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LE VOYAGE : CET ÉLAN NOUS CHANGEANT INTÉRIEUREMENT Niveau visé : 5 ème Thématique : « Se chercher, se construire » : Le voyage et l’aventure : pourquoi aller vers l’inconnu ? Sommaire Supports (p. 2) Remarques générales préliminaires (p. 3) Comment rendre compte d’un bouleversement/changement intérieur ? Par une verbalisation épousant une forme spécifique (p. 5) Activité périphérique : affiner la construction d’une image mentale par le biais d’une représentation tangible (p. 15) Partager un bouleversement/changement intérieur imaginé (p. 18) Questionner le « vivre ensemble » : être amené à rencontrer des personnes que l’on n’aurait jamais rencontrées autrement ― le voyage, éveilleur de rencontres imprévues ― (p. 30) Le voyage : une expérience centrée sur les sens (p. 44) Le voyage / l’inconnu au sein du connu / du quotidien ? (p. 51) 1

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LE VOYAGE : CET ÉLAN NOUS CHANGEANT INTÉRIEUREMENT

Niveau visé : 5ème

Thématique : « Se chercher, se construire » : Le voyage et l’aventure : pourquoi aller vers l’inconnu ?

Sommaire

Supports (p. 2) Remarques générales préliminaires (p. 3) Comment rendre compte d’un bouleversement/changement

intérieur ? Par une verbalisation épousant une forme spécifique (p. 5)

Activité périphérique : affiner la construction d’une image mentale par le biais d’une représentation tangible (p. 15)

Partager un bouleversement/changement intérieur imaginé (p. 18) Questionner le « vivre ensemble » : être amené à rencontrer des

personnes que l’on n’aurait jamais rencontrées autrement ― le voyage, éveilleur de rencontres imprévues ― (p. 30)

Le voyage : une expérience centrée sur les sens (p. 44) Le voyage / l’inconnu au sein du connu / du quotidien ? (p. 51)

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Supports : 49 + 1 nouveaux poètes américains, choisis par Emmanuel Hocquard et Claude Royet-Jounoud, Action poétique, collection Un bureau sur l’Atlantique, 1991 ; Stéphane Bouquet, Nos amériques, Champ vallon, collection Recueil, 2009 ; Jean-Claude Caër, Alaska, Le bruit du temps, 2016 ; Yves di Manno, Champs (1975-1985), « édition définitive », Flammarion, 2014 ; Christophe Lamiot, Des pommes et des oranges, Californie, I, Flammarion, 2000 ; Terrence Malick, Le Nouveau monde (film sorti en 2005) ; N. Scott Momaday, La maison de l'aube, trad. de l'anglais par Daniel Bismuth, Gallimard, collection Folio, 1996 ; Jacques Roubaud, La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains, cent cinquante poèmes : 1991-1998, Poésie/Gallimard, 2006 ; James Sacré, America solitudes, André Dimanche éditeur, 2010 ; Gus Van Sant, Gerry (film sorti en 2002) ; André Velter, Le Haut-Pays, suivi de La traversée du Tsangpo, édition revue et augmentée, Gallimard, 2007 ; André Velter, Le jeu du monde, cartes à Yanny, Gallimard, collection Le sentiment géographique, 2016.

Le souffle à bout de souffle crée le temps suspenduNous accédons à cette harmonie d’outre-fatigueAu face à face après un long désirAu secret qui traverse la mise au défi de nos viesCar l’altitude passée dans les nerfs révèle un autre corps

(André Velter, La traversée du Tsangpo)

Ce qui m’intéresseCe n’est pas tant le voyage lui-mêmeLes destinations Les rencontresMais la manière dont il me transformeLa joie (la peur) que j’éprouve à me transformer.À devenir quelqu’un d’autre que je ne reconnais pas.

Ce qui me fascine c’est de plonger Au cœur de sensations nouvelles Qui rejaillissent dans mon cœur[…]

(Jean-Claude Caër, Alaska)

Remarques générales préliminaires

Les documents proposés ne sont pas des séquences. Les pistes pédagogiques indiquées, qui ne sont qu’indicatives, sont

vouées, au cas où elles seraient retenues par l’enseignant, à être et 2

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continuées et approfondies par lui (approfondies au moyen de ses pas, et non par la seule théorie).

Nombre de nos propositions varieront ainsi nécessairement, dans leur contenu, « selon le type de classes ou selon la composition de celles-ci. L’approche par compétences inclut nécessairement la différenciation pédagogique »1. 

En outre, le rythme des activités pourra varier considérablement en fonction des classes, car le professeur devra s’adapter, autant que faire se peut, à l’ipséité de chaque élève : « [d]ans [certaines] classes, […] il faut un peu accélérer le rythme ou, dans certains cas, passer plus vite à la tâche suivante ; attention, cependant, à ne pas régler le tempo de votre progression sur la célérité des élèves les plus performants. Il est important de ne pas aller trop vite pour laisser aux plus faibles le temps d’acquérir des compétences stables et durables […]. Vous verrez qu’il conviendra parfois de diviser votre groupe classe et de dispenser certains élèves des activités que vous conduirez avec un petit groupe en leur proposant des tâches […] à réaliser seuls. »2

Toutes les consignes formulées dans les documents proposés ne le sont pas à l’intention des élèves (une reformulation sera bien souvent nécessaire).

En définitive, chaque professeur ne pourra que s’approprier personnellement le document ― aussi celui-ci lui est-il fourni sous format PDF et sous format Word.

À titre d’exemple, on l’encouragera, s’il retient les poèmes pour ses séquences, à annoter (au moins) certains d’entre eux (ce travail n’a volontairement pas été fait).

Si le numéro 524 de la Nouvelle Revue Pédagogique (datant de septembre 1999) ayant pour dossier « La poésie contemporaine au collège » contient ces mots : « Un article de l’Encyclopaedia Universalis consacré à "L’espace poétique contemporain" débute en ces termes : "Jamais sans doute la poésie n’a été plus seule, jamais elle n’a été à ce point délaissée dans l’enseignement." […] [L]a plupart des enseignants ne se risquent pas [en effet] au-delà d’Apollinaire ou d’Éluard […] », il est frappant de constater que cette même revue, plus de quatorze ans plus tard (n°637, « Des compétences pour lire et écrire la poésie », mars 2014), met avec force l’accent sur « [l]’importance accordée aux œuvres patrimoniales comme supports de travail […] ».

Notre démarche ― si elle ne remet pas en question cette importance ― est bien différente. La vertu première de chaque document (dans cette série de ressources3 et d’outils pédagogiques ― voir également le dossier consacré à la diction plurielle de l’amour ―) est de mettre à disposition des poèmes émanant du domaine absolument contemporain (non en 1 Nouvelle Revue Pédagogique, lettres collège, n°637, « Des compétences pour lire et écrire la poésie », mars 2014. Cf. notamment Cahiers pédagogiques, n°476, « Travailler par compétences », octobre 2009.2 Sylvie Cèbe, Roland Goigoux, Maïté Perez-Bacqué, Charlotte Raguideau, Lector & Lectrix collège, apprendre à comprendre les textes, Éditions Retz, 2012.3 Dans un souci de clarté, tous les poèmes ont été mis en italique.

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terme d’avant-gardes1 mais en terme de chronologie), qui sortiront grandis d’une mise en tension (élaborée par l’enseignant suivant sa propre initiative), au moyen de la confection de groupements de textes, avec des poèmes plus anciens ou même avec des textes appartenant à d’autres genres (cette mise en dialogue des genres, parce qu’elle est féconde en matière de ressenti pour ce qui est du positionnement du lecteur face à ce qui lui est proposé, peut être aujourd’hui conseillée).

Si, parmi les activités proposées, celles qui ont trait à l’écriture poétique sont nombreuses, c’est parce qu’écrire de la poésie, comme l’a rappelé Robert Davreu, « loin de se réduire à un exercice intellectuel, est une opération qui engage l’être tout entier, et donc indissociablement ce que les philosophes appellent le corps propre aussi bien que l’esprit. […] Le poème est […] le lieu [rythmé] d’un […] éveil [de tous les sens] par l’entremise du poète qui ne s’approprie et n’approprie la langue qu’en en étant approprié, qui ne maîtrise la langue et ne fait d’elle sa demeure qu’en se laissant maîtriser et habiter par elle. Pas davantage que le sens, le sujet n’est pas toujours déjà là, constitué une fois pour toutes, avant sa création, il ne cesse de se constituer et de se reconstituer, de se former et se reformer, et ainsi de se métamorphoser, dans le processus même de la création qui est toujours en même temps une autocréation. Si écrire [de] la poésie […] est une aventure, c’est bien parce que cela ne consiste précisément pas à chercher à communiquer le plus clairement possible ce que l’on saurait préalablement, mais à partir à la découverte de ce que l’on ne sait pas encore, à s’ouvrir à l’inconnu, à renoncer au confort des sentiers battus et des représentations convenues pour une présence attentive au monde et à autrui. »2

1 Les poèmes ont toujours été sélectionnés pour un public spécifique, ce qui ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas être également approchés/questionnés/éprouvés par/avec un tout autre public. 2 Nouvelle Revue Pédagogique, n° 580, « Écrire la poésie au collège », novembre 2005.

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Comment rendre compte d’un bouleversement/changement intérieur ?

Par une verbalisation épousant une forme spécifique

Objectif : comprendre intuitivement en quoi la singularité (qui n’est pas synonyme forcément d’originalité) dans la forme d’un poème relève de la plus stricte nécessité qui soit.

Le poème répond à l’expérience qui en est la source par son existence qui s’organise suivant des modalités spécifiques. Quelle est cette réponse ? L’articulation d’un sens et d’une forme. Cette articulation (hors de laquelle se meut tout entier, tel qu’il se donne à voir, le poème) doit être la plus juste possible (pour le poète).Juste = porteuse de l’expérience qui a (véritable secousse pour le poète) provoqué le poème, au point que celle-ci puisse toucher en retour le lecteur (questionner les élèves sur ce qui les touche dans les poèmes découverts par eux etc.)→ Le poème comme fruit d’une expérience (pour le poète) mais aussi comme source d’expérience (pour le lecteur, pour chaque lecteur) : approfondissement et enrichissement de son rapport au monde (au moyen d’un enrichissement de ses images mentales nourricières, au moyen d’une approche sensuelle de « son » langage ― constitutif de son identité et du vivre ensemble ― dans ses dimensions phonique et visuelle…).

Faire l’expérience ― par étapes ― de cette « définition » :→ interroger l’articulation entre sens et forme dans La traversée du Tsangpo, à partir du préambule suivant, de la main de Velter :

« Tsangpo est le nom du haut Brahmapoutre quand il coule au Tibet. Pour rejoindre Samyé, le plus ancien monastère bouddhique du Pays des Neiges, fondé au VIIIe siècle, il faut franchir le fleuve. Le passage s’effectue dans une barque à moteur où s’entassent pèlerins et villageois, animaux et ustensiles de toutes sortes. Le courant divague entre des bancs de sable, ce qui impose une navigation lente et sinueuse. […] »

Amener les élèves à découvrir ce lieu via Google Earth (il y est répertorié sous l’appellation suivante : Yarlung Zangbo River, Tibet, Chine).

Ce que les élèves retiennent (et que l’on questionne à partir des poèmes suivants) : « barque à moteur », « [l]e courant divague », « bancs de sable », « navigation lente et sinueuse ».

Énergie, instabilité, variation du rythme…, correspondant à l’allant singulier de la barque à moteur, dans le contexte (également singulier) mentionné. (Ne seront conservés, parmi les éléments ci-dessous, que ceux qui seront découverts spontanément ou après réflexion libre par les élèves.)→ « Entre les bancs de sable » :

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jeu sur la longueur des phrases, et variation du rythme à l’intérieur même des phrases (questionner le rôle de la ponctuation),

présence de paragraphes + présence de vers (on pourrait s’attendre à des strophes/ce n’est pas un poème en prose = instabilité) → les vers s’imposent (au poète) par le biais de la musicalité : retour des mêmes sons (anaphores) ou mise en relief d’une sonorité (« [f]risson »).

Les questions rhétoriques quant à elles traduisent (du fait de la mise en voix doucement montante qu’elles suscitent) le mouvement de la barque, l’énergie (due au moteur) qui en est la cause.

→ « Sentiers et secrets » : la versification impose une temporalité particulière, pour le moins non uniforme, pour ce qui est de la lecture (= variation du rythme), particularité accentuée par la variation extrême (qui, étant codifiée, ne rompt pas l’équilibre instauré par le poème) quant à la longueur des strophes (monostiches / quintils). → Spatialisation du poème, pour ce qui est des vers centrés (« Migration », « Vers Samyé ») : le tracé rendu apparent par les strophes tend à renvoyer au tracé sinueux de la barque.

→ Aller plus loin : À partir des vers centrés, questionner l’expérience d’une plénitude qui se traduit concrètement par une certaine mise en forme du poème (= choix d’une spatialisation confinant à la beauté ; équilibre atteint par la versification : même nombre de syllabes dans chaque vers ― « Vers Samyé » ―… ; travail sur l’enjambement ; travail sur les sonorités : assonances/allitérations, anaphores… ; travail sur les images poétiques etc.)

MIGRATION

Avec des pas d’arpenteurAvec des lunettes d’astronome

Avec des insomnies d’alchimisteAvec des bottes d’explorateur

Avec une seule mesure d’hommeS’étourdir de démesure

Vaincre à l’infinitif

[…]

ENTRE LES BANCS DE SABLE

Pourquoi revenir près de l’embarcadère ? Pourquoi reprendre la barque à fond plat où s’entassent des paysans,

des pèlerins, des sacs de farine, des bidons d’huile, des câbles, des bicyclettes, des caisses de bière, des chèvres et des poules ?

L’altitude ici a quelque chose de domestique. 6

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On franchit treize siècles à travers des bancs de sable pour rentrer à la maison, voilà tout.

Mais la maison est-elle encore là ?La maison qui n’est pas que de pierres sèches et de terre,La maison qui donne refuge et laisse entrer l’infini,La maison sans âge, ouverte sur le ciel, avec la lumière levée en axe de

l’univers.

