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COMME IL EST GRAND, CET UNIVERS ! Je n’ai jamais cessé de m’émerveiller devant la grandeur et la beauté des objets célestes. Prenons, par exemple, une simple photo que j’ai prise dans ma cour, alors que la Lune n’était qu’un mince croissant : C’était vers la fin de l’hiver et le soleil venait de se coucher. Le ciel était encore légèrement bleu et le croissant de lune était tout près de l’horizon. En bon astronome, je savais bien que ce mince croissant est formé par les régions de la lune éclairées par le soleil, ce dernier étant beaucoup plus loin derrière – 400 fois plus loin, en fait. Mais ce qui était remarquable, c’était le reste de la lune, bien visible à l’œil nu. Ce phénomène s’observe bien en février, mars et avril, on l’appelle « la lumière cendrée »; en anglais on dit : « The New Moon with the Old Moon in her Arms : la Nouvelle Lune avec la vieille lune dans ses bras ». Cette partie sombre de la lune n’est pas éclairée par le soleil, c’est notre Terre qui l’éclaire ainsi, par derrière. C’est pourquoi j’aime bien appeler cette image : «le Clair de Terre », car si nous étions sur la

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COMME IL EST GRAND, CET UNIVERS !Je n’ai jamais cessé de m’émerveiller devant la grandeur et la beauté des objets célestes. Prenons, par exemple, une simple photo que j’ai prise dans ma cour, alors que la Lune n’était qu’un mince croissant :

C’était vers la fin de l’hiver et le soleil venait de se coucher. Le ciel était encore légèrement bleu et le croissant de lune était tout près de l’horizon. En bon astronome, je savais bien que ce mince croissant est formé par les régions de la lune éclairées par le soleil, ce dernier étant beaucoup plus loin derrière – 400 fois plus loin, en fait. Mais ce qui était remarquable, c’était le reste de la lune, bien visible à l’œil nu. Ce phénomène s’observe bien en février, mars et avril, on l’appelle « la lumière cendrée »; en anglais on dit : « The New Moon with the Old Moon in her Arms : la Nouvelle Lune avec la vieille lune dans ses bras ». Cette partie sombre de la lune n’est pas éclairée par le soleil, c’est notre Terre qui l’éclaire ainsi, par derrière. C’est pourquoi j’aime bien appeler cette image : «le Clair de Terre », car si nous étions sur la Lune à ce moment-là, nous verrions notre planète briller d’un éclat splendide dans le ciel, environ 40 fois plus intense que celui de la Pleine Lune. Notre planète est plus grosse que la Lune et elle est également plus blanche, avec ses nuages.

J’ai construit un observatoire dans ma cour, un petit cabanon à toit ouvrant abritant un télescope de 30 cm de diamètre. Pourtant je vis en ville, une ville très éclairée – Montréal – et affectée par la pollution lumineuse. Mais il existe maintenant des moyens d’effacer cette pollution sur une photographie, des logiciels permettant d’assombrir le fond du ciel tout en conservant l’image d’une planète ou d’une galaxie. J’aime bien les logiciels Deep Sky Stacker et Registax; je ne peux plus m’en passer. Armé de ces moyens, j’ai décidé de photographier des objets de plus en plus lointains,

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jusqu’aux limites de l’Univers observable. Je vous invite à me suivre dans ce voyage. Nous allons faire de grands pas car c’est le bout du voyage qui m’intéresse.

La Lune étant l’objet le plus rapproché de la Terre, il faut bien commencer par elle. Une de mes amies, sachant que j’étais astronome, m’a surnommé « Roger-la-Lune ». Si elle savait… La Lune est tellement brillante, comparée aux autres objets célestes, que la plupart des astronomes la détestent : ils la considèrent comme une nuisance, une pollution lumineuse car elle nous empêche de voir les nébuleuses et les galaxies.

