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INTRODUCTION L'objet de toute introduction est, pour l'essentiel, d'expliquer de quoi on va parler ; mais pour une fois cette tradition aura une utilité autre qu'académique, car il existe une réelle difficulté à circonscrire le champ du « droit des affaires ». Ce terme couvre en effet un domaine trop vaste pour être sérieusement traité en 18 heures. Il est donc nécessaire de faire des choix. L'objet de ce cours, loin de prétendre à l'exhaustivité, est d'apporter aux étudiants (qui, de toute façon, ne sont pas censés être de « purs » juristes) les notions générales et le vocabulaire indispensables pour comprendre, avant l'intervention éventuelle d'un juriste spécialisé, les difficultés juridiques soulevées par les situations auxquelles ils pourront être confrontés en pratique. Il est nécessaire en effet de maîtriser certaines notions, afin de déterminer, en amont, quand l'intervention d'un spécialiste est nécessaire. Une connaissance juridique de base est, en aval, tout aussi indispensable pour comprendre (et, peut-être, contrôler) la réponse fournie par l'avocat ou le juriste d'entreprise consulté. On présentera donc tout d'abord l'objet de ce cours (§1), avant de donner quelques (brèves) indications historiques (§2). §1 : Droit des affaires ou droit commercial ? Le cours de droit des affaires en deuxième année d'AES (comme de Droit) était autrefois intitulé, comme il l'est encore dans plusieurs Facultés, « droit commercial ». Ce changement de dénomination n'est pas neutre : le droit commercial est une branche du droit, qu'on peut définir grosso modo comme l'ensemble des règles qui s'appliquent spécifiquement aux commerçants (on verra plus loin ce qu'est au juste, au sens juridique du terme, un commerçant).

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INTRODUCTION

L'objet de toute introduction est, pour l'essentiel, d'expliquer de quoi on va parler ; mais pour une fois cette tradition aura une utilité autre qu'académique, car il existe une réelle difficulté à circonscrire le champ du « droit des affaires ».

Ce terme couvre en effet un domaine trop vaste pour être sérieusement traité en 18 heures. Il est donc nécessaire de faire des choix. L'objet de ce cours, loin de prétendre à l'exhaustivité, est d'apporter aux étudiants (qui, de toute façon, ne sont pas censés être de « purs » juristes) les notions générales et le vocabulaire indispensables pour comprendre, avant l'intervention éventuelle d'un juriste spécialisé, les difficultés juridiques soulevées par les situations auxquelles ils pourront être confrontés en pratique.

Il est nécessaire en effet de maîtriser certaines notions, afin de déterminer, en amont, quand l'intervention d'un spécialiste est nécessaire. Une connaissance juridique de base est, en aval, tout aussi indispensable pour comprendre (et, peut-être, contrôler) la réponse fournie par l'avocat ou le juriste d'entreprise consulté.

On présentera donc tout d'abord l'objet de ce cours (§1), avant de donner quelques (brèves) indications historiques (§2).

§1 : Droit des affaires ou droit commercial ?

Le cours de droit des affaires en deuxième année d'AES (comme de Droit) était autrefois intitulé, comme il l'est encore dans plusieurs Facultés, « droit commercial ». Ce changement de dénomination n'est pas neutre : le droit commercial est une branche du droit, qu'on peut définir grosso modo comme l'ensemble des règles qui s'appliquent spécifiquement aux commerçants (on verra plus loin ce qu'est au juste, au sens juridique du terme, un commerçant).

Mais aujourd'hui, un professionnel qui intervient dans la vie économique, qu'il soit exclusivement juriste ou non, ne peut se contenter de simplement connaître le « droit commercial ». C'est que la vie économique fait intervenir de nombreuses règles de droit, qui n'appartiennent pas au droit commercial stricto sensu, mais qu'il est impossible de méconnaître sant paraître complètement incompétent.

D'où l'idée de se dégager du concept étriqué de « droit commercial », pour enseigner aux étudiants qui se destinent à une profession dans le domaine des « affaires », l'ensemble des connaissances juridiques utiles dans ce domaine 1. C'est pourquoi on parle aujourd'hui plus volontiers de « droit des affaires ».

De plus, la distinction du droit commercial et du droit civil est peut-être obsolète : inconnue de la Common law 2, elle n'apporte pas grand-chose dans la mesure où par exemple la plupart des contrats commerciaux sont, avant tout, soumis aux règles du droit civil. A l'inverse les institutions les plus originales du droit commercial ne tirent pas directement cette originalité de leur appartenance au « droit commercial » en tant que tel, mais plutôt de l'existence d'une législation spéciale, propre à chaque matière particulière (la lettre de change, le bail

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commercial, le droit de la faillite...).

Il faut ajouter que de nombreuses institutions initialement propres au droit commercial sont désormais applicables à la vie civile (le chèque n'est qu'une variété de lettre de change, il existe désormais une « faillite civile »...).

Reste que le droit commercial général, en tant que branche du droit 3, est une réalité du droit positif français, dont on ne peut éluder l'étude. Surtout, le droit des affaires, entendu comme l'ensemble des règles manipulées par ceux qui travaillent dans le monde des affaires, recouvre un domaine extrêmement large. Il est évident que l'on ne pourra pas le traiter dans son ensemble, et le droit commercial est après tout un point de départ qui en vaut un autre ; on donnera toutefois un rapide aperçu de ce qu'on peut inclure dans le droit des affaires entendu au sens large :

Le droit des obligations : le droit des contrats (formation, exécution...) est évidemment essentiel puisque le contrat est l'instrument essentiel des échanges économiques ; les grands principe de la responsabilité civile ne peuvent pas plus être ignorés, car la vie des affaires peut évidemment donner lieu à responsabilité. La matière faisant déjà l'objet d'un enseignement en deuxième année, on n'y reviendra pas.Les règles spécifiques à chaque type de contrat (ce que l'on désigne de façon générale par « droit des contrats spéciaux », qui se subdivise encore pour certains contrats très réglementés : le droit des assurances par exemple).Le droit des sûretés, c'est-à-dire l'ensemble des techniques qui permettent d'accroître les chances d'être payées pour un créancier.Le droit patrimonial de la famille, et notamment le droit des régimes matrimoniaux, est d'une grande importance, notamment pour les acteurs qui interviennent en leur nom personnel, au lieu d'intervenir par le biais de sociétés.Le droit de la consommation a pour objet les règles protectrices du consommateur ; celui-ci étant la plupart du temps le destinataire final des opérations du monde des affaires, ce corps de règles relève du droit des affaires au sens large.Il est évidemment impossible d'éluder le droit fiscal.Toute entreprise ou presque ayant des salariés, le droit du travail, qui soulève un contentieux judiciaire énorme, ne peut être ignoré.Il existe un droit pénal des affaires, qui étudie les infractions spécifiques à la vie des affaires ; sa compréhension passe par une connaissance minimale du droit pénal général et de la procédure pénale.Le droit de la propriété intellectuelleIl faut aussi mentionner divers domaines spécialisés du droit commmercial à proprement parler :Le droit des sociétésLe droit bancaireLe droit de la concurrenceLe droit des procédures collectives (« droit de la faillite »)...On pourrait certainement allonger la liste. C'est pourquoi il n'est pas possible de traiter réellement comme un ensemble le « droit des affaires ». Cet intitulé, trop général et au contenu hétéroclite, convient finalement plus à un diplôme qu'à un cours unique. C'est pourquoi malgré le changement de titre, en pratique le programme du cours de droit des affaires en deuxième année est, à peu près partout, identique à celui du cours intitulé « droit commercial » que l'on dispensait il y a vingt ans.

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Nous ne dérogerons pas à la règle, et ce cours de « droit des affaires » sera, en réalité, un cours de droit commercial.

Reste à présenter la spécificité de cette branche du droit.

§2 : Spécificité du droit commercial

A)Aperçu historique

Il semble qu'il ait toujours été nécessaire, dès lors que les échanges économiques s'intensifient, d'adopter un certain nombre de règles spécifiques au monde des affaires : des opérations fondamentalement identiques comme, par exemple, des ventes, ne peuvent en pratique pas être traitées à l'identique lorsque les parties sont des personnes novices dans les affaires, qui réalisent une opération ponctuelle sur un élément fondamental du patrimoine familial, et lorsqu'elles sont des marchands aguerris qui traitent des dizaines d'opérations par jour.

C'est pourquoi au risque de caricaturer un peu les choses, on peut penser qu'il a toujours existé, d'une façon ou d'une autre, une sorte de dualité entre la vie « civile » et la vie « commerciale » ; les actes de la vie civile étant essentiellement soumis à une exigence de sécurité, ceux de la vie des affaires, à celle d'efficacité.

Cela ne veut pas dire qu'il y a nécessairement une distinction fondamentale dans chaque système juridique, entre le droit commercial et le droit civil : il peut exister un certain nombre de règles particulières au commerce, sans que nécessairement il existe, pour simplifier, un « Code civil » et un « Code de commerce », et sans que les juristes se sentent obligés d'opérer une summa divisio (distinction fondamentale) entre le « droit civil » et le « droit commercial ».

Toutefois, une dualité de cet ordre existait au moins en germe dans le droit romain, qui distinguait entre le ius civile, formaliste et réservé aux citoyens romains, et le ius gentium, moins formaliste, plus efficace et applicable à tous ; cette distinction, toutefois, n'était pas identique à notre distinction entre le droit civil et le droit commercial 4.

Le droit romain, s'il est à la source de la plupart de nos notions juridiques générales (au moins sur le terrain de la terminologie le contenu des notions ayant, quant à lui, profondément changé au cours des siècles), n'a pas eu toutefois une influence directe sur notre droit commercial. A cet égard, le Moyen-Age est une période qui nous intéresse plus.

A partir du XIème siècle, la reprise des échanges économiques a causé l'apparition d'usages commerciaux, notamment en Italie du Nord et dans les Flandres, et la création, dans les places commerciales (foires), de juridictions particulières, presque toujours consulaires 5. Le droit commercial en a conservé un important rôle accordé à la coutume. En France les usages commerciaux ont été codifiés, comme les coutumes du Royaume, par diverses ordonnances royales, et dans la plupart des grandes villes des juridictions consulaires furent établies.

La nécesssité de favoriser la rapidité des échanges, ainsi que la spécificité des juridictions consulaires 6 ont donné au droit commercial un esprit général plus attaché à la rapidité des échanges, donc moins formaliste et moins protecteur que le droit civil « ordinaire ». Cette

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caractéristique innerve encore notre droit commercial, même si d'autres considérations, d'ailleurs parfois contradictoires entre elles, sont aujourd'hui prises en compte : protection du consommateur, de la concurrence, de l'emploi, de l'environnement...

Après la Révolution, un Code de commerce édicté par une loi du 15 septembre 1807 a réuni les ordonnances préexistantes. Il y eut par la suite de nombreuses lois spécifiques à certains domaines particuliers (lois successives sur la faillite, Décrets-loi de 1935 sur la Lettre de change, Loi de 1966 sur les sociétés commerciales...).

Une ordonnance du 18 septembre 2000 a regroupé à droit constant (plus quelques coquilles), au sein d'un nouveau Code de commerce, ces matières éparses. La partie qui intéresse ce cours se trouve essentiellement dans le livre 1er, « Du commerce en général ».

Il faut toutefois savoir que le particularisme du droit commercial est tout relatif : les contrats dits « commerciaux », notamment, sont, sous réserve de quelques spécificités que nous présenterons en leur temps, soumis au même régime que les contrats civils ; par ailleurs de nombreuses institutions « circulent » entre le monde commercial et la vie civile (telle, notamment, l'adoption récente de la « faillite civile », qui est la transposition à la vie civile, de la liquidation judiciaire).

B)Les litiges commerciaux

1) Les Tribunaux de commerce

Ce sont des juridictions de première instance, composées de juges élus parmi les commerçants, qui délibèrent en nombre impair, en principe au moins trois. Il s'agit d'une élection indirecte : les juges sont élus par un collège composé des délégués consulaires eux mêmes élus 7, des membres du tribunal de commerce ainsi que des anciens membres qui en font la demande (art. L. 413-1 du Code de l'organisation judiciaire).

Les tribunaux de commerce sont créés par décret en Conseil d'Etat, qui fixe leur siège et leur ressort (art. L. 411-2 C. com.), lequel ne coïncide donc pas nécessairement avec celui des Tribunaux de grande instance ; s'il n'y a pas de Tribunal de commerce dans la circonscription c'est le TGI qui est compétent.

Compétence d'attribution (art. L. 411-4 C. com.) :

Contestations entre commerçants ou établissements de créditContestations relatives aux sociétés commercialesContestations relatives aux actes de commerce entre toutes personnes, même si elles n'ont pas la qualité de commerçants 8 ; en revanche, certaines obligations commerciales échappent à la compétence des tribunaux de commerce :Les litiges individuels nés à l'occasion d'un contrat de travail relèvent des Conseils de prud'hommes, même lorsque le contrat est, à l'égard de l'employeur, commercial. ;Les litiges relatifs à un accident de la circulation automobile, même en cas de transport commercial (compétence exclusive des Tribunaux de grande instance) ;Les litiges relatifs aux baux commerciaux (idem) ;Les litiges relatifs aux marques et brevets (idem).Art. L. 621-5 C. com. : compétence du Tribunal de commerce pour les procédures collectives (« faillites ») si le débiteur est commerçant ou inscrit au répertoire des métiers.

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Compétence territoriale : on applique les règles du droit commun

art. 42 du Nouveau Code de procédure civile : lieu du domicile du défendeur (+ art. 43 : lieu où la personne morale est établie)art. 46 NCPC : en matière contractuelle, lieu du domicile du défendeur, ou lieu de livraison effective de la chose ou de l'exécution de la prestation de service.

Recours : le Tribunal de commerce statue à charge d'appel au-delà de 4000 € (art. R. 411-4 du Code de l'organisation judiciaire) ; l'appel est formé devant la Cour d'appel, dont les membres sont, à la différence des membres de tribunaux de commerce, des juges professionnels.

Le maintien des Tribunaux de commerce est discuté. Plusieurs raisons sont avancées en faveur de leur suppression :

Les règles mises en œuvres dans les litiges commerciaux sont souvent très complexes ; il n'est pas sûr que des juges qui ne sont pas juristes de formation soient toujours à même de les manipuler.Cette objection n'en serait pas une si, comme c'était le cas à l'origine, les juridiction consulaires statuaient en équité (c'est-à-dire, en fonction de ce qui semble juste au cas par cas, sans trop se préoccuper de règles générales) ; mais elles doivent aujourd'hui statuer en droit ; du reste l'appel éventuel sera porté devant une Cour d'appel, composée de magistrats professionnels. L'intérêt de maintenir l'exception en première instance n'est donc pas évident. Il est vrai en revanche que pour apprécier matériellement certaines situations, l'expérience des affaires compte plus que la technique juridique. La solution est peut-être dans l'échevinage (juridiction composée de magistrats professionnels et de juges élus) ; les juges des tribunaux de commerce y sont quant à eux très hostiles, car ils y perdront leur liberté : le juge professionnel sera en quelque sorte un « surveillant ».On a reproché aux juges consulaires de n'être pas toujours d'une probité à toute épreuve, notamment lors des procédures de liquidation judiciaire 9.

2) L'arbitrage

Il ne s'agit pas là d'une institution exclusivement réservée au droit commercial, mais son domaine naturel reste le monde des affaires.Les parties à un contrat commercial (Art. L. 411-4 C. com.) —mais pas à un « contrat mixte », c'est-à-dire un contrat conclu entre un commerçant et un non commerçant—, ainsi que, depuis une loi du 15 mai 2001, les parties à un contrat conclu à raison de « l'activité professionnelle » (art. 2061 C. civ.), peuvent décider à l'avance de soumettre leur litige à un arbitrage ; on parle de « clause compromissoire », qui doit être stipulée par écrit (art. 1443 du Nouveau Code de procédure civile). Cette possibilité est notamment (mais pas uniquement) utilisée en matière internationale, où elle est admise encore plus facilement, dès lors que l'opération présente un « élément d'extranéité », c'est-à-dire est lié, d'une manière ou d'une autre, à l'international.

Il est aussi possible de convenir après la naissance du litige, qu'il sera tranché par arbitrage (on parle de « compromis »), cette fois en toutes matières sauf celles d'ordre public (état des personnes...). Si une juridiction étatique est alors saisie, elle doit se déclarer incompétente, mais ne peut le faire d'office.

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La décision rendue par le (ou les) arbitre(s), appelée « sentence », a l'autorité de chose jugée. L'exécution forcée n'est toutefois possible qu'en vertu d'une décision du président du Tribunal de grande instance, statuant à juge unique par ordonnance sur requête. Cette décision est appelée exequatur.

Il ne s'agit pas toutefois de rejuger l'affaire : l'exequatur ne peut être refusée que si la prétendue sentence n'en constitue pas une, si elle n'a pas le caractère contentieux 10, si ses dispositions sont contraires à l'ordre public, si la sentence méconnaît la clause compromissoire elle-même ou si elle est incompatible avec une décision française irrévocable portant sur le même objet entre les mêmes parties (il s'agit de règles prétoriennes 11, aucune loi écrite ne fixe les conditions d'octroi de l'exéquatur).

Par ailleurs, en principe un appel est possible contre la sentence arbitrale (devant la Cour d'appel), sauf si la clause compromissoire ou le compromis l'écarte. Même dans ce dernier cas, un recours en annulation devant la Cour d'appel est en revanche toujours possible pour les vices les plus graves, énumérés à l'art. 1484 NCPC (non-respect du contradictoire ou de l'ordre public, nomination irrégulière de l'arbitre, violation de la convention d'arbitrage, nullité ou expiration de celle-ci...).

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#Posté le mercredi 07 février 2007 09:55

PARTIE 1 - DROIT DES AFFAIRES PARTIE I : L'ACTIVITE COMMERCIALELe commerce est une activité. L'objet de cette première partie est de présenter ce qui en fait la spécificité. Il faut donc tout d'abord présenter ce que sont les actes que l'on peut qualifier de « commerciaux » (Titre I). Nous verrons ensuite que certaines personnes ont pour métier d'effectuer régulièrement de tels actes, on les appelle « commerçants » ; de cette qualité découle un statut particulier, qui sera présenté en second lieu (Titre II).

TITRE I : LES ACTES DE COMMERCE

Très classiquement, on commencera par les déterminer (Ch. 1), avant de présenter leur régime (Ch. 2)

Chapitre I : Détermination des actes de commerce §1 : Présentation générale

Sous l'Ancien Droit, il n'y avait pas vraiment de théorie générale des actes de commerce : les juristes appelaient « actes de commerce » les actes accomplis par les personnes qui avaient la qualité de marchand, et la véritable question était donc de savoir comment on acquérait cette qualité. C'était un système corporatiste.

La Révolution, attachée au principe mythique de l'Egalité entre les individus, véhiculait une idéologie très hostile aux corporations et, par conséquent, aux juridictions corporatistes. Or,

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même si elle a d'autres conséquences qu'on verra plus loin, l'intérêt premier de la qualification commerciale, en tout cas à cette époque, était la compétence des juridictions consulaires.

Afin de maintenir des juridictions spécialisées dont la nécessité pratique n'était pas contestée à l'époque, tout en sauvegardant le dogme de l'Egalité en droit entre toutes personnes, les rédacteurs du Code de commerce de 1807 ont renversé la perspective : on a déterminé un certain nombre d'actes commerciaux par nature, quelles que soient les personnes qui les effectuent. Ainsi le droit commercial et la compétence juridictionnelle d'exception n'apparaissaient plus comme les prérogatives d'une caste spéciale, mais comme le droit applicable à un certain type d'actes, que tout un chacun pouvait accomplir.

Ce principe était complété, en premier lieu, par l'attribution de la qualité de commerçant aux personnes qui accomplissent à titre habituel les actes de commerce par nature ainsi définis (cf. Titre II), et, en second lieu, par une présomption selon laquelle les actes accomplis par lesdits commerçants étaient eux-mêmes commerciaux (on parle d'actes de commerce « par accessoire », cf. infra).

En pratique les actes de commerce se présentent rarement à l'état isolé : ils sont en général l'œuvre de personnes qui en accomplissent régulièrement. Dans la grande majorité des cas, c'est donc en vertu de cette présomption que les actes sont qualifiés d'actes de commerce, c'est-à-dire que concrètement, la plupart du temps le système fonctionne comme sous l'Ancien Droit (on déduit la commercialité de l'acte, du statut de commerçant de son auteur).

Ainsi, les grands principes étaient sauvés, tout en maintenant en pratique le fonctionnement du système ancien ; hypocrisie très fréquente dans les constructions juridiques (et politiques) françaises.

On n'a jamais pu trouver, toutefois un critère objectif satisfaisant de ce qu'est, précisément, le « commerce » :

Le critère de la spéculation, c'est-à-dire de la recherche du profit, n'est pas suffisant (on verra que de nombreux actes à but lucratif sont exclus de la commercialité) ni, d'ailleurs, véritablement nécessaire car certains actes considérés comme commerciaux (assez exceptionnels il est vrai : actes de commerce « par la forme » - que l'on présentera en leur temps -, actes liés au sponsoring ou au mécénat...) ne remplissent pas nécessairement cette condition.Le critère, de prime abord intéressant, de l'entremise 1 (c'est-à-dire, une activité liée à la circulation et non à la production des richesses) n'est pas pleinement satisfaisant car il n'explique pas certaines qualifications spécifiques 2 . Surtout, la distinction entre ce qui relève de la production et ce qui relève de la circulation des richesses est, sur le plan de la théorie économique, complètement dépassée : les économistes savent depuis longtemps que le déplacement d'un bien peut accroître sa valeur, donc créer de la « richesse ».Le critère moderne de l'entreprise, très à la mode dans la doctrine moderne, ne fait que repousser le problème car cette notion est elle-même dénuée de définition précise.

Dans la mesure où la Loi elle-même fournit une liste d'actes de commerce par nature (qui seront présentés infra), on pourrait penser que cette incertitude n'est pas bien grave en pratique.

Le problème est que la vie, dans le monde des affaires comme ailleurs, ne se laisse jamais

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enfermer dans une énumération légale. Les tribunaux ont donc été confrontés à des actes qui n'étaient pas prévus dans la loi, mais qui intuitivement relevaient à l'évidence du monde du commerce. Ils les ont qualifiés de commerciaux, même si la loi ne le prévoyait pas. On y reviendra.

