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DIX-SEPTIÈME VEILLE JURIDIQUE DE NOVEMBRE 2014 À FÉVRIER 2015 MASTER II DROIT NOTARIAL PROMOTION 2014-2015

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DIX-SEPTIÈME VEILLE JURIDIQUEDE NOVEMBRE 2014

À FÉVRIER 2015

MASTER II DROIT NOTARIAL PROMOTION 2014-2015

FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUEUNIVERSITÉ DE MONTPELLIER

SOMMAIRE

LA RESPONSABILITÉ CIVILE NOTARIALE

I- L’application stricte de la responsabilité civile délictuelle facteur d’exonérationII- L’intensité des devoirs du notaire source de responsabilité

LES BIENS DU COUPLE

I- Le mariage entre limitation de pouvoirs et extension des dettes ménagèresII- Les effets patrimoniaux du divorceIII- Précisions sur le champ d’application du règlement Bruxelles 1

SUCCESSIONS ET LIBERALITES

I- Les successionsII- Les libéralités

LES ACTES COURANTS

I- De la précision des précautions à prendre afin d'assurer l'efficacité et la sécurité juridique des actes ou promesses de vente

II- De la précision des obligations du vendeur : entre atténuation de sa responsabilité en l'absence de danger et clarification des modalités de son obligation de délivrance

III- De la précision des conséquences pratiques lors de la vente d’un terrain à construire

DROIT NOTARIAL DE L’ENTREPRISE

I. Procédures collectivesII. Droit des suretésIII. Droit des sociétésIV. Les baux commerciaux et baux rurauxV. L’actualité fiscale

TABLE DES MATIÈRES

CURRICULUM VITAE

p. 3

p. 4p. 9

p. 16

p. 16p. 18p. 33

p. 37

p. 37p. 41

p. 47

p. 47

p. 55

p. 60

p. 65

p. 65p. 72p. 79p. 81p. 83

p. 86

p. 90

2

LA RESPONSABILITÉ CIVILE NOTARIALE

« Confier ses intérêts à un notaire, en dehors même des cas où la démarche est imposée, correspond à une recherche d’efficacité et de clarté des engagements. Je dirais que c’est sa qualité d’agent légal de sécurité juridique qui attire à la fonction notariale une clientèle élargie. Là est l’essentiel et c’est là que la jurisprudence a trouvé les fondements de la responsabilité professionnelle des notaires. Je veux dire qu’elle n’a rien fait d’autre que synthétiser et systématiser, sous la forme de deux obligations, l’obligation d’efficacité et l’obligation de conseil, ce qui se trouve à la base de la délégation de pouvoir consentie par l’Etat aux notaires et qui constitue l’élément d’attrait pour la clientèle des études. »1

La responsabilité notariale sanctionne le manquement du notaire dans l’accomplissement de sa mission d’Officier Public.

Si l’application stricte de la responsabilité civile délictuelle fondée sur l’article 1382 du Code civil peut être un facteur d’exonération (I), l’intensité des devoirs du notaire emporte sa responsabilité quasi-systématique (II) ; encore faut-il saisir le juge compétent comme vous allez le voir dans le propos liminaire.

Propos liminaire :

Deuxième chambre civile de la Cour de cassation, 20 décembre 2014 (n° 13-22.719), publié au bulletin

Le juge chargé de la taxation n’a pas le pouvoir de reconnaître la responsabilité du notaire à l’égard de ses clients en raison des fautes commises dans l’exécution de sa mission, mais il dispose, en cas de contestation, d’une appréciation souveraine dans la fixation des honoraires dus au notaire, tels que prévus par l’article 4 du décret du 8 mars 1978.

Les époux X ont chargé la SCP C et Me. Y, notaire, de préparer la transmission au profit de leurs filles de la nue-propriété des forêts leurs appartenant ainsi que celles qu’ils devaient acquérir par le biais d’un groupement forestier, la SCI Celie, au capital de 1.100.000 € ayant pour associé les époux Y. Suite à la constitution de la SCI, le notaire a préparé un acte d’augmentation de capital pour l’acquisition des nouvelles forêts, d’une valeur de 2.300.000 €, ainsi qu’un acte de donation-partage indivise desdites parcelles au profit des filles des époux X, tous deux non régularisés par les parties en raison d’un désaccord portant sur l’augmentation de capital et les honoraires dus. L’augmentation de capital fut cependant réalisée par un avocat moyennant la somme de 2.500 €.

Le juge liquidateur, saisi par les époux, a constaté qu’il n’était pas douteux que le notaire avait joué un rôle de conseil et de prestataire de service dans un domaine technique pour lequel il devait être rémunéré en l’absence de convention préalable d’honoraires, et fixe ces derniers pour un montant de 8.372€ TTC pour les seules formalités d’augmentation de capital, et à 16.168€ TTC au titre de la préparation de la donation-partage. Les époux faisaient encore grief à l’ordonnance de condamner la SCI au paiement de cette somme, un pourvoi est formé suite à l’arrêt de la cour d’appel de Besançon du 4 juin 2013. Selon le moyen, ils reprochent au notaire de ne pas avoir averti les parties du montant des honoraires dus, et que celui-ci avait immédiatement et brutalement, et donc abusivement rompu toute relation, en prenant la décision intempestive d’annuler le rendez-vous de signature qui devait avoir lieu le lendemain, ce qui leur avait causé préjudice en

1 Jean-Luc Aubert, Defrénois, n° 3 - 2015, p. 133

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raison du temps perdu et se retrouver contraints d’avoir recours à d’autres conseils et de les rémunérer.

La problématique de cet arrêt a été la suivante : Est-ce que le juge chargé de la taxation a compétence pour connaître la responsabilité du notaire pour les fautes commises dans l’exercice de sa mission ?

Par un arrêt rendu par la deuxième chambre civile du 20 décembre 2014, la Haute Cour déboute à nouveau les époux X en rejetant leur pourvoi en soulignant que le « juge chargé de la taxation, saisi d'une demande de fixation des honoraires d'un notaire, n'a pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, de la responsabilité de ce notaire à l'égard de son client en raison des fautes commises dans l'exécution de sa mission ». La Cour de cassation prend également le soin de rappeler, sous le couvert du grief infondé de dénaturation, que le premier président dispose d’une appréciation souveraine dans la fixation de la rémunération due au notaire en prenant en compte le temps passé, l’importance et la difficulté du travail fourni.

Conseil pratique

Le recours à la convention préalable d’honoraires fondée sur l’article 4 du décret du 8 mars 1978 est à privilégier dès lors que la complexité du dossier peut être décelée avec les parties en rendez-vous avec le notaire. En outre, cet arrêt souligne l’importante nécessité de constituer, au sein de chaque dossier, la preuve des éléments attestant la complexité du dossier et des opérations, du volume horaire de travail, ainsi que les recherches à effectuer.

I- L’application stricte de la responsabilité civile délictuelle facteur d’exonération

La responsabilité notariale est fondée sur l’article 1382 du Code civil dont l’application requiert la réunion d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. L’absence de faute (A) comme de préjudice (B) devient ainsi source d’exonération pour le notaire.

A. La faute du notaire écartée

Première chambre civile de la Cour de cassation, 15 janvier 2015 (n° 14-11.019),publié au bulletin

Le notaire qui instrumente un acte authentique de vente entre le bailleur-vendeur et le locataire préemptant postérieurement au délai légal imparti, ne commet pas de manquement à ses obligations professionnelles, le bailleur ne souhaitant pas invoquer la nullité relative de l'acceptation de l'offre de vente tardive, malgré son engagement dans une promesse synallagmatique de vente.

Maître Gaillot, notaire, a négocié une promesse synallagmatique de vente d'immeuble aux consorts A.B qu'il a notifié à Mme N, alors locataire des lieux, qui a accepté l'offre le 31 juillet 2009 en annonçant son intention de recourir à un prêt.

Le 3 décembre 2009, soit plus de quatre mois après la date d'acceptation de l'offre, le notaire a instrumenté la vente au profit de la locataire.

C'est pourquoi, les consorts A.B ont assigné Maître Gaillot notamment en dommages et intérêts, invoquant également la nullité de l'acceptation de l'offre de vente.

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La cour d'appel d'Amiens le 21 novembre 2013 a débouté les consorts A.B de leur demande, ils ont alors formé un pourvoi en cassation et le 15 janvier 2015 la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté leur pourvoi.

Les consorts A.B estiment que la nullité de l'acceptation de l'offre de vente doit être prononcée et la responsabilité du notaire engagée aux moyens que:

D'une part, le notaire est tenu de refuser d'instrumenter lorsqu'il est requis de recevoir un acte illicite, or en acceptant de conclure l'acte de vente plus de quatre mois après la date d'acceptation de l'offre de vente, le notaire a manqué à ses obligations professionnelles.

Et d'autre part, que le notaire doit refuser de prêter son ministère à une convention dont il sait qu'elle méconnait les droits des tiers, or en l'espèce la promesse synallagmatique de vente prévoyait que la vente était conclue sous la condition suspensive du non exercice du droit de préemption, tel est le cas en l'espèce puisque la locataire a régularisé la vente après le délai qui lui était imparti pour le réaliser en vertu de l'article 15 II alinéa 5 de la loi du 6 juillet 1989.

La question est donc de savoir si les bénéficiaires d'une promesse synallagmatique de vente conclue sous la condition suspensive du non exercice du droit de préemption du locataire, peuvent invoquer la nullité de l'acceptation de l'offre de vente par la locataire car postérieure au délai légal et, subséquemment, engager la responsabilité du notaire pour manquement à ses obligations professionnelles et fraude à leurs droits ?

La première chambre civile de la Cour de cassation dans l'arrêt rendu le 15 janvier 2015, en a déduit que malgré la régularisation de l'acte de vente au delà du délai légal prévu par l'article 15 II alinéa 5 de la loi de 6 juillet 1989 et, au mépris de la circonstance que le notaire avait connaissance de l'existence au sein de la promesse synallagmatique de vente, d'une condition suspensive de non exercice du droit de préemption du locataire, que le notaire n'avait néanmoins pas manqué à ses obligations professionnelles puisque seul le bailleur peut se prévaloir de la nullité de l'acceptation de l'offre de vente, et qu'en l'espèce cet acte de vente était requis par le bailleur-vendeur, qui ne souhaitait donc absolument pas le remettre en cause.

Par conséquent, le notaire qui a agit conformément aux souhaits des parties au contrat, ne peut donc pas être condamné à verser des dommages et intérêts aux acquéreurs, en l'absence de faute.

Si cette solution semble justifiée au regard des parties au contrat et du notaire, elle illustre les limites de l'efficacité d'une promesse synallagmatique de vente.

En effet, le bailleur étant le seul à pouvoir rendre l'acceptation de l'offre tardive, nulle, et la reconnaissance de cette nullité étant la seule possibilité de faire se réaliser la condition suspensive permettant la réalisation de la vente aux profits des acquéreurs potentiels, cela apparaitrait presque comme une condition purement potestative, or cela est prohibé.

Cela donne l'impression que le bailleur-vendeur était le seul à pouvoir décider de si oui ou non, il voulait exécuter son engagement au terme de la promesse synallagmatique de vente.

S'il souhaitait l'exécuter, il lui suffisait de demander la nullité de l'offre d'acceptation de vente, qu'il aurait probablement obtenu, le délai légal étant dépassé, et s'il ne souhaitait pas, comme cela semble être le cas en l'espèce, il lui suffisait de ne pas demander la nullité, et de souhaiter l'acte authentique de vente avec le locataire.

Les consorts A.B auraient peut-être dû engager la responsabilité du bailleur-vendeur pour mauvaise foi sur le fondement de l'article 1134 alinéa 3 du Code civil, plutôt que celle du notaire qui finalement, n'a pas manqué à ses obligations professionnelles en respectant le souhait des parties au contrat.

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Conseil pratique

Le notaire doit rester vigilant quant au respect du délai légal prévu par l'article 15 alinéa 5 II de la loi du 6 juillet 1989, pour régulariser les acceptation d'offre de vente.

Le notaire doit informer le bailleur de la possibilité d’invoquer la nullité de l’acceptation et des risques si le bailleur ne l’invoque pas alors qu’il était tenu par une promesse de vente.

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 9 décembre 2014 (n°13-24.314),inédit

Ne commet pas de faute causant un dommage à l’acquéreur le notaire qui remet le prix de vente postérieurement à la date fixée dans l’acte dès lors que l’inexécution par le vendeur de son obligation de poser des bornes n’a pas empêché la prise de possession des parcelles par l’acquéreur et qu’aucune cause de diminution de prix n’avait été stipulée dans l’acte de vente.

En l’espèce par un acte du 3 août 2005 établi par M. R, notaire, M. Albert P. a vendu à une société civile immobilière deux parcelles de terrain. Il a été stipulé dans le contrat de vente que l’acquéreur ne s’obligerait à payer le solde du prix de vente au vendeur que lorsque ce dernier aura fait procéder à la pose de bornes fixant la limite de séparation entre les parcelles objet de la présente vente et d’autres parcelles contiguës propriété de M. Jean Paul P. Ce bornage devait être fait au plus tard le 31 décembre 2005 et ce en conformité avec un plan de bornage établi par un géomètre daté du 12 avril 1996. Or au 31 décembre 2005 le vendeur n’avait pas effectué le bornage et le notaire lui avait pourtant remis à la même date le solde du prix de vente consigné. Se plaignant de la remise par le notaire au vendeur du solde du prix de vente consigné, la SCI a assigné le notaire et la SCP notariale X en paiement de cette somme.

Dans un arrêt en date du 4 juillet 2013 rendu par la cour d’appel de Lyon il n’a pas été fait droit à la demande de la SCI en condamnation de la société notariale. En effet la cour d’appel a débouté la SCI dans sa demande en paiement de la somme correspondant au solde du prix de vente. La cour d’appel a relevé que dans la mesure où l’acquéreur n’avait pas été empêché de prendre possession des parcelles et de les commercialiser, le versement par le notaire du solde du prix de vente et ce malgré l’absence de pose des bornes dans le temps imparti n’avait pas causé de préjudice à la SCI et que cette dernière était donc redevable de l’intégralité du prix de vente à compter du 31 décembre 2005 nonobstant l’absence de pose des bornes.

La SCI a formé un pourvoi en cassation au moyen selon lequel la cour l’appel avait méconnu la loi des parties et avait ainsi violé l’article 1134 du Code civil.

Dès lors le questionnement est le suivant : La prise de possession pérenne du bien objet de la vente par l’acquéreur permet elle d’écarter la responsabilité civile du notaire pour absence de faute lorsque ce dernier verse le solde du prix consigné malgré l’inexécution par le vendeur d’une obligation stipulée au contrat ?

Dans un arrêt en date du 9 décembre 2014 la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi. La Cour de cassation approuve l'arrêt d'appel dans la mesure où l’inexécution de l’obligation du vendeur n’avait pas empêché la prise de possession du bien par l’acquéreur. Aucune cause de réduction ou de diminution de prix n'avait été stipulée dans l'acte de vente et de ce fait l'acquéreur devait l'intégralité du prix après le 31 décembre 2005. La Cour de cassation a considéré que les juges du fonds avaient pu en déduire que le notaire qui avait remis les

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fonds au propriétaire après cette date n'avait pas commis de faute causant un dommage à l'acquéreur.

La solution est satisfaisante en l’espèce dans la mesure où la prise de possession pérenne par l’acquéreur du bien objet de la vente traduit clairement une absence de préjudice subi ne permettant pas d’engager la responsabilité civile du notaire en application de l’article 1382 du Code civil. Cet arrêt illustre parfaitement l’application stricte de la responsabilité civile délictuelle comme étant un facteur d’exonération de la responsabilité du notaire. Il convient toutefois d’être extrêmement vigilant quant au versement de sommes consignées à l’étude suite à la réalisation dans un temps imparti d’une obligation stipulée dans le contrat de vente et dont l’une des parties est débitrice. Dans l’hypothèse où l’acquéreur n’aurait pas pu jouir de manière pérenne de son bien et dans l’hypothèse où une clause de réduction du prix aurait été prévue dans l’acte le notaire ayant versé le solde du prix de vente aurait nécessairement vu sa responsabilité engagée.

Première chambre civile de la Cour de cassation, 26 novembre 2014 (n° 13-26.833)inédit

Ne manque pas à son obligation de solliciter un certificat d'urbanisme ni, dès lors, à son devoir de conseil, le notaire qui, du fait de l'existence d'un permis de construire, avait pu vérifier l'aptitude d’un terrain à recevoir un ouvrage déterminé.

En l’espèce, Monsieur X… avait fait en octobre 1999 par devant Maître Y…l’acquisition d’un terrain en vue d’y édifier deux villas.

Était annexé à ladite cession un permis de construire délivré en septembre 1999 ainsi qu’une reconnaissance d’avis donné à l’acquéreur sur l’absence d’extinction du recours des tiers contre cette autorisation.

L’acte stipulait également une clause selon laquelle l’acquéreur s’était renseigné personnellement auprès des services compétents sur les dispositions d’urbanisme applicables et dispensait donc le notaire de produire un certificat ou une note d’urbanisme, le déchargeant ainsi de toute responsabilité à cet égard.

Suite à l’annulation du permis de construire par le tribunal administratif en raison de l’implantation de la construction dans le périmètre d’un lotissement jardin et à la condamnation de Monsieur X… à indemniser son voisin, ce dernier assigna en responsabilité le notaire pour manquement à son obligation d’assurer l’efficacité de l’acte et à son devoir de conseil.

L’existence d’un permis de construire attestant l’aptitude d’un terrain à recevoir un ouvrage déterminé exonère-t-elle le notaire de son obligation de solliciter un certificat d’urbanisme ?

Débouté par la Cour d’appel, le demandeur forma un pourvoi en cassation.

Le 26 novembre dernier, retenant que Monsieur X... savait non seulement que la validité du permis de construire, qu'il avait lui-même demandé, ne lui était pas définitivement acquise en l'absence d'expiration des délais de recours des tiers, ce que le notaire avait rappelé dans une annexe de l'acte, mais encore que la contestation judiciaire d'une telle autorisation administrative avait été annoncée par un voisin, de sorte que c'est en pleine connaissance de cause qu'il avait néanmoins poursuivi l'acquisition de la parcelle, acceptant le risque d'annulation, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.

Les juges de la Haute Cour confirmèrent que le notaire avait rempli son devoir de conseil en l’absence de tout manquement de sa part à son obligation de solliciter un certificat d'urbanisme. Cette obligation se trouvant sans objet dès lors que les caractères du bien cédé au regard des règles applicables à la construction et, en l’espèce, l'aptitude du terrain à recevoir un ouvrage déterminé étaient attestés par l'existence d'un permis de construire.

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On ne peut qu’approuver les juges qui, une fois n’est pas coutume, rejettent la demande formée par un acquéreur un peu trop pressé rappelant, à l’occasion, que le devoir de conseil du notaire n’est pas une notion extensible à l’infini et qu’elle trouve, notamment, ses limites dans la bonne information du client des risques auxquels l’acte conclu l’expose.

B. L’exigence d’un préjudice certain

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 17 décembre 2014 (n° 13-20.515)inédit

La Cour de cassation rappelle que le créancier privilégié et hypothécaire ne peut engager la responsabilité du notaire pour avoir versé la totalité des fonds directement au vendeur malgré sa connaissance de l'existence des sûretés inscrites, le créancier ne pouvant justifier d'un préjudice certain, faute de n'avoir pas exercé son droit de suite au préalable.

Les époux L ont vendu un bien immobilier à M.B, payable pour partie sous la forme d'une rente viagère.

La banque avait consenti un prêt à l'acquéreur et fait inscrire son privilège de prêteur de deniers et une hypothèque conventionnelle.

La résolution de la vente a été constatée par jugement et confirmée par arrêt du 22 mai 2003, faute de paiement de la rente.

Par acte authentique du 1er juillet 2005, les époux ont revendu l'immeuble et les notaires ont libéré les fonds entre les mains du vendeur.

C'est pourquoi, la banque a assigné les notaires en indemnisation de son préjudice résultant de la libération des fonds entre les mains du vendeur, alors que les officiers ministériels avaient connaissance des sûretés inscrites et de la nécessité de la désintéresser au préalable.

La cour d'appel de Rennes le 19 février 2013 a retenu la responsabilité des notaires. Ces derniers ont alors formé un pourvoi en cassation et, le 17 décembre 2014 la première

chambre civile de la Cour de cassation a cassé le pourvoi.

La banque avait demandé l'engagement de la responsabilité des notaires sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, pour avoir libéré à tord, les fonds entre les mains du vendeur alors qu'ils avaient connaissance des sûretés inscrites et de la nécessité de la désintéresser au préalable.

Et que cette omission lui avait causé un préjudice actuel nonobstant son absence d'exercice préalable du droit de suite, cela n'étant pas selon elle, une condition sine qua none préalable à l'engagement de la responsabilité des notaires.

La question est donc de savoir si le fait pour le notaire d'avoir libéré les fonds issus d'une vente immobilière entre les mains du vendeur, cause un préjudice certain au créancier privilégié et hypothécaire, n'ayant pas exercé au préalable son droit de suite ?

Au visa de l'article 1382 et 2461 du Code civil la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 17 décembre 2014 en a déduit que le créancier privilégié et hypothécaire qui n'a pas exercé son droit de suite ne justifie pas d'un dommage certain à l'encontre des notaires qui ont omis de le régler et de purger les inscriptions à l'occasion d'une vente immobilière car le droit de suite n'est pas une voie de droit découlant de la situation dommageable créée par la faute invoquée, mais un effet attaché aux sûretés que constituent le privilège du prêteur de deniers et l'hypothèque conventionnelle.

Par conséquent, la Haute juridiction en conclut que le préjudice subi par la banque n'a pas le caractère « certain » pourtant requis au titre des grands principes de la responsabilité civile

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délictuelle, pour ouvrir un droit à indemnisation, puisqu'elle n'a pas au préalable exercé son droit de suite, pourtant né, dès l'inscription de ses sûretés.

Les notaires ne sont donc pas condamnés au paiement de dommages et intérêts, les trois conditions imposées par l'article 1382 du Code civil, n'étant pas remplies en l'espèce.

C'est afin de démontrer que le préjudice est bien certain, que l'exercice du droit de suite est inévitable, or cette démonstration est absolument nécessaire pour engager la responsabilité notariale.

Conseil pratique

Le notaire doit rester vigilant en effectuant de manière stricte la purge des inscriptions, et vérifier scrupuleusement les états hypothécaires lors de vente immobilière.

II- L’intensité des devoirs du notaire source de responsabilité

Si la jurisprudence précise, au fil du temps, les contours des principales obligations du notaire, notamment son devoir de conseil en matière fiscale, (A), elle élargit, dans le même temps, celles-ci (B), source d’une responsabilité notariale toujours plus grande.

A. L’étendue du devoir de conseil en matière fiscale

Première chambre civile de la Cour de cassation, 15 janvier 2015 (n° 14-10.256)

Le notaire, qui n’alerte pas son client non-résident sur les incidences fiscales de la cession qu’il a instrumentée, engage sa responsabilité pour manquement à son devoir de conseil et doit indemniser son client pour la perte de chance de renoncer à l’opération et de rechercher une solution au régime fiscal plus avantageux que celui subi.

En l’espèce, les époux X…, français résidant en Suède, ont cédé un bien immobilier situé en France.

Exonérés, en vertu de l’article 150 U, II, 2° du CGI, de toute imposition en France au titre des plus-values immobilières, ils ont cependant dû acquitter une taxe sur la plus-value en Suède.

Argüant du fait qu’ils n’auraient pas réalisé cette opération s’ils avaient eu connaissance de l’imposition à laquelle ils étaient soumis, les époux X… ont assigné en responsabilité le notaire rédacteur pour manquement à son devoir d’information et de conseil.

L’acquittement d’un impôt, auquel le contribuable était légalement tenu mais dont il n’avait pas été informé par le notaire rédacteur, peut-il constituer un préjudice réparable au sens de l’article 1382 du Code civil ?

Retenant que le paiement d’un impôt ne constituait pas un préjudice réparable et qu’il n’y avait, dès lors, pas lieu de rechercher l’existence d’une éventuelle faute commise par le notaire, la Cour d’appel débouta les demandeurs qui formèrent un pourvoi en cassation.

Censurant le raisonnement des juges du fond, la Cour de cassation retient, à l’inverse, « qu’un préjudice peut découler du paiement d’un impôt auquel le contribuable est légalement tenu lorsqu’il est établi que le manquement du notaire à son obligation de conseil l’a privé de la possibilité de renoncer à l’opération et de rechercher une solution au régime fiscal plus avantageux ».

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Le notaire aurait dû informer son client du risque d’imposition de la plus-value par l’Etat suédois où résidaient les vendeurs.

Si le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties sur l’incertitude affectant le régime fiscal applicable à l’opération et du risque de perte des avantages fiscaux recherchés par les parties2, cette solution vient encore accroître le champ de son obligation.

À notre sens, la responsabilité du notaire aurait pu être tempérée voire écartée en l’espèce puis qu’il appert des faits que « la question de l'imposition sur la plus value a été expressément évoquée et discutée entre les parties avant la régularisation de l'acte » comme en témoigne l’interrogation, le 9 avril 2004, par le notaire rédacteur, du CRIDON dont la formulation même démontre qu'il n'a jamais été question dans l'esprit de ce dernier d'exonération possible d'imposition, en Suède comme en France, et dont la réponse a été transmise aux époux X…

La présente solution confirme une conception très rigide de la responsabilité civile notariale.

Conseil pratique

À l’instar du notaire rédacteur, nous invitons les praticiens à stipuler, lorsqu’est appliqué l’article 150 U, II, 2° du CGI, la clause suivante :

« Le vendeur déclare avoir été averti des conséquences de sa qualité de non-résident qu'il revendique sur la taxation des plus-values. Le vendeur atteste que le bien objet des présentes

constitue sa seule résidence en France où il a été fiscalement domicilié pendant au moins deux ans et qu'il s'agit de la première cession intervenue à compter du 1er janvier 2004. Il déclare que le délai de douze mois de libre disposition dès avant la vente est rempli. Par suite la vente qui fait l'objet des présentes entre dans le cas d'exonération prévu par l'article 150 U, II, 2° du Code

général des impôts »

à laquelle il conviendra, cependant, au regard de la présente décision, d’adjoindre la mention suivante :

« Le vendeur déclare avoir été averti d’une possible imposition sur la plus value dans le pays de résidence. »

B. L’élargissement des contours des devoirs du notaire

1) Le devoir d’investigation

Assemblée plénière de la Cour de cassation, 5 décembre 2014 (n°13-19674),publié au bulletin

Incombe au notaire instrumentaire d’une vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) un devoir d’investigation sur le commencement effectif des travaux. « Ni la formalité d’une déclaration d’ouverture des travaux, ni l’existence d’une garantie d’achèvement ne dispensaient le notaire de vérifier le commencement effectif des travaux, seule circonstance de nature à prolonger le délai de validité du permis de construire (...) en l’absence de prorogation, et d’en informer les acquéreurs des risques qu’ils couraient ». 2 Cass. 1ère civ., 26/01/2012, n° 10-25.741, 10-26.560 et 11-14.663

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La Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, accentue le rôle du notaire dans les ventes d’immeubles à construire, qui est désormais tenu de vérifier la réalité du commencement des travaux.

En l’espèce, par acte notarié du 5 octobre 2007 reçu par Me X, notaire au sein de la Société Civile Professionnelle C, Monsieur et Madame Z avaient acquis de la SCI T, au moyen d’un emprunt consenti par la société N, un appartement et un emplacement de stationnement en l’état futur d’achèvement. La SCI T a obtenu un permis construire délivré le 12 octobre 2005 expirant deux ans après sa délivrance, soit le 12 octobre 2007, et avait indiqué le 1er juin 2007 qu’une déclaration d’ouverture des travaux avait été faite par elle, et disposait dès lors d’un délai de quatre mois et demi pour commencer les travaux. Le 11 juillet 2007, la SCP C avait consenti une garantie d’achèvement avec une clause stipulant que les versements des appels de fonds seront effectués entre les mains du garant pour être libératoires, au fur et à mesure de l’exécution des travaux. Le prêteur, la société N, a payé le premier appel de fonds directement auprès de la SCI T venderesse au vu d’une attestation fournie par l’architecte M. A, attestation qui se révéla erronée.

Le 12 octobre 2007, les travaux n’ayant pas commencé, le permis de construire est expiré. M. et Mme Z assigne le vendeur, SCI T en liquidation judiciaire, la SCP C et le notaire Me X, ainsi que le prêteur, en résolution de la vente et du contrat de prêt avec octroi de dommages-intérêts.

La cour d’appel de Bordeaux, par un arrêt en date du 28 mars 2013, déboute M. et Mme Z de leur demande indemnitaire à l’encontre du notaire, et retient le partage de leur responsabilité avec le prêteur, aux motifs qu’il y avait lieu de tenir compte de leur propre négligence, les acquéreurs n’avaient pas respecté les clauses de l’acte de prêt pour limiter la responsabilité de la société N. Sur un pourvoi formé par ces derniers, la Cour de cassation a donc eu à se demander s’il pesait sur le notaire instrumentaire d’une VEFA un devoir d’investigation sur le réel commencement des travaux afin d’informer les acquéreurs des risques qu’ils couraient?

La Haute Juridiction réunie en sa forme la plus solennelle retient le partage de responsabilité du notaire et du prêteur, en soulignant que le notaire instrumentaire d’une VEFA est tenu de vérifier le commencement effectif des travaux, seule circonstance de nature à prolonger le délai de validité du permis de construire, et que ni la formalité d’une déclaration d’ouverture du chantier, ni l’existence d’une garantie d’achèvement ne pouvaient le dispenser d’en informer des risques.

Par cet arrêt, la Cour de cassation est d’une grande sévérité à l’égard du notaire, et rompt l’équilibre jurisprudentiel en la matière. Exiger de lui la vérification personnelle du commencement des travaux paraît excessif et source de difficulté pour la pratique notariale.

Conseil pratique

Le praticien ne peut pas se contenter de la simple déclaration d’ouverture de chantier, il doit s’assurer personnellement du commencement effectif des travaux en se déplaçant lui-même sur les lieux ou par l’intermédiaire d’un tiers de confiance, si cela lui est possible. Cette vérification par la production d’une attestation fournie par un homme de l’art doit être laissée à la libre appréciation du notaire instrumentaire.

Première chambre civile de la Cour de cassation, 4 février 2015 (n°14-10.004),

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inédit

Voit sa responsabilité engagée, le notaire n’ayant pas vérifié l'existence d'une autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires pour la réalisation de travaux affectant des parties communes, bien qu'à usage privatif, alors qu'il disposait d'éléments de nature à faire douter de la régularité de ces constructions, dès lors que le syndic indiquait ne pas avoir donné son autorisation pour l'édification du mur de soutènement.

En l’espèce, par un acte du 20 septembre 1995 établi par M. X, notaire associé de la SCP B, M. et Mme Z ont vendu à M. et Mme Y deux lots d’un ensemble immobilier soumis aux statuts de copropriété. Reprochant aux époux Y... la réalisation de travaux portant sur des parties communes à usage privatif, consistant en une surélévation de leur immeuble d'habitation, la création d'une terrasse et la pose d'un portillon, sans autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires, le syndicat des copropriétaires les a assignés en démolition de ces constructions, remise en état des lieux et indemnisation ; que ces derniers ont appelé en la cause M. et Mme Z..., leurs vendeurs, qui avaient réalisé lesdits travaux, ainsi que le notaire.

Dans un arrêt en date du 29 octobre 2013 rendu par la cour d’appel de Lyon il n’a pas été fait droit à la demande des époux Y… en exonérant le notaire de toute responsabilité.

L'arrêt retient que, dans la mesure où le notaire avait, préalablement à la vente, adressé un questionnaire au syndic auquel ce dernier et l'ensemble des copropriétaires avaient répondu sans faire état d'une quelconque difficulté quant aux travaux litigieux, n'émettant des réserves que sur le mur de soutènement, ce qui laissait présumer que les travaux avaient été effectués en toute transparence conformément aux permis de construire non contestés.

Les époux Y… ont formé un pourvoi en cassation.

Dès lors un questionnement apparaît : Le questionnaire adressé par le notaire au syndic n’émettant qu’une réserve relative au mur de soutènement lors de la réalisation de travaux portant sur des parties communes à usage privatif permet-il de présumer de la régularité de ces construction ?

Dans un arrêt en date du 4 février 2015 la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel au visa de l’article 1382 du Code civil. La Cour de cassation a considéré que les juges du fonds n’avaient pas légalement justifié leur décision dans la mesure où ils n’avaient pas recherché si le notaire, tenu d'éclairer les parties sur la portée, les effets et les risques de l'acte instrumenté, avait vérifié l'existence d'une autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires pour la réalisation de travaux affectant des parties communes, bien qu'à usage privatif. Selon la Cour de cassation le notaire aurait dû attirer l'attention des parties sur les risques encourus en l'absence d'un tel accord dans la mesure où il disposait d'éléments de nature à faire douter de la régularité de ces constructions, dès lors que le syndic indiquait ne pas avoir donné son autorisation pour l'édification du mur de soutènement.

