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Entre démocratisation et commerce Conclusion L’abondance n’est pas synonyme que qualité : l’exemple des festivals le montre. Entre les impératifs d’équilibre financier, de succès populaire, de satisfaire une demande d’élus ou de collectivités locales, de répondre favorablement à certains mécènes envahissants, certains organisateurs en oublient la finalité essentielle pourtant bien simple : pourquoi monter un festival ? Quelle est sa vocation ? Il semblerait que cet aspect originel est essentiel soit bien souvent oublié. Bibliographie : L’actuel malaise dans la culture – François Richard – Editions de l’Olivier. Scar tissues – Anthony Kiedis – Flammarion Bass culture – Lloyd Bradley - Allia Partie 1 : Que de festivals ! Chaque année, à l’approche de l’été, se déverse en France, par tous les canaux médiatiques, la litanie des programmes qui déclencheront les transhumances festivalières. Les Escales de Saint-Nazaire, les Eurockéennes de Belfort, les Francofolies de La Rochelle, les Chorégies d’Orange, la Fiest’A Sète, Reggae Sun Ska dans le Médoc, Rock Knights sur le Larzac… y sont ainsi annoncés dans un beau concert de louanges — « Toujours plus nombreux, les festivals rivalisent d’ambition et d’énergie pour produire stars internationales ou spectacles déroutants », estime par exemple Le Monde 2 (13 juin 2009). Mais sous le vernis unanimiste pointe un autre discours, car pour nombre de Cassandre, à l’été 2010 retentira le requiem d’un modèle. L’exception culturelle se convertit peu à peu au culte de la rentabilité. Chapitre 1 : Quel équilibre ? Ce glissement ne date à la vérité pas d’hier. De reculades dans les politiques de soutien en réductions budgétaires drastiques, l’Etat se désengage depuis une décennie ; et ses financements, qui représentaient en moyenne 6 % des investissements mis en œuvre pour

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Entre démocratisation et commerce

Conclusion

L’abondance n’est pas synonyme que qualité : l’exemple des festivals le montre. Entre les impératifs d’équilibre financier, de succès populaire, de satisfaire une demande d’élus ou de collectivités locales, de répondre favorablement à certains mécènes envahissants, certains organisateurs en oublient la finalité essentielle pourtant bien simple : pourquoi monter un festival ? Quelle est sa vocation ? Il semblerait que cet aspect originel est essentiel soit bien souvent oublié.

Bibliographie :

L’actuel malaise dans la culture – François Richard – Editions de l’Olivier.

Scar tissues – Anthony Kiedis – Flammarion

Bass culture – Lloyd Bradley - Allia

Partie 1 : Que de festivals !

Chaque année, à l’approche de l’été, se déverse en France, par tous les canaux médiatiques, la litanie des programmes qui déclencheront les transhumances festivalières. Les Escales de Saint-Nazaire, les Eurockéennes de Belfort, les Francofolies de La Rochelle, les Chorégies d’Orange, la Fiest’A Sète, Reggae Sun Ska dans le Médoc, Rock Knights sur le Larzac… y sont ainsi annoncés dans un beau concert de louanges — « Toujours plus nombreux, les festivals rivalisent d’ambition et d’énergie pour produire stars internationales ou spectacles déroutants », estime par exemple Le Monde 2 (13 juin 2009). Mais sous le vernis unanimiste pointe un autre discours, car pour nombre de Cassandre, à l’été 2010 retentira le requiem d’un modèle. L’exception culturelle se convertit peu à peu au culte de la rentabilité.

Chapitre 1 : Quel équilibre ?

Ce glissement ne date à la vérité pas d’hier. De reculades dans les politiques de soutien en réductions budgétaires drastiques, l’Etat se désengage depuis une décennie ; et ses financements, qui représentaient en moyenne 6 % des investissements mis en œuvre pour les festivals en 2005, sont tombés à 4 % en 2008 (1). Pis : ces derniers, fils aînés de la « décentralisation culturelle », pour reprendre l’expression d’Emmanuel Négrier (2), s’inscrivent désormais dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) visant à réduire les dépenses de l’Etat pour tendre à l’équilibre budgétaire.