A défaut de critère précis, et dans la mesure où la liste n'est pas close (car la pratique des affaires évolue sans cesse), il faut donc admettre que le domaine exact des actes commerciaux reste flou, et susceptible d'évolutions. Plutôt que d'apprendre par cœur une liste susceptible d'évoluer, il faut comprendre l'esprit général du système, et se souvenir de quelques principes essentiels.

§2 : Les actes de commerce par nature

On présentera tout d'abord l'énumération légale (A) avant d'évoquer les extensions jurisprudentielles (B)

A)L'énumération légale

Même si la formule n'apparaît pas dans la Loi, il est d'usage de distinguer les actes qui ont le caractère commercial par leur objet (c'est-à-dire en gros, par ce à quoi ils servent) (1), et les actes de commerce par la forme (ce sont des actes juridiques qui par eux-mêmes, quel que soit le but dans lequel ils sont effectués, sont ipso facto commerciaux) (2).

1)Les actes de commerce par l'objet

Une énumération en est fournie aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce, mais diverses loi viennent apporter des précisions dans certains domaines précis. L'article L. 110-2 concerne, quant à lui, le commerce maritime ; on le laissera de côté dans le cadre de ce cours ; il suffit de savoir qu'il existe et de penser, le cas échéant, à s'y reporter.

L'article L. 110-1 pose les principes généraux ; il est ainsi rédigé :

« La loi répute actes de commerce :1° Tout achat de biens meubles pour les revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillés et mis en œuvre ;2° Tout achat de biens immeubles aux fins de les revendre, à moins que l'acquéreur n'ait agi en vue d'édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre en blocs ou par locaux ;3° Toutes opérations d'intermédiaires pour l'achat, la souscription ou la vente d'immeubles, de fonds de commerce, d'actions ou parts de sociétés immobilières ;4° Toute entreprise de location de meubles 3 ;5° Toute entreprise de manufacture, de commission, de transport par terre ou par eau ;6° Toute entreprise de fournitures, d'agence, bureaux d'affaires, établissements de ventes à l'encan 4, de spectacles publics ;7° Toute opération de change, banque et courtage ;8° Toutes les opérations de banques publiques ; »« 9° Toutes obligations entre négociants, marchands et banquiers 5 ;10° Entre toutes personnes, les lettres de change 6. »

Evidemment ce texte n'est cité in extenso que pour information : il est inutile de le connaître

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par cœur, d'autant plus que la formulation, un peu désuète, demande à être adaptée au vocabulaire actuel de la vie des affaires. L'essentiel est de retenir les principes essentiels afin de se rendre compte immédiatement, dans chaque cas particulier, si l'acte considéré est ou non, vraisemblablement, commercial, car il faudra de toute façon, sauf dans les cas les plus simples, vérifier le détail de la réglementation. Il faut donc retenir que sont a priori de nature commerciale :

Les achats destinés à la revente, sauf le cas des achats immobiliers destinés à édifier puis vendre des bâtiments ;Les opérations d'intermédiaires 7 ;Les opérations financières Les activités industrielles ;Les activités de prestations de services (notamment le transport) ;

Lorsque le texte fait référence à une « entreprise » (4°, 5° et 6°), on en déduit que l'activité doit être exercée à titre habituel pour relever du domaine commercial ; par exemple la location occasionnelle d'un meuble par un particulier (4°) a un caractère civil.

Concernant les prestations de services, l'exigence d'une « entreprise » par le texte a conduit à exclure l'artisanat (même si, au sens commun comme au sens économique du terme, l'artisan individuel a bien une « entreprise »), ce qui pose un délicat problème de frontière : une même activité professionnelle peut être commmerciale ou non, selon que le juge acceptera d'y voir, ou non, une « entreprise ».

Il s'agit là d'une question de fait, dont on donnera seulement l'idée générale : le principe est que l'artisan vit de son travail manuel personnel, tandis que le commerçant est un « patron » qui spécule sur le travail d'autrui.

Toutefois, un artisan peut bien sûr avoir des apprentis ou quelques salariés, et il n'y a aucune réponse générale bien tranchée à la question de savoir à partir de quand il cesse d'être artisan. En gros, il est artisan tant qu'il a « les mains dans le camboui », et devient commerçant dès lors qu'il gère le travail des autres.

D'autres critères, secondaires, peuvent servir d'indice : le fait de tirer régulièrement des lettres de change (qui sont des actes de commerce par la forme, v. plus loin), la présence de nombreux sous-traitants, la coordination d'autres entreprises, l'utilisation de nombreuses machines et l'existence d'achats pour revendre sont des indices complémentaires qui sont parfois utilisés par les juges en cas de doute ; mais le critère premier reste de savoir si la personne concernée met ou non la main à la pâte.

La jurisprudence, en cas de contestation, statue donc au cas par cas, ce qui laisse planer une certaine incertitude dans chaque cas particulier.

Il faut aussi savoir que certaines activités sont traditionnellement civiles par nature :

Les professions libérales (professions médicales, juridiques et judiciaires, techniques — architectes, géomètres-experts..) ; il s'agit là d'une survivance du droit romain, où ces professions « nobles » étaient exercées (du moins à l'origine) gratuitement, par des rentiers qui recevaient tout au plus des cadeaux en signe de reconnaissance (honorarium, d'où le terme d' « honoraires ») ; aujourd'hui plus personne ne croit évidemment à l'altruisme et au

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désintéressement des avocats, notaires ou autres, pas plus que des médecins d'ailleurs, mais les mythes ont la vie dure...les activités agricoles sont considérées traditionnellement comme civiles par nature (art. L. 311-1 du Code rural 8), de même que l'exploitation des carrières ; en revanche, l'exploitation des mines est un acte de commerce (art. 23 du Code minier), sans que la raison de cette différence soit bien claire, si ce n'est le rattachement intuitif de l'activité minière au secteur industriel ; Les activités d'enseignement, y compris sportif ;Les activités de production intellectuelle (mais ceux qui commercialisent l'activité artistique ou littéraire d'autrui sont commerçants).

Les actes accomplis dans le cadre de ces activités civiles sont aussi civils, même si considérés isolément on pourrait les qualifier de commerciaux, parce qu'ils apparaissent comme les accessoires de l'activité civile. En revanche s'ils sont prépondérants dans l'activité de la personne concernée, celle-ci doit être considérée comme un commerçant.

Par ailleurs, il faut savoir que le régime des activités professionnelles civiles tend à se rapprocher de celui des activités commerciales (ouverture généralisée de la procédure de faillite, possibilité d'exercer des activités civiles par le biais de sociétés à forme commerciale, reconnaissance de l'existence d'une clientèle civile — on y reviendra — ...). La distinction entre les professionnels commerçants et non-commerçants relève donc d'une certaine hypocrisie. Mais les constructions doctrinales et législatives françaises, très attachés aux grands principes, ont toujours eu des réticences à appeler un chat, un chat.

2)Les actes de commerce par la forme

Certains actes sont qualifiés automatiquement de commerciaux :

Les lettres de change (ou, plus exactement, les engagements qui y sont portés) ; en revanche, ce n'est pas le cas des chèques ou des billets à ordre, qui peuvent être civils ou commerciaux en fonction des circonstances de leur émission.

Les sociétés commerciales (art. L. 210-1 C. com.) : sociétés en nom collectif, sociétés en commandite simple, SARL et Sociétés par actions. Il faut toutefois se méfier des interférences qui peuvent se produire avec l'objet social :D'une part, des difficultés peuvent survenir lorsqu'une société de forme commerciale a en réalité un objet social de nature civile : bien qu'elle soit commerçante, certaines prérogatives des commerçants peuvent lui être refusées, notamment la « propriété commerciale » (c'est-à-dire le bénéfice du statut des baux commerciaux, et la propriété du fonds de commerce — puisque par hypothèse il n'y a pas de fonds de commerce, v. infra).D'autre part, mais la difficulté est moindre, une société qui n'a pas la forme commerciale au sens de l'art. L. 210-1 du Code de commerce peut, même si c'est rare en pratique, être commerciale par son objet, si celui-ci correspond aux activités visées à l'article L. 110-1.

B) Les extensions jurisprudentielles

On l'a déjà dit, certains actes non prévus spécialement par la Loi se sont révélés trop proches des actes qualifiés expressément commerciaux, pour échapper à cette qualification. La jurisprudence les considère donc comme des actes de commerce. Il en résulte que la catégorie des actes de commerce est ouverte, ce qui signifie qu'au fur et à mesure que la pratique des

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affaires invente de nouveaux montages juridiques il n'est pas impossible que la jurisprudence attribue à certains d'entre eux, la qualification d'acte de commerce. Etant donné qu'il n'existe pas vraiment de critère satisfaisant de la commercialité, la prévisibilité du droit est loin d'être assurée.

Certains auteurs rattachent ces extensions aux actes de commerce par accessoire, et parlent d' « accessoire commercial objectif », parce que l'acte considéré est dans la dépendance d'un autre, dont la commercialité est certaine. Nous avons préféré éviter cette terminologie, qui risque d'entretenir la confusion avec le cas classique des actes de commerce par accessoire, prévu par l'art. L. 110-1, 9° du Code de commerce (qui devient l'« l'accessoire commercial subjectif » dans la terminologie précitée) 9; l'idée n'est pas fausse pour autant.

Ceci étant, les principales hypothèses concernées sont les suivantes :

Les opérations liées à la cession d'un fonds de commerce ;La souscription de parts ou d'actions de sociétés commerciales ;Les cessions de droits sociaux dès lors que l'acquéreur acquiert le contrôle d'une société commerciale par la forme (ou, certainement, par l'objet – cf. supra -, mais à notre connaissance la question n'a jamais été posée) ;Le gage qui garantit une dette commerciale ;Le cautionnement garantissant une dette commerciale, et donné dans un but intéressé ; c'est en particulier le cas du cautionnement donné par le dirigeant ou l'associé prépondérant d'une société commerciale, même s'il n'est pas lui-même commerçant 10 ;Les chèques et billets à ordre destinés à payer des dettes de nature commerciale ;

§3 : Les actes de commerce par accessoire

C'est l'hypothèse prévue par l'art. L. 110-1, 9° du Code de commerce (v. aussi les art. L. 411-4 et L. 411-7 al. 2 Code de l'organsation judiciaire, qui posent la compétence des tribunaux de commerce pour les actes accomplis par des commerçants). Deux conditions sont nécessaires pour que l'acte soit commercial :

Il faut que l'auteur (ou l'un des auteurs) de l'acte soit commerçant ; le sens précis de cette condition sera explicité dans le Titre II ; sous réserve de précisions ultérieures, on admettra pour l'instant que cela implique qu'il effectue à titre habituel des actes de commerce par nature.L'acte doit se rattacher aux besoins du commerce, ce qui implique pour les personnes physiques de distinguer la vie professionnelle, de la vie personnelle et familiale ; on a déduit de l'article L. 411-7, al. 2 du Code de l'organisation judiciaire 11 une présomption générale selon laquelle les actes faits par un commerçants sont, sauf preuve contraire, présumés se rattacher aux besoins de son commerce.

La commercialité par accessoire concerne aussi bien les contrats que les quasi-contrats et la responsabilité civile délictuelle, ainsi que ce qu'on appelle les « obligations légales » ; Cette terminologie assez malheureuse 12, issue de l'article 1370 alinéa 2 du Code civil, désigne les obligations prévues par des textes spéciaux et qui ne se rattachent aisément ni aux contrats, ni aux quasi-contrats, ni à la responsabilité civile délictuelle (ex. : dettes de sécurité sociale). La présomption de l'article L. 411-7 COJ s'applique aussi bien à toutes ces catégories d'obligations.

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Demeurent exclues de la commercialité par accessoire, les dettes fiscales ainsi que les aliénations et constitutions de droits réels sur les immeubles 13. On rappellera par ailleurs (cf. supra) que certaines obligations, bien que commerciales, peuvent échapper à la compétence des tribunaux de commerce.

Chapitre II : Régime des actes de commerce

On présentera tout d'abord les particularités des actes qui relèvent du droit commercial (§1), avant d'envisager le cas particulier des actes dits « mixtes », c'est-à-dire commerciaux à l'égard d'une partie mais civils à l'égard d'une autre.

§1 : Les particularités des actes de commerces

Il ne faut jamais oublier qu'en principe les actes commerciaux, et en particulier les contrats commerciaux, sont soumis aux règles du droit commun, donc aux règles générales qui font l'objet du cours de droit des obligations (conditions de formation —capacité, consentement, objet, cause— et effets des contrats...). Les particularités qu'on va présenter ne doivent donc pas éluder les ressemblances, qui sont bien plus nombreuses, avec les contrats civils :

Il faut évidemment rappeler la compétence des Tribunaux de commerce, sous réserve des précisions déjà données ;En principe (sous réserve de dispositions spécifiques), contrairement aux actes civils 14, la preuve des actes commerciaux se fait par tous moyens (art. L. 110-3 du Code de commerce) ;La prescription en matière commerciale est de dix ans en principe (art. L. 110-4 du Code de commerce), contre trente en droit commun (notamment en matière contractuelle) ;

Toutefois, la rédaction des articles L. 110-3 (« A l'égard des commerçants... ») et L. 110-4 (« Les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants... ») a pour conséquence que ces deux spécificités, en matière de preuve et de prescription, ne s'appliquent que si l'auteur de l'acte a la qualité de commerçant.

La solidarité se présume en droit commercial, contrairement au droit commun où elle doit être expressément prévue 15 ; cette exception est remarquable car elle ne résulte d'aucun texte : c'est l'une des rares hypothèses en droit français d'usage contra legem (contraire à la Loi).En matière de contrats commerciaux et notamment de vente, il est admis que le juge dispose du pouvoir de réfaction du prix en cas d'exécution seulement partielle du contrat, ce que le droit commun des contrats lui refuse en principe. Cette différence est en pratique assez peu significative dans la mesure où, même si le contrat n'est pas commercial, la victime de l'inexécution peut demander des dommages et intérêts en compensation de l'inexécution 16, ce qui économiquement revient à peu près à la même chose. La différence de fondement entraîne tout de même des différences de régime qui peuvent avoir une incidence dans certains cas particuliers 17.

§2 : Le cas des actes mixtes

Il s'agit d'actes qui, envisagés du point de vue de l'un de leurs auteurs, remplissent les conditions de la commercialité, mais pas du point de vue de l'autre (exemple très classique : la vente d'un bien de consommation, par un commerçant à un consommateur final).Le principe, dit de « distributivité », est que le cocontractant qui n'est pas commerçant peut se

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prévaloir à l'égard du commerçant des règles qui résultent de la commercialité de l'acte, mais non l'inverse. Ainsi le non-commerçant pourra invoquer la liberté de la preuve, ou saisir un tribunal de commerce (ce qu'il n'est pas obligé de faire : il peut préférer la compétence d'un TGI —ou, selon le montant de la demande, un TI ou un Juge de proximité). Le commerçant, lui, devra s'en tenir, à l'égard du non commerçant, aux règles plus protectrices du droit commun.

Dans certains cas toutefois, un régime l'emporte sur l'autre :

Le droit civil s'applique indistinctement aux clauses de compétence territoriale et aux clauses compromissoires ;Les contrats mixtes sont soumis, en vertu de l'article L. 110-4 du Code de commerce, à la prescription décennale à l'égard des deux parties ; il s'agit d'éviter que de deux obligations réciproques issues d'un même contrat, l'une se prescrive plus vite que l'autre.

Il faut aussi rappeler que très souvent les actes mixtes sont des contrats soumis au droit de la consommation dont les règles d'ordre public dépassent la distinction du droit civil et du droit commercial : la distinction fondamentale est en effet, en ce domaine, celle entre le professionnel et le « non-professionnel ou consommateur », notion d'ailleurs assez complexe dans sa mise en oeuvre. S'ils sont encore de droit positif, les actes mixtes ont donc perdu une grande part de leur intérêt pratique.

*

TITRE II : LE STATUT DES COMMERCANTS

Très classiquement, on présentera tout d'abord les règles qui gouvernent l'attribution de la qualité de commerçant (Ch. I), avant de détailler les conséquences qui découlent de cette qualité (Ch. II).

Chapitre I : La reconnaissance de la qualité de commerçant

Avant même de définir les éléments qui gouvernent l'attribution de la qualité de commerçant (§2), il faut en préciser les conditions préalables, car tout un chacun ne peut être commerçant (§1).

§1 : Les conditions préalables d'accès à la qualité de commerçant

A) La capacité commerciale

Le mineur, même émancipé, ne peut être commerçant 18. Il en résulte notamment qu'il ne peut exploiter lui-même un fonds de commerce 19, ni être associé d'une Société en Nom Collectif (ou associés commandité dans les sociétés en commandite simple ou en commandite par actions), car ces associés sont nécessairement commerçants 20 . Il en est de même pour les majeurs en tutelle, soumis en principe aux mêmes règles que les mineurs.

Le cas des majeurs en curatelle et sous sauvegarde de justice pose des problèmes assez mal réglés : certains affirment un peu rapidement qu'ils ne peuvent pas avoir la qualité de commerçant, eu égard aux risques qui y sont attachés ; d'autres pensent qu'il serait possible

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que le juge des tutelles autorise le majeur en curatelle à devenir (ou, surtout, à demeurer) commerçant 21. La question, à notre connaissance, n'est pas tranchée en droit positif, mais en toute hypothèse, en admettant que cela soit possible cela ne saurait être qu'exceptionnel.

Le cas du majeur sous sauvegarde de justice est plus gênant car il conserve en principe sa pleine capacité 22, de sorte qu'on ne voit aucune raison juridique de lui interdire l'accès à la profession de commerçant. Toutefois les actes qu'il accomplit peuvent être rescindés ou réduits en cas de lésion ou d'excès, ce qui est peu compatible avec l'esprit d'efficacité et de rapidité qui anime le droit comercial. L'hypothèse est d'autant plus dangereuse pour les tiers que la publication de la sauvegarde de justice au Registre du commerce et des sociétés n'est pas prévue par le Décret du 30 mai 1984 23 (il y a certes un registre spécial tenu par le Parquet, mais dans le cadre d'une relation commerciale personne ne prend la peine d'effectuer cette vérification).

B) Les restrictions particulières

1) Les restrictions tenant à la nationalité

Il existe certaines restrictions, qui remontent à un Décret-Loi de 1938, qui limitent la possibilité, pour les étrangers, de devenir commerçant en France 24. Ces restrictions ne s'appliquent pas, toutefois, aux ressortissants de l'Union Européenne, ni aux ressortissants des Etats parties à l'accord sur l'Espace Economique Européen, ou membres de l'OCDE.

Pour les autres, il existe une condition de réciprocité (c'est-à-dire que les français doivent pouvoir exercer une activité commerciale dans le pays dont la personne concernée est un ressortissant), et un système d'autorisation préfectorale.

2) Les incompatibilités professionnelles

La qualité de commerçant ne peut être cumulée avec certaines professions et statuts :

Les fonctionnaires ;Les officiers ministériels (notaires, huissiers...) ;Les professions libérales, dont les règles de déontologie interdisent en général les activités commerciales à leurs membres ;Certaines (mais pas toutes) activités commerciales sont interdites aux parlementaires : ex., direction de sociétés faisant publiquement appel à l'épargne ou exerçant une activité financière

Toutefois, cela n'interdit pas d'être associé d'une société commerciale (excepté les SNC, puisque les associés en sont eux-mêmes commerçants), ni d'exercer des fonction de surveillance ou d'administration au sein de telles sociétés.

3) Les interdictions

La loi du 30 août 1947 interdit aux personnes ayant fait l'objet de certaines condamnations d'accéder à la qualité de commerçant :

les personnes ayant fait l'objet d'une condamnation à une peine de réclusion (donc, pour un crime) sans sursit, ou à une peine afflictive ou infamante

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les personnes condamnées à au moins trois mois d'emprisonnement sans sursit, pour certains délits limitativement énumérés (essentiellement les infractions « économiques » —vol, escroquerie, abus de confiance...— mais aussi certains autres délits —infractions aux mœurs...—)

L'interdiction est encourue de plein droit ; la personne concernée peut en demander le relèvement, au cours de l'instance pénale ou par la suite (art. 132-21 C. pénal).

Par ailleurs le droit de la faillite prévoit la sanction dite de faillite personnelle lorsque le débiteur a commis des fautes graves dans sa gestion ou la tenue de sa comptabilité, qui interdit l'exercice d'activités commerciales.

Il faut aussi savoir que certaines professions commerciales (banquiers...) comportent des règles spécifiques d'accès à la profession, qui s'ajoutent aux règles générales qu'on vient de présenter.

De façon générale, la sanction de la transgression des conditions d'accès à la profession de commerçant est double :

Il existe des sanctions spécifiques, pénales ou disciplinaires, tenant à chaque cas particulier.Au strict point de vue du droit commercial, les actes commerciaux accomplis demeurent en principe valable (sauf le cas des incapables majeurs ou mineurs), mais la personne en faute ne peut se prévaloir de sa qualité de commerçant que l'on peut, en revanche, lui opposer : en gros, il ne peut pas invoquer les règles, tenant à la qualité de commerçant, qui lui seraient favorables, mais on peut invoquer contre lui les règles qui lui seraient défavorables.

§2 : L'attribution de la qualité de commerçant

Aux termes de l'article L. 121-1 du Code de commerce, « sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle ».

En ce qui concerne les actes de commerce concernés, il s'agit évidemment d'actes de commerce par nature (les actes de commerce par accessoire se définissant par la qualité de leur auteur) ; il est admis que l'exercice d'actes de commerce par la forme ne confère pas la qualité de commerçant, même si cela peut à l'occasion servir d'indice.

Par ailleurs, l'exigence tenant à la profession habituelle conduit à écarter les personnes qui n'agissent pas en leur nom propre et dans leur intérêt personnel ; ainsi le salarié qui accomplit des actes de commerce pour le compte de son employeur, les mandataires agissant pour le compte de commerçants, les organes sociaux (dirigeants de sociétés...) ne sont pas des commerçants.

Il faut en revanche se méfier du titre de « gérant », lequel peut désigner des situations diverses qu'il faudra analyser : par exemple, le « gérant » d'une SARL, dirigeant de société, n'est pas commerçant, tandis que le « locataire-gérant », qui exploite pour son compte un fonds de commerce appartenant à autui, l'est.

Il faut aussi se souvenir que, comme on l'a vu précédemment, certaines sociétés commerciales par la forme sont automatiquement commerçantes, ce qui ne veut pas dire que d'autres types de sociétés ne peuvent pas l'être.

