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Colloque international IMAGES TATOUÉES 12 & 13/02/15 Dans le cadre de l’exposition TATOUEURS, TATOUÉS Théâtre Claude Lévi-Strauss et salle de cinéma Colloque en accès libre et gratuit dans la limite des places disponibles. Colloque en traduction simultanée anglais-français-anglais. Manuscrit de tatoueur, 19-20 e siècle, papier, encre, 25 cm x 11,5 cm, Birmanie En réunissant des chercheurs venus du monde entier, ce colloque pluridisciplinaire organisé à l’occasion de l’exposition TATOUEURS, TATOUES a pour ambition de renouveler l'approche d'une pratique contemporaine en plein essor qui suscite l'intérêt croissant des sciences humaines. Les processus de création, de circulation et de réception des images tatouées, ainsi que les significations et les pouvoirs qui leur sont prêtés seront abordés d'un point de vue à la fois technique, historique, esthétique et anthropologique. 1

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Colloque internationalIMAGES TATOUÉES

12 & 13/02/15Dans le cadre de l’exposition TATOUEURS, TATOUÉS

Théâtre Claude Lévi-Strauss et salle de cinémaColloque en accès libre et gratuit dans la limite des places disponibles.

Colloque en traduction simultanée anglais-français-anglais.

Manuscrit de tatoueur, 19-20e siècle, papier, encre, 25 cm x 11,5 cm, Birmanie

En réunissant des chercheurs venus du monde entier, ce colloque pluridisciplinaire organisé à l’occasion de l’exposition TATOUEURS, TATOUES a pour ambition de renouveler l'approche d'une pratique contemporaine en plein essor qui suscite l'intérêt croissant des sciences humaines. Les processus de création, de circulation et de réception des images tatouées, ainsi que les significations et les pouvoirs qui leur sont prêtés seront abordés d'un point de vue à la fois technique, historique, esthétique et anthropologique.

Colloque organisé par Sébastien Galliot (CREDO, Marseille), le Département de la Recherche et de l’Enseignement avec le soutien de la Direction du

Développement Culturel du musée du quai Branly.

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Programme du colloque

Jeudi 12/02/15 - théâtre Claude-Lévi-Strauss9h30 : Accueil9h40 : Mots de bienvenu par Stéphane Martin, Président du musée du quai Branly, et Frédéric Keck, Directeur du département de la Recherche et de l’Enseignement au musée du quai Branly9h45 : Introduction par Sébastien Galliot, CREDO, conseiller scientifique de l’exposition TATOUEURS, TATOUES

Session 1 : TechnologieModérateur : Sébastien Galliot

10h : L’analyse comparative à l’échelle mondiale des instruments de tatouage traditionnels : découvertes, pistes et problèmespar Benoit Robitaille, Chercheur indépendant, Montréal. Benoît Robitaille présente le volumineux recensement mondial des technologies de marquage traditionnelles qu‘il a constitué et explique comment il a testé celui-ci contre une série de postulats qui constituent les outils de "l'approche comparative à large échelle en histoire culturelle." Une grande partie de son exposé est consacré à la question des « Instruments de tatouage à emmanchement perpendiculaire », questions soulevées par les ressemblances particulières qui unissent cet ensemble.

Ces ressemblances seraient elles le résultat d'inventions indépendantes répétées ? D'une convergence déterminée par la fonction, par les exigences minimales du processus biologique qui produit la marque tatouée, par la disponibilité de certains matériaux ? Ou encore s'agirait-il de traits ancestraux partagés, fruits d'une invention unique s'étant répandue sur son aire connue au gré des mouvements et/ou des échanges entre populations qui les utilisaient ?