En l’espèce les informations recueillies par le notaire auraient dû faire naître un doute quant à la régularité des constructions devant nécessairement le conduire à opérer une vérification concernant l'existence d'une autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires pour la réalisation de travaux affectant des parties communes, bien qu'à usage privatif.

La solution de la Cour de cassation est extrêmement claire et d’une rigueur implacable car le notaire, en sa qualité d’officier public, est tenu de vérifier au préalable la régularité des constructions afin d’assurer la parfaite efficacité de ses actes. Ces vérifications préalables sont donc on ne peut plus indispensables et peuvent apparaître comme un réel devoir d’investigation du

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notaire dès lors qu’un doute né ou qu’une situation semble délicate. Cela contribue à l’élargissement des contours des devoirs du notaire. En effet le notaire ne doit pas se contenter d’opérer une simple vérification, il doit analyser les informations recueillies et approfondir la vérification le cas échéant.

Ainsi cet arrêt portant sur une situation précise, la réalisation de travaux affectant des parties communes à usage privatif, appelle donc à la plus grande vigilance.

Conseil pratique

Afin de dissiper toute suspicion quant à la régularité de construction ainsi que de se prémunir contre une éventuelle action en responsabilité, le notaire doit vérifier l'existence d'une autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires pour la réalisation de travaux affectant des parties communes, bien qu'à usage privatif.

2)  Une nouvelle source de responsabilité civile notariale

Commission européenne, Règlement d'exécution n° 1329/2014, 9 décembre 2014, publié au Journal officiel de l’Union européenne le 16 décembre 2014

Le certificat successoral européen est une nouvelle source de responsabilité civile professionnelle pour le notaire. Le notaire se voit clairement investi d’un réel devoir d’investigation. Le notaire sera notamment tenu d’opérer les enquêtes nécessaires afin de vérifier les informations et les déclarations fournies par le client lors de l’examen de la demande d’un certificat successoral européen. Si l’outil est nouveau et qu’il apparaît clairement que le notaire aura un rôle actif, le devoir d’investigation du notaire n’est quant à lui pas une nouveauté. En effet il se retrouve déjà en droit interne dès lors que ce notaire ressent le moindre doute quant à la véracité des informations qu’il recueille.

Le règlement d'exécution n° 1329/2014 de la Commission du 9 décembre 2014 établissant les formulaires mentionnés dans le règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 constitue une des dernières étapes du parcours devant conduire à l'entrée en application du futur droit européen des successions internationales le 17 août 2015.

Le règlement en date du 4 juillet 2012 est relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen.

Il convient de rappeler que ce règlement est intervenu en raison de l’ampleur concrète des successions internationales et de la complexité qu’elles suscitent lors de leur règlement par les professionnels concernés. Ce règlement concerne donc les successions à cause de mort qui s’ouvriront à compter du 17 Août 2015. Il s’appliquera dès lors que la succession comprendra un élément d’extranéité et qu’elle sera traitée par un professionnel de l’Union européenne hormis le Danemark, le Royaume-Uni et l’Irlande. De plus ce règlement a un caractère universel, peu importe la loi désignée aucune condition de réciprocité n’est requise.

Il est intéressant de rappeler que ce règlement apporte trois grandes évolutions :

1) L’affirmation du principe de l’unité de la règle successorale. Le critère de rattachement étant le lieu de la dernière résidence habituelle du défunt. La loi qui s’appliquera à l’intégralité de

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la masse successorale sera donc la loi du pays de la dernière résidence habituelle du défunt. Il n’y a plus lieu de distinguer entre la loi applicable à l’ensemble des meubles et la loi applicable aux immeubles.

Il convient de préciser que la possibilité d’un renvoi apportera une limite à ce principe. Ce renvoi ne pourra toutefois jouer que dans deux hypothèses. La première est si la règle de rattachement conduit à la désignation d’un pays tiers et que le droit international privé de ce pays désigne la loi d’un Etat membre de l’Union européenne. La deuxième est si la règle de rattachement conduit à la désignation d’un Etat tiers qui se reconnaît compétent. Il convient également de préciser qu’il existe une dérogation au principe : la clause de sauvegarde. Cette clause ne jouera que dans des hypothèses extrêmement réduites dans lesquelles la loi de la dernière résidence habituelle, désignée par la règle de rattachement, sera écartée au profit de la loi d’un Etat qui a visiblement des liens plus étroits avec le défunt.

2) La reconnaissance de la professio juris c’est-à-dire la possibilité de choisir la loi applicable à sa succession. Toutefois cette possibilité de choix se limite à la loi nationale du défunt au moment du choix ou bien à la loi nationale du défunt à son décès.

3) De plus ce règlement crée dans son chapitre VI le certificat successoral européen. Cet outil a pour but de constituer la preuve au sein de l’Union européenne notamment de la qualité d’héritier, de légataire, d’exécuteurs testamentaires ainsi que de leurs droits et pouvoirs. Le certificat est demandé et destiné à être utilisé par ces personnes afin qu’elles puissent invoquer leurs qualités dans un Etat membre ou encore exercer leurs droits ou pouvoirs sur la succession. Il convient de préciser qu’il n’est pas obligatoire. De plus il ne se substitue pas aux documents internes utilisés à des fins similaires dans les Etats membres. Toutefois dès lors qu’il est délivré en vue d’être utilisé dans un autre Etat membre, le certificat produit également ses effets dans l’Etat membre dans lequel les autorités l’ont délivré. Ce certificat produit ses effets dans tous les Etats membres, sans qu’il ne soit nécessaire de recourir à aucune autre procédure. Il est important de rappeler qu’il n’est pas en tant que tel un titre exécutoire toutefois, il est présumé attester fidèlement l’existence d’éléments qui ont été établis en vertu de la loi applicable à la succession.

Cette troisième évolution sera développée en l’espèce.

Quels sont les devoirs du notaire face à ce nouvel outil et quelles en seraient les conséquences sur sa responsabilité professionnelle ?

Une prospective en la matière semble nécessaire dans la mesure où en application du b) de l’article 64 du règlement en date du 4 juillet 2012 il apparaît que les notaires français sont compétents afin de délivrer ce certificat successoral européen (CSE).

Les notaires français, qui appliquent fréquemment le droit international privé, devront donc se familiariser rapidement avec ce nouvel outil qu’est le certificat successoral européen (CSE) dans la mesure où ils pourront y être confrontés dès le 17 août 2015 lorsque l’extranéité apparaîtra dans une succession.

Selon l’article 66 du règlement en date du 4 juillet 2012, il apparaît clairement que « l’autorité émettrice », en l’espèce les notaires français, sera tenue d’un rôle actif lors de l’examen de la demande de certificat successoral européen. Cet article prévoit que l’autorité émettrice devra mener les enquêtes nécessaires afin de vérifier les informations et les déclarations fournies par le demandeur.

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Afin de garantir la bonne application du règlement du 4 juillet 2012, le règlement d’exécution (UE) n°1229/2014 en date du 9 décembre 2014 a établi plusieurs formulaires dont le formulaire IV qui figure à l’annexe 4 à utiliser pour la demande d'un certificat successoral européen (visé à l'article 65, paragraphe 2, du règlement du 4 juillet 2012). Ainsi que le formulaire V en annexe 5 à utiliser pour le certificat successoral européen (visé à l'article 67, paragraphe 1, du règlement du 4 juillet 2012).

A la lecture de ces documents, le volume d’information à délivrer paraît plus important que lors de l’établissement d’un acte de notoriété. Si en matière de CSE le devoir d’investigation du notaire est perceptible dès une première lecture des textes le notaire n’a pas à en avoir peur. En effet il est en pratique déjà soumis à ce devoir d’investigation notamment lors du règlement d’une succession en l’absence l’élément d’extranéité. Il est également soumis à ce devoir d’investigation lors de l’établissement d’un acte de notoriété en présence d’un élément l’extranéité. Dans ces deux hypothèses si l’acte de notoriété est considéré comme un recueil de déclarations, la responsabilité professionnelle du notaire pourra être engagée toutes les fois où certains des éléments de l’acte de notoriété ne correspondront pas à la réalité alors que la situation aurait dû conduire le notaire à approfondir les vérifications et donc à exercer un devoir d’investigation.

En matière de CSE le rôle actif du notaire tel qu’il apparaît à la lecture de l’article 66 du règlement en date du 4 juillet 2012 devra le conduire à vérifier les informations et déclarations qui lui seront communiquées, examiner les documents et autres moyens de preuve qui lui seront transmis. Il convient de rappeler que le devoir d’investigation du notaire se fait sur pièces et non sur place, cela prend tout son sens en ce qui concerne les successions internationales.

Les décisions relatives à la mise en cause de la responsabilité d’un notaire lors de l’établissement d’un CSE sont aujourd’hui inexistantes. Il semblerait toutefois que les principes de la responsabilité soient identiques qu’il s’agisse d’appliquer le droit national ou bien le droit communautaire. Le devoir d’information du notaire ainsi que son devoir d’efficacité des actes régissent de la même manière des actes règlementés par le droit interne que des actes règlementés par un règlement de l’Union européenne.

Si le CSE est une nouvelle source d’engagement de la responsabilité du notaire il ne crée pas réellement de nouveaux devoirs à la charge de ce dernier. En effet le notaire se savait astreint dans certaines hypothèses à un devoir d’investigation. Dans la mesure où le devoir d’efficacité de l’acte est indissociable de l’obligation de vérification du notaire mais également de son devoir d’investigation le notaire devra être vigilant face à ce nouvel outil pouvant engager sa responsabilité civile notariale. Si la vigilance est de mise, toutes potentielles inquiétudes se dissiperont lorsque les notaires se seront familiarisés avec ce nouvel outil.

Conseil pratique

Les notaires devront donc dans les six prochains mois appréhender ce nouvel outil qu’est le certificat successoral européen afin d’être fins prêts le 17 août 2015, date de son entrée en application. Il devront apprendre à manier ce certificat en toute sécurité afin de se prémunir contre d’éventuelles actions pouvant conduire à engager leur responsabilité professionnelle.

Travail réalisé par : Eglantine ARNAUD, Myriam BELARBI, Morgan ALAPHILIPPE et Victor ANTIN

LES BIENS DU COUPLE

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Le mariage est l’une des plus vieilles institutions françaises régie par le Code civil. Pourtant, après tant d’années. Il subsiste encore des questions concernant les droits et devoirs des époux pendant le mariage (I) et des questions concernant les incidences patrimoniales du divorce (II). Enfin, avec la ratification par la France des règlements de l’Union Européenne, sont apparues de nouvelles questions concernant leur champ d’application (III).

I- Le mariage entre limitation de pouvoirs et extension des dettes ménagères

Bien qu’ils soient souvent saisis dans le cadre d’une procédure de divorce, les juges peuvent être amenés à se prononcer sur des questions relatives aux droits et devoirs des époux pendant le mariage, notamment quant au pouvoir de percevoir les dividendes dans un couple commun en biens (A) et sur la qualification des dettes hospitalières du conjoint (B).

A. La perception des dividendes communs réservés à l’époux associé

Première chambre civile de la Cour de cassation, 5 novembre 2014 (n°13-25.820)

La Cour de cassation vient préciser qu’il convient de distinguer nature et pouvoir, en affirmant que le conjoint d’un époux commun en biens ne peut percevoir les dividendes dus à ce dernier, bien que ceux-ci soient communs.

En l’espèce, les époux sont soumis au régime légal de la communauté réduite aux acquêts. Ils sont devenus associés d’une société, l’époux détenait 200 parts et la femme 9 500 parts. La société en 2002 et 2005 a versé les dividendes dus à l’épouse au mari.

Celle-ci assigne alors la société et son époux aux fins de paiement de ces sommes.

La cour d’appel rejette la demande de l’épouse, au motif que les sommes ont été versées au mari, qui est réputé légalement, au visa des articles 1421 et 1401 du Code civil, avoir perçu les dividendes en cause pour le compte de la communauté.

La cour d’appel fonde donc son raisonnement sur la qualification de biens communs des dividendes et sur la gestion concurrente des époux qui en découle. Ainsi, elle considère que l’époux avait le pouvoir de percevoir les dividendes communs.

La femme forme alors un pourvoi en cassation auprès de la première chambre civile, selon le moyen que bien que les dividendes soient communs, elle avait seule qualité pour les percevoir.

La Haute juridiction casse l’arrêt d’appel au visa de l’article 1832-2 du Code civil, au motif qu’en statuant ainsi, alors que l’associé a seul qualité pour percevoir les dividendes, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si l’épouse avait donné son accord pour que ces dividendes soient versés entre les mains de son conjoint, n’a pas donné de base légale à sa décision.

La cour d’appel, dans sa décision ne s’est fondée que sur le droit relatif aux régimes matrimoniaux, en ignorant le droit des sociétés.

Les époux étant mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts et ceux-ci réalisant l’apport en société pendant le mariage, il convient d’appliquer la distinction du titre et de la finance. En effet, bien que la finance soit commune, le titre est propre à chacun des époux associés. Ils sont tous deux associés, ils exercent donc seuls les pouvoirs politiques en découlant, qui leur sont personnels.

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Ainsi, bien qu’il soit indéniable que les dividendes sont des biens communs sur le fondement de l’article 1401 du Code civil et d’un arrêt de la première chambre civile du 12 décembre 2006, il n’était pas ici question de la nature des dividendes mais des pouvoirs des époux sur ceux-ci. Les dividendes ne sont des acquêts qu’une fois distribués, ils ne pouvaient donc pas être distribués au conjoint, qui n’avait pas encore sur eux un pouvoir de gestion concurrente.

De plus, selon la Haute juridiction, la qualité pour percevoir les dividendes est attachée à la qualité d’associé.

Cependant, il est possible de distinguer la décision de distribution des dividendes, ne pouvant être prise que par l’associé, et la perception de ceux-ci qui pourrait être faite par l’un ou l’autre des époux, les dividendes étant communs. Ainsi, la Cour a retenu que l’époux du prêteur a le pouvoir de recevoir le remboursement de sommes, présumées communes, selon un arrêt de la première chambre civile du 31 janvier 2006. La Haute juridiction déduit de la nature du bien les pouvoirs des époux sur ceux-ci, sans tenir compte de la qualité de cocontractant. La Cour aurait pu transposer cette décision en permettant au conjoint de l’associé de percevoir les dividendes communs, au regard du droit des régimes matrimoniaux.

Cependant, telle n’a pas été la solution rendue, les magistrats statuant au regard du droit des sociétés, qu’ils font primer par rapport aux règles des régimes matrimoniaux.

Conseil pratique 

Ainsi, seul l’associé a qualité pour percevoir les dividendes, même s’ils constituent des biens communs, ce qu’il conviendra de préciser aux époux pour prévenir tout litige ultérieur.

B. L’application de la qualification de dettes ménagères aux dépenses de santé

Première chambre civile de la Cour de cassation, 17 décembre 2014 (n°13-25.117)

En application de l’article 220 du Code civil, les dépenses de santé contractées par un des époux sont des dettes ayant pour objet l’entretien du ménage qui engagent l’autre solidairement.

En l’espèce, les époux se sont mariés le 27 octobre 2006 à Douala (Cameroun). L’épouse a été hospitalisée du 5 au 15 mai 2008, puis le 3 septembre de la même année à l'hôpital Hôtel Dieu de Paris, outre une consultation externe du 6 juin 2008 ; les frais d'hospitalisation s'élèvent à 15 818,80 €. Par une requête du 9 janvier 2012 l'assistance publique des hôpitaux de Paris a déposé un recours envers son époux pour le règlement desdits frais d'hospitalisation.

Suite à cette requête, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a obtenu de la cour d'appel de Paris par un arrêt rendu le 4 juillet 2013, la condamnation du mari, à lui payer la somme de 15 306 € correspondant aux frais d'hospitalisation engagés par son épouse en 2008.

Monsieur décide de se pourvoir en cassation suite à sa condamnation. Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, deux fondements. Nous traiterons uniquement du deuxième moyen puisque selon la Haute cour, le premier moyen est dénué de tout fondement.

Sur le second moyen, l’époux invoque le fait que les juges du fond avaient écarté à la fois l’article L. 6145-11 du Code de la santé publique, qui permet aux établissements publics de santé d'exercer un recours en paiement contre les débiteurs des hospitalisés et contre les personnes

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désignées par les articles 205, 206, 207 et 212 du Code civil. En effet, les établissements de santé disposent, par voie d’action directe, d’un recours contre les débiteurs des personnes hospitalisées et plus spécialement contre les débiteurs d’aliments, ce recours est à la mesure de ce dont les débiteurs sont redevables. Mais en vertu du principe selon lequel « les aliments ne s’arréragent pas », les débiteurs ne semblent pas pouvoir être condamnés à payer des sommes pour une période antérieure à l’assignation en justice. Alors, selon le pourvoi, la somme de 15 306 € demandée par l’AP-HP correspondant à une dette d’aliment contractée par son épouse durant son hospitalisation en 2008, dette échue cette même année, la cour d’appel a violé les articles L. 6145-11 du Code de la santé publique et 205 du Code civil selon lesquels « les aliments ne s’arréragent pas », d’autant que l’assignation en paiement de l’AP-HP n’était intervenue que le 9 janvier 2012. Enfin, selon le mari, cette condamnation prononcée à son encontre aurait dû être proportionnée, compte tenu de la dette d’aliment réclamée, à la fortune de celui à qui elle est réclamée.

La Cour de cassation, statuant sur le second moyen du pourvoi formé par l'époux, approuve l'arrêt de la cour d’appel.

En effet, malgré les éléments fournis par le pourvoi ainsi que par les jurisprudences précédentes la Cour de cassation a préféré axer sa décision sur le droit des régimes matrimoniaux et étendre le caractère de dettes ménagères engageant solidairement les époux à l’ensemble des dépenses de santé contractées par l’un des membres du couple. En effet, selon la Cour de cassation, il résulte de l’article 220 alinéa 1 du Code civil qu’une dette de santé contractée par l’un des époux engage l’autre solidairement. Cette décision a pour effet d’exclure, s’agissant du recours exercé par l’AP-HP sur le fondement de l’article L. 6145-11 du Code de la santé publique, la dette objet d’un tel recours des dettes alimentaires soumises à la règle selon laquelle « les aliments ne s’arréragent pas ». L’application de l’article 220 alinéa 2 du Code civil n’a pas lieu à s’appliquer au regard du fait qu’il n’a pas été justifié par le pourvoi qu’il était dans l’impossibilité de s’acquitter de ces frais. Ainsi, l’alinéa 2 dudit article n’aura pas lieu à s’appliquer puisqu’il dispose que « La solidarité n'a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l'utilité ou à l'inutilité de l'opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant ». Le principe de l’exclusion de la solidarité en cas de dépenses manifestement excessives sera écarté du fait que l’époux n’a pas invoqué que cette dette était manifestement trop élevée eu égard au train de vie du ménage.

Il faut préciser que ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation qualifie les dépenses de santé de l’un des époux comme des dettes ménagères qui les engagent solidairement. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 10 mai 2006 avait précisé que les soins dentaires engagés par un époux constituaient des dépenses relatives à l’entretien du ménage, sauf si ces dernières avaient un caractère manifestement excessif.

II- Les effets patrimoniaux du divorce

Dans le cadre d’une procédure de divorce, outre la liquidation du régime matrimonial (A), le juge peut prononcer diverses mesures, notamment l’octroi d’une prestation compensatoire et une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants (B). Il détermine également le caractère gratuit ou onéreux de la jouissance du logement familial (C) et les incidences fiscales du divorce (D).

A. Les opérations de liquidation

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Le professionnel, confronté à la liquidation du régime matrimonial, lors d'un divorce, doit souvent ramener ses clients à la réalité. Classiquement, lorsqu’il est en présence d'un époux qui, surtout lorsqu'il subit la séparation, a tendance à vouloir « récupérer » sur le patrimoine de l'autre quelques indemnités ou à minimiser la valeur de ce qu’il détient afin que l’autre ne puisse pas en bénéficier. Dans un régime communautaire, lorsqu’il s’agit d’établir la valeur de parts sociales acquises par un des époux durant leur union et vendues sans l’accord de l’autre pendant l’indivision post-communautaire, on retient la valeur de l’acte de cession (1). Il est également difficile de faire comprendre que le régime de la séparation de biens, n'est pas un régime communautaire et que dès lors qu’un bien est acquis en indivision, la preuve d’une sur-contribution d’un des époux doit être rapportée sinon, c’est les proportions prévues par le titre de propriété qui feront foi (2).

1) La valeur des parts sociales communes à retenir en cas de vente pendant l’indivision post-communautaire

Première chambre civile de la Cour de cassation, 22 octobre 2014 (n° 12-29.265)

Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que durant la phase d’indivision post communautaire, un époux peut vendre les titres dont il est propriétaire sans l’accord de son conjoint. Si ce dernier n’est pas d’accord avec cette vente, il peut faire appel à un expert qui déterminera le montant à retenir pour le partage de la communauté.

En l’espèce, après le prononcé du divorce des époux, des difficultés apparaissent lors des opérations de liquidation et de partage de leur communauté. En effet, durant l’union madame avait fait l’acquisition de parts sociales, ces parts étaient donc des biens communs pour leur valeur et des biens propres pour leur titre, en application de la distinction du titre et de la finance. Elle avait donc seule la qualité d’associé.

Lors de l’indivision post-communautaire elle vend ses parts moyennant un prix de 4000€, sans l’accord de son ex-époux. Ce dernier estimant le prix bien trop faible décide de faire appel à un expert qui affirme que les parts ont une valeur de 75 000€. La femme demande alors au tribunal que la valeur des parts retenue pour la liquidation et le partage de la communauté soit de 4 500 € et non de 75 000€. Cette dernière porte ensuite l’affaire devant la cour d’appel de Paris, qui, par un arrêt du 5 septembre 2012, ne fait pas droit à sa demande et considère qu’elle ne peut se prévaloir du prix de cession de ses parts indivises car son ex-époux n’y avait pas donné son consentement.

Face à une telle décision, elle décide alors de former un pourvoi en cassation considérant que la cession d'un bien indivis par un seul indivisaire est opposable aux coïndivisaires à concurrence de la quote-part de son auteur en application de l’article 815-3 du Code civil.

La première chambre civile de la Cour de cassation par son arrêt du 22 octobre 2014 rejette le pourvoi mais elle substitue le motif retenue par la cour d’appel de Paris.

En effet, la Haute juridiction considère que lors de la dissolution de la communauté, la qualité d'associé attachée à des parts sociales communes ne tombe pas dans l'indivision. Seule la valeur de ces parts appartiendra à cette indivision, ainsi, le conjoint associé est libre d’en disposer seul et la valeur portée à l'actif de la communauté est celle évaluée au jour du partage.

En l’espèce, comme les parts sociales attribuées à l'épouse pendant la durée du mariage, ont été cédées par celle-ci au prix de 4 000 euros pendant l'indivision post-communautaire et que les parties n'ont pas critiqué l'évaluation des parts effectuée par l'expert, la Cour de cassation en déduit que celle ci constitue la valeur devant figurer à l'actif de la communauté.

Ainsi, la Haute juridiction par cet arrêt confirme la distinction du titre et de la finance, et cela même pendant la période d’indivision post-communautaire. Le titre est donc propre à l’époux

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associé que ce soit durant l’union, ou durant la phase de liquidation du régime matrimonial. Ce dernier a donc le pouvoir de céder ses titres seul, c’est à dire sans l’accord préalable de son coïndivisaire. La première chambre civile avait énoncé la même solution dans un arrêt du 12 juin 2014 (pourvoi n°13-16309)3, il semblerait donc que la Haute juridiction réaffirme sa position, en précisant en l’espèce la valeur à porter à l’actif communautaire.

Conseil pratique

Ainsi le notaire peut réaliser durant l’indivision post-communautaire, un acte de disposition de parts sociales appartenant à l’un des époux pour son titre, mais dépendant de l’indivision pour sa valeur, sans avoir obtenu l’accord de l’époux coïndivisaire. En faisant cela il ne commet pas de faute et sa responsabilité ne peut donc pas être engagée. Il devra porter à l’actif communautaire comme valeur le prix de cession.

2) L’absence de créance pour le financement du logement indivis dans un régime de séparation de biens

Première chambre civile de la Cour de cassation, 5 novembre 2014 (n° 13-23.557)

En application de l’article 214 du Code civil, le logement de la famille acquis indivisément par les époux alors que l’épouse ne travaille pas, traduit implicitement de la part du mari, un accord pour que le financement se fonde dans la contribution aux charges du mariage sauf à ce que ce dernier puisse démontrer que sa participation financière excédait sa part de contribution.

Deux époux se sont mariés le 28 décembre 1963 sous le régime de la séparation de biens. Après le prononcé de leur divorce en 2009, des difficultés sont apparues en ce qui concerne la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux.

En 1976, les époux ont acquis en indivision une maison située à Castelmaurou près de Toulouse pour un montant de 220 000 francs. Cette acquisition a été financée par deux emprunts accordés par la banque d’escompte et de crédit et par un financement personnel de Monsieur à hauteur de 20 000 francs. Le premier emprunt a été octroyé pour un montant de 120 000 francs sur une durée de 15 ans et un second prêt relais a été accordé pour un montant de 100 000 francs, dans l’attente de la vente d’un appartement situé à Paris. Il résulte des pièces figurant au procès-verbal du 25 novembre 2009 et des déclarations des parties devant le notaire, que le crédit relais a été soldé par la vente du bien sis à Paris et par la vente d’une partie d’un terrain. En ce qui concerne l’apport personnel de Monsieur, ce dernier n’est pas en mesure d’apporter la preuve de son versement de 20 000 francs lors de la signature du sous seing privé pour l’acquisition de la maison. Il apporte seulement une déclaration de Monsieur Z. datant de 2006, dans laquelle celui-ci affirme lui avoir prêté en décembre 1975, soit quelques mois avant l’acquisition la somme de 50 000 francs pour qu’il puisse arrêter auprès de son notaire l’achat de la maison de Castelmaurou. Ce dernier déclare que la somme prêtée lui a été remboursée dans les délais convenus.

A la suite de leur divorce, l’ex-époux affirme avoir payé seul cette acquisition de Castelmaurou et qu’il détient alors une créance contre l’indivision. Madame conteste les arguments de son ex-époux en faisant valoir sa contribution en industrie aux charges du mariage. Cependant, aucun élément plus probant ne permet d’affirmer que Monsieur a financé seul ce bien puisque hormis cette attestation de Monsieur Z., il n’est pas en mesure de fournir des éléments plus probants tels que des documents bancaires attestant des mouvements de fonds. Il n’est pas non plus à même 3 Voir l’étude de cet arrêt dans la XVIe Veille juridique.

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de fournir les preuves qui permettraient de confirmer qu’il a financé seul le bien de Paris dont le prix a été remployé pour le financement de la maison de Castelmaurou. Monsieur avance simplement qu’étant le seul à travailler, c’est lui qui a financé seul cette acquisition et fait valoir que dans l’acte d’achat signé par les deux parties, Madame était, au moment de cette acquisition, renseignée comme « sans profession » et que lui-même était mentionné dans l’acte comme « chargé de relations publiques rectorat ».

Monsieur fait grief à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Toulouse, le 16 avril 2013, de l’avoir débouté de sa demande au titre du financement de la maison de Castelmaurou et de ne pas avoir recherché si sa contribution n’excédait pas sa part de contribution aux charges du mariage. La cour d’appel rejette une éventuelle créance au profit de Monsieur en affirmant que le financement par celui-ci s’explique par son souhait d’acquérir le logement de la famille en indivision tout en sachant très bien que son épouse n’avait pas d’activité professionnelle. Les juges du fond avancent également comme arguments que du fait que Madame ne travaillait pas, les époux s’étaient tacitement entendu sur le financement de ce bien sur les charges du ménage et que l’épouse assumait les charges liées aux travaux du foyer et à l’éducation des enfants.

Comme l’avait précisé la cour d’appel, la Cour de cassation retient que le domicile conjugal a été acquis pour moitié par les deux époux, selon la formule de l’indivision ; que Monsieur savait que son épouse ne travaillait pas ; que les remboursements restants suite aux remboursements du prêt relais par Monsieur étaient de 1416 francs et qu’il n’est pas en mesure de fournir des documents démontrant que cette mensualité de prêt excédait ce qui aurait dû être payé par le couple au titre d’un loyer. La Haute cour retient également que Madame assumait les travaux du foyers et l’éducation des enfants, que par la suite cette dernière a repris une activité et percevait une rémunération et que Monsieur n’établit donc pas un principe de créance contre son épouse pour le financement de ce bien. Enfin, Monsieur n’a pas apporté d’éléments plus précis et plus probants durant les rendez-vous que les époux ont pu avoir chez le notaire ou lors des opérations d’expertises et donc que par conséquent sa demande concernant la désignation d’un nouveau notaire pour faire de plus amples investigations ne peut être accueillie après près de dix ans de procédure. Ainsi, les règlements relatifs à ce logement, opérés par le mari, participaient à son obligation de contribuer aux charges du mariage sur le fondement de l’article 214 du Code civil et que sans avoir à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée concernant une éventuelle contribution excessive, la Cour de cassation a légalement justifié sa décision et rejette le pourvoi.

Pour cerner la portée de cet arrêt, il est utile de se référer aux jurisprudences des deux dernières années en matière de financement du logement sous un régime de séparation de biens et à la notion de contribution aux charges du mariage. Il semblerait que les dépenses d’investissement notamment en ce qui concerne le financement de la résidence principale soient de manière quasi-systématique incluses dans la contribution aux charges du mariage ce qui semble écarter tout argument lié à la nature de la dépense.

Un arrêt rendu le 18 décembre 2013 par la première chambre civile de la Cour de cassation vient affirmer que les dépenses relatives au financement d’une résidence secondaire acquise par des époux en séparation de biens entrent dans le champ de l’article 214 du Code civil. De même, qu’un arrêt de la première chambre civile du 8 octobre 2014 confirme cette logique en précisant que le paiement de l’emprunt relève de la contribution aux charges du mariage même dans le cas d’un financement inégal.

Néanmoins, il ne faut peut-être pas généraliser cette règle à toutes les acquisitions sous le régime de la séparation de biens. Même si l’on comprend que la solution rendue par la Cour de cassation met en avant la notion de domicile conjugal, on peut largement s’interroger sur l’application du fondement de l’article 214 du Code civil à l’ensemble des financements des époux

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séparés de biens. La jurisprudence vise principalement le logement de la famille, dans ce cas, les espoirs de remboursement pour l’époux solvens sont minces sauf à pouvoir justifier d’une contribution excessive. Par contre, en ce qui concerne les financements de résidences secondaires (comme dans l’arrêt du 18 décembre 2013), on peut se demander si les décisions à venir iront dans le même sens. Ce qui semble certain, c’est que hors circonstances très spécifiques, cette solution n’a pas vocation à s’appliquer à l’ensemble des acquisitions immobilières des époux mariés en séparation de biens.

Conseil pratique

Pour éviter un effacement de sa créance, il appartient à l’époux qui se prétend créancier d’apporter la preuve qu’il a contribué de manière excessive aux charges du mariage. Même si l’on peut supposer que cette démarche sera longue et difficile car en cas de divorce, l’autre cherchera toujours à apporter la preuve de sa contribution (fréquemment il s’agit de Madame qui fera valoir sa contribution en industrie). Il faut préciser que cette démarche pourra se faire si le contrat de mariage des époux ne prévoit pas de clause très fréquente selon laquelle les époux sont réputés fournir leur contribution au jour le jour et s’en tenir quitte, les juges du fond pourront apprécier la preuve fournie (1ère chambre civile de la Cour de cassation du 25 septembre 2013). En revanche, si le contrat de mariage prévoit la clause précitée, il sera très difficile d’invoquer une « sur-contribution » (1ère chambre civile de la Cour de cassation du 25 juin 2014). Ainsi, le notaire doit mettre en garde ses clients, car une telle clause consiste en réalité à créer une société d’acquêts sur le logement acquis par les époux pour moitié chacun, il sera alors très difficile de mettre en avant une contribution insuffisante de l’un ou l’autre des époux car ce type de clause l’exclut de fait.

B. La détermination d’une éventuelle prestation compensatoire et contribution à

l’entretien et à l’éducation des enfants

Le divorce met fin au devoir de secours entre époux prévu par l’article 212 du Code civil, mais l’un des conjoints peut être tenu de verser à l’autre une prestation compensatoire, pour compenser la disparité que la rupture du mariage crée dans leurs conditions de vie respectives. Le juge est venu éclaircir dans divers arrêts la méthode de calcul de la prestation compensatoire et de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants (1) et les modalités de paiement de la prestation compensatoire (2).

1) Les modalités de calcul de la prestation compensatoire et de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants

La Cour de cassation est venue préciser dans plusieurs arrêts récents les modalités de calcul de la prestation compensatoire et de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, à savoir les « ressources » à prendre en compte ou non pour déterminer leurs montants.

Première chambre civile de la Cour de cassation, 19 novembre 2014 (n°13-23.732)

La Cour de cassation vient rappeler dans cet arrêt que la prestation compensatoire est exclue des ressources prises en compte pour la détermination de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants.

Si la solution rendue par la Cour et son raisonnement se justifient sur certains points, ils soulèvent cependant quelques remarques.