D’une rive à l’autre ce n’est rien. Aucun danger. Peu de fatigue. Nul déplaisir. Ce n’est rien, et pourtant quelle attente, quelle approche différée,

quelle aimantation renaissante. Même les noms montent familièrement aux lèvres, y compris les plus

étranges…Mindroling, Yarlung, Sheldrak, Rechung Puk, Yongbula-khang, Tsétang,

Chongyé, Samyé, Chimpuk, Yamalung, Tsangpo… Syllabe à syllabe, on dit le Tibet comme s’il était de toujours en nous,De toujours haute lisière des songesDe toujours sanctuaire affirmatif de la beauté.

Oui, le Tibet en nous,Frisson secret de quelle origine ? […]

VERS SAMYÉ

le temps est un vertigesous le miroir des eaux

ce qui sombre est si sombreon dirait un chaos

de pierres de lune et d’or

vers Samyé nous allonscomme au centre du monde

dans cet écho profond qui n’appartient qu’au ciel

et au secret de nous

le corps le cœur l’espritse découvrent si vastes

que le chant de nos lèvresest une âme infinie

qui tremble sur la terre

[…]

SENTIERS ET SECRETS Pour Lorand Gaspar

L’espace nous est donné sans limites.

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Je ne parle pas de la caverne aux étoilesmais des lointains sur terre où sont nos équipages,de ce désir à perte de vuequi a goût de poussière, de pierre à feu,qui a goût d’autre temps et de sueur mêlés.

L’instant nous est donné sans partage.

Je ne parle pas du sablier jeté contre le murmais du réel soudain plus vastedans une herbe qui tremble,sous le sabot d’un cheval,au fond d’un puits saturé de sel.

L’inconnu nous est donné sans crainte.

Je ne parle pas de vallées invisiblesmais de rendez-vous dévoilés, volés à l’insomnie du jour,à la carapace de miroirs rouillés pour éclairer le grand rythme du cœur.

[…]

Cela nous est donné en plus de nos prodiges.Et nous avons donné notre âme au sable des horizons.

(André Velter, La traversée du Tsangpo.)

→ Amener les élèves à opérer, par eux-mêmes, ce même type d’approche intuitive et réflexive à partir du GT ci-dessous, regroupant des poèmes sur l’Amérique.

À noter : Cette approche méthodologique sera accolée avec profit à une lecture et à un enregistrement des poèmes : chaque élève choisit le poème qu’il veut enregistrer, utilise chez lui le logiciel (gratuit) Audacity, et veille à ce que sa lecture témoigne (= rende compte) le mieux possible (= le plus justement possible) de la forme du poème. Puis écoute en classe des différentes lectures et mini-débat : quelles sont les lectures qui rendent le mieux compte des formes spécifiques des poèmes ? Pourquoi ?

GT de poèmes sur l’Amérique (Stéphane Bouquet, James Sacré, Christophe Lamiot)

Dans le pays où je reviens continuer8

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– Howard Beach station, là où j’ai toutlaissé la fois dernière

avec un sentiment sordided’abandonner les visages c’est le premier de

juin maintenantla brise porte la mer tiède

et l’odeur de viande grillée, j’ai lu qu’il y avait eubeaucoup de morts durant mon absence

des grues se sont effondréesdes flics ont tiré n’importe où

j’espère que ce n’est pas lui

même si comment au fond le reconnaîtreallongé dans les tiroirs – 20° de la morgue

mais aussitôt le métrolui quelqu’un me liquéfie le cœur

c’est ici et le monde voudraitgratuitement se reprononcer

– et puis quasi le 400ème jour c’est le début d’un autre étéde toits terrasses et de romarins en pot

jus d’oranges juste pressésphrases inutilement belles

ok i’ll see you guys laterou : who’s coming over / qui

doit venir sonner & sourire& donc un été de week-ends purs, d’équipées

prévues vers les torrentsd’Adirondacks c’est si joli

là-bas on y sent que les ours existent& tous les gens se mettent d’accord

sur les glissadesde futur proche par ex.

demain on déjeune à la cafeteria google ok9

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– et puis breakfast un matin chauden face d’un square de l’East village, liste des choses

mais incomplète chiens qui aboient dans l’enclos

adolescents qui se lancent de l’eauau visage arbres comme une verte fraîcheur

de survie, quelqu’un pieds nus écritsur son ordi, de loin on dirait un roman

promis peut-être au succès fouune simple histoire

des jours naissants au tout début du siècle-cidans notre vie encore

avec surtout le paysage total& la certitude commune, tu vois, vraiment juste en face

de balles claquées par des battes en facedes écureuils invisibles

– et puis encore les premières articulations du matin : hi, café régulier, bagel complet avec beurre,

je bois & mange, un téléphone sonne,il répond sourit

dit à lui ou elle quelqu’un : missingyou & stuff / manquant de toi et choses

et c’est la phrase idéale même même

– et puis la section poésie du NY Times juin le 30dit un mal fou de Frank O’Hara

ses poèmes i do this i do thatà qui ou à quoi

ça sert, alors je sors dans les rues,je refais mes lacets, si je passais voir Jody, je souris

ample au mec du Minnesota ou par là,avec la prière en murmure

profite de mes poumons à plusieurs stp,nada tu parles, je compte le liquide qui me reste

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4 dollars 62 c’est tout anywayje paierai en carte le tome 2 des Complete Poems de Creeley

je marche sous l’offre d’ombre des arbres& lis la une des journaux, on sait jamais mais

personne de connu n’est morte aujourd’huique ça serait super de la pleurer Frankie

et alors je continue dans l’harmonie du mondequi arrive, des ouvriers mangent leurs sandwichs

assis par terre à lunch break

– et puis j’assiste à un certain dimanche de la confirmation des jours, joggeurs etc. je n’ai pas

besoin d’autre chose

la lumière d’orage sombre brillante nous appâte re-encorede sa tendresse d’eau milliardaire

il faudrait avoir le couragede mourir ici

maintenant dans la satisfaction froide du fleuve

la vie ne pourrait plus redescendredu sentiment de super être

– et puis le ciel noircit encore le même jour ou un autreil y a la préparation supplémentaire d’un orage

je me demande s’ils sesont abrités et où

l’après-midi ils viennent sur le pontonpour profiter eux aussi tu vois

à leur tour de la destinée manifeste des baisers& des mains entrecroisés

bien sûr je préfère celui qui a les lunetteset le bermuda bleu long

mais c’est sans importance le matin d’ensuitele fleuve respire une brume

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immense & ils sont irretrouvables

(Stéphane Bouquet, Nos amériques)

ON N’EST PAS TOUJOURS SÛR DE COMPRENDRE CE QU’ON VOIT

Entre Santa Cruz et Chimayo la petite égliseSangre de Christo : comme un hangar tout seul (hangarÀ cause de la tôle du toit) dans un pré de grande herbe.Je l’ai pas vue longtemps, le tempsDe la prendre en photo, deux fois :Moment de plaisir les yeux comme une caresse À son adobe ni sombre ni clair, à son clocher courtEn zinc et vieux bois, plus loinUn carré de fourrage très vert, Plus loin encoreLa couleur de pentes pierreusesDans l’été. La solitude, le bleu qui ne sourit pas.La photo de quoi ? Et qu’un poème silencieux avec ses mots usés.

[…]

Sans Francisco comme Une ville en morceaux, le puzzleTe conduit d’un endroit l’autre, vertigoEntre les ponts balancés par-dessusCe qui ressemble à du ciel déchiré bateaux Comme autant de nuages plus ou moins blancs filantPar une jointure ouverte des élémentsEt bousculant Le volume d’ancienne prison qu’on voitSur le rocher d’Alcatraz, au loin perdu. La ville se dresse en verticales claires et sombresOn sait mal quel équilibre se fait,

Entre la terre et l’océan ça resteComme un puzzle pas terminé comme siFallait faire attention à pas trop remuer l’ensembleSinon l’énigme qu’on devine, mais va-t-on la saisir ?Pourrait bien disparaître en quelque tremblementDe terre ou travelling d’un filmQu’un maître du suspens n’aurait Justement pas terminé.

(James Sacré, America solitudes)

PHOTOGRAPHIE SOUVENIR12

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Quelque part près d’Ithaca il y a un cours d’eau dans la campagne. C’est

New York et l’automne court quelque partparmi les arbres cet été indien.

Jaune et vert et rouge et brun cet été indien dans la campagne, l’après-midi en Dasher je viensramasser des feuilles de chêne et d’érable cetété indien. Comme nous naviguons cette après-midi vers les lacsplats en forme des doigts de la main, tudécouvres l’autoradio. Tonappareil photo est dans tes mains cet été indien. Au-dessus de

l’eau quelque part non loin d’un pont d’où part un chemin de terre, quelques

pierres au-dessus de l’eau te permettent deprendre en photocet été indien, moi et la Dasher sous les arbres jaunes et verts et rouges et bruns.

(Christophe Lamiot, Des pommes et des oranges)

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Activité périphérique :affiner la construction d’une image mentalepar le biais d’une représentation tangible

Procéder par étapes : progressivité dans la difficulté (travaux idéalement en collaboration avec le professeur d’arts plastiques) :

a. James Sacré a perdu les deux photographies qu’il a prises pendant son voyage aux États-Unis, et il en éprouve du chagrin. Vous décidez, à partir de son poème « On n’est pas toujours sûr de comprendre ce qu’on voit » de reproduire l’une des deux, le plus fidèlement possible, pour qu’il ne soit plus dans l’affliction. Vous utiliserez tous les moyens qui vous semblent utiles, pertinents (collage, peinture, aquarelle, crayons de couleur, crayon de papier, fusain…)Rappel du poème en question : « la petite église / Sangre de Christo : comme un hangar tout seul (hangar / À cause de la tôle du toit) dans un pré de grande herbe. / Je l’ai pas vue longtemps, le temps / De la prendre en photo […] : les yeux comme une caresse / À son adobe ni sombre ni clair, à son clocher court / En zinc et vieux bois, plus loin / Un carré de fourrage très vert, / Plus loin encore / La couleur de pentes pierreuses / Dans l’été. »

b. Christophe Lamiot a perdu la photographie qu’il a prise pendant son voyage aux États-Unis, et il en éprouve du chagrin. Vous décidez, à partir de son poème « Photographie souvenir » de la reproduire, le plus fidèlement possible, pour qu’il ne soit plus dans l’affliction. Vous utiliserez tous les moyens qui vous semblent utiles, pertinents (collage, peinture, aquarelle, crayons de couleur, crayon de papier, fusain…)Rappel du poème en question : « Au-dessus de // l’eau quelque part non loin d’un pont d’où part un chemin de / terre, quelques / pierres au-dessus de l’eau te permettent de / prendre en photo / cet été indien, moi et la Dasher sous les arbres / jaunes et verts et rouges et bruns. » → À noter : pour aider les élèves en difficulté, le professeur pourra projeter au tableau la série de photos issue de Google correspondant à l’été indien (voir ici).

c. Représenter (= dessin/aquarelle/peinture, mais aussi possiblement collage…) le poème ci-dessous (consigne précise à formuler pour soi avant qu’elle ne soit devinée/reformulée par les élèves), après avoir veillé à élaborer un brouillon sur le même format de papier (un brouillon faisant apparaître spontanément, dans le désordre, les premières esquisses, à savoir les réminiscences ou les intuitions fondatrices…)

Travail préliminaire possible, pour que chez les élèves en difficulté soit ébauchée plus facilement une représentation mentale :

faire découvrir Juneau via Google Earth (entrer la formulation suivante, dans l’emplacement Recherche : Juneau, Alaska, États-Unis) ;

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projeter au tableau – notamment – des photos de glaciers bleus issues des moteurs de recherche…

Pendant que tu dors je survole la mer des nuagesAu-dessus des montagnes, des glaciers bleusQui se creusentDescendant vers la mer.La mer est un miroirOù les ombres des nuages légers S’étirent d’îles en îles. Partout les îles semblent flotterEt les nuages eux-mêmes dont on voit l’ombreFlottent sur le ciel et l’eau.Et l’on ne sait si l’on est dans le ciel ou dans l’eauDans une mer de glace, de nuagesPartout les montagnes ombreuses.Parfois derrière le rideau des nuagesPar-delà les crêtes on aperçoit d’autres cimes.Maintenant l’aile du Boeing survole les pins. Nous approchons de Juneau et je me demandeOù l’avion pourra se poserTant cette bande de terre est étroiteEntre mer et montagne.

(Jean-Claude Caër, Alaska)

d. Dans le prolongement, travail inverse : → écrire une suite de poèmes en vers libres comportant une narration à partir de l’alliance énigmatique entre dessins et phrases présente dans la section « Poèmes pour que l’air passe » (née de la poésie spatialiste de Pierre Garnier) du recueil d’Ariane Dreyfus intitulé Le dernier livre des enfants (Flammarion, 2016, p. 141-145). Prérequis : connaître l’implicite. → écrire quatre strophes à partir des quatre photos (1 photo = 1 strophe) présentes sous l’appellation « Port de Lorient, 4 strophes muettes » dans le recueil de poèmes d’Yves di Manno intitulé Champs (1975-1985), « édition définitive » (Flammarion, 2014). En d’autres termes, rendre les « strophes muettes » parlantes, et audibles. Remarque : Quatre strophes et non quatre poèmes = amener les élèves à cette constatation. Donc un seul poème, constitué de quatre strophes. Une seule « histoire », racontée par les quatre photos (la temporalité de l’histoire est due à l’ordre adopté par les photos dans le livre). Amener par conséquent les strophes à entretenir un lien logique entre elles (ce lien logique serait-il, dans la lignée du surréalisme, l’absence de tout lien logique) : il doit y avoir cohérence, pour ce qui est de l’ensemble.