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Chapitre II : Les conséquences du statut du commerçant

§1 : Les obligations du commerçant

A la qualité de commerçant, est attachée un certain nombre d'obligations :

A)L'inscription au Registre du commerce et des sociétés 25

Il s'agit d'un registre tenu par le greffe de chaque Tribunal de commerce (à défaut, le greffe du Tribunal de grande instance « statuant commercialement »), qui centralise un certain nombre d'informations utiles pour connaître la situation des commerçants avec lesquels on peut être en rapport d'affaires :Pour les sociétés, les statuts, les actes de nomination des dirigeants sociaux...Pour les personnes physiques, les éléments essentiels de son état : mariage, régime matrimonial, divorce...

Ces informations sont aussi centralisées dans un registre national, tenu par l'INPI.

L'obligation de s'inscrire au RCS concerne bien sûr les commerçants, mais aussi toutes les sociétés (même non commerciales) les GIE, les EPIC et quelques autres hypothèses (v. l'art. L. 123-1 C. commerce). L'inscription doit être effectuée dans les 15 jours du début de l'activité. Dans le cas où une entreprise a plusieurs établissements, il faut procéder à des inscriptions dites « complémentaires » (établissements situés dans le même ressort que l'établissement principal) ou « supplémentaires » (établissements situés dans un ressort différent).

Le commerçant qui omet de s'inscrire malgré une injonction judiciaire de le faire, ou qui fait des déclaration frauduleuses peut voir sa responsabilité pénale engagée ; en toute hypothèse l'omission ou la déclaration inexacte peut entraîner la responsabilité civile de son auteur, à supposer qu'il en soit résulté un préjudice pour autrui.

Pour les personnes physiques, l'immatriculation entraîne présomption simple de commercialité (art. L. 123-7 C. commerce) ; cette présomption peut être combattue par les tiers par tout moyen. La personne immatriculée peut aussi combattre la présomption, mais elle doit démontrer de surcroît que les tiers vis-à-vis de qui elle veut dénier sa qualité de commerçant, savaient qu'elle ne l'était pas.

En ce qui concerne les sociétés, elles doivent être immatriculées, qu'elles soient commerçantes ou non ; pour les sociétés qui ne sont pas commerciales par la forme, aucune présomption de commercialité ne résulte donc de l'immatriculation ; en revanche l'immatriculation marque la date où elles acquièrent la personnalité juridique.

Par alleurs, si les tiers sont recevables à établir (par tout moyen) qu'une personne non immatriculée est « commerçante de fait », celle-ci ne peut se prévaloir des avantages liés à la qualité de commerçant (bénéfice du statut des baux commerciaux, prescription abrégée..).

B) Les autres obligations

Les commerçants sont également tenus de respecter un certain nombre d'autres obligations,

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que nous ne ferons que rappeler :

Tenir une comptabilité régulière ; il faut noter que la comptabilité régulièrement tenue est recevable comme mode de preuve entre commerçants (Art. L. 123-23 C. commerce) ; entre un commerçant et un non-commerçant, la comptabilité du commerçant ne peut être utilisée que contre lui (art. 1329 et 1333 C. civ.) 26 ;Etablir des factures ;Avoir un compte bancaire ou postal ; le commerçant doit d'ailleurs payer par chèque barré, virement bancaire ou carte de paiement tout montant supérieur à 750 € (pour les salaires, c'est obligatoire à partir de 1500 € par mois) 27.

§2 : Le commerçant marié

L'objet de ce cours n'est pas de traiter du droit des régimes matrimoniaux, mais il faut savoir qu'a priori, en cas de mariage il existe une « communauté » qui comprend des biens appartenant en commun aux deux époux ; l'étendue de cette communauté varie selon le régime matrimonial choisi, de la « communauté universelle » où tous les biens sont communs, à la « séparation de biens » où tous les biens sont propres, et où par conséquent la communauté n'existe pas. Entre les deux se situe notamment la « communauté réduite aux acquêts », applicable par défaut, où grosso modo les biens appartenant aux époux le jour du mariage restent propre, et les biens acquis en cours de mariage deviennent communs, sous réserve de précisions diverses.

L'essentiel est de retenir que les dettes de chaque époux engagent ses biens propres et ceux de la communauté, mais pas les biens propres de l'autre ; il est donc prudent, lorsqu'un époux est commerçant, d'adopter le régime de la séparation des biens car une éventuelle faillite aura une incidence sur la communauté 28.

Par ailleurs les actes les plus graves accomplis sur les biens les plus importants de la communauté requièrent l'accord des deux époux.

Plus spécifique au droit commercial, et donc plus proche de l'objet de ce cours, est le cas des conjoints qui exploitent ensemble le même fonds de commerce. Longtemps, a perduré une situation de fait où le conjoint collaborait au commerce sans aucune contrepartie ni, surtout, garantie en cas de séparation ou de décès du commerçant. Une loi du 10 juillet 1982 a ouvert diverses possibilités de statut au conjoint :

En premier lieu, il est depuis toujours possible que les deux époux soient commerçants, s'ils ont une certaine indépendance professionnelle, c'est-à-dire si l'un des deux n'est pas le simple assistant de l'autre 29. Ils peuvent donc être tous deux inscrits au RCS, et même ils le doivent. A défaut, s'il résulte de l'article L. 121-3 du Code de commerce une présomption selon laquelle le conjoint du commerçant est non-commerçant, il s'agit d'une présomption simple que les tiers peuvent combattre par tout moyen 30.La possibilité d'un contrat de travail entre époux a été définitivement reconnue par la loi de 1982 31.Les époux peuvent être associés (les derniers obstacles aux sociétés entre époux ayant été levés par la loi de 1985 sur les régimes matrimoniaux).

Le statut du conjoint collaborateur :

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La loi de 1982 a créé le statut de conjoint collaborateur (v ; les art. L. 121-4 et suivants du Code de commerce), qui se définit comme une personne qui travaille dans l'entreprise commerciale de son époux, de façon subordonnée mais sans rémunération (ce qui le différencie du conjoint salarié, dont la situation relève plutôt d'un cours de droit du travail).

Longtemps, il a semblé que le statut « officiel » de conjoint collabrateur laissait la possibilité de recourir, comme avant, à la collaboration informelle (« hors statut ») ; un arrêt récent de la chambre criminelle y voit, de façon un peu sévère, un cas de travail dissimulé (car, à défaut de statut particulier, le conjoint aurait dû bénéficier d'un contrat de travail) 32 ; c'est une contravention de cinquième classe.

Ce statut est subordonné à une inscription au Registre du commerce et des sociétés ; les droits qui en résultent sont les suivants :

Comme un commerçant le conjoint collaborateur est électeur et éligible aux Chambres de commerce et aux Tribunaux de commerce ;Il bénéficie d'une présomption de mandat pour tous les actes d'administration (mais pas les actes de disposition) concernant les besoins de l'entreprise, même si ce sont des biens propres de l'autre conjoint (ce qui est l'intérêt de cette disposition) (Article L. 121-6 du Code de commerce) ; il faut noter toutefois que s'il dépasse ses pouvoirs (c'est-à-dire, s'il accomplit des actes de disposition), la jurisprudence admet l'application de la théorie du mandat apparent 33.Il bénéficie d'une protection sociale

Par ailleurs en cas de décès du conjoint, une loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 accorde au conjoint survivant qui justifie avoir travaillé au moins 10 ans sans rémunération, un droit de créance contre la succession du décédé, égal à trois fois le SMIC annuel sans pouvoir dépasser 25 % de l'actif de la succession (c'est une sorte de salaire différé) ; cette créance s'impute sur les droits dont il bénéficie en tant que conjoint survivant, du fait du partage de la communauté et de la succession. Cette règle n'est pas soumise à la condition d'inscription au RCS, le conjoint survivant peut donc en apporter la preuve par tous moyens.

Auparavant, la jurisprudence réglait ce type de situation à l'aide des notions de « sociétés de fait » 34, ou d'enrichissement sans cause 35. Il n'est pas certain que ces notions soient totalement dépassées : la société de fait, en particulier, est plus favorable au conjoint que le salaire différé prévu par la loi

En théorie, l'enrichissement sans cause semble en revanche, désormais, inapplicable :techniquement il semble exclu entre époux du fait de son caractère subsidiaire (ce qui signifie qu'il ne peut être appliqué qu'à défaut d'autre règle applicable 36, or justement la loi de 1989 régit désormais cette situation)Entre personnes non mariées, dans la mesure où il semble qu'avoir recours à un collaborateur régulier non déclaré, même non rémunéré, soit constitutif d'un travail dissimulé (contravention de cinquième classe) 37, donc d'une faute ; l'indemnisation du collaborateur devrait plutôt passer par les dispositions de droit du travail propres à ce cas, ou par la responsabilité civile délictuelle.

Par ailleurs la loi ne prévoit pour l'instant rien en ce qui concerne les « pacsés », de sorte qu'il faut raisonner, en ce qui les concerne, comme pour toutes les personnes non mariées.

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PARTIE II : LE FONDS DE COMMERCE

Titre I : La notion de fonds de commerce

Chapitre I : Définition du fonds de commerce

Il s'agit là d'une notion très particulière, née de la pratique et non définie par le Code de commerce. A la base de la théorie du fonds de commerce, il y a, comme toujours en droit, un problème concret : un commerçant qui exerce depuis plusieurs années se constitue ce qu'il est convenu d'appeler une « clientèle », c'est-à-dire qu'un certain nombre de personnes ont pris l'habitude de traiter avec lui. Lorsqu'il se retire, la personne qui va prendre sa succession va être en position bien meilleure que si elle s'était installée à partir de rien, alors même que matériellement elle aurait exactement les mêmes biens à sa disposition.

Il y a donc eu création d'une valeur supplémentaire, que les commerçants perçoivent intuitivement, depuis toujours, comme une chose qui leur appartient, et en échange de laquelle ils veulent recevoir une contrepartie financière lorsqu'ils la cèdent à autrui. Mais matériellement, il n'existe aucune « chose », isolément, à laquelle cette valeur peut être attribuée. L'idée générale qui explique la notion de fonds de commerce est ce constat, que le tout a plus de valeur que la somme des parties.

Le fonds de commerce est donc un ensemble d'éléments permettant d'exercer une activité commerciale et qui, mis ensemble, ont une valeur supérieure à la somme de leurs valeurs individuelle. Cet ensemble forme un bien nouveau, que l'on peut appréhender en tant que tel pour, par exemple, le vendre ; on parle d' « universalité de fait ».

Universalité seulement de fait et non de droit, en ce sens que le fonds de commerce est un bien et non une personne juridique comme, par exemple, une société, laquelle a un patrimoine qui comprend un actif et un passif ; au contraire le fonds de commerce est une chose qui ne peut donc être titulaire des créances et des dettes de l'exploitant 38. Ainsi en cas de transfert d'un fonds de commerce, les créances et les dettes nées antérieurement à la cession, demeurent dans le patrimoine de l'exploitant précédent.

L'explication de la valeur supplémentaire constituée par le fonds de commerce est que celui qui dispose de tous ces éléments peut s'attendre, d'ores et déjà, à avoir un certain nombre de clients. Traditionnellement on dit que le fonds de commerce comprend un élément, qu'on appelle la « clientèle ».

Mais la clientèle n'est pas un simple élément parmi d'autres, c'est l'élément essentiel du fonds de commerce. Il n'y a pas de fonds de commerce tant qu'il n'y a pas de clientèle parce que, sans clientèle, la valeur du fonds n'est rien d'autre que la valeur des divers éléments qui le composent.

Réciproquement, on considère que lorsque les éléments essentiels d'attraction de la clientèle sont cédés 39, il y a cession du fonds de commerce même si le contrat, dans sa rédaction, se présente simplement comme une cession de certains biens isolés qui en faisaient partie ; bien

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entendu il s'agit là d'une question de fait.

C'est pourquoi il existe une jurisprudence très fournie autour de la question de savoir si, dans tel ou tel cas, il existe bien une clientèle autonome. La question est d'importance parce que, comme on l'a vu, s'il n'y a pas de clientèle il n'y a pas de fonds ; en général le problème se pose à propos de la vente d'un fonds de commerce : sans clientèle le fonds de commerce n'existe pas, donc la vente est nulle (absence d'objet, et par voie de conséquence absence de cause), donc l'acheteur peut demander à être remboursé (ou refuser de payer, le cas échéant).

Il n'est guère utile de connaître par cœur toutes les solutions rendues par la jurisprudence, car tout est affaire de circonstances ; pour se faire une idée, on citera cependant quelques exemples parmi les plus importants :

Un problème classique est celui de la date à partir de laquelle la clientèle (donc le fonds) existe : au moment précis où l'exploitation commence, il n'y a pas encore, en principe, de clientèle 40 donc le fonds n'existe pas encore ; il ne peut être ni vendu, ni loué ; ainsi, au moment de l'ouverture du commerce, le fonds de commerce n'existe pas encore et les tribunaux jugeront au cas par cas si à tel ou tel instant il y avait bien une clientèle.

Le problème se pose aussi en cas de cessation de l'exploitation : à partir de quand la clientèle, et partant le fonds, disparaissent-ils ? C'est encore une question de fait.

Un autre problème difficile est celui des ensemble commerciaux : l'entreprise commerciale installée, par exemple dans la gallerie marchande d'une grande surface, dispose-t-elle d'une clientèle autonome ? Par exemple il a été jugé que la buvette d'un champ de courses n'a pas de clientèle propre, ses clients étant ceux du champ de course 41.

Enfin, il faut mentionner le cas des réseaux de distribution intégrés (concession, franchise). La question est de savoir si le distributeur a une clientèle propre, ou s'il ne fait qu'exploiter celle du fabricant. La jurisprudence, dans son dernier état, semble admettre que le distributeur peut avoir une clientèle propre qu'il faut distinguer de celle du fabricant 42 ; il faut donc distinguer entre la clientèle générale du fabricant, et la clientèle locale, s'il en a une 43, du distributeur ; c'est compliqué, mais sans doute justifié.

Au point de vue de sa classification en tant que bien, le fonds de commerce est un meuble incorporel, ce qui a en pratique assez peu d'importance car les éléments essentiels de son régime sont fixés par des dispositions particulières et non par le régime général des meubles.

Il faut néanmoins se souvenir de cette règle traditionnelle, et à vrai dire assez arbitraire, que le fonds de commerce, parce qu'il est un meuble, ne comprend jamais d'immeubles 44 ; ainsi, même lorsque l'immeuble où le fonds est exploité appartient à l'exploitant, cet immeuble ne fait jamais, en tant que tel, partie du fonds de commerce. En cas de cession du fonds de commerce, il faut donc soit céder séparément l'immeuble, soit le conserver en concluant un bail commercial avec l'acquéreur du fonds de commerce.

Chapitre II : les éléments du fonds de commerce

On ne reviendra pas sur la clientèle, qui d'une certaine manière peut être considérée comme un élément du fonds de commerce ; il ne semble pas possible, toutefois, de la céder isolément, sans aucun élément de rattachement 45, car que cèderait-on alors en réalité, en dehors d'une

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affirmation de principe ?

A part la clientèle, le fonds de commerce comprend l'ensemble des éléments d'attraction de celle-ci ; il est d'usage de distinguer entre les éléments corporels et incorporels.

On s'attardera peu sur les éléments corporels ; il s'agit des marchandises et du matériel ; il peut arriver toutefois que ces éléments appartiennent à une autre personne que l'exploitant (clause de réserve de propriété, crédit-bail sur le matériel d'exploitation...), auquel cas il ne font bien sûr pas partie du fonds de commerce.

Les éléments incorporels sont :

§1 : Le nom commercial et/ou l'enseigne :

Ces éléments d'identification du fonds de commerce auprès de la clientèle peuvent être d'une grande importance. Classiquement on parle de nom commercial lorsque le commerçant utilise son patronyme comme élément d'identification de son commerce, d'enseigne pour les autres signes distinctifs de fantaisie. Mais la distinction, en pratique, est assez artificielle.

De façon générale, le nom et l'enseigne sont protégés, ce qui signifie qu'un commerçant peut s'opposer à ce qu'un autre commerçant utilise le même nom ou la même enseigne pour un commerce équivalent (le critère est l'existence ou nom d'un risque de confusion, apprécié au cas par cas par les juges). Il faut cependant préciser que les enseignes les plus notoirement connues peuvent, selon la jurisprudence récente, s'opposer à tout empiètement même en l'absence de risque de confusion. Cela peut s'expliquer à la fois par l'interdiction des « agissements parasitaires » 46, et par l'atteinte à l'image de l'enseigne notoire.

L'usage par le commerçant de son nom patronymique pose toutefois des difficultés particulières :

Tout d'abord, même si c'est a priori un droit, il ne faut pas oublier que dès lors qu'un risque de confusion existe avec un commerçant utilisant déjà le même patronyme, il n'est plus possible d'utiliser son propre patronyme.D'autre part, le nom patronymique utilisé comme nom commercial, devient un droit de propriété incorporelle ; il en résulte cette conséquence très importante qu'il peut être cédé avec le fonds de commerce, ou apporté à une société 47. Le porteur originel du patronyme ne pourra plus, alors, s'opposer à son utilisation par le propriétaire du nom commercial, ni en faire usage pour le même type d'activité 48.

A cet égard, l'usage par une femme mariée du patronyme de son mari à titre de nom commercial pose des problèmes complexes, car dans une logique de droit civil l'épouse n'a qu'un droit d'usage sur le nom, qu'elle ne devrait pas pouvoir transmettre. Il semble tout de même, en droit commercial, que dès lors que le commerce a été légitimement exercé sous le patronyme considéré, le nom commercial devient objet de propriété intellectuelle.

§2 : Les droits de propriété industrielle (brevets d'invention, marques de fabrique, dessins et modèles)

Leur étude relève du droit de la propriété intellectuelle ; il suffit de retenir qu'ils se

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caractérisent de façon générale par une procédure d'enregistrement auprès d'un organisme national (l'Institut National de la Propriété Industrielle) ; il existe aussi à ce sujet des conventions internationales et des instruments communautaires.

En ce qui concerne les marques, elles sont souvent en même temps des enseignes.

§3 : Le droit au bail commercial

Pour la plupart des commerçants, le local où l'activité est exercée est un élément essentiel pour la valeur de leur fonds, car la clientèle, le plus souvent, est attachée à un lieu ; s'il est contraint de quitter les lieux, le commerçant perdra vraisemblablement une grande partie de ses clients.

Ce point ne soulève guère de difficulté lorsque le commerçant est propriétaire du local 49 ; mais souvent, il est locataire ; or à l'expiration du bail, le droit commun des contrats n'oblige nullement le propriétaire à en concéder un nouveau, d'où le risque, pour le commerçant, de perdre brutalement une clientèle qu'il aura mis des années à fidéliser. D'où aussi la tentation, pour le propriétaire, d'imposer une augmentation considérable de loyer au locataire commerçant, qui ne peut guère se permettre de refuser (sauf s'il est en mesure de trouver un local équivalent à proximité), ou même de récupérer à son profit la clientèle après avoir refusé de renouveler le bail, soit en s'installant à la place du commerçant, soit en concédant un bail, avec un loyer plus élevé, à une autre personne.

Il est donc apparu nécessaire de réglementer le bail commercial, ce qui fut fait par un Décret de 1953, codifié aujourd'hui aux articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce. Cette réglementation confère des droits très importants au commerçant locataire, au point qu'on a pris l'habitude de parler de « propriété commerciale ». Le terme est juridiquement impropre, car théoriquement le preneur à bail commercial n'a aucun droit réel sur les lieux loués, mais il exprime l'idée d'un droit au maintien dans les lieux tellement fort qu'il en devient équivalent à un droit de propriété.

Il ne faut pas se cacher, en effet, que les droits du preneur à bail commercial sont tellement importants que le propriétaire en titre des locaux n'est plus vraiment chez lui.

Ceci étant, on présentera tout d'abord les conditions d'application du statut des baux commerciaux (A), puis les caractéristiques essentielles de ce statut (B).

B)Les conditions d'application du statut des baux commerciaux

Avant de présenter ces conditions, il faut préciser que dès lors qu'elles sont réunies, le statut des baux commerciaux s'applique de manière impérative, ce qui signifie qu'il est impossible de prévoir dans le contrat qu'il ne s'appliquera pas.

Le principe est que seuls les commerçants régulièrement inscrits au RCS peuvent bénéficier du statut des baux commerciaux, mais il y a de nombreuses extensions (v. les articles L. 145-1 et –2 du Code de commerce) :Les artisans inscrits au répertoire des métiers 50 ;Les GIE à objet commercial (art. L. 251-4 C. commerce) ;Les entreprises publiques, EPIC, communes exploitant des services en régie ;Certaines activités non commerciales : établissements d'enseignement, création d'œuvres

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graphiques ou plastiques.

En revanche les commerçants étrangers (y compris les sociétés commerciales étrangères) non ressortissants de l'UE ne peuvent accéder à la propriété commerciale que sous réserve de réciprocité.

Par ailleurs il est possible de convenir qu'un bail a priori non soumis au statut des baux commerciaux, sera tout de même soumis à ce statut, ce qui peut être intéressant notamment pour les professions libérales.

Concernant l'activité exercée dans les locaux objet du bail, la condition essentielle est l'existence d'une clientèle propre ; ainsi les franchisés peuvent bénéficier du statut des baux commerciaux, mais pas les locataires-gérants 51.

Les contrats de brève durée (moins de deux ans) sont exclus du champ d'application du statut des baux commerciaux, mais si le preneur reste dans les lieux (par reconduction tacite ou par conclusion d'un nouveau bail), le bail devient un bail commercial.

Les locations saisonnières sont aussi exclues (art. L. 145-5 C. com.).La jurisprudence exclut aussi les conventions d'occupation précaire ; cela ne pose pas de difficulté lorsque la précarité provient d'un élément objectif (immeuble destiné à la démolition...). C'est plus problématique lorsque la précarité résulte de la seule volonté des parties, car cela peut être un moyen de contourner le statut impératif. La Jurisprudence en admet cependant la validité, mais le risque est une requalification en bail commercial si, en pratique, la convention n'est pas précaire, ce qui peut se déduire des circonstances de son exécution.