Cette Lune est située à 384 000 kilomètres de la Terre… mais tout de suite je vais me débarrasser de ces nombres astronomiques pleins de zéros, qui n’éveillent pas l’imagination; je préfère écrire que la Lune est assez éloignée de nous pour que sa lumière mette un certain temps – 1,3 seconde – à nous parvenir. Donc, lorsqu’on la regarde, on voit une lumière qui est déjà « vieille » de 1,3 seconde. Cela ne porte pas à conséquence, mais nous fait réaliser que tout ce qu’on voit à grande distance ne se trouve pas dans le présent mais dans le passé. C’est un peu comme lorsqu’on entend un coup de tonnerre : cela signifie que l’éclair est déjà terminé depuis quelques secondes car le son va moins vite que la lumière. Mais la lumière elle-même ne voyage pas à une vitesse infinie, ce dont il faut tenir compte en astronomie.

Ce retard d’environ une seconde produisait un phénomène amusant, de 1969 à 1972, lorsque les astronautes étaient sur la Lune et parlaient aux gens de la Terre : lorsque les contrôleurs de mission, au Texas, posaient une question à un astronaute, il fallait attendre un certain temps avant que celui-ci réponde. On avait toujours l’impression qu’il pesait soigneusement ses mots avant de parler! C’est que le message mettait 1,3 seconde avant de l’atteindre – les ondes radio vont à la même vitesse que la lumière – et sa réponse mettait également 1,3 seconde à nous parvenir, ce qui produisait un « vide » d’environ 3 secondes dans la conversation. J’étais dans la vingtaine à l’époque et je m’en souviens très bien.

Imaginons maintenant une conversation entre la Terre et la planète Mars; les ondes mettent plusieurs minutes pour atteindre Mars – de 4 à 20 minutes, dépendant de sa position – et tout autant pour le retour. La réponse de l’astronaute se fera donc attendre au moins 8 minutes… En fait toute conversation devient impossible.

Je mentionnais que le Soleil est situé 400 fois plus loin que la Lune, ce qui donne 150 millions de kilomètres, un autre nombre astronomique; mais parlons plutôt de 8 minutes-lumière : la lumière du soleil est déjà âgée de 8 minutes lorsqu’elle nous éclaire.

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Voici une autre photo prise dans ma cour, au foyer de mon télescope. Le soleil était parsemé de points noirs, des « taches solaires ». Ces taches sont des tourbillons magnétiques prenant naissance dans les profondeurs de l’astre et faisant éruption à sa surface. Le magnétisme provoque un léger refroidissement, ce qui fait que les taches sont moins brillantes que la surface environnante et apparaissent comme des points noirs.

Les zones magnétiques solaires ont une autre conséquence, beaucoup plus intéressante : elles agissent comme des canons à particules, projetant de la matière à très grande vitesse dans l’espace. Lorsque ces particules rencontrent la Terre, elles provoquent des aurores boréales dans l’atmosphère terrestre.

Je ne peux pas vous montrer de photos d’aurores prises à Montréal car il faut que la nuit soit très sombre pour les voir, ce qui n’est jamais le cas en ville; mais en voici une très belle prise en Gaspésie par mon ami Gino Audet en 2012.

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La Terre recevait une averse de particules provenant d’une grosse tache solaire. Ces particules – des protons et des électrons – entraient en collision avec les molécules de l’air, provoquant de longs rayons de lumière rouge et verte. Gino semble figé d’admiration devant le phénomène.

Voici maintenant une merveille du système solaire située dix fois plus loin que le Soleil : la planète Saturne et ses anneaux. C’est toujours elle qui vole la vedette lorsqu’on organise des soirées publiques d’observation au télescope, dans les parcs. À l’œil nu, Saturne n’est qu’une grosse étoile dans le ciel mais n’importe quel télescope

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permet d’admirer ses anneaux. Cette photo est le résultat d’un regroupement de plusieurs centaines de poses – une vidéo, en fait – à l’aide du logiciel Registax. Saturne est une grosse planète, environ 9 fois plus large que la Terre (et 800 fois plus volumineuse). Sa lumière met plus d’une heure à nous parvenir.