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Partager un bouleversement/changement intérieur imaginé

1. Conception de cartes postales.

Où que je sois, sitôt quitté la France, j’écris et envoie une carte postale à un seul et unique destinataire reclus dans un village des Ardennes. À Delhi, Mexico ou Séville, comme à Antioche-sur-Oronte, Lo Manthang ou Makassar, le rituel est intangible. S’il doit tout à l’amitié, il témoigne aussi d’un goût immodéré pour les changements de lieux, les itinéraires déroutés et le déferlement des questions sans réponse. […] Où que l’on soit, au Ladakh, à Istanbul, […] à Badajoz, au mont Athos, à Bénarès ou dans les îles de la Sonde, la règle est de voyager léger. Pas question d’emporter papier à lettres et enveloppes au fond d’un sac à dos. La carte postale achetée en bord de route comme au coin d’une rue devient la solution idéale. Rédigée sur-le-champ (bazar, bus stand, trottoir, tea stall, bivouac), et expédiée séance tenante.

(Extraits de la quatrième de couverture et de la préface du Jeu du monde de Velter.)

→ Imaginez ce que vous pourriez écrire depuis cet endroit, tel jour de l’année. Choisissez votre destinatoire (réel ou fictif) et remplissez la partie qui lui est dévolue. Vous pouvez recouvrir de votre écriture poétique toute la partie gauche du recto de la carte : votre texte doit en effet être un poème, en vers (rimés ou non) ou en prose. Vous veillerez à évoquer le lieu au moyen d’images poétiques (pouvant ou non être nommées par vous) et en faisant appel aux champs lexicaux des sentiments et de la surprise. → Les images poétiques seront valorisées, « même maladroites ou stéréotypées »1, si l’élève acquiert ensuite une forme d’exigence vis-à-vis de sa production (l’écriture poétique menée avec les élèves doit toujours s’élaborer par étapes, et à partir d’un premier jet). Cette exigence doit bien évidemment venir de l’élève lui-même ; « à charge pour l’enseignant, comme le dit Robert Davreu, d’encourager une telle intériorisation en soulignant dans sa production, même minime, ce qui est singulier, qui s’écarte du cliché ou de la norme (voire qui le/la subvertit), en l’incitant à tenter d’aller toujours plus loin dans ce sens »2.

Deux travaux préliminaires sont nécessaires pour réaliser au mieux cette activité. a. Premier travail préliminaire (dans l’idéal avec le professeur documentaliste et/ou le professeur d’histoire-géographie) sur les lieux

1 Nouvelle Revue Pédagogique, lettres collège, n° 637, « Des compétences pour lire et écrire la poésie », mars 2014. 2 Nouvelle Revue Pédagogique, n° 580, « Écrire la poésie au collège », novembre 2005.

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indiqués : documentation, exploration via Google Earth3, travail de fichage, de prise de notes au brouillon… b. Second travail préliminaire : confection du verso de la carte, idéalement avec le professeur d’arts plastiques (dessiner le lieu ― choisir préalablement quoi représenter : un aspect pittoresque de celui-ci ―, en usant de crayons de couleur…, ou effectuer un collage). Île de Sal, 7 janvier

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San Francisco, 7 novembre

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Palmyre, 8 septembre

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3 Pour le moteur de recherche, l’île de Sal = Sal ; San Francisco = San Francisco, Californie, États-Unis ; Palmyre = Palmyre ; Varanasi = Varanasi, Uttar Pradesh, Inde ; Jaipur = Jaipur, Rajasthan, Inde ; Huangshan = Huangshan, Anhui, Chine.

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Varanasi, 30 décembre

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Jaipur, 3 janvier

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Huang shan, 4 novembre

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Remarque : tous les poèmes ci-dessous sont extraits de l’ouvrage suivant : André Velter, Le jeu du monde, cartes à Yanny.

Île de Sal, 7 janvier 1998

Du sable, du sel, de l’eau et du vent : désert qui mène à l’océan comme si deux horizons étaient venus se fondre sur une ligne d’écume. Rien que ce rien qui hisse la grand-voile et dispense de tout. Plus de temps, plus d’action, plus d’attente. On retrouve la mémoire du corps enfoui qui a connu les migrations, les errances, le corps-à-corps d’espace sans fin ni commencement. Un chant de peau et d’os, sous le soleil.

San Francisco, 7 novembre 1999

Un archipel et des ponts pour passer par-dessus les tremblements de terre, les raz de marée, les antiques mesures du temps.

On change de ville, de vision et de vie sur Golden Gate Bridge, dans Alcatraz désert, du côté des bannières arc-en-ciel de Castro, à Cincinnati où les condamnés à mort sont sur liste d’attente ―

mais surtout en jouant au toboggan des rues.Entre Chestnut, Alamo Park et Columbus, c’est toujours monter,

descendre au plus court, traverser ou sortir de la brume qui vient du Pacifique, rêver insolemment les yeux sur le soleil

en ce pays qui vend jusqu’à la corde des songes.

Palmyre, 8 septembre 2003

Seul avec le ventdans la citadelle de Palmyreau coucher du soleil.Les siècles à mes piedsfont escorte aux tombeauxqui n’ont plus de dépouilles.Ainsi les empires ont passéau bout du comptepar profit et même songe.Reste ici la magie d’un nomqui est un crissement de soie : Zénobie. Et il y a sans raisoncomme un goût de jasmin dans les sables…

Varanasi, 30 décembre 2004

Encore À BénarèsOù se mêlentL’or et les cendresL’ordure et l’encens

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Dans une lumière assoifféeDe silence de délivranceEt d’évasionLes yeux ouvertsÀ BénarèsEncore

Jaipur, 3 janvier 2009

Encore un peu de ce décorPalais des vents et des songesOù l’on ne sait quel corps-à-corps De mirages d’illusions ou de peinesA donné son âme au feuEt pris son harmonie au ciel

Huang shan, 4 novembre 2010

À Huang shan où les arbres s’invententune âme de vertige et de pierreil est encore possiblede se nourrir de nuageet d’habiter durablement dans une peinture chinoise.

(Shitao)

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2. Conception d’un blog.1

11 juin 2013

Grève des aiguilleurs du cielGrève dans les Aéroports de Paris.Je suis touché au cœurL’Alaska se dérobeEncore une fois.Les syndicats ou peut-être les dieuxOnt contrarié mes plans ―Tout ce que j’avais mis en placeEst détruitEt moi-même me voici atteint de plein fouet.Je défais ma valise ―Mon voyage annulé. J’achète un petit livre de James JoyceQui n’a l’air de rien, pour 4 euros,Pomes Penyeach chez Faber & Faber ―Couverture orange et noire aux lettres entremêlées ―C’est un onguent qui apaise ma fureur. Et je pense à la toundra en septembre sous la pluie

1 Cette activité pourra trouver sa place dans une séquence donnant aux œuvres de Jack London toute leur place, avec une préférence pour Croc-Blanc et les Nouvelles du Grand Nord, dans des éditions destinées à la jeunesse. → Jack London, Croc-Blanc, traduit de l'anglais par Daniel Alibert-Kouraguine, Hatier, collection Classiques & Cie Collège, 2013 : édition communiquée aux élèves à mettre en parallèle notamment ― les adaptations filmiques ne sont pas suffisantes ― avec les ouvrages de lije suivants : Jean-Pierre Kerloc’h, Croc-Blanc, d’après Jack London, illustrations de Carmen Segovia, P'tit Glénat, collection Les histoires phares, 2008 & Arsène Lutin, Croc-Banc, d’après Jack London, illustrations d’Antoine Guilloppé, Auzou, 2011. Pour approfondir, le professeur pourra se procurer la nouvelle et récente traduction de Croc-Blanc parue dans la Pléiade  : dépoussiérant le texte, d’une belle justesse, rendant plus vives ses arêtes, elle est accompagnée ― ce qui est le propre de la collection ― d’un appareil critique très riche (in Jack London, Romans, récits et nouvelles, tome I, trad. de l'anglais ― États-Unis ― par Marc Amfreville, Véronique Béghain, Antoine Cazé, Marc Chénetier, Philippe Jaworski, Clara Mallier et François Specq, édition publiée sous la direction de Philippe Jaworski avec la collaboration de Marc Amfreville, Véronique Béghain, Antoine Cazé, Marc Chénetier, Clara Mallier et François Specq, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 2016, 1536 pages).→ Jack London, Nouvelles du Grand Nord, édition présentée par Christine Malrieu, Nathan, collection Carrés classiques : récit XXe, 2014, ― bref ouvrage que l’on rapprochera du numéro de revue suivant : Nouvelle Revue Pédagogique, lettres collège, n° 646, supplément, « Nouvelles du Grand Nord de Jack London », janvier 2016.En effet, le territoire décrit par London en ces deux œuvres est très proche de l’Alaska. Si la conception du blog s’inscrit dans le prolongement d’un travail effectué sur London, les élèves seront plus sensibles aux grandes difficultés qui pouvaient (et peuvent encore, dans certaines conditions) être liées aux voyages, difficultés pouvant conduire à la mort (cf. « Construire un feu » [1902], traduit de l’américain par Jacques Parsons, in Nouvelles du Grand Nord, édition citée). Ils prendront ainsi davantage conscience de l’hostilité de certaines contrées, hostilité dont ils pourront « rendre compte » (en l’imaginant) dans leurs poèmes à destination du blog.

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Ces herbes, ces signes qui frissonnent ―L’échine d’un ours brun qui se rebiffe.Je pense à Nome, à Barrow, nommé Upkiagvik,Lieu où l’on chasse le harfang des neiges,À toutes ces îles Aléoutiennes que je ne verrai pas. […]

(Jean-Claude Caër, Alaska)

(Les îles Aléoutiennes ; source)

→ Contrairement à Jean-Claude Caër, vous parvenez à vous envoler pour l’Alaska. Vous vous êtes promis de visiter les îles Aléoutiennes, Nome et Barrow, entre autres lieux, et de voir au moins un harfang des neiges. Vous connaissez Jean-Claude Caër et décidez d’écrire des poèmes lors de votre voyage pour être à même ensuite de partager avec lui vos impressions : ainsi, pensez-vous, il sera en mesure de voir/approcher/découvrir l’Alaska, ne serait-ce qu’au travers de votre vue, de votre ouïe, de votre toucher…, et de votre ressenti (= vos émotions).

(Par le biais de ce jeu de rôle, l’élève est amené à être sans le savoir dans la posture de l’auteur à qui il s’adresse ― même sans utiliser les pronoms requis, même sans le nommer ― : vivre des émotions au moyen d’un voyage imaginé.)

Rappel : Inciter les élèves à surligner les mots-clés de la consigne (du fait de sa longueur), avant d’être amenés à la reformuler dans son intégralité avec leurs propres mots.

Devant mettre en avant et les sens (recours à l’imagination) et les émotions, les poèmes (en vers libres ou en prose) doivent être initialement écrits à partir d’images de l’Alaska (ne pas oublier sa flore et sa faune ― pour ce qui est notamment du harfang des neiges) projetées

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au tableau (au moyen d’un vidéoprojecteur). À partir d’une exploration individuelle des lieux, en salle informatique, via Google Earth1 (les élèves pourront avec profit cliquer sur les photos prises en ces endroits par des voyageurs, puis mises en ligne par eux). Ou encore à partir de pages de guides touristiques2 ou d’un travail de documentation effectué en collaboration avec le professeur documentaliste (peuvent être par exemple communiquées aux élèves des cartes, notamment des îles Aléoutiennes : le site Gallica en contient).

Possibilité de travailler en collaboration avec le professeur d’anglais, à partir de pages (minutieusement choisies en fonction du degré de difficulté) de guides écrits en anglais3, par exemple. Certains poèmes pourront ainsi, dans ce cas, être écrits en anglais.

Une fois que les poèmes sont écrits (une dizaine), trouver un titre pour chacun d’eux qui renvoie précisément à ce dont il est question (l’image projetée ou vue via Google Earth, le lieu décrit dans le guide, le paysage découvert sur Internet ou dans un ouvrage…)

Ensuite, en salle informatique (et/ou à la maison), le travail de conception du blog peut commencer. Chaque blog a pour titre : « Le voyage imaginaire de [prénom de l’élève] en Alaska ». Un billet est un poème, auquel peut être rattachée ― les élèves voudront le faire d’eux-mêmes, et avec raison ― une image (celle projetée/vue ou une approchante…). Et un billet a logiquement pour titre le titre du poème qu’il contient.

Exception : le premier billet. Il est constitué d’une dédicace circonstanciée (eu égard à la consigne), qui permet à l’élève de comprendre de lui-même l’objectif.

Les élèves sont ensuite invités à aller voir les blogs des uns et des autres, et ils ont la possibilité (c’est même encouragé) d’écrire des commentaires sous les poèmes (non pour les juger ― obligation de bienveillance ― mais pour confronter leur propre imaginaire, qui a été mis en mouvement par l’activité, à celui de leurs camarades).

1 Pour le moteur de recherche, îles Aléoutiennes = Aleutian Islands, Borough des Aléoutiennes orientales, Alaska, États-Unis ; Nome = Nome, Alaska, États-Unis ; Barrow = Barrow, Alaska, États-Unis. 2 L’ouvrage suivant ― notamment ― pourra particulièrement bien convenir : Alaska, traduit de l'anglais par Bruno Krebs et Sophie Paris, Guides Gallimard, collection Bibliothèque du voyageur, 2012. 3 Le professeur d’anglais pourra ainsi s’inspirer ― notamment ― des brèves sections suivantes du guide Fodor’sTravel consacré à l’Alaska (2016) : « What’s Where », « Alaska top attractions », « Top experiences », « Quintessential Alaska », « Alaska outdoor adventures », « Great itineraries ». Ou encore des brèves sections suivantes de la version anglaise du guide Lonely Planet (2012) dévolu à cet État des États-Unis : « 21 top experiences », « if you like… », « itineraries », « Outdoor Activities & Adventures », « regions at a glance ».

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Une fois les blogs achevés, les commentaires écrits et les travaux lus par tous, l’activité est considérée comme close, et ce sont les blogs dans leur dernier état qui seront évalués par le ou les professeur(s).

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3. Variante   : réaliser un carnet de voyage imaginaire .

L’élève pourra réaliser son carnet de voyage imaginaire en Alaska (cette activité sera bien évidemment réalisée en partenariat avec le professeur d’arts plastiques et, idéalement, avec le professeur d’histoire-géographie).