Sera ensuite abordée la question des autres ensembles typologiques, chacun permettant à sa façon de mettre en lumière certaines pistes et problèmes ou limites tel qu’évoqué dans le titre de la présentation, afin de démontrer que, d'une nécessaire étape descriptive préliminaire (les typologies techniques et leurs aires de distribution) peuvent naître un ensemble d'hypothèses stimulantes et enrichissantes concernant notamment la "dimension sociale" du tatouage.Benoit Robitaille a fait des études en anthropologie à l'Université de Montréal où il a obtenu un Baccalauréat ES Sciences avec spécialisation en archéologie méso-américaine avant de bifurquer vers l'étude des instruments de tatouage sous la tutelle de l'inimitable Paul Tolstoy. Il se consacre maintenant à la culture maraîchère biologique. L'hiver il poursuit ses recherches ethnologiques tout en menant une "carrière" parallèle dans le domaine des arts visuels, le plus récemment en collaboration avec des artisans établis au Japon.

10h30 : Tatouages sur les anciennes momies de Sibérie méridionale et la question du conservatisme dans la tradition du tatouagepar Svetlana Pankova, conservatrice des collections sibériennes au Département d’archéologie pour l’Europe de l’Est et pour la Sibérie, Musée de l’Ermitage.

Un aspect important des images artistiques des sociétés traditionnelles concerne leur engagement envers la tradition de leurs ancêtres. Les tatouages étaient sans doute

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d’autant plus conservateurs qu’ils étaient éternellement présents sur le corps humain, mais cette hypothèse est difficile à confirmer sur la base des artefacts archéologiques. La question s’est posée avec plus de pertinence lors de l’étude des momies tatouées conservées au Musée de l’Ermitage. Quatre d’entre elles proviennent des tombes de nobles nomades de Pazyryk (monts Altaï), 4e-3e siècle av. J.-C. ; une autre momie a été trouvée dans le cimetière d’Oglakhty, dans le bassin de Minusinsk, 3e-4e siècle apr. J.-C.

Les compositions figuratives de Pazyryk constituent une série appartenant à une culture ; elles présentent un ensemble cohérent d’images et ont toutes été réalisées au cours d’une période de moins de cinquante ans. On y retrouve les mêmes images et le même style que ceux représentés sur de nombreux artefacts organiques conservés dans les tombes. Il faut signaler que les tatouages compliqués de la momie d’un chef de Pazyryk a inspiré deux contemporains qui ont reproduit ces images sur leur propre corps.

Les images tatouées de la momie d’Oglakhty semblent étrangères à la culture locale mais on retrouve certaines analogies dans les sites du bassin de Tarim. Si l’on tient compte des observations des ethnographes quant au conservatisme de ces tatouages, qui implique que l’emprunt d’images « de l’extérieur » était impossible, on peut supposer qu’une partie de la population locale était originaire de Xinjiang. Si c’est le cas, les tatouages peuvent être considérés comme un puissant indicateur « génétique » de la culture. Cette question est cruciale mais il semble qu’elle ne soit jamais envisagée pour les tatouages anciens.

Comment la preuve du conservatisme de ces tatouages s’exprime-t-elle dans les données archéologiques ? Existe-il des images que l’on retrouve sur les tatouages et sur d’autres matériaux ? Existe-il des cas ethnographiques où des images étrangères ont été reproduites sur la peau, et dans quelles circonstances ?

11h : Discussion

11h40 : ‘Au ou mesigi ? : la production et la politique des tatouages à la machine (mesigi) chez les Samoans de Nouvelle Zélande par Sean Mallon, Conservateur en chef, Cultures du Pacifique, musée Te Papa Tongarewa de Nouvelle Zélande.

Il est avéré que le tatouage samoan est un phénomène mondial. Celui-ci se caractérise non seulement par ses images mais surtout par sa pratique – la façon dont les images sont réalisées ou reproduites sur la peau. Le ‘au, l’outil qui sert à appliquer le pigment, joue cependant un rôle important dans le sens que l’on donne aux pratiques liées au tatau Samoan. Le ‘au est important pour les tufuga (tatoueurs) qui l’utilisent et les personnes qu’ils tatouent. Il inscrit des images et des symboles sur la peau, mais il est lui aussi imprégné de son propre symbolisme et de son propre sens. Le ‘au joue un rôle dans le marquage de la peau mais aussi dans le marquage de l’authenticité du procédé et de l’expérience du tatouage. La valeur et la signification du tatau ne résident pas uniquement dans le fait que vous le possédez, ou dans la manière où l’endroit où vous le portez, mais aussi dans la façon dont vous l’avez reçu. Cela a des incidences sur un ensemble croissant d’œuvres réalisées par les tatoueurs samoans mais exécutées à l’aide de machines à tatouer (mesigi en samoan).