Les conventions de très longue durée sont aussi exclues du champ d'application du droit commercial (baux emphytéotiques 52, bail à construction 53, crédit-bail immobilier, concession immobilière 54)

C)Le régime des baux commerciaux

A titre préliminaire, il faut savoir qu'eu égard aux importantes prérogatives qu'il confère au preneur, la conclusion d'un bail commercial est assimilée à un acte de disposition ; il en résulte qu'un usufruitier ne peut le conclure seul, pas plus qu'un coïndivisaire ayant reçu mandat général d'administration ; si le local est un bien commun à deux époux, le consentement des deux est requis. Si le propriétaire est un incapable majeur ou mineur, le contrat peut être conclu par son représentant, mais à sa majorité le droit au renouvellement sera inopposable au mineur (idem dans l'hypothèse de l'ex-incapable majeur ayant retrouvé sa capacité) 55, sauf accord spécial du juge des tutelles, ou accord entre l'administrateur légal du mineur et son conjoint.

Le bail commercial est une variété particulière du contrat de louage de choses, prévu aux articles 1713 et suivants du Code civil. Essentiellement il confère au locataire (ou preneur) le droit à la jouissance de la chose, et au bailleur, le droit de percevoir un loyer.

Ceci étant, le bail commercial présente de nombreuses particularités, dérogatoires au droit commun ; on présentera successivement les règles qui concernent l'affectation des lieux loués (1), la durée du contrat (2) et la fixation du loyer (3).

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Au préalable, on notera que la sous-location est interdite, sauf accord du bailleur.

1)L'affectation des locaux

Dans le droit commun du bail, le contrat peut prévoir l'usage que le preneur pourra (et même devra) faire de la chose (art. 1728 C. civ.) ; faute de respecter cette obligation, le preneur exécute mal le contrat et encourt donc les sanctions de l'inexécution (en pratique, la résiliation du contrat et des dommages et intérêts : cf. le Cours de droit des obligations).

Il est toutefois apparu nécessaire de permettre au preneur à bail commercial d'adapter son activité à l'évolution des conditions économiques, locales ou générales (on parle de « despécialisation »). Cette nécessité devait toutefois se concilier avec le respect d'un minimum de maîtrise du bailleur sur la chose, faute de quoi il ne serait plus vraiment possible de le considérer comme un propriétaire.

L'équilibre a été trouvé par la distinction entre les activités « connexes et complémentaires » d'une part, et le changement d'activité d'autre part 56. Le principe est que le preneur à bail commercial peut librement ajouter à son commerce les activités connexes et complémentaires (on parle de « despécialisation simple »), mais ne peut, sans autorisation, changer totalement l'activité exercée dans les lieux loués (despécialisation « plénière », ou « renforcée »).

Le locataire qui souhaite effectuer une despécialisation simple doit le notifier au bailleur, par acte extrajudiciaire (c'est-à-dire, par huissier) précisant les activités dont l'exercice est envisagé. Le bailleur a alors deux mois pour faire savoir s'il conteste ou non le caractère connexe ou complémentaire des activités que le locataire veut adjoindre à son commerce (il n'a pas à donner son accord à proprement parler, puisque la despécialisation simple est un droit pour le locataire ; il ne peut que contester ce droit, en prétendant qu'en réalité il y a changement total d'activité). A défaut de réponse dans les deux mois, le bailleur est déchu du droit de contester la despécialisation.

En cas de contestation, le Tribunal de grande instance 57 décide si l'activité envisagée est connexe ou complémentaire, ou s'il y a changement total d'activité. Cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond 58 .

L'exercice d'une activité différente de celle prévue au bail (despécialisation plénière) n'est pas un droit pour le locataire ; elle nécessite donc en principe l'autorisation du bailleur, qui doit être sollicitée, là aussi, par acte extra-judiciaire ; il faut évidemment, là encore, préciser les activités envisagées. Le silence gardé par le bailleur pendant trois mois vaut acceptation.

En cas de refus du bailleur, le preneur peut demander une autorisation en justice ; le juge examinera la demande « eu égard à la conjoncture économique et aux nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution, lorsque ces activités sont compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ou de l'ensemble immobilier » (art. L. 145-48 du Code de commerce) ; une formule aussi vague laisse bien entendu aux juges du fond un pouvoir d'appréciation très fort, proche de l'arbitraire.

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Si la despécialisation est accordée, il est possible de l'assortir d'une modification du loyer 59, ou même d'une indemnité ponctuelle à la charge du locataire, en cas de préjudice particulier subi par le bailleur, et que celui-ci devra alors, bien entendu, prouver (art. L. 145-50 du Code de commerce).

2) La durée du contrat

L'idée essentielle de la réglementation des baux commerciaux est de conférer au preneur un droit au maintien dans les lieux (a), afin qu'il ne soit pas privé de la valeur économique qu'il a créée par son activité (la fameuse « clientèle »). Pour que ce droit au maintien dans les lieux soit effectif, il a fallu par ailleurs le protéger contre les clauses qui prévoient la rupture automatique du contrat en cas de réalisation de certaines conditions, en pratique l'inexécution du contrat et plus précisément, le non-paiement des loyers (les « clauses résolutoires ») (b).

a)Le droit au maintien dans les lieux

De façon générale, il faut savoir que le bail commercial est nécessairement conclu pour une durée qui ne peut être inférieure à neuf ans (art. L. 145-4 du Code de commerce) ; le preneur peut, en revanche, donner congé à l'issue de chaque période de trois ans (période dite « triennale »), sous réserve de donner préavis six mois à l'avance.

Il est possible toutefois d'écarter, par une clause expresse du contrat, la faculté de résiliation triennale du preneur ; comme qui peut le plus peut le moins, il est aussi possible de prévoir que la résiliation triennale ne sera possible que si le preneur verse une indemnité, ou de la subordonner à certaines conditions.

En revanche, s'il veut faire valoir ses droits à la retraite, le preneur peut toujours donner congé, avec un préavis de six mois (art. L. 145-4, al. 3 du Code de commerce).

Le bailleur ne peut quant à lui donner congé qu'à la fin de la durée complète du bail, et sous réserve du même préavis.

A défaut de congé à l'issue de la durée prévue du bail, celui-ci est tacitement reconduit (article L. 145-9 du Code de commerce), ce qui signifie que c'est le même bail qui se poursuit, pour une durée indéterminée ; cela implique que chaque partie peut alors donner congé à tout moment, sous réserve toujours du préavis de six mois 60.

A l'expiration du bail commercial (neuf ans au minimum), le locataire a un droit au maintien dans les lieux ; cela signifie que le refus de renouvellement doit être motivé.

En général, les parties négocient lorsque la date d'expiration du bail se rapproche. A défaut, comme on l'a vu le bail ne cessera pas automatiquement : il se poursuit purement et simplement ; le bailleur qui ne souhaite pas renouveler le bail doit donc accomplir un acte positif (délivrer congé, par acte extra-judiciaire).

Toutefois, dans la mesure où à défaut de renouvellement le bail se poursuit avec une durée indéterminée, et peut donc être résilié à tout moment (sauf à respecter le préavis de 6 mois), le preneur peut avoir intérêt à connaître les intentions du bailleur. Il doit pour cela effectuer par acte extra-judiciaire une demande en renouvellement ; le silence gardé par le bailleur pendant trois mois vaudra acceptation du renouvellement du bail, aux mêmes conditions que l'ancien.

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Le bailleur doit donc notifier le refus de renouvellement, par acte extra-judiciaire ; il peut aussi accepter le renouvellement, sous réserve d'une modification du loyer ; il doit là aussi, le notifier, de la même manière (la réglementation de la révision du loyer sera étudiée infra).

Le bail renouvelé aura une durée au moins égale à neuf ans.

Le bailleur a le droit de refuser le renouvellement, mais il devra alors payer une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement (art. L. 145-14 du Code de commerce). Concrètement, cela recouvre en principe la valeur marchande du fonds, augmentée des frais d'acquisition et de réinstallation dans un fonds équivalent (même article, alinéa 2 ; ce texte n'est toutefois qu'indicatif) ; c'est à dire que le bailleur doit, s'il ne renouvelle pas le bail, payer au preneur sa réinstallation. Il va de soi que le coût, pour le bailleur, est énorme et qu'en pratique les bailleurs ne peuvent, le plus souvent, pas se permettre de refuser le renouvellement.

Le bailleur qui souhaite démolir pour reconstruire ou rénover le local loué peut se soustraire à l'obligation de payer l'indemnité d'éviction, en offrant temporairement au locataire évincé un local « correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent » (art. L. 145-18 du Code de commerce), sous réserve quand même de l'indemniser pour ses frais de déménagement et réemménagement, et pour le préjudice éventuellement causé par ce déplacement temporaire.

En dehors de cette hypothèse d'éviction seulement temporaire, le bailleur n'échappe au paiement de l'indemnité d'éviction que dans deux cas, prévus par l'article L. 145-17 du Code de commerce :

En cas de « motif grave et légitime », c'est-à-dire en cas d'inexécution contractuelle grave commise par le preneur (défaut de paiement des loyers, mais aussi cessation de l'exploitation du fonds, mauvais entretien des lieux loués...) ; ce motif n'est admis que si le manquement s'est poursuivi un mois après une mise en demeure restée infructeuse. Il s'agit en fait des conditions qui auraient permis au bailleur de résilier le bail, sans même attendre son expiration (cf. infra) ;Si l'immeuble est insalubre ou dangereux ; en cas de reconstruction, le preneur a alors un droit de priorité si l'immeuble reconstruit comprend des parties à destination commerciale. La fixation du loyer, en cas de désaccord, sera soumise à la même procédure que celui du bail renouvelé ou révisé (cf. infra).

Par ailleurs, si le local commercial comprend des locaux d'habitation accessoires, le bailleur peut donner congé pour habiter lui-même ou pour un membre de sa proche famille (art. L. 145-22 du Code de commerce). Les conditions sont assez restrictives :

la personne relogée ne doit pas disposer déjà d'une habitation correspondant à ses besoins normaux ;Elle doit occuper, sauf motif légitime, la partie du local à usage d'habitation pendant au moins six mois, faute de quoi le locataire a droit à une indemnité d'éviction ;La reprise est impossible en cas de trouble grave apporté à l'exploitation, ou si les locaux sont indivisibles ;Enfin, la reprise est impossible pour les locaux à usage d'hôtel, de location en meublé, hospitalier ou d'enseignement.

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Le droit au maintien dans les lieux n'existe qu'au profit du commerçant qui a exploité le fonds, personnellement ou par l'intermédiaire d'autrui 61, pendant trois ans (art. L. 145-8 C. com.) ; en principe, le bail devant durer au moins neuf ans il n'y a pas de difficulté, mais il y a notamment deux hypothèses où cette condition peut faire défaut :

En cas de despécialisation (art. L. 145-8, al. 2), puisque l'activité est nouvelle ;Hypothèse plus particulière, la jurisprudence considère qu'en cas de cession du contrat de bail mais non du fonds de commerce lui-même 62, puisque l'acquéreur du droit au bail exploite un nouveau fond, en cas de congé dans les trois ans qui suivent cette acquisition il n'a pas de droit au renouvellement.

Toutes les clauses destinées à faire échec au droit à l'indemnité d'éviction sont nulles de plein droit (art. L. 145-14 du Code de commerce).

b)La protection du preneur contre les clauses résolutoires

Il est possible en droit commun des contrats, de prévoir qu'en cas d'inexécution du contrat celui-ci sera résolu de plein droit ; cette clause permet d'éviter de le demander au juge, ce qui est source de lenteur 63 et d'aléa, car le juge appréciera si la résiliation est justifiée ou non, ce qui dépend de la gravité de l'inexécution, de la possibilité ou non, de continuer à exécuter efficacement le contrat... Tous critères qui laissent une large place à la « prudence » du juge, c'est-à-dire au fond, à l'arbitraire.

Sans aller jusqu'à les interdire, il est apparu nécessaire dans le cadre de la réglementation des baux commerciaux, d'encadrer le jeu des clauses résolutoires. L'article L. 145-41 du Code de commerce prévoit ainsi que la clause résolutoire ne pourra produire effet qu'un mois après un commandement de payer demeuré infructueux. Le même texte prévoit que la clause ne jouera pas si le juge octroie des délais de grâce en application des articles 1244-1 à –3 du Code civil 64 (article L. 145-41, alinéa 2).

Il est aussi fréquent que le contrat prévoie la résiliation en cas de cessation de l'exploitation (même si les loyers sont payés) ; l'art. L. 145-42 prévoit que l'effet d'une telle clause est suspendu, en cas de despécialisation, le temps nécessaire à la réalisation des travaux destinés à permettre l'exercice de la nouvelle activité.

3)La réglementation de la révision des loyers

Conférer un droit au renouvellement du bail au locataire n'a de sens que si, corrélativement, la révision des loyers est encadrée. Il n'est pas possible, en effet, d'obliger le bailleur à renouveler le bail sans permettre une évolution du loyer. Mais il n'est pas possible non plus de laisser la fixation du nouveau loyer à la discrétion totale des parties, car il serait alors aisé au propriétaire de contourner le droit au renouvellement, en proposant un nouveau loyer exorbitant, que le locataire serait contraint de refuser. D'où la nécessité d'une réglementation.

En premier, lieu, la fixation initiale du loyer est libre ; il est possible de prévoir une indexation 65 (clause dite « d'échelle mobile »), ou « une clause-recette », selon laquelle le loyer est en tout ou partie fonction du chiffre d'affaires réalisé par le locataire.

La révision du loyer est beaucoup plus encadrée (art. L. 145-33 et suivants), car c'est à ce

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stade que le commerçant serait, sinon, sous la dépendance du bailleur (au stade de la formation initiale du contrat, il peut, si le loyer est trop élevé, chercher ailleurs). Elle peut survenir lors du renouvellement du bail, mais peut aussi être demandée en cours de contrat, par chaque partie, tous les trois ans (on parle de « révision triennale » du loyer) 66 ; les parties sont libres, bien entendu, de convenir d'une révision avant l'expiration de la période triennale, auquel cas une demande unilatérale ne pourra être formulée que trois ans après cette révision.

La référence pour le calcul du montant du loyer révisé est la notion de « valeur locative », dont les facteurs d'appréciation sont énumérés à l'art. L. 145-23 du Code de commerce ; ces facteurs sont précisés par un décret en Conseil d'Etat qui est, aujourd'hui encore, le Décret du 30 septembre 1953 (art. 23-1 à 23-5) : 1)Les caractéristiques du local ;2)La destination des lieux, c'est-à-dire le type de commerce qui doit y être exploité ;3)Les obligations des parties, qu'elles résultent du contrat ou de la loi ;4)Les facteurs locaux de commercialité ; il s'agit grosso modo de l'environnement du local, par rapport au type de commerce qui y est exploité ;5)Les prix couramment pratiqués dans le voisinage, en principe pour des locaux équivalents.

En dépit de la précision de ces critères, leur multiplicité ainsi que l'absence, dans le texte, de pondération entre eux, laissent en pratique une grande marge d'appréciation aux juges du fond (que, de plus, la Cour de cassation ne contrôle pas sous réserve que la décision soit motivée).

Pour éviter les variations trop brutales, il a été prévu un plafonnement de la variation du loyer, par référence à la variation de l'indice trimestriel du coût de la construction ; le principe est que le taux de variation du loyer ne peut être supérieure à celui de l'indice INSEE du coût de la construction. Les conditions d'application de ce plafonnement diffèrent selon qu'il s'agit de la fixation du nouveau loyer, en raison d'un renouvellement, ou d'une révision triennale, en cours d'exécution du bail :

En cas de renouvellement du bail (art. L. 145-34 du Code de commerce), le calcul s'effectue par rapport au loyer initial, et à la date de début du contrat (donc, sur une période de neuf ans). Le plafonnement ne s'appliquera pas dans deux hypothèses :En cas de « modification notable » des quatre premiers éléments de la valeur locative (c'est-à-dire tous sauf les prix couramment pratiqués dans le voisinage) ; il s'agit de permettre un modification conséquente du loyer lorsque les conditions de celui-ci sont profondément modifiées (art. 145-34, al. 1);Si la durée initiale du bail était supérieure à neuf ans, ou si le bail, d'une durée initiale de neuf ans, a été tacitement reconduit et a en fin de comptes duré plus de douze ans (art. L. 145-34, al. 2) : on admet qu'en cas de renouvellement d'un bail de longue durée, le loyer doit être exactement ajusté à la valeur locative.

En cas de révision triennale, le plafonnement n'est exclu qu'en cas de « modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative » (art. L. 145-38 du Code de commerce) ; de plus il ne peut être tenu compte des investissements réalisés par le preneur (sauf dans l'hypothèse où au cours de la période triennale il y a eu une despécialisation simple 67 - art. L. 145-47, al. 3 du Code de commerce).L'application du plafonnement est donc plus stricte, ce qui s'explique par le fait que la modification, plafonnée ou non, du loyer en cours d'exécution du contrat est une dérogation par rapport aux règles du droit commun, alors qu'il est beaucoup plus naturel qu'en cas de

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formation d'un nouveau contrat le bail soit renégocié ; c'est, dans ce dernier cas, le plafonnement de l'évolution du loyer qui est une entorse au droit commun.

La Cour de cassation jugeait naguère que la règle du plafonnement ne s'appliquait pas aux demandes de révision à la baisse, au motif que le loyer révisé ne pouvait pas être supérieur à la valeur locative ; l'idée était que la loi édictait une double limite inférieure, constituée par la valeur locative et par l'application du taux de variation de l'indice INSEE du coût de la construction, pour la fixation du nouveau loyer. Cela permettait aux preneurs de réclamer une baisse du loyer, y compris lorsque la valeur locative n'avait pas baissé (hypothèse de loyer surévalué dès le départ) 68.

La loi du 11 décembre 2001 (loi « MURCEF ») 69 a modifié la rédaction de l'article L. 145-38, de façon à appliquer le plafonnement aux demandes de modification à la baisse 70. Dans la mesure où une baisse, sur trois ans, de l'indice trimestriel du coût de la construction est à l'heure actuelle une hypothèse d'école, il en résulte que la baisse du loyer ne pourra être obtenue, en pratique, qu'en cas de modification importante des facteurs locaux de commercialité.

Par ailleurs, si le loyer initial comprend une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer est augmenté ou diminué de plus d'un quart part rapport au loyer précédemment fixé (selon le cas, le loyer initial ou celui résultant de la dernière révision) (art. L. 145-39 du Code de commerce).

Il faut enfin préciser que selon la jurisprudence, l'existence d'une clause-recette a pour effet d'exclure l'application des dispositions du décret de 1953 (aujourd'hui, du Code de commerce) relatives à la révision du loyer des baux commerciaux 71, aussi bien en ce qui concerne la révision triennale que le renouvellement. Cette solution étonne au regard du caractère d'ordre public des dispositions en question, mais dans la mesure où la clause-recette est en soi un mécanisme d'adaptation à l'évolution des circonstances il semble difficile d'appliquer cumulativement les deux systèmes, car si leur fonction est identique, leurs logiques sont différentes 72 ; dès lors que la licéité de la clause-recette est admise il faut donc bien admettre en pratique qu'elle exclue les mécanismes de révision prévus par le Code de commerce. Or, il n'est sans doute ni opportun, ni justifié au regard du principe de la liberté contractuelle, d'interdire les clauses-recettes.Cependant, il y a sans doute lieu de nuancer cette jurisprudence dans l'hypothèse où la partie variable représenterait une part infime du loyer, car il y aurait là une forme de fraude à la loi.

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#Posté le mercredi 07 février 2007 10:02

PARTIE 2 - DROIT DES AFFAIRES PARTIE II : LE FONDS DE COMMERCE

Titre I : La notion de fonds de commerce

Chapitre I : Définition du fonds de commerce

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Il s'agit là d'une notion très particulière, née de la pratique et non définie par le Code de commerce. A la base de la théorie du fonds de commerce, il y a, comme toujours en droit, un problème concret : un commerçant qui exerce depuis plusieurs années se constitue ce qu'il est convenu d'appeler une « clientèle », c'est-à-dire qu'un certain nombre de personnes ont pris l'habitude de traiter avec lui. Lorsqu'il se retire, la personne qui va prendre sa succession va être en position bien meilleure que si elle s'était installée à partir de rien, alors même que matériellement elle aurait exactement les mêmes biens à sa disposition.

Il y a donc eu création d'une valeur supplémentaire, que les commerçants perçoivent intuitivement, depuis toujours, comme une chose qui leur appartient, et en échange de laquelle ils veulent recevoir une contrepartie financière lorsqu'ils la cèdent à autrui. Mais matériellement, il n'existe aucune « chose », isolément, à laquelle cette valeur peut être attribuée. L'idée générale qui explique la notion de fonds de commerce est ce constat, que le tout a plus de valeur que la somme des parties.

Le fonds de commerce est donc un ensemble d'éléments permettant d'exercer une activité commerciale et qui, mis ensemble, ont une valeur supérieure à la somme de leurs valeurs individuelle. Cet ensemble forme un bien nouveau, que l'on peut appréhender en tant que tel pour, par exemple, le vendre ; on parle d' « universalité de fait ».

Universalité seulement de fait et non de droit, en ce sens que le fonds de commerce est un bien et non une personne juridique comme, par exemple, une société, laquelle a un patrimoine qui comprend un actif et un passif ; au contraire le fonds de commerce est une chose qui ne peut donc être titulaire des créances et des dettes de l'exploitant 1. Ainsi en cas de transfert d'un fonds de commerce, les créances et les dettes nées antérieurement à la cession, demeurent dans le patrimoine de l'exploitant précédent.

L'explication de la valeur supplémentaire constituée par le fonds de commerce est que celui qui dispose de tous ces éléments peut s'attendre, d'ores et déjà, à avoir un certain nombre de clients. Traditionnellement on dit que le fonds de commerce comprend un élément, qu'on appelle la « clientèle ».

Mais la clientèle n'est pas un simple élément parmi d'autres, c'est l'élément essentiel du fonds de commerce. Il n'y a pas de fonds de commerce tant qu'il n'y a pas de clientèle parce que, sans clientèle, la valeur du fonds n'est rien d'autre que la valeur des divers éléments qui le composent.

Réciproquement, on considère que lorsque les éléments essentiels d'attraction de la clientèle sont cédés 2, il y a cession du fonds de commerce même si le contrat, dans sa rédaction, se présente simplement comme une cession de certains biens isolés qui en faisaient partie ; bien entendu il s'agit là d'une question de fait.

