participe a l’effort adaptatif, mais l’expression comme la reconnaissance de ses emotions sont dependantes du milieu et de la culture qui leur donne forme. On est loin d’un modble des stresseurs qui susciteraient des emotions et des reponses moderatrices adaptatives permettant d’en moduler l’impact. Avec Vygotsky, on se rapproche davantage de la modelisation dune intrication originaire et complexe entre systemelmilieu, dont les interactions ne peuvent se comprendre par exclusion mais par addition socio-biopsychologique. Faute de prendre en compte une telle approche, le resultat Cpouvantable auquel nous am&e la psychologie des emotions contemporaine, c’est d’avoir totalement prive de sens les passions de l’ame et d’avoir supprime tout espoir de comprendre un jour la signifi- cation vitale de la passion et, avec elle, de toute la conscience humaine. Au fond, ce resultat est deja integralement contenu dans la theorie cartesienne que nous venons d’examiner (p. 330).

A lire et a relire par tous ceux qui s’interessent a la question de la conscience dans son enracinement psychocorporel et psychosocial.

M. Santiago Delefosse