Tout en sachant que les moyens alloués à une classe sont limités, sont donnés ci-dessous des éléments empruntés (tout en étant parfois adaptés) à l’ouvrage de Cécile-Alma Filliette intitulé Réalisez vos carnets de voyage (Dessain et Tolra, collection Carnets d’art, 2016), car il s’agira avant tout, à travers cette activité, de stimuler la créativité de chaque élève, et de lui montrer que peut être développé l’imaginaire dans un lien particulier instauré avec la matière.

« FormatsComment choisir son carnet de voyage ? Trois formats standards sont disponibles :

Le format à la française privilégie la verticalité. Quand on travaille sur la double-page, on obtient presque un carré. On s’y sent à l’aise pour des compositions citadines, des portraits, des scènes d’intérieur, des croquis de musée.

Le format à l’italienne, avec son ouverture horizontale, invite au paysage, au panorama sur la double page.

Le format carré, plus rare, est parfois difficile à occuper. Mais il est également possible de fabriquer soi-même son carnet. Plusieurs techniques sont possibles : couverture fixée avec des rivets ou des spirales en plastique ; reliure cousue ; feuilles assemblées à la tibétaine ou à l’indienne, entre deux planches de bois ; façon porte-folio, dans un carton à dessin décoré ou dans une boîte : les feuilles seront au format de la boîte ou de tailles variées, comme des trésors à piocher dans leur écrin.

RécupérationPeut être transformé en carnet de voyage un vieux livre avec une belle couverture cartonnée : il s’agira alors de dessiner directement sur les pages imprimées (la gouache recouvrira une partie du texte). Un cahier d’écriture personnelle ou même un passeport périmé, par exemple, se prêtent aussi fort bien à ce jeu. Il est également possible de coller du papier vierge sur certaines pages.

Le carnet-boîte au trésor Les élèves pourront rassembler leurs feuilles dans une boîte et ajouter toutes sortes d’objets leur faisant penser à l’Alaska : le carnet deviendra un puzzle où seront associés pages et objets.

Réaliser la couverture C’est la porte qui ouvre au voyage ! Sur une couverture souple, l’on optera de préférence pour une décoration assez légère : cuir, tissu, broderie, peinture, collage… Sur une couverture rigide ou une boîte, l’on pourra oser les épaisseurs, le volume : par exemple travailler une base de bois à la

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manière d’un laqueur, aménager une fenêtre ouverte sur la première page…La touche finale est le système de fermeture : le simple fait de dénouer le carnet initiera le découvreur du travail de l’élève au monde de son voyage imaginaire. Rubans, cordelettes de laine, de cuir l’aideront à prendre conscience qu’il détient là un véritable trésor. Boutons de nacre, coquillages, cailloux, pièces de monnaie, etc. peuvent être collés ou cousus par l’élève en guise de fermoir.

Les papiersSelon sa nature, le papier répond différemment au crayon, au pinceau ou à la plume. Il représente donc une forte contrainte. Mais il est toujours possible d’ajouter une nouvelle page d’un autre papier ou de transformer certaines pages : on peut les découper, les déchirer, changer leur couleur et leur texture. On peut par exemple jaunir le papier avec du thé, du café, du brou de noix, un fond d’aquarelle ou de gouache…

Les papiers classiquesLe papier d’aquarelle semi-satiné est très agréable pour des lavis, des dessins aquarellés et des travaux délicats ; le papier torchon permet de jouer avec la matière. Les papiers de couleur, le papier recyclé et le kraft conviennent pour les pastels gras et secs, la gouache et l’encre. Les calques et les transparents blancs ou de couleur protègent les œuvres au pastel et offrent un espace d’écriture en transparence.

Les papiers atypiques Si les professeurs d’arts plastiques et de français en ont la possibilité, pourquoi ne pas permettre aux élèves de tester des papiers exotiques : de riz, népalais… Plutôt pour dessiner et écrire car, d’usage délicat, ils gondolent sous la couleur mouillée et sont quelquefois très transparents (on peut alors jouer du recto verso !). Le papyrus, très solide et très beau, sera, lui, plutôt imperméable.

Les papiers de récupération1

Il s’agit de vieux papiers, imprimés ou non, jaunis, des papiers d’emballage (vieilles enveloppes de kraft…), des papiers mâchés fait main, des papiers marbrés ou fripés…

Les outilsEsquisser, tracer

Les crayons à papier : l’on utilisera plutôt un HB ou des B qui coulent sur le papier (jusqu’au 6B et au crayon graphite). Il existe aussi maintenant des crayons solubles dans l’eau, permettant d’alléger le tracé ou de faire un lavis. Le crayon de charpentier à tête plate et rectangulaire permet de moduler l’épaisseur du tracé à la manière d’un pinceau de calligraphie chinoise.

1 Cette option sera particulièrement bienvenue, en ce sens qu’elle permettra aux élèves de développer davantage encore leur créativité.

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Le stylo à bille, lui, permet un tracé vif et sans remords. Les plumes et les encres plairont aux puristes : le porte-plume, pour

un tracé de pleins et déliés, les plumes de calligraphie et bien sûr le stylo plume, les plumes d’oie ou de roseau et le calame (bambou taillé). Les aventuriers (l’on conseillera aux élèves de risquer, s’ils le souhaitent, cette voie) essaieront des matériaux faits maison : bâton d’encens, branche taillée…

Les marqueurs, d’usage plus simple et moins encombrants, ont des pointes d’épaisseurs variables (fines à très larges). Sous forme de feutres-pinceaux, ils sont parfois aquarellables.

Quelques pinceaux (un fin et un gros), une ou deux brosses d’aquarelle en poils synthétiques (une fine et une grosse) et une brosse dure, en poils de porc par exemple, pour des effets de matière et les corrections, peuvent suffire.

Colorer, estomper Les pastels secs sont des bâtons de pigment avec très peu de colle. Les pastels gras (à l’huile) sont des bâtons de pigment avec un liant

à la cire. Les crayons de couleur : certains, solubles, peuvent remplacer

l’aquarelle. L’encre de Chine, le brou de noix et les encres de couleur sont

faciles à utiliser. Les pinceaux à réserve d’eau peuvent aussi être remplis d’encre.

L’aquarelle, à base de pigments, de gomme arabique et de miel, est plus pratique en godets qu’en tubes.

Pour la gouache en tubes (mélange de pigments et de colle à l’eau), les trois couleurs primaires, le noir et le blanc suffisent. »

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Questionner le « vivre ensemble ».Être amené à rencontrer des personnes

que l’on n’aurait jamais rencontrées autrement   : le voyage, éveilleur de rencontres imprévues

Ces rencontres peuvent être de deux ordres : amitiés / inimitiés. Amener les élèves à le deviner à partir des poèmes « Tente-tube » et « Plus vite au sud encore » extraits du recueil de Christophe Lamiot (ces poèmes leur sont donnés à lire sans consigne, sans indication : ils doivent ― par eux-mêmes et en prenant cette initiative ― les rapprocher / les comparer).

TENTE-TUBE

Près de Brooktondale, dans l’État de New York, il y a une petite maison tournant sur

elle-même, tout en bois dans lebois, à l’adresse d’une boîte postale.

Toujours elle tourne nouvelle, parfaitement immobile.Je m’y repose sur les lattes de son chemin de ronde enfantine, à une

vingtaine de centimètresau-dessus du sol. Le chemin surélevé s’incurve de

l’entrée de la propriété jusqu’à la porte de la maison proprementdite, de bourrée auvergnate, de

danses folkloriques des Pyrénées, du pays Basque à la langueirréductible – ni même ni autre. La maison n’a

pas poussé parmi les feuilles comme un champignon : c’estPeggy L. qui l’a construite. Après

avoir rencontré Peggy au cours de Modern Dance qu’elle offre à Cornell University

(Introduction to Modern Dance), je l’inviteà la Maison Cayuga et sur le trottoir, le soir, lui récite lepoème de William Butler Yeats

The Lake Isle of Innisfree. Ce poèmecommence ainsi : « I will arise and go now ». I will arise and

go now : Peggy me prête sa tente-tube –

nous allons aussi nous rencontrer off Great Mountain Pass au Colorado, partager le chalet qu’elle loue là-bas cet été 1986.

Dans sa Honda Civic, la voilà seule partie, puis nous, Patricia B. et moi,peu après, dans ma

Dasher vert foncé. 29

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PLUS VITE AU SUD ENCORE

Ouest.Sur le bord de la route une dernière maisonhors ville avant un virage.Le mauvais temps menaçant, il ne fait pas trop chaud.Quelques grands arbres dressés.Une allée de gravillon :notre halte ?

Plages. Nous laissons derrière des plages de plus en plus,leurs ourlets gris orangé,heure après heure, de plus en plus gris orangé,entre eau et route. Replisbas. Sans eau pour prendre un bainnon salé.

Plages.De plus en plus étroits, leurs ourlets gris orangés’étendent, quand la nuit tombe,balayés, écrasés par la lumière des pharessans bas-côté sur la routesinon cimentées des marches,il me semble.

Voix. Par-derrière la double porte fermée trois fois, elle me répond sans se montrer que c’est la police qu’elle appelle sisous peu je ne suis parti,en allé passer la nuitsur la plage.

Voix.Cette voix, peureuse, vieillie et déterminée,d’une femme âgée, seule, ellenous pousse plus vite au sud encore vers un boisoù cacher l’automobileinvisible de la route,et dormir.

(Christophe Lamiot, Des pommes et des oranges, Californie, I)

Peut-on restituer l’allant de ces rencontres éphémères ? a. Le poète tente cette restitution par l’entremise du rythme du poème (enjambement…)

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→ Objectif : Comprendre que la narration est au cœur de l’entreprise poétique, a fortiori de l’entreprise poétique contemporaine (trop souvent, l’image seule est désignée comme étant le cœur vivant du poème).

[…]Il est troublant de vivre dans un espace-temps différentTout en restant connectésDe rencontrer des gens assis devant leurs ordinateursComme s’ils n’allaient jamais mourir.Je rencontre Steve, spécialiste du cerveau,Qui me raconte s’être trompé de direction.Il voulait aller au zoo voir des ours polairesMais passa son après-midi dans un café à boire bière sur bière.Tout à l’heure, il prendra l’avion pour SeattleEt disparaîtra définitivement de mon univers.Il en est ainsi à chaque instant pour chacun de nousEt le sachant cela devient extraordinaire.Tous ces gens qui apparaissent quelques secondes dans notre vieTels des drapeaux piqués sur une carte du mondePuis s’éclipsent définitivement de notre vueNous préparent peut-être à notre propre disparition.

(Jean-Claude Caër, Alaska)

→ Activité possible, comme prolongement : transformer une prose (une partie d’un récit) en poème ; les élèves doivent d’eux-mêmes pouvoir identifier, avec leurs propres mots, un poème (quand bien même la définition suivante souffre de très nombreuses exceptions) : présence de vers ― lignes n’occupant pas toute la longueur de la page ― et de majuscules matérialisant le commencement des vers. (Amener les élèves à réfléchir à ce qui fait l’unité du vers : le rejet ou le contre-rejet, par exemple, peuvent être une mise en relief ou bien au contraire signifier une brisure).

b. Si restitution de l’allant des rencontres il y a, elle pourra se faire également grâce au rythme (et à la verdeur) de la voix.

→ Imaginer une autre rencontre effectuée par le narrateur : nouveau prénom, nouvelle profession. Qu’est-ce qui provoque cette rencontre ? Qu’est-ce qui motive le dialogue ? Par binômes, jeu de rôle : écrire (penser à ajouter des didascalies ; prérequis : connaître les spécificités du dialogue théâtral) puis, en tenant compte le plus justement possible des didascalies, jouer (finalité de l’activité) avec conviction et force de vie le dialogue entre ces deux personnages. Évaluation par les pairs (grille d’évaluation), à partir de critères bien définis qui auront été devinés par les élèves (et obligatoirement en lien avec le socle commun). Enjeu : « comprendre les motifs de l’élan vers l’autre […] et s’interroger sur les valeurs mises en jeu » ; existe-t-il des problèmes de

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communication (usages, coutumes, langues… différents ?), des confrontations (plus ou moins pacifiées) de valeurs ? (L’interlocuteur, du fait de son lieu de vie, a-t-il grandi dans un contexte socio-culturel bien différent ?). Amener les élèves à percevoir d’eux-mêmes, au fil de leur activité, intuitivement l’enjeu. Puis réfléchir collectivement à celui-ci. Et modifier l’activité déjà élaborée en y intégrant pleinement, et en toute conscience, les modalités de cet enjeu.

→ Travail préliminaire (pour faire cheminer les élèves vers les traits propres à l’oralité) : Insérer un dialogue (discours direct) dans le poème ci-dessus, correspondant à la conversation entre le narrateur et Steve ; faire toutes les modifications jugées nécessaires. Rendre cette conversation vivante, animée. À noter : L’on pourra également aborder le discours rapporté (direct / indirect) à partir du poème de Stéphane Bouquet (in Nos amériques) présent dans ce dossier (→ ajout des guillemets, de verbes de parole, de sujets… / transformation au discours indirect).

→ Aller plus loin : Questionnement mené collectivement, à partir d’un extrait du film Le Nouveau monde de Terrence Malick (2005) dans sa version longue (de 0 heure 33 minutes 35 secondes à 0 heure 40 minutes 08 secondes)1 :

en quoi les problèmes de communication (l’incompréhension etc.) quand on est dans un pays étranger peuvent-ils nous amener à porter un autre regard sur le monde / à renouveler notre regard sur le monde ?

→ Trace écrite à concevoir avec les élèves. Que peut-il y avoir de « poétique » là-dedans ?

→ Élément de réponse : La langue peut être d’abord une musique (avant d’être le véhicule d’un sens).

Comment décririez-vous / définiriez-vous cette musique ?→ Faire écouter aux élèves des poèmes lus dans différentes langues (qu’ils n’ont jamais entendues, si possible) et leur demander de noter dans leur cahier de brouillon leur ressenti, comme s’ils devaient décrire une musique. La mise en voix de ces poèmes pourra être trouvée via YouTube. Le professeur pourra notamment s’inspirer pour sa recherche de la carte « Languages of the world » disponible ici. Attention : penser à utiliser pour le moteur de recherche, pour plus d’occurrences, le nom anglais de la langue (tel qu’il se trouve justement sur la carte ― privilégier la partie inférieure ―), nom suivi de « + » suivi de « poem ». Exemple : cambodian+poem, ce qui donne ce résultat.