Sean Mallon va aborder la production et l’aspect politique des tatouages faits à la machine chez le peuple samoan de Nouvelle Zélande. S’appuyant sur des exemples ethnographiques, il va examiner ce que les gens pensent de la technologie de tatouage et de son impact sur la production des tatouages et la politique de l’authenticité, de l’identité et du statut social.

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Sean Mallon est d’origine samoane et irlandaise. Il est conservateur en chef pour le Pacifique au musée Te Papa Tongarewa de Nouvelle Zélande. Il est auteur ou directeur de la rédaction de plusieurs ouvrages, notamment Tatau: Samoan tattoo, New Zealand art, global culture (2010) et Tangata o le Moana: the story of New Zealand and the people of the Pacific (2012). Il a réalisé plusieurs expositions, notamment Paperskin: the art of tapa cloth (2009); Tangata o le Moana (2007), et Voyagers: discovering the Pacific and Tatau/Tattoo (2002).

12h10 : Acte rituel, technologie et efficacité du tatouage traditionnel chez les Igorots du Nord de Luzon aux Philippines, par Analyn Salvador Amores, professeure associée en anthropologie sociale à la Faculté de Sciences Sociale, Université des Philippines Baguio

Quelles sont les dimensions sociales de la technologie du tatouage traditionnel chez les Igorots du Nord de Luzon aux Philippines ? Fondée sur un long travail anthropologique de terrain chez les Igorots, cette étude des différentes pratiques de tatouage traditionnel parmi ces groupes montre que le batok (tatouage traditionnel) ne manifeste pas seulement la signification culturelle et les qualités esthétiques des tatouages mais aussi le type de rituels pratiqués et les tabous observés dans la technologie utilisée pour exécuter les tatouages. La façon dont le tatouage apparaît visuellement sur cette peau de façon permanente dépend aussi de la méthode ou de la technique employée dans la réalisation des dessins ; les différents pigments utilisés pour produire une couleur, noirâtre, verdâtre ou bleuâtre sur les tatouages et témoigner de l’identité d’un groupe ; ainsi que la symétrie et la disposition des tatouages. Plus important encore, cette partie du colloque va porter sur les pratiques sociales et culturelles qui sont associées à la réalisation du batok afin que celui-ci remplisse sa fonction et atteigne son objectif. Analyn Salvador Amores va examiner comment la technologie des tatouages, ainsi que les rituels et les tabous qui y sont associés, contribuent à la production d’un whayyu, tatouages maphod (« beaux ») par opposition aux tatouages lawing (« désagréables »), de tatouages inachevés et non achevés, « minces ou épais », selon les contextes locaux, la norme d’interprétation et le symbolisme des Igorots. Par ailleurs, bien que le tatouage traditionnel fût pratiqué autrefois aux confins des rituels collectifs et territoriaux, la rareté, l’âpreté et la technologie utilisée dans l’exécution de ces tatouages sont considérées plus « authentiques » et les pratiques de tatouage contemporain se les réapproprient aujourd’hui comme une forme de renouveau.Analyn Salvador-Amores est professeure associée en anthropologie sociale à la Faculté des Sciences sociales de l’Université des Philippines Baguio. Elle a obtenu un master (2008) et un doctorat (2011) en Anthropologie sociale et culturelle à l’Université d’Oxford, au Royaume Uni, avec une spécialisation dans l’anthropologie du corps et l’esthétique non occidentale. Elle est l’auteure de Tapping Ink, Tattooing Identities: Tradition and Modernity in Contemporary Kalinga Society (2013) publié par University of the Philippines Press et le Cordillera Studies Center. Cet ouvrage a été cette année lauréat du 33rd National Book Awards aux Philippines.