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En l’espèce, dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel, les époux fixent la résidence principale des enfants en alternance au domicile de chacun d’eux. Ils conviennent également que le père devra verser à la mère une contribution à l’entretien et à l’éducation de leurs enfants de 250€ par mois par enfant. Le mari s’oblige en outre à verser à sa femme une prestation compensatoire de 60 000€, payable de la manière suivante : 500€ par mois pendant dix ans. La convention est homologuée dans ces termes par le juge.

Ultérieurement, la mère demande au juge de majorer la contribution mensuelle versée par son ex-époux pour l’entretien et l’éducation de leurs enfants. Les juges du fond la déboutent de sa demande, au motif que sa situation financière ne s’est pas dégradée depuis le divorce, celle-ci percevant une prestation compensatoire de 500€ par mois.

Elle forme alors un pourvoi en cassation, selon le moyen que la prestation compensatoire ne doit pas être prise en compte pour apprécier sa situation financière dans le but de déterminer la contribution d’entretien et d’éducation des enfants.

La Haute cour censure l’arrêt d’appel, au visa des articles 371-2, 373-2-2 et 270 alinéa 2 du Code civil, au motif que la prestation compensatoire, destinée à compenser la disparité dans les conditions de vie respectives des époux créée par la rupture du mariage, n’a pas à être incluse dans l’appréciation des ressources de l’époux à qui elle est versée pour la fixation de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants.

La solution n’est pas nouvelle ; la deuxième chambre civile avait déjà affirmé, que la prestation compensatoire reçue ne doit pas être prise en compte pour apprécier les ressources de l’époux, à qui la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants est versée, le 3 décembre 1997.

La notion de « ressources » de l’article 371-2 du Code civil a toujours été interprétée de manière extensive, celle-ci se distinguant de la notion plus restrictive de revenu. La Haute juridiction a pourtant toujours refusé d’y inclure les prestations compensatoires. En effet, la prestation compensatoire a un caractère indemnitaire selon l’article 270 du Code civil et un arrêt de la première chambre civile en date du 6 mars 2007. Elle est destinée à compenser la disparité des niveaux de vie entre époux consécutive au divorce. Ce n’est donc pas un revenu. Telle est également la position de l’administration fiscale, qui lui refuse le caractère de revenu et ne la soumet donc pas à l’impôt sur le revenu.

Cependant, la prestation compensatoire a également un caractère alimentaire selon l’article 270 du Code civil. La contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants est versée sous la forme d’une pension alimentaire selon l’article 373-2-2 du Code civil. Selon l’article 208 du Code civil les aliments sont accordés dans la limite de la fortune de celui qui les doit. On prend en compte la fortune et non les revenus. Ainsi, la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants « diminue les ressources » de l’époux débiteur de la prestation compensatoire, selon un arrêt de la deuxième chambre civile du 2 mai 2011. La Cour assimile donc fortune et ressources, qu’elle distingue des revenus. Les aliments versés font donc varier les ressources. Dans ce cas, pourquoi la Cour refuse de prendre en compte la prestation compensatoire versée, ayant un caractère alimentaire, dans la détermination du montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, qui doit être versée par les parents « à proportion de leurs ressources » selon l’article 371-2 du Code civil ? Certes, la prestation compensatoire n’est pas un revenu mais elle constitue une ressource et devrait donc être prise en compte pour la détermination de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, d’après la lettre du texte.

Première chambre civile de la Cour de cassation, 14 janvier 2015 (n°13-27.319)

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Dans cet arrêt, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle que la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants perçue par le conjoint ne peut pas être prise en compte dans l’appréciation des ressources et la détermination du montant de la prestation compensatoire qui lui est due, celle-ci ne constituant pas un revenu bénéficiant à l’époux.

La même critique ressort, certes elle ne constitue pas un revenu mais c’est une ressource.

Première chambre civile de la Cour de cassation, 5 novembre 2014 (n°13-26.860)

Dans cet arrêt, la cour précise que les allocations familiales reçues pour l’entretien des enfants ne peuvent pas, elles non plus, être prises en compte au titre des ressources de l’époux pour déterminer le montant de la prestation compensatoire due à son conjoint.

En effet, la Cour va censurer l’arrêt d’appel au motif que ces allocations ne constituent pas un revenu bénéficiant à l’époux et ne doivent donc pas être prise en compte pour déterminer le montant de la prestation compensatoire. La critique faite à l’égard des arrêts précités est transposable en l’espèce, les juges ne distinguant pas entre ressource et revenu.

Par ailleurs, la Cour dans un arrêt du 17 novembre 2010 (n°09-12.261) avait pris en compte lesdites allocations au titre de « ressources » pour déterminer non le montant de la prestation compensatoire mais celui de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. Cela est justifié dans le sens où les allocations familiales sont destinées à satisfaire aux besoins des enfants. Mais si elles constituent des ressources elles devraient être également prises en compte pour la prestation compensatoire ou ne pas être prises en compte comme ressources dans les deux cas.

Première chambre civile de la Cour de cassation, 22 octobre 2014 (n°13-24.802)

Les sommes versées à titre de compensation du handicap de l’époux doivent être prises en compte au titre de ses ressources pour déterminer le montant de la prestation compensatoire.

En effet, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel le second alinéa de l’article 272 du Code civil dans sa décision n°2014-398 QPC 2 juin 2014 publiée le 4 juin 2014. Sur ce fondement la Cour censure l’arrêt d’appel qui n’avait pas tenu compte desdites sommes pour déterminer le montant de la prestation compensatoire due.

Première chambre civile de la Cour de cassation, 5 novembre 2014 (n°13-18.158)

Attention, la prise en compte pour le calcul de la prestation compensatoire ne vaut que pour les compensations versées pour le handicap de l’époux.

Ainsi, dans cet arrêt la Cour affirme que l’indemnité compensatrice pour tierce personne reçue par la femme pour le handicap de l’enfant n’a pas à être prise en compte au titre de ses ressources pour déterminer le montant de la prestation compensatoire.

En effet, cela ne constitue pas pour elle une source de revenu, même dans le cas où elle exercerait elle-même une partie des fonctions de tierce personne.

Première chambre civile de la Cour de cassation, 19 novembre 2014 (n°13-25.414)

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Dans cet arrêt la Cour prend en compte le fait que l’épouse soit en concubinage lors du prononcé du divorce pour apprécier ses ressources et déterminer s’il y a lieu ou non à prestation compensatoire.

En l’espèce, les juges de première instance avaient débouté l’épouse de sa demande de prestation compensatoire. Les juges du fond lui octroi une prestation compensatoire au motif qu’il n’y a pas lieu de tenir compte du remariage postérieur de madame. La Cour censure l’arrêt d’appel au motif que, sans rechercher si à la date du prononcé du divorce madame ne vivait pas déjà en concubinage et si cette situation n’avait pas une incidence sur l’appréciation de la disparité que la rupture du mariage était susceptible de créer dans les conditions de vie respectives des époux, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. Ainsi, si les futurs ex-époux sont en concubinage lors du prononcé du divorce, il convient de prendre en compte les revenus des nouveaux ménages formés pour apprécier la disparité des conditions de vie entre les époux due à la rupture du mariage et donc à l’octroi ou non d’une prestation compensatoire.

Les modalités de calcul de la prestation compensatoire ou de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ne sont donc pas choses aisées. La Cour est venue en rappeler les contours au fil des derniers mois. Bien qu’elle précise les ressources à prendre en compte ou non, certaines inclusions ou exclusions sont critiquables à minima quant à la cohérence des notions et du dispositif, il est vrai que bien que certaines sommes exclues ne soient pas des revenus elles constituent bel et bien des ressources.

Le notaire, qui peut être confronté à la question, notamment dans le cadre de l’article 255 10° du Code civil, devra se conformer à la jurisprudence en vigueur.

Tableau (non exhaustif) des ressources à prendre en compte ou non pour fixer la prestation compensatoire et la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants :

Ressources   : Prestation compensatoire Contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants

Contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants

Prise en compte pour le débiteur de

la PC

Ignorée pour le bénéficiaire de la PC

Allocations familiales Ignorées Prises en compte

Compensation handicap d’un époux Prise en compte Prise en compte

Handicap de l’enfant Compensation pour tierce personne ignorée Allocation d’éducation spéciale prise en compte

Prestation compensatoire Prise en compte pour le débiteur de la PC versée à un précédent conjoint Ignorée

Ressources nouveau concubin Prises en compte Prises en compte

2) Les modalités de versement d’une prestation compensatoire

Première chambre civile de la Cour de cassation, 5 novembre 2014 (n°13-22.740)

La première chambre civile de la Cour de cassation vient préciser dans un arrêt du 5 novembre 2014, les modalités de versement de la prestation compensatoire prévue par l’article 274 du Code civil.

Il s’agissait d’un couple dont le divorce avait été prononcé par un jugement aux torts du mari.

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En l’espèce, l’épouse ayant cessé toute activité professionnelle pour suivre son mari qui travaillait à l’étranger, elle ne disposait d’aucun revenu personnel et n’avait pas accumulé de droits à pension. A ce titre, une prestation compensatoire lui était due, compte tenu de son état de santé fragile, Madame ayant souffert d’un cancer et présentant des problèmes osseux. De plus, compte tenu de son âge avancé (65 ans), elle n’est pas en mesure de subvenir à ses besoins.

Rappelons que le divorce met fin au devoir de secours entre époux prévu par l’article 212 du Code civil, mais que l’un des conjoints peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans leurs conditions de vie respectives.

En l’espèce, la prestation compensatoire paraît ainsi justifiée compte tenu du fait que Monsieur possède une retraite avoisinant les 5 000€ par mois, qu’il dispose d’une assurance vie et de plusieurs propriétés aux quatre-coins du monde (Turquie, Israël, Espagne, France, Angleterre) et qu’il n’a de plus justifié d’aucune charge. Alors que sa femme, qui s’est consacrée à son mari et à l’éducation de son fils durant toute sa vie, n’a à ce jour aucune retraite et des charges qui s’élèvent à une somme avoisinant les 3 000€ par mois. A ce titre, il est donc justifié qu’elle bénéficie d’une prestation compensatoire de la part de son mari qui a provoqué la dissolution de leur mariage.

La cour d’appel de Paris le 13 juin 2013 se prononce sur les modalités de versement de la prestation compensatoire. Elle condamne Monsieur à payer à son épouse une prestation compensatoire payable pour partie sous forme de rente et pour partie sous forme de capital. Le capital, de 224 962€, est payable sous forme d’attribution de la part de Monsieur dans la propriété de l’immeuble commun situé TWICKENHAM (Royaume-Uni) dont la jouissance lui avait été attribuée. La rente mensuelle viagère quant à elle s’élève à 1400€ par mois.

Une telle prestation compensatoire ne peut être allouée sous forme d’un capital et d’une rente qu’à la double condition que cette allocation soit exceptionnelle et spécialement motivée. La cour d’appel motive sa décision par le fait que l’épouse avait été victime d’un cancer en 1994, qu’elle avait subi une intervention chirurgicale en 2010 et que la fragilité de son état de santé ne lui permet pas de subvenir à ses besoins. Elle pouvait donc bénéficier d’une prestation compensatoire versée sous la forme d’une rente mais aussi d’un capital relatif à l’abandon d’un bien en pleine propriété pour être assurée du versement de cette prestation.

L’époux forme alors un pourvoi en cassation, estimant ne pas avoir à être privé de son droit de propriété par l’attribution forcée de sa part dans la résidence de TWICKENHAM au titre d’une prestation compensatoire due à sa femme. Ceci du fait que l’attribution n’est pas seule de nature à apporter la garantie suffisante du versement de la prestation puisque une somme d’argent aurait pu être versée conformément à l’article 274-1° du Code civil.

La Cour de cassation a du s’interroger sur de telles modalités de versement d’une prestation compensatoire. Ceci dans le but d’examiner si une telle attribution pouvait être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport au but d’intérêt général poursuivi ou si au contraire cette mesure était valablement proportionnée au but recherché. Il fallait pour cela vérifier si l’attribution forcée du bien en ce qui concerne le capital constituait une modalité subsidiaire d’exécution de la prestation compensatoire.

Le 5 novembre 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel de Paris du 13 juin 2013 au visa de l’article 274 du Code civil, estimant que la subsidiarité des modalités de versement de la prestation compensatoire n’était pas démontrée. La Cour de cassation fait donc une fois de plus application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 13 juillet 2011 rendue à la suite d’une QPC aux termes de laquelle, « l’atteinte au

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droit de propriété qui résulte de l’attribution forcée prévue par le 2° de l’article 274 du Code civil ne peut être regardée comme une mesure proportionnée au but d’intérêt général poursuivi que si elle constitue une modalité subsidiaire d’exécution de la prestation compensatoire en capital. »

En effet, pour convenir d’une prestation compensatoire versée sous forme de rente et de capital il faut que celle ci soit justifiée par des circonstances exceptionnelles et spécialement motivées comme l’avait déjà précisé un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 16 mars 2004 (pourvoi n°01-17.757). En l’espèce, les raisons n’avaient pas été spécialement motivées. S’agissant plus particulièrement de l’attribution forcée d’un immeuble en pleine propriété prévue par l’article 274 2° du Code civil, la Cour de cassation confirme la position qu’elle avait retenue dans un arrêt du 28 mai 2014 (Civ1ère 28 mai 2014 n°13-15.760) où elle avait appliqué pour la première fois la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel qui avait conféré un caractère subsidiaire à l’attribution forcée d’un immeuble en exécution de la prestation compensatoire (Conseil constitutionnel 13 juillet 2011).

Aujourd’hui le juge ne peut décider de cette attribution que si le versement du capital sous la forme d'une somme d'argent (C.civ., art. 274, 1°) est impossible ou qu'il ne paraît pas suffisant pour garantir le versement de cette prestation. Le juge doit vérifier cette impossibilité et justifier avoir réalisé cette recherche, ce que la Cour de cassation contrôle. Or, en l'espèce, cette vérification n'avait pas été effectuée par les juges du fond. La Cour de cassation censure donc le raisonnement de la cour d'appel qui a privé sa décision de base légale. Cet arrêt restreint ainsi la possibilité pour le juge de décider d'une « expropriation pour cause d'utilité privée » et doit, à ce titre, être approuvé au regard du respect dû aux droits fondamentaux.

Conseil pratique

On pourrait préciser aux praticiens chargés d’évaluer les prestations compensatoires et d’en prévoir les modalités de versement qu’il est impératif pour eux quand ils choisissent d’opérer à une attribution de bien en propriété qu’ils prouvent le caractère subsidiaire de cette mesure par rapport à celle prévue à l’article 274 1° du Code civil : le versement d’une somme d’argent. Mais aussi qu’ils motivent spécialement leur choix compte tenu de situations exceptionnelles. Ce n’est qu’en faisant ainsi que les juges valideront une telle prestation compensatoire.

C. La jouissance du logement de la famille

Souvent, dans le cadre d’une séparation, l’un des époux reste dans ce qui était jusqu’alors le logement de la famille. Les magistrats se sont prononcés sur le caractère onéreux ou gratuit de la jouissance du logement de la famille, pour la période antérieure à l’ordonnance de non conciliation (1) et pour la période postérieure au prononcé du divorce (2).

1) La jouissance du logement pendant la séparation de fait

Première chambre civile de la Cour de cassation, 19 novembre 2014 (n°13-24.584)

La Cour de cassation, dans ses motifs, semble ignorer la présomption de gratuité de la jouissance du logement de la famille pour la période antérieure à l’ordonnance de non-conciliation.

En l’espèce, lors du divorce de deux époux séparés de biens, l’ordonnance de non conciliation du 24 novembre 2009 attribue la jouissance du logement au mari à titre onéreux. La

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décision de divorce, par la suite, fixe la date des effets du divorce au jour de la cessation de la cohabitation et de la collaboration des époux, soit le 3 novembre 2007. Le jugement de première instance décide que la jouissance du logement pendant la séparation de fait sera une jouissance onéreuse. La décision est confirmée en appel.

Le mari forme alors un pourvoi en cassation, selon le moyen que l’article 262-1 du Code civil prévoit une jouissance gratuite pendant la période de séparation de fait. Bien que le juge puisse décider du contraire, le caractère onéreux de la jouissance n’en demeure pas moins l’exception de sorte que ce n’est pas la jouissance gratuite, mais la jouissance onéreuse, qui doit reposer sur des circonstances particulières. Or, il soutient dans son pourvoi que pour conférer un caractère onéreux à la jouissance pendant la séparation de fait, la cour d’appel s’est fondée sur l’absence d’éléments propres à justifier le bénéfice d’une jouissance gratuite, la cour d’appel a donc violé l’article précité.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, au motif que « la cour d’appel ayant constaté que le mari n’avait pas obtenu la jouissance gratuite du logement au titre de l’ordonnance de non conciliation, c’est à bon droit qu’elle a décidé qu’une indemnité d’occupation était due pour la période de séparation de fait ».

La Cour de cassation confirme donc l’arrêt d’appel. Cependant, le fait que l’attribution de la jouissance au mari au titre de l’ordonnance de conciliation ait été faite à titre onéreux, ne justifie pas que la jouissance antérieure, depuis la cessation de cohabitation et collaboration des époux, le soit également. La Cour semble méconnaître ici le principe de gratuité de la jouissance du logement de la famille antérieure à l’ordonnance de non conciliation.

Il aurait été plus judicieux de confirmer l’arrêt d’appel, car celle-ci avait retenue une jouissance onéreuse par des motifs propres à écarter une jouissance gratuite dans ses motivations.

On pourrait voir dans la formulation de la Cour une décision contra legem qui substitue une présomption d’onérosité de la jouissance antérieure à l’ordonnance de non conciliation, à la présomption de gratuité édictée par les textes. Bien qu’en l’espèce sa décision soit opportune, de par la différence de ressources des époux, le mari étant débiteur d’un devoir de secours envers son épouse, elle n’est pas justifiée en droit de par l’absence de motivations.

Sans doute la formulation de sa décision est maladroite, la première chambre civile ayant rappelé le principe de gratuité de la jouissance pour ladite période, quelques temps plus tôt, dans un arrêt du 23 octobre 2013.

Il serait opportun qu’elle le réaffirme dans une prochaine décision, pour lever toute ambiguïté.

Conseil pratique

Par conséquent, on ne saurait que trop conseiller aux notaires d’alerter les époux en instance de divorce sur la demande de report des effets du divorce à une date antérieure. En effet, cela peut engendrer de nombreuses conséquences, comme l’onérosité de la jouissance du logement de la famille y compris pour la période antérieure à l’ordonnance de non conciliation, si le juge en décide ainsi par décision motivée.

2) La jouissance du logement indivis postérieure au prononcé du divorce

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Première chambre civile de la Cour de cassation, 14 janvier 2015 (n°13-28.069)

La première chambre civile de la Cour de cassation le 14 janvier 2015 est revenue sur les conséquences de la jouissance d’un logement indivis postérieure au prononcé du divorce nécessitant ou non une indemnité d’occupation.

En l’espèce il était question d’un couple qui s’était marié sans contrat préalable et était donc soumis au régime légal de la communauté réduite aux acquêts prévus aux articles 1400 et suivants du Code civil.

Un juge aux affaires familiales a attribué au mari la jouissance de l’immeuble commun constituant le domicile conjugal par une ordonnance du 21 décembre 1998. Après le prononcé du divorce par un arrêt du 25 avril 2002, la femme a demandé le versement d’une indemnité d’occupation par son ex-époux à compter de cette date au titre de l’occupation privative du bien indivis.

Un premier jugement l’avait débouté de sa demande en indemnité d’occupation formulée à l’encontre de son ex-époux. Suite à cela elle avait interjeté appel devant la cour d’appel de Rouen. Le 13 décembre 2012 la cour d’appel de Rouen, confirme le jugement. Ceci aux motifs que l’ex-époux allègue avoir bénéficié d’un logement de fonction au Havre à compter du 7 février 2000 et que madame ne rapportait aucunement la preuve de ce qu’il aurait occupé de manière privative ce logement au delà du prononcé définitif du divorce.

Madame forme alors un pourvoi en cassation, estimant que son ex mari avait bénéficié, à titre gratuit en application de l’ordonnance de mise en état du 21 décembre 1998, de la jouissance du domicile conjugal et ce jusqu’au prononcé définitif du divorce par la cour d’appel le 25 avril 2002. Et qu’à ce titre, elle était fondée à demander qu’une indemnité d’occupation lui soit versée à compter de cette date jusqu’à la vente effective de l’immeuble le 18 janvier 2011 compte tenu du fait qu’il n’avait jamais été prouvé qu’il avait restitué la jouissance de cet immeuble à l’indivision.

La Cour de cassation a donc été soumise à la question suivante : l’absence d’occupation effective d’un bien dont on a obtenu la jouissance privative dans le cadre d’un divorce justifie t’elle le non versement d’une indemnité d’occupation prévue par l’article 815- 9 alinéa 2 du Code civil ?

Le 14 janvier 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation rend sa solution au visa de l’article 815-9 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle de la loi du 23 juin 2006 et de l’article 1315 du Code civil. Elle casse et annule la décision de la cour d’appel de Rouen du 13 décembre 2002 en estimant que l’indemnité d’occupation est « sauf convention contraire, à la charge de l’indivisaire en contrepartie du droit pour lui de jouir privativement d’un bien indivis, même en l’absence d’occupation effective, et qu’il incombait au mari de prouver avoir remis à la disposition de l’indivision le bien dont la jouissance lui avait été attribuée. »

Ainsi, la Cour de cassation rappelle le principe de l’article 815-9 alinéa 2 du Code civil selon lequel : «  L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est sauf convention contraire redevable d’une indemnité. » En effet, si l’un des ex-époux s’est vu attribuer par décision en justice la jouissance privative d’un bien de la communauté et donc d’un bien de l’indivision il y a une présomption selon laquelle il est réputé user et jouir privativement de ce bien jusqu’à ce qu’il justifie de la restitution de la jouissance de cet immeuble à l’indivision.

De plus, le fait de ne pas occuper le bien dont on a obtenu la jouissance privative ne suffit pas à justifier la restitution de jouissance. Pour en justifier il faudra par exemple que l’époux qui

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opère la restitution de jouissance, donne l’accès au bien à son ex-conjoint, mais aussi qu’il libère les lieux de manière effective, c’est à dire que ses affaires personnelles n’occupent plus les lieux.

Conseil pratique

Lorsque le notaire ou l’avocat aura connaissance que son client s’est vu accorder la jouissance privative d’un bien de l’indivision post-communautaire, il devra l’avertir qu’il sera redevable d’une indemnité d’occupation. Et lui préciser qu’à partir du moment où il ne souhaitera plus en avoir la jouissance il devra prouver avoir remis à la disposition de l’indivision ce bien qui lui avait été attribué pour que l’indemnité d’occupation cesse d’être due.

D. La fiscalité applicable aux époux en cas de divorce

Le prononcé d’un divorce aura diverses conséquences sur la fiscalité des époux concernant leurs biens. La jurisprudence viendra donc appliquer aux biens du couple une fiscalité adaptée, notamment pour ce qui concerne la plus value relative à la vente de la résidence principale des ex-époux après le divorce (2). Mais aussi en précisant le sort du remboursement de l’impôt sur le revenu payé par le conjoint séparé de bien (1).

1) Le remboursement de l’impôt sur le revenu payé par le conjoint séparé de biens

Première chambre civile de la Cour de cassation, 5 novembre 2014 (n°13-22.605)

Pour confirmer le jugement ayant débouté l'épouse divorcée de sa demande tendant au remboursement par son ex-mari de la somme de 2 857 euros relative à l'impôt sur le revenu 1992, il a été retenu que le paiement des impôts relève des charges du ménage et non de la liquidation du régime matrimonial. Or, l'impôt sur le revenu, constituant une charge découlant directement des revenus personnels à chaque époux, ne figure pas au nombre des charges du mariage auxquelles chacun des époux doit contribuer. De la sorte, la cour d'appel a violé l'article 1536 du Code civil.

En l’espèce, les époux se sont mariés le 16 août 1983, sous le régime de la séparation de biens, selon leur contrat de mariage du 30 juin 1983 ; qu'après l'ordonnance de non-conciliation du 17 août 1994, leur divorce a été prononcé par jugement rendu le 16 décembre 1997, par le tribunal de grande instance de Toulon, confirmé par la cour d'appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 5 décembre 2000. Des difficultés sont nées au cours des opérations de liquidation et de partage de leurs intérêts patrimoniaux et notamment en ce qui concerne le paiement de l’impôt sur le revenu pour l’année 1992.

Madame décide de se pourvoir en cassation suite à l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 9 avril 2013 qui l’avait déboutée de sa demande en remboursement de 2857 € relative à l’impôt sur le revenu de l’année 1992. C’est uniquement ce second moyen, pris en sa première branche que nous traiterons dans ce commentaire. Le premier moyen n’étant pas de nature à permettre l’admission du pourvoi.

La Cour de cassation, en statuant sur le second moyen du pourvoi formé par l'épouse, casse et annule l'arrêt de la cour d’appel seulement en ce qui concerne la demande de Madame ayant pour objet la condamnation de Monsieur à payer la somme de 2857 € au titre du remboursement des « impôts communs » et remet la cause et les parties dans l’état ou elles se trouvaient avant ledit arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Nîmes.

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Il ressort de cet arrêt que la Cour de cassation se positionne dans la continuité de la jurisprudence en précisant à nouveau que l’impôt sur le revenu ne figure pas au nombre des charges du mariage auxquelles les époux sont tenus de contribuer. Entre des époux séparés de biens, l’impôt sur le revenu ainsi que les prélèvements sociaux sont des charges directes des revenus de chaque époux étrangères aux charges du mariage et au besoin de la vie de la famille.

En ce qui concerne le mode de calcul pour la contribution des époux à l’impôt sur le revenu, la Haute cour retient que le paiement se fera au prorata de l’impôt sur le revenu dont les époux auraient été redevables s’ils avaient été imposés séparément. En pratique, ce mode de calcul peut être défavorable à celui qui perçoit de faibles revenus et qui dans le cas d’une imposition séparée aurait certainement été exonéré d’impôt sur le revenu.

Au-delà des divergences qu’il peut y avoir sur les modes de calcul qu’il appartient aux juges d’établir à partir des informations qui leurs sont transmises, le maintien de cette position jurisprudentielle est surprenante notamment si l’on se positionne sur le terrain d’autres solutions qui concernent directement la contribution aux charges du mariage. En effet, il n’est pas rare d’observer des décisions précisant que la prise en charge par l’un ou l’autre des époux des emprunts d’acquisition relatifs au logement est considérée comme une participation à l’obligation de contribution aux charges du mariage. Se pose alors la question de la transposition de cette position jurisprudentielle à l’imposition des époux ? Ainsi, on peut s’interroger sur le sort du règlement de l’impôt qui n’est toujours pas considéré comme participant à l’obligation de contribution aux charges du mariage de telle sorte que cela donne lieu au règlement d’une créance entre époux, ce qui en pratique amène de nombreuses difficultés au jour de la liquidation, comme nous venons de le voir dans cet arrêt.

L’arrêt d’espèce a le mérite de rappeler la distinction à faire quant au sort de l’impôt sur le revenu selon les régimes matrimoniaux. Dans un régime de communauté, l’impôt devra être supporté de manière définitive par la communauté, l’époux qui a payé est présumé l’avoir fait avec des deniers communs et n’aura pas droit à récompense. Cela est justifié par le fait que les gains et salaires et fruits et revenus de propres profitent à la communauté. A l’inverse, dans le régime de la séparation de biens, l’époux qui aura payé l’impôt pourra en demander le remboursement au prorata à son conjoint, comme en l’espèce.

Conseil pratique

Le notaire doit donc attirer l’attention des époux sur ce fait et leur indiquer que la clause très fréquente dans les contrats de séparation de biens posant une présomption de contribution aux charges du mariage ne joue pas pour l’impôt sur le revenu. Pour qu’il en soit autrement il faudrait que la clause vise expressément les dettes fiscales.

2) L’exonération de plus-value relative à la vente de la résidence principale après le divorce

Cour administrative d’appel de Marseille, 9 décembre 2014 (n°12MA02147)

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La Cour administrative d’appel de Marseille le 9 décembre 2014 vient préciser dans sa décision publiée au recueil LEBON, que lorsque des époux en cours de divorce cèdent des parts de SCI correspondant à leur habitation principale, celles-ci doivent être exonérées de plus value.

Il était question en l’espèce de la SCI « Florian » constituée entre des époux qui détenaient chacun 50% des parts de la société. Cette SCI a acquis le 31 octobre 1991 un bien immobilier dénommé « Villa Capri », située à Beaulieu-sur-Mer.

Les époux ont engagé une procédure de divorce. Suite à cela, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nice le 8 mars 2001 a autorisé les époux à résider séparément. Le 14 juin 2001 le tribunal de grande instance de Nice a prononcé le divorce.

La SCI « Florian » a par un acte du 23 juin 2003, vendu pour un prix de 522 682 euros trois des sept lots de l’ensemble immobilier qui constituaient la résidence principale des époux avant leur divorce. La plus value dégagée lors de cette cession a été placée sous le régime de l’exonération d’impôt sur le revenu applicable aux cessions d’immeubles affectés à l’habitation principale prévue par l’article 150 C du Code général des impôts. L’administration fiscale a pourtant imposé la plus value à l’impôt sur le revenu au prorata des droits détenus par l’ex-épouse dans la société. Ceci du fait que la partie de l’immeuble vendue ne constituait plus la résidence principale de cette dernière au jour de la cession.

Madame estimait qu’elle pouvait bénéficier de l’exonération de plus value. A ce titre elle demande devant le tribunal administratif de Nice la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contribution sociale auxquelles elle a été assujettie au titre de l’année 2003 résultant du redressement fiscal opéré par l’administration. Le tribunal administratif de Nice le 30 mars 2012 rejette sa demande.

Elle interjette donc appel devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Le problème était donc de savoir si l’ex-épouse devait réellement être privée de l’application de l’article 150 C du Code général des impôts prévoyant l’exonération de plus value pour résidence principale, alors même que c’était le tribunal de grande instance de Nice qui l’avait contraint à quitter ce logement à compter de l’ordonnance du 8 mars 2001. Alors même qu’avant cela les époux vivaient ensemble dans les lots n°1 à 3 mis à leur disposition par la SCI « Florian ».

A ce titre plusieurs moyens ont été développés devant la cour administrative d’appel de Marseille. Il a été rappelé que l’associé d’une société de personnes telle qu’une société civile immobilière, qui occupait à titre de résidence principale un immeuble ou une partie d’immeuble appartenant à cette société bénéficie en cas de cession à titre onéreux de l’exonération prévue par le I de l’article 150 C du Code général des impôts dans les conditions prévues par ce texte. De plus, un immeuble ne perd pas sa qualité de résidence principale du cédant au jour de la cession du seul fait que celui ci a libéré les lieux avant ce jour à condition que le délai pendant lequel l’immeuble est demeuré inoccupé puisse être regardé comme normal. En l’espèce, comme l’ex-épouse n’occupait plus ce bien à la date de sa cession, le délai d’environ deux ans pendant lequel celui ci est demeuré inoccupé par l’intéressée ne résultait pas d’un choix de convenance personnelle mais résultait bien de l’ordonnance du tribunal de grande instance de Nice du 8 mars 2001 en ce sens, le délai ne serait pas considéré comme anormal et Madame pourrait bénéficier de l’exonération de l’article 150C du Code général des impôts.

La cour administrative d’appel de Marseille a retenu, le 9 décembre 2014, que pour les lots occupés par les époux avant l’ordonnance du 8 mars 2001 du tribunal de grande instance de Nice,

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madame devrait bénéficier d’une exonération de plus value au titre de l’article 150 C du Code général des impôts pour la résidence principale. Pour ce qu’il en est des autres lots elle devra par contre payer la plus value qui s’élève à un montant de 14 649 euros. Ainsi, elle est déchargée des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l’année 2003 à hauteur de la différence entre les cotisations supplémentaires qui ont été mises à sa charge et celles résultant de la fixation de la base d’imposition. L’Etat a été condamné à lui payer 2000€ pour remboursement des frais exposés par celle ci.

En somme, on pourrait dire que l'exigence tenant à l'occupation du logement à titre d'habitation principale au jour de la cession n'est pas toujours satisfaite en cas de séparation ou de divorce, notamment lorsque l'un des conjoints a été contraint de quitter le logement. Il est cependant admis, lorsque l'immeuble cédé ne constitue plus, à la date de la cession, la résidence principale du contribuable, que celui-ci puisse néanmoins bénéficier de l'exonération prévue à l'article 150 U, II-1° du Code général des impôts, dès lors que le logement a été occupé par son ex-conjoint jusqu'à sa mise en vente et que la cession intervient dans les délais normaux de vente (BOI-RFPI-PVI-10-40-10 n° 250 et 260, 12 septembre 2012). À cet égard, on sait que la cession d'une résidence principale libérée depuis 22 mois peut être exonérée comme cela a déjà été admis dans un arrêt du Conseil d’Etat du 7 mai 2014 n° 356328.