→ Activité finale : 1 Cet extrait, qui s’achève par un rite montrant l’acceptation par le groupe d’indiens du personnage principal, aborde la question des différences (dans les usages, coutumes, langue…) et du regard émerveillé que l’on peut porter sur elles.

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Coutumes, usages… différents → aspect mis en relief par les élèves à partir de leur réflexion autour de l’extrait du film Le Nouveau monde de Terrence Malick, et préalablement au cours de l’activité d’écriture qu’ils ont menée : « Imaginer une autre rencontre effectuée par le narrateur : nouveau prénom, nouvelle profession […] ».Comme l’a résumé non sans humour Montaigne, « […] chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usages du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. » (Essais,  I, chap. XXXI, « Des Cannibales »)À partir de la pièce de théâtre Un geste pour un autre de Jean Tardieu (reproduite dans ce dossier : voir l’annexe 1 ― le texte devra être annoté par le professeur1), amener les élèves à réfléchir à l’arbitraire des usages/coutumes, que l’on ne doit pas accepter comme vérités (au moyen d’un criterium issu et de la doxa et de l’imprégnation), ou rejeter comme non-vérités, en pays étranger, par exemple. Dans un premier temps, les élèves devront reconnaître dans le texte les usages/coutumes étranges qui s’y trouvent (l’étranger = l’étrangeté d’emblée) et quel serait « chez nous » leur équivalent. Ensuite pourront-ils ouvrir leur réflexion :À quel(s) lieu(x) selon vous peut renvoyer l’archipel Sans-Nom ?Si ces coutumes étranges nous font rire [montrer toute l’étendue du registre comique dans la pièce], quelle serait la réaction de l’Amiral Sépulcre, de Madame de Saint-Ici-Bas, de Monsieur et Madame Grabuge ou encore de Monsieur Sureau face à nos propres coutumes ? Ce vous semblerait-il justifié ?

1 Il peut s’aider pour cela de l’édition suivante : Jean Tardieu, 9 courtes pièces, Folioplus classiques, 2009.

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Annexe 1 :

Un geste pour un autre de Jean Tardieu

PERSONNAGES

L’AMIRAL SÉPULCRE MADAME DE SAINT-ICI-BAS MONSIEUR ET MADAME GRABUGE LA BARONNE LAMPROIE MADEMOISELLE CARGAISON MONSIEUR SUREAU CÉSAR, valet de chambre.

La scène se passe au temps des romans de Jules Verne. L’Amiral ressemble au capitaine Grant : tenue d’officier de marine de 1860, favoris, redingote, haute casquette, lorgnette en bandoulière, etc.

L’AMIRAL SÉPULCRE, tête nue, s'avançant devant le rideau : Lorsque nous abordâmes dans l’archipel Sans-Nom (ainsi nommé parce que nul navigateur n’avait réussi à le découvrir), nous nous trouvâmes, à notre vive surprise, en présence d’une civilisation fort avancée : des villes toutes neuves (grâce à de fréquents bombardements), des citoyens libres (grâce à une police omniprésente), des mœurs pacifiques (défendues par une milice armée jusqu’aux dents), un gouvernement solidement établi sur l’instabilité des opinions — bref, toutes les conquêtes du progrès !

Cependant, mise à part cette ressemblance essentielle avec la vie de nos Sociétés, tout dans les mœurs de ce pays nous déconcertait grandement. Il semblait qu’un malin génie se fût amusé à faire de nos propres coutumes une absurde salade, en amenant les citoyens à prendre une attitude pour une autre, un geste pour un autre...

Nous fûmes d’abord vivement surpris de ces usages, puis, peu à peu, aidés par la bonne grâce de nos hôtes, nous nous y habituâmes, au point que, pour ma part, je pris du service dans la marine du pays où je parvins au grade d’amiral et demeurai plus de vingt ans.

De retour dans ma patrie d’origine, je ne comprends plus très bien pourquoi les gens de chez nous se serrent la main lorsqu’ils se rencontrent, enlèvent leur chapeau lorsqu’ils franchissent une porte, s’assemblent pour manger, prennent plaisir à faire de la fumée ou se frottent les uns contre les autres au son de la musique...

Nous avons reconstitué pour vous une réception dans un des salons les plus distingués de l’archipel Sans-Nom... Quelques jours auparavant, nous avions reçu un carton ainsi libellé : « Madame de Saint-lci-Bas vous prie d’assister à la soirée qu’elle donnera dans ses salons le quinze mai, à dix- huit heures... On toussera. »

L’Amiral salue et disparaît. Le rideau s’ouvre sur un salon luxueux dont l’ameuble-ment toutefois ne présente rien de surpre-nant, si ce n’est qu’il y a beaucoup de tables

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et point de sièges, et qu’à droite, près de la porte d’entrée, se dresse une étagère sup-portant des chapeaux de toutes sortes.

Devant l’étagère, César, valet de chambre, en habit et ganté de blanc, se tient debout et attend.

MADAME DE SAINT-ICI-BAS, entrant par la gauche. Elle marche pieds nus : César ! Tout est-il prêt ?

CÉSAR : Oui, Madame... Je crois, Madame, que voici les invités de Madame.

Madame de Saint-lci-Bas va s’asseoir sur une table. La porte s’ouvre. Entre l’Amiral Sépulcre, vieillard plein de distinction. César prend sur l’étagère un bicorne à plumes et le lui donne. L’Amiral retire ses escarpins et les donne à César, qui les range sur une éta-gère.

CÉSAR, annonçant : L’Amiral Sépulcre !L’AMIRAL, s'avançant, le bicorne à la main, vers Madame de Saint-lci-

Bas et lui baisant respectueusement le pied droit : Madame, je suis charmé.

MADAME DE SAINT-ICI-BAS : Vous êtes le premier, Amiral. Couvrez-vous, je vous prie.

L’AMIRAL, se couvrant du bicorne avec gravité : Madame, puisque j’ai l’honneur d’être seul avec vous, permettez-moi de retirer mes chaussettes, et de vous en faire l’hommage.

Il retire avec difficulté ses chaussettes et les offre à Madame de Saint-lci-Bas.

MADAME DE SAINT-ICI-BAS, prenant les chaussettes avec un sourire ravi et les posant sur la table : Rien ne pouvait me faire plus de plaisir, Amiral ! Le précieux souvenir figurera en bonne place dans ma collection.

Arrivent Monsieur et Madame Grabuge. Ils retirent leurs chaussures, les donnent à César, qui les range sur l'étagère. Puis César donne une couronne de lauriers en papier à Monsieur Grabuge et un voile à Madame Gra-buge.

CÉSAR, annonçant : Monsieur et Madame Grabuge !MADAME DE SAINT-ICI-BAS, sautant de la table avec grâce et allant à

leur rencontre : Comme c’est aimable à vous d’être venus ! Couvrez-vous, je vous en prie !

Monsieur et Madame Grabuge se couvrent. Madame Grabuge va s'asseoir sur une table.

MADAME DE SAINT-ICI-BAS, faisant les présentations : Monsieur Grabuge, notre poète national... L’Amiral Sépulcre.

L’AMIRAL ET MONSIEUR GRABUGE, allant l'un vers l'autre et se serrant mutuellement le bout du nez : Enchanté, Monsieur !... Très honoré, Amiral !

MADAME DE SAINT-ICI-BAS, conduisant l'Amiral vers Madame Grabuge : 35

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L’Amiral Sépulcre, Madame Grabuge.L’AMIRAL, sur le ton d'un compliment, après avoir baisé res-

pectueusement le pied droit de Madame Grabuge : J’ai beaucoup entendu parler de vous, Madame, au cours de ma dernière campagne. On sait que votre mari n’a aucun talent et que c’est à vous qu’il le doit. C’est le privilège d’une jolie femme de régner ainsi sur le cœur d’un époux, au point de le priver de toute valeur personnelle.

MONSIEUR GRABUGE, niaisement et en inclinant la tête : Vous êtes un trop aimable amiral !

MADAME DE SAINT-ICI-BAS : L’Amiral est surtout trop modeste. Il feint d’oublier que lui-même, s’il a réussi à perdre la fameuse bataille du golfe San-Pedro, c’était grâce au charme incomparable de son épouse !

L’AMIRAL, poussant un soupir : Il est vrai ! Ce fut un heureux temps !La porte s'ouvre à nouveau. Arrivent

successivement la Baronne Lamproie, Mademoiselle Cargaison et le jeune Sureau. Même jeu que plus haut. Les invités retirent leurs souliers, César les prend, les range, donne des chapeaux aux messieurs et des voiles aux dames.

Pendant ce temps, Monsieur Grabuge sort de sa poche une plume de poulet et chatouille gravement les narines de sa femme et de l’Amiral, jusqu’à ce que ceux-ci éternuent et disent : « Merci beaucoup. »

CÉSAR, annonçant : La Baronne Lamproie !... Mademoiselle Cargaison !... Monsieur Sureau, le jeune !...

MADAME DE SAINT-ICI-BAS, disant un mot d’accueil aimable à chacun, en leur faisant un pied de nez : Ma bonne amie... Mes chers voisins. Mon cher enfant !... Mes chers amis, veuillez vous couvrir !

Les dames vont s’asseoir sur des tables. Les messieurs leur baisent le pied droit, puis se saluent en se serrant mutuellement le bout du nez. Puis les messieurs se placent debout les uns à côté des autres. César leur distribue des cannes ; ils s’appuient dessus, tantôt de la main droite, tantôt de la main gauche. Madame de Saint-lci-Bas s’assied sur une table, au centre.

MADAME DE SAINT-ICI-BAS : Mes chers amis, je vous avais promis que nous tousserions, c’est pourquoi j’ai demandé à Monsieur Grabuge de nous lire un de ses plus mauvais poèmes. Mon cher Grabuge, exécutez-vous (avec esprit), ou plutôt, exécutez-nous !

Tout le monde rit avec distinction.MONSIEUR GRABUGE, s’avançant de quelques pas et sortant un papier

de sa poche : Voici une ode intitulée : Ode de Mer, d’inspiration maritime, comme son nom l’indique : je l’ai écrite un jour où j’étais particulièrement mal disposé : je l’ai donc dédiée à ma femme.

Murmure d’approbation ; Madame Grabuge 36

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paraît flattée, Mademoiselle Cargaison fait entendre un timide toussotement.

MADAME DE SAINT-ICI-BAS : Notre amie, Mademoiselle Cargaison, est impatiente de tousser ! Bravo, ma chère ! Mais prenez patience, dans quelques instants notre poète national vous en donnera l’occasion !MONSIEUR GRABUGE, lisant avec emphaseODE DE MERTous mes aïeux ont couru sur la merAussi loin que je remonte dans ma familleJe retrouve la mer toujours la même merLa mer salée la mer partout la mer à tousC’est pourquoi la mer est ma mèreLa mer est ma grand-mèreLa mer est ma grande sœurLa mer est la sœur de mon oncleet le frère de ma mère et la mère de mon frèreet la grande sœur de mon grand-pèreTous mes aïeux ont couru sur la mer.

MADAME DE SAINT-ICI-BAS : Dieu, que cela est mauvais ! (Elle tousse.) C’est absolument mauvais. (Elle tousse.) Et comme c’est mal écrit, mal composé, ne trouvez-vous pas ?

Elle tousse de plus en plus fort.LES INVITÉS, renchérissant et toussant à qui mieux mieux : C’est affreux ! Cela n’a aucun sens, c’est stupide. J’ai rarement entendu un aussi vilain poème ! Oh ! quelle horreur, quelle merveilleuse déception !

Mademoiselle Cargaison a une quinte de toux si violente que tous s’arrêtent de tousser et se penchent vers elle avec admiration, puis la toux redevient générale. Monsieur Sureau, cependant, donne des signes évidents de malaise ; n’y tenant plus, il s’approche discrètement de César, et lui dit, à voix basse, comme s’il avait honte de sa question :

MONSIEUR SUREAU : Dites-moi, mon ami, où se trouve la... salle à manger ?

CÉSAR, même jeu, désignant la porte de gauche, avec un imperceptible accent de dédain mêlé à de la pitié : Au fond du couloir, et à gauche, Monsieur !

MONSIEUR SUREAU, avec angoisse : Y a-t-il tout ce qu’il faut ?CÉSAR, toujours à voix basse, presque méprisant : Oui, monsieur !MONSIEUR SUREAU : Merci, mon ami !

Il sort rapidement, mais en s’efforçant de ne pas se faire remarquer. César prend sur l’étagère un récipient de chirurgie en émail, et passe auprès de chaque invité.

CÉSAR, se penchant cérémonieusement : Crachez, je vous prie, crachez, je vous prie, merci ! Crachez, je vous prie, crachez, je vous prie, merci bien !

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Les invités crachent avec délicatesse dans le récipient.

MADAME GRABUGE, se penchant vers sa voisine, la Baronne Lamproie : C’est une des réceptions les plus merveilleuses auxquelles il m’ait été donné d’assister. Quel style, quelle élégance en tout !

LA BARONNE : En effet, c’est un des salons où l’on tousse et crache le mieux du monde. (S'adressant à Madame de Saint-lci-Bas.) Chère amie, avez-vous assisté au concert de la Société Harmonique ?

MADAME DE SAINT-ICI-BAS : Certes ! Ce fut une soirée inoubliable, quel succès ! Il a été absolument impossible d’entendre quoi que ce soit, tant le public manifestait son admiration !

L’AMIRAL : On n’avait jamais vu chose pareille, depuis ce fameux récital de piano où le pianiste a dû cesser complètement de jouer. Lorsque, éperdu de reconnaissance et d’émotion, ce virtuose incomparable s’est enfui dans la coulisse, l’enthousiasme a pris les proportions du délire : le public a escaladé la scène en un clin d’œil, et a littéralement pulvérisé le piano ; c’était à qui emporterait, en souvenir, une touche d’ivoire, une corde, une pédale. J’ai un ami qui a eu la fierté de rapporter trois touches blanches et deux noires !

MADAME GRABUGE, avec niaiserie : C’est la preuve d’une grande passion pour la musique !