Si l’heure est grave, le malaise ne découle pas des seules difficultés actuelles. Une enquête sur l’économie des festivals en 2005, pilotée par le « réseau des musiques du monde » Zone franche, l’attribuait en premier lieu aux « financements, [à] l’insuffisance de politique de soutien à l’emploi, [au] déficit d’équipement et [au] manque de soutien de l’Etat en général ». Le problème est peut-être même inscrit dans les gènes de ce que l’on appelle la « festivalisation » de l’offre culturelle : « Le mot festival est devenu efficace en termes de levée de fonds. (…) Tous les programmateurs le savent, pour les financeurs et les audiences potentiels, le message doit être spectaculaire (3) », précise M. Dragan Klaic, professeur à l’université de Leiden, aux Pays-Bas, initiateur et directeur du Groupe européen de recherche sur les festivals (EFRP).

Le Festival de Salzbourg, né en 1920, paraît à ce titre emblématique : près de deux cent cinquante mille personnes viennent en juillet consommer de la culture dans le cadre prestigieux qui fut le

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berceau de Mozart. La bonne idée au bon moment dans le bon lieu : un business model s’est constitué sur ce trépied.

Chapitre 2 :« Un argument de mondanité »

En France, les festivals participent de la nouvelle ère culturelle qui s’est ouverte après la guerre. Celui d’Avignon s’est créé dès 1947 ; le Nice Jazz Festival, dans les arènes de Cimiez, l’année suivante. Théâtre romain de Vienne ou pinède en bord de plage à Juan-les-Pins, la recette du lieu à dimension touristique devient la valeur ajoutée. Et comme le territoire français ne manque pas de ressources en la matière, il sera si fertile en festivals de tout genre que nul ne peut chiffrer aujourd’hui l’offre complète — le site Infoconcert en comptabilisait déjà mille six cents entre début juin et fin août 2009…

« Pourquoi les élus locaux urbains, le plus souvent submergés par les questions propres aux difficultés contemporaines de la gestion de la ville et de ses habitants, sont-ils si facilement mobilisés pour ces opérations temporaires, coûteuses, dévoreuses de temps et d’énergie que sont les événements culturels ? », s’interroge l’anthropologue Alain Bertho (4). La réponse tient en partie à leur volonté de se lancer dans un marketing territorial nappé de culture pour tous. Les édiles sont à l’écoute de toute suggestion qui rendra visible leur clocher sur les autoroutes encombrées de l’été (5), car l’enjeu financier pour la filière et les retombées économiques pour les territoires ne sont pas minces (6). Responsable depuis 2001 du festival de jazz d’Amiens, M. Pierre Walfisz souligne la « pression énorme du politique, qui conçoit le festival comme une agence de communication pour sa ville et son département. Les festivals sont soumis à la loi du retour sur investissement ». Les politiques ont payé, il faut que ça se voie !

Signataire de la pétition du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) intitulée « La culture en danger », M. Walfisz n’en considère pas moins que « le crime originel incombe à Jack Lang : la version “société du spectacle” post-Vilar et Vitez. Le festival est devenu un argument de mondanité. On dit : “La Folle Journée de Nantes, c’est formidable, ça démocratise la musique classique parce qu’il y a plus de public.” C’est un faux argument. Démago ! Les fêtes du livre, de la musique, ça a contaminé tous les secteurs de la culture… On est quand même rémunérés pour concevoir des programmes, et non pour inscrire des artistes sur une affiche juste parce qu’ils sont dans l’actualité. »

Le choix d’implanter un festival tient aussi à la volonté d’une personnalité à fort ancrage local. La trajectoire de M. Jean-Louis Guilhaumon est un cas d’école. Principal du collège de Marciac, il a porté le projet de Jazz in Marciac : trente-trois éditions plus tard, ce village du Gers incarne un haut lieu du jazz mondial ; son directeur en est maire, ainsi que vice-président du conseil régional… chargé entre autres de l’économie touristique.