Conseil pratique

En cas de divorce ou de séparation de corps si un des conjoints a été contraint de quitter le logement suite à une décision de justice : s’il y a eu cession ultérieure, de l’immeuble qui constituait la résidence principale des époux avant la décision de justice, les époux pourront tout de même bénéficier de l’exonération de plus value prévue à l’article 150 U II 1° du Code général des impôts si l’un d’eux continue à occuper le bien jusqu’à sa mise en vente. Le délai normal de la vente étant reconnu et étendu depuis cette décision jusqu’à 22 mois.

III- Précisions sur le champ d’application du règlement Bruxelles 1

De nos jours en raison de la très grande mobilité des populations, le notariat français est confronté quotidiennement aux règlements de l’Union européenne. Il convient donc de rappeler qu’en application de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, « le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre ». Il découle de manière claire de cette définition qu’un non respect ou une mauvaise application d’un tel règlement par le notaire pourra être qualifié de faute et entrainer sa responsabilité. C’est pourquoi il est primordial pour le professionnel du droit de comprendre avec certitude le champ d’application de ces règlements. La Cour de cassation a précisé à deux reprises, au cours des derniers mois, le champ d’application du règlement Bruxelles I. En effet, la Haute juridiction a dans un premier temps refusé l’exequatur de mesures pécuniaires non dépourvues de tout lien avec les régimes matrimoniaux (A), puis dans un second temps admis l’exequatur de mesures pécuniaires en relation avec l’état des personnes (B).

A. L’impossibilité d’exequatur concernant les mesures pécuniaires en relation avec les régimes matrimoniaux, exclus du champ de Bruxelles 1

Première chambre civile de la Cour de cassation, 5 novembre 2014 (n° 13-19812)

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Dans cet arrêt la Haute juridiction vient préciser le champ d’application du règlement Bruxelles I (règlement CE n°44/2001).

En l’espèce, des époux se sont mariés en Allemagne en 1996 sous le régime de la séparation de biens. Malheureusement en 2007 ces derniers décident de mettre un terme définitif à leur union et le divorce est prononcé.

Postérieurement au divorce, l’ex-époux reçoit de l’administration fiscale allemande une somme d’argent en remboursement d’un trop perçu suite à des versements effectués par madame au titre de l’année 2001.

Cette dernière obtient alors des juridictions allemandes un jugement en date du 15 octobre 2009 condamnant son ex-époux à lui restituer les sommes versées par l’administration fiscale allemande. Cependant, son ex mari demeurant en France, elle forme alors une requête, sur le fondement du règlement Bruxelles I, afin que le jugement prononcé par les juridictions allemandes ait force exécutoire en France. Les juges du fond saisis font droit à sa demande et reconnaissent la force exécutoire de ce jugement allemand en application de l’article 1 du règlement de Bruxelles I.

L’affaire est portée devant la cour d’appel de Colmar, monsieur interjetant appel. Par un arrêt rendu le 4 avril 2013 la cour d’appel de Colmar confirme le raisonnement adopté par les juges du fond et applique le règlement Bruxelles I, affirmant que le litige relève du droit civil et non du droit des régimes matrimoniaux expressément exclu du champ d’application de ce règlement. Face à une telle décision l’ex-époux forme un pourvoi en cassation.

La Haute juridiction doit donc examiner la problématique suivante: peut-on considérer un litige concernant la situation patrimoniale d’ex-époux comme relevant du droit civil et non du droit des régimes matrimoniaux et ainsi lui appliquer le règlement Bruxelles I ?

La première chambre civile de la Cour de cassation rend le 5 novembre 2014 un arrêt au visa de l'article 1er du règlement Bruxelles I concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil, du 22 décembre 2000). La Haute juridiction affirme que la cour d’appel, afin de retenir l’application du règlement de Bruxelles I, a seulement précisé que l’affaire relevait du droit civil en général et non du droit des régimes matrimoniaux auquel le règlement ne peut être appliqué. En effet, la juridiction d’appel aurait du préciser en quoi le litige ne relevait pas du champ des régimes matrimoniaux car la décision rendue par les juridictions allemandes n’était pas dépourvue de tout lien avec le mariage et sa dissolution et donc avec le droit des régimes matrimoniaux.

Ainsi la Cour de cassation se prononce sur l’interprétation de la matière civile et du droit des régimes matrimoniaux visés à l’article 1 du règlement.

En effet l’article 1er, paragraphe 1 du règlement définit le champ d’application ratione materiae de celui-ci et précise que ce dernier s’applique à la matière civile et commerciale, mais ne recouvre pas la matière administrative. Le paragraphe 2, quant à lui, précise les matières n’entrant pas dans le champ d’application de ce règlement dont, notamment, le droit des régimes matrimoniaux.

La Cour de cassation réalise une interprétation stricte de cet article premier, les litiges relevant de l’union ou de la désunion de deux individus relèvent du droit des régimes matrimoniaux et non du droit civil en général. Ainsi par cet arrêt la Cour de cassation rappelle que bien que le droit des régimes matrimoniaux relève de la matière civile il n’en demeure pas moins exclu du

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champ d’application du règlement Bruxelles I, et il ne peut pas être invoqué par les parties que le litige relève du droit civil afin de contourner cette exclusion.

Conseil pratique

Ainsi, les notaires confrontés, dans leur pratique quotidienne, à un dossier présentant un élément d’extranéité devront réaliser une interprétation stricte du règlement Bruxelles I: si le dossier relève du droit des régimes matrimoniaux, ils ne pourront appliquer ce règlement. Seul les cas relevant du droit commercial et du droit civil pourront se voir appliquer le règlement Bruxelles I.

B. L’exequatur des seules mesures pécuniaires en relation avec l’état des personnes, exclu du champ de Bruxelles 1

Première chambre civile de la Cour de cassation, 3 décembre 2014 (n°13-22.672)

La Cour de cassation détermine ici le champ d’application du règlement Bruxelles I (règlement CE n°44/2001) à l’occasion d’une procédure d’exequatur.

En l’espèce, Madame Y obtient du tribunal régional de Varsovie en 2009 l’affirmation que Monsieur X est le père de Blanca Y et la condamnation de ce dernier à lui verser une pension alimentaire et à rembourser les dépenses liées à la grossesse et à l’accouchement. Le greffier en chef du tribunal de grande instance de Paris, le 10 janvier 2011, constate le caractère exécutoire du jugement prononcé par les juridictions polonaises. Monsieur X conteste alors le caractère exécutoire de cette mesure et porte l’affaire devant les juges du fond, puis devant la cour d’appel de Paris, qui, par un arrêt du 11 juin 2013 affirme que l’état des personnes étant un domaine pour lequel le règlement Bruxelles I ne peut s’appliquer, seules les condamnations pécuniaires sont susceptibles d'exécution. Monsieur X forme alors un pourvoi en cassation.

La Haute juridiction confirme le raisonnement de la cour d’appel de Paris et déclare qu’« ayant constaté que l'état des personnes était exclu du champ d'application du règlement Bruxelles I, la cour d'appel en a exactement déduit que la demande d'exequatur du jugement étranger était nécessairement limitée aux condamnations pécuniaires, de sorte que la déclaration ayant rendu exécutoire celles-ci, seules susceptibles d'exécution matérielle, et non l'ensemble des dispositions du jugement, avait à juste titre été établie sur le fondement des articles 38 et suivants de ce règlement ».

La Cour de cassation semble une nouvelle fois adopter une interprétation stricte de l’article 1 du règlement Bruxelles I: les mesures relevant du paragraphe 2 de cet article, comme par exemple les mesures relatives à l’état des personnes ne peuvent se voir appliquer le règlement. Un raisonnement similaire avait déjà été adopté par la Cour (Première chambre civile de la Cour de cassation, 5 novembre 2014 n° 13-19812). Cependant dans cette affaire l’application du règlement avait été écartée car la décision rendue par les juridictions étrangères n’était pas dépourvue de tout lien avec le mariage et sa dissolution et donc avec le droit des régimes matrimoniaux pour lequel le règlement Bruxelles I ne peut s’appliquer.

Dans l’arrêt commenté ici, la Haute juridiction n’aurait-elle pas pu adopter le même raisonnement et considérer ces condamnations pécuniaires comme n’étant pas dépourvues de tout lien avec l’état des personnes ? En effet ces condamnations pécuniaires sont en lien direct avec la reconnaissance par le tribunal polonais de la qualité de père de Monsieur X, si ce dernier n’avait pas été le père de cet enfant il n’y aurait pas eut de condamnation pécuniaire.

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Ainsi, il est possible de voir dans cette décision de la Cour de cassation une forme d’assouplissement de l’interprétation du champ d’application du règlement Bruxelles I. Seules les mesures relevant directement d’une des exclusions du paragraphe 2 de l’article premier du règlement seront exclues de son champs d’application, et non plus les mesures, notamment pécuniaires, non dépourvues de tout lien avec l’une de ces exclusions.

Conseil pratique: Ainsi, les notaires dans leur pratique quotidienne pourront appliquer le règlement Bruxelles I lorsque l’affaire traitée présente un élément d’extranéité et ne relève pas directement d’un domaine précisément visé par le paragraphe 2 de l’article premier de ce dernier. En effet, si l’affaire présente simplement des liens avec l’un des domaines exclus du champ d’application du règlement Bruxelles I, ce dernier pourra lui être appliqué.

Travail réalisé par : Céline CAMINALE, Marie-Sophie DEVAUX, Pauline FABRE et Caroline FALLET.

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SUCCESSIONS ET LIBERALITES

« L'ordre des successions est fondé sur la nécessité de continuer et de transmettre l'état de la société de la génération qui passe à celle qui suit ; ce qui se fait insensiblement », observe Jean Domat dans son Traité des lois (VII, 1). Succéder, c'est donc prendre la place de quelqu'un dans ses droits. La succession est ainsi le mode le plus statique d'acquisition de la propriété des choses.

À l'opposé, les libéralités présentent un caractère révolutionnaire puisqu'au lieu de prolonger un état antérieur, elles conduisent à créer une nouvelle répartition des choses entre les personnes.

Ces droits, présents de tout temps et de tout lieux, suscitent pourtant aujourd’hui encore des interrogations. Dès lors, il faut porter une analyse claire et précise sur les successions (I) mais aussi sur les libéralités (II).

I- Les successions

Le thème des successions donne lieu à plusieurs controverses et précisément celle de la conformité de l’article 815-6 du Code civil à la Constitution (A). Mais également celle de la dénonciation de la convention fiscale franco-suisse propre aux impôts successoraux (B). Récemment, s’est posée la question du point de départ des intérêts en cas de recel successoral (C).

A. La question éludée de la conformité de l'article 815-6 du Code civil à la Constitution : non-transmission des questions prioritaires de constitutionnalité

Première chambre civile de la Cour de cassation, 18 décembre 2014 (n°14-18.944)

La conformité de l’article 815- 6 du Code civil à la Constitution est remise en cause par un justiciable. Les juges du la Cour de cassation effectuent ici leur rôle de filtre et refusent de transmettre les questions posées au Conseil Constitutionnel.

Lors d’un litige, Mme Sophie X, indivisaire, souhaite soumettre deux questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Elle conteste alors le refus rendu le 9 avril 2014 par la Cour d'appel de Versailles de communiquer ses demandes.

Elle sollicite ainsi par un mémoire séparé et distinct la Cour de cassation pour transmettre au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité suivantes :

« 1°) L'article 815-6 du Code civil, tel qu'interprété par la Cour de cassation, porte-t-il une atteinte disproportionnée au droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ?

2°) L'article 815-6 du Code civil, tel qu'interprété par la Cour de cassation, est-il entaché d'incompétence négative, faute de prévoir des garanties légales suffisantes pour prévenir des atteintes excessives au droit de propriété, en violation des dispositions de l'article 34 de la Constitution, ensemble les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »

La demande est rejetée par la Cour de cassation.

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Les juges considèrent d’une part que les questions posées ne sont pas nouvelles et surtout qu’elles ne présentent pas un caractère sérieux en ce que : «  la disposition critiquée n'a pour effet ni de priver un indivisaire de son droit de propriété sur un bien de l'indivision dont la propriété ne sera attribuée personnellement qu'au moment du partage, avec effet au jour de l'ouverture de l'indivision, de sorte que les co indivisaires seront censés n'en avoir jamais été propriétaires, ni de porter atteinte à l'exercice de ce droit, la cession du bien ne réduisant pas la valeur des droits indivis dès lors que le prix se substitue au bien dans l'indivision ».

Dans la présente affaire, la condition de nouveauté avait bien peu de chance de prospérer, tant l'interprétation que fait le Conseil constitutionnel des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est connue. Cependant, l’hésitation pouvait porter sur le caractère sérieux des questions.

L'article 815-6 du Code civil permet au juge de prescrire ou d'autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun. Le texte livre deux exemples en précisant qu'un indivisaire peut ainsi être autorisé à percevoir des débiteurs de l'indivision une provision afin de répondre aux besoins urgents ou être désigné comme administrateur provisoire. Mais les pouvoirs ainsi octroyés à un indivisaire peuvent être bien plus importants. Souvenons-nous, c’est notamment ce qui fut affirmé par la jurisprudence au visa de ce texte. En effet, dès lors que cela est justifié par l'urgence et l'intérêt commun, il entre dans les prérogatives du président du Tribunal de grande instance d'autoriser un indivisaire à conclure seul un acte de vente d'un bien indivis4.

Pour la Cour de cassation, le second filtre à la transmission des questions est satisfait : il n’y a pas d'atteinte au droit de propriété. Cette constatation résulte de deux éléments.

Le premier est l'effet déclaratif du partage, lequel implique que chacun des indivisaires est réputé être propriétaire depuis le décès. Tout dépend en réalité du partage, en effet si l’indivisaire n’est pas alloti du bien en cause, il est réputé n'en avoir jamais été propriétaire, ce qui exclut forcément toute atteinte à un droit de propriété.

Le second élément tient au fait qu'en cas de cession du bien indivis, le prix de vente remplace immédiatement la chose indivise cédée. Ainsi le mécanisme de la subrogation réelle permet de maintenir la valeur des droits indivis, et l'équivalence de valeur entre le bien indivis en nature et son prix est exclusive de toute atteinte au droit de propriété.

De sorte qu'au final le droit de propriété n'est pas altéré ; car soit le demandeur n'aura jamais été propriétaire, soit la valeur de ses droits indivis est préservée.

Conseil pratique

Cet arrêt confirme que l’article 815-6 du Code civil est un outil auquel tout notaire peut avoir recours, notamment lors du règlement de successions difficiles. Car il est bien fréquent que l’indivision post successorale soit un lieu de querelles familiales où la prise de décision peut parfois s’avérer très compliquée compte tenu des aspirations de chaque héritier. L’intervention du juge peut ainsi apparaitre nécessaire et être conseillée par le notaire, le juge étant ici un tiers objectif. En sachant que la décision adoptée par ce dernier ne prive aucunement les indivisaires de leur droit de propriété et que la valeur des droits indivis est préservée.

B. La dénonciation regrettée de la convention fiscale franco-suisse relative aux impôts sur les successions

4 Cass. Civ. 1re, 4 décembre 2013, n° 12 20 158

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Dénonciation de l'application de la convention fiscale franco-suisse du 31 décembre 1953 en matière d'impôts sur les successions à compter du 1er janvier 2015

Par une dénonciation de la France, la convention fiscale franco-suisse relative aux impôts sur les successions cesse d'être appliquée à compter du 1er janvier 2015.

Par une notification à la confédération helvétique du 17 juin 2014, la France a dénoncé la convention fiscale franco-suisse du 31 décembre 1953 relative aux impôts sur les successions. En effet, chaque Etat pouvait la dénoncer, c'est-à-dire y mettre fin, pour la fin d'une année civile et ce, par un préavis de six mois.

Cette convention fiscale cesse donc de produire ses effets pour les successions ouvertes à partir du 1er janvier 2015. Dès lors, l'administration fédérale a déclaré que « la Suisse et la France appliqueront chacune leur droit interne en matière de successions » dès 2015.

En effet, si le défunt est domicilié fiscalement en Suisse alors que son héritier est établi en France depuis plus de six ans, l'absence d'application de la convention va provoquer une imposition française des immeubles situés sur le sol suisse mais aussi des titres de sociétés suisses ou françaises et des comptes bancaires.

Sous l'empire de la convention, la plupart de ces biens étaient imposables uniquement en Suisse.

La convention fiscale permettait par ailleurs d'éviter l'assujettissement des sociétés à prépondérance immobilière (dont l'actif est constitué pour plus de 50 % d'immeubles situés en France) aux droits de succession français. Désormais, ces biens seront inclus dans la base taxable à la fiscalité française.

À l'inverse, en cas de décès d'un parent domicilié fiscalement en France alors que son héritier a sa résidence fiscale en Suisse, le changement le plus important concerne la double imposition d'un immeuble situé en Suisse et celle des titres de sociétés françaises détenant au moins un immeuble en Suisse.

Le risque inévitable de chevauchement des droits internes suisses et français va conduire à une double imposition de certains biens successoraux lors du partage avec globalement, une imposition française alourdie. Cette dénonciation de la convention fiscale va permettre à l'Etat français la perception d'impôts qui jusqu'alors n'entraient pas dans son champ d'application. Toutefois, cette exclusion de la convention franco-suisse risque d'être mal vécue par les héritiers puisqu'en présence d'un élément d'extranéité, ils se verront doublement imposés au titre de certains biens successoraux.

Il serait souhaitable que les deux pays adoptent le plus rapidement possible une nouvelle convention fiscale relative aux impôts successoraux.

Conseil pratique

Le notaire français chargé de régler une succession doit faire preuve d'une vigilance accrue puisqu'il lui incombe d'écarter les dispositions de la convention franco-suisse et d'appliquer l'imposition française dans les deux situations suivantes :

- lorsque le défunt est fiscalement domicilié en Suisse avec un héritier établi en France depuis plus de 6 ans et que la succession se compose d'immeubles situés en Suisse, de titres de sociétés suisses ou françaises ou de comptes bancaires.

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- lorsque le défunt est fiscalement domicilié en France avec un héritier résidant fiscal suisse et que la succession se compose d'un immeuble situé en Suisse ou de titres de sociétés françaises détenant au moins un immeuble en Suisse.

C. La restitution en valeur d’un bien recelé et le point de départ des intérêts

Première chambre civile de la Cour de cassation, 19 novembre 2014 (n° 13-24.644)

Lorsqu’un héritier est condamné à restituer à la succession la valeur actuelle d’un bien qu’il a recelé et qui ne peut être représenté en nature, les intérêts ne sont dus qu’à compter du jour où sa dette est déterminée et non à compter du jour de l’appropriation illicite.

Un homme et son épouse décèdent à quelques années d’intervalles en laissant quatre enfants pour leur succéder. L’un d’eux semblant avoir diverti un meuble successoral – un diptyque qu’il a par la suite vendu – il est assigné par un frère en application de la sanction de recel.

Le 26 juillet 2013, la cour d’appel de Paris le condamne à restituer à la succession une somme de deux millions d’euros, somme correspondant à la valeur actuelle de ce bien qui ne pouvait être représenté en nature car il a été vendu. Un de ses cohéritiers reproche à la cour d’appel de ne pas avoir assorti cette condamnation des intérêts au taux légal. Il forme alors un pourvoi en cassation fondé sur les articles 792 ancien, 1153 et 1153-1 du Code civil en invoquant, notamment, que le receleur doit rapporter à la succession une somme représentative de la valeur du bien augmentée des intérêts au taux légal à compter de son appropriation injustifiée, lorsque la restitution en nature du bien recelé est impossible.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et, dans un arrêt du 19 novembre 2014, rend la solution suivante : « La cour d'appel, qui en a justement déduit qu'il devait restituer à la succession la valeur actuelle de ce bien, a décidé, à bon droit, sans méconnaître le principe de la contradiction et hors toute contradiction, que, s'agissant d'une dette de valeur, les intérêts n'étaient dus qu'à compter du jour où elle était déterminée ».

Si la Haute juridiction retient de façon constante que lorsque le bien recelé n’est plus dans le patrimoine du receleur, il doit en rapporter la valeur selon la valeur actuelle du bien5, l’arrêt étudié vient préciser la date à laquelle les intérêts commencent à courir.

Par cette décision, la première chambre civile distingue donc deux régimes : celui de la sanction du recel portant sur une somme d’argent et celui de tout bien autre que de l’argent qui ne peut être restitué en nature. Dans le premier cas, le receleur doit restituer à la succession la somme recelée et payer les intérêts au taux légal à compter de son appropriation illicite6. Dans le second cas, l’héritier receleur doit restituer la valeur du bien mais cette somme est considérée par la Cour de cassation comme une dette de valeur, ce dont il résulte que les intérêts dus ne peuvent courir à compter de l'appropriation du bien mais uniquement à compter du jour où cette somme est déterminée.

La solution apparaît donc cohérente dans la mesure où, la valeur du bien étant déterminée au jour où la juridiction saisie des faits de recel statue, la dette de l’héritier receleur serait de deux fois l’intérêt dû concernant la période comprise entre l’appropriation du bien recelé et la détermination de la dette de valeur si les intérêts de la somme avaient commencé à courir dès l’appropriation illicite du bien. 5 Cass. Civ. 1ère, 20 février 1996, n° 93-13.4676 Cass. Civ. 1ère, 18 octobre 1994, n° 91-22.330 ; Cass. Civ. 1ère, 31 octobre 2000, n° 06-14.399

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On peut penser que cette solution vaut également pour toutes les dettes de valeur.

II- Les libéralités

Pour la période de novembre 2014 à février 2015, l’actualité juridique s’est fortement rencontrée dans le thème des libéralités. Tout d’abord, la question de la conformité à la norme suprême de l’acceptation de libéralités par les associations déclarées s’est posée (A). Ensuite a été soulignée, l’obligation de révéler les libéralités consenties par le défunt (B). En sus, la loi de finances pour 2015 a apporté un allègement des droits de mutation à titre gratuit sur les donations de terrains et immeubles (C). Et d’ailleurs, en matière de fiscalité, un arrêt rendu par le Conseil d’Etat est venu encadrer l’imposition de la plus-value (D). Enfin, une loi permet aujourd’hui l’ouverture du testament authentique aux personnes sourdes, muettes ou s’exprimant dans une langue étrangère (E).

A. L'acceptation des libéralités par les associations déclarées : une conformité logique à la Constitution

Conseil constitutionnel, QPC, 29 janvier 2015 (n° 2014-444)

Le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution les dispositions relatives aux libéralités consenties aux associations déclarées contenues dans l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901 sur le contrat d'association, dans sa rédaction antérieure à la loi du 31 juillet 2014.

Le 7 novembre 2014, le Conseil d'Etat a saisi le Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l'Association pour la recherche sur le diabète. Cette QPC était relative aux droits et libertés garantis par la Constitution et plus précisément, à l'article 6, alinéa 5 de la loi du 1er juillet 1901 sur le contrat d'association, dans sa rédaction antérieure à la loi sur l'économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014.

Le Conseil constitutionnel a rappelé la distinction entre deux types d'associations : les associations reconnues d'utilité publique qui jouissent d'une capacité juridique étendue et les associations déclarées qui disposent d'une capacité juridique limitée.

Par principe, les associations déclarées ne peuvent pas accepter de libéralités. Avant la loi du 31 juillet 2014, seules les associations déclarées « qui ont pour but exclusif l'assistance, la bienfaisance, la recherche scientifique ou médicale » pouvaient accepter des libéralités.

L'association pour la recherche sur le diabète estimait que ces dispositions étaient contraires au principe d'égalité en réservant le bénéfice de l'exception de recevoir des libéralités au profit de certaines associations.

Dans sa décision du 29 janvier 2015, le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions attaquées conformes à la Constitution en soulignant « qu'en réservant la capacité d'accepter des libéralités aux seules associations déclarées qui ont pour but exclusif l'assistance, la bienfaisance, la recherche scientifique ou médicale, le législateur a entendu favoriser l'affectation de dons et legs à des associations déclarées en raison de l'intérêt général spécifique qu'il a reconnu à leur objet et à la nature de leur activité ».

Ainsi, par cette limitation, le Conseil constitutionnel permet de prôner l'intérêt général et de n'admettre que l'acceptation de libéralités par les associations déclarées qui ont pour finalité cet intérêt général. À l'inverse, les associations déclarées qui ne défendent pas un tel but ne peuvent prétendre à recevoir des libéralités.

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Depuis la loi du 31 juillet 2014, les conditions pour qu'une association puisse recevoir des libéralités semblent avoir été assouplies. En effet, l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901 prévoit, en application de l'article 200, 1°,b) du code général des impôts, que seules les associations déclarées depuis au moins trois ans et dont l'activité d'intérêt général est philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, peuvent recevoir et accepter des libéralités.

Dans la même logique, il est envisageable que le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 6, alinéa 2, a) de la loi du 1er juillet 1901 modifié par la loi du 31 juillet 2014 jugerait ces dispositions conformes à la Constitution en arguant du fait que réserver la possibilité d'accepter des libéralités aux associations déclarées précitées est justifiée par l'intérêt général spécifique reconnu à leur objet et à la nature de leur activité.

Conseil pratique

Les conditions pour qu'une association déclarée puisse recevoir et accepter des libéralités ayant changé avec la loi du 31 juillet 2014, le notaire doit désormais être vigilant et vérifier que l'association est déclarée depuis au moins trois ans et que son objet répond à l'intérêt général spécifique tel que défini par l'article 200, 1°, b) du code général des impôts. À défaut, le notaire pourra voir sa responsabilité délictuelle engagée.

B. L’obligation de révéler les libéralités consenties par le défunt

Première chambre civile de la Cour de cassation, 5 novembre 2014 (n° 13-28.416)

L’on connaissait déjà l'injonction fulminée par l'administration fiscale prévue à l’article 784 du Code général des impôts et imposant aux héritiers le rappel des donations antérieurement consenties par le de cujus. Les hauts magistrats élargissent ici un tel raisonnement, et ce quelle que soit la nature de la libéralité.

Dans les faits d’espèce, il est reproché à une successible d’avoir commis un recel successoral en dissimulant au notaire le fait d'avoir reçu une somme d’argent dans les semaines ayant précédées le décès de son époux.

La jurisprudence civile fait là obligation aux successibles de révéler au notaire liquidateur les différentes libéralités qu'ils ont reçues, dès lors qu’on est en présence d'héritiers réservataires.

Cette obligation vaut tout autant pour les donations non rapportables, autrement dit, les donations qui ont été faites « hors part successorale » par le de cujus.

En effet, à défaut, les successibles encourent les peines du recel successoral, quand bien même les donations dissimulées seraient dispensées de rapport et non réductibles, comme il a été rappelé dans une décision rendue par la première chambre civile7.

Dans cette décision, la première chambre civile renoue avec cette jurisprudence, expliquant que ces libéralités « constituent un élément dont il doit être tenu compte dans la liquidation de la succession et qui peut influer sur la détermination des droits des héritiers ».

Autrement dit, toute donation est à considérer pour l'établissement de la masse de calcul de la quotité disponible prévue à l’article 922 du Code civil, puisque toute donation est en mesure, en fonction des règles d'imputation, de rendre réductible une autre libéralité, telle qu’une donation

7 Cass Civ. 1ère, 19 juillet 1989

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postérieure ou un legs. Par conséquent, elle peut conduire à modifier la composition de la masse partageable en elle-même.

Cette solution paraît légitime : le notaire en tant qu’officier ministériel doit être en mesure de connaître le plus d’éléments possibles, que ceux-ci paraissent déterminants ou non pour les clients; d’autant que cette solution s’inscrit dans un mouvement de transparence et incite les successibles à faire preuve de bonne foi dans le cadre du règlement des successions qui peuvent souvent s’avérer longues et complexes.

C. L’allègement des droits sur les donations de terrains et immeubles

Loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, publiée le 30 décembre 2014, article 8

La loi de finances pour 2015 introduit deux nouveaux dispositifs prévoyant une exonération temporaire des droits de donation dus en cas de donation de terrains à bâtir et de logements neufs.

En effet, afin d’inciter au maximum à la libération du foncier et à la construction, une exonération temporaire est instituée sur les droits applicables aux donations de terrains à bâtir ainsi qu’aux donations d'immeubles neufs.

Ces donations sont exonérées à hauteur de :

100 000 euros pour les donations consenties aux enfants, au conjoint ou au partenaire de PACS,  

45 000 euros pour les donations consenties à un frère ou une sœur, 35 000 euros pour les donations consenties en faveur d’une autre personne.

 S’agissant des donations de terrains à bâtir, l’exonération s’applique aux donations en pleine

propriété constatées par un acte notarié signé entre le premier janvier 2015 et le 31 décembre 2015 et sous réserve que la personne qui bénéficie de cette donation s’engage à faire construire un logement dans un délai de quatre ans à compter de la date de la donation. 

Pour ce qui est des donations de logements neufs, l’exonération est applicable aux immeubles dont le permis de construire sera obtenu entre le premier septembre 2014 et le 31 décembre 2016, sous réserve que la donation intervienne au plus tard dans les trois ans suivant l’obtention du permis de construire.

L'exonération est subordonnée à la double condition que l'acte constatant la donation soit appuyé de la déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux prévue à l'article L. 462-1 du Code de l'urbanisme et que l'immeuble neuf à usage d'habitation n'ait jamais été occupé ou utilisé sous quelque forme que ce soit au moment de la donation (y compris par un locataire). 

D. L’encadrement de la chronologie des opérations de donation-cession de titres en matière de plus-value

Conseil d’Etat le 19 novembre 2014 (n° 37 05 64)

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Beaucoup de professionnels connaissent l’idée selon laquelle la donation purge la plus-value. Cette affirmation garde toute son efficacité, alors même qu’une cession du bien donné est réalisée peu après l’acte de donation.

Un couple décide de transmettre par donation-partage au profit de ses trois enfants une partie des actions qu’il détient dans sa société. Le 17 octobre 2001, l’acte authentique est ainsi rédigé. Le lendemain, ce couple vend à une autre société les titres qu’il détient encore dans sa société et leurs trois enfants vendent, en même temps et au même acquéreur, les titres qui viennent de leur être donnés, par acte sous seing privé. Ces derniers ne réalisent pas de plus-value, le prix de cession étant égal à la valeur des titres déclarés dans le cadre de la donation.

L’administration fiscale assigne le couple estimant que la cession de l'ensemble des titres en cause devait être regardée comme ayant été réalisée par celui-ci, sur le fondement de l'article 150-0 A du Code général des impôts.

Le tribunal administratif de Rouen décharge l’épouse (devenue veuve) des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales.

Mais la Cour administrative d'appel de Douai annule ce jugement et remet ces impositions à sa charge. L’administration fiscale apporte la preuve que les parties à la cession des titres s'étaient entendues sur le nombre d'actions et sur leur prix unitaire avant le 17 octobre 2001. La Cour considère ainsi que la cession des actions ainsi données avait en réalité été effectuée avant la donation-partage.

L’épouse se pourvoit donc en cassation.

Le 19 novembre 2014, le Conseil d’Etat rend un arrêt infirmatif. Il sanctionne le raisonnement des juges du fond et affirme que lorsqu’une donation de titres a été faite antérieurement à leur cession par les donataires, l’administration ne peut pas se fonder sur un faisceau d’indices pour soutenir que le fait générateur de l’imposition de la plus-value est en réalité antérieur à la donation.

Cet arrêt vient fondamentalement identifier l’avantage fiscal tiré d’une donation avant cession de titre. Car comme le souligne l’article 150-0 D, 1 du Code général des impôts, le prix de revient des titres est leur valeur au jour de la donation. La donation avant cession permet dès lors de purger la plus-value.

L’administration fiscale avait ici fondé son analyse sur le principe civiliste posé à l’article 1583 du Code civil, selon lequel le transfert de propriété de titres d’une société a lieu, sauf stipulations contractuelles contraires des parties, à la date où un accord intervient sur la chose et le prix.

Mais ce raisonnement n’est pas retenu par les juges du droit, il en résulte que seul un acte ou un événement juridique intervenu avant la donation (comme par exemple une promesse synallagmatique de vente, ou une promesse unilatérale de vente ayant fait l’objet d’une levée de l’option) serait de nature à remettre en cause la chronologie des opérations.

Conseil pratique : le notaire peut donc librement conseiller à ses clients de transmettre dans un premier temps les titres par donation et de réaliser dans un second temps, une cession de ces mêmes titres. La plus-value en sera ainsi purgée ce qui constitue une optimisation fiscale non négligeable.

DIFFERENCE D’IMPOSITION

Transmission par donation puis cession Transmission par cession directe

Pas de plus-value à payer mais droits de Plus-value à payer

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mutation à titre gratuit.- s’il s’agit d’une société à prépondérance immobilière   : 19 % au titre de l’impôt sur le revenu et 15,5 % au titre des prélèvements sociaux.

- s’il s’agit d’une société de personnes :

*Si les parts sont inscrites au bilan d’une entreprise, il s’agit d’une plus-value professionnelle. Il faut distinguer le court terme du long terme.Pour le court terme : barème progressif de l’impôt sur le revenu + 15, 5 % au titre des prélèvements sociaux.Pour le long terme : régime de faveur de 16 % + 15,5 % au titre des prélèvements sociaux.

*Si les parts sont détenues par un particulier, il faut appliquer le taux progressif de l’impôt sur le revenu + 15,5 % au titre des prélèvements sociaux.