Mais tout cela n’est rien comparé aux dimensions de l’Univers. Chaque étoile que nous voyons la nuit est en réalité un autre soleil. Par une belle nuit d’été à la campagne, nous pouvons voir jusqu’à trois mille « soleils ». Malheureusement, en ville, les lumières des rues nous éblouissent et nous empêchent de jouir du spectacle; lorsque j’observe la nuit étoilée dans mon ciel urbain et que j’arrive à voir une centaine d’étoiles je me dis : « Ah que la nuit est belle, ce soir! »

Prenons les plus remarquables d’entre elles, le petit groupe appelé les Pléiades, visible en automne et en hiver. C’est à peine plus gros que la lune dans le ciel; on peut y compter à l’œil nu 6 ou 7 étoiles, ce qui leur a valu leur surnom : les Sept sœurs. Mais en fait le groupe, appelé un amas d’étoiles, en comprend plus de mille.

À quelle distance sont ces étoiles? Si la distance de la Lune pouvait s’évaluer en secondes de lumière, c’est-à-dire le temps que met la lumière à voyager, et que la distance du Soleil s’exprime en minutes et celle de Saturne en heures, celle des Pléiades s’évalue en années et même en centaines d’années : elles sont à 410 années-lumière. Cela fait beaucoup de kilomètres, si vous voulez faire le calcul; une année-

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lumière, c’est 9500 milliards de km, et 410 a-l… cela fait à peu près quatre millions de milliards de km!

Je crois que vous commencez à comprendre pourquoi il vaut mieux exprimer les distances astronomiques en années-lumière plutôt qu’en kilomètres; c’est plus parlant.

Mais comment se fait-il que les Pléiades soient groupées ainsi? Dans la Bible, au livre de Job, Dieu s’adresse ainsi au patriarche :

« Est-ce toi qui as noué les liens des Pléiades, ou qui élargiras les chaînes d’Orion? »

Évidemment, on ne connaissait pas les lois de la physique, à cette époque. Nous savons maintenant que les Pléiades n’ont pas besoin de liens pour les unir; elles sont apparues comme ça, en groupe, il y a environ cent millions d’années, à l’ère des dinosaures. Il y avait beaucoup de gaz et de poussière à cet endroit; on appelle de telles régions des nébuleuses sombres. Ces nébuleuses sont généralement assez stables mais parfois, à la suite de l’explosion d’une étoile dans les environs, elles se contractent et s’effondrent sur elles-mêmes. Le gaz et la poussière se trouvent confinés dans un plus petit espace, les particules proches les unes des autres s’attirent par gravité, et on voir apparaître de grosses boules de gaz chaud, à l’intérieur desquelles la pression est suffisante pour provoquer des réactions de fusion nucléaire : une étoile est née, ou plutôt un millier de celles-ci… et voilà les Pléiades!

Bon, après cette diversion je reviens aux distances. Les Pléiades sont sans doute loin de nous mais, à l’échelle de la Galaxie, c’est peu. Cette Galaxie – qui contient toutes les étoiles que nous pouvons voir la nuit, que ce soit à l’œil nu ou au télescope, sans oublier notre Soleil et son système solaire – mesure cent mille années-lumière de largeur; cela veut dire qu’une étoile située à une extrémité devra briller pendant cent mille ans avant que sa lumière parvienne à l’autre extrémité. Si par exemple cette étoile explosait, les gens situés à l’autre bout de la Galaxie ne s’en apercevraient que cent mille ans plus tard.