Deux autres parcours significatifs : celui de M. Christian Troadec, cofondateur des Vieilles Charrues de Carhaix en 1992, qui sera élu en 2001 maire divers gauche de cette ville du Finistère ; et celui du musicien Bernard Lubat, reparti en 1977 dans le terroir de ses origines familiales pour créer l’Uzeste musical, dont il sera cette année encore le principal catalyseur. L’un comme l’autre ont placé sous les projecteurs des terroirs « oubliés ». « Les Vieilles Charrues ont redonné une fierté à toute une région sinistrée », souligne M. Jean-Jacques Toux, l’un de ses directeurs artistiques. Et ce festival investit beaucoup dans l’identité bretonne, il a notamment contribué à l’établissement d’un lycée Diwan à Carhaix. Quant à Lubat, il a monté une compagnie qui s’est implantée dans ce petit pays d’Oc, et remis à l’œuvre L’Estaminet, maison fondée en 1937 par Marie et Alban Lubat, qui se métamorphosera bientôt en centre de recherche et d’innovation transartistique.

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Mais, sur le reste, tout oppose les projets des deux hommes. Les Vieilles Charrues sont passées de la « kermesse » pour deux mille personnes en 1993 à l’un des rendez-vous incontournables de juillet — affichant deux cent mille spectateurs et un budget de 6 millions d’euros. Celui d’Uzeste, qui dépend des subventions publiques, baisse régulièrement depuis dix ans (7). « La municipalité, vaguement socialiste, est terrorisée !, ironise Lubat. Qu’il y ait un problème entre artistique et politique est une nécessité dialectique critique. On est là pour poser des questions, et non pour asséner des réponses. » Cet empêcheur de ronronner en rond regarde avec perplexité l’évolution de la « festivalisation » sur trois décennies : « On a vu apparaître des expositions de technologies, des écrans géants avec des nains sur scène qui beuglent à la rébellion face à cent mille pèlerins. Les Francophobies, les Vieilles Verrues… De la démagogie participative à fond le tiroir-caisse. Cette massification n’est plus possible ! » Ce à quoi M. Toux rétorque : « Les subventions publiques ne constituent que 3 % du budget, sans aucun soutien du ministère. L’autofinancement est la clé de voûte. La billetterie avec les recettes annexes couvre tous les frais. » Et il fait remarquer que Les Vieilles Charrues dégagent des profits, répartis entre la centaine d’associations de bénévoles qui les soutiennent.

L’ambiguïté essentielle, qui est précisément au cœur du modèle de massification, n’en est pas pour autant dissipée : diffuser la culture à tous implique-t-il de proposer un goût standardisé ? Selon nombre de beaux discours, l’ambition initiale des festivals était de créer et de former un public… mais à quoi ? La question demeure souvent en suspens — comme bien d’autres : la quantité de concerts absorbés est-elle un gage de qualité ? Ce type d’événements sert-il la création artistique ? En d’autres termes, la musique a-t-elle besoin de festivals ?

Etablir une typologie festivalière se révèle par ailleurs fort malaisé, car on trouve tout et son contraire : petit budget à forte valeur créative comme grands moyens aux ambitions artistiques modestes ; soutien de l’Etat à des récréations sans intérêt comme adhésion populaire à des innovations sans subventions…

La remarque vaut aussi pour l’audience : il existe autant de publics que de festivals ; en outre, ceux-ci attirent chaque année un flot de nouveaux spectateurs. L’amateur qui va écouter des musiques postindustrielles dans les froidures de l’hiver ne se rend pas forcément au bord d’une plage l’été pour fredonner des bluettes. Le mélomane qui se déplace tout spécialement dans un festival pour une création originale peut pour sa part se trouver assis à côté d’un simple curieux venu pour la notoriété de ce festival… En revanche, une chose est sûre : la hausse régulière de la fréquentation va de pair avec la structuration professionnelle de telles manifestations. « Les festivals, après les musées, s’érigent en labels industrialisés. Surtout dans la musique. Le premier signe est l’affluence record », analyse le philosophe Yves Michaud dans Le Monde 2 (13 juin 2009). Une étude portant sur le public des festivals en Languedoc-Roussillon, réalisée en novembre 2009, fait ainsi apparaître que 39 % de l’audience était constituée en 2008 de nouveaux venus — un phénomène encore accentué s’agissant des musiques actuelles et du jazz. Selon cette étude, le public était composé majoritairement de femmes mais aussi d’actifs, âgés en moyenne de 51 ans, diplômés à plus de 70 % de l’enseignement supérieur, habitant dans la région et ayant dépensé en moyenne 23 euros pour l’occasion.