- s’il s’agit d’une société IS : 33 %

E. L’ouverture du testament authentique aux personnes sourdes, muettes ou dans l’impossibilité de s’exprimer dans la langue française

Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures

Après validation par le Conseil constitutionnel le 12 février 2015, la loi du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a été publiée au Journal officiel le 17 février 2015.

La loi du 16 février 2015 permet dorénavant aux personnes sourdes, muettes ou dans l’impossibilité de s’exprimer dans la langue française de recourir à la forme authentique pour établir leur volonté́ testamentaire.

Le troisième alinéa de l’article 972 du Code civil est ainsi remplacé par quatre alinéas :

Alinéa 1 : « Dans tous les cas, il doit en être donné lecture au testateur. »

Alinéa 2 : « Lorsque le testateur ne peut s'exprimer en langue française, la dictée et la lecture peuvent être accomplies par un interprète que le testateur choisit sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d'appel. L'interprète veille à l'exacte traduction des propos tenus. Le notaire n'est pas tenu de recourir à un interprète lorsque lui-même ainsi que, selon le cas, l'autre notaire ou les témoins comprennent la langue dans laquelle s'exprime le testateur. »

La Cour de cassation et les cour d’appel8 reconnaissaient déjà la possibilité pour le testateur de dicter ses dispositions dans une langue étrangère, dès lors que le notaire et les témoins 8 Cass. Civ. 1ère, 3 avril 1891 ; CA Rennes, 8 janvier 1884 ; CA Bordeaux, 7 mai 1907

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comprenaient les déclarations. En revanche, si tel n’était pas le cas, le notaire ne pouvait recourir à un interprète9, même si certaines décisions isolées l’admettaient10.

Alinéa 3 : « Lorsque le testateur peut écrire en langue française mais ne peut parler, le notaire écrit lui-même le testament ou le fait écrire à la main ou mécaniquement d'après les notes rédigées devant lui par le testateur, puis en donne lecture à ce dernier. Lorsque le testateur ne peut entendre, il prend connaissance du testament en le lisant lui-même, après lecture faite par le notaire. »

En application de l’article 972 alinéa 1 du Code civil, le testament par acte authentique doit être dicté au notaire par le testateur en personne. Cette condition était interprétée strictement par la Cour de cassation qui a jugé que « le testateur doit énoncer lui-même, et de façon orale, ses dispositions et qu’il ne peut y être suppléé par de simples signes, fussent-ils aussi expressifs et peu équivoques que possible »11, cela à peine de nullité du testament.

Également, en vertu dudit article, le notaire doit donner lecture du testament au testateur. Ainsi, pour la personne atteinte de surdité, la Cour de cassation était partagée puisqu’elle a pu admettre la nullité du testament12 mais aussi sa validité dès lors que le testateur avait pris connaissance du testament par la lecture qu’il en avait faite lui-même, à haute voix, devant le notaire et les témoins13.

Alinéa 4 : « Lorsque le testateur ne peut ni parler ou entendre, ni lire ou écrire, la dictée ou la lecture sont accomplies dans les conditions décrites au quatrième alinéa. »

Il devra donc en être fait mention expresse.

Pour pallier à ces difficultés, il était alors conseillé de recourir à un testament international régi par la Convention de Washington du 26 octobre 1973. Mais aujourd’hui, ces personnes peuvent, elles aussi, disposer de leurs biens au moyen d'un testament authentique et bénéficier de la même sécurité juridique que les autres citoyens.

Néanmoins, on peut regretter que la loi n’ait pris aucune disposition concernant les personnes atteintes de cécité. La jurisprudence considère toutefois que la personne aveugle mais apte à parler pour dicter et à entendre pour écouter la lecture aurait accès au testament notarié ; le défaut de mention de la cécité du disposant ainsi que le défaut d’indication explicite de cette infirmité, connue de l’entourage du testateur et notamment des témoins, n’entraînant par ailleurs pas la nullité du testament authentique14.

Travail réalisé par : Hinatea GAVALDON, Fanny GUALLAR, Noémie GUILMANDIE et Ornella LACHLAN.

9 Cass. Civ. 1ère, 15 juin 1961, n° 59-12.550 ; CA Paris, 29 mai 2001, n° du rôle général : 1998/0463210 CA Metz, 19 novembre 182811 Cass. Civ. 1ère, 7 juillet 1965, n° 64-1075812 Cass. Req, 28 novembre 189813 Cass. Civ, 14 février 187214 Cass. Civ. 1ère, 6 mai 1957

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LES ACTES COURANTS

Le notaire, du terme latin « notarius » et « nota », est celui qui écrit. Depuis son origine, il est un scribe. En effet, il retranscrit la volonté des parties et lui donne force exécutoire part son titre d’officier ministériel. Encore aujourd’hui, le notaire détient une place primordiale au sein de notre société. Ainsi, il ne peut être passée une vente immobilière sans faire appel à son ministère. Nous comprenons donc l’utilisation du terme « actes courants » pour identifier la catégorie d’actes à laquelle la vente immobilière fait partie.

La place du notaire étant d’autant plus importante de nos jours, la Cour de cassation ne cesse d’être sollicitée concernant les actes soumis à sa rédaction ; consacrant par là même occasion l’évolution de cette profession et de son rôle. Ainsi, nous nous efforcerons de mettre en lumière les décisions rendues par la Haute juridiction au cours de ces quatre derniers mois concernant les actes courants du notaire, tant en amont de leur rédaction qu’en aval.

Nous verrons ainsi que la Haute juridiction a pris position en ce qu'il s'agit des précautions à prendre afin d’assurer l’efficacité et la sécurité juridique des actes ou promesse de vente (I), puis à l’égard des obligations du vendeur une fois l’acte conclu (II) pour terminer par les conséquences pratiques lors de la vente d’un terrain à construire (III).

I- De la précision des précautions à prendre afin d'assurer l'efficacité et la sécurité juridique des actes ou promesses de vente

La Cour de cassation vient indiquer des éléments qui sont nécessaires à l'efficacité des actes de vente et qu'il convient de mettre en œuvre en amont de leur conclusion. Elle s'est d'abord prononcée en matière de contrats de promotion immobilière (A), à propos de la loi CARREZ où elle pose des indications essentielles à propos de la superficie à prendre en considération et se prononce enfin en faveur de la responsabilité du diagnostiqueur professionnel du mesurage (B). Pour finir, nous verrons qu'elle se préoccupe du sort de la promesse de vente et des précautions à prendre pour assurer sa pérennité (C).

A. Les contrats de promotion immobilière

Pour les contrats de construction de maison individuelle (1), la vente en l'état d'achèvement (2), la jurisprudence de la Cour de cassation est venue apporter des précisions sur le contenu et l'étendue des vérifications et diligences à accomplir.

1) Le CCMI : l'unique recommandé signé par un seul des époux ne purge pas le droit de rétractation de son conjoint

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 26 novembre 2014 (n°13-24.294)

Si le Législateur prévoit, à l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation, que l'acquéreur non-professionnel signant un acte sous seing privé ayant pour objet la construction d'un immeuble à usage d'habitation peut se rétracter dans un délai de sept jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant cet acte, cette disposition d'ordre public a dû être précisée par les juges de la Haute juridiction dans un arrêt de la Troisième Chambre civile du 26 novembre 2014; le contentieux portait alors sur le point de départ du délai de rétractation en présence d'un contrat notifié à des acquéreurs mariés.

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En l'espèce, le 9 mai 2005, M. et Mme X signent avec la société Geoxia un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans. Une lettre unique est envoyée aux deux époux afin de faire courir le délai de rétractation. Seul Monsieur signe le pli recommandé. Par la suite, les époux assignent la société afin d'obtenir l'annulation du contrat de construction, la remise en état du terrain aux frais de la société et l'indemnisation de leurs préjudices.

Le 9 juillet 2013, la Cour d'appel de Lyon rejette leur demande de nullité du contrat en retenant que la signature par l'un des époux du pli recommandé, adressé aux deux époux et comportant la mention du droit de rétractation ne vient pas vicier le contrat et ne permet pas à l'époux non signataire de se rétracter après l'expiration du délai de sept jours.

L'absence de signature de l'un des époux sur le pli recommandé adressé aux deux conjoints a-t-elle pour effet de vicier le contrat et permettre à l'époux non signature de se rétracter après l'expiration du délai de sept jours ?

A cette interrogation, la troisième chambre civile de la Cour de cassation répond, au visa de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation, que la notification prévue par l'article précité doit être adressée personnellement à chacun des époux acquéreurs ou, à défaut, l'avis de réception de la lettre unique doit être signé par les deux époux, qu'ainsi la Cour d'appel a violé le texte susvisé. La Haute juridiction considère donc que le délai de rétractation ne courrait pas à l'encontre de Madame, cette dernière pouvant ainsi tout à fait renoncer au contrat de construction de maison individuelle.

Par un arrêt du 8 octobre 2014, la Cour de cassation avait déjà précisé, à l'égard des CCMI15, que, pour pouvoir purger de façon régulière le droit de rétractation, le constructeur devait veiller à notifier son contrat sans omettre d'y joindre la notice d'information, à défaut de quoi le délai de sept jours ne commençait pas à courir. C'est dans le même ordre d'idée que la troisième chambre civile vient rappeler avec fermeté au constructeur et donc, par ricochet, au Notaire, qu'il faut être rigoureux dans la notification du contrat. Si les acquéreurs sont des époux et que l'on envoie qu'une lettre unique afin de notifier le contrat, l'absence de signature de l'un empêche le délai de courir... Il pourra dès lors faire annuler la vente même au-delà des sept jours.

Cette solution est sévère pour le constructeur qui aura pris la peine de notifier, qui pensait le contrat conclu, et qui découvre alors que l'époux qui n'a pas signé l'avis de réception peut faire annuler, bien après, le contrat conclu. Mais, si la sévérité de la sanction peut être soulevée, il n'en demeure pas moins qu'une solution inverse aurait été désapprouvée puisqu'il est classique que lorsqu'un acte grave concerne un couple marié, chacun s'engage pour soit.

Ainsi, notamment par un arrêt du 9 juin 2010, la Cour de cassation avait rappelé que, si les acquéreurs d’un logement sont mariés, le délai de rétractation court à compter de la notification de l’acte d’achat (ou de son avant-contrat), par lettre recommandée avec avis de réception et que, si une seule lettre à leurs deux noms a été envoyée, cela n’a d’effet que si l’avis de réception a été signé par chacun des époux ou si le signataire avait mandat pour représenter l’autre. Si tel n’est pas le cas, le délai ne court que pour l’époux qui a signé16.

Conseil pratique

Le notaire devra donc bien avertir le constructeur : ce dernier doit impérativement, s'il souhaite purger le délai de rétractation à l'égard de deux époux qui se portent acquéreurs, soit leur envoyer à 15 Cass. civ. 3ème, 8 octobre 2014 , n°13-20.29416 Cass. civ. 3ème, 9 juin 2010, n° 09-15.361.

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chacun la lettre notifiant l'acte, soit bien vérifier qu'il obtient les signatures des deux conjoints sur l'avis de réception.

2) Vente en l'état futur d'achèvement: de nouvelles vérifications portées à la charge du notaire

Assemblée plénière de la Cour de cassation, 5 décembre 2014 (n° 13-19. 674)17

La souscription d'une garantie d'achèvement et d'une attestation d'ouverture des travaux ne constitue pas des garanties suffisantes attestant du commencement effectif des travaux lorsque le permis de construire est proche de sa date d'expiration. La Cour de cassation le 5 décembre 2014, met donc en charge le notaire de vérifier par lui même, la véracité de telles affirmations.

Par acte authentique du 5 octobre 2007, un couple acquiert un appartement en l'état futur d'achèvement. Le permis de construire relatif a l'immeuble avait été délivré le 12 octobre 2005, et expirait le 12 octobre 2007, soit deux ans après son obtention conformément au délai légal. Le vendeur effectue la déclaration d'ouverture du chantier le premier juin 2007.

Le 11 juillet 2007, relativement à la construction, une garantie d'achèvement est souscrite auprès d'un organisme d'assurance. Le garant, conformément à l'usage pratiqué habituellement, exige que le paiement correspondant aux appels de fonds nécessaires à l'exécution des travaux, soit effectué entre ses mains pour être libératoire, au fur et à mesure de l'exécution des travaux.

L'architecte, maître d'œuvre du chantier, délivre une attestation d'achèvement des fondations, déclenchant ainsi le paiement entre les mains du garant.

Suite à l'expiration du permis de construire, l'acquéreur découvre que les travaux sur l'immeuble dont il est le propriétaire n'avaient en réalité pas commencé, et qu'aucune demande de prorogation du permis de construire n'avait été effectuée, pour pouvoir continuer la construction.

Entre temps, le vendeur est placé en liquidation judiciaire.

Les acquéreurs assignent donc le garant d'achèvement, le vendeur, l'architecte, l'organisme de prêt et le notaire en résolution du contrat de vente en l'état futur d'achèvement, et en responsabilité pour obtenir le versement de dommages et intérêts pour le préjudice subi par lui.

La Cour d'appel rejette la demande des acquéreurs au motif que la déclaration d'ouverture du chantier effectuée par l'acquéreur, le 1er juin 2007, laissait un délai de quatre mois et demi suffisant pour débuter la construction, n'engendrant aucun préjudice.

Le notaire, que les acquéreurs estimaient redevable d'un conseil à leur égard au regard de la situation et devait s'assurer de la bonne exécution du chantier, n'avait pas à effectuer de vérifications supplémentaires, ni a exiger la prorogation du permis de construire, aucune faute n'ayant alors été commise de sa part.

La Cour de cassation a donc eu à répondre à la question de savoir si les documents fournis par le vendeur étaient suffisants pour attester du commencement des travaux, déchargeant le notaire d'effectuer des vérifications supplémentaires.

17 Cet arrêt est également traité dans le thème responsabilité notariale.

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La Cour de cassation casse la décision rendue par la Cour d'appel et énonce que ni la déclaration d'ouverture du chantier, ni l'existence de la garantie d'achèvement ne dispensaient le notaire, garant de l'efficacité des actes qu'il instrumente, de vérifier l'exactitude des informations transmises par le vendeur et l'architecte, et le commencement effectif des travaux. Au regard de la situation, ce dernier avait également l'obligation au titre de son devoir de conseil, d'éclairer les acquéreurs sur les risques encourus, notamment par l'expiration du permis de construire.

Cet arrêt met donc à la charge du notaire des vérifications supplémentaires quant à l'acte de vente qu'il instrumente. En effet, lorsque la date d'expiration du permis est proche, le notaire ayant instrumenté la vente en l'état futur d'achèvement a l'obligation de s'assurer du commencement effectif des travaux, et ne peut se contenter de la seule déclaration d'ouverture du chantier fournie par le vendeur18 ; ou de la souscription d'une garantie d'achèvement, qui en cas d'expiration du permis de construire ne saurait être d'aucune utilité puisque l'achèvement sera devenu impossible, en l'absence de prorogation du permis.

La solution paraît cohérente au regard de la situation en présence, puisqu'en l'absence de demande de prorogation du permis, seul le commencement effectif des travaux permet au permis de construire de de survivre, et à l'acte authentique qui cristallise la vente en l'état futur d'achèvement d'être efficace. Le notaire, en application de son devoir de conseil, se devait d'informer les acquéreurs sur ces précisions.

Cependant, il est une question en suspend, qui intéressera la pratique notariale. En effet, si cet arrêt d'Assemblée plénière rend incontestable le devoir de vérification de commencement effectif des travaux pour le notaire, il n'exprime pas clairement les modalités que devront prendre ce contrôle.

Le notaire doit-il se déplacer sur les lieux, ou doit-il simplement obtenir les documents administratifs attestant le commencement de façon non équivoque ?

Cas pratique

Il s'agira, en l'absence de réponse formelle, de conseiller au notaire d'effectuer toutes les diligences qu'il estimera nécessaires pour s'assurer de la réalité du commencement des travaux, qu'elles impliquent une recherche administrative, sans s'y limiter si le doute subsiste. Dans ce cas, le notaire ne devra pas hésiter à se rendre sur les lieux, pour constater de lui même la situation, tant l'arrêt en présence met en lumière un nouveau cas de responsabilité notariale en matière de vente en l'état futur d'achèvement.

B. L'application de la loi CARREZ précisée

Imposant à peine de nullité la mention de la superficie dès lors qu'un lot de copropriété est vendu, ou pouvant être à l'origine d'une demande en diminution du prix si la superficie indiquée est inférieure à la réalité au sens de son contenu, la loi CARREZ a fait l'objet d'arrêts rendus par la Cour de cassation : d'une part, elle vient préciser la superficie qu'il convient de prendre en compte lors du mesurage et qu'il faudra ensuite indiquer dans l'acte de vente (1), d'autre part, elle se prononce à nouveau sur la responsabilité du professionnel du mesurage, opérant un revirement de jurisprudence (2).

18 La simple déclaration d'ouverture du chantier ne permet pas d'établir le commencement effectif des travaux: voir en ce sens CE 27-10-2006 n° 278226, Société Lidl: AJDA 2006, p. 2095.

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1) La superficie à prendre en compte pour le calcul de la loi CARREZ clarifiée

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 28 janvier 2015 (n°13-26.035)

Le décret du 17 mars 1967 pris pour application de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, prévoit initialement que les lots ou fractions de lots d'une superficie inférieure à 8 mètres carrés ne sont pas pris en compte pour le calcul de la superficie de la partie privative d’un lot. A travers le présent arrêt, la cour de cassation apporte une nuance à cette disposition.

En l’espèce, une vente d’un lot de copropriété est conclue entre Madame Y, venderesse, et les époux X. Le lot vendu comprenait un appartement d’une superficie de 91,66 mètres carrés. Par la suite, les époux acquéreurs ont fait procéder à un mesurage qui a indiqué une superficie inférieure à celle indiquée dans l’acte. Les époux X ont donc assigné la venderesse en diminution du prix de vente, ces derniers considèrent que les deux loggias, d’une superficie inférieure à 8m2 ne devaient pas être inclues dans le calcul de la superficie car seuls les lots ou fractions de lot d’une surface supérieure à 8m2 doivent être pris en compte pour la calcul de la superficie et donc compris dans l’acte de vente.

La Cour d’appel de Poitiers, le 2 août 2013, déboute les époux X de leur demande en appréciant souverainement la situation du bien à la date de la vente et en constatant ainsi que les deux loggias étaient closes et habitables, de telle sorte que leur superficie devait être prise en compte dans l’acte de vente. Un pourvoi est formé par les époux.

La question posée à la Cour de cassation est donc de déterminer si des loggias privatives closes et habitables doivent être prises en compte dans le calcul de la superficie des parties privatives.

La Cour de cassation, réunie en sa troisième chambre civile, le 28 janvier 2015 rejette le pourvoi et confirme la solution rendue par la cour d’appel en rappelant qu’à la date de la vente deux loggias privatives, comprises dans le lot vendu, étaient closes et habitables, ainsi ces loggias devaient être prises en compte pour le calcul de la superficie des parties privatives vendues.

Ainsi, peu importe la superficie de ces loggias dès lors qu’elles sont closes et habitables, il convient de les retenir dans le calcul de la superficie des parties privatives. La Cour de cassation considère que le calcul de la superficie doit refléter l’appartement tel qu’il se présente matériellement et ne doit donc pas exclure les lots inférieurs à 8m2 notamment, comme dans la cas présent, lorsque la loggia constitue un local clos et couvert, habitable. Cette superficie doit donc être intégrée dans la superficie privative.

La Cour de cassation applique ici une solution déjà établie. En effet, celle-ci a déjà admis, dans un arrêt du 6 mai 201419, que doit être pris en compte pour le calcul de la superficie des parties privatives le bien tel qu’il se présentait matériellement au moment de la vente, ainsi la superficie d’une mezzanine qui constitue une véritable pièce en faisant corps avec l’immeuble devait être prise en compte pour le calcul de la superficie des parties privatives.Le présent arrêt est donc une application de ce principe, principe selon lequel la superficie des parties privatives à prendre en compte est celle du lot tel qu’il se présente matériellement au jour de la vente.Aucune diminution du prix de vente ne peut donc être réclamée pour la prise en compte dans la superficie privative de la superficie des loggias closes et habitables constituant le lot.

19 Cass. civ. 3ème, 6 mai 2014 n°13-16.510.

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La Cour de cassation est donc très pragmatique car elle ne se fonde pas que sur des éléments techniques, notamment le mesurage inférieur à 8m2, mais prend en considération la réalité du lot. Dès lors que les loggias constituent une sorte d’agrandissement de la superficie du lot lorsqu’elles sont closes et habitables, il convient de les retenir dans le calcul de la superficie privative du lot.

Conseil pratique

En pratique, le notaire devrait attirer l’attention des acquéreurs sur cette particularité : la prise en compte des surfaces de lot inférieures à 8m2 dans le calcul de la superficie privative, comme en l’espèce la superficie des loggias closes et habitables. Ainsi, dès lors que la réalité matérielle du bien, objet de la vente, présente une superficie à prendre en compte dans le calcul de la superficie des parties privatives, il faut en informer les parties.

Ainsi, cela éviterait aux vendeurs de se voir opposer une action en une diminution du prix de vente inutile, et parallèlement d’éviter aux acquéreurs d’engager des procédures pour réclamer la diminution du prix de vente au vendeur inutilement.

2) La responsabilité du professionnel du mesurage pouvant enfin être recherchée en cas d'erreur

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 28 janvier 2015 (n° 13-27.397)

La loi Carrez impose, à peine de nullité, la mention de la superficie du lot et, en cas de moindre mesure de plus de 5% de la superficie, à une diminution du prix. Les vendeurs font donc appel, afin de se protéger, à des professionnels du mesurage. La Cour de cassation refusait toutefois d'admettre un recours du vendeur contre ces derniers en cas d'erreur. Cette jurisprudence, contestable, a fait l'objet d'un revirement, le 28 janvier 2015, que l'on ne peut qu'approuver.

En l'espèce, par acte authentique du 11 aout 2010, Mme X vend à M. Y un appartement et une cave pour 335.000 Euros. La société Diagnostic environnement prévention, professionnel du mesurage, par une attestation annexée à l'acte de vente, certifie que l'appartement vendu fait l'objet d'une certaine superficie au sens de l'article 46 de la loi du 10 juillet 1965.

L'acquéreur conteste la superficie du bien, c'est pourquoi la société établit, le 1er septembre 2010, un nouveau certificat de mesurage, or la superficie connait une moindre mesure de 5.52 % par rapport à celle mentionnée dans l'acte de vente.

La venderesse, sur demande de l'acquéreur, lui restitue alors la somme de 18.511 euros au titre de la réduction de prix correspondant à la différence de surface ; puis elle se retourne ensuite contre la société afin qu'elle l'indemnise à hauteur de la somme versée à l'acquéreur. Cette dernière refuse, c'est pourquoi la venderesse l'assigne, ainsi que son assureur, en paiement de la somme de 32.189, 64 euros en réparation de son préjudice.

Le 19 septembre 2013, la Cour d'appel de Paris, condamne la société à payer à Mme X la somme de 17.985,49 euros à titre de dommages-intérêts.

La société forme un pourvoi en cassation au moyen notamment que le vendeur ne peut obtenir, sous couvert d'indemnisation d'un préjudice, le remboursement de la diminution du prix de vente, que la perte de chance de vendre le bien au prix initial ne constitue pas un préjudice

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indemnisable, qu'en l'espèce Mme X a restitué à l'acquéreur la somme de 18.511 euros au titre de la réduction du prix correspondant à la différence de surface de l'appartement vendu. La Cour d'appel violerait l'article 1147 du Code civil en décidant que Mme X avait perdu la chance de vendre son bien au même prix pour une surface moindre, et que son préjudice devait être évalué à 16.000 euros, perte de chance qui constitue un préjudice indemnisable.

L'interrogation à laquelle la Cour de cassation est confrontée est alors de savoir si, lorsque le vendeur doit restituer une partie du prix de vente parce que la superficie indiquée et certifiée par le professionnel du mesurage dans l'acte de vente connait une moindre mesure de plus de 5%, il a la possibilité ensuite de se retourner contre ce dernier en engageant sa responsabilité afin d'indemniser la perte de chance de n'avoir pu vendre au prix initial.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 28 janvier 2015, approuve la Cour d'appel. Elle estime en effet que cette dernière a retenu à bon droit que si la restitution à laquelle le vendeur est tenu suite de la diminution du prix résultant d’une moindre mesure par rapport à la superficie convenue ne constitue pas un préjudice indemnisable permettant une action en garantie, le vendeur peut se prévaloir à l’encontre du mesureur ayant réalisé un mesurage erroné, d’une perte de chance de vendre son bien au même prix pour une surface moindre, et pose que la Cour d’appel a souverainement apprécié l’étendue du préjudice subi par Mme X.

Ainsi, par le présent arrêt, la Cour de cassation opère un revirement à l'égard de la responsabilité du professionnel du mesurage qui, étant appelé par le vendeur, a dû certifier d'une certaine superficie, laquelle s'avère finalement erronée pour une moindre mesure de plus de 5% par rapport à la superficie réelle (au sens de la loi Carrez).

En effet, jusqu'ici, la Cour de cassation estimait qu'en cas d'action en diminution du prix par l'acquéreur, si le professionnel avait effectivement commis une faute (puisqu'il avait mal mesuré), le vendeur ne subissait aucun préjudice à devoir restituer une partie du prix de vente, les juges retenant qu'il ne s'agissait alors que « de ramener le prix au montant que les vendeurs auraient normalement dû percevoir »20. Ainsi, en l'absence de préjudice, le vendeur ne pouvait pas se retourner contre le professionnel. Cette position était d'autant plus contestable qu'elle revenait à considérer que, nécessairement, le prix de vente du bien était fonction de sa superficie (qui plus est, sa superficie au sens de la loi Carrez qui est pourtant particulière). Pourtant, l'acquéreur généralement visite le bien avant de l'acquérir, et ne fait pas de la superficie exacte un élément de son consentement (contrairement à la vente à la mesure).

Notons tout de même que la Cour décide de maintenir sa position quant à l'absence de préjudice indemnisable relatif à la diminution du prix, elle se base seulement sur la perte de chance d'avoir pu vendre au prix initial.

Le résultat semble à peu près identique et la solution doit, sur le plan de l'opportunité, être approuvée. En effet, cette décision fait prendre tout son sens à l'intérêt de faire appel à un professionnel. Ce dernier peut donc enfin être débiteur d'une responsabilité dans le cas où il commet une erreur dans le cadre de sa mission.

20 Cass. civ 3ème, 21 novembre 2006.

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Conseil pratique

Le notaire ne pourra donc aujourd'hui qu'encourager les vendeurs à faire appel à un professionnel du mesurage puisque cela permettra non seulement d'avoir une superficie normalement correctement relevée du bien, mais en outre en cas d'action en diminution du prix, il pourra se retourner contre le professionnel qui aura commis une erreur.

C. Le dépassement du délai imparti pour réaliser la vente à l'égard du locataire : l'affirmation d'une nullité relative au bénéfice du bailleur

Première chambre civile de la Cour de cassation, 15 janvier 2015 (n°14-11.019)

Par le présent arrêt, la cour de cassation apporte une précision quant à l’application de l’article 15 II de la loi du 6 juillet 1989 relatif au droit de préemption du locataire.

En l’espèce, une promesse synallagmatique de vente est conclue entre les consorts B et les consorts Y et X le 10 juin 2009. L’immeuble objet de la promesse de vente était alors loué à Madame Z, celle-ci disposant ainsi d’un droit de préemption en qualité de locataire. Une offre de vente a été notifiée à cette dernière, offre acceptée par la suite par lettre recommandée avec avis de réception le 31 juillet 2009 faisant courir un délai de quatre mois pour régulariser la vente, soit jusqu’au 30 novembre 2009, conformément à l’article 15 II de la loi du 6 juillet 1989.

Ce n’est toutefois que le 3 décembre 2009, alors que le délai de quatre mois était écoulé, que le notaire a instrumenté la vente au profit de Madame Z, locataire.

Les consorts Y et X, tiers acquéreur invoquent alors la fraude à leurs droits et assignent le notaire en dommages et intérêts pour d’une part avoir réalisé la vente alors que l’acceptation était nulle de plein droit en raison du dépassement du délai ; d’autre part, pour ne pas avoir respecté la condition suspensive de non exercice du droit de préemption de Madame Z conformément à ce qui était prévu dans la promesse.

La Cour d’appel d’Amiens, le 21 novembre 2013 déboute les consorts Y et X, au motif que seul le bailleur pouvait se prévaloir de la nullité de l’acceptation de l’offre de vente.

Un pourvoi est formé par les époux lésés, invoquant que le délai pour réaliser la vente étant expiré l’acceptation de l’offre de vente est nulle de plein droit aux termes de l’article 15 II de la loi du 6 juillet 1989.

La Cour de cassation a donc eu à répondre à la question de savoir si le tiers acquéreur évincé pouvait se prévaloir de l'expiration du délai de réalisation de la vente existant entre le locataire et le bailleur vendeur. De ce fait, le notaire qui instrumente la vente, passé ce délai est-il fautif ?

La première chambre civile de la Cour de cassation, le 15 janvier 2015, rejette le pourvoi et confirme la solution rendue par la Cour d’appel à travers la solution suivante : « seul le bailleur pouvait se prévaloir de la nullité de l'acceptation de l'offre de vente qu'édicte l'article 15, II, alinéa 5, de la loi du 6 juillet 1989, la cour d'appel en a exactement déduit que le notaire n'avait, en instrumentant l'acte de vente requis par le bailleur après l'expiration du délai que sanctionne cette nullité relative, manqué à aucune de ses obligations professionnelles envers les consorts X...-Y..., évincés de la vente par l'exercice du droit de préemption du locataire ».

Il s’agit donc, comme le précise la Cour de cassation, d’une nullité relative qui ne dépend que du bailleur. Les bénéficiaires de la promesse évincés par l’exercice du droit de préemption du locataire ne peuvent donc pas se prévaloir du non respect du délai qui lui est imparti.

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Il convient tout d’abord de rappeler que l’article 15 II de la loi du 6 juillet 1989 prévoit qu’un congé doit être donné au locataire lors de la vente du logement, à peine de nullité. Ce congé vaut offre de vente au profit du locataire qui dispose alors d’un délai de deux mois pour donner sa réponse. Ensuite, le locataire qui accepte l’offre dispose d’un délai de quatre mois, lorsqu’il notifie son intention de recourir à un prêt comme en l’espèce, pour réaliser la vente.

Dans la présente solution, la Cour de cassation admet que la vente a été passée en dehors du délai laissé à la disposition du locataire mais précise que seul le bailleur peut se prévaloir de la nullité de l’acceptation de l’offre et non les acquéreurs évincés. Cette solution est justifiée en ce sens que la sanction de la nullité de plein droit de l’acceptation en cas de réalisation de la vente en dehors des délais est prévue en faveur du bailleur pour pouvoir conclure librement avec un tiers lorsque le locataire ne respecte pas ce délai. Il est donc logique que ce soit le bailleur qui réclame la nullité de l’acceptation de l’offre pour pouvoir conclure avec des tiers par la suite.

Le notaire, en l'absence de manifestation du bailleur quant à l'expiration du délai légal de réalisation de la vente, ne commettra aucune faute en acceptant de prêter son ministère, et ne pourra être tenu responsable vis à vis de l'acquéreur évincé.

La solution est donc favorable au bailleur qui a donc libre choix au delà du délai prescrit de soit passer la vente avec le locataire du bien, soit avec les tiers acquéreurs initiaux, tout en bénéficiant de la protection du délai si le locataire ne le respecte pas. Toutefois, une telle solution devra avoir des limites. En l’espèce le délai est dépassé seulement de quelques jours, la solution n’est donc pas choquante d’admettre la vente au locataire. En revanche, si le locataire attend trop et que le bailleur accepte tout de même de passer la vente avec lui, les acquéreurs initiaux bénéficiaires de la promesse seraient encore plus lésés.

Par ailleurs, en principe, lors de la conclusion d’une promesse de vente en présence d’un locataire dans l’immeuble objet de la promesse, une condition suspensive est prévue : celle du non exercice du droit de préemption du locataire, comme tel était le cas en l’espèce.Dans le présent arrêt, cette condition suspensive n’a pas été respectée par le notaire qui a passé la vente au delà du délai prévu au profit du locataire pour réaliser la vente. Ainsi, en admettant la présente solution, la Cour de cassation rejette par là même la responsabilité du notaire, la vente pouvant être réalisée au delà du délai dès lors que le bailleur ne remet pas en cause l’expiration du délai.

Conseil pratique

Les notaires devraient toutefois être prudents et respecter la condition suspensive par rapport au délai prévu dans la loi du 6 juillet 1989 pour que le locataire réalise la vente, notamment si le délai est trop largement dépassé.

II- De la précision des obligations du vendeur : entre atténuation de sa responsabilité en l'absence de danger et clarification des modalités de son obligation de délivrance

Le vendeur est tenu à un certain nombre d’obligations légales. Au cours de ces derniers mois, la Cour de cassation a clarifié la mise en œuvre et le respect de celles-ci à travers d’une part l’obligation de garantie, le vendeur devant fournir à l’acquéreur des diagnostics techniques (A) et d’autre part l’obligation de délivrance (B).