Monsieur Sureau revient en se tapotant la bouche avec son mouchoir et se glisse discrètement auprès de Mademoiselle Cargaison.

MADEMOISELLE CARGAISON, bas à Monsieur Sureau : Étiez-vous souffrant, jeune homme ?

MONSIEUR SUREAU, bas : Oh ! une petite fringale, simplement !Mademoiselle Cargaison tousse d’un air gêné.

MADAME DE SAINT-ICI-BAS, faisant un signe à César : César, je vous prie, faites passer le plateau !

César passe un plateau couvert de petits sifflets munis de ballons de baudruche dégonflés.

CÉSAR, à mi-voix, se penchant respectueusement : Une baudruche, Madame la Baronne ? Une baudruche, Amiral ? Une baudruche, monsieur ? Une baudruche, mademoiselle ?

Suivant les cas, les uns répondent : « Oui merci, volontiers », ou « Non merci, je ne souffle pas ». Ceux qui ont accepté se met-tent aussitôt à souffler dans le sifflet de manière à gonfler la baudruche, avec autant de naturel que lorsque nous allumons une cigarette.

LA BARONNE LAMPROIE : Mais vous nous gâtez, chère amie !L’AMIRAL : Il y a longtemps que je n’avais pas soufflé avec autant de plaisir !MADAME GRABUGE : Ces baudruches sont délicieuses ? Où les trouvez-

vous ?MADAME DE SAINT-ICI-BAS : Je les fais venir de la montagne : un petit

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artisan qui ne travaille que pour nous !MONSIEUR GRABUGE, soufflant dans une baudruche qui gonfle à

merveille : Regardez comme celle-ci est belle ! On dirait une baudruche de mariage ou de baptême !

MADAME GRABUGE, toujours aussi niaise : C’est une bien grande preuve d’amitié que ces baudruches !

MADAME DE SAINT-ICI-BAS : Vous êtes trop bonne, chère amie ! Hélas, depuis la mort de mon mari, j’ai complètement renoncé à souffler !

LA BARONNE : Pauvre chère amie ! Cela doit vous manquer terriblement ! Comme je vous plains ! Pour moi je ne saurais m’en passer. Je souffle même en voyage !

MONSIEUR GRABUGE, à Madame de Saint-lci-Bas : Permettez-moi au moins de vous plumer !

MADAME DE SAINT-ICI-BAS : Volontiers, cher poète !MONSIEUR GRABUGE, sortant de sa poche la même plume qu'au début,

s'approche de Madame de Saint-lci-Bas et lui chatouille les narines, jusqu'à ce qu'elle éternue : Voici, cela ne vaut certes pas une bonne baudruche !

MADAME DE SAINT-ICI-BAS : Vous avez une plume d’une délicatesse ! Est-ce avec celle-ci que vous écrivez ?

MONSIEUR GRABUGE : Non, ceci est ma plume de cérémonie !MADAME DE SAINT-ICI-BAS, après avoir éternué : Merci !... Et

maintenant, si nous faisions un peu de gymnastique !LA BARONNE, cessant de souffler : Voilà une excellente idée ! Oserai-je

dire que j’attendais impatiemment cette proposition !MADAME GRABUGE : C’est une bien grande preuve de santé que la

gymnastique !MADAME DE SAINT-ICI-BAS : Chers amis, veuillez ôter vos coiffures, je

vous prie ! Nous commençons à l’instant ! (Les messieurs retirent leurs chapeaux, les dames retirent leurs voiles, César prend les coiffures et les range sur l'étagère.) J’espère que notre cher Amiral consentira à diriger les mouvements de notre petite escadre !

L’AMIRAL : Le plus volontiers du monde, chère amie ! César, apportez-moi le gong ! (César prend sur l'étagère un gong et un maillet et les donne à l’Amiral.) Mesdames et messieurs, êtes-vous prêts ? Bon ! Alors nous commençons. Une ; deux ; une deux, une deux, pliez les genoux, relevez- vous, le bras droit étendu, le bras gauche, le bras droit, baissez la tête, bien ! Assis ! Debout ! Assis ! Debout ! Assis ! Debout !

Il ponctue ses commandements de coups de gong. On entend dans la coulisse une musique analogue à celle des émissions radiophoniques de culture physique.

MONSIEUR SUREAU, tout en prenant part à l'exercice commun : Que pensez-vous... de la situation politique ?

Les Invités répondent d'une voix entrecou-pée, tout en continuant leurs exercices.

LA BARONNE, essoufflée : Je pense... que le gouvernement... va tomber... ce soir... et sera remplacé par un autre... demain !

MADAME GRABUGE : C’est... une bien grande preuve de 39

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gouvernement... que de tomber !LA BARONNE : Avez-vous lu... le dernier livre... de Motus ?MONSIEUR GRABUGE : Je pense que c’est un livre qui vient... à point.MADAME DE SAINT-ICI-BAS : Que voulez-vous dire ?MONSIEUR GRABUGE : Il vient à point... pour nous faire oublier... les

précédents !MADAME GRABUGE : C’est une bien grande preuve... d’amour pour la

littérature... que d’oublier ce qu’on a lu !L’AMIRAL, très essoufflé lui-même : Je crois que la Baronne commence à

s’essouffler. Permettez-moi de mettre fin à cette merveilleuse séance qui, hélas ! n’est plus de mon âge !

MADAME GRABUGE : Moi, j’aurais continué ainsi des heures !MADAME DE SAINT-ICI-BAS : Je serais désolée de vous avoir fatigué,

Amiral ! Mais comment concevoir une réception sans gymnastique !Elle fait un signe à César qui rapporte à

chaque invité sa coiffureLES INVITÉS : C’était exquis et tellement distingué ! On se serait cru à la

Cour ! C’est le plus beau jeu de société que l’on ait inventé.MONSIEUR GRABUGE, s’adressant à sa femme : Ma chère amie, il se fait

tard ! Je crois qu’il serait temps de mettre notre amie à la porte !LES INVITÉS : Oui, oui, il est temps ! Nous ne voulons pas abuser ! Cette

réception était si réussie ! À la porte ! À la porte ! À la porte !MADAME DE SAINT-ICI-BAS, engageante : C’est entendu, mais avant que

je m’en aille, vous accepterez bien, n’est-ce pas, de donner quelque chose ?

LES INVITÉS, à qui mieux mieux : Mais bien sûr, ma chère amie ! Mais comment donc ! Mais je vous en prie !

MADAME DE SAINT-ICI-BAS, faisant signe à César : César, veuillez prendre les souvenirs, je vous prie !

CÉSAR, apportant un plateau vide et s'inclinant devant chaque invité : Pour la pauvre mère de Madame, pour la pauvre mère de Madame, pour la pauvre mère de Madame !

Les Invités déposent sur le plateau, qui une montre en or, qui une bague, qui un collier, un stylo, un mouchoir brodé, un billet de banque...

LA BARONNE, déposant ses boucles d'oreilles : Vraiment, comme nous vous remercions, chère amie, de toutes vos charmantes attentions !

L’AMIRAL : Je ne veux pas vous laisser partir, chère amie, sans vous dire combien j’ai été charmé de votre accueil ! Je pense d’ailleurs être l’interprète de tous vos invités, qui se feront un plaisir de dormir ce soir chez vous, pendant que vous serez dehors. Nous souhaitons tous qu’une pluie rafraîchissante vous permette de passer une nuit agréable sur le seuil de votre maison !

MADAME DE SAINT-ICI-BAS, très touchée : On ne peut être plus galant ! Merci et à très bientôt !

Elle s'éloigne.CÉSAR, prenant sur l'étagère des oreillers et des couvertures et les

distribuant : Oreillers ! Couvertures !... Oreillers ! Couvertures !... 40

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Oreillers !... Couvertures !...Les Invités se couchent par terre, en

bâillant bruyamment.

RIDEAU

Le voyage : une expérience centrée sur les sens

Cette activité (par étapes ― nécessité d’une progressivité dans la difficulté ―) sera menée exclusivement à partir de l’ouvrage La maison de l'aube de N. Scott Momaday.

→ Amener les élèves à être sensible à une prose qui peut s’apparenter à un poème en prose (du fait notamment de l’importance des images, des figures de style…) ; objectif : découvrir intuitivement comment le poétique peut parcourir l’écriture romanesque.

a. Lire le prologue de ce roman aux élèves (compréhension orale). Questionnement découlant de la lecture : Qu’est-ce qui renvoie à l’étranger/l’étrangeté/le lointain ? Les éléments que les élèves mettront en avant, avec leurs propres mots / souvenirs de ce qui a été lu, apparaissent en gras.

Dypaloh. Il y avait une maison faite d’aube. Une maison faite de pollen et de pluie, dans un pays si ancien qu’on le disait immortel. Les collines étaient multicolores et la plaine resplendissait d’argiles et de sables bariolés. Des chevaux rouges, bleus et mouchetés, paissaient dans la plaine, devant la sombre immen-sité sauvage des montagnes. C’était un pays rude et tranquille. Tout y était beau.

Abel courait. Il était seul et il courait. Tout d’abord, il avait couru avec lourdeur et difficulté, puis avec aisance. La route décrivait une courbe devant lui et s’élevait dans le lointain. Le village, il ne le voyait pas. La vallée était grise de pluie et la neige recouvrait les dunes. C’était l’aube. La première lueur avait pénétré la brume, mais elle était demeurée imprécise, puis le soleil était apparu sous la forme d’un grand éclat jaune qui avait transpercé les nuages. La route côtoyait des buissons de genièvre et de bouteloue, et sous la fine croûte blanche, il voyait affleurer des souches noires et distordues. La glace luisait, reluisait. Il courait, il courait. Il voyait les chevaux dans les champs et, plus bas, les méandres de la rivière.

Pendant un instant, le soleil fut entièrement caché par les nuages ; une éclipse se forma et une ombre palpable vint obscurcir le pays. Et Abel courait. Il était torse nu, ses bras et ses épaules avaient été recouverts de signes tracés avec du charbon de bois et des cendres. La pluie tombait sur lui, oblique et froide, laissant des marbrures

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et des zébrures sur sa peau. La route tournait toujours et se perdait au loin sous le banc de pluie. Et Abel courait. Sa silhouette se découpait sur le ciel hivernal et sur le paysage clair, étiré, de la vallée à l’aube ; il paraissait presque immobile, minuscule et seul.

b. Amener les élèves à prendre conscience, suivant la logique la plus élémentaire, de l’importance des sens, dans notre rapport au monde. Leur demander de compléter le texte suivant, en faisant appel à la logique, et ― pour plus d’immédiateté ― sans renier la présence de l’oralité (registre de langue particulier)

Il faisait tellement froid quand je suis entré que j’ai tout de suite ……………………..………………… ma chemise humide et que j’ai …………..………………………… le radiateur. J’avais peur que la chaudière …………………………………………., mais très vite, les tuyaux ont commencé à faire du bruit, et il y a eu un peu de chaleur. J’ai posé ……………………………….……….. sur le radiateur et j’ai pas tardé à sentir ……………………………….…….…. La chemise a vite été …………………………………………. et j’ai eu peur qu’elle …………………..…………………, alors je l’ai remise sur moi. Elle était ……………………………..……..…. et ça m’a fait du bien. Au bout d’un moment, il a commencé à faire chaud, et j’ai dû …………………………………….. le radiateur. C’est drôle, le ……………………………….…… que peuvent faire ces tuyaux. On peut les entendre dans tout l’immeuble, surtout quand il y a personne.

(N. Scott Momaday, La maison de l'aube)

→ Corrigé :

Il faisait tellement froid quand je suis entré que j’ai tout de suite enlevé ma chemise humide et que j’ai allumé le radiateur. J’avais peur que la chaudière soit pas en marche, mais très vite, les tuyaux ont commencé à faire du bruit, et il y a eu un peu de chaleur. J’ai posé ma chemise sur le radiateur et j’ai pas tardé à sentir l’odeur de la laine. La chemise a vite été presque sèche et j’ai eu peur qu’elle brûle, alors je l’ai remise sur moi. Elle était toute chaude et ça m’a fait du bien. Au bout d’un moment, il a commencé à faire chaud, et j’ai dû arrêter le radiateur. C’est drôle, le boucan que peuvent faire ces tuyaux. On peut les entendre dans tout l’immeuble, surtout quand il y a personne.

(N. Scott Momaday, La maison de l'aube)

c. Amener les élèves à repérer dans l’extrait suivant (qui devra être annoté par le professeur) tout ce qui concerne les sens puis à ajouter des éléments permettant d’affiner la description relative à ces sens (activité à réaliser en salle informatique : fournir aux élèves le texte directement au format Word, et pas sur support papier).

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→ En préambule, question : quel élément dans le texte peut renvoyer au lointain ? →

le canyon ; faire rappeler aux élèves les cinq sens et les noter au tableau (en

leur précisant que tous les sens ne sont pas convoqués dans l’extrait qu’ils devront « améliorer ») :

- L’ouïe nous permet d’entendre ; les organes de l’ouïe sont les oreilles.

- La vue nous permet de voir ; les organes de la vue sont les yeux. - L’odorat nous permet de sentir ; l’organe de l’odorat est le nez. - Le goût nous permet de goûter ; l’organe du goût est la langue. - Le toucher nous permet de toucher ; les organes du toucher sont les

doigts. Amener les élèves, même succinctement, à prendre conscience du

fait que nos sens peuvent être affinés, développés, « musclés »…, comme en témoigne par exemple, pour ce qui est de l’odorat, le parfumeur Jean-Claude Ellena : « Je ne connais rien qui n’a pas d’odeur. Apprenti, j’appris non seulement à faire la distinction olfactive entre une concrète de jasmin en provenance d’Égypte, d’Italie ou de Grasse, mais à retrouver dans quel évaporateur l’absolue était obtenu : celui en cuivre, en étain, en inox, ou dans un ballon de verre. Ce dernier travail de différenciation était tellement fin qu’il nécessitait que l’examen soit comparatif. J’appris, avec le temps, l’odeur ronde obtenue dans le cuivre, l’odeur élégante produite par l’étain, l’odeur métallique occasionnée par l’inox et l’odeur fade générée par le verre. Ces exemples montrent qu’un nez un peu entraîné n’a pas de difficulté pour discriminer des odeurs. » (Le parfum, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?, 2012)

Une fois, elle avait vu un animal qui lapait de l’eau, un blaireau ou un ours. Elle aurait eu envie de toucher un ours. Elle sortit de la maison et alla s’asseoir sur les marches en pierre du porche. Il était là, dominant le tas de bois. Des ombres découpaient le canyon. Les pieds d’Angela étaient nus dans des mules, ses bras et ses jambes découverts. Un vent froid se leva. L’homme planta la hache sur le billot d’un coup sec et s’avança vers elle.