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Cette grande Galaxie, à quoi ressemble-t-elle? De l’intérieur, c’est la Voie Lactée, une traînée blanche traversant le ciel, visible en été à la campagne; lorsqu’on observe ces régions blanches au télescope, on s’aperçoit qu’elles sont faites de millions d’étoiles. Mais de l’extérieur? Difficile de le savoir, c’est comme vivre dans une maison sans pouvoir en sortir : on connait l’aspect de toutes les maisons du voisinage, sauf la nôtre! Heureusement qu’il y en a, des maisons – je veux dire des galaxies – dans ce voisinage; l’Univers est rempli de galaxies, dont les plus belles sont les grandes spirales. En voici un assortiment : des galaxies spirales vues de face, obliquement, ou de profil.

La première, en haut à gauche, est la grande galaxie d’Andromède, la plus connue et la plus proche de la nôtre; il s’agit d’une vieille photo d’archive datant de plus de 50 ans. Les cinq autres ont été prises de mon observatoire.

Cette fois, les distances sont tellement grandes qu’il n’est plus question de voir de tels objets à l’œil nu, à l’exception de la galaxie d’Andromède, légèrement visible à la campagne; j’ai dû prendre des photos à longue exposition, totalisant plusieurs minutes de pose, en plaçant un appareil-photo au foyer de mon télescope. Imaginez un gros « œil » de 30 cm de largeur, dont la pupille s’ouvre au maximum, et capable d’accumuler la lumière pendant 10 minutes sur sa rétine ultra-sensible; c’est comme ça qu’on peut « voir » une galaxie lointaine.

La belle forme spiralée ou circulaire d’une galaxie ne doit pas nous induire en erreur : ce n’est pas un objet compact; les milliards d’étoiles qui la composent sont aussi distantes les unes des autres que celles de notre propre galaxie. Si nous habitions une planète située dans la galaxie d’Andromède, par exemple, la nuit serait aussi noire que nos nuits terrestres; nous y verrions un ciel étoilé ressemblant au nôtre. Il y a tellement d’espace entre les étoiles qu’on a calculé que deux galaxies pourraient entrer en collision et passer l’une à travers l’autre sans que leurs étoiles respectives se touchent. Donc pas de doute, dans l’espace, il y a… de l’espace!

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Voici maintenant deux galaxies qui sont passées très près l’une de l’autre, en se déformant mutuellement par l’effet de la gravité. Il s’agit de M51, ou galaxie du Tourbillon, nommée ainsi parce qu’elle fut la première à montrer sa forme tourbillonnaire à un astronome, en 1845. On ne savait pas encore que ces spirales se comptent par millions.

Cette galaxie du Tourbillon et sa compagne se trouvent à 30 millions d’années-lumière de nous, c’est-à-dire que la lumière que nous recevons a été émise bien avant l’apparition des premiers humains, ou même des hominidés, sur terre.

L’Univers contient des milliards de galaxies, chacune contenant des milliards d’étoiles. Lorsqu’on réalise que chacune de ces étoiles est semblable au Soleil et qu’il y a fort probablement des planètes qui tournent autour de chaque étoile, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a un nombre incalculable de planètes habitées dans les profondeurs de l’espace. C’est pourquoi les astronomes croient aux extra-terrestres : des êtres intelligents qui, comme nous, observent le ciel sur leur planète lointaine, cherchant à savoir s’il y a d’autres êtres intelligents dans le Cosmos.

J’ai cherché à voyager le plus loin possible dans cet espace, à photographier les objets les plus lointains avec mon télescope. Voici par exemple un groupe de cinq galaxies, le Quintette de Stefan, dix fois plus éloigné que la galaxie du Tourbillon, à 300 millions d’années-lumière. Comme ma photo laisse à désirer, je la complète avec une photo du même groupe de galaxies prise par le télescope spatial Hubble.

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Ces galaxies – en fait quatre d’entre elles – sont en interaction mutuelle, s’attirant, se frôlant, passant parfois l’une dans l’autre… Elles vont finir par se mêler complètement, formant une seule grosse galaxie, mais cela prendra encore des millions d’années.