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A. La responsabilité du vendeur évincée en l'absence de danger lié à la présence d'amiante

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 16 décembre 2014 (n° 13-17.469)

Par cet arrêt du 16 décembre 2014, la Cour de cassation considère qu'en l'absence de danger, la présence d'amiante dans des matériaux ne peut constituer un vice caché, le bien n'étant pas rendu impropre à sa destination.

En l'espèce, les époux A ont vendu un immeuble à usage d'habitation à M. X et Mme Y. Les vendeurs font réaliser un diagnostic, comme cela est prévu par la loi, destiné à la recherche d'amiante à l'intérieur de la maison. Le diagnostiqueur remet par la suite son rapport aux acquéreurs. Une fois la vente conclue, M. X et Mme Y (les acquéreurs) assignent les vendeurs pour vice caché du fait de la présence d'amiante dans la maison.

Le 14 janvier 2013, la Cour d'appel de Nancy rejette la demande des acquéreurs, au motif que l'immeuble n'était pas impropre à sa destination puisque le rapport de l'expert judiciaire relève que les plaques de fibrociment contenant de l'amiante (dans deux pignons intérieurs et les bardages extérieurs de l'immeuble) étaient en bon état de conservation puisque le fibrociment était protégé à l'extérieur par un épais enduit. S’agissant des pignons intérieurs, ces derniers ne sont accessibles qu'aux entrepreneurs du bâtiment donc il n'y a pas de danger pour les acquéreurs. En outre, la Cour d’appel de Nancy estime que les vendeurs avaient satisfait à leur obligation légale d'information en faisant appel à un diagnostiqueur dont le rapport a été remis aux demandeurs.

Les acquéreurs forment alors un pourvoi en cassation, au moyen que le vendeur est tenu de la garantie à raison des vices cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus ; que la présence d'amiante dans un immeuble à usage d'habitation le rend nécessairement impropre à sa destination normale. Ainsi, en refusant de faire droit à l'action rédhibitoire formée par les acheteurs, au motif que le bien acquis n'était pas atteint d'un vice caché, après avoir pourtant constaté la présence d'amiante dans l'immeuble, la Cour d'appel n'aurait pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a, par conséquent, violé les articles 1641 et 1644 du Code civil. Le 16 décembre 2014, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

Les questions qui se posent aux magistrats de la Haute juridiction est de savoir si la seule présence d'amiante ouvre droit à une action rédhibitoire ou estimatoire pour vice caché, même en l’absence de danger. Le vendeur peut-il être recherché sur le fondement de la garantie des vices cachés dès lors que la présence d'amiante est avérée même lorsqu'elle est sans danger pour les habitants ?

A ces interrogations, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 16 décembre 2014, répond que, puisqu'il ressortait du rapport de l'expert judiciaire que les plaques de fibrociment contenant de l'amiante étaient en bon état de conservation, qu'il n'existait donc pas de danger lié à la présence d'amiante dans ces matériaux de construction, la Cour d'appel a pu retenir que l'immeuble n'était pas impropre à sa destination et écarter de ce fait l'existence d'un vice caché ouvrant droit à l'action rédhibitoire ou estimatoire. Elle ajoute que la Cour « ayant relevé que la réglementation en vigueur imposait seulement aux vendeurs de faire réaliser et transmettre aux acquéreurs un diagnostic destiné à la recherche d'amiante à l'intérieur de la maison, elle a légalement justifié sa décision en retenant que les vendeurs avaient satisfait à leur obligation légale d'information en faisant appel à un diagnostiqueur dont le rapport a été remis aux acquéreurs ».

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A cet égard, la Cour de cassation avait déjà jugé, dans un arrêt de la troisième chambre civile en date du 5 juin 201221, que les parties de l'immeuble infectées par l’amiante ne présentaient pas de danger et pouvaient être supprimées par des travaux d'un montant modeste, de nombreuses pièces étant exemptes d'amiante. Ainsi l'action en garantie des vices cachés formée à l’encontre des vendeurs a été rejetée. En effet, malgré l'amiante, la Cour de cassation considère que la maison n'est pas impropre à sa destination (l'habitation) et, par suite, que la garantie des vices cachés ne peut pas être invoquée : la résolution de la vente ne peut donc être prononcée.

Cette décision, surprenante en apparence, est en réalité dans le droit fil d'une jurisprudence empreinte de pragmatisme. L'objectif du juge est de ne pas sanctionner le vendeur qui a respecté son obligation (fournir à l'acquéreur un diagnostic qui est annexé au compromis de vente) et n'a donc commis aucune faute. Dès lors, la résolution de la vente n'apparaît pas pertinente dans une telle situation. Seule la mauvaise foi du vendeur permettrait que sa responsabilité soit engagée (par exemple s'il empêche le diagnostiqueur d'effectuer correctement son travail ou s'il effectue des travaux dans le but de masquer la présence d'amiante). En revanche, le diagnostiqueur qui a commis une erreur de diagnostic peut être poursuivi et condamné à indemniser l'acquéreur à hauteur des travaux nécessaires. En définitive, si la vente n'est pas remise en cause, l'acheteur n'est pas pour autant lésé. Rappelons que toute vente immobilière (logement, terrain ou local d'activité) doit impérativement faire l'objet de diagnostics (amiante, plomb, termites, performance énergétique, etc.). Ceux-ci doivent être réalisés par un diagnostiqueur obligatoirement « certifié » (ce qui atteste de ses compétences), assuré et disposant d'un matériel performant.

Ainsi, la position de la Cour de cassation consistant à rejeter un vice caché incombant aux vendeurs apparait légitime et se justifie dans de tels cas d’espèce. En effet, il serait absurde de faire peser la faute d’un mauvais diagnostic sur les vendeurs à cause de la négligence du professionnel diagnostiqueur. Par ailleurs, les notaires, au titre de leur devoir de conseil, doivent interpeller les vendeurs sur l’obligation de fournir aux acquéreurs les différents diagnostics, sous peine de mise en œuvre de leur responsabilité pour défaut de délivrance.

B. La clarification des modalités de l’obligation de délivrance incombant au vendeur 

La Cour de cassation a apporté des précisions tenant au respect de l’obligation de délivrance du vendeur prévue par l’article 1604 du Code civil. Ainsi, elle estime que la gravité des détériorations du bien vendu est sans incidence au regard de son obligation de délivrance (1) ; et que le défaut de raccordement du bien au réseau public d’assainissement constitue un manquement à la délivrance (2).

1) L'absence de prise en compte de la gravité des détériorations du bien vendu dans la détermination de la violation de l’obligation de délivrance du vendeur

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 17 décembre 2014 (n° 13-24.597)

Part le présent arrêt, la Cour de cassation met en évidence le risque qu’encours le vendeur suite au non respect de ses obligations tant contractuelles que légales et par là même l’importance du rôle du notaire dans l’information des parties quant à leurs obligations respectives, notamment l’obligation de délivrance du vendeur.

En l’espèce, Monsieur X a consenti une promesse de vente de sa maison d’habitation à la société Fralène. La société, acquéreur, refuse de réitérer la vente, de lever l’option, en reprochant au vendeur d’avoir modifié l’état de l’immeuble en violation des dispositions contractuelles. En effet, celui-ci a retiré le miroir ainsi que le meuble haut de la salle de bains fixés sur des chevilles 21 Cass. civ. 3ème, 5 juin 2012 n° 11-15.628.

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pénétrant le mur provoquant ainsi des détériorations sur les faïences murales devant alors être remplacées en totalité, meubles par ailleurs qualifiés d’immeubles par destination.

Monsieur X assigne la société bénéficiaire en perfection de la vente et estime qu’il a respecté ses obligations contractuelles.

La Cour d’appel de Lyon, le 27 juin 2013, déboute Monsieur X de sa demande au motif que les parties ont entendu expressément stipuler à l’acte de promesse de vente l’interdiction faite au vendeur de procéder à toute modification des lieux, y compris des meubles immeubles par destination, conférant ainsi un caractère essentiel à cette obligation. Or, en l’espèce, la dépose du meuble de la salle de bains a provoqué des détériorations sur les faïences murales qui devront en conséquence être remplacées en totalité. La Cour d’appel a par ailleurs qualifié d’immeubles par destination les meubles déposés par Monsieur X ainsi que les faïences détériorées. Monsieur X n’a donc pas respecté son interdiction d’apporter toute modification aux lieux en vertu de la promesse de vente, et par là même son obligation de délivrance en retirant et détériorant des meubles qualifiés d’immeubles par destination, peu importe la gravité des détériorations. La résolution de la vente est donc retenue par la Cour d’appel.

Monsieur X, forme donc un pourvoi en cassation, il invoque le caractère économiquement insignifiant des détériorations causées par la dépose du miroir et du meuble au regard de la valeur de la maison et en conséquence le respect de ses obligations contractuelles.

La question qui se pose donc à la Cour de cassation est de déterminer si le caractère économique des détériorations doit être pris en compte dans la détermination du respect de l’obligation de délivrance du vendeur.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 17 décembre 2014, rejette le pourvoi, confirme la résolution de la vente et retient que « la dépose de ces éléments par Monsieur X caractérisait une violation grave de la stipulation de la promesse de vente interdisant à M. X. d'apporter toute modification des lieux », elle confirme ainsi la résolution de la vente.

Le vendeur est tenu d’une obligation de délivrance par application de l’article 1604 du Code civil. Cette obligation de délivrance suppose la remise d’un immeuble conforme à sa destination et aux stipulations contractuelles22.

Dans cet arrêt est justement prévue dans la promesse de vente l’absence de toute modification des lieux y compris des meubles immeubles par destination. Il convient donc de préciser que sont considérés comme immeubles par destination, au sens de l’article 524 alinéa 3, « tout effets mobiliers que le propriétaire a attachée au fonds à perpétuelle demeure », cela signifie que les meubles ne pouvant être matériellement dissociés de l’immeuble sans détérioration de celui-ci sont compris dans la vente. En l’espèce, le meuble de la salle de bains qui a été déposé par le vendeur, étant fixé à l’aide de cheville pénétrant le mur et sa dépose ayant provoqué des détériorations, ces derniers sont donc considérés comme immeubles par destination. Ils doivent donc être compris dans la vente, sans lesquels la vente est alors incomplète. En ce sens, le vendeur n’a pas respecté ses obligations contractuelles prévoyant l’absence de toute modification des lieux et donc son obligation de délivrance.

Donc, en l’espèce, peu importe la gravité des détériorations entrainée par la modification des lieux, le simple fait que le vendeur ait repris des meubles qualifiés d’immeubles par destination entrainant ainsi une modification des lieux suffit à caractériser le manquement à son obligation contractuelle et donc par là même à son obligation de délivrance.22 Cass. civ. 3ème, 14 mai 1997.

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Ainsi par le présent arrêt, la troisième chambre civile de la Cour de cassation admet que l’obligation de délivrance et générale et absolue, sans exception, peu importe la gravité des détériorations. L’obligation de délivrance s’entendant de la délivrance complète de l’immeuble, y compris des meubles immeubles par destinations. La gravité des détériorations n’a pas à être prise en compte dans la détermination du respect de l’obligation de délivrance du vendeur.

Conseil pratique

Il convient au notaire de rappeler, lors de la vente, les obligations du vendeur et notamment son obligation de délivrance. Peut être faudrait-il indiquer plus précisément les tenants d’une telle obligation et préciser ce qu’est un immeuble par destination pour éviter au vendeur, comme dans le cas présent, toute résolution de la vente.

2) Le défaut de raccordement du bien au réseau public d’assainissement constitutif d’un manquement du vendeur à son obligation de délivrance

Troisième chambre civile de la Cour de cassation,28 janvier 2015 (n° 13-19.945/13-27.050)

Selon la Cour de cassation, le défaut de raccordement du bien vendu au réseau public d’assainissement permet d’engager la responsabilité des vendeurs sur le fondement de l’obligation de délivrance et non pas sur le fondement de la garantie des vices cachés.

En l’espèce, M. Z et Mme X ont vendu à M. A et Mme B une maison d’habitation. Alertés par de mauvaises odeurs, M. A et Mme B ont constaté que l’évacuation de leurs eaux usées n’était pas raccordée au réseau public d’assainissement. Les acquéreurs décident alors de procéder à une expertise judiciaire. Selon l’expert, le dispositif installé n’est pas conforme aux normes techniques applicables en matière sanitaire. Ainsi, les acquéreurs décident d’assigner les vendeurs pour obtenir la réparation de leur préjudice du fait de l’absence de raccordement de la maison au réseau public d’assainissement, sur le fondement d’un défaut de délivrance.

Le 21 mars 2013, la Cour d’appel de Rennes accueille la demande de M. A et Mme B, au motif, que les vendeurs avaient méconnu leur obligation de livrer une installation permettant l’utilisation normale de la maison vendue. En outre, l’existence de désordres liés à l’évacuation des eaux usées est constitutive d’un vice de nature à rendre la chose impropre à l’usage auquel elle est destinée. Dès lors, la Cour d’appel de Rennes condamne M. X et Mme Z au paiement du coût des travaux de remise en l’état ainsi qu’à des dommages-intérêts sur le fondement de l’obligation de délivrance en raison de l’absence de raccordement des eaux usées au réseau public d’assainissement.

M. Z et Mme X, les vendeurs, forment alors un pourvoi en cassation au moyen, que la non-conformité de la chose aux stipulations contractuelles constituait un défaut rendant la chose impropre à sa destination ouvrant droit exclusivement à la garantie fixée par les articles 1641 et suivants du Code civil, c'est-à-dire la garantie des vices cachés. Le 28 janvier 2015, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

La question posée aux magistrats de la Haute juridiction est de savoir si le défaut de raccordement de l’immeuble vendu au réseau public d’assainissement est constitutif d’un manquement des vendeurs à leur obligation de délivrance ou à un vice caché.

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La troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 28 janvier 2015, considère alors : « qu’ayant relevé que l’immeuble avait été vendu comme étant raccordé au réseau public d’assainissement et constaté que le raccordement n’était pas conforme aux stipulations contractuelles, la cour d’appel, (…) en a exactement déduit que les vendeurs avaient manqué à leur obligation de délivrance ».

La Cour de cassation rappelle dans cet arrêt la nécessité pour les vendeurs de délivrer une chose conforme aux stipulations contractuelles ; à défaut leur responsabilité peut être engagée. En l’espèce la maison vendue n’était pas raccordée au réseau public d’assainissement alors que l’acte de vente stipulait le contraire. L’enjeu est donc de savoir si ce manquement est susceptible d’engager la responsabilité des vendeurs sur le fondement d’un défaut de délivrance ou d’un vice caché. En effet, le régime de ces obligations est différent s’agissant de l’octroi de dommages-intérêts qui peuvent être accordés aux acquéreurs. Dans la garantie des vices cachés, il est nécessaire d’apporter la preuve de la mauvaise foi du vendeur en vertu de l’article 1645 du Code civil ; alors que dans le défaut de délivrance, des dommages-intérêts peuvent être accordés et ce, sans prouver la mauvaise foi du vendeur. En l’espèce, la Cour d’appel de Rennes estime que ce défaut de raccordement entraine un manquement des vendeurs à leur obligation de délivrance et les condamnent donc à la remise en l’état du bien ainsi qu’à des dommages-intérêts.

Toutefois, l’argument mis en exergue par les vendeurs est de dire que la non-conformité de la chose vendue qui la rend impropre à l’usage auquel elle est destinée relève de la garantie des vices cachés des articles 1641 et suivants du Code civil. Ainsi, il est nécessaire pour les acquéreurs, M. A et Mme B, d’apporter la preuve de leur mauvaise foi ; à défaut aucun dommages-intérêts ne peut leur être attribués.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que les vendeurs ont manqué à leur obligation de délivrance. Ici, la Haute juridiction estime donc que l’absence de raccordement du bien vendu au réseau public d’assainissement est un défaut de conformité de la chose par rapport aux stipulations contractuelles. Incidemment, il semble donc que la Cour considère que ce défaut n’affecte pas l’usage du bien vendu, à savoir l’habitation. Sur ce dernier point, la position de la Cour de cassation est discutable car une maison d’habitation dans laquelle se trouvent des odeurs nauséabondes peut affecter l’usage des occupants.

Par ailleurs, cet arrêt est intéressant car il met en évidence l’importance pour le notaire de porter une attention particulière lors de la réalisation des formalités préalables sur le bien. En effet, afin de pouvoir passer l’acte de vente définitif, le notaire doit demander de nombreux renseignements relatifs à l’état et à la situation du bien ; la demande de raccordement de l’immeuble au réseau public d’assainissement en fait partie. Dès lors, cet arrêt de la Troisième chambre civile de la Cour de cassation du 28 janvier 2015 vient rappeler la nécessité pour le notaire d’exploiter minutieusement les informations qui lui sont transmises et de vérifier toutes les déclarations faites par les parties.

Dans cet arrêt, les acquéreurs auraient pu engager la responsabilité du notaire pour son absence de vérification de raccordement du bien au réseau public d’assainissement.

III- De la précision des conséquences pratiques lors de la vente d’un terrain à construire

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La Cour de cassation s’est récemment prononcée dans divers arrêts relatifs à la vente de terrain. D’une part, elle estime que la vente d’un terrain partiellement inconstructible qui le devient totalement n’est pas de nature à engendrer la nullité de la vente (A) et, d’autre part, la Cour affirme l’absence de nécessité de requérir à un certificat d’urbanisme dès lors qu’un permis de construire attestant de la constructibilité du terrain a déjà été délivré (B).

A. L’absence de nullité de la vente d’un terrain partiellement inconstructible qui le devient totalement

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 13 novembre 2014 (n° 13-24.027)

Par cet arrêt, la Cour de cassation vient affirmer que la vente d’un terrain partiellement inconstructible ne peut être annulée au motif qu’une décision administrative classe ensuite ce terrain dans une zone totalement inondable.

En l’espèce, le 9 février 2006, M. et Mme X ont acheté à Mme Y un terrain pour construire. Or, le certificat d’urbanisme délivré le 22 novembre 2005 attestait que seule une partie du terrain était constructible, le reste de la parcelle se trouvant en zone inondable. Le 1er août 2007, l’autorité administrative a refusé l’autorisation de construire sur le terrain au motif qu’il avait été classé dans sa totalité en zone inconstructible dans le cadre du plan de prévention des risques naturels d’inondation du 20 avril 2006. Devenus propriétaires d’un terrain sur lequel ils ne peuvent plus édifier leur habitation, M. et Mme X décident d’assigner Mme Y en annulation de la vente et en paiement de diverses sommes sur le fondement de l’erreur sur la substance.

Le 11 juin 2013, la Cour d’appel d’Angers déboute les époux de leur demande au motif que les requérants ne pouvaient ignorer l'enquête publique ordonnée dans le cadre de la révision des zones de constructibilité. Subsidiairement, la Cour d’appel relève que les acquéreurs avaient accepté d'acquérir en toute connaissance de cause un terrain partiellement inondable, donc partiellement inconstructible. Ils ne pouvaient alors invoquer une décision administrative postérieure à la vente classant le terrain intégralement dans une zone inconstructible.

M. et Mme X forment alors un pourvoi en cassation au moyen que la vente est entachée d’une erreur sur la substance du fait de l’inconstructibilité du terrain dans sa totalité. En outre, ils demandent la résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés incombant au vendeur en raison de la submersibilité du terrain et de son inconstructibilité. Le 13 novembre 2014, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

La question posée aux magistrats de la Haute juridiction est de savoir si la vente d’un terrain partiellement inconstructible qui le devient totalement en raison d’une décision administrative peut-elle être déclarée nulle.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 13 novembre 2014, répond par la négative à cette question en précisant que : « l’extension de l’inconstructibilité à toute la surface du terrain et le refus de délivrance du permis de construire n’était pas inéluctables au jour de la vente ». En outre, la Cour affirme « qu’au jour de la vente, le terrain était partiellement constructible et que la totalité de la parcelle n’avait été classée en zone inconstructible inondable que par arrêté préfectoral du 20 avril 2006, la Cour d’appel a pu en déduire que les acquéreurs ne rapportaient pas la preuve qui leur incombe d’un vice d’inconstructibilité antérieur à la vente ».

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Cet arrêt rendu par la Cour de cassation est à rapprocher étroitement avec l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 12 juin 201423. En effet, dans ce dernier arrêt il s’agissait du retrait d’un permis de construire, postérieurement à la conclusion de la vente, en raison de la suspicion d’une cavité souterraine rendant le terrain inconstructible. Les acquéreurs avaient assigné les vendeurs en nullité de la vente. La Cour de cassation, dans l’arrêt du 12 juin 2014, prononce la nullité de la vente car la constructibilité immédiate du terrain était un élément déterminant du consentement des acquéreurs. Ainsi, la Cour a fait jouer la rétroactivité de la décision administrative en considérant que le retrait du permis obtenu avant la vente n'avait fait que prendre en compte la réalité du risque, inconnu des acquéreurs lors de la vente, et pourtant déjà existant à cette date.

Cependant, dans l’arrêt du 13 novembre 2014, la Cour de cassation refuse de prononcer la nullité de la vente alors que, comme dans l’arrêt du 12 juin 2014, le terrain est devenu totalement inconstructible. On peut se demander pourquoi la Haute juridiction n’adopte pas la même position. En réalité, dans l’arrêt d’espèce, la Cour considère que la décision d'extension de l'inconstructibilité à toute la surface du terrain et le refus de délivrance du permis n'étaient pas inéluctables dès le jour de la vente. Ainsi, le risque d'inconstructibilité totale n'était pas inconnu des acquéreurs au jour de la vente. C'est pourquoi l'action en nullité a été rejetée.

La différence majeure entre les deux arrêts est donc le fait de savoir si les acquéreurs pouvaient ou non connaitre le risque d’inconstructibilité du terrain lors de la conclusion de la vente : s’ils ne pouvaient pas le connaitre alors la nullité sera prononcée, en revanche si le risque n’était pas inconnu alors la nullité sera rejetée.

Conseil pratique

En pratique, le notaire a le devoir d’informer l’acquéreur d’un immeuble que le permis de construire n’est pas définitif au jour de sa délivrance. En effet, le permis de construire peut être retiré, s’il est illégal, dans un délai de trois mois suivant la date de cette décision. Il appartient donc au notaire, dans l’hypothèse où le permis n’est pas définitif au jour de l’acte authentique, de prévenir les effets préjudiciables d’un tel retrait, en érigeant l’obtention du permis définitif en condition suspensive de la vente.

B. De l'absence de nécessité de requérir un certificat d'urbanisme pour le notaire lorsqu'un permis de construire attestant de la constructibilité du terrain a été délivré

Première chambre civile de la Cour de cassation, 26 novembre 2014 (n° 13.26-833)

Lorsque la commune a délivré un permis de construire sur une parcelle antérieurement inconstructible, nul n'est besoin pour le notaire d'accomplir la diligence d'obtenir un certificat d'urbanisme, pour attester de la constructibilité du terrain.

Par acte notarié reçu le 6 octobre 1999, un particulier acquiert un terrain nu en vue d'y édifier une construction, dont le permis de construire sera délivré le 23 septembre 1999.

L'acte contenait une clause selon laquelle l’acquéreur s'était renseigné personnellement auprès des services compétents sur les dispositions d'urbanisme applicables et dispensait ainsi le notaire de produire un certificat ou une note d'urbanisme, le déchargeant de sa responsabilité à cet égard.

23 Cass. civ. 3ème 12 juin 2014 n° 13-18.446 : l'arrêt est commenté dans le document de la XVIème veille juridique.

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Par ailleurs, l'acquéreur décide d'acquérir le terrain alors même que le délai de recours des tiers contre le permis de construire court toujours, et sachant, informé par un tiers, qu'une action en annulation avait été engagée contre ce dernier.

Afin d'éclairer l'acquéreur sur les conséquences de la situation en présence, le notaire ayant instrumenté la vente avait annexé à l'acte une reconnaissance d'avis donné à l'acquéreur sur les risques d'acquérir en l'absence d'extinction du délai de recours des tiers.

Suite à l'annulation de son permis de construire par le Tribunal administratif , l'acquéreur va rechercher la responsabilité du notaire en arguant que ce dernier a manqué à son obligation de rendre efficaces les actes qu'il instrumente, en omettant de requérir un certificat d'urbanisme, et son devoir de conseil, en n'attirant pas son attention sur la portée de l'acte de reconnaissance d'avis donné et sur le caractère inconstructible à l'origine de la parcelle vendue, pour laquelle le permis de construire avait été délivré.

La Cour d'appel de Nîmes, le 12 septembre 2013, déboute l'acquéreur de ses demandes et dégage la responsabilité du notaire en retenant qu'au jour de la signature de l'acte authentique, l’acquéreur savait d'une part que la validité du permis de construire, qu'il avait lui-même demandé, ne lui était pas définitivement acquise en l'absence d'expiration des délais de recours des tiers, ce que le notaire avait lui avait rappelé, ce dont la preuve avait été rapportée la clause de reconnaissance d'avis donné annexée à l'acte authentique, mais encore que la contestation judiciaire d'une telle autorisation administrative avait été annoncée par un voisin, de sorte que c'est en pleine connaissance de cause qu'il a néanmoins poursuivi l'acquisition de la parcelle, acceptant le risque d'annulation, en connaissance de cause.

Par ailleurs, la Cour d'appel dispense le notaire de requérir un certificat d'urbanisme constatant le fait que l'acquéreur avait par lui même effectuer les recherche nécessaires d'urbanisme en faisant demande d'un permis de construire qui lui avait été délivré, attestant de la constructibilité du terrain, et que l'inutilité de cette diligence avait été constatée dans une des clauses de l'acte authentique, dégageant la responsabilité du notaire.

La Cour de cassation a donc eu à répondre à la question de savoir si en présence d'un permis délivré attestant de la constructibilité du terrain, le notaire doit requérir la délivrance d'un certificat d'urbanisme sous peine d'engager sa responsabilité.

La première chambre civile de la Cour de cassation, le 26 novembre 2014, rejette le pourvoi formé par l'acquéreur, et donne raison à la Cour d'appel, en énonçant que les diligences effectués par l'acquéreur pour obtenir un permis de construire lui ayant été délivrée, dispensait le notaire de demander un certificat d'urbanisme, respectant ainsi son obligation de rendre efficace l'acte qu'il instrumente.

La Cour énonce également, que l'acquéreur au regard des informations délivrées par le notaire quant à l'absence d'expiration du délai de recours des tiers contre le permis, et annexées à l'acte, et de sa connaissance de l'existence d'une action en annulation du permis, avait en pleine connaissance des risques encourus, réitérer l'acte de vente, devenant propriétaire du terrain. Dans ces circonstances, le notaire n'avait en aucun cas faillit à son devoir de conseil envers l'acquéreur.

La décision en présence vient préciser le contenu des vérifications à effectuer par le notaire dans le cas d'un permis de construire délivré et permettant d'édifier une construction. En effet, cet arrêt décharge donc le notaire de procéder à la demande d'un certificat d'urbanisme dans un tel cas, puisque le permis en lui même, révèle la conformité de la situation au regard des règles d'urbanisme applicables, et rendant constructible, une parcelle qui ne l'était pas originellement. Corrélativement, il conviendra de conseiller au notaire, d'intégrer dans l'acte une clause qui rappelle l'existence de ce permis, pour rendre cette dispense non équivoque à l'égard de l'acquéreur, tenter comme en l'espèce, en cas d'annulation du permis de se retourner contre le professionnel.

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Cette décision est à saluer tant les faits en présence démontre que l'acquéreur grâce aux diligences qu'il avait entrepris lui même et aux informations délivrées par le notaire, ne pouvait ignorer les risques encourus au regard de sa situation.

On saluera également le fait que la Cour de cassation n'ait pas admis l'argument qui consistait à dire que le notaire devait attirer l'attention sur l'importance de l'avis qu'il avait précédemment donné à l'acquéreur, le rendant alors débiteur d'une obligation de conseil voire de mise en garde sur une obligation de conseil antérieurement exécutée....situation ubuesque !

Conseil pratique

Cet arrêt vient encore une fois, et on ne l'affirmera jamais assez, confirmer l'importance pour le notaire de se ménager la preuve du conseil délivré aux parties grâce à la clause de reconnaissance de conseil donné, dont la décision en présence, convainc de l'efficacité.

Travail réalisé par : Juliette LAMBERT, Tifenn LE NEZET, Claire LECUYER et Pauline OBIN

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DROIT NOTARIAL DE L’ENTREPRISE

I. Procédures collectives

A. Le dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire au regard du droit des incapacités

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 16 décembre 2014 (n° 13-21.479)

La Cour de cassation énonce que l'action en nullité fondée sur l'insanité d'esprit n'appartient de son vivant qu'à l'intéressé, c’est ainsi que l'action exercée par M. X..., étant exclusivement attachée à sa personne, était recevable en dépit de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à son égard.

En l’espèce la société Bailly a donné en location-gérance un fonds de commerce à M. X… par acte notarié en date du 29 octobre 2009. Par la suite, le 1 er juillet 2010, M. X… a été mis en liquidation judiciaire. Au cours de cette période de liquidation judiciaire, ce dernier a assigné la société Bailly en annulation de la location-gérance et en répétition des loyers versés en se basant sur l’altération de ses facultés mentales lors de la conclusion du contrat.

La Cour d’appel de Chambéry, le 21 mai 2013, a fait droit à la demande de M. X… qui a alors obtenu l’annulation du contrat de location gérance. La société Bailly conteste cette annulation. Cette dernière soutient dans le pourvoi formé que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens par application de l’article L.641-9 du Code de commerce. Ainsi, l’action en nullité exercée par M. X… ne serait pas recevable au regard de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à son égard le 1er juillet 2010.

La question est donc de savoir s’il est possible pour le débiteur d’intenter une action en nullité d’un contrat pour insanité d’esprit alors même qu’une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte par la suite à son égard.

Le 16 décembre 2014, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société Bailly en décidant que l’action en nullité d’un contrat fondée sur l’insanité d’esprit constitue une action strictement attachée à la personne sur le fondement de l’article 414-2 du Code civil et échappe donc au dessaisissement du débiteur placé en liquidation judiciaire. Ainsi, l’action, qui « n’appartient de son vivant qu’à l’intéressé », est recevable et ce malgré la procédure de liquidation judiciaire ouverte.

Cet arrêt de la Cour de cassation est au cœur d’un problème mêlant le droit des incapacités et le droit des entreprises en difficulté. La Cour de cassation se positionne pour le maintien de l’efficacité du droit des incapacités. Cela se justifie dans la mesure où les intérêts que le droit des incapacités protège sont importants. Dès lors, la possibilité d’invoquer la nullité d’un contrat pour altération des facultés mentales est « exclusivement attachée » à la personne qui en souffre. Seule cette personne peut se prévaloir de ses propres troubles. C’est ainsi que, malgré la liquidation judiciaire, la demande d’annulation du contrat de location gérance et de répétition des loyers, formulée par la personne du débiteur, est recevable. Il en résulte que, plus généralement, nul ne peut invoquer l’insanité d’esprit de son cocontractant afin d’obtenir l’annulation d’un engagement pris par ce dernier.

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La Cour de cassation assure la primauté du droit des incapacités en appliquant l’article 414-2 du Code civil à la lettre (« de son vivant, l’action en nullité n’appartient qu’à l’intéressé »), sans tenir compte de l’ouverture ultérieure d’une procédure de liquidation judiciaire. Pourtant, lors de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, il revient au liquidateur d’exercer « les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine » selon l’article L.641-9 du Code de commerce. Il existe cependant des exceptions à ce principe de dessaisissement. En effet le débiteur peut continuer à exercer les actions qui ne sont pas comprises dans la mission du liquidateur, notamment les droits qui sont attachés à sa personne. Il s’agit des droits qui lui sont personnels. Dès lors, l’action en nullité fondée sur l’insanité d’esprit étant un droit exclusivement attaché à la personne du débiteur, elle n’entre pas dans le champ du dessaisissement lié à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire. Il en résulte que M. X… a pu valablement demander la nullité du contrat de location-gérance.

B. Faillite personnelle : précision sur le point de départ du délai de prescription

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 4 novembre 2014 (n°13-24028) 

L’arrêt de la chambre commerciale donne une solution novatrice, relative au point de départ du délai de la prescription triennale en matière d’interdiction de gérer, dans l’hypothèse où une procédure de redressement judiciaire, a été convertie en liquidation judiciaire.

En l’espèce, la société Z est placée en redressement judiciaire le 20 décembre 2006. Cette procédure est convertie en liquidation judiciaire le 31 janvier 2007. Par la suite, le 27 janvier 2010, le liquidateur assigne le dirigeant de la société débitrice, Monsieur X, en responsabilité pour insuffisance d’actif et en interdiction de gérer. Cependant, le liquidateur exerce son assignation, moins de trois ans après le prononcé de la liquidation judiciaire mais plus de trois ans après l'ouverture du redressement judiciaire initial.

Faisant droit aux demandes du liquidateur, le Tribunal condamne Monsieur X à payer la somme de 991 395 €, et prononce à son encontre une interdiction de gérer de dix ans.

Sur recours du dirigeant, la Cour d’appel d’Angers rend un arrêt le 17 janvier 2012, dans lequel elle déclare irrecevable, car prescrite, la demande d’interdiction de gérer.