Chapitre 3 : Quels enjeux ?

Toutefois, certains enjeux qui ressortent des « sons d’hiver », moins touristiques, aident à établir une distinction entre les festivals — surtout quand ceux-ci se donnent à la périphérie de Paris, comme Banlieues bleues depuis vingt-sept ans. « Ce n’est pas dans la saison que ça se passe : la différence se situe d’abord dans le public et dans le décor. On n’est pas au bord de la mer en short, remarque en souriant M. Xavier Lemettre, qui a pris en 2000 la direction de ce festival de jazz. Notre démarche est

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atypique mais exemplaire. Nous suscitons productions et créations, nous multiplions les actions musicales envers des publics souvent délaissés — c’est-à-dire toutes les missions de service public dont on nous parle de moins en moins. Prendre des risques artistiques, cela suppose un soutien constant ! »

Banlieues bleues ne peut guère compter sur ses recettes propres : ce festival accueille entre dix mille et douze mille spectateurs dans le cadre des concerts payants… et entre huit mille et dix mille dans celui des actions musicales gratuites. Il mène, qui plus est, une politique de « tarifs extrêmement accessibles » et réalise « un énorme boulot de sensibilisation et de formation du public ». Mais s’il bénéficie d’aides diverses (14,68 % des 2,8 millions d’euros du budget global en 2009), le soutien de l’Etat (20,18 %) — déjà en recul, tout comme celui du conseil général (35,46 %) — se voit fragilisé par les réformes actuelles liées à la RGPP. « L’Etat se fait le garant d’une cohérence globale en veillant à ne pas multiplier les mêmes productions sur tout le territoire, insiste cependant M. Lemettre. C’est une source de diversité. Le débat sur les nouvelles missions obligatoires des collectivités territoriales est central, d’autant que ce sont les villes, départements et régions qui assument l’essentiel des charges. Ce financement croisé est la condition de notre maintien. »

Partie 2 : Du bénévolat mélomane au mécénat esthète

Africolor, qui se clôt avec le Noël mandingue, connaît la même fragilité. Ce festival né en décembre 1989, lui aussi en Seine-Saint-Denis, a pour orientation artistique une « musique de tradition extrêmement contemporaine, explique son fondateur et dirigeant Philippe Conrath. Pour les griots, c’est évident ». Aux yeux de cet ex-journaliste, sa spécificité réside dans un public « très communautaire, sans être communautariste, [et] qui s’est peu à peu élargi », et dans la volonté de susciter des rencontres, artistiques et humaines. « Africolor n’est pas un festival de diffusion qui enquille les tournées de promotion. L’économie de la découverte implique une économie de la subvention, particulièrement dans les musiques du monde. » Pour M. Conrath, pas de doute : « L’exception culturelle a permis des choses exceptionnelles » ; mais, vingt et un ans après, il avoue une difficulté certaine à monter des projets, à laquelle s’ajoute le douloureux problème des barrières administratives s’opposant à l’entrée de musiciens africains (8). « Aujourd’hui, le jugement quantitatif a remplacé l’évaluation qualitative. Résultat : les festivals programment des artistes censés faire des entrées, sur lesquelles sont désormais indexées les futures subventions. » Alors que le budget d’Africolor, de 350 000 euros, était jusque-là à l’équilibre, le voici sur le point de perdre 40 000 euros en deux ans avec l’arrêt de plusieurs subventions et, plus globalement, avec les réformes portant sur l’affectation des fonds, ce qui incite son responsable à évoquer une « mise en péril ».

Chapitre 1 : Que des gros festivals ?

Alors, bientôt la fin des petits festivals ? « Si les conseils régional et général ne peuvent plus financer, cela va poser un vrai problème, affirme M. Bernard Aubert, cofondateur de la Fiesta des Suds, le rendez-vous marseillais de l’automne. Il faut savoir qu’après le bâtiment et le tourisme ce secteur est le troisième employeur en PACA [Provence - Alpes-Côte d’Azur]. » Mais M. Aubert est également à l’initiative du forum Babel Med Music, dont la sixième édition se tenait en mars 2010, et cet événement qui draine plus de deux mille professionnels figure un nouveau modèle à mi-chemin entre le festival et le marché international (9). « Nous avons un club de partenaires privés : Ricard, EDF, Fondation Caisse d’épargne… Il y a même la CGT et la direction du port. C’est l’une de nos originalités », estime M. Aubert. Mais c’est aussi une nécessité, en raison de la réforme en cours et de l’évolution des goûts du public, pour qui « il faut désormais au moins une tête d’affiche dans la soirée ».