C'est pourquoi il existe une jurisprudence très fournie autour de la question de savoir si, dans tel ou tel cas, il existe bien une clientèle autonome. La question est d'importance parce que, comme on l'a vu, s'il n'y a pas de clientèle il n'y a pas de fonds ; en général le problème se pose à propos de la vente d'un fonds de commerce : sans clientèle le fonds de commerce n'existe pas, donc la vente est nulle (absence d'objet, et par voie de conséquence absence de cause), donc l'acheteur peut demander à être remboursé (ou refuser de payer, le cas échéant).

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Il n'est guère utile de connaître par cœur toutes les solutions rendues par la jurisprudence, car tout est affaire de circonstances ; pour se faire une idée, on citera cependant quelques exemples parmi les plus importants :

Un problème classique est celui de la date à partir de laquelle la clientèle (donc le fonds) existe : au moment précis où l'exploitation commence, il n'y a pas encore, en principe, de clientèle 3 donc le fonds n'existe pas encore ; il ne peut être ni vendu, ni loué ; ainsi, au moment de l'ouverture du commerce, le fonds de commerce n'existe pas encore et les tribunaux jugeront au cas par cas si à tel ou tel instant il y avait bien une clientèle.

Le problème se pose aussi en cas de cessation de l'exploitation : à partir de quand la clientèle, et partant le fonds, disparaissent-ils ? C'est encore une question de fait.

Un autre problème difficile est celui des ensemble commerciaux : l'entreprise commerciale installée, par exemple dans la gallerie marchande d'une grande surface, dispose-t-elle d'une clientèle autonome ? Par exemple il a été jugé que la buvette d'un champ de courses n'a pas de clientèle propre, ses clients étant ceux du champ de course 4.

Enfin, il faut mentionner le cas des réseaux de distribution intégrés (concession, franchise). La question est de savoir si le distributeur a une clientèle propre, ou s'il ne fait qu'exploiter celle du fabricant. La jurisprudence, dans son dernier état, semble admettre que le distributeur peut avoir une clientèle propre qu'il faut distinguer de celle du fabricant 5 ; il faut donc distinguer entre la clientèle générale du fabricant, et la clientèle locale, s'il en a une 6, du distributeur ; c'est compliqué, mais sans doute justifié.

Au point de vue de sa classification en tant que bien, le fonds de commerce est un meuble incorporel, ce qui a en pratique assez peu d'importance car les éléments essentiels de son régime sont fixés par des dispositions particulières et non par le régime général des meubles.

Il faut néanmoins se souvenir de cette règle traditionnelle, et à vrai dire assez arbitraire, que le fonds de commerce, parce qu'il est un meuble, ne comprend jamais d'immeubles 7 ; ainsi, même lorsque l'immeuble où le fonds est exploité appartient à l'exploitant, cet immeuble ne fait jamais, en tant que tel, partie du fonds de commerce. En cas de cession du fonds de commerce, il faut donc soit céder séparément l'immeuble, soit le conserver en concluant un bail commercial avec l'acquéreur du fonds de commerce.

Chapitre II : les éléments du fonds de commerce

On ne reviendra pas sur la clientèle, qui d'une certaine manière peut être considérée comme un élément du fonds de commerce ; il ne semble pas possible, toutefois, de la céder isolément, sans aucun élément de rattachement 8, car que cèderait-on alors en réalité, en dehors d'une affirmation de principe ?

A part la clientèle, le fonds de commerce comprend l'ensemble des éléments d'attraction de celle-ci ; il est d'usage de distinguer entre les éléments corporels et incorporels.

On s'attardera peu sur les éléments corporels ; il s'agit des marchandises et du matériel ; il peut arriver toutefois que ces éléments appartiennent à une autre personne que l'exploitant (clause de réserve de propriété, crédit-bail sur le matériel d'exploitation...), auquel cas il ne font bien sûr pas partie du fonds de commerce.

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Les éléments incorporels sont :

§1 : Le nom commercial et/ou l'enseigne :

Ces éléments d'identification du fonds de commerce auprès de la clientèle peuvent être d'une grande importance. Classiquement on parle de nom commercial lorsque le commerçant utilise son patronyme comme élément d'identification de son commerce, d'enseigne pour les autres signes distinctifs de fantaisie. Mais la distinction, en pratique, est assez artificielle.

De façon générale, le nom et l'enseigne sont protégés, ce qui signifie qu'un commerçant peut s'opposer à ce qu'un autre commerçant utilise le même nom ou la même enseigne pour un commerce équivalent (le critère est l'existence ou nom d'un risque de confusion, apprécié au cas par cas par les juges). Il faut cependant préciser que les enseignes les plus notoirement connues peuvent, selon la jurisprudence récente, s'opposer à tout empiètement même en l'absence de risque de confusion. Cela peut s'expliquer à la fois par l'interdiction des « agissements parasitaires » 9, et par l'atteinte à l'image de l'enseigne notoire.

L'usage par le commerçant de son nom patronymique pose toutefois des difficultés particulières :

Tout d'abord, même si c'est a priori un droit, il ne faut pas oublier que dès lors qu'un risque de confusion existe avec un commerçant utilisant déjà le même patronyme, il n'est plus possible d'utiliser son propre patronyme.D'autre part, le nom patronymique utilisé comme nom commercial, devient un droit de propriété incorporelle ; il en résulte cette conséquence très importante qu'il peut être cédé avec le fonds de commerce, ou apporté à une société 10. Le porteur originel du patronyme ne pourra plus, alors, s'opposer à son utilisation par le propriétaire du nom commercial, ni en faire usage pour le même type d'activité 11.

A cet égard, l'usage par une femme mariée du patronyme de son mari à titre de nom commercial pose des problèmes complexes, car dans une logique de droit civil l'épouse n'a qu'un droit d'usage sur le nom, qu'elle ne devrait pas pouvoir transmettre. Il semble tout de même, en droit commercial, que dès lors que le commerce a été légitimement exercé sous le patronyme considéré, le nom commercial devient objet de propriété intellectuelle.

§2 : Les droits de propriété industrielle (brevets d'invention, marques de fabrique, dessins et modèles)

Leur étude relève du droit de la propriété intellectuelle ; il suffit de retenir qu'ils se caractérisent de façon générale par une procédure d'enregistrement auprès d'un organisme national (l'Institut National de la Propriété Industrielle) ; il existe aussi à ce sujet des conventions internationales et des instruments communautaires.

En ce qui concerne les marques, elles sont souvent en même temps des enseignes.

§3 : Le droit au bail commercial

Pour la plupart des commerçants, le local où l'activité est exercée est un élément essentiel

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pour la valeur de leur fonds, car la clientèle, le plus souvent, est attachée à un lieu ; s'il est contraint de quitter les lieux, le commerçant perdra vraisemblablement une grande partie de ses clients.

Ce point ne soulève guère de difficulté lorsque le commerçant est propriétaire du local 12 ; mais souvent, il est locataire ; or à l'expiration du bail, le droit commun des contrats n'oblige nullement le propriétaire à en concéder un nouveau, d'où le risque, pour le commerçant, de perdre brutalement une clientèle qu'il aura mis des années à fidéliser. D'où aussi la tentation, pour le propriétaire, d'imposer une augmentation considérable de loyer au locataire commerçant, qui ne peut guère se permettre de refuser (sauf s'il est en mesure de trouver un local équivalent à proximité), ou même de récupérer à son profit la clientèle après avoir refusé de renouveler le bail, soit en s'installant à la place du commerçant, soit en concédant un bail, avec un loyer plus élevé, à une autre personne.

Il est donc apparu nécessaire de réglementer le bail commercial, ce qui fut fait par un Décret de 1953, codifié aujourd'hui aux articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce. Cette réglementation confère des droits très importants au commerçant locataire, au point qu'on a pris l'habitude de parler de « propriété commerciale ». Le terme est juridiquement impropre, car théoriquement le preneur à bail commercial n'a aucun droit réel sur les lieux loués, mais il exprime l'idée d'un droit au maintien dans les lieux tellement fort qu'il en devient équivalent à un droit de propriété.

Il ne faut pas se cacher, en effet, que les droits du preneur à bail commercial sont tellement importants que le propriétaire en titre des locaux n'est plus vraiment chez lui.

Ceci étant, on présentera tout d'abord les conditions d'application du statut des baux commerciaux (A), puis les caractéristiques essentielles de ce statut (B).

B)Les conditions d'application du statut des baux commerciaux

Avant de présenter ces conditions, il faut préciser que dès lors qu'elles sont réunies, le statut des baux commerciaux s'applique de manière impérative, ce qui signifie qu'il est impossible de prévoir dans le contrat qu'il ne s'appliquera pas.

Le principe est que seuls les commerçants régulièrement inscrits au RCS peuvent bénéficier du statut des baux commerciaux, mais il y a de nombreuses extensions (v. les articles L. 145-1 et –2 du Code de commerce) :Les artisans inscrits au répertoire des métiers 13 ;Les GIE à objet commercial (art. L. 251-4 C. commerce) ;Les entreprises publiques, EPIC, communes exploitant des services en régie ;Certaines activités non commerciales : établissements d'enseignement, création d'œuvres graphiques ou plastiques.

En revanche les commerçants étrangers (y compris les sociétés commerciales étrangères) non ressortissants de l'UE ne peuvent accéder à la propriété commerciale que sous réserve de réciprocité.

Par ailleurs il est possible de convenir qu'un bail a priori non soumis au statut des baux commerciaux, sera tout de même soumis à ce statut, ce qui peut être intéressant notamment pour les professions libérales.

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Concernant l'activité exercée dans les locaux objet du bail, la condition essentielle est l'existence d'une clientèle propre ; ainsi les franchisés peuvent bénéficier du statut des baux commerciaux, mais pas les locataires-gérants 14.

Les contrats de brève durée (moins de deux ans) sont exclus du champ d'application du statut des baux commerciaux, mais si le preneur reste dans les lieux (par reconduction tacite ou par conclusion d'un nouveau bail), le bail devient un bail commercial.

Les locations saisonnières sont aussi exclues (art. L. 145-5 C. com.).La jurisprudence exclut aussi les conventions d'occupation précaire ; cela ne pose pas de difficulté lorsque la précarité provient d'un élément objectif (immeuble destiné à la démolition...). C'est plus problématique lorsque la précarité résulte de la seule volonté des parties, car cela peut être un moyen de contourner le statut impératif. La Jurisprudence en admet cependant la validité, mais le risque est une requalification en bail commercial si, en pratique, la convention n'est pas précaire, ce qui peut se déduire des circonstances de son exécution.

Les conventions de très longue durée sont aussi exclues du champ d'application du droit commercial (baux emphytéotiques 15, bail à construction 16, crédit-bail immobilier, concession immobilière 17)

C)Le régime des baux commerciaux

A titre préliminaire, il faut savoir qu'eu égard aux importantes prérogatives qu'il confère au preneur, la conclusion d'un bail commercial est assimilée à un acte de disposition ; il en résulte qu'un usufruitier ne peut le conclure seul, pas plus qu'un coïndivisaire ayant reçu mandat général d'administration ; si le local est un bien commun à deux époux, le consentement des deux est requis. Si le propriétaire est un incapable majeur ou mineur, le contrat peut être conclu par son représentant, mais à sa majorité le droit au renouvellement sera inopposable au mineur (idem dans l'hypothèse de l'ex-incapable majeur ayant retrouvé sa capacité) 18, sauf accord spécial du juge des tutelles, ou accord entre l'administrateur légal du mineur et son conjoint.

Le bail commercial est une variété particulière du contrat de louage de choses, prévu aux articles 1713 et suivants du Code civil. Essentiellement il confère au locataire (ou preneur) le droit à la jouissance de la chose, et au bailleur, le droit de percevoir un loyer.

Ceci étant, le bail commercial présente de nombreuses particularités, dérogatoires au droit commun ; on présentera successivement les règles qui concernent l'affectation des lieux loués (1), la durée du contrat (2) et la fixation du loyer (3).

Au préalable, on notera que la sous-location est interdite, sauf accord du bailleur.

1)L'affectation des locaux

Dans le droit commun du bail, le contrat peut prévoir l'usage que le preneur pourra (et même

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devra) faire de la chose (art. 1728 C. civ.) ; faute de respecter cette obligation, le preneur exécute mal le contrat et encourt donc les sanctions de l'inexécution (en pratique, la résiliation du contrat et des dommages et intérêts : cf. le Cours de droit des obligations).

Il est toutefois apparu nécessaire de permettre au preneur à bail commercial d'adapter son activité à l'évolution des conditions économiques, locales ou générales (on parle de « despécialisation »). Cette nécessité devait toutefois se concilier avec le respect d'un minimum de maîtrise du bailleur sur la chose, faute de quoi il ne serait plus vraiment possible de le considérer comme un propriétaire.

L'équilibre a été trouvé par la distinction entre les activités « connexes et complémentaires » d'une part, et le changement d'activité d'autre part 19. Le principe est que le preneur à bail commercial peut librement ajouter à son commerce les activités connexes et complémentaires (on parle de « despécialisation simple »), mais ne peut, sans autorisation, changer totalement l'activité exercée dans les lieux loués (despécialisation « plénière », ou « renforcée »).

Le locataire qui souhaite effectuer une despécialisation simple doit le notifier au bailleur, par acte extrajudiciaire (c'est-à-dire, par huissier) précisant les activités dont l'exercice est envisagé. Le bailleur a alors deux mois pour faire savoir s'il conteste ou non le caractère connexe ou complémentaire des activités que le locataire veut adjoindre à son commerce (il n'a pas à donner son accord à proprement parler, puisque la despécialisation simple est un droit pour le locataire ; il ne peut que contester ce droit, en prétendant qu'en réalité il y a changement total d'activité). A défaut de réponse dans les deux mois, le bailleur est déchu du droit de contester la despécialisation.

En cas de contestation, le Tribunal de grande instance 20 décide si l'activité envisagée est connexe ou complémentaire, ou s'il y a changement total d'activité. Cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond 21 .

L'exercice d'une activité différente de celle prévue au bail (despécialisation plénière) n'est pas un droit pour le locataire ; elle nécessite donc en principe l'autorisation du bailleur, qui doit être sollicitée, là aussi, par acte extra-judiciaire ; il faut évidemment, là encore, préciser les activités envisagées. Le silence gardé par le bailleur pendant trois mois vaut acceptation.

En cas de refus du bailleur, le preneur peut demander une autorisation en justice ; le juge examinera la demande « eu égard à la conjoncture économique et aux nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution, lorsque ces activités sont compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ou de l'ensemble immobilier » (art. L. 145-48 du Code de commerce) ; une formule aussi vague laisse bien entendu aux juges du fond un pouvoir d'appréciation très fort, proche de l'arbitraire.

Si la despécialisation est accordée, il est possible de l'assortir d'une modification du loyer 22, ou même d'une indemnité ponctuelle à la charge du locataire, en cas de préjudice particulier subi par le bailleur, et que celui-ci devra alors, bien entendu, prouver (art. L. 145-50 du Code de commerce).

2) La durée du contrat

L'idée essentielle de la réglementation des baux commerciaux est de conférer au preneur un droit au maintien dans les lieux (a), afin qu'il ne soit pas privé de la valeur économique qu'il a

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créée par son activité (la fameuse « clientèle »). Pour que ce droit au maintien dans les lieux soit effectif, il a fallu par ailleurs le protéger contre les clauses qui prévoient la rupture automatique du contrat en cas de réalisation de certaines conditions, en pratique l'inexécution du contrat et plus précisément, le non-paiement des loyers (les « clauses résolutoires ») (b).

a)Le droit au maintien dans les lieux

De façon générale, il faut savoir que le bail commercial est nécessairement conclu pour une durée qui ne peut être inférieure à neuf ans (art. L. 145-4 du Code de commerce) ; le preneur peut, en revanche, donner congé à l'issue de chaque période de trois ans (période dite « triennale »), sous réserve de donner préavis six mois à l'avance.

Il est possible toutefois d'écarter, par une clause expresse du contrat, la faculté de résiliation triennale du preneur ; comme qui peut le plus peut le moins, il est aussi possible de prévoir que la résiliation triennale ne sera possible que si le preneur verse une indemnité, ou de la subordonner à certaines conditions.

En revanche, s'il veut faire valoir ses droits à la retraite, le preneur peut toujours donner congé, avec un préavis de six mois (art. L. 145-4, al. 3 du Code de commerce).

Le bailleur ne peut quant à lui donner congé qu'à la fin de la durée complète du bail, et sous réserve du même préavis.

A défaut de congé à l'issue de la durée prévue du bail, celui-ci est tacitement reconduit (article L. 145-9 du Code de commerce), ce qui signifie que c'est le même bail qui se poursuit, pour une durée indéterminée ; cela implique que chaque partie peut alors donner congé à tout moment, sous réserve toujours du préavis de six mois 23.

A l'expiration du bail commercial (neuf ans au minimum), le locataire a un droit au maintien dans les lieux ; cela signifie que le refus de renouvellement doit être motivé.

En général, les parties négocient lorsque la date d'expiration du bail se rapproche. A défaut, comme on l'a vu le bail ne cessera pas automatiquement : il se poursuit purement et simplement ; le bailleur qui ne souhaite pas renouveler le bail doit donc accomplir un acte positif (délivrer congé, par acte extra-judiciaire).

Toutefois, dans la mesure où à défaut de renouvellement le bail se poursuit avec une durée indéterminée, et peut donc être résilié à tout moment (sauf à respecter le préavis de 6 mois), le preneur peut avoir intérêt à connaître les intentions du bailleur. Il doit pour cela effectuer par acte extra-judiciaire une demande en renouvellement ; le silence gardé par le bailleur pendant trois mois vaudra acceptation du renouvellement du bail, aux mêmes conditions que l'ancien.

Le bailleur doit donc notifier le refus de renouvellement, par acte extra-judiciaire ; il peut aussi accepter le renouvellement, sous réserve d'une modification du loyer ; il doit là aussi, le notifier, de la même manière (la réglementation de la révision du loyer sera étudiée infra).

Le bail renouvelé aura une durée au moins égale à neuf ans.

Le bailleur a le droit de refuser le renouvellement, mais il devra alors payer une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement (art. L. 145-14 du Code de

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commerce). Concrètement, cela recouvre en principe la valeur marchande du fonds, augmentée des frais d'acquisition et de réinstallation dans un fonds équivalent (même article, alinéa 2 ; ce texte n'est toutefois qu'indicatif) ; c'est à dire que le bailleur doit, s'il ne renouvelle pas le bail, payer au preneur sa réinstallation. Il va de soi que le coût, pour le bailleur, est énorme et qu'en pratique les bailleurs ne peuvent, le plus souvent, pas se permettre de refuser le renouvellement.

Le bailleur qui souhaite démolir pour reconstruire ou rénover le local loué peut se soustraire à l'obligation de payer l'indemnité d'éviction, en offrant temporairement au locataire évincé un local « correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent » (art. L. 145-18 du Code de commerce), sous réserve quand même de l'indemniser pour ses frais de déménagement et réemménagement, et pour le préjudice éventuellement causé par ce déplacement temporaire.

En dehors de cette hypothèse d'éviction seulement temporaire, le bailleur n'échappe au paiement de l'indemnité d'éviction que dans deux cas, prévus par l'article L. 145-17 du Code de commerce :

En cas de « motif grave et légitime », c'est-à-dire en cas d'inexécution contractuelle grave commise par le preneur (défaut de paiement des loyers, mais aussi cessation de l'exploitation du fonds, mauvais entretien des lieux loués...) ; ce motif n'est admis que si le manquement s'est poursuivi un mois après une mise en demeure restée infructeuse. Il s'agit en fait des conditions qui auraient permis au bailleur de résilier le bail, sans même attendre son expiration (cf. infra) ;Si l'immeuble est insalubre ou dangereux ; en cas de reconstruction, le preneur a alors un droit de priorité si l'immeuble reconstruit comprend des parties à destination commerciale. La fixation du loyer, en cas de désaccord, sera soumise à la même procédure que celui du bail renouvelé ou révisé (cf. infra).

Par ailleurs, si le local commercial comprend des locaux d'habitation accessoires, le bailleur peut donner congé pour habiter lui-même ou pour un membre de sa proche famille (art. L. 145-22 du Code de commerce). Les conditions sont assez restrictives :

la personne relogée ne doit pas disposer déjà d'une habitation correspondant à ses besoins normaux ;Elle doit occuper, sauf motif légitime, la partie du local à usage d'habitation pendant au moins six mois, faute de quoi le locataire a droit à une indemnité d'éviction ;La reprise est impossible en cas de trouble grave apporté à l'exploitation, ou si les locaux sont indivisibles ;Enfin, la reprise est impossible pour les locaux à usage d'hôtel, de location en meublé, hospitalier ou d'enseignement.

Le droit au maintien dans les lieux n'existe qu'au profit du commerçant qui a exploité le fonds, personnellement ou par l'intermédiaire d'autrui 24, pendant trois ans (art. L. 145-8 C. com.) ; en principe, le bail devant durer au moins neuf ans il n'y a pas de difficulté, mais il y a notamment deux hypothèses où cette condition peut faire défaut :

En cas de despécialisation (art. L. 145-8, al. 2), puisque l'activité est nouvelle ;Hypothèse plus particulière, la jurisprudence considère qu'en cas de cession du contrat de bail mais non du fonds de commerce lui-même 25, puisque l'acquéreur du droit au bail exploite un

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nouveau fond, en cas de congé dans les trois ans qui suivent cette acquisition il n'a pas de droit au renouvellement.

Toutes les clauses destinées à faire échec au droit à l'indemnité d'éviction sont nulles de plein droit (art. L. 145-14 du Code de commerce).

b)La protection du preneur contre les clauses résolutoires

Il est possible en droit commun des contrats, de prévoir qu'en cas d'inexécution du contrat celui-ci sera résolu de plein droit ; cette clause permet d'éviter de le demander au juge, ce qui est source de lenteur 26 et d'aléa, car le juge appréciera si la résiliation est justifiée ou non, ce qui dépend de la gravité de l'inexécution, de la possibilité ou non, de continuer à exécuter efficacement le contrat... Tous critères qui laissent une large place à la « prudence » du juge, c'est-à-dire au fond, à l'arbitraire.

Sans aller jusqu'à les interdire, il est apparu nécessaire dans le cadre de la réglementation des baux commerciaux, d'encadrer le jeu des clauses résolutoires. L'article L. 145-41 du Code de commerce prévoit ainsi que la clause résolutoire ne pourra produire effet qu'un mois après un commandement de payer demeuré infructueux. Le même texte prévoit que la clause ne jouera pas si le juge octroie des délais de grâce en application des articles 1244-1 à –3 du Code civil 27 (article L. 145-41, alinéa 2).