— Il y a de la gomme dedans, dit-il enfin. Ça mettra longtemps à brûler. Elle se trouvait enveloppée de lumière. Elle s’agenouilla pour ramasser

quelques rondins qu’elle tint au creux de son bras. En se relevant, elle toucha par inadvertance le manche de la hache profondément fichée dans le billot. Sous ses pieds, parmi les pierres et les herbes sombres, des copeaux jonchaient le sol. Le long pourtour du canyon se détachait sur le ciel. Elle resta debout, se rappelant la violence sacramentelle dont le bois avait été victime. L’un des bas plateaux, maintenant invisible au-dessus d’elle, avait jadis été la proie des flammes ; pendant la journée, elle avait pu voir se dresser les arbres morts. Elle imagina le feu dévorant qui avait

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dû s’élancer sur eux, les écorchant, brûlant leur douce gomme ambrée, craquelant leur chair fibreuse, les transformant enfin en charbon et en cendres.

Elle rentra le bois et le déposa dans l’âtre. Le feu prit si lentement qu’en dépit d’une attention soutenue, elle ne put surprendre l’embrasement. Alors, elle observa les flammes.

(D’après N. Scott Momaday, La maison de l'aube, trad. de l'anglais par Daniel Bismuth)

→ Corrigé (tous les éléments ajoutés ont été mis en gras), mais le professeur privilégiera un corrigé élaboré collectivement par la classe, au moyen de modifications successives dues aux remarques constructives des uns et des autres :

Une fois, elle avait vu un animal qui lapait de l’eau, un blaireau ou un ours. Elle aurait eu envie de toucher le doux museau d’un ours, ses petites lèvres noires, sa grosse tête plate. Elle aurait eu envie de caresser sa truffe noire et humide, de retenir pour un instant dans sa paume le souffle chaud de la vie. Elle sortit de la maison et alla s’asseoir sur les marches en pierre du porche. Il était là, dominant le tas de bois. Des ombres découpaient le canyon. Les derniers rayons du soleil avaient atteint le bord du canyon au-dessus des vergers, et maintenant ils embrasaient les parois. Un oiseau-mouche voletait d’un rosier à l’autre, tandis que le crépuscule s’étendait sur le verger en tachant les feuillages. Les pieds d’Angela étaient nus dans des mules, ses bras et ses jambes découverts. Un vent froid se leva, mais elle y fut insensible ; elle se sentait entourée d’une chaleur vague. Il planta la hache sur le billot d’un coup sec et s’avança vers elle. La hache résonnait en elle, produisant un bruit creux et lancinant dont l’origine se perdait.

— Il y a de la gomme dedans, dit-il enfin. Ça mettra longtemps à brûler. Elle se trouvait enveloppée de la douce lumière jaune qui, reflétée

par les vitres, éclairait le sol et le tas de bois. Elle s’agenouilla pour ramasser quelques rondins durs et froids qu’elle tint au creux de son bras. À chaque extrémité, les rondins présentaient des arêtes vives et des fissures si nettes qu’elles semblaient avoir été dessinées au crayon ; ils sentaient la résine. En se relevant, elle toucha par inadvertance le manche glacé de la hache profondément fichée dans le billot. Sous ses pieds, parmi les pierres et les herbes sombres, des copeaux jonchaient le sol. Le long pourtour noir du canyon se détachait sur le ciel sombre et silencieux. Elle resta debout, se rappelant la violence sacramentelle dont le bois avait été victime. Le vent froid, auquel elle avait été jusque-là insensible, mordit son visage, accentuant l’impression de violence qui l’habitait. L’un des bas plateaux, maintenant invisible au-dessus d’elle, avait jadis été la proie des flammes ; pendant la journée, elle avait pu voir se dresser les noires épines dorsales des arbres morts. Frissonnant presque, elle imagina le feu dévorant qui avait dû s’élancer sur eux, les écorchant, brûlant leur

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douce gomme ambrée, craquelant leur chair fibreuse, les transformant enfin en charbon et en cendres.

Elle rentra le bois et, en le déposant dans l’âtre, sentit le soulagement de n’avoir plus à marcher avec un poids et de n’être plus la proie du vent. Le feu prit si lentement qu’en dépit d’une attention soutenue, elle ne put surprendre l’embrasement. Alors, elle observa les flammes jaunes et blanches s’enrouler autour du bois sans jamais sembler en atteindre le centre vital. Elle les observait avec une attention grandissante mais dut reculer un peu, tant la chaleur était vive.

(D’après N. Scott Momaday, La maison de l'aube, trad. de l'anglais par Daniel Bismuth)

Réflexion consécutive à la réécriture : En quoi peut-on considérer que cette langue est poétique ? Est-ce vrai également du prologue (du roman) dont vous avez eu connaissance ? Pourquoi ?

→ Activités finales :

Écriture créative à partir d’un extrait du film Gerry de Gus Van Sant (2002) : de 1 heure 18 minutes 57 secondes à 1 heure 27 minutes 28 secondes (= marche éprouvante, jusqu’au lever du soleil). Vous devez décrire ce que vous voyez (au présent), en mettant l’accent sur ce que les personnages perçoivent du monde hostile qui les entoure, selon vous. Vous pouvez bien sûr également décrire leurs émotions (= ce qu’ils éprouvent/ressentent) mais vous devez surtout vous concentrer sur leurs sens (= sur ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent ― selon vous ― etc.). Attention : Vous devez convoquer au moins trois des cinq sens. Rappel : les cinq sens sont la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher (vous pouvez, si vous le souhaitez, barrer deux sens dans cette liste).

Velter écrit dans La traversée du Tsangpo : « En 1987,

volontairement ou par mégarde (je ne me souviens plus), j’ai laissé tourner un magnétophone le temps de la traversée. […] » Imaginer les sons qu’il a pu enregistrer (éclats de voix, bruit du moteur, cris d’animaux, bruit des ustensiles s’entrechoquant, bris de conversations etc.) Rappel : « Le passage s’effectue dans une barque à moteur où s’entassent pèlerins et villageois, animaux et ustensiles de toutes sortes. » Quelles sensations naissent de ce maelstrom de sons plus ou moins discrets ? Fermer les yeux et essayer d’entendre intérieurement ces sons (chuchotis ou clameurs, sons intelligibles ou non). Puis décrire (au brouillon) la scène qui s’est construite à l’intérieur de soi.

Activité à prolonger ainsi par exemple : concevoir la bande-son de cette traversée et lire un poème par-dessus.

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Choisissez le poème de Velter que vous voulez lire (in La traversée du Tsangpo). Pour restituer au mieux ce qu’a vécu Velter et ce qu’il a pu éprouver lors de cette traversée, vous devrez accompagner votre lecture d’une bande-son (celle de la traversée) que vous aurez conçue vous-même. Méthode : a. Enregistrement par l’élève (au format MP3 sur un téléphone

portable ou un ordinateur équipé d’un micro) de bruitages effectués par lui-même (et/ou par ses proches) avec le bruit du vent, la langue tibétaine ou encore des cris d’animaux en arrière-fond sonore (l’élève trouvera sans difficulté ces « ambiances sonores » par l’intermédiaire de YouTube).

b. Enregistrement par l’élève au format MP3 du poème qu’il a choisi. Écoute en notant au brouillon ce qui peut être amélioré puis réenregistrement, en tenant compte des remarques faites par l’élève lui-même (il doit notamment penser à ne pas lire trop vite…)

c. Dans Audacity, ouverture par l’élève des fichiers MP3 de sa lecture et de sa bande son. L’élève doit sélectionner les deux pistes en tapant simultanément sur les touches Ctrl et A ; ― cliquer sur Fichier > Exporter > Enregistrer. Dans la fenêtre qui indique que tous les sons formeront un seul fichier MP3, cliquer sur le bouton « Oui ». La lecture augmentée d’une bande-son est prête.

Aller plus loin :

Isolez un souvenir de voyage, qui ait trait à l’un des cinq sens (il ne s’agit pas forcément d’un voyage en prise avec le lointain).

- Si ce sens est la vue, vous devrez décrire ce souvenir précisément, à l’attention d’une personne atteinte de cécité (celui qui ne voit pas est aveugle, il est atteint de cécité).

- Si ce sens est l’ouïe, vous devrez décrire ce souvenir précisément, à l’attention d’une personne atteinte de surdité (celui qui n'entend pas est sourd, il est atteint de surdité).

- Si ce sens est le goût, vous devrez décrire ce souvenir précisément, à l’attention d’une personne atteinte d'agueusie (celui qui n'a plus de goût est atteint d'agueusie).

- Si ce sens est le toucher, vous devrez décrire ce souvenir précisément, à l’attention d’une personne atteinte d’insensibilité (celui qui ne peut pas toucher est atteint d'insensibilité).

- Si ce sens est l’odorat, vous devrez décrire ce souvenir précisément, à l’attention d’une personne atteinte d'anosmie (celui qui ne sent pas est atteint d'anosmie).→ Comment vous y prendriez-vous ? Travail au brouillon. Objectif : en voulant communiquer leur rapport au monde (fondé à chaque fois sur un seul sens, pour plus de facilité), les élèves, sans le savoir, approfondissent cedit rapport. En se voulant passeurs, ils sont amenés à éprouver plus pleinement, plus profondément leur

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lien au monde (et à prendre conscience de la richesse de ce lien, qui tient à ce qui est donné, et non à ce qui est dû).

Atelier senteurs : Écrivez un poème en prose ou en vers libres sur un lieu lointain, réel ou imaginaire, qui vous est « confié » (qui est évoqué / éveillé…) par l’odeur que vous avez sous le nez. (Pensez à fermer les yeux pour être entièrement focalisé sur votre odorat.)Ce qui peut être communiqué aux élèves (sous la responsabilité du professeur) : le cuir, les aiguilles de pin, le bois de santal, la gousse de vanille, le bâton de réglisse, le poivre, la cannelle, la pâte à modeler, une bougie qu’on vient d’éteindre, la cire d’abeille, le cirage en pot, le tilleul, l’écorce de citron, l’écorce d’orange, le café, le thé à la menthe, le thé à l’orange, le thé aux épices, la colle Cléopâtre (non toxique), l’ambre, le savon de Marseille, la lavande, la feuille de tomate, l’encens, le romarin, les clous de girofle, le thym, l’origan, le laurier, la sauge, le basilic, le géranium citronnelle, la citronnelle, les huiles essentielles (eucalyptus…), le camphre etc. → Liste à compléter en se fournissant, pour ce qui est de Paris, dans les deux quartiers indiens (ou en y emmenant les élèves), par exemple.

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Le voyage / l’inconnu au sein du connu / du quotidien ?

1 (en ouverture). Travail (par étapes) à partir de la série de poèmes ― présente ci-dessous ― intitulée « Janvier zéro », de Ray DiPalma (in 49 + 1 nouveaux poètes américains, choisis par Emmanuel Hocquard et Claude Royet-Jounoud, Action poétique, collection Un bureau sur l’Atlantique, 1991).

a. Interroger les élèves sur le sens du titre. Lister au tableau toutes les propositions. Une série de poèmes ? Lister les problèmes que pose (aux élèves) cette appellation.

b. Amélioration des poèmes (travail par petits groupes, chaque groupe prenant à sa charge un poème). Que peut-on changer pour améliorer les textes ? Les élèves trouveront par eux-mêmes : ajout de connecteurs temporels, de reprises anaphoriques, travail sur la synonymie etc.Lecture des versions initiales suivies des réécritures : quelle version préférez-vous ? Pourquoi ? Pourquoi selon vous l’auteur a-t-il écrit de cette manière-là ?

c. Cette série de poèmes évoque (volontairement) platement un quotidien sans relief1 (réinvestissement du raisonnement initial qui a été poursuivi : sens du titre / problèmes liés à l’appellation « poème », puis questionnement sur les raisons qui ont poussé l’auteur à adopter un style si particulier).Quels changements opérer pour que cette série de poèmes se mette à évoquer un quotidien… dans un pays étranger (pour le narrateur) ? Faites toutes les modifications/ajouts que vous jugerez nécessaires/pertinent(e)s. Travail, là encore, par petits groupes. Puis mise en commun et réflexion orale et collective au sujet des réécritures (en quel pays le narrateur peut-il être ? Qu’est-ce qui nous le montre ? Ces réécritures pourraient-elles a contrario continuer d’évoquer le quotidien du narrateur dans « son » pays ? Si oui, qu’est-ce qui rend alors ― dans les détails qui ont été ajoutés ― ce quotidien enrichi/neuf ?...)

JANVIER ZÉRO (poèmes de Ray DiPalma)

Je prends un verre. Je remplis le verre. Je bois l’eau. Je lave le verre. J’essuie le verre. Je te donne le verre. Je prends une bouteille de lait. Je pose la bouteille sur la table. J’ouvre la bouteille de lait. Je prends un verre propre. Je remplis le verre propre de lait. Je te donne un verre de lait. Je bois un verre de lait.

*

1 Elle peut être mise en relation, par exemple, avec la bande dessinée Jimmy Corrigan de Chris Ware (Delcourt, collection Contrebande, 2003).

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Je vais jusqu’à la porte. Je m’arrête devant la porte. J’ouvre la porte. Je passe la porte. J’entre dans le hall. Je referme la porte. Je vais vers la SORTIE. Je m’arrête devant la SORTIE. J’ouvre la porte. Je sors. J’entre dans le hall. Je referme la porte.

*

Je viens jusqu’à la porte. Je m’arrête devant la porte. J’ouvre la porte. J’entre dans la pièce. Je referme la porte. Je viens jusqu’à l’ENTRÉE. Je m’arrête devant l’ENTRÉE. J’ouvre la porte. J’entre par l’ENTRÉE. J’entre dans la pièce. Je referme la porte.