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Si les Transmusicales de Rennes, en décembre, ont fait le pari inverse en jouant la carte « découverte », au Printemps de Bourges se pressent désormais les professionnels. Alors que ce festival s’est positionné depuis 1977 en indicateur de tendances et révélateur de nouveaux talents, il programmait cette année Iggy Pop, Diam’s ou encore -M-.

Après avoir joué la partition du bénévolat mélomane, nombre de responsables festivaliers privilégient en effet leurs rapports avec le mécénat esthète, que favorise la loi Aillagon de 2003 qui défiscalise les dons à hauteur de 60 %. Au dire de M. Charles Robillard, son responsable du mécénat (10), un festival est une occasion idéale pour communiquer sur un nouveau produit. Il y a peu, SFR comptait ainsi toucher la « génération 3 G » à Bourges… « Nous avons des subventions à différents titres, dont celles de l’Etat, qui nous classe en festival d’intérêt général (11). Mais nous nous appuyons aussi sur le secteur privé. La multiplication des soutiens a neutralisé et dépolitisé le financement public », analyse M. Daniel Colling. Le fondateur et actuel directeur du Printemps de Bourges a lancé en 1976 l’agence de spectacles Ecoute s’il pleut ; il fut à la tête du Centre national des variétés, de la chanson et du jazz (CNV) et très impliqué dans la mise en place des Zénith (il gère toujours ceux de Paris et de Nantes)… L’exception culturelle, synonyme d’éclosion festivalière, ne serait-elle donc plus un modèle économique d’avenir ? « La loi sur le mécénat permet de bouger le curseur du financement entre partenaires publics et privés, rappelle M. Colling. On ira donc vers un domaine plus anglo-saxon. Cela fonctionne bien aux Etats-Unis. » Et les tentes de sponsors fleurissent, tels des carrés VIP, sur le parterre de ces nouvelles intentions.

Chapitre 2 : Quelles aides ?

Si le mécénat demeure en France inférieur aux moyennes européennes — il ne représente guère plus de 12 % du financement des festivals —, il serait selon M. Négrier en constante progression (12). Et cette nouvelle manne donne lieu à une sévère compétition, tandis que l’Etat se replie, que les collectivités territoriales s’appauvrissent, que la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), la société civile pour l’Administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami) et la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes (Spedidam) modifient leurs critères d’éligibilité et revoient à la baisse leur participation (13). Comme beaucoup, M. Lemettre a dû recourir au mécénat. « Il a bien fallu compenser. Tant qu’on n’y perd pas son âme… » Chaque année, il parvient à organiser Banlieues bleues, malgré une programmation peu consensuelle. Mais le danger grandit pour les festivals consacrés aux esthétiques tenues comme peu accessibles au grand public, donc moins attractifs pour les mécènes. Car la philanthropie a ses limites. Ainsi M. Klaic note un « écart grandissant entre ceux qui fondent leur stratégie sur la recherche de fonds et de marketing et ceux qui considèrent comme primordiaux les objectifs artistiques (14) ».

Alors que les subventions se cantonnent désormais aux événements majeurs, les réformes actuelles risquent d’annihiler à terme toute redistribution. La lecture du rapport du CNV le confirme : les différences d’affectation de crédits se creusent entre festivals à risques et festivités moins osées. Cette concentration renforce le caractère incontournable de quelques opérateurs (lire Une tendance à la concentration). De surcroît, on observe dans les festivals à la fois une hausse du poste artistique dans le budget et une diminution du nombre de groupes. Autrement dit, les cachets vont en priorité aux têtes d’affiche — en 2009, les Vieilles Charrues auraient payé près de 1 million d’euros l’« exclusivité » de Bruce Springsteen. « La tendance générale voit l’écart se creuser entre les budgets consacrés aux têtes d’affiche et ceux dont bénéficient les artistes moins connus. Il ne reste rien pour les petits groupes », déplorait en juin 2009 M. Christophe Davy, directeur de Radikal et programmateur du Printemps de Bourges (15). Lors du récent Babel Med Music, les professionnels s’inquiétaient de ce mouvement amorcé il y a une décennie, mais renforcé par les politiques récentes. « En observant