12h40 : Discussion

Session 2 : AgentivitéModérateur : Jessica De Largy-Healy, chargée de recherche au musée du quai Branly14h30 : Introduction par Jessica De Largy-Healy

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14h40 : Plus loin qu’à fleur de peau. Tatouage, agentivité, technologie et rituel chez les indigènes d’Amérique du Nord par Lars Krutak, PhD, Research Associate, Smithsonian Institution

Depuis la nuit des temps, les peuples indigènes des Grandes Plaines et de la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord ont produit des formes étonnamment diverses de tatouages. Parmi les Sioux Dhegiha de la Prairie (Omaha, Ponca, Kansa et Osage) et les peuples insulaires Haida et Tlingit, cependant, le tatouage n’a jamais été décrit comme une activité artistique car il n’existait pas dans leurs langues de termes pour « art » ou « artiste ». Le rituel de tatouage a plutôt été intégré dans le tissu social de la vie communautaire et entretenu par les chefs religieux et tribaux qui appliquaient des dessins sacrés animés par des êtres primordiaux.

Pour les Sioux Dhegiha, les Haida et les Tlingit, le tatouage était un système social et généalogique sophistiqué. Étant régi par un ensemble culturel de règles, droits et rôles précis, le tatouage servait de canal par lequel prérogatives cérémoniales, pedigrees, obligations et connaissances ésotériques étaient échangés entre groupes, clans, familles et individus. Le tatouage servait également à illustrer et à déclarer les origines des tribus, clans et lignées, car l’application sur la peau de dessins incarnant des esprits à l’aide d’outils sacrés permettait aux communautés et aux individus de remonter dans leur ascendance jusqu’au Créateur et jusqu’aux divers esprits des ancêtres qui étaient à l’origine de toute vie, et dont toute vie dépendait. Vus sous cet angle, les tatouages étaient vivants et littéralement remplis de sens. Comme des symboles magiques gravés dans la chair humaine, les tatouages permettaient aux individus de capter, de condenser puis de retransmettre au monde ce pouvoir surnaturel et « vivifiant » comme une bénédiction.

En s’intéressant à l’agentivité rituelle des tatoueurs, des instruments de tatouage et de l’iconographie sacrée du tatouage, Lars Krutak explore les ontologies indigènes incarnées dans le marquage corporel des Sioux Dhegiha, des Haida et des Tlingit. Il cherche à mettre à jour l’ordre cosmologique transcendant du pouvoir qui était enchâssé dans cette pratique indélébile et illustrée par des peuples indigènes d’Amérique du Nord.

Lars Krutak est un anthropologue culturel, photographe et écrivain qui étudie les traditions rituelles indigènes de modification corporelle depuis presque vingt ans. Il a publié notamment : The Tattooing Arts of Tribal Women (2007); Kalinga Tattoo (2010); Magical Tattoos and Scarification (2012); et Tattoo Traditions of Native North America: Ancient and Contemporary Expressions of Identity (2014).

15h10 : Avoir Duchamp dans la peaupar Jean Da Silva, Paris 1-Sorbonne

Devenu aujourd’hui une pratique de masse, le port de tatouages est sans conteste reconnu comme un fait collectif socialement et culturellement signifiant. De ce point de vue, les tatoués ayant choisi de porter des motifs empruntés à l’univers de l’artiste Marcel Duchamp ont pour vocation d’établir un rapport particulier entre leur culture, leur apparence corporelle et le regard des autres.  C’est la forme même de ce rapport qui sera l’objet de cette présentation, dans une perspective qui met en relation l’intention consciente ou non du sujet tatoué et le type d’attention qu’appelle son exhibition tant privée que délibérément artistique ou plus communément relationnel.

Ce phénomène dépasse le simple rapport entre culture savante et culture vernaculaire bien que ce soit au moment où le tatouage ait été valorisé comme art (Marcia Tucker, Artforum, 1981) et bien après que le tatouage ait été utilisé  par des artiste performeurs (Valie Export,1970) que les premiers tatouages en référence à Marcel Duchamp sont apparus vers 1978. Par ailleurs, et contre toute attente, il apparait que l’utilisation de motifs duchampiens  reconduit des schémas symboliques à l’œuvre dans les rapports genrès.