Il est aussi fréquent que le contrat prévoie la résiliation en cas de cessation de l'exploitation (même si les loyers sont payés) ; l'art. L. 145-42 prévoit que l'effet d'une telle clause est suspendu, en cas de despécialisation, le temps nécessaire à la réalisation des travaux destinés à permettre l'exercice de la nouvelle activité.

2)La réglementation de la révision des loyers

Conférer un droit au renouvellement du bail au locataire n'a de sens que si, corrélativement, la révision des loyers est encadrée. Il n'est pas possible, en effet, d'obliger le bailleur à renouveler le bail sans permettre une évolution du loyer. Mais il n'est pas possible non plus de laisser la fixation du nouveau loyer à la discrétion totale des parties, car il serait alors aisé au propriétaire de contourner le droit au renouvellement, en proposant un nouveau loyer exorbitant, que le locataire serait contraint de refuser. D'où la nécessité d'une réglementation.

En premier, lieu, la fixation initiale du loyer est libre ; il est possible de prévoir une indexation 28 (clause dite « d'échelle mobile »), ou « une clause-recette », selon laquelle le loyer est en tout ou partie fonction du chiffre d'affaires réalisé par le locataire.

La révision du loyer est beaucoup plus encadrée (art. L. 145-33 et suivants), car c'est à ce stade que le commerçant serait, sinon, sous la dépendance du bailleur (au stade de la formation initiale du contrat, il peut, si le loyer est trop élevé, chercher ailleurs). Elle peut survenir lors du renouvellement du bail, mais peut aussi être demandée en cours de contrat, par chaque partie, tous les trois ans (on parle de « révision triennale » du loyer) 29 ; les parties sont libres, bien entendu, de convenir d'une révision avant l'expiration de la période triennale, auquel cas une demande unilatérale ne pourra être formulée que trois ans après cette révision.

La référence pour le calcul du montant du loyer révisé est la notion de « valeur locative », dont les facteurs d'appréciation sont énumérés à l'art. L. 145-23 du Code de commerce ; ces

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facteurs sont précisés par un décret en Conseil d'Etat qui est, aujourd'hui encore, le Décret du 30 septembre 1953 (art. 23-1 à 23-5) : 1)Les caractéristiques du local ;2)La destination des lieux, c'est-à-dire le type de commerce qui doit y être exploité ;3)Les obligations des parties, qu'elles résultent du contrat ou de la loi ;4)Les facteurs locaux de commercialité ; il s'agit grosso modo de l'environnement du local, par rapport au type de commerce qui y est exploité ;5)Les prix couramment pratiqués dans le voisinage, en principe pour des locaux équivalents.

En dépit de la précision de ces critères, leur multiplicité ainsi que l'absence, dans le texte, de pondération entre eux, laissent en pratique une grande marge d'appréciation aux juges du fond (que, de plus, la Cour de cassation ne contrôle pas sous réserve que la décision soit motivée).

Pour éviter les variations trop brutales, il a été prévu un plafonnement de la variation du loyer, par référence à la variation de l'indice trimestriel du coût de la construction ; le principe est que le taux de variation du loyer ne peut être supérieure à celui de l'indice INSEE du coût de la construction. Les conditions d'application de ce plafonnement diffèrent selon qu'il s'agit de la fixation du nouveau loyer, en raison d'un renouvellement, ou d'une révision triennale, en cours d'exécution du bail :

En cas de renouvellement du bail (art. L. 145-34 du Code de commerce), le calcul s'effectue par rapport au loyer initial, et à la date de début du contrat (donc, sur une période de neuf ans). Le plafonnement ne s'appliquera pas dans deux hypothèses :En cas de « modification notable » des quatre premiers éléments de la valeur locative (c'est-à-dire tous sauf les prix couramment pratiqués dans le voisinage) ; il s'agit de permettre un modification conséquente du loyer lorsque les conditions de celui-ci sont profondément modifiées (art. 145-34, al. 1);Si la durée initiale du bail était supérieure à neuf ans, ou si le bail, d'une durée initiale de neuf ans, a été tacitement reconduit et a en fin de comptes duré plus de douze ans (art. L. 145-34, al. 2) : on admet qu'en cas de renouvellement d'un bail de longue durée, le loyer doit être exactement ajusté à la valeur locative.

En cas de révision triennale, le plafonnement n'est exclu qu'en cas de « modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative » (art. L. 145-38 du Code de commerce) ; de plus il ne peut être tenu compte des investissements réalisés par le preneur (sauf dans l'hypothèse où au cours de la période triennale il y a eu une despécialisation simple 30 - art. L. 145-47, al. 3 du Code de commerce).L'application du plafonnement est donc plus stricte, ce qui s'explique par le fait que la modification, plafonnée ou non, du loyer en cours d'exécution du contrat est une dérogation par rapport aux règles du droit commun, alors qu'il est beaucoup plus naturel qu'en cas de formation d'un nouveau contrat le bail soit renégocié ; c'est, dans ce dernier cas, le plafonnement de l'évolution du loyer qui est une entorse au droit commun.

La Cour de cassation jugeait naguère que la règle du plafonnement ne s'appliquait pas aux demandes de révision à la baisse, au motif que le loyer révisé ne pouvait pas être supérieur à la valeur locative ; l'idée était que la loi édictait une double limite inférieure, constituée par la valeur locative et par l'application du taux de variation de l'indice INSEE du coût de la construction, pour la fixation du nouveau loyer. Cela permettait aux preneurs de réclamer une baisse du loyer, y compris lorsque la valeur locative n'avait pas baissé (hypothèse de loyer

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surévalué dès le départ) 31.

La loi du 11 décembre 2001 (loi « MURCEF ») 32 a modifié la rédaction de l'article L. 145-38, de façon à appliquer le plafonnement aux demandes de modification à la baisse 33. Dans la mesure où une baisse, sur trois ans, de l'indice trimestriel du coût de la construction est à l'heure actuelle une hypothèse d'école, il en résulte que la baisse du loyer ne pourra être obtenue, en pratique, qu'en cas de modification importante des facteurs locaux de commercialité.

Par ailleurs, si le loyer initial comprend une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer est augmenté ou diminué de plus d'un quart part rapport au loyer précédemment fixé (selon le cas, le loyer initial ou celui résultant de la dernière révision) (art. L. 145-39 du Code de commerce).

Il faut enfin préciser que selon la jurisprudence, l'existence d'une clause-recette a pour effet d'exclure l'application des dispositions du décret de 1953 (aujourd'hui, du Code de commerce) relatives à la révision du loyer des baux commerciaux 34, aussi bien en ce qui concerne la révision triennale que le renouvellement. Cette solution étonne au regard du caractère d'ordre public des dispositions en question, mais dans la mesure où la clause-recette est en soi un mécanisme d'adaptation à l'évolution des circonstances il semble difficile d'appliquer cumulativement les deux systèmes, car si leur fonction est identique, leurs logiques sont différentes 35 ; dès lors que la licéité de la clause-recette est admise il faut donc bien admettre en pratique qu'elle exclue les mécanismes de révision prévus par le Code de commerce. Or, il n'est sans doute ni opportun, ni justifié au regard du principe de la liberté contractuelle, d'interdire les clauses-recettes.Cependant, il y a sans doute lieu de nuancer cette jurisprudence dans l'hypothèse où la partie variable représenterait une part infime du loyer, car il y aurait là une forme de fraude à la loi.

Titre II : les actes juridiques portant sur le fonds de commerce

Le fonds de commerce étant considéré comme un bien, il peut être objet de contrat ; on présentera successivement la vente (Ch. 1), la location-gérance (Ch. 2) et la constitution de sûretés (Ch. 3) sur le fonds de commerce.

Chapitre I : La vente du fonds de commerce

La vente est le contrat par lequel une personne, le vendeur, transmet la propriété d'une chose à une autre, l'acheteur, et s'oblige à la lui délivrer, en échange de quoi l'acheteur s'engage, quant à lui, à payer un prix. Modèle de tous les contrats, la vente fait l'objet d'une réglementation particulièrement précise, et on distingue entre le droit commun de la vente et les différentes réglementations propres à chaque type de vente. L'objet de ce cours n'est pas de présenter l'ensemble du droit de la vente, de sorte qu'on se limitera aux particularités de la vente du fonds de commerce.

On rappellera tout d'abord que la cession d'un fonds de commerce est un acte commercial, aussi bien à l'égard de l'acheteur que du vendeur.

Par ailleurs, on insistera sur la nécessité de bien distinguer juridiquement des opérations qui, d'un point de vue économique, peuvent apparaître équivalentes mais qui sont juridiquement très différentes, ce qui emporte de très importantes conséquences concrètes. Les précisions

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qui vont suivre sont aussi bien applicable à tout type d'acte juridique sur le fonds de commerce, mais c'est sans doute à partir de l'exemple de la vente, qui est à la base un contrat relativement simple dans son économie, qu'il est le plus facile de les comprendre.

Il est essentiel de ne pas confondre la vente d'un fonds de commerce avec des ventes portant sur des biens différents, quoique leur utilité économique puisse paraître semblable :

La vente (en tout ou partie) des parts sociales d'une société propriétaire du fonds de commerce se différencie de la vente du fonds de commerce lui-même, principalement à deux égards :Le fonds de commerce n'entre pas directement dans le patrimoine de l'acheteur de la société (il appartient toujours à la société elle-même), de sorte que celui-ci n'est pas nécessairement commmerçant 73.La société est transmise avec l'ensemble de son patrimoine, qui comprend à la fois les éléments d'actif (ici, par hypothèse, essentiellement le fonds de commerce) mais aussi les éléments de passif (les dettes de la société), alors que le fonds de commerce, comme on l'a vu, est uniquement un ensemble d'éléments d'actif : les dettes de l'exploitant qui cède le fonds de commerce ne sont, en principe, pas transmises à l'acquéreur 74, pas plus que les créances dont il est titulaire.Ainsi, la vente du fonds de commerce a un objet plus limité que la vente d'une société.

A l'inverse, il ne faut pas non plus confondre la vente du fonds de commerce avec la cession du contrat de bail, qui n'en est qu'un élément. Il faut savoir en effet qu'il est possible de transférer en cours d'exécution, un contrat d'une personne à l'autre ; le nouveau contractant, ou cessionnaire du contrat, devient créancier et débiteur des obligations devenues exigibles après la cession. Ainsi, le propriétaire d'un fonds de commerce, s'il est aussi titulaire d'un bail commercial, peut céder son contrat de bail commercial 75 ; on parle de cession de contrat.La cession de contrat est une technique qui pose d'assez complexes difficultés théoriques, que l'on n'abordera pas dans le cadre de ce cours ; il faut cependant savoir qu'en principe, sauf disposition contraire propre à telle ou telle matière l'autre contractant doit donner son accord, ce qui est logique puisque par l'effet de la cession, il aura un nouveau partenaire contractuel, qui sera à la fois son créancier et son débiteur, et en qui il n'est a priori pas obligé d'avoir confiance.En revanche, le bailleur ne peut pas s'opposer à la cession du bail lorsqu'elle ne se présente pas de façon isolée, mais fait partie de la cession du fonds de commerce dans son ensemble (art. L. 145-16 C. com.) ; c'est une dérogation au droit commun, qui a pour objet de protéger le commerçant en lui garantissant qu'il pourra vendre son fonds de commerce.Bien souvent le droit au bail représente la valeur économique essentielle du fonds de commerce ; par ailleurs les dettes du commerçant précédent ne sont pas transmises avec le droit au bail, de sorte qu'il est tentant de n'attacher que peu d'importance à la question de savoir si c'est le fonds dans son ensemble qui a été cédé, ou seulement le bail commercial.Il faut cependant se méfier, car selon les cas d'espèce la différence peut avoir d'importantes conséquences ; notamment, le cessionnaire du seul contrat de bail n'a pas acheté le fonds de commerce, donc exploite nécessairement un nouveau fonds de commerce. Il en résulte que si un congé est donné dans les trois ans 76 qui suivent la cession, le locataire, ne pouvant se prévaloir de trois ans d'exploitation effective et personnelle du fonds exploité dans les locaux loués, n'aura pas de droit au renouvellement, c'est-à-dire qu'il sera privé de l'indemnité d'éviction...En revanche, si le fonds est grevé de sûretés (cf. infra), il peut être intéressant de n'acheter que le bail en tant qu'élément isolé, car les sûretés n'y demeureront pas attachées ; il y a toutefois des mécanismes de protection des créanciers munis de sûretés (cf. infra).

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On se souvient par ailleurs que, si le bail cédé se trouve être l'élément essentiel d'attraction de la clientèle, la contrat sera requalifié en cession du fonds de commerce ; la question relève de l'appréciation souveraine des juges du fonds.

Ces précisions faites, il faut à présent aborder les règles particulières aux cessions de fonds de commerce. Très classiquement, on présentera tout d'abord les règles de formation de la vente (§ 1), puis les règles particulières de publicité, destinées à protéger les créanciers du vendeur du fonds de commerce (§ 2) ; on présentera pour finir les effets de la vente (§ 3).

§ 1 : Formation

La vente du fonds de commerce étant avant tout un contrat, elle obéit aux règles de formation du droit commun des contrats (consentement, capacité, objet, cause), qu'il est indispensable de connaître au moins dans leurs grandes lignes 77.En ce qui concerne la capacité, la cession de fonds de commerce est un acte de disposition, de sorte que si le fonds à vendre fait partie d'une communauté le consentement des deux époux est nécessaire 78 ; si le fonds appartient à un mineur, l'autorisation du Juge des tutelles est nécessaire 79 (ou l'autorisation du Conseil de famille si le mineur est sous tutelle 80).

Du point de vue de l'acheteur, la difficulté est que le propriétaire d'un fonds de commerce étant en principe commerçant, l'acquisition du fonds de commerce n'est en principe possible que si l'acquéreur a la capacité d'être commerçant, ce qui est interdit notamment au mineur même émancipé ; il est possible cependant d'apporter immédiatement le fonds à une société.

L'article L. 141-1 du Code de commerce énonce un certain nombre de mentions obligatoires pour tout acte de cession ou d'apport en société de fonds de commerce, ainsi que pour tout acte aboutissant concrètement à un transfert de la propriété du fonds (« Dans tout acte constatant une cession amiable de fonds de commerce, consentie même sous condition et sous la forme d'un autre contrat ou l'apport en société d'un fonds de commerce... »). Le critère général d'application de cette exigence est l'engagement d'acheter ; elle s'applique donc aux promesses unilatérales d'achat, mais pas en principe aux promesses unilatérales de vente 81. Les mentions concernées sont le nom des parties et diverses informations relatives au fonds (origine d'acquisition, privilèges et nantissements - cf. infra -, chiffre d'affaire des trois dernières années, le cas échéant informations relatives au bail commercial).

Le texte prévoit qu'à défaut de respecter cette obligation, la nullité du contrat peut être demandée par l'acquéreur dans l'année qui suit sa conclusion. En apparence il s'agit d'une dérogation au principe du consensualisme 82 ; en réalité la jurisprudence a précisé que la nullité ne pouvait être obtenue que si l'absence des mentions en question a entraîné une mauvaise information de l'acquéreur, et lui a causé un préjudice 83. D'un point de vue théorique, on peut donc toujours considérer que la vente de fonds de commerce est un contrat consensuel.En pratique toutefois, un écrit est toujours rédigé, car il est indispensable pour l'accomplissement des formalités de publicité.

§ 2 : Publicité

Elle est prévue par l'article L. 141-12 du Code de commerce ; il faut au préalable effectuer une déclaration au fisc, qui perçoit des droits de mutation 84. Le texte prévoit une publication dans un journal d'annonces légales, ainsi qu'au Bulletin Officiel des Annonces Civiles et

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Commerciales (BODACC), dans la quinzaine de la conclusion de la vente.

Cette publication ne doit pas être confondue avec, par exemple, la publication des transferts de droits immobiliers ; elle ne concerne que les créanciers de l'exploitant du fonds 85. Ceux-ci peuvent en effet, dans les dix jours qui suivent l'accomplissement de ces formalités de publicité, faire opposition, par exploit d'huissier, auprès de l'acquéreur. Celui-ci, alors, n'a pas le doit de payer le vendeur ; les fonds sont bloqués, ce qui constitue une sécurité pour les créanciers. En effet, les dettes ne sont pas transmises avec le fonds, de sorte que le risque, pour les créanciers du vendeur, est que celui-ci disparaisse après avoir été payé car ils ne pourraient pas demander au nouveau propriétaire du fonds de payer les dettes passées.

Si l'acquéreur paie avant l'expiration du délai de dix jours, ou même avant d'avoir effectué la publicité, le paiement est inopposable aux tiers (art. L. 141-17 C. com.), de sorte que les créanciers du vendeur pourront lui demander de payer une deuxième fois (« qui paie mal, paie deux fois »).

Il faut aussi connaître la règle de la surenchère ; sans entrer dans le détail (v. l'article L. 141-19 du C. com.), les créanciers peuvent faire surenchère, c'est-à-dire offrir d'acheter le fonds de commerce en offrant le prix majoré d'un sixième, pendant 20 jours à compter de la publication au BODACC ; l'opération n'est intéressante que si le prix a été sensiblement minoré 86.Il est alors procédé à une vente aux enchères, et à défaut d'enchère supérieure celui qui a formé la surenchère est déclaré « adjudicataire » (c'est-à-dire acquéreur : c'est le terme employé en cas d'enchères publiques).

Section 3 : Effets

Pour l'essentiel, on se reportera aux règles générales de la vente ; les particularités les plus remarquables concernent l'obligation de non-concurrence et le privilège du vendeur.

L'obligation de non-concurrence est une conséquence de la « garantie d'éviction » due par le vendeur (art. 1626 et s. du C. civ.), laquelle signifie en gros que le vendeur garantit à l'acheteur que la chose lui est effectivement transmise, et qu'il pourra en profiter. La garantie du fait personnel en est un aspect (art. 1628 du C. civ.) ; elle signifie que le vendeur n'a pas le droit de troubler lui-même l'acheteur dans ses droits sur la chose vendue.

Evidemment, la vente d'un fonds de commerce serait d'un piètre intérêt si le vendeur pouvait ensuite s'installer à proximité, et récupérer ainsi la clientèle. C'est pourquoi il est admis que le vendeur n'a pas le droit de faire concurrence à l'acheteur.

Dans la mesure où cette obligation demeure imprécise (sa durée, ainsi que le périmètre dans lequel le vendeur ne peut se réinstaller sous peine d'évincer l'acheteur sont fonction de l'appréciation des juges au cas par cas), il est systématiquement prévu une clause expresse de non-concurrence, plus précise, qui évite cette incertitude ; de telles clauses sont valables si elles sont limitées à l'activité concernée, ainsi que dans le temps et dans l'espace 87, et enfin si elles sont proportionnées par rapport à l'objet du contrat 88.

Le privilège du vendeur est une sûreté prise sur le fonds de commerce, qui garantit le paiement du prix ; on y reviendra plus loin (Chapitre 3).

Par ailleurs, il est possible que par l'effet de la cession l'une des parties (ou les deux) perde ou

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acquière la qualité de commerçant ; il faut bien sûr effectuer les formalités correspondantes.

Chapitre II : la location-gérance du fonds de commerce

Il s'agit ici de louer le fonds de commerce ; le locataire-gérant exploitera le fonds en son nom propre et à ses risques et périls, moyennant un loyer. Si le local est occupé en vertu d'un bail commercial le propriétaire du fonds de commerce demeure directement tenu à l'égard du bailleur des locaux, car le contrat qui les lie est toujours en vigueur, et le propriétaire des locaux ne peut agir directement contre le locataire-gérant.

C'est le locataire-gérant qui a la qualité de commerçant, puisque c'est lui qui exploite le fonds ; le bailleur, bien que propriétaire du fonds de commerce, n'est pas commerçant (il faut donc effecter les formalités d'inscription ou de radiation au RCS). Le procédé peut en particulier être utile dans l'hypothèse où le propriétaire du fonds de commerce ne peut pas, temporairement, avoir la qualité de commerçant (l'hypothèse classique est celle où un mineur hérite d'un fonds de commerce).

En théorie, le contrat n'est pas nécessairement écrit, mais c'est en pratique indispensable car pour produire tous ses effets il doit être publié dans un journal d'annonces légales ; à défaut, le bailleur est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci à l'occasion de sa gérance (art. L. 144-7 du C. com.). Par ailleurs, dans la mesure où le locataire-gérant acquiert la qualité de commerçant, et où le bailleur la perd, les inscriptions correspondantes au RCS doivent être prises, ce qui implique de produire des justificatifs.

Le contrat de location-gérance est soumis au droit commun du bail, de sorte que le droit au renouvellement ne s'applique pas, pas plus que les règles relatives à la révision du loyer 89. Il n'y a pas non plus de durée minimale du contrat.

C'est pourquoi la location-gérance est un contrat qui est vu avec méfiance par le législateur, car elle permettrait, si elle était admise sans condition, de spéculer sur des fonds de commerce, sans les exploiter personnellement. De plus, elle permettrait de contourner la réglementation des baux commerciaux : il suffirait, au lieu de louer des locaux, de créer un fonds de commerce puis de le donner immédiatement en location-gérance, pour éviter notamment les règles relatives à la révision des loyers, et le droit au renouvellement du preneur.

La Loi a donc posé en condition à la location-gérance, le fait pour le bailleur d'avoir personnellement exploité le fonds pendant deux ans 90 ; il est possible de demander une dérogation au Président du Tribunal de grande instance, qui rendra une ordonnance sur requête.

Néanmoins, cette exigence est écartée au profit de certaines personnes énumérées par l'article L. 144-5 du C. com. (essentiellement, les personnes publiques, les établissements de crédit, les personnes qui héritent du fonds mais qui ne peuvent l'exploiter et le conjoint qui a participé à l'exploitation et qui reçoit le fonds suite au partage de la communauté ; v. le texte pour la liste exhaustive).

Le contrat conclu en violation de cette règle est nul, de nullité absolue 91. Les contractants ne peuvent pas, toutefois, se prévaloir de cette nullité à l'égard des tiers (art. L. 144-10 du C. com.) 92.

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Il faut aussi savoir que les créanciers sont protégés, au début comme à la fin de la location-gérance : Pendant six mois à compter de la publication de la location-gérance, le bailleur est solidairement responsable avec le preneur des dettes nées à l'occasion de l'exploitation (art. L. 144-7 du C. com.) ;La fin de la location-gérance rend immédiatement exigibles les dettes nées à l'occasion de l'exploitation du fond par le locataire-gérant (art. L. 144-9 du C. com.).