Le liquidateur forme alors un pourvoi sur la seule question de la prescription de l’action en interdiction de gérer, en soutenant qu’en cas de conversion d’un redressement en liquidation judiciaire, la prescription ne peut courir qu’à compter du jugement de conversion en liquidation, et non de celui d’ouverture du redressement judiciaire initial. La Cour de cassation, le 4 novembre 2014, rejette le pourvoi intenté par le liquidateur et confirme par la même, l’arrêt de la Cour d’appel.

En l’espèce, deux questions été posées à la Cour suprême mais nous nous consacrerons uniquement à l’interrogation soulevée par le point de départ du délai de la prescription triennale en matière d’interdiction de gérer, dans l’hypothèse où une procédure de redressement judiciaire, a été convertie en liquidation judiciaire.

Dans son arrêt du 4 novembre 2014, les Hauts magistrats donnent la solution suivante : « Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 653-1, II du code de commerce que les actions engagées aux fins de voir prononcer la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer à l'égard des dirigeants personnes physiques se prescrivent par trois ans à compter du jugement qui prononce l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ; qu'ayant relevé que la procédure de redressement judiciaire de la société avait été ouverte le 20 décembre 2006 et que l'assignation aux fins de voir prononcer une mesure d'interdiction de gérer avait été délivrée au dirigeant social le 27 janvier 2010, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action était

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prescrite ; que le moyen n'est pas fondé ». La Cour opère dans ce cas précis, une application littérale de l’article L. 653-1 du Code du commerce, et déclare par conséquent, l’action prescrite.

La chambre commerciale se prononce, pour la première fois, la question du point de départ de la prescription de l'action tendant au prononcé d'une faillite personnelle dans l'hypothèse où une procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire.L'article L. 653-1 II du Code de commerce prévoit que l'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui « prononce l'ouverture » de la procédure. La difficulté réside dans l'incertitude des termes de la loi. Si le Code de commerce emploie le terme de « conversion » pour passer d'une procédure de sauvegarde à une procédure de redressement judiciaire, en application de l’article L. 622-10 du Code de commerce, on admet qu'il s'agit aussi d'une « conversion » lorsque le Tribunal prononce la liquidation judiciaire.

Le terme « ouverture » d'une procédure serait alors réservé uniquement au cas où le débiteur n'est pas, au préalable comme c’est le cas en notre espèce, déjà soumis à une procédure. Or, si l'alinéa 1 de l'article L. 653-1 dudit Code précise que la faillite personnelle peut être prononcée en cas d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, l’alinéa 3 dudit texte mentionne que l'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui en prononce l'ouverture. L'ambigüité de ce dernier terme induit donc en erreur. Cet arrêt est le bienvenu puisqu’il ne tombe pas dans le piège de la mauvaise interprétation des termes de la loi et il s'aligne sur la volonté du législateur en considérant qu'une conversion n'est pas une nouvelle procédure. Dès lors, en présence d'une conversion d'un redressement en liquidation judiciaire, c'est bien le jugement d'ouverture initial qui provoque l'écoulement du délai de prescription triennale.

C. La mise en règlement judiciaire et l’interminable liquidation des biens en présence d’un actif réalisable

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 16 décembre 2014 (n°13-19402)

L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation rend une solution pertinente et inédite, relative à la liquidation des biens en présence d’actifs réalisables, et aux conséquences procédurales d’une procédure collective excessivement longue.

Dans l’espèce présentée, un débiteur M. X, placé en règlement judiciaire puis liquidation des biens, les 23 juillet 1976 et 26 octobre 1979, saisit le Tribunal par requête du 24 mars 2011, d’une demande de clôture de la procédure au motif que sa durée excède le délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et constitue une violation de son droit de propriété protégé par l’article 1er du protocole n° 1 à ladite Convention.

Dans un arrêt du 17 avril 2013, la cour d’appel de Nancy avait considéré que le comportement du débiteur été dilatoire à l'extrême mais qu'en parallèle, le mandataire n'avait pas rempli sa mission en usant de ses pouvoirs de contrainte pour poursuivre la vente forcée des immeubles, et par conséquent, que la durée totale de trente-trois ans de la procédure était excessive au regard des exigences d'un procès équitable. Cette longueur excessive, au sens de la Cour d’appel, privait de ce fait la procédure de sa justification économique qui est de désintéresser les créanciers de sorte que la privation du débiteur de ses droits sur son patrimoine ne se justifie plus. Un pourvoi est formé contre ledit arrêt de la cour d’appel.

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La Cour de cassation a été amenée à s’interroger sur les conséquences de la violation du droit du débiteur à être jugé dans un délai raisonnable et de son droit d'administrer ses biens et d'en disposer, lorsqu’il existe un actif réalisable.

Le 16 décembre 2014, la Cour suprême casse et annule l’arrêt d’appel, pour la première fois, au visa de l’article L. 643-9 du code de commerce (dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises), de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du protocole n° 1 additionnel à cette Convention. Dans cette espèce, la Haute cour reconnaît expressément, de façon inédite, la violation du droit du débiteur à être jugé dans un délai raisonnable et de son droit d'administrer ses biens et d'en disposer.

Elle pose le principe selon lequel, lorsqu'il existe un actif réalisable de nature à désintéresser en tout ou partie les créanciers, comme il en est question dans ces faits, cette violation ne peut pas être sanctionnée par la clôture de la procédure de liquidation des biens. Cependant, elle ouvre au débiteur l'action en réparation contre l'État du dommage causé par le disfonctionnement de la Justice, responsabilité engagée par une faute lourde, qu'il peut exercer au titre de ses droits propres, en application de l’article L. 643-9 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises.

Tout débiteur faisant l’objet d’une procédure collective, a le droit de voir cette procédure clôturée dans un délai raisonnable. Cette interprétation sacrée repose sur l’application de l’article 6 § 1 de la CEDH, relatif au droit pour tout justiciable à être jugé dans un délai raisonnable. Sans remettre en cause cette traditionnelle justification, cet arrêt de principe fondateur du 16 décembre 2014 la complète par une référence à l’atteinte aux biens du débiteur, qui résulte nécessairement de la liquidation judiciaire en ce qu’elle emporte restriction de son droit d’administrer ses biens et d’en disposer, regardé comme un corollaire du droit de propriété et partant un droit garanti par l’article 1er du protocole n° 1 additionnel à la CEDH.

Cependant, une question demeure : comment assurer en pratique la clôture rapide des procédures collectives lorsqu’il existe, comme en l’espèce, des actifs réalisables ? Lorsque la durée excessive de la procédure est conséquente à la négligence du mandataire, il est fortement légitime que diverses responsabilités soient engagées. Néanmoins, lorsque l’interminable procédure est le fruit des difficultés pratiques à céder les biens du débiteur, le recours à la responsabilité demeure moins satisfaisant. Sur ce point précis, l’ordonnance du 12 mars 2014 est venue apporter une solution utile, en modifiant l’article L. 643-9 alinéa 2 du Code de commerce, en autorisant une clôture anticipée pour insuffisance d’actif, rendue possible lorsque l’intérêt de la poursuite des opérations de liquidation « est disproportionné par rapport aux difficultés de réalisation des actifs résiduels ».

D. Le débiteur n’a pas qualité pour agir en nullité de saisies pratiquées en période suspecte

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 2 décembre 2014 (n° 13-24308)publié au bulletin

L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une précision quant à la lecture de la lettre de l'article L. 632-4 du Code de commerce : le débiteur n’a pas qualité pour agir en nullité de saisies pratiquées en période suspecte.

En l’espèce, une sentence arbitrale, revêtue de l'exequatur, avait condamné la société CIEC à payer diverses sommes d'argent à la société Carlson. Entre les 4 et 14 mai 2012, la société Carlson avait fait pratiquer des saisies conservatoires converties en saisies-attributions et en saisies-ventes le

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6 juillet 2012. Par la suite, la société CIEC avait été mise en redressement judiciaire par un jugement du 7 août 2012 qui avait fixé la date de la cessation des paiements au 1er mai 2012. La société CIEC et son administrateur avaient assigné ultérieurement, la société Carlson en nullité des saisies conservatoires et saisies-attributions pratiquées entre les 4 et 14 mai 2012, pendant la période suspecte.

Dans un arrêt en date du 18 juillet 2013, la Cour d’appel de Versailles, a rejeté la demande en nullité des saisies-attributions. La société CIEC, dont le plan de redressement a été arrêté le 31 mai 2013, a formé un pourvoi en cassation contre ledit arrêt d’appel.

Un débiteur placé en redressement judiciaire a-t-il qualité à agir en nullité des saisies pratiquées durant la période suspecte ?

De manière prévisible, dans son arrêt du 2 décembre 2014, la Cour de cassation déclare le pourvoi irrecevable. La chambre commerciale, dans cette espèce suscitée, opère une analyse stricto sensu de la lettre de l’article L. 632-4 du Code de commerce. En effet, les magistrats de la Haute cour, déclarent irrecevable le pourvoi formé par la société débitrice, au motif que : « seules les personnes visées par l'article L. 632-4 du Code de commerce ont qualité pour agir en nullité des actes accomplis pendant la période suspecte ».

Dans cet arrêt, la Cour de cassation estime par conséquent, que le débiteur d’une telle procédure n'étant pas visé par le texte susvisé, « la société CIEC, serait-elle redevenue maîtresse de ses biens par suite de l'arrêté d'un plan de redressement, n'a pas qualité pour former un pourvoi en cassation contre la décision ayant statué sur une demande de nullité d'actes accomplis en période suspecte ».

E. L’unification de la date de cessation des paiements

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 4 novembre 2014 (n°13-23.070)

L’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2014 consacre l’unité de la date de cessation des paiements en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif.

En l’espèce, le 4 février 2008, un redressement judiciaire est ouvert à l’encontre de la société ARIZONA. Cette procédure est convertie en liquidation judiciaire par un second jugement en date du 9 avril de la même année.

Se prévalant de fautes de gestion, notamment la déclaration de cessation des paiements tardive, le liquidateur assigne le gérant de la SCI en responsabilité pour insuffisance d’actif. Il sollicite également une mesure de faillite personnelle et subsidiairement une interdiction de gérer toute entreprise. Le 10 janvier 2013, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence condamne le dirigeant à contribuer à l’insuffisance d’actif de la société à hauteur de 150.000 euros. La Cour d’appel considère que la société était en cessation des paiements depuis au moins le 5 juillet 2007 et qu’en s’abstenant d’en faire la déclaration dans le délai de quarante-cinq jours, le dirigeant a commis une faute de gestion. La date de cessation des paiements est fixée par la Cour au 5 juillet 2007. En effet, elle considère qu’en raison de « l’existence de certaines dettes exigibles dès le 5 juillet 2007 et en l’absence de toute réserve de crédit ou de disponibilités pour en assurer le paiement », la société était en cessation de paiement depuis cette date. Monsieur Y forme un pourvoi en cassation. Le 4 novembre 2014, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel et remet en conséquence la cause et les parties devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée.

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Les juges répondent donc à la question suivante: en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif, la date de cessation des paiements doit elle être fixée dans le jugement d’ouverture ou dans un jugement de report comme pour l’interdiction de gérer?

Ils considèrent que l’omission de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion, s’apprécie au regard de la seule date de cessation des paiements fixée dans le jugement d’ouverture ou dans un jugement de report.

Cet arrêt, d’une ampleur considérable, consacre donc l’unité de la date de cessation des paiements assurant ainsi une véritable sécurité juridique. Désormais, qu’il s’agisse de délimiter la période suspecte ou de prononcer une sanction personnelle ou pécuniaire, la date à prendre en considération est la date fixée dans le jugement d’ouverture ou dans un jugement de report. Cette décision, réitérée concernant l’interdiction de gérer, est toutefois nouvelle concernant la responsabilité pour insuffisance d’actif. Cet apport est donc essentiel et logique puisqu’en effet, il est difficile d’envisager différentes dates de cessation des paiements pour un même débiteur.

Une incertitude demeure concernant le délit de banqueroute. La chambre criminelle s’était arrogée le pouvoir de prévoir une date de cessation des paiements différente. Celle-ci restera-t-elle à la marge ou va t-elle s’aligner avec les autres formations de la Cour de cassation?

F. La preuve de la confusion des patrimoines dans les groupes de sociétés

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 16 décembre 2014 (n° 13-24.161)

La Cour de cassation rappelle à travers cet arrêt, que seule la confusion des patrimoines des sociétés ou la fictivité de certaines d’entre elles sont « de nature à justifier l’existence par voie d’extension, d’une procédure collective unique ».

En l’espèce, trois sociétés appartenant à un même groupe ont déclaré, séparément, leur état de cessation des paiements. Par une décision en date du 5 décembre 2012, le Tribunal a ordonné l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire commune aux trois sociétés. La Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 4 juillet 2013 a confirmé la procédure de première instance en relevant que les trois sociétés étaient liées par une convention de trésorerie et qu’il existait ainsi au profit de la société mère des remontées de fonds. Dès lors, elle ajoute que les sociétés ne démontraient pas l’intérêt pour elles « de poursuivre la procédure sous patrimoines distincts », « qu’aucune possibilité de cession partielle d’activité n’apparaît » et qu’enfin « la demande de conciliation a été faite au niveau du groupe » de sociétés.

La question était donc de savoir si la présence d’une convention de trésorerie entre les sociétés, des activités communes et la présentation d’une demande de conciliation au niveau du groupe de sociétés étaient de nature à justifier la confusion des patrimoines des sociétés et donc l’existence d’une procédure collective unique.

La Cour de cassation répond par la négative en cassant l’arrêt rendu par la Cour d’appel. Elle indique que les motifs invoqués par les juges du fond sont impropres à démontrer la confusion des patrimoines des sociétés justifiant par voie d’extension une procédure collective unique. Ainsi, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale à sa décision, l’article L.621-2 alinéa 2 du Code de commerce relatif à l’extension d’une procédure collective en cas de confusion de patrimoine ne trouvant pas vocation à s’appliquer.

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Suivant une jurisprudence traditionnelle, la Cour de cassation censure les décisions admettant facilement une confusion des patrimoines. Cette confusion doit être spécialement démontrée lorsque qu’elle est invoquée dans le cadre d’un groupe de sociétés. C’est ainsi qu’est cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel car cette dernière n’avait pas suffisamment motivé sa décision et n’a pas pu démontrer l’existence d’une confusion de patrimoines.

La Cour d’appel de Paris avait relevé cette confusion au regard de leurs liens juridiques, du fait que leurs activités étaient liées et que la société mère profitait de contributions financières. Pour la Cour de cassation, la présence d’une convention de trésorerie, des contributions financières et l’absence d’activités distinctes sont insuffisantes pour apporter la preuve d’une confusion des patrimoines. Elle rappelle donc les conditions nécessaires à l’application de l’article L.621-2 alinéa 2 du Code de commerce pour que soit effective une procédure collective unique. En effet, n’est pas rapportée la preuve de relations financières anormales entre les sociétés, dont aucune ne présente, par ailleurs, un caractère de fictivité certain. Des moyens de gestion communs par, notamment, l’établissement d’une convention de trésorerie, bien qu’il existe une communauté de direction et d’intérêts entre ces sociétés formant un même groupe, n’entrent pas dans le champ d’application dudit article du Code de commerce car ils constituent, au contraire, des relations financières normales entre les sociétés.

G. L’adoption d’un plan de cession au détriment d’un plan de continuation

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 4 novembre 2014 (n°13-21703 ; 13-21712) publié au bulletin

L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation consacre la souveraineté d’appréciation des juges du fond, qui ne peuvent examiner les offres de reprise dans le cadre d'un plan de cession qu'après avoir rejeté le plan de redressement.

En l’espèce, un redressement judiciaire avait été ouvert à l’égard d’une société. À la fin de la période d’observation, celle-ci avait proposé un plan de continuation et en parallèle une société tierce avait offert de reprendre l’entreprise dans le cadre d’un plan de cession.

Par deux jugements du 5 février 2013, un Tribunal avait rejeté le plan de redressement proposé par la société débitrice, puis avait arrêté le plan de cession. Le débiteur avait fait appel des deux jugements. Dans un arrêt du 23 mai 2013, la cour d’appel d’Orléans avait considéré que les premiers juges, alors qu’ils examinaient à la même audience le plan de continuation proposé par la société débitrice et le plan de cession présenté par un repreneur, auraient dû statuer par un seul et même jugement, examinant successivement le plan de continuation et le plan de cession, plutôt que par deux jugements séparés sans que l’on sache dans quel ordre avaient été examinés les plans présentés. Elle confirme cependant le rejet du plan de redressement proposé par la société débitrice et arrête le plan de cession. La société débitrice forme alors un pourvoi en cassation. Dans son pourvoi, la société débitrice émet de nombreuses critiques et invoque notamment la primauté du plan de redressement sur le plan de cession, et l’obligation de respecter les critères généraux formulés par la loi, soit le maintien de l’activité et de l’emploi et l’apurement du passif.

La question soulevée en l’espèce est la suivante : un plan de redressement peut-il être rejeté, au profit d’un plan de cession ?

Par cet arrêt publié au Bulletin le 4 novembre 2014, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé, consacrant la souveraineté d’appréciation des juges du fond et répond par l’affirmative à cette interrogation en donnant la solution suivante : « Mais attendu qu'en application de l'article L. 631-22 du code de commerce, les juges du fond ne peuvent examiner les

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offres de reprise dans le cadre d'un plan de cession qu'après avoir rejeté le plan de redressement ; que c'est souverainement, par une décision motivée, que la cour d'appel a rejeté le plan de redressement et arrêté le plan de cession ».

Dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance de 2014, l’article L. 631-22 du Code de commerce, prévoyait en son alinéa 1er qu’ : « à la demande de l’administrateur, le tribunal peut ordonner la cession totale ou partielle de l’entreprise si le débiteur est dans l’impossibilité d’en assurer lui-même le redressement ».

En notre espèce, la société débitrice qui avait formé le pourvoi, tentait de démontrer qu’elle était en mesure de régler son passif et de se redresser à travers le plan de redressement qu’elle proposait. Malheureusement, les juges du fond n’ont pas été convaincus, et ont rejeté ledit plan au profit de l’adoption du plan de cession proposé par une tierce personne. La Cour de cassation rappelle que la décision relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, ce qu’elle avait déjà fait dans un arrêt de la chambre commerciale en date du 10 juillet 1990. L’ordonnance de 2014 a modifié le texte susvisé, qui prévoit désormais que la cession pourra être ordonnée « si le ou les plans proposés apparaissent manifestement insusceptibles de permettre le redressement ».

La chambre commerciale de la Cour de cassation est venue apporter une précision nouvelle. En effet, au visa de l’article L. 631-22 du Code de commerce, cet arrêt vient poser une condition préalable au choix entre un plan de redressement et un plan de cession : le plan de cession ne pourra être étudié, qu’après le rejet préalable du plan de continuation.

II. Droit des suretés

A. Réhabilitation de l’hypothèque rechargeable

Hypothèque rechargeable : réhabilitation partielle au profit des créances professionnellesL. n° 2014-1545, 20 déc. 2014, art. 48

Ce système d’hypothèque rechargeable qui avait été supprimé par la loi « Hamon » du 17 mars 2014, car considérée comme encourageant le surendettement, l’hypothèque rechargeable a été réintroduite par la loi relative à la simplification de la vie des entreprises du 20 décembre 2014 en raison de son intérêt pour le crédit des entreprises même si cet instrument n’avait finalement pas été très utilisé, lors de sa première apparition, par les établissement de crédit (notamment par le fait qu’elles n’avaient aucune exclusivité sur le bien hypothéqué concernant la « portion » libre d’hypothèque du bien immeuble).

L’hypothèque rechargeable a donc finalement été réintroduite à ce même article 2422 du Code civil où elle apparaissait déjà il y a presque un an maintenant. La seule modification concerne son champ d’application qui a été sensiblement réduit pour réserver son utilisation  au développement du crédit octroyé aux  professionnels uniquement. Dans cette perspective, des conditions cumulatives ont été imposées :

La constitution initiale doit avoir été faite « à des fins professionnelles ».

Les rechargements ne pourront bénéficier qu’à « des créances professionnelles ».

Cette restriction n’est finalement pas très efficace car le but poursuivi est d’empêcher le surendettement des particuliers. En effet, rien n’empêche un débiteur de consentir plusieurs hypothèques sur son bien pour des créances non-professionnelles (cela lui coutera seulement plus

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cher puisqu’on multiplie les frais, aggravant d’autant plus sa situation que si l’hypothèque rechargeable lui était accessible).

En revanche, l’article 2424 vient autoriser la validité des cessions de rang entre les créanciers bénéficiaires de l’hypothèque rechargeable.

En conclusion, cette « réhabilitation » de l’hypothèque rechargeable permettre sûrement de favoriser le crédit professionnel si les banques jouent le jeu cette fois-ci. Cependant, concernant les limitations, les intentions du législateur sont certes louables mais il semble qu’elle ne soit pas totalement effective en pratique.

B. Les conséquences de l’omission du mot « intérêts » dans la mention de l’article L. 341-2 du Code de la consommation

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 4 novembre 2014 (n°13-24706)publié au bulletin

L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, apporte une précision, quant aux conséquences de l’omission du mot « intérêts » dans la mention manuscrite d’un contrat de cautionnement.

En l’espèce, une Caisse de crédit mutuel consent à une SARL un prêt professionnel de 88 000 € en principal, destiné à financer un stock. Ce prêt est remboursable en 10 annuités comprenant des intérêts au taux de 4,4 %. Son remboursement est garanti par une caution personne physique, M. X. La caution devait écrire précisément la mention de l’article L. 341-2 du Code de la consommation. Or, la caution, en l’espèce, avait écrit : « En me portant caution de … dans la limite de la somme de cent cinq mille six cents euros, 105 600 € couvrant le paiement du principal, et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de dix ans (…) ». Dans cette mention manuscrite, portée sur le contrat de cautionnement, ladite caution avait omis d’écrire le mot « intérêts ».

Dans un jugement de 2011, le Tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône avait prononcé la nullité du cautionnement pour violation de l’article L. 341-2 du Code de la consommation. Le 27 juin 2013, la Cour d’appel de Dijon, avait confirmait la décision de première instance, considérant que la nullité du cautionnement est encourue du seul fait que la mention manuscrite, rédigée par la caution, n'est pas identique aux mentions prescrites par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation, à l'exception de l'hypothèse où ce défaut d'identité résulte d'une erreur matérielle. Le moyen du pourvoi conteste cette sanction et souhaite que la nullité soit écartée au profit d’une limitation de l’objet de l’obligation de la caution au principal.

Les Hauts juges ont du se prononcer sur les incidences de l’omission du mot « intérêts », dans la mention manuscrite de l’article L. 341-2 du code de la consommation, dans un contrat de cautionnement.

Dans son arrêt rendu le 4 novembre 2014, la chambre commerciale de la Cour de cassation, admet que l’omission des intérêts n'a pour conséquence que de limiter l'étendue du cautionnement au principal de la dette sans en affecter la validité, et casse par conséquent, l’arrêt de la cour d’appel de Dijon.

Cette solution s’inscrit dans une continuité jurisprudentielle récente. En effet, depuis quelques années, la Cour de cassation estime que la mention manuscrite d’un tel contrat, peut valablement différer de la lettre de l’article L.341-2 du Code de la consommation, dans l’hypothèse

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où cette différence entre la mention légale et celle écrite par la caution, n’affecte ni le sens ni la portée de la mention manuscrite. En l’espèce, les Hauts Magistrats de la Cour de cassation, posent une solution « contra legem » en énonçant que l’omission du terme « intérêts » ne remet pas en cause la validité du cautionnement, mais a seulement pour effet de limiter l'étendue du cautionnement au principal de la dette. En d’autres termes, la caution est autorisée à aménager contractuellement l’étendue de son engagement.

C. Etat hypothécaire et responsabilité notariale

Première chambre civile de la Cour de cassation, 13 novembre 2014 (n° 13-23.034)

La Cour de cassation vient sanctionner un notaire en engageant sa responsabilité vis à vis des acquéreurs d’un bien pour la non-consultation de l’état hypothécaire de cet immeuble.

Une société, aujourd'hui dissoute et représentée par son ex-gérant désigné en qualité de mandataire ad hoc, a acquis le 28 juin 2007, par adjudication sur saisie immobilière à l'initiative d'une banque, créancière inscrite, diverses parcelles. La société a divisé en deux lots ces parcelles pour les revendre à des époux et à une société civile immobilière en janvier et avril 2008 par actes notariés. Le notaire a remis les fonds à la société venderesse sans vérifier la situation hypothécaire des biens alors que la banque n’avait pas été payée et que le débiteur saisir n’avait pas reçu le solde du prix d’adjudication. La banque a donc engagé une procédure de folle enchère qu'elle n'a pas menée à son terme ayant été indemnisée par l'assureur du notaire, qui a aussi réparé le préjudice subi par les époux  au titre des frais consécutifs à cette instance. Le débiteur saisi, quant à lui, a poursuivi à son tour la folle enchère mais les époux et la SCI acheteuse, exposés à la perte de leur droit de propriété, ont agi en responsabilité et indemnisation. Le débiteur saisi a sollicité reconventionnellement la condamnation de l'adjudicataire et du notaire au paiement du solde du prix d'adjudication.

La Cour d’appel avait décidé de rejeter la responsabilité du notaire vis-à-vis du débiteur car le notaire n’avait pas à vérifier si le débiteur saisi avait été désintéressé de sa créance par l’adjudication. Pour les sous-acquéreurs, la cour d’appel relève que le notaire a commis une faute en ne vérifiant pas l’état hypothécaire des biens vendus mais que cette faute n’as pas causé de préjudice car il n’appartenait pas au notaire de vérifier le respect de l’adjudicataire de son obligation de payer le prix.

La Cour de cassation confirme en totalité le raisonnement de la Cour d’appel concernant le débiteur saisi. En effet, ce dernier n’alléguant pas être titulaire d’une quelconque sûreté sur les biens vendus et ne se prévaut d’aucun droit opposable sur le prix de vente, le fait par le notaire de consulter l’état hypothécaire n’aurait pas fait ressortir le défaut de paiement de l’adjudicataire. De plus, elle rappelle qu’il n’appartenait pas au notaire de s’assurer du paiement du solde du prix de l’adjudication.

En revanche, en ce qui concerne les sous-acquéreurs, la Cour de cassation relève bien la faute du notaire qui aurait dû consulter la situation hypothécaire mais contredit la Cour d’appel concernant l’absence de préjudice. Selon elle, dès lors que le notaire avait été alerté sur la question du paiement ou de la consignation du prix d’adjudication par l’absence de purge de l’hypothèque de la banque, qui aurait été révélé par la consultation de l’état hypothécaire, le notaire aurait pu (et dû) attirer l’attention des sous-acquéreurs sur le risque d’une remise en cause de leur droit de propriété.

En conclusion, on ne le rappellera jamais assez, le notaire doit toujours consulter l’état hypothécaire du bien avant de délivrer le prix de vente d’un bien sous peine d’engager sa responsabilité si, finalement, l’acquéreur venait postérieurement à être privé de son droit de propriété pour une raison quelconque.

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D. Le sort de la clause de non-rémunération du nantissement de valeurs mobilières

Première chambre civile de la Cour de cassation, 26 novembre 2014 (n°13-25273)

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 26 novembre 2014, est relatif au sort de la clause de non-rémunération figurant dans un nantissement de valeurs mobilières, lorsque ce dernier est remplacé par un cautionnement hypothécaire.

Dans les faits d’espèce, un établissement bancaire consent deux prêts à une société civile immobilière pour financer l’acquisition de deux villas en l'état futur d'achèvement. La SCI place les sommes prêtées en bons de caisse et en dépôts à terme et les constitue en nantissement à la banque en garantie des prêts. Ultérieurement, la SCI demande à la banque le paiement d'une certaine somme au titre de la rémunération de ses placements. Cependant, une clause stipulée dans le prêt prévoyait l’absence de rémunération du constituant pour les valeurs mobilières constituées en nantissement. Or, par un acte authentique en date 2 juin 2007, la banque et la SCI avaient convenu de substituer au nantissement un cautionnement hypothécaire en premier rang à hauteur du montant du prêt de 411 000€. La SCI a assigné la banque en paiement d'une certaine somme au titre de la rémunération de ses placements.

La Cour d’appel de Saint-Denis, dans un arrêt du 15 juillet 2013 décide que la non-rémunération est liée au nantissement et qu’elle s’achève lorsqu’il cesse de produire ses effets. Le gage ayant été levé, la clause de non-rémunération liée à la constitution de cette garantie ne trouvait plus application, de sorte qu'à compter de cette date, le souscripteur de ces valeurs mobilières était en droit d'obtenir la rémunération de son placement. En conséquence, la Cour d’appel condamne la banque à payer au constituant, la SCI, la somme de 41 360,54 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2010. La banque forme alors un pourvoi en cassation.

La question posée à la Haute Cour est relative à la durée des effets d’une telle clause. La réponse dépend de l’interprétation à donner à la convention.

Le 26 novembre 2014, la Cour de cassation rejette ledit pourvoi formé par la banque. Les juges fondent leur solution sur la levée du nantissement et son remplacement par un cautionnement hypothécaire, considérant qu’une telle substitution entraîne l’extinction de la clause de non-rémunération, contenue dans le nantissement initial. En effet, d’après la Cour, la substitution de garanties ayant entraîné mainlevée du nantissement constitué sur le placement de la somme prêtée, la rémunération liée au placement est à nouveau due par la banque au souscripteur des bons de caisse ou des comptes à terme à compter de cette date. La SCI, souscripteur des valeurs mobilières litigieuses, était donc en droit d'obtenir la rémunération de son placement.

En théorie, les clauses d’un acte juridique disparaissent avec lui, à défaut de volonté contraire. En l’espèce, en application de l’alinéa 2 de l’article 1134 du Code civil, les parties ont mis fin au nantissement par leurs volontés. Il faut considérer que la disparition de l’acte est totale. Néanmoins, il convient de prendre en considération la volonté contraire des parties expresse ou tacite. Dans les faits en présence, aucune volonté contraire expresse n’avait été manifestée. Cependant, on ne peut exclure une volonté tacite contraire qui aurait pu s’évincer de l’économie de l’opération. La piste n’a pas été explorée par le défenseur de la banque. Dans cette perspective, il aurait fallu apprécier l’équilibre de l’opération globale.

C’est donc avec une grande logique que la Cour de cassation confirme la décision des juges du fond, considérant que c’est à bon droit que la cour d’appel avait relevé que : « le gage ayant été levé, la clause de non-rémunération liée à la constitution de cette garantie ne trouvait plus

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application, de sorte qu'à compter de cette date, le souscripteur de ces valeurs mobilières était en droit d'obtenir la rémunération de son placement ».

E. Appréciation de la disproportion d’un cautionnement en cas de pluralité d’engagements

Première chambre civile de la Cour de cassation, 15 janvier 2015 (n° 13-23.489)

La Cour de cassation affirme que la disproportion doit être appréciée au regard de l’endettement global de la caution, y compris celui résultant d’engagements de caution.

En l'espèce, M. X… s'est porté caution solidaire auprès de la banque Y… pour divers concours financiers consentis au profit de la société Z… les 29 octobre 2004, 12 mai 2005, 5 octobre 2005 et 7 juillet 2006. Par la suite, la banque Y… a assigné la caution en paiement. Tout d’abord, dans un arrêt du 7 juin 2013, la Cour d'appel de Rennes (n° 10/09209) a évincé la disproportion des engagements de caution de M. X… en indiquant que son endettement se compose de prêts immobiliers. La Cour d’appel de Rennes n’a pas tenu compte des engagements de caution précédemment pris par la caution.

La question qui s’est posée est de savoir si les cautionnements antérieurement conclus par la caution doivent être pris en compte dans l’endettement global de celle-ci pour apprécier le caractère disproportionné de son engagement. 

La Cour de cassation le 15 janvier 2014 répond par la positive et casse l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes. Au visa de l'article L.341-4 du Code de la consommation, elle considère que « la disproportion doit être appréciée au regard de l'endettement global de la caution, y compris celui résultant d'engagements de caution ».

Selon cet article du Code de la consommation, « le créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique » manifestement disproportionné sauf si le patrimoine de la caution lui permet « de faire face à son obligation ». Par cet arrêt rendu, la Cour de cassation affirme que pour apprécier le caractère disproportionné du contrat de cautionnement, il faut tenir compte de l’endettement global de la caution. Elle intègre alors dans cet endettement global l’ensemble des engagements de caution antérieurs du débiteur. L’endettement global étant une composante du patrimoine de M. X…, celui-ci n’a ainsi pas un patrimoine suffisamment important pour garantir le paiement de nouveaux engagements.

Selon la Cour de cassation, la Cour d’appel de Rennes n’aurait pas dû se contenter de rapprocher le montant de chaque engagement, pris isolément, de la situation patrimoniale de la caution. Au contraire celle-ci aurait dû tenir compte de l’endettement global cumulé du débiteur, comprenant les cautionnements précédemment consentis, à la date de chaque nouveau cautionnement. En procédant de la sorte, la Cour de cassation en conclut la disproportion de l’engagement du débiteur au moment de la conclusion du contrat de cautionnement en application de l’article L.341-4 du Code de la consommation.