*

Je marche jusqu’à la fenêtre. J’ouvre la fenêtre. Je regarde dehors. Je ferme la fenêtre. Je marche jusqu’à mon siège. Je m’assois. Je me lève. Je marche jusqu’à la porte. J’ouvre la porte. Je prends la lettre. Je referme la porte. Je marche jusqu’à mon siège et m’assois.

*

Je prends la lettre. J’ouvre l’enveloppe. Je sors la lettre. Je lis la lettre. Je pose la lettre sur le bureau. Je pose l’enveloppe sur le bureau. Je me lève. Je marche jusqu’au bureau. Je prends un livre. J’ouvre le livre. Je regarde une image. Je referme le livre. Je pose le livre sur le bureau. Je marche jusqu’à mon siège et m’assois.

*

Voici mon livre. J’ouvre mon livre. Je tourne les pages. Je regarde les images. Je lis le livre. Je referme le livre. Je pose le livre sur le bureau. Je marche jusqu’à mon siège et m’assois. Il est six heures. Je me réveille. Je sors du lit. Je rejette la couverture. Je ferme les fenêtres. Je me lave le visage et les mains. Je me brosse les dents. Je m’habille. Je brosse et je peigne mes cheveux.

*

Il est six heures et demie. Je prends deux petits pains et du beurre. Je pose les petits pains et le beurre sur une assiette. Je prends deux œufs. Je casse les œufs dans une tasse. Je mets du sel et du poivre sur les œufs. Je prends une tasse de café. Je mets du sucre dans le café. Je mets du lait dans le café. Je prends une petite cuiller. Je remue le sucre dans le café. Je remue le sucre avec la petite cuiller. Je mange un petit pain beurré avec le café. Je mange des œufs et des petits pains au petit déjeuner. Je bois du café au lait au petit déjeuner.

*

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Je prends une miche de pain. Je pose le pain sur la table. Je coupe six tranches de pain. Je beurre chaque tranche de pain. Je mets de l’oignon haché entre deux tranches de pain. Je mets de la viande hachée entre deux tranches de pain. Je mets de la gelée entre deux tranches de pain. Je fais trois sandwiches à l’oignon dans du papier sulfurisé. J’enveloppe le sandwich à la viande dans du papier sulfurisé. J’enveloppe le sandwich à la gelée dans du papier sulfurisé. J’enveloppe un morceau de gâteau dans du papier sulfurisé. Je mets les sandwiches et le gâteau dans mon panier à repas. Je mets deux oranges dans mon panier à repas. Je boucle mon panier à repas.

*

Il est sept heures. Je mets mon manteau et mon chapeau. Je prends mon panier à repas. Je dis : « au revoir. » Je marche jusqu'au tramway. J’attends que le tram s’arrête. Je monte dans le tramway. Je paie ma place. Je prends le tramway pour aller au travail. Le tramway s’arrête. Je descends. Je marche jusqu’à l’ENTRÉE. J’entre par l’ENTRÉE. Je vais au vestiaire. J’ôte mon manteau et mon chapeau. Je mets mon panier à repas dans mon armoire. J’accroche mon manteau et mon chapeau dans mon armoire.

*

Il est sept heures et demie. J’entre dans la salle de travail. Je dis « bonjour » à tout le monde. Je vais à ma place. Je me mets au travail. Je suis un travailleur. Je travaille jusqu’à midi. Il est midi. J’arrête de travailler. Je me lave les mains. Je vais à mon armoire. Je sors mon panier à repas. Je vais à la salle à manger. Je m’assois près d’une fenêtre. J’ouvre mon panier. Je mange les sandwiches, le gâteau et les fruits. Je bois du café au déjeuner.

*Il est midi et demie. Je range mon panier dans mon armoire. Je sors dans la rue. Je fais un tour et j’écoute. Je reviens et regagne la salle de travail. Je travaille jusqu’à cinq heures. Il est cinq heures. J’arrête mon travail. Je me lave le visage et les mains. Je me brosse les cheveux. Je mets mon chapeau et mon manteau. Je prends mon panier à repas. Je dis « au revoir » à tout le monde. Je marche vers la SORTIE. Je prends la SORTIE. Je marche jusqu’au tramway. Je rentre chez moi en tramway.

*

Je prends un bol de soupe de légumes. Je prends du pain et du beurre. Je mange le pain beurré avec la soupe. Je prends une pêche et une poire. Je mange les fruits. Je bois une tasse de café. Je plie ma serviette. Je mets ma serviette à ma place. Il est huit heures moins le quart. J’entre dans ma chambre. Je regarde mon bon manteau. Je vois que le manteau est déchiré. Je mets mon vieux manteau et mon chapeau. Je plie mon bon manteau sur

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mon bras. Je vais chez le tailleur. Je lui donne mon bon manteau. Je lui montre mon manteau déchiré. Je dis « Raccommodez mon manteau, je vous prie. Je le veux samedi soir. Combien cela coûtera-t-il ? »

2. Le voyage / l’inconnu au sein du connu / du quotidien ?

a. Question préliminaire : Comment faire, si l’on veut voyager/aller vers l’inconnu tout en restant dans sa propre ville ?Premières réponses souvent : en allant sur Internet, en regardant la télé…Affiner : Est-ce possible réellement, sans faire appel au virtuel ?Certains répondront oui, d’autres non. Approfondir les « oui » : restaurants « exotiques » etc.→ Pour ce qui est de Paris par exemple, se reporter à une section du guide Paris dans la collection Encyclopédies du Voyage chez Gallimard (p. 449 et suivantes) : « Ailleurs à Paris : l’Europe ; l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient ; l’Afrique et les Antilles ; l’Extrême-Orient ; l’Inde, le Pakistan et le Sri Lanka. ».

b. Travail à partir du poème « L’invitation au voyage » de Jacques Roubaud1, présent ci-dessous, et extrait du recueil La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains, cent cinquante poèmes : 1991-1998.

→ Travail sur l’intertextualité, mené oralement et collectivement (les questions ne doivent nullement être communiquées aux élèves, mais doivent venir d’eux ― autant que faire se peut ―, de leur tâtonnement, de leur audace interprétative…) : comprendre que les poètes, même si la forme qu’ils inventent est novatrice, dialoguent avec le passé, et s’inspirent de poètes par eux aimés (pour eux fondateurs).

- Concentrez-vous sur le titre du poème de Roubaud. À quel autre poème vous fait-il penser ? [Voir l’annexe 2.]

- Repérez les éléments que Roubaud a empruntés au poème de Baudelaire [cf. l’annexe 2, où ils ont été mis en gras].

- Que pouvez-vous remarquer à propos de la forme du poème de Baudelaire et de celle du texte de Roubaud ? Ces deux formes ont-elles un lien ? Si oui, pourquoi selon vous ?

- Que pouvez-vous dire de la structure dialoguée présente dans le poème de Roubaud ? Quel sens a ce dialogue selon-vous ? Roubaud s’est-il, là encore, inspiré de Baudelaire ?...

→ Amener les élèves à être acteurs de leur ville, et à renouveler leur quotidien en écoutant autrement les noms auxquels jusque-là ils ne prêtaient guère attention (objectif : percevoir combien les noms qui nous entourent sont source d’étrangeté/de beauté, renvoient à des réalités, et peuvent résonner en nous).

Cette activité sera idéalement menée en partenariat avec les professeurs d’histoire-géographie et d’arts plastiques.

1 Ce poème peut également être étudié avec une classe de quatrième, dans le cadre d’une séquence / d’un Épi sur la ville.

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(Consigne complexe devant être reformulée plusieurs fois, et adaptée, dans ces reformulations, non au niveau général de la classe, car il n’existe pas de niveau général pour une classe, mais en fonction des groupes de niveau que le professeur a identifiés ― segmenter le groupe classe de telle sorte qu’apparaissent des groupes de niveau1.) Choisissez, dans votre ville, un lieu (un arrêt de bus, de tram, une station de métro, de RER etc.) qui porte le nom d’une ville étrangère, ou, plus généralement, d’un endroit lointain. Rejoignez, au sein de votre ville, ce lieu, et étudiez sa configuration. En tenant compte de cette configuration, imaginez une exposition qui pourrait s’y tenir et qui porterait sur le lieu étranger qui s’y rapporte, de par le nom. Qu’imagineriez-vous dans cette exposition ? (Cartes, photos, vidéos, dessins, peintures, objets sous plastique, installation etc.) Un concours est ouvert et seuls certains projets d’exposition seront retenus. Si le vôtre l’est, vous serez le commissaire de l’exposition que vous aurez imaginée. En conséquence, vous devrez défendre devant la classe (qui sera amenée à voter) votre projet ; vous tâcherez de vous montrer convaincant. Ce projet, vous le présenterez oralement, de la façon la plus claire et la plus vivante possible, en prenant comme support une feuille A3 sur laquelle vous aurez rappelé schématiquement (en recourant notamment au dessin) ses grandes lignes / ses grands axes. L’élève pourra également présenter une maquette, qu’il aura construite, en collaboration avec le professeur d’arts plastiques.

L’INVITATION AU VOYAGE

À m. b.

― Songez à la douceurd'aller là-bas, d'aller

à Abbeville

à Aboukir, à Ajaccio,

à Alençon, à Alésia, à Alexandrie,

à Alger, dans les Alpes, l’Alsace-Lorraine, l'Amérique latine, Amsterdam,Angoulême, l'Anjou, Anvers, les Apennins, l’Aquitaine, à Arcole, à

Arcueil, dans les Ardennes, à Argenteuil, de visiterl’Argentine, l’Artois, Athènes, l’Atlas, Aubervilliers, l'Aude, les Aurès,

Austerlitz, Auteuil, l’Auvergne, l’Aveyron,Babylone, Barcelone, le Béarn, le Beaujolais, Beaune, Belfort, Belzunce,― Belzunce ?― Oui, BelzunceBergame, Berne, Béthune, la Bidassoa,

1 Et, bien évidemment, ces considérations ne sont pas valables pour cette seule activité. 52

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Là, tout n'est qu'ordre et beauté Luxe calme et volupté

Ah la douceur d’aller, d’aller là-bas, d’alleren Bigorre, Blaye, Briare, au Brésil, en Bresse, en Bretagne, à Bruxelles,

Bucarest, Budapest, Buenos Aires, Cadix, Cahors, au Caire, au Cambodge, à Cambrai, au Canada, sur la Canebière, à Capri, Casablanca,

Castellane, les Cévennes, à Chablis, Chambéry, Chantilly, en Charente, à Chartres, Châtillon, Cherbourg, Cherche-Midi, Chevreuse, Clairvaux, Clichy,

Clisson, Coëtlogon, Colmar,

voir sur ses canaux dormir ces vaisseaux dont l’humeur est vagabonde

& Compiègne, Copenhague, Corrèze, Corse, Cotentin, Costa Rica, Crédit lyonnais, Crimée, au Croisic, à Cronstadt, au Dahomey, à Dantzig, aux Dardanelles, le Delta

― Quel delta ?

― Dijon, la Dordogne, Douai, Dunkerque,― Dunkerque !― l’Europe, Falaise,& Fécamp, & en Finlande, à Florence, en Franche-Comté, au Gabon, en

Gascogne, & Gâtines, Gênes, Gergovie, Guadeloupe, Guatemala, Guyane, Guyenne, Le Havre, Iéna, Île-de-France, Indochine, Italie, Japon, et le jardin des poètes,

là oùles soleils couchants, revêtent les champs, les canaux, la ville entière d’hyacinthe et d’or― Comme vous dites― La Kabylie, le Labrador, le Laos, le Liban, Liège, Londres, la Lorraine,

Lübeck,Lutèce, Lyon, Mâcon, Madagascar, Maroc, Martinique, Médoc, Meaux,

Metz, Milan, Minervois, Montauban, Montevideo, Nantes, Narbonne, Nemours, New York, Nevers, Nicaragua, Niger, Normandie, Odessa, Oran, Oslo, Padirac, Palestine, Parme, Pékin, Pérou,

Pondichéry, Port-au-Prince, Prague, Presbourg, Provence, Pyrénées, Rambouillet, Reims, Rennes, République dominicaine, République de l’Équateur, Réunion, Rivoli, Romainville, Rome, Roubaix, Rouen, Roussillon, Sahel, Saint-Gervais, Saint-Mandé, Saint-Maur, Saint-Quentin, Saintonge, Savoie, Salonique, Sébastopol, Sénégal, Sfax, Siam,

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Solférino, Soudan, Stockholm ; Strasbourg, Tanger, Téhéran, Thionville, Tombouctou, Transvaal, Turin, Ulm, Uruguay, Uzès, Valenciennes, Valmy, Valois, Vaucluse, Vauvenargues, Vendée, Vendôme, Venise, Venezuela, Versailles, Vézelay, Vienne, Vincennes, Vintimille, Virginie, Vivarais, Wagram,

Washington,

Et tout ça,― Avec l’Orient-Express ?― Nonavec une simple carte orange 2 zones

(Jacques Roubaud, La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains, cent cinquante poèmes : 1991-1998)

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Annexe 2 : Charles Baudelaire, « L’Invitation au voyage » (in « Spleen et Idéal », Les Fleurs du mal, 1857)

Mon enfant, ma sœur,Songe à la douceur

D’aller là-bas vivre ensemble !Aimer à loisir,Aimer et mourir

Au pays qui te ressemble !Les soleils mouillésDe ces ciels brouillés

Pour mon esprit ont les charmesSi mystérieuxDe tes traîtres yeux,

Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,Polis par les ans,

Décoreraient notre chambre ;Les plus rares fleursMêlant leurs odeurs

Aux vagues senteurs de l’ambre,Les riches plafonds,Les miroirs profonds,

La splendeur orientale,Tout y parleraitÀ l’âme en secret

Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canauxDormir ces vaisseaux

Dont l’humeur est vagabonde ;C’est pour assouvirTon moindre désir

Qu’ils viennent du bout du monde.— Les soleils couchantsRevêtent les champs,

Les canaux, la ville entière,D’hyacinthe et d’or ;Le monde s’endort

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Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,Luxe, calme et volupté.

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