Enfin, il est possible de stipuler dans un bail commercial, que la location-gérance du fonds exploité dans les lieux loués est interdite.

Hypothèse voisine : le crédit-bail sur fonds de commerce, en gros traité comme une location-gérance en cours d'exécution, et comme une vente si le crédit-preneur lève l'option ; il y a quelques dérogations au régime de la location-gérance, notamment les conditions d'exploitation personnelle par le bailleur et la possibilité de révision en cas de clause d'échelle mobile sont exclus.On rappellera que le crédit-bail, aussi appelé location-vente ou leasing, est une technique de crédit qui utilise les techniques du bail et de la vente ; schématiquement, au lieu de prêter de l'argent à une personne qui souhaite acheter un bien quelconque grâce à un crédit (crédit classique), le « prêteur » (qu'on appelle crédit-bailleur) achète le bien, puis le loue à l'« emprunteur » (le crédit-preneur).Il est stipulé qu' à la fin du contrat, le crédit-preneur a la faculté d'acheter le bien (c'est une promesse de vente à terme et sous condition du paiement de toutes les échéances), pour un prix symbolique ; le montant du loyer correspond en réalité au coût d'un crédit consenti par le crédit-bailleur, pour un montant correspondant au prix d'achat du bien.L'intérêt pour le crédit-bailleur est que, dans la mesure où il est propriétaire du bien, si le crédit-preneur ne paie pas il peut le récupérer sans être en concours avec les autres créanciers.Le crédit-bail sur fonds de commerce est assez peu utilisé en pratique ; cette technique est plus adaptée au financement de l'achat de matériel, que le crédit-bailleur pourra plus facilement récuérer et revendre.

Chapitre III : Les sûretés portant sur le fonds de commerce

Le fonds de commerce étant un bien, il est possible de faire porter des sûretés sur ce bien, comme sur tout autre bien. Avant de présenter rapidement ces sûretés particulières, quelques indications sur les sûretés en général sont nécessaires La matière a été largement refondue par une ordonnance récente, du 23 mars 2006 93 ; la numérotation du Code civil va désormais jusqu'à l'article 2488 (2534 si l'on inclut les dispositions relatives à Mayotte) ; le Code contient désormais un Livre IV (« Des sûretés ») qui vient s'ajouter à la présentation tripartite dont l'origine remontait au jurisconsulte romain Gaïus 94.

La définition même du terme de sûreté reste discutée 95 ; on admettra pour les besoins du cours, que sont des sûretés toutes les prérogatives qui accroissent les chances d'un créancier d'être payé, et qui s'ajoutent à celles dont il dispose automatiquement de par sa seule qualité de créancier.

La distinction fondamentale en la matière, s'opère entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles. Les sûretés personnelles consistent en gros à faire garantir le paiement par l'engagement d'un tiers ; le cautionnement est l'exemple le plus répandu, mais il en existe des

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variantes sur lesquelles on ne s'étendra pas 96.

La seconde variété de sûreté, est l'ensemble des sûretés dites « réelles » 97, parce qu'elles portent sur une chose ; l'hypothèque en est l'exemple le plus connu. C'est la catégorie qui nous intéresse. Il y a dans l'étude des sûretés réelles, une difficulté de vocabulaire, que l'on ne peut comprendre qu'en connaissant l'évolution des notions ; la distinction initiale était opérée entre les sûretés avec et sans dépossession 98.

Les sûretés avec dépossession consistent à remettre au créancier une chose qui servira de garantie, mais qui demeure la propriété de celui qui constitue la sûreté. On les désignait par le terme général de nantissement : le nantissement de bien mobilier était appelé gage, celui de bien immobilier antichrèse. Par ailleurs, on a continué à parler de nantissement « tout court » lorsque la sûreté réelle avec dépossession porte sur des biens incorporels, comme le fonds de commerce (même si les biens incorporels sont considérés comme des meubles ; on aurait donc pu parler de gage).

Les sûretés sans dépossession sont les privilèges et hypothèques, qui se distinguent, au fond, assez mal (la distinction est d'origine historique plutôt que logique). Il s'agit dans les deux cas de conférer à certains créanciers, en cas de non-paiement de la créance, des droits prépondérants sur un bien qui reste pour l'instant dans le patrimoine du débiteur. L'idée générale de la distinction entre privilèges et hypothèques est que le privilège, ou au moins la faculté unilatérale de l'inscrire, est automatiquement octroyé à certains types particuliers de créances 99, alors que la possibilité d'inscrire une hypothèque est générale, donc dotée d'un régime uniforme.

La distinction entre les nantissements et les hypothèques fut toutefois brouillée par un principe à vrai dire dépassé, selon lequel il ne peut y avoir d'hypothèques mobilières : Meubles n'ont point de suite par hypothèque, principe repris par l'article 2119 ancien du Code civil 100. L'origine de ce principe est qu'il était jadis sans intérêt d'inscrire une hypothèque sur une chose mobilière car elle pouvait disparaître du jour au lendemain, sans que l'on puisse ensuite la retrouver ni l'identifier.Mais de nos jours de nombreux meubles peuvent efficacement faire l'objet d'une sûreté sans dépossession, soit parce que leur immatriculation permet de les identifier (véhicules automobiles, navires, aéronefs), soit parce que bien que meubles d'un point de vue théoriques, on peut les appréhender efficacement, comme des immeubles, par une mesure de publicité ; cette dernière hypothèse concerne les biens immatériels, qui sont des meubles : pour ce qui nous intéresse, le fonds de commerce mais aussi les créances, les droits de propriété intellectuelle...On a donc élaboré des sûretés en tout point identiques à des hypothèques mobilières, que l'on a intitulées gages (car les nommer hypothèques aurait été vu comme une hérésie), avec cette précision que la dépossession était fictive, et on a fini par parler de gage sans dépossession, ce qui à proprement parler est une contradiction 101.

C'est cette présentation artificielle et compliquée qui a été malheureusement consacrée par l'ordonnance du 23 mars 2006 ; désormais, contrairement au texte ancien qui distinguait d'abord entre les sûretés réelles avec ou sans dépossession, le Code civil actuel fait une distinction première entre les sûretés réelles mobilières et immobilières :« Art. 2329. - Les sûretés sur les meubles sont : 1° Les privilèges mobiliers ; 2° Le gage de meubles corporels ; {lequel peut être avec ou sans dépossession}

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3° Le nantissement de meubles incorporels ; 4° La propriété retenue à titre de garantie. »« Art. 2373. - Les sûretés sur les immeubles sont les privilèges, l'antichrèse et les hypothèques. La propriété de l'immeuble peut également être retenue en garantie. »

Après ces précisions terminologiques, il est possible de présenter rapidement les sûretés portant sur le fonds de commerce ; on passera sur la clause de réserve de propriété, possible en théorie, pour présenter uniquement le nantissement sur fonds de commerce (§ 1), et le privilège du vendeur (§ 2).

Section 1 : le nantissement du fonds de commerce

Il s'agit d'une hypothèse de nantissement de meubles incorporels, soumis en principe au régime du gage de meubles corporels (art. 2366, al. 5 nouveau du Code civil) ; l'article 2354 nouveau réserve toutefois l'application des règles particulières au droit commercial, qui sont pour ce qui nous intéresse constituées par les articles L. 142-1 et suivants du Code de commerce, lesquels n'ont pas été modifiés par l'ordonnance du 23 mars 2006.Le nantissement du fonds de commerce est une sûreté sans dépossession ; il serait donc, là encore, plus juste de parler d'hypothèque mobilière.On distingue le nantissement conventionnel, et le nantissement judiciaire.

Le nantissement conventionnel résulte d'un contrat entre le propriétaire du fonds et un créancier ; il doit être écrit, et enregistré, sur un registre tenu au greffe du tribunal de commerce dans le ressort duquel le fonds est exploité (art. L. 142-3 C. com.). L'article L. 142-4 précise qu'à défaut d'enregistrement dans les 15 jours de la date de l'acte constitutif, le nantissement est nul de plein droit.Le nantissement conventionnel peut porter sur tous les éléments du fonds de commerce, à l'exception des marchandises ; à défaut de clause contraire, il comprend a priori l'enseigne, le nom commercial, le droit au bail, la clientèle et l'achalandage (art. L. 142-2 C. com.). Il est possible d'ajouter et de retrancher des éléments de cette assiette par défaut 102.

Le nantissement confère au créancier nanti un « droit de préférence » (qui lui permet d'être payé en priorité sur le prix du fonds) et un « droit de suite » (qui lui permet de saisir et faire vendre le bien, même s'il a changé de propriétaire) ; il s'agit donc d'une situation en tout point analogue à une hypothèque.

Il ne faut pas confondre toutefois le fonds avec les éléments qui le composent : si le créancier nanti peut suivre le fonds en quelques mains qu'il se trouve, il ne pourra pas poursuivre les éventuels acquéreurs d'un élément isolé du fonds (par exemple, en cas de vente d'une partie du matériel si celui-ci a été inclus dans l'assiette du nantissement 103), puisque par hypothèse en tant qu'universalité de fait, celui-ci demeure même si l'on en retranche un élément. Dans un tel cas, le débiteur qui vend une partie du fonds sans l'autorisation du créancier nanti commet un détournement d'objet remis en gage, que la jurisprudence sanctionne par les peines de l'abus de confiance 104.

Il existe par ailleurs un certain nombre de dispositions visant à protéger et informer le créancier nanti. Notamment, celui-ci doit être informé en cas de déplacement du fonds par le propriétaire, faure de quoi les créances deviennent immédiatement exigibles (art. L. 143-1 C. com.).

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Par ailleurs, si le propriétaire du local où est exploité le fonds souhaite obtenir la résiliation du bail, il doit le notifier au créancier nanti (art. L. 143-2) ; celui-ci peut en effet avoir intérêt à payer à la place du propriétaire du fonds de commerce (qui est aussi locataire en vertu du bail commercial), afin d'éviter la résiliation du bail et de conserver la valeur du fonds de commerce, donc de la sûreté.

Le nantissement judiciaire résulte non pas d'un contrat entre le propriétaire du fonds de commerce et son créancier, mais d'une autorisation de Justice accordée à un créancier du propriétaire du fonds de commerce par le Juge de l'exécution, ou le Président du Tribunal de commerce si la créance est commerciale.Schématiquement, le système fonctionne ainsi : si la créance paraît fondée en son principe et si le recouvrement est menacé, le juge saisi autorise, par ordonnance sur requête 105, le requérant à inscrire un nantissement provisoire ; c'est une décision avant-dire-droit, ce qui signifie qu'en tant que telle elle ne constitue qu'une mesure provisoire qui ne tranche pas définitivement un litige.Le requérant devra alors, dans un délai d'un mois, saisir au fond le juge compétent pour obtenir un jugement exécutoire, après quoi il aura deux mois pour inscrire le nantissement définitif, qui prendra effet rétroactivement à la date de l'inscription du nantissement provisoire 106.Les effets du nantissement judiciaire sont analogues à ceux du nantissement conventionnel.

Section 2 : le privilège du vendeur de fonds de commerce

Il s'agit d'une sûreté qui garantit le paiement du prix de vente du fonds de commerce, lorsqu'il n'a pas été payé comptant. Le mécanisme est assez complexe : les différents éléments du prix de vente doivent être ventilés entre les éléments incorporels, le matériel et les marchandises 107.Le privilège s'exerce donc de façon distincte sur le prix de revente de chacun de ces trois éléments, pour leurs prix respectifs. Les paiements partiels postérieurs au paiement partiel comptant doivent s'imputer dans l'ordre suivant : marchandises, matériel, éléments incorporels ; le paiement partiel comptant, quant à lui, s'impute librement.

L'inscription doit être prise dans les 15 jours de la vente, au greffe du tribunal de commerce, à peine de nullité du privilège (art. L. 141-6 C. com.) Faute d'avoir pris cette inscription, le vendeur ne pourra en outre pas exercer l'action en résolution pour défaut de paiement au préjudice des tiers : il faut que l'inscription du privilège réserve expressément cette possibilité.

Sinon, le vendeur pourrait par le biais de la résolution du contrat, parvenir à un résultat analogue au privilège qu'on lui refuse à défaut d'inscription.En effet, la résolution pour inexécution est, comme la nullité, un anéantissement rétroactif du contrat 108 ; cette disposition protège donc les tiers qui ont reçu de l'acquéreur, depuis la vente, un droit réel sur le fond (deuxième vente, ou nantissement conventionnel), car la résolution de la vente pourrait avoir pour effet de remettre en cause rétroactivement ces droits 109.

Le privilège prend effet de façon rétroactive à la date de la vente elle-même, sous réserve du problème de la date certaine si celle-ci a été effectuée par acte sous seing privé.En dehors de ces spécificités, le privilège du vendeur de fonds de commerce a des effets identiques à ceux du nantissement, notamment en ce qui concerne la protection et

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l'information du bénéficiaire.

En cas de conflit entre titulaires de ces différentes sûretés, c'est en fonction des dates respectives de prise d'effet que se décide l'ordre des priorités de paiement.

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#Posté le mercredi 07 février 2007 10:04

PARTIE 3 - DROIT DES AFFAIRES PARTIE III : LE COMPORTEMENT DU COMMERCANT

L'objet de ce cours n'es pas le droit de la concurrence dans son ensemble ; reste que dans les affaires, tout n'est pas permis et il n'est pas inutile de donner, pour les étudiants qui n'étudieront pas le droit de la concurrence en Maîtrise, quelques indications à cet égard.

Section I : La concurrence déloyale

Le principe même de la liberté d'entreprise implique que chacun est a priori libre des moyens qu'il emploie pour attirer la clientèle. Par exemple, la liberté de démarchage implique celle de démarcher la clientèle de ses concurrents.Toutefois en ce domaine comme en tout autre, l'affirmation de principe d'une liberté va de pair avec le risque d'un usage fautif de celle-ci. C'est ce constat banal qui est à l'origine de la sanction de la « concurrence déloyale ».Cette matière est gouvernée par les principes les plus classiques de la responsabilité pour faute (art. 1382 et 1383 du Code civil) ; il n'est donc possible de se plaindre de la concurrence déloyale d'un tiers qu'à condition d'établir une faute de la part de celui-ci, un préjudice et un lien de causalité les reliant.En pratique, la caractérisation de la faute est l'élément le plus problématique ; en ce qui concerne le préjudice et le lien de causalité, le plus souvent ils découlent naturellement de l'existence d'une faute.Par exemple, le dénigrement fautif d'un concurrent cause automatiquement un préjudice, car il s'agit d'une atteinte à la renommée de celui-ci, ce qui est en soi préjudiciable.Aussi bien, la jurisprudence admet assez facilement des préjudices mal définis, par l'usage du terme de « trouble commercial », ou par l'admission d'une « atteinte à l'image » assez vague, et en tout cas non chiffrable rigoureusement. C'est aux juges du fond que reviendra l'appréciation souveraine de ce préjudice et un peu comme le préjudice moral, on peut y voir une forme d'usage punitif de la responsabilité civile.Il ne s'agit là, toutefois, que d'adaptations liées à la particularité des affaires en cause, et l'exigence d'un préjudice et d'un lien de causalité avec la faute commise demeure de droit positif.

Reste que la question essentielle est de savoir ce qui est fautif et ce qui ne l'est pas. Standard juridique par excellence, la faute est une notion ouverte, ce qui signifie que, la diversité de la vie et l'inventivité des praticiens aidant, de nouveaux types de comportements peuvent toujours être éventuellement qualifiés de fautifs. Il serait donc absurde de vouloir donner une

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liste exhaustive des comportements concurrentiels fautifs. On se contentera de présenter les principales hypothèses connues en jurisprudence.

§1 : le dénigrement

Il s'agit de calomnier un concurrent, ou une catégorie de concurrents, en rabaissant son image auprès de la clientèle potentielle. Il faut toutefois que les victimes du dénigrement soient, d'une manière ou d'une autre, déterminées ; il n'y a donc pas de dénigrement à prétendre qu'on est « le meilleur », même si cela implique que les autres sont moins bons. Le simple fait de sous-entendre que la concurrence, de façon générale, est incompétente ou indélicate n'est pas non plus constitutif de dénigrement.La distinction entre les cas où le message est fautif et ceux où il ne l'est pas, est donc une question d'espèce (contrôlée, cependant, par la Cour de cassation qui contrôle la qualification de faute).La forme du message (neutre ou pas) sera souvent un critère déterminant 1. Il est à noter que la véracité de l'information divulguée est en soi indifférente : contrairement à l'incrimination de diffamation en matière pénale, l'exceptio veritatis n'est pas un fait justificatif.

C'est le lieu de mentionner le problème de la publicité comparative, autorisée par l'art. L. 121-8 du Code de la consommation : il s'agit de publicités qui comparent le produit de l'annonceur avec un produit concurrent, expressément désigné.La publicité doit comparer des biens ou services répondant au même besoin ou ayant le même objectif, et mettre en rapport objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens et services, dont le prix peut faire partie.En pratique, cette possibilité est bien peu utilisée, ce qui peut sans doute s'expliquer pour plusieurs raisons : d'une part, il n'est pas sûr que cette méthode de publicité, un peu agressive, plaise au consommateur français ; d'autre part, l'inconvénient de la publicité comparative est que la notoriété du concurrent comparé est finalement accrue par le message (et sans bourse délier pour le concurrent) alors que le consommateur, en présence d'une publicité, n'est pas nécessairement convaincu par la fiabilité de la comparaison 2 ; enfin, le risque juridique lié à l'appréciation des juges est suffisamment important pour que les services juridiques des grandes sociétés freinent des quatre fers.

§2 : la désorganisation

Le terme de désorganisation désigne un ensemble assez disparate de techniques perturbant l'activité du concurrent ; il peut s'agir de détournement de commandes, suppression des publicités adverses, prix d'appel artificiels (par exemple, en annonçant à bas prix un produit notoire dont on ne dispose qu'en quantité limitée pour attirer la clientèle) ou pratique dite du dumping ou prix abusivement bas, consistant à baisser les prix dans le seul but d'éliminer un concurrent, pour les remonter ensuite.En deçà du seuil de revente à perte, il s'agit en toute hypothèse d'une infraction pénale (art. L. 442-2 C. com : 75.000 €) ; au-delà, il faut prouver le dumping, ce qui est en pratique bien difficile.Par ailleurs, la désorganisation d'un concurrent peut être constituée par le débauchage de ses salariés, ou par le détournement de savoir-faire.En principe et sauf clause de non concurrence, le simple fait d'embaucher un ex-salarié d'un concurrent n'est pas en soi fautif, même s'il apporte un savoir-faire. Il a été toutefois jugé que

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cela est constitutif de concurrence déloyale si l'embauche est motivée uniquement par la volonté de s'approprier les savoir-faire du concurrent 3

Une autre question, rattachée souvent à la désorganisation, est la question dite de l'import parallèle ; il s'agit d'une situation où, malgré l'existence d'un réseau de distribution sélective ou exclusive, un distributeur extérieur au réseau 4 qui s'est procuré, d'une manière ou d'une autre, le bien en question, le commercialise sans être agréé.Cette pratique présente pour le réseau de nombreux inconvénients, qui expliquent qu'on y voie une hypothèse de désorganisation : du point de vue des distributeurs agréés, il faut comprendre qu'ils ont dû faire des efforts pour mériter le sésame de l'agrément (conditions d'accueil de la clientèle, SAV...) ; l'intérêt de consentir ces efforts est réduit à néans si tout un chacun peut revendre le même produit.De même, le fournisseur, outre qu'il perd la maîtrise du marché (ce qui n'est pas, a priori, un intérêt légitime), risque de voir l'image de son produit se détériorer si les conditions qu'il impose à ses revendeurs agréés ne sont pas respectées partout ; ce, d'autant plus que par un mouvement de retour de balancier les revendeurs agréés eux-mêmes, soumis à la concurrence des free riders, risquent fort de ne plus se plier aux exigences conditionnant l'agrément.

Ces difficultés doivent néanmoins composer avec le principe du libre-échange ; c'est pourquoi, le principe de base en la matière est que le seul fait de commercialiser des produits relevant d'une exclusivité ne constitue pas, en soi, une faute 5. A cet égard, il ne faut pas se laisser tromper par la formulation très générale de l'art. L. 442-6-I-6° C. com., qui à première vue institue une sanction générale du fait de « participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive » si celui-ci est licite ; ce texte, issu de la loi GALLAND du 1er juillet 1996, vient en réalité seulement consacrer les limites posées, antérieurement, par la Jurisprudence.

Le principe de liberté supporte, en effet, un certain nombre de limites :En premier lieu, conformément au principe de l'opposabilité des conventions, le free rider ne peut sans commettre une faute, se rendre complice de la violation, par le distributeur agréé, de ses propres obligations ; cela implique qu'il ne peut pas s'entendre avec un membre du réseau, pour contourner l'exclusivité.

Par ailleurs, il est condamnable s'il a acquis irrégulièrement les marchandises ; en pratique il échappera à toute condamnation en prouvant qu'il a acquis régulièrement les marchandises 6, voire même que le fournisseur a lui-même organisé les « fuites » ;En tout cas il n'est pas fautif en soi de s'approvisionner auprès d'un revendeur agréé d'un autre pays.

De plus, les conditions dans lesquelles le free rider vend le produit, peuvent être préjudiciables (prix anormalement bas, commercialisation d'un produit portant mention du fait qu'il ne peut être distribué que par un revendeur agréé 7...) ;

Enfin, la revente hors réseau peut être constitutive de parasitisme commercial, dès lors que la constitution du réseau, qui a un coût, a aussi pour effet de créer une image de marque et, ainsi, d'attirer une clientèle ; le free rider, quant à lui, profite de la clientèle mais ne supporte pas le coût (publicités...). C'est une façon de profiter à bon compte des efforts de prospection de la clientèle consentis par les membres du réseau.

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Il faut aussi mentionner le problème de l'usage illicite de la marque d'autrui ; sans entrer dans le détail, il est admis, en tout cas par la chambre criminelle, que le délit de contrefaçon n'est pas constitué dès lors que le produit, en lui-même, est authentique (c'est la théorie dite de l'épuisement du droit des marques) ; cette règle ne joue, toutefois, qu'à l'intérieur de l'Union Européenne et l'importation parallèle à partir d'un pays tiers, sans autorisation du titulaire de la marque, demeure une contrefaçon.