Trois cent millions d’années-lumière… Au fait, y a-t-il une limite à cet espace? L’Univers est-il infini? La question n’a pas encore trouvé de réponse définitive. Ce qui est certain, c’est que l’Univers n’est pas infini dans la durée : il est âgé de 13,8 milliards d’années; c’est le temps qui s’est écoulé depuis le Big Bang, la grande explosion primordiale.

La théorie du Big Bang est maintenant solidement établie. Donc, il y a 13,8 milliards d’années, les premières particules de l’Univers sont apparues dans une explosion d’énergie. La température était presque infinie et l’espace était très compact… Un « espace compact » est une notion difficile à saisir : la matière de l’Univers était toute concentrée au même endroit car c’est l’espace lui-même qui était comprimé. Avec le temps, cet espace a pris de l’expansion et la matière a suivi, se dispersant et devenant moins dense.

N’est-ce pas formidable de pouvoir mettre ainsi un nombre précis sur l’âge de l’Univers? On connaît également l’âge du Soleil et de la Terre : 4,5 milliards d’années, ce qui veut dire que le système solaire est beaucoup plus jeune que l’Univers lui-même. Il faudrait tout un livre pour expliquer comment les astronomes ont ainsi mesuré des distances et des périodes de temps aussi grandes.

Il y a encore plus extravagant : on peut voir directement au télescope l’Univers tel qu’il était dans sa jeunesse, il y a 10, 11 ou 12 milliards d’années. C’est comme si nous avions une machine à voyager dans le temps! La raison en est bien simple : la vitesse de la lumière. Lorsque nous regardons une étoile, nous la voyons sous l’aspect qu’elle avait il y a plusieurs années, puisque sa lumière a mis plusieurs années à nous parvenir. De même, lorsque nous observons des galaxies lointaines comme le Quintette de Stefan, nous les voyons dans l’état où elles étaient il y a 300 millions d’années. Cela ne porte pas à conséquence car la vie d’une galaxie se mesure en

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milliards d’années; le fait que ces galaxies nous paraissent 300 millions d’années plus jeunes qu’en réalité n’a donc pas tellement d’importance.

Mais poursuivons le processus et examinons des galaxies situées plus loin, par exemple à dix milliards d’années-lumière, et là nous commençons à voir une différence. C’est possible, avec le télescope Hubble. La lumière de ces galaxies a été émise il y a dix milliards d’années et elle a voyagé vers nous pendant tout ce temps, ce qui représente la plus grande partie de l’âge de l’Univers. Nous voyons donc à quoi ressemblait l’Univers au début de son évolution. Il est possible de reculer ainsi jusqu’à l’époque où les premières galaxies se sont formées, moins d’un milliard d’années après le Big Bang.

Voici une photo qui ne cesse de m’impressionner : le Champ Ultra-Profond de Hubble, prise par le télescope spatial en 2014. On y voit deux étoiles de notre Voie Lactée, qui ressemblent à des « X ». Tout le reste est formé de galaxies plus ou moins lointaines, les plus reculées apparaissant telles qu’elles étaient il y a près de 10 milliards d’années.

À quoi donc ressemblaient les galaxies, à cette époque? Ce qu’on a remarqué, c’est qu’elles semblent plus petites, plus primitives; elles contiennent moins d’étoiles que les galaxies rapprochées que nous voyons autour de nous. Cela semble indiquer que les premières galaxies ont commencé petites et qu’avec le temps elles se sont groupées pour former des galaxies plus vastes. Les galaxies s’attirent et se « mangent » mutuellement sans que leurs étoiles respectives en souffrent, car ces étoiles ont amplement d’espace entre elles pour se croiser sans dommage.