Ainsi, toutes les dettes sans exception doivent être prises en compte y compris les engagements souscrits par la caution le jour même de la signature du contrat de cautionnement. La Cour de cassation considère donc l’endettement du débiteur d’une manière large au travers d’une décision se voulant protectrice de la personne du débiteur.

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F. Le cautionnement souscrit par une SCI contraire à son intérêt social

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 9 décembre 2014 (n°13-25.219)

L’arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre 2014 vient préciser la condition selon laquelle le cautionnement de la société au profit d’un tiers ne doit pas être contraire à l’intérêt social de la société.

En l’espèce, les 8 et 10 septembre 2008, la SCI DE L’EGALITE souscrit au profit de la SAS ETABLISSEMENTS VERNAY un cautionnement hypothécaire. Ce cautionnement hypothécaire porte sur l’unique bien du patrimoine de la société.

Suite à l’insolvabilité du débiteur, la SAS ETABLISSEMENTS VERNAY demande la réalisation de la sûreté. La SCI DE L’EGALITE considère que le cautionnement est contraire à l’intérêt social de la société et demande donc la nullité de ce cautionnement. Le 16 juillet 2013, la Cour d’appel de Dijon rejette la demande de la SAS ETABLISSEMENTS VERNAY au motif que le cautionnement était contraire à l’intérêt social de la société dès lors qu’il conduisait à la vente forcée de l’unique bien composant le patrimoine de la SCI. La SAS forme un pourvoi en cassation. Le 9 décembre 2014, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la SAS en confirmant la décision de la Cour d’appel.

La question qui se pose est essentielle dans la mesure où la sûreté a été accordée par la SCI. Pour autant, il sera possible d’invoquer la nullité de la sûreté dans l’hypothèse où celle-ci est contraire à l’intérêt social. Mais dans quelles conditions la contrariété à l’intérêt social de la sûreté accordée par la SCI permet-elle d’entraîner la nullité de l’engagement?

La Cour de cassation considère que l’engagement de caution était contraire à l’intérêt social de la SCI. En effet, cet engagement conduisait à la vente forcée de l’unique bien composant son patrimoine et compromettait jusqu’à son existence même sans qu’elle ait reçu un quelconque bénéfice en contre partie. La nullité de l’engagement de caution était donc opposable à la Société ETABLISSEMENTS VERNAY.

Le cautionnement de la société au profit d’un tiers doit donc remplir deux conditions cumulatives. D’une part, l’acte doit entrer directement ou indirectement dans l’objet social de la société. D’autre part, l’acte ne doit pas être contraire à l’intérêt social de la société. C’est cette deuxième condition qui est ici précisée bien que cette solution s’inscrit dans un courant jurisprudentiel désormais bien établi et harmonisé entre les différentes formations de la Cour. En effet, l’acte est considéré comme étant contraire à l’intérêt social dans l’hypothèse où la constitution de la sûreté met en cause l’existence même de la société. C’est le cas en l’espèce puisque le bien engagé constitue le seul actif social et la société ne retire aucune contre partie ou avantage économique dans l’opération.

Ainsi, si une sûreté est consentie dans cette situation, le rédacteur de l’acte doit informer le créancier des incertitudes entourant aujourd’hui la constitution d’une telle garantie. Le gérant peut préciser les motifs de souscription de l’engagement par la société afin d’éviter l’écueil consistant en ce que la société ne retire aucune contre partie ou avantage économique dans l’opération. Cela permettrait ainsi d’éviter une sûreté contraire à l’intérêt social de la société.

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G. L’acte notarié de prêt initial ne peut fonder une hypothèque judiciaire conservatoire pour le découvert en compte courant

Deuxième chambre civile de la Cour de cassation, 13 novembre 2014 (n° 13-25.193)

La Cour de cassation indique que l’acte notarié de prêt ne saurait fonder l’inscription d’hypothèque judiciaire prise sans autorisation du juge pour garantir le paiement du découvert d’un compte courant.

En l’espèce, par acte notarié, une banque a consenti à M. X… un prêt relais afin que ce dernier puisse acquérir un immeuble. A la date d’échéance du prêt, la vente de l’immeuble n’était pas encore réalisée, or c’est le prix de vente de cet immeuble qui devait permettre le remboursement du prêt. La banque a fini par prononcer la déchéance du terme du prêt. Par la suite, la vente a bien eu lieu mais pas au prix souhaité. Il en résulte que l’emprunteur demeurait débiteur de la banque d’une certaine somme. La banque a alors fait inscrire une hypothèque judiciaire conservatoire sur un immeuble appartenant à M. X… . Ce dernier a sollicité la mainlevée de l’inscription hypothécaire en invoquant l’absence de titre exécutoire. La cour d’appel a débouté M. X… de ses prétentions en retenant que la banque disposait bel et bien d’un titre exécutoire : l’acte authentique de prêt d’origine. C’est ainsi que la banque a pu faire valablement reposer son inscription hypothécaire judiciaire conservatoire sur cet acte.

La question était donc de savoir si l’acte authentique d’origine pouvait servir de titre exécutoire à la banque créancière afin que celle-ci puisse prendre une hypothèque judiciaire conservatoire à l’encontre de son débiteur, et ce, sans autorisation du juge.

Pour la Cour de cassation, dans la mesure où le solde du prêt et le montant du remboursement partiel ont été inscrits au compte courant de M. X…, dont le solde est débiteur, et que les opérations portées en compte courant sont devenues des articles de crédit et de débit uniquement attachés au compte courant, il n’existait pas de titre exécutoire servant de base à une hypothèque judiciaire conservatoire inscrite pour garantir le paiement du solde débiteur du compte courant, « qui subsistait seul ».

Il ressort que l’acte notarié de prêt initial ne peut fonder une inscription hypothécaire judiciaire conservatoire prise pour garantir le paiement du découvert d’un compte courant, sans autorisation du juge. En permettant l’inscription de la sûreté pour garantir le solde débiteur du compte courant, sur la base de l’acte authentique de prêt, l’arrêt rendu par la cour d’appel a été censuré pour violation de l’article L.511-2 du Code des procédures civiles d’exécution ainsi que de l’article R.531-1 du même Code.

La Cour de cassation indique que les opérations portées en compte courant sont devenus des articles de compte fongibles entre eux pour lequel « il n’existait pas de titre exécutoire ». En effet le montant de la somme due ne l’était pas au titre du contrat de prêt mais constituait le solde débiteur d’un compte courant. C’est ainsi que l’acte authentique de prêt n’a pas pu servir de base à l’inscription de l’hypothèque judiciaire conservatoire.

La banque aurait donc dû demander l’autorisation du juge pour pratiquer la mesure conservatoire sur le fondement de l’article L.511-1 du Code des procédures civiles d’exécution puisqu’elle ne disposait pas de titre exécutoire. M. X…, quant à lui, peut valablement faire prononcer la mainlevée de l’inscription.

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III. Droit des sociétés

A. La perception des dividendes issus de parts sociales communes par l’époux non titulaire

Première chambre civile de la Cour de cassation, 5 novembre 2014 (n°13-25.820)

L’arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 2014 vient préciser qu’en l’absence d’accord pour que les dividendes soient versés entre les mains de son conjoint, l’associé a seul qualité pour percevoir les dividendes.

En l’espèce, Monsieur Simoes MARQUES et Madame Dos Anjos Ferreira MARQUES, mariés sous le régime légal de la communauté, sont associés de la société CIBTP. Monsieur détient 200 parts et Madame 9.500 parts. Ces parts ont été acquises en cours de mariage à l’aide de deniers communs. La société verse à Monsieur les dividendes dus à Madame au titre des années 2002 et 2005.

Madame Dos Anjos Ferreira MARQUES assigne la société et son époux aux fins de paiement de ces sommes. Le 5 septembre 2013, la Cour d’appel de Paris déboute Madame MARQUES de sa demande contre la société puisque son mari est réputé avoir perçu les dividendes pour le compte de la communauté. La Cour d’appel applique le principe selon lequel, puisque les dividendes sont des biens communs, « chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer » en vertu de l’article 1421 du Code civil. Monsieur avait donc le pouvoir de recevoir le paiement de sommes communes et la société est donc valablement libérée. Madame MARQUES forme un pourvoi en cassation. Le 5 novembre 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris et renvoie les parties devant la Cour d’appel de Versailles.

Il est connu de tous que depuis un célèbre arrêt de la première chambre civile en date du 4 juillet 2012, la Cour de cassation applique aux parts sociales la distinction du titre et de la finance. Le mari qui souscrit des parts sociales pendant le mariage avec des fond communs a donc seul la qualité d’associé. Ces parts entrent en communauté que pour leurs valeurs patrimoniales mais lors du partage, elle ne peuvent être attribuées qu’au titulaire des droits sociaux.

La question se pose donc ici de savoir si, puisque la valeur des parts sociales tombe en communauté, le versement des dividendes issu de ces parts entre les mains du conjoint du titulaire libère-t-il la société?

La Cour de cassation répond que l’associé a seul qualité pour percevoir les dividendes à moins qu’il ait donné son accord pour que ces dividendes soient versés entre les mains de son conjoint. En l’absence d’accord, le versement des dividendes entre les mains de son conjoint ne libère pas la société. La dette consistant dans le versement de dividendes de la société à l’associé n’est donc pas éteinte.

Cette solution est parfaitement logique dans la mesure où si le conjoint pouvait percevoir les dividendes sans autorisation cela conduirait à un trop grand laxisme, et pourquoi pas ensuite admettre que ce même conjoint vote sans procuration en lieu et place de l’associé. De plus, cette solution s’inscrit dans la jurisprudence antérieure. En effet, la première chambre civile est venue préciser que le conjoint associé peut donner (1ère civ, 12 juin 2014) ou vendre (1ère civ, 22 octobre 2014) son titre sans recueillir l’accord de ses co-indivisaires à la dissolution de la communauté matrimoniale.

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B. Le contrôle de la rémunération d’un dirigeant de SAS : la force avérée des stipulations statutaires

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 4 novembre 2014 (n°13-24889)publié au bulletin

L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation est relatif au contrôle de la

rémunération des dirigeants de SAS.

Dans les faits de l’espèce soumis à la chambre commerciale, les associés d’une société par actions simplifiées, réunis en assemblée le 29 juin 2009 avaient, conformément aux statuts de la société, décidé à la majorité simple d'attribuer une rémunération au président de cette dernière. La société actionnaire minoritaire, faisait valoir deux arguments au soutien de son assignation formée contre la SAS et la société associée majoritaire de cette dernière. D’une part, elle estimait que la rémunération du président s'analysait en une convention règlementée soumise à la procédure de contrôle prévue à l'article L. 227-10 du Code de commerce. D’autre part, elle entendait voir caractériser l’abus de majorité au motif qu’une telle rémunération ne pouvait être regardée comme conforme à l'intérêt de la société du seul fait qu'elle n'était pas disproportionnée avec le résultat de celle-ci, alors que les fonctions de président de la société n'impliquaient aucune charge de travail. La société minoritaire demandait à titre principal, la condamnation de la société majoritaire au remboursement du montant de la rémunération et, à titre subsidiaire, l’annulation pour abus de majorité de la décision du 29 juin 2009.  

La Cour d’appel de Bastia, dans un arrêt en date du 24 juillet 2013, rejette les demandes formées par l’associé minoritaire. Ce dernier forme alors un pourvoi en cassation.

La question soumise aux juges était de savoir : la rémunération du président de SAS relève-t-elle du contrôle des associés ?

Le 4 novembre 2014, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi et répond par la négative à cette interrogation, en affirmant que la rémunération du président fixée par une décision collective des associés n’a pas à être soumise à la procédure des conventions réglementées. En l’espèce, les statuts de la SAS prévoyaient que la rémunération du président devait être fixée par une décision collective des associés. Un actionnaire ne pouvait donc se prévaloir de l'inobservation de l'article L. 227-10 du Code de commerce. De plus, selon les Hauts magistrats, l’associé majoritaire étant aussi le président et assumant les responsabilités de cette fonction, l’abus de majorité dans la fixation de sa rémunération n’est pas établi dès lors que la rémunération n’est pas excessive et contraire à l’intérêt social.

La solution posée par cet arrêt était attendue, car jamais tranchée auparavant, pour ce type de société. Tant dans la SARL que dans la SA, le critère retenu par la jurisprudence est le caractère contractuel ou institutionnel de cette rémunération, comme on peut par exemple le constater à travers un arrêt de la chambre commerciale de la Haute cour, en date du 4 juin 2010, n° 09-13205. La rémunération d’ordre institutionnel, c’est-à-dire émanant d’un organe institué par la loi, n’est pas soumise au contrôle de l’article L. 227-10 du Code de commerce. La transposition du critère pose difficulté dans la SAS, la loi étant silencieuse sur la détermination de la rémunération du président. Les associés doivent donc la prévoir statutairement. Cependant, cette pratique laisse une grande liberté aux associés des SAS. Ceci a conduit certains auteurs, comme le Professeur Couret, à affirmer que la rémunération du dirigeant de SAS serait nécessairement contractuelle. Cette position est discutable, car cela reviendrait à confondre l’origine

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du mode de fixation de la rémunération – certes contractuel dans la SAS, car relevant des statuts – et la mise en œuvre de ce mode de fixation.

Cet alignement de la SAS sur les autres types de sociétés, aussi fondé soit-il, ne saurait faire oublier que le caractère institutionnel de la rémunération est une illusion lorsque le dirigeant est aussi actionnaire majoritaire. Il est néanmoins opportun de relever, que l’abus de majorité fournit aux associés minoritaires un fondement utile en cas de rémunération excessive. En notre espèce, ce fondement a cependant été écarté par la Cour suprême.

IV. Les baux commerciaux et baux ruraux

A. Les baux commerciaux

1) Application du statut des baux commerciaux malgré un bail dérogatoire, par simple maintien dans les lieux du locataire après le terme du bail

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 13 janvier 2015 (n°13-23.736)

Malgré toute stipulation contractuelle obligeant le locataire à quitter les lieux au terme d’un bail portant sur des locaux à usage commercial, le bailleur ne doit pas attendre avant d’agir à l’encontre de son locataire en situation d’occupation sans droit ni titre, s’il ne souhaite pas que ce dernier bénéficie du statut protecteur des baux commerciaux.

En 2004, un bail portant sur des locaux à usage commercial est consenti pour une durée de deux années, s'achevant le 31 août 2006. Ce bail prévoit qu'à son terme, « le locataire s'oblige à quitter les lieux loués sans chercher à s'y maintenir et à défaut, serait considéré comme occupant sans droit ni titre ». Le locataire s'étant maintenu au-delà du 31 août 2006, le bailleur le somme le 4 octobre 2006 de quitter les lieux, puis l'assigne en expulsion.

La Cour d'appel d’Aix-en-Provence du 4 juillet 2013 retient que le locataire a acquis le bénéfice du statut des baux commerciaux à compter du 1er septembre 2006.

Le bailleur fait grief à l'arrêt de dire que le locataire a acquis le bénéfice du statut des baux commerciaux, alors le contrat de bail stipulait expressément qu’il n’était pas nécessaire pour le bailleur de donner congé au preneur à bail, pour que ce dernier perde sa qualité de locataire et devienne occupant sans droit ni titre à la date d’expiration du bail. Le bailleur faisait donc prévaloir la liberté contractuelle fondée sur l’article 1134 du Code civil pour mettre un terme au bail commercial.

Cependant, la Cour de cassation approuve l'arrêt d'appel. Celui-ci a relevé que malgré le fait que le locataire soit resté en possession des lieux postérieurement à l'échéance contractuellement fixée au 31 août 2006, le bailleur n’a pas formulé d'opposition à ce maintien jusqu’au 4 octobre 2006. La cour d'appel a exactement déduit de ces seuls motifs qu'à compter du 1er septembre 2006, il s'était opéré un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux.

Il semble en l’espèce que se soit le laxisme du bailleur à agir à l’encontre de son locataire qui ait conduit à cette solution. Le bailleur ne pouvait ignorer que son locataire occupait les lieux sans droit ni titre pendant une durée supérieure à deux mois. Dès lors, il convient d’alerter tout bailleur disposant d’une telle stipulation dans un contrat de bail portant sur des locaux à usage commercial de moins de deux ans de ne pas attendre avant d’agir à l’encontre de son locataire s’il souhaite éviter que son locataire en situation illicite bénéficie du statut protecteur des baux commerciaux.

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2) Validité de la clause d’indexation sur l’ICC du loyer d’une location-gérance d’un fonds de commerce

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 4 novembre 2014 (n° 13-18.840)

L’arrêt de la cour de cassation est relatif à la question de la validité ou non de l’indexation du loyer d’une location-gérance sur l’indice du coût de la construction (ICC) alors que l’objet même de la location-gérance est relatif à un bien meuble corporel.

Le propriétaire d'un fonds de commerce d'hôtel-bar-restaurant a donné, par acte notarié, ce fonds en location gérance, une société intervenant à l'acte en qualité de caution solidaire. Cette dernière, estimant que le locataire-gérant restait redevable à l'issue du contrat d'un solde de redevances correspondant à la clause d'indexation conventionnelle et n'étant parvenue à aucun recouvrement auprès de celui-ci, le propriétaire du fonds de commerce a fait signifier à la caution le procès-verbal d'une saisie-attribution réalisée sur les sommes détenues par cette dernière auprès d'une banque ; la caution a saisi un juge de l'exécution d'une demande de mainlevée de la saisie, invoquant la nullité de la clause d'indexation prévue dans l'acte notarié.

Pour  déclarer nulle cette clause d'indexation, donner mainlevée de la saisie-attribution et condamner le propriétaire du fonds de commerce à restituer à la caution  les sommes saisies, l'arrêt retient que l'indexation d'une redevance de location-gérance sur l'indice du coût de la construction ne peut être réputée en relation directe avec l'objet d'une convention relative à un immeuble bâti, dans la mesure où le contrat de location-gérance d'un fonds de commerce est relatif à un bien meuble corporel, et en déduit que la clause litigieuse méconnaît ainsi les dispositions de l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier en vertu duquel « Dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n'ayant pas de relation directe avec l'objet du statut ou de la convention ou avec l'activité de l'une des parties. »

La Cour de cassation répond que, même si effectivement la location-gérance avait pour objet un meuble corporel (à savoir un fonds de commerce), il n’avait pas moins pour accessoire la mise à disposition d’un immeuble bâti, stipulé au contrat, et donc l’indexation sur le prix du coût de la construction était donc en relation directe avec l’objet de la convention conformément à l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier précité.

En conclusion, la jurisprudence affirme donc une conception extensive du critère de « relation directe avec l’objet du contrat ». Le notaire pourra donc valablement indexer sur l’ICC n’importe quel loyer d’une location gérance dès lors que cette dernière aura pour objet, principalement ou accessoirement, de mettre à la disposition du preneur un immeuble bâti.

B. Les baux ruraux

1) Encadrement de la faculté de résiliation du bail rural à long terme

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 15 octobre 2014 (n°13-23.015)

Dans le cadre d'un bail rural à long terme, la faculté, pour le preneur ayant atteint l'âge de la retraite, de donner congé à son bailleur, est exclue pendant la période initiale du bail.

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En l’espèce, un bail portant sur diverses parcelles de terres a été conclu en 1988, pour une durée de vingt-cinq ans.En 2011, le preneur a donné congé aux bailleurs, pour un effet à compter du 31 décembre 2012, en invoquant le fait qu'il avait atteint l'âge de la retraite.

Les bailleurs ont assigné le preneur aux fins d'obtenir la nullité du congé.

Les juges du fond ont néanmoins rejeté leur demande aux motifs que le preneur d'un bail rural de vingt-cinq ans, qui atteint l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles, peut, en application du droit commun, demander la résiliation du bail à la fin d'une des périodes annuelles suivant la date à laquelle il aura atteint l'âge requis.

Saisie sur le pourvoi formé par les bailleurs, la Cour de cassation, dans un arrêt du 15 octobre 2014, a cassé l'arrêt d'appel, après avoir relevé que la faculté pour les parties de mettre fin au bail, dans cette hypothèse, ne peut être exercée pendant la période initiale du bail à long terme, mais seulement à l'issue de celle-ci, dans le cadre d'un renouvellement.La Haute juridiction judiciaire s'appuie, à ce titre, sur l'article L. 416-1 du Code rural et de la pêche maritime. 

Dès lors, la résiliation d’un bail rural à long terme durant sa période initiale est exclue. Le Notaire, ou un exploitant agricole qui contracte un tel bail, doit donc se montrer extrêmement prudent sur les perspectives d’évolution du preneur à bail. Si ce dernier se situe dans un âge proche de la retraite, le Notaire doit avertir le preneur de l’impossibilité pour ce dernier de donner congé au bailleur pour départ à la retraite. Ce dernier restera tenu pour toute la durée initiale du bail non encore échue. Au delà du conseil que le Notaire devra apporter au preneur, il lui sera recommandé de se ménager la preuve par le biais d’une clause de reconnaissance de conseil donné.

V. L’actualité fiscale

A. QPC - Valeur des créances à terme : détermination de l'assiette des droits de mutation à titre gratuit et de l'ISF

Conseil constitutionnel : Décision n° 2014-436 QPC du 15 janvier 2015

Inconstitutionnalité de l’alinéa 3 de l’article 760 du Code général des impôts relatif à la détermination de l’assiette des droits de mutation à titre gratuit et de l’ISF.

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé le 15 janvier 2015 sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 760 du CGI. L'article 760 du CGI comportant trois alinéas, le Conseil constitutionnel s'est penché sur chacun d'entre eux pour déclarer s'ils étaient ou non conformes à la Constitution.

Concernant le premier alinéa qui pose la règle du principe selon laquelle, pour le calcul de l'assiette de ces impositions, les créances à terme sont évaluées à leur valeur nominale et non à leur valeur estimative, le Conseil constitutionnel a jugé que cet alinéa était conforme à la Constitution.

Concernant le deuxième alinéa qui prévoit, par dérogation au principe posé par l’alinéa 1 er, que l'assiette de l'impôt est déterminée d'après la déclaration estimative lorsqu'à la date du fait générateur de l'impôt, le débiteur "se trouve en état de faillite, de procédure de sauvegarde, de redressement ou liquidation judiciaire ou de déconfiture". Le Conseil a jugé que le législateur a entendu prendre en compte l'incidence, sur la valeur des créances à terme, des difficultés que le débiteur rencontre pour s'acquitter de ses obligations. Le Conseil constitutionnel a estimé que ce deuxième alinéa ne méconnaît pas les principes d'égalité devant la loi et les charges publiques.

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Mais concernant le troisième alinéa qui prévoit que, lorsqu'une créance à terme a été soumise à l'impôt sur une base estimative en application du deuxième alinéa de ce même article, le créancier est tenu de déclarer toute somme supplémentaire recouvrée postérieurement à l'évaluation en sus de celle-ci. Le Conseil Constitutionnel a jugé que ce troisième alinéa institue des modalités de fixation de l'assiette de l'impôt qui sont sans rapport avec l'appréciation des facultés contributives des contribuables assujettis à ces impôts.

Dans sa décision du 15 janvier 2015, le Conseil constitutionnel a jugé que les deux premiers alinéas de l'article 760 du CGI étaient conformes à la Constitution mais que le troisième alinéa de ce même article était contraire à la Constitution. La déclaration d'inconstitutionnalité de cette disposition a pris effet à compter de la publication de la décision du Journal officiel le 18 janvier 2015.

B. L’exonération de la plus-value immobilière sur la résidence principale non conditionnée à une habitation effective en cas de divorce

Cour administrative d’appel de Marseille, 9 décembre 2014 (n° 12MA02147)

Lorsque l’immeuble cédé ne constitue plus, à la date de la cession, la résidence principale du contribuable, celui-ci peut néanmoins bénéficier de l’exonération prévue par l’article 150 U, II-1° du CGI, dès lors que le logement a été occupé par son ex-conjoint jusqu’à la mise en vente et que la cession interviennent dans les délais normaux de vente.

En l’espèce, une Société civile immobilière a été constituée par des époux en 1991 entre Mme A et Mr B détenant chacun 50% des parts de la société, pour acquérir un bien immobilier. Quelques années plus tard, les époux ont engagé une procédure de divorce et ont été autorisés à résider séparément par ordonnance du juge le 8 mars 2001. Le 14 juin 2001, le Tribunal de Grande Instance de Nice prononce le divorce des époux.

Deux ans plus tard, le 23 juin 2003, la SCI a vendu le bien immobilier qui constituait la résidence principale des époux avant leur divorce, pour un prix de 522 682 €. La plus-value dégagée lors de cette cession a été placée sous le régime de l'exonération d'impôt sur le revenu applicable aux cessions d'immeubles affectés à l'habitation principale prévue alors par l'article 150 C du Code général des impôts.

Toutefois, pour l’administration fiscale, le bien vendu par la SCI ne constituait plus la résidence principale de Mme A au jour de la cession, et devait donc être soumis à l’impôt sur les plus-values immobilières. Mme A avait quitté le logement familial en 2001 suite à l’ordonnance du juge qui lui permettait de vivre séparément de son époux qui résidait encore dans la résidence. Dès lors en l’espèce, Monsieur pouvait bénéficier de l’exonération au titre de sa résidence principale sur le fondement de l’article 150 C du CGI, tandis que Madame, ne pouvait s’en prévaloir.

Mme A fait appel au jugement du Tribunal Administratif de Nice du 30 mars 2012 rejetant sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au prorata entre le temps où elle vivait encore dans la résidence principale avec son époux, et le temps où elle a quitté le logement avant la cession du bien.

La Cour administrative d’appel de Marseille prononce la décharge de l’imposition le 9 décembre 2014. En l’espèce, Mme A occupait le logement à titre de résidence principale jusqu’à l’ordonnance de non-conciliation. De surcroit, le délai entre son départ et la date de la cession de

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l’immeuble ne pouvait être considéré comme anormal, même si le bien à vendre était situé dans une commune recherchée.

L’exigence tenant à l’occupation du logement à titre d’habitation principale au jour de la cession n’est pas toujours satisfaite en cas de séparation ou de divorce, notamment lorsque l’un des conjoints a été contraint de quitter le logement. Il est cependant admis, lorsque l’immeuble cédé ne constitue plus, à la date de la cession, la résidence principale du contribuable, que celui-ci puisse néanmoins bénéficier de l’exonération prévue par l’article 150 U, II-1° du CGI, dès lors que le logement a été occupé par son ex-conjoint jusqu’à la mise en vente et que la cession interviennent dans les délais normaux de vente (BOI-RFPI-PVI-10-40-10 n°250 et 260, 12 septembre 2012).

Travail réalisé par : Adeline PRUNIER, Sophie POUGET, Nicolas ROUX, Yoann VOZELLE, Vincent RIBERA et Thomas RIGAL

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TABLE DES MATIÈRES

LA RESPONSABILITÉ CIVILE NOTARIALE

I- L’application stricte de la responsabilité civile délictuelle facteur d’exonération

A. La faute du notaire écartéeB. L’exigence d’un préjudice certain

II- L’intensité des devoirs du notaire source de responsabilité

A. L’étendue du devoir de conseil en matière fiscaleB. L’élargissement des contours des devoirs du notaire

1) Le devoir d’investigation2)  Une nouvelle source de responsabilité civile notariale

LES BIENS DU COUPLE

I- Le mariage entre limitation de pouvoirs et extension des dettes ménagères

A. La perception des dividendes communs réservés à l’époux associéB. L’application de la qualification de dettes ménagères aux dépenses de santé

II- Les effets patrimoniaux du divorce

A. Les opérations de liquidation

1) La valeur des parts sociales communes à retenir en cas de vente pendant l’indivision post-communautaire

2) L’absence de créance pour le financement du logement indivis dans un régime de séparation de biens

B. La détermination d’une éventuelle prestation compensatoire et contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants

1) Les modalités de calcul de la prestation compensatoire et de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants

2) Les modalités de versement d’une prestation compensatoire

C. La jouissance du logement de la famille

1) La jouissance du logement pendant la séparation de fait2) La jouissance du logement indivis postérieure au prononcé du divorce

D. La fiscalité applicable aux époux en cas de divorce

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1) Le remboursement de l’impôt sur le revenu payé par le conjoint séparé de biens

2) L’exonération de plus-value relative à la vente de la résidence principale après le divorce

III- Précisions sur le champ d’application du règlement Bruxelles 1

A. L’impossibilité d’exequatur concernant les mesures pécuniaires en relation avec les régimes matrimoniaux, exclus du champ de Bruxelles 1

B. L’exequatur des seules mesures pécuniaires en relation avec l’état des personnes, exclu du champ de Bruxelles 1

SUCCESSIONS ET LIBERALITES

I- Les successions

A. La question éludée de la conformité de l'article 815-6 du Code civil à la Constitution : non-transmission des questions prioritaires de constitutionnalité

B. La dénonciation regrettée de la convention fiscale franco-suisse relative aux impôts sur les successions

C. La restitution en valeur d’un bien recelé et le point de départ des intérêts

II- Les libéralités

A. L'acceptation des libéralités par les associations déclarées : une conformité logique à la Constitution

B. L’obligation de révéler les libéralités consenties par le défuntC. L’allègement des droits sur les donations de terrains et immeublesD. L’encadrement de la chronologie des opérations de donation-cession de

titres en matière de plus-valueE. L’ouverture du testament authentique aux personnes sourdes, muettes ou

dans l’impossibilité de s’exprimer dans la langue française

LES ACTES COURANTS

I- De la précision des précautions à prendre afin d'assurer l'efficacité et la sécurité juridique des actes ou promesses de vente

A. Les contrats de promotion immobilière

1) Le CCMI : l'unique recommandé signé par un seul des époux ne purge pas le droit de rétractation de son conjoint

2) Vente en l'état futur d'achèvement: de nouvelles vérifications portées à la charge du notaire

B. L'application de la loi CARREZ précisée

1) La superficie à prendre en compte pour le calcul de la loi CARREZ clarifiée2) La responsabilité du professionnel du mesurage pouvant enfin être

recherchée en cas d'erreur

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C. Le dépassement du délai imparti pour réaliser la vente à l'égard du locataire : l'affirmation d'une nullité relative au bénéfice du bailleur

II- De la précision des obligations du vendeur : entre atténuation de sa responsabilité en l'absence de danger et clarification des modalités de son obligation de délivrance

A. La responsabilité du vendeur évincée en l'absence de danger lié à la présence d'amiante

B. La clarification des modalités de l’obligation de délivrance incombant au vendeur

1) L'absence de prise en compte de la gravité des détériorations du bien vendu dans la détermination de la violation de l’obligation de délivrance du vendeur

2) Le défaut de raccordement du bien au réseau public d’assainissement constitutif d’un manquement du vendeur à son obligation de délivrance

III- De la précision des conséquences pratiques lors de la vente d’un terrain à construire

A. L’absence de nullité de la vente d’un terrain partiellement inconstructible qui le devient totalement

B. De l'absence de nécessité de requérir un certificat d'urbanisme pour le notaire lorsqu'un permis de construire attestant de la constructibilité du terrain a été délivré

DROIT NOTARIAL DE L’ENTREPRISE

I. Procédures collectives

A. Le dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire au regard du droit des incapacités

B. Faillite personnelle : précision sur le point de départ du délai de prescriptionC. La mise en règlement judiciaire et l’interminable liquidation des biens en

présence d’un actif réalisableD. Le débiteur n’a pas qualité pour agir en nullité de saisies pratiquées en

période suspecteE. L’unification de la date de cessation des paiementsF. La preuve de la confusion des patrimoines dans les groupes de sociétésG. L’adoption d’un plan de cession au détriment d’un plan de continuation

II. Droit des suretés

A. Réhabilitation de l’hypothèque rechargeableB. Les conséquences de l’omission du mot « intérêts » dans la mention de

l’article L. 341-2 du Code de la consommationC. Etat hypothécaire et responsabilité notarialeD. Le sort de la clause de non-rémunération du nantissement de valeurs

mobilièresE. Appréciation de la disproportion d’un cautionnement en cas de pluralité

d’engagements

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p. 72

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p. 73p. 74

p. 75

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F. Le cautionnement souscrit par une SCI contraire à son intérêt socialG. L’acte notarié de prêt initial ne peut fonder une hypothèque judiciaire

conservatoire pour le découvert en compte courant

III. Droit des sociétés

A. La perception des dividendes issus de parts sociales communes par l’époux non titulaire

B. Le contrôle de la rémunération d’un dirigeant de SAS : la force avérée des stipulations statutaires

IV. Les baux commerciaux et baux ruraux

A. Les baux commerciaux

1) Application du statut des baux commerciaux malgré un bail dérogatoire, par simple maintien dans les lieux du locataire après le terme du bail

2) Validité de la clause d’indexation sur l’ICC du loyer d’une location-gérance d’un fonds de commerce

B. Les baux ruraux

1) Encadrement de la faculté de résiliation du bail rural à long terme

V. L’actualité fiscale

A. QPC - Valeur des créances à terme : détermination de l'assiette des droits de mutation à titre gratuit et de l'ISF

B. L’exonération de la plus-value immobilière sur la résidence principale non conditionnée à une habitation effective en cas de divorce

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