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Mais du point de vue intentionnaliste, le geste qui consiste à choisir un motif emprunté à l’univers de Duchamp renvoie à sa personne même, le tatoué se faisant artiste à son image. C’est là un trait spécifique à la population déterminée, bien qu’hétérogène, des tatoués duchampiens si on la compare à celle qui a recours à  des motifs issus par exemple des œuvres de Picasso, Magritte, Miro, Pollock où l’emprunt reste essentiellement symbolique et formel avec une vocation ornementale. C’est du moins ce que permet de conclure le mode de relations fondé sur la connivence qu’établit le tatouage duchampien en particulier pour les vedettes de la chanson Lady Gaga et Julien Doré. Par certaines des questions qu’elle aborde cette présentation peut s’inscrire dans l’axe « L’image à l’œuvre » ; mais la méthode utilisée l’inscrit davantage dans l’axe « L’agentivité de l’image tatouée ».

Jean Da Silva est Professeur des universités en arts plastiques et spécialiste de l’art contemporain à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne. Il conduit des recherches sur l’esthétique des arts de soi propre aux apparences et aux comportements sociaux publiques ou intimes, ceci dans une approche esthétique, critique et politique. En 2009, il a publié Du velu au lisse, histoire et esthétique de l’épilation intime aux éditions Complexe. Jean Da Siva a été récemment vice-président du conseil d’administration de l’Université Paris 1, membre du bureau du labex CAP (création arts patrimoine) ComUE HESAM.

15h40 : Discussion

16h15 : Sorathi Rabari Trajwa (Inde)par Effy George, Université de Victoria, Australie

Jusqu’à ces dernières décennies, être une femme dans la région de Saurastra (à l’ouest du Gujarat, Inde) et au-delà, signifiait arborer de nombreux tatouages (trajwa). À première vue on remarque un style général, de nombreux petits tatouages bleu foncé, figuratifs et abstraits, composés de lignes dessinées sur les bras, le cou et les jambes au-dessus du genou. Certains tatouages et leur composition sur le corpos sont toutefois les marqueurs d’identités très particulières, notamment des identités de caste, de communauté et de région, voire de sous-région. Ces identités se retrouvent également dans les styles de vêtements et les bijoux des femmes ; il est en effet courant que les femmes parlent de leurs tatouages comme une forme de bijoux.Dans les années 1990, Effy George a partagé la vie des Sorathi Rabari dans le village d’Ordar et a visité de nombreux villages de la région de Porbandar pour élaborer une ethnographie des Sorathi Rabari, en particulier des arts des femmes Rabari : peinture, tatouages, textiles, chants et histoires. À l’époque la plupart des femmes Rabari étaient tatouées, une poignée seulement de familles riches ou instruites délaissant cette coutume sous l’influence modernisatrice des castes supérieures locales, Brahmanes et Banias (marchands). Effy George n’a observé les trajwa que chez les femmes âgées de ces élites, et parmi les castes agricoles locales, telles que les Mer, qui se sont récemment enrichies et ont eu accès à l’instruction. Au milieu des années 1950, époque où toutes les femmes Mer étaient tatouées, les Mer ont fait l’objet d’une ethnographie qui a apporté un éclairage précieux dans une perspective de comparaison.Pourtant, même chez ceux qui ont abandonné cet usage, les trajwa occupent toujours une place importante dans l’identité imaginaire, ainsi que l’attestent les sculptures contemporaines en calcaire peint représentant des satis (femmes vertueuses). C’est avec une grande fierté que les sculpteurs représentent le costume particulier d’une caste ou région, les trajwa et les caractéristiques physiques ; ils pensent que leurs clients exigent cette précision.La présentation va aborder un bon nombre de ces questions, mais en commençant par le processus de tatouage, qui s’engage vers l’âge de cinq ans, lors des fiançailles, et cesse au mariage. Effy George examinera divers rites de passage, le sens dharmique des trajwa individuels (dharma = devoir sacré envers Dieu et la communauté) et la récente

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usurpation du rôle de tatoueur par les hommes.