Une autre observation intéressante est que les étoiles des galaxies lointaines semblent plus « pures »; elles contiennent moins d’atomes lourds comme le fer, le nickel, le

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chrome ou le cobalt. Cela n’est pas une grande surprise car on sait que de tels atomes n’existaient pas lors du Big Bang; les atomes lourds se forment lors des explosions d’étoiles géantes, les supernovas. À chaque nouvelle explosion d’une supernova, cette dernière expulse sa matière dans l’espace, ce qui enrichit la galaxie en éléments lourds. Il est donc logique que les galaxies primitives, n’ayant pas encore connu de nombreuses explosions d’étoiles, contiennent moins de ces éléments. Notre système solaire en contient parce qu’il est plus récent : il y a cinq milliards d’années, notre Galaxie contenait déjà de la poussière d’étoiles anciennes ayant explosé. Nous sommes vraiment composés de « poussière d’étoiles »!

Enfin, on observe également des objets étranges aux grandes distances : les quasars. Ce sont des galaxies contenant en leur centre un point super-lumineux, beaucoup plus brillant que tout le reste de la galaxie. Le mot quasar signifie « quasi-star » ou « presque-étoile », car ces objets ont d’abord été pris pour des étoiles ordinaires; à la distance où ils étaient, on ne voyait pas qu’ils faisaient partie d’une galaxie. Puisque ces objets n’existent qu’aux très grandes distances, cela semble indiquer que les quasars étaient très nombreux au début de l’Univers, et qu’ils ont cessé d’exister par la suite.

Un jour, j’ai eu envie de photographier un quasar, un objet situé aux limites de l’Univers; cela me semblait un beau défi pour un télescope situé dans la pollution lumineuse de la ville. Il existe, dans la constellation de Pégase, une petite galaxie contenant quatre images du même quasar, disposées en croix; on a surnommé cet objet étrange : la Croix d’Einstein. La galaxie est située à 400 millions d’a-l mais le quasar lui-même est beaucoup plus lointain, à 8 milliards d’a-l, ce qui signifie que sa lumière a voyagé pendant 8 milliards d’années, soit plus de la moitié de l’âge de l’Univers, avant de traverser la galaxie il y a 400 millions d’années, puis d’arriver finalement jusqu’à nous.

Voici donc (à g.) cette croix déformée ressemblant un peu à la silhouette d’un avion, prise de mon observatoire urbain. La galaxie entourant la croix est à peine visible.

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J’ajoute (à dr.) une image de bien meilleure qualité prise par le télescope spatial. Les quatre points en croix représentent le quasar. En fait, ce quasar devrait être invisible car il est situé exactement derrière la galaxie; sa lumière nous parvient grâce à un phénomène découvert par Albert Einstein en 1915 : la gravité d’un objet très massif – comme le centre d’une galaxie – provoque une légère déviation de la trajectoire de la lumière. La galaxie se comporte comme une « lentille gravitationnelle », elle fait dévier légèrement la lumière du quasar, en quatre endroits différents.

Huit milliards d’années-lumière : nous approchons des limites de l’Univers observable. Il serait impossible, par exemple, de voir un objet situé à 15 milliards d’années-lumière, même avec Hubble, car cet objet aurait dû exister il y a 15 milliards d’années, ce qui est antérieur au Big Bang!

Comme il est grand, cet Univers! Pourtant il a eu un début. Mais qu’est-ce qui a causé ce début? La physique nucléaire nous apprend qu’au temps « Zéro », la matière n’existait pas; il n’y avait que de l’énergie. Cette énergie s’est dispersée et s’est cristallisée en matière : électrons, neutrons, protons, quarks... Là encore, c’est Albert Einstein qui nous a donné la formule de cette transformation : E = M C2, ou « Énergie = Masse X carré de la vitesse de la lumière ». L’énergie devient de la masse. Il ne nous reste plus qu’à trouver la source de cette énergie primordiale.

Une source « métaphysique »?

Ce n’est pas d’hier qu’on attribue aux esprits la responsabilité des événements qu’on ne comprend pas. Jupiter était le dieu de la foudre, à l’époque où on ne connaissait pas encore l’électricité; Vénus était la déesse de l’amour, avant l’invention de la psychanalyse… La physique moderne s’avère impuissante à aller au-delà du Big Bang, puisqu’il n’y a plus de matière à observer et à étudier. Alors dire que c’est un « Dieu » qui a tout créé… Ce dieu serait-il autre chose que le reflet de notre ignorance.