La jurisprudence sanctionne les détournements de clientèle, qui consistent en l'ensemble des procédés permettant de capter à son profit la clientèle d'un concurrent, par la création d'une confusion, dans l'esprit du client, avec le concurrent. Cette confusion peut prendre des formes diverses :Toutes les formes d'identification, par l'usage des signes distinctifs de l'entreprise, et en particulier par l'utilisation du nom. Une difficulté particulière surgit en cas d'usage, par un concurrent de son patronyme : il est admis qu'il est a priori possible d'utiliser son propre nom, même si un concurrent l'utilise déjà et même s'il a été déposé comme marque.. Toutefois il reste possible d'établir, en plus, des circonstances particulières caractérisant la mauvaise foi, en particulier si un risque de confusion existe.C'est aussi le cas des imitations du produit, que la jurisprudence sanctionne, lorsque l'action en contrefaçon est impossible, par le biais de la concurrence déloyale 8 (par exemple, copie d'un modèle tombé dans le domaine public, brevet annulé pour une raison quelconque...). L'imitation n'est toutefois sanctionnable que si le produit a une certaine originalité, et si des contraintes techniques n'imposent pas une telle imitation (exigences de normalisation...)

Plus problématique est la situation dite de « parasitisme économique », qui consiste à profiter de la notoriété ou des investissements d'autrui pour générer un bénéfice, sans porter directement préjudice (en particulier,, sans aucun risque de confusion possible), mais en profitant d'une économie injustifiée (exemple : parfum appelé « Champagne », utilisation de modèles non protégés...).La jurisprudence tend à sanctionner cette pratique, sans que le fondement soit bien clair : par hypothèse il n'y a pas de droit privatif (propriété intellectuelle), la faute est difficile à caractériser, certains auteurs envisagent l'action en enrichissement sans cause mais elle suppose un appauvrissement du demandeur...

La jurisprudence elle-même n'est pas claire, certains arrêts considérant que copier et commercialiser des produits à un prix très inférieur est constitutif de parasitisme économique (Com. 8 juil. 2003, prop. Intell. Oct. 2003 p. 448), d'autres que, dès lors que la prestation copiée ne fait pas (ou plus) l'objet d'un droit de propriété intellectuelle, la reprise ne saurait à elle seule être tenue pour fautive (CA PARIS, 18 oct. 2000, D. 2001 p. 850).Le fond du problème tient sans doute dans la notion de faute, que l'on ne parviendra jamais, quoi qu'on en pense, à systématiser, et semble se résumer à une casuistique.

Section II : les comportements déloyaux entre cocontractants

Il s'agit ici d'envisager un certain nombre de pratiques abusives entre contractants professionnels. Le législateur moderne, sensible à un certain nombre de campagnes médiatiques visant en particulier les pratiques commerciales des grandes surfaces, a cru bon d'intervenir pour sanctionner les pratiques par lesquelles les distributeurs les plus puissants abusaient de la faiblesse de certains fournisseurs. Il y a là, en quelque sorte, le pendant de la prohibition des clauses abusives entre professionnels et consommateurs. Cette intervention législative appelle au préalable quelques remarques :

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On peut remarquer, d'une part, que les règles spéciales que l'on va présenter ont une inspiration commune avec la doctrine dite du « solidarisme contractuel », laquelle consiste grosso modo à voir dans le contrat un instrument de coopération plutôt que d'oppression 9. Le législateur, comme une partie de la jurisprudence et de la doctrine, se préoccupe de loyauté contractuelle pour compenser certains excès résultant du déséquilibre économique au stade de la formation du contrat. Il est remarquable que cette tendance protectionniste fasse tache d'huile : initialement cantonnée à la protection du consommateur, il existe maintenant un véritable droit protecteur du professionnel faible, parallèle au droit de la consommation.Au point de vue de la méthode législative d'autre part, le moins que l'on puisse dire est que la structure des textes n'est guère cohérente : le Code de commerce mélange, au sein d'une même section et parfois même au sein d'un unique et très long article (l'article L. 442-6 du Code de commerce), des dispositions dont les finalités sont assez diverses.Les dispositions qu'on va présenter trouvent leur place, en effet, dans un chapitre intitulé « pratiques restrictives de concurrence », alors qu'en réalité il s'agit plutôt de pratiques sanctionnant les pratiques abusives au détriment de professionnels plus faibles. Toutefois, le même chapitre inclut aussi des pratiques sanctionnées, effectivement, à cause de leur impact sur la concurrence, de sorte que souvent ces dispositions sont présentées pêle-mêlesnes à la suite des autres, sans grand souci de cohérence.

Ces quelques remarques préalables effectuées, on présentera successivement les comportements abusifs du seul fait de la relation entre l'auteur et la victime (§1), et les fautes constituées par une discrimination entre les différents partenaires (§2).Pour information, le texte législatif concerné au premier chef est le suivant (on l'a reproduit intégralement, afin que les étudiants prennent la mesure de la défectuosité du trvail législatif contemporain ; il est évidemment hors l'e question de l'apprendre par cœur...) :Article L442-6 C. com.(Loi nº 2001-420 du 15 mai 2001 art. 56 Journal Officiel du 16 mai 2001)

(Loi nº 2003-7 du 3 janvier 2003 art. 50 II Journal Officiel du 4 janvier 2003)

(Loi nº 2005-882 du 2 août 2005 art. 48, art. 49 Journal Officiel du 3 août 2005)

   I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :1º De pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ;    2º  a) D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d'affaires ou en une demande d'alignement sur les conditions commerciales obtenues par d'autres clients ;b) D'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées. Le fait de lier l'exposition à la vente de plus d'un produit à l'octroi d'un avantage quelconque

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constitue un abus de puissance de vente ou d'achat dès lors qu'il conduit à entraver l'accès des produits similaires aux points de vente ;3º D'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un accord écrit ;4º D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des prix, des délais de paiement, des modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente ;5º De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ;6º De participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ;7º De soumettre un partenaire à des conditions de règlement manifestement abusives, compte tenu des bonnes pratiques et usages commerciaux, et s'écartant au détriment du créancier, sans raison objective, du délai indiqué au huitième alinéa de l'article L. 441-6 ;8º De procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d'office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d'une date de livraison ou à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur n'ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant.II. - Sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité :a) De bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale ;b) D'obtenir le paiement d'un droit d'accès au référencement préalablement à la passation de toute commande ;c) D'interdire au cocontractant la cession à des tiers des créances qu'il détient sur lui.d) L'annulation des clauses relatives au règlement entraîne l'application du délai indiqué au deuxième alinéa de l'article L. 441-6, sauf si la juridiction saisie peut constater un accord sur des conditions différentes qui soient équitables.III. - L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président du Conseil de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article.Lors de cette action, le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent demander

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à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites, demander la répétition de l'indu et le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut excéder 2 millions d'euros. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son obligation.IV. - Le juge des référés peut ordonner la cessation des pratiques discriminatoires ou abusives ou toute autre mesure provisoire.

§1 : les comportements directement fautifs à l'égard du cocontractant

Il s'agit pour l'essentiel de la prohibition de certains engagements déséquilibrés : l'article L. 442-6-I sanctionne :le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir des avantages disproportionnés (art. L. 442-6-I, 2°, a ) ;le fait « d'abuser de la relation de dépendance » du partenaire pour le soumettre à des « conditions anormales ou obligations injustifiées » (art. L. 442-6-I, 2°, b ) ;le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir des avantages comme condition préalable à la passation de commandes, « sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné » (art. L. 442-6-I, 3° ) ;le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions « manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente » (art. L. 442-6-I, 4°) ;le fait de soumettre un partenaire à des « conditions de règlement manifestement abusives » (art. L. 442-6-I, 7°).Au total, toutes ces hypothèses, qui se distinguent fort mal les unes des autres, reviennent à sanctionner les engagements déséquilibrés imposés entre professionnels ; on peut remarquer que le texte fait presque toujours référence aux relations entre « partenaires commerciaux » ou « économiques », ce qui implique une relative limitation du champ d'application de ces dispositions, qui ne concernent pas tous les contrats entre professionnels ; il s'agit des contrats de coopération, ou de distribution.D'autre part, les diverses formulations de ce qui est, au fond, un déséquilibre injustifié dans le contrat laissent au juge une très grande marge d'appréciation, facteur d'insécurité juridique.

Par ailleurs, l'art. L. 442-6-I, 5° sanctionne le fait de rompre brutalement des relations commerciales établies, ce qui n'est jamais qu'une tranposition de la solution que donnait la jurisprudence sur le fondement de la théorie de l'abus de droit 10.

§2 : les pratiques discriminatoires

Il s'agit ici de sanctionner, non pas le déséquilibre en soi, mais l'inégalité de traitement entre différents partenaires commerciaux. L'article L. 442-6-I, 1° interdit de « pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ».La mise en œuvre de cette disposition soulève un certain nombre de difficultés, en particulier pour déterminer ce qui relève de la discrimination et ce qui relève, de façon tout à fait naturelle, des conditions contractuelles différentes pratiquées à l'égard de partenaires différents. C'est, pensons-nous, bien en vain qu'une partie de la doctrine s'épuise à tenter de

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proposer des critères précis. La difficulté provient d'une contradiction irréductible entre certains principes essentiels :En premier lieu, l'idée de discrimination suppose une comparaison objective entre les situations des différents partenaires ; de ce point de vue, le critère est celui de la contrepartie réelle à la prétendue discrimination : on peut traiter mieux l'un de ses partenaires, si celui-vous traite mieux lui-même ;Il ne faut pas se cacher toutefois que l'idée même d'interdire les différences de traitement est en contradiction avec le principe bien établi de la liberté contractuelle : il est possible qu'un partenaire soit meilleur négociateur qu'un autre, et dans cette hypothèse il n'est pas injuste qu'il bénéficie de meilleures conditions.

Dans la pratique, le premier critère est le critère officiel, mais il est certain que le second influence, officieusement, l'appréciation des juges et finalement, la dicrimination condamnable est celle qui est excessive. Les juges, concrètement, parviendront toujours ou prsque à justifier telle ou telle discrimination si ils en ont envie, car dans la mesure où il existe toujours une différence objective entre les différents partenaires, il leur suffit de metrre habilement l'accent sur cette différence pour justifier la discrimination opérée.La détermination de la discrimination condamnable est donc affaire d'intuition plutôt que de raisonnement. À titre d'exemple, on considère que la pratique des remises de fidélité est une discrimination justifiée si elle repose sur des critères objectifs (quantités achetées au préalable), mais ne l'est pas si elle est déterminée d'après des critères arbitraires, ou en fonction de l'exclusivité d'approvisionnement 11.Un système aussi souple a les inconvénients de ses avantages : il laisse planer une incertitude, mais il permet de s'adapter aux pratiques évolutives des professionnels de la distribution, sans être tributaire de la lenteur des réformes législatives (lenteur accentuée par la puissance des lobbies de la grande distribution).Par un important arrêt de 1999, la Chambre commerciale 12 a neutralisé la condition, autonome auparavant, du désavantage dans la concurrence résultant de la discrimination. La Cour de cassation présume désormais que le désavantage résulte ipso facto de la discrimination dès lors que celle-ci est établie. On y a vu parfois une dérogation aux règles habituelles de la responsabilité, ce qui est rien moins qu'évident : il nous semble logique d'afirmer que, dès lors que mes conditions d'achat sont désavantageuses par rapport à celles de mes concurrents, je suis nécessairement désavantagé dans ma concurrence avec eux.

Une variante particulière de discrimination est le refus de vente. Qu'il soit caractérisé à l'égard d'un professionnel ou d'un consommateur, ce fut longtemps une incrimination pénale créée en 1945 dans le cadre d'une économie de pénurie.L'ordonnance de 1986, sur laquelle on reviendra, l'a dépénalisé pour en faire un délit civil, lui même supprimé par une loi de 1996. L'incrimination (constitutive d'une contravention de 5ème classe, aux termes de l'article R. 121-13 du Code de la consommation) subsiste toutefois lorsque le refus de vente est caractérisé à l'égard d'un consommateur, « sauf motif légitime » précise l'article L. 122-1 du Code de la consommation 13. Cette notion de motif légitime est bien vague et laissera au juge pénal une grande marge d'appréciation, que l'ancienne incrimination antérieure à 1986 ne permettait pas (il était seulement prévu, à l'époque, une liste limitative de faits justificatifs) 14.Par ailleurs, le refus de vente motivé par des raisons raciales, religieuses, etc... est constitutif du délit de discrimination (art. 225-1 et -2 CP, 2 ans / 30.000 €).

Enfin, il ne faut pas oublier que même lorsqu'il ne fait pas l'objet d'une prohibition spécifique, le refus de vente est toujours susceptible de constituer, lorsque les conditions en sont réunies,

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une pratique discriminatoire au sens du présent paragraphe ou une rupture abusive de relation établie au sens du paragraphe précédent. Conformément aux règles du droit commun des obligations, il est là encore aussi possible de le sanctionner sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (responsabilité civile extracontractuelle pour faute), lorsque le refus de vente ou de prestation de service a dégénéré en abus. 0 | 0 | Partager Commenter

#Posté le mercredi 07 février 2007 10:09

PARTIE 4 - DROIT DES AFFAIRES PARTIE IV : LA TRANSPOSITION DU STATUT DES COMMERCANTS AUX PROFESSIONNELS NON COMMERCANTS

On se souvient que de nombreuses activités professionnelles ne sont pas considérées comme commerciales, pour des raisons essentiellement historiques voire symboliques (c'est une séquelle de l'époque où le commerce était une activité méprisée). Reste que, en pratique, les spécificités réservées aux commerçants, en particulier tout ce qui concerne le fonds de commerce et les baux commerciaux, seraient fort utiles aux professionnels concernés.C'eest pourquoi, sans remettre en cause les principes de distinction entre commerçants et non-commerçants, présentés plus haut, on a progressivement appliqué à des professionnels non commerçants certaines règles propres, à l'origine, aux commerçants.On présentera successivement le cas des artisans, dont le statut est une transposition assez complète de celui des commerçants (Titre I), puis l'émergence plus problématique du « fonds libéral » (Titre II).

TITRE I : Le statut des artisans

On se souvient que les artisans ne sont pas commerçants. Toutefois, en dehors des considérations d'histoire et d'interprétation pointilleuse du Code de commerce, il n'y a guère de raison pour les traiter différemment, et il est donc apparu nécessaire de doter les artisans d'un régime analogue à celui des commerçants. Il existe aujourd'hui un Code de l'artisanat issu d'un décret du 16 juillet 1952 et plusieurs fois modifié, ainsi que plusieurs lois non codifiées, notamment une loi du 5 juillet 1996.

Il existe un registre professionnel analogue au Registre du Commerce et des Sociétés : le Répertoire des Métiers (registre des entreprises, dans les départements d'Alsace-Moselle), tenu par les Chambres des métiers ; ces dernières représentent leurs membres auprès des pouvoirs publics. Il y en a au moins une par département.

Selon l'article 19 de la Loi du 5 juillet 1996, « doivent être immatriculées ... les personnes physiques et les personnes morales n'employant pas plus de dix salariés qui exercent à titre principal ou secondaire une activité professionnelle indépendante de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services relevant de l'artisanat et figurant sur une liste établie par décret » 1.

L'article 19 précise que cette inscription ne dispense pas, le cas échéant, de l'inscription au Registre du Commerce et des Sociétés, si les conditions s'en trouvent remplies 2. Il en résulte qu'au sens administratif, les qualités d'artisan et de commerçant ne sont pas incompatibles ; il

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paraît d'ailleurs qu'une bonne moitié des artisans inscrits au Répertoire des Métiers sont aussi inscrits au RCS, ce qui fausse considérablement les statistiques de « la plus grande entreprise de France ».

Cette définition administrative ne doit pas être confondue la définition jurisprudentielle de l'artisan qui sert, précisément, à le distinguer du commerçant : pour la jurisprudence, un artisan ne peut pas être commerçant, par définition : le « commerçant-artisan », c'est-à-dire la personne inscrite sur les deux registres, n'a donc pas le choix des règles qui s'appliqueront à lui : en cas de litige, le juge devra déterminer s'il est artisan ou commerçant, selon les règles qui ont été présentées précédemment 3.

Il en résulte qu'en théorie, une personne qui remplit les conditions posées par la Jurisprudence pour être artisan (c'est-à-dire, qui continue de travailler principalement « les mains dans le camboui »), tout en ayant plus de dix salariés, ne peut être immatriculée nulle part : n'étant pas commerçante, elle ne peut être inscrite au RCS, et ayant plus de dix salariés, elle ne peut être inscrite au Répertoire des Métiers. En pratique cela demeure une hypothèse d'école, en raison des contraintes de gestion qui prendront une part croissante de son temps, et aussi en raison du fait que la plus grande partie de son chiffre d'affaires proviendra normalement du travail des salariés, ce qui emportera la qualification de commerçant 4.Par ailleurs, les Chambres des métiers font paraît-il preuve de tolérance vis-à-vis du critère du nombre de salariés, et ne radient pas automatiquement les artisans inscrits s'ils dépassent un peu le seuil des dix salariés. Cela demeure une irrégularité.

Le principe est que les artisans ne se voient pas appliquer les règles du droit commercial. Notamment, les obligations nées à l'occasion de leur commerce sont civiles à leur égard, avec toutes les conséquences qui en découlent quant à leur régime (prescription, compétence juridictionnelle...).

Toutefois, ce principe est assorti de très nombreuses exceptions, qui font qu'il a en fait une valeur résiduelle :

1°) Les artisans bénéficient du statut des baux commerciaux (art. L. 145-1 C. com.).

2°) Le statut du conjoint collaborateur s'applique aux artisans comme aux commerçants (art. L. 121-4 et suivants du C. com.) ;

3°) Ils sont propriétaires d'un fonds artisanal (art. 22 de la Loi du 5 juillet 1996), qui n'est pas régi par le Code de commerce mais fonctionne en gros de façon analogue ; ils peuvent notamment le donner en location-gérance (art. L. 144-1 C. com.), ou concéder sur ce fonds un nantissement dans des conditions identiques au nantissement du fonds de commerce 5 ;En revanche, la cession du fonds artisanal est admise, mais n'est pas spécialement réglementée : elle est donc soumise au droit commun de la vente 6, même si concrètement les praticiens transposent purement et simplement les procédures employées en cas de cession de fonds de commerce, en particuilier les modèles de contrats ;

4°) En cas de faillite, c'est le tribunal de commerce qui est compétent bien que l'activité soit civile

TITRE II : L'EMERGENCE DU FONDS LIBERAL ?

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On se souvient que les profession libérales exercent une activité civile par nature. Toutefois en pratique, exactement comme les commerçants les avocats, médecins ou autres qui cessent leur activité réclament à leur successeur une somme d'argent, car pour le successeur l'intérêt est le même que pour l'acheteur d'un fonds de commerce.La jurisprudence sanctionnait naguère par la nullité les contrats de « cession de cientèle civile », au motif que la clientèle d'une profession libérale étant libre, il s'agissait de la vente d'une chose hors du commerce, donc nulle pour objet illicite (donc, nullité absolue).Il aurait d'ailleurs été plus logique de dire que la clientèle étant attachée à la personne du praticien qui se retire, le successeur ne reçoit en fait rien, ce qui aurait entraîné une nullité pour absence d'objet et de cause (nullité relative) ; mais en réalité cette jurisprudence était une trace de la conception selon laquelle les professions libérales, étant par nature nobles et altruistes, « ne mangent pas de ce pain-là » et ne sauraient monnayer leur renommée.

Il n'empêche qu'en pratique le successeur pouvait quand même s'attendre à récupérer une bonne partie des clients, de sorte que les praticiens ont contourné l'interdiction en rédigeant le contrat, non plus comme une cession de clientèle, mais comme la cession d'un « droit de présentation » : le professionnel qui se retire ne cédait pas officiellement sa clientèle, mais s'engageait à lui présenter son successeur 7, moyennant un contrepartie financière.

La distinction est évidemment parfaitement hypocrite, puisque dans la réalité des choses on ne vend jamais une clientèle, qu'elle soit commerciale ou civile, mais seulement les éléments propres à l'attirer.

Elle a toutefois été un temps admise par la jurisprudence. Deux contrats au fond identiques étaient donc, ou non, annulés, selon la façon dont ils avaient été rédigés : intitulés « cession de clientèle » ils étaient nuls, intitulés « convention de présentation d'un successeur à la clientèle » ils étaient valables.

La jurisprudence a abandonné cette distinction byzantine, et la cession des clientèles libérales est désormais licite 8. Les arrêts ont été rendus en matière médicale, et la validité de la cession est assortie d'une réserve : il faut que la cession « ne porte pas atteinte à la liberté de choix du patient » 9 ; cette condition est sans doute transposable à toutes les professions libérales, même si en pratique les difficultés seront sans doute esentiellement rencontrées parmi les professions médicales. Bien que tout ne soit pas parfaitement clair, elle semble signifier qu'il ne faut pas que concrètement, les patients soient obligés de s'adresser au successeur 10.

On peut peut-être aussi déduire de cette précision une interdiction des clauses par lesquelles le cédant garantirait au cessionnaire qu'une partie de la clientèle se reportera sur lui ; la question, pour l'instant, n'est pas bien stabilisée en jurisprudence.

Quoi qu'il en soit, certains auteurs ont vu dans ces décisions, une consécration de la notion de « fonds libéral », se demandant s'il était désormais possible, par exemple, de le louer ou de le nantir comme un fonds de commerce ou un fonds artisanal. Pour l'instant, il est plus prudent de penser que, si la « cession » du « fonds libéral » est admise, il n'y a pas pour autant de possibilité de le nantir ou de le louer ; ces conventions très particulières semblent difficilement applicables à un type d'activité où la personne du praticien demeure essentielle.

C'est dire qu'à notre avis le « fonds libéral », pour l'instant, n'existe pas en tant qu'universalité de fait, du moins au sens où le fonds de commerce et le fonds artisanal existent. La « cession » de clientèle ou de fonds libéral(e) est simplement un contrat par lequel un

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professionnel libéral en autorise un autre à se présenter comme son successeur, éventuellement en lui transmettant de surcroît un certain nombre de biens qu'il utilisait dans son activité.

On rappellera par ailleurs que les professions libérales ne bénéficient pas du régime des baux commerciaux, mais qu'il est toujours possible de prévoir qu'un contrat a priori exclu de cette réglementation en relèvera tout de même.