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comparativement les dossiers de la fin des années 1980, je me suis rendu compte [de l’]incroyable chute des salaires [versés] aux artistes, qui sont parfois divisés par deux », confiait M. Benjamin Sauzay, de l’Adami (16), mettant à mal l’idée reçue selon laquelle les festivals fournissent aux artistes l’essentiel de leurs revenus.

Partie 3 : Ne pas oublier l’objectif initial

Certes, avec la transformation des fêtes votives en festivals productifs, « des centaines de festivals, plus ou moins importants, sont apparus [et] nul ne peut s’en plaindre : ni les artistes ni le public, estime M. Colling. Sous l’impulsion du ministère de la culture, il y a eu une progression en vingt-cinq ans de programmes et d’équipements : soixante scènes labellisées SMAC [scènes des musiques actuelles] qui sont aidées par les collectivités territoriales et les DRAC [directions régionales des affaires culturelles] ».

Chapitre 1 : Quelle culture ?

Mais subsiste le problème majeur : celui de la diffusion, autrement dit des endroits réservés aux activités culturelles en régions (salles de spectacle fonctionnant à l’année, clubs…). C’est pourquoi, au vu de son expérience, M. Aubert tempère le point de vue précédent : « Soutenir la musique implique de créer des lieux. C’est un peu en panne à Marseille, qui a du mal à investir l’espace public. Et pourtant, c’est ce qui fera vivre le secteur ! »

Il y a quelques années, un conseiller du ministère de la culture (17) notait : « Les festivals sont pour les élus des manières de se dédouaner à peu de frais de leurs obligations d’action culturelle sur l’année. » Pour être avéré en bien des cas, ce constat est démenti par le grand nombre d’actions que l’on voit se transformer en outils pérennes dans chaque région. Sur ce sujet sensible, les professionnels sont (forcément) partagés. « Si la diffusion de la musique augmente depuis trente ans, c’est au profit du tourisme culturel à la petite semaine. L’événementiel tue tout ce qui se passe au quotidien. La vie, ce n’est pas une fois par mois, par an ! », réagit Lubat. M. Conrath, lui, persiste à croire dans les valeurs humanistes de la culture pour tous. « Ce ne sont pas les festivals, mais les Zénith qui ont créé du vide culturel. On n’a jamais réfléchi à tout ce cheminement qui mène d’une petite salle à l’Olympia. »

Chapitre 2 : Quelle finalité ?

M. Walfisz voit plus loin : « Un festival, c’est créer du lien entre les artistes, les publics, les générations, les esthétiques. C’est donner du sens à tous ces liens. C’est là qu’il faut bosser, il n’y a pas de secret ! A aucun moment on ne se pose la question de l’utilité sociale et culturelle. Trop peu ont fait leur boulot, et du coup tout le monde est attaquable. Quel est le bilan de la démocratisation de la culture dans les quartiers défavorisés ? Ça n’a pas avancé en trente ans. D’ailleurs, les directeurs des scènes nationales sont les mêmes depuis ! »

Des contre-exemples existent cependant. Comme celui de M. Frédéric Ménard, qui fonda Zutique Productions en 1995, alors qu’il était objecteur de conscience. Quinze ans plus tard, il est directeur de cette structure qui pilote deux festivals sur Dijon : Tribu, né en 1999, et Human Beatbox, son petit frère. Installée dans une barre HLM de Dijon, Zutique travaille en partenariat avec l’Office public d’aménagement et de construction (OPAC) pour susciter un pôle de création artistique : la Coursive des Grésilles, du nom de ce quartier en pleine rénovation. « Rien à voir avec une friche industrielle, précise M. Ménard. On vient vivre avec les habitants. Les fêtes populaires s’organisent avec et pour eux. Il s’agissait de contextualiser notre action avant d’en faire un équipement. »