Pourtant Einstein employait le mot : lorsqu’il exprimait sa fascination – que je partage – pour les lois fondamentales de la Nature, il disait : « Je veux connaître les pensées de Dieu; tout le reste n’est que détail. »

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Einstein se disait « spinoziste », il croyait au Dieu de Spinoza, un philosophe du XVIIe siècle. Ce Dieu se confond avec l’Univers, il n’en est pas distinct, il n’est pas transcendant comme le serait un «Créateur », un esprit non-matériel qui aurait créé le monde matériel. Spinoza a souvent été traité de panthéiste, quelqu’un pour qui « Tout est Dieu » ou « Dieu, c’est le Tout ».

Difficile de prier un tel Être. On peut être en admiration, certes, devant la grandeur et la beauté de l’Univers; mais ceux qui prient Dieu le voient plutôt comme un Père Tout-puissant, qui aurait créé non seulement l’Univers, mais l’âme de chaque personne. C’est le Dieu des religions.

Mais le mot « père » est un anthropomorphisme, un archétype, un symbole éternel présent dans la psychologie de tous les humains. Il fait partie de notre constitution psychique et est éminemment subjectif; rien à voir avec l’Univers. Carl J. Jung, l’un des grands fondateurs de la psychanalyse, classait aussi bien « Dieu » que « Père » parmi les archétypes; il écrivait :

« Il est clair que la notion de Dieu correspond à un certain complexe de faits psychologiques… L’Énergie est-elle Dieu, ou Dieu est-il l’énergie, cela m’importe peu…  Une question n’en demeure pas moins au-delà de toute psychologie : celle de savoir ce que Dieu est en soi. »

«Ce que Dieu est en soi »… Qui peut prétendre le savoir? L’Univers est si grand, et son Créateur, s’il existe, doit être encore plus grand! Qui peut s’imaginer qu’il pourra comprendre quoi que ce soit à un tel Être? C’est un peu comme si une fourmi essayait de comprendre la théorie de la Relativité!

« Comment un esprit qui est prisonnier de l'agitation quotidienne, de l'affliction et de la souffrance, qui est ignorant et limité peut-il connaître ce qui est sans limites, indicible ? Comment ce qui est le produit du temps peut-il connaître l'intemporel ? Il ne le peut pas. Il ne peut même pas y penser. » (Krishnamurti)

C’est pourquoi je ne cherche plus à découvrir la cause physique (ou métaphysique) du Big Bang. Ce n’est pas à ma portée. Je préfère me concentrer sur des questions comme : De quoi suis-je fait ? Suis-je uniquement un assemblage d’atomes? J’ai grandi dans la croyance que nous avons un corps et d’une âme ; est-ce vérifiable ? Voilà des sujets importants pour moi. Un agnostique pourrait me répondre : « On ne le sait pas et on ne peut pas le savoir. » Je ne partage pas son avis. Si je suis capable de photographier, pour m’amuser, un quasar situé aux limites de l’espace, je peux sûrement découvrir de quoi je suis fait. J’y reviendrai plus tard.

Quant au « Créateur de l’Univers », je lui dis : «Grand Esprit, si Tu existes et si Tu m’entends, je te dis bravo ! Ton Univers est beau, grand, merveilleux à explorer… Je suis en admiration devant lui et devant ta grandeur… Tiens, je vais mettre ton nom dans mon observatoire ; ça n’engage à rien… » Et j’ai fait graver, au plafond de mon

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observatoire, une citation biblique que j’ai trouvée au Vermont, sur la façade d’un autre observatoire, le début d’un psaume :

« Coeli enarrant gloriam dei » : « Les cieux racontent la gloire de Dieu. »

On peut voir cela comme de la poésie. Les poètes sont peut-être mieux placés que nous pour parler au Grand Esprit.

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