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Pour y parvenir, il a organisé des concerts au pied des immeubles. Dix ans se sont révélés nécessaires, ponctués de galères qui l’ont obligé à diversifier les activités pour éviter d’être tributaire du seul rendez-vous annuel, Tribu. Zutique organise à présent des concerts en régions, s’occupe de faire tourner certains projets, propose des activités de conseil… « Il est temps de trouver d’autres modèles que ceux de Malraux et de Lang. » Comment ? « En valorisant la réciprocité entre opérateurs et en travaillant sur une économie plurielle. Il faut associer les principes de marché [billetterie, tournées privées] à une économie de redistribution [subventions]. »

Et, surtout, il ne faut pas oublier l’objectif initial de ce contrat « socioculturel », conclut le responsable de Zutique : « Amener les cultures et des projets innovants dans des quartiers délaissés, (…) une mission de service public. C’est une vraie démarche politique et structurelle — et tout cela est devenu possible grâce au festival, qui sert de locomotive depuis 1999. »

Introduction

Le grand cirque des festivals musicaux

Les festivals avaient l’ambition, artistique et sociale, de démocratiser la culture et de « former » un public. En attirant des centaines de milliers de spectateurs chaque année, ils sont devenus des piliers de la vie culturelle française. Si l’essor de la « festivalisation » est signe de réussite, elle tend cependant à s’accompagner d’une standardisation des goûts, ainsi que d’une emprise progressive des financements privés : la mission des festivals s’efface peu à peu.

Annexes et Compléments.

•D’après un rapport encore confidentiel du Centre national des variétés, de la chanson et du jazz (CNV), chargé de collecter une taxe sur la billetterie et de la redistribuer.

•Emmanuel Négrier et Marie-Thérèse Jourda, Les Nouveaux Territoires des festivals, France Festivals-Michel de Maule, Paris, 2007, p. 180.

•Anne-Marie Autissier (sous la dir. de), L’Europe des festivals. De Zagreb à Edimbourg, points de vue croisés, Culture Europe International - Editions de l’attribut, Toulouse, 2008, p. 212.

•Idem, p. 23.

•Un rapport du CNV établit la répartition saisonnière des festivals comme suit : 45 % en été, 22 % au printemps, 26 % à l’automne et 7 % en hiver.

•Selon Musique Info Hebdo de juin 2009, trois cent cinq festivals en France (musique, danse et théâtre) seraient subventionnés par les collectivités publiques, pour un montant de 19,7 millions d’euros.

•Depuis 1999, l’aide du conseil général de Gironde a diminué de près de moitié. En 2007, les subventions publiques s’élevaient à 56 000 euros, contre 71 550 euros en 2006.

•Cf. Le Monde 2, 7 juin 2008.

•400 000 euros de budget, tandis que la Fiesta affiche 1 million d’euros, provenant pour 30 % du privé, 40 % du public et 30 % de la billetterie (cinquante-huit mille entrées payantes).

•On peut lire ses « conseils » dans le dossier de La Scène publié en mars 2007.

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•La directive nationale d’orientation du 31 janvier 2003 décrète que « le ministère de la culture et de la communication n’a pas vocation à financer les festivals » et que le soutien financier est réservé à « ceux de qualité artistique reconnue et de portée nationale, ou ayant une action permettant de structurer l’activité culturelle tout au long de l’année sur le territoire qu’ils irriguent ».

•A titre de comparaison, la contribution des départements est de 26 %, celle des municipalités et intercommunalités de 21 %, celle des régions de 21 % et celle du ministère de 6 %.

•Depuis la loi de 1985 relative à la redevance de droit pour les copies privées, les sociétés de perception des droits d’auteur et voisins doivent redistribuer dans la création et les actions culturelles une partie de leurs fonds. Mais, avec la chute de la redevance liée entre autres à Internet, on assiste à une réduction des sommes versées.

•L’Europe des festivals, op. cit., p. 220.

•Musique Info Hebdo, juin 2009.

•Les Nouveaux Territoires des festivals, op. cit., p. 113.

Index

Table des illustrations

Table des matières

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Images

Festival de Salzbourg

Festival des vieilles charrues

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Bernard Lubat