Effy George a reçu son doctorat de la Trobe University pour sa thèse « The Sorathiya Rabari : Women’s Instrumentality in the Culture of a Pastoral Caste », basée sur une observation participante de trois années parmi les bergers Rabari du Gujarat, en Inde occidentale. Il s’agit en grande partie d’un travail interdisciplinaire utilisant des outils analytiques empruntés à l’anthropologie sociale, à l’histoire, à l’histoire de l’art, aux études littéraires et aux études sur le genre. Depuis 2006 elle est chargée de cours à la Faculté de Lettres de l’Université de Victoria (Melbourne).

16h45 : Tatouages fertiles. Le tatouage facial féminin chez les Drung et la transition à la féminité (Chine)par Stéphane Gros, CNRS, Centre d’Études Himalayennes

Cette présentation analysera la tradition désormais disparue du tatouage facial féminin Drung (Yunnan, Chine), et montrera comment, à travers cette pratique, le corps et la personne étaient à la fois le sujet et le moyen d’une transformation qui faisait qu’une jeune fille devenait femme. Stéphane gros s’interrogera sur le passage, progressif et quasi-initiatique, institué par le tatouage qui est la marque d’un temps et d’un destin. Que ce soit pendant des jeux préparatoires entre filles, où lors de la réalisation formelle du tatouage facial par une femme expérimentée, le tatouage féminin (les piqûres, les saignements, la douleur) marque et prépare au rythme physiologique en contribuant à instituer la nubilité. Doué d’un pouvoir métamorphique, le tatouage fait advenir. Le tatouage peut être compris comme une construction progressive de la féminité indissociable de l’échange entre femmes d’une fertilité qui est ainsi transmise, ou “révélée” et représentée par le tatouage, et qui constitue, parallèlement aux relations de filiation et d’alliance, une transmission proprement féminine. Cet avènement, incorporation d’une influence mystique de la parenté, est crucial pour pleinement assigner à la femme son destin, son rôle social de perpétuation de la vie.

Stéphane Gros est anthropologue, chargé de recherches au C.N.R.S. (Centre d’études himalayennes). Depuis le milieu des années 1990, il a mené ses recherches essentiellement auprès des Drung du nord-ouest du Yunnan (Chine). Il a publié une monographie intitulée La Part Manquante (Société d’ethnologie, 2012), et plusieurs articles sur les relations interethniques et la classification ethnique, les représentations des minorités, la pauvreté et la catégorisation. Il est le coordinateur (PI) d’un projet pluridisciplinaire sur la bordure sino-tibétaine financé par l’ERC (European Research Council, Starting Grant No. 283870, 2012-2016). Il fut Managing Editor (2011-2014) et est désormais Editor-at-Large pour la revue d’anthropologie en accès libre « Hau: Journal of Ethnographic Theory ».

17h15 : Discussion

Vendredi 13/02/15 - salle de cinémaSession 3 : ÉcologieModérateur : Pierre-Yves Belfils, responsable des publications périodiques au musée du quai Branly

10h : Introduction par Pierre-Yves Belfils 10h10 : Autour de la construction de la valeur : le passage du tatouage à l’art en questionpar Valérie Rolle, Université de Lausanne

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La littérature scientifique a, depuis l’étude pionnière de Clinton Sanders (1989) sur le tatouage contemporain, repris à son compte sans autre forme de procès la grammaire de l’art qui s’est imposée dans le monde du tatouage. De récentes enquêtes prêtent toutefois attention à la désignation artistique des professionnels de l’encrage, même si elles la réduisent à un écart générationnel lié à une forme de professionnalisation du métier. Si la différenciation entre « artiste-tatoueur », « bon tatoueur » et « mauvais tatoueur » renvoie bien à des processus de distinction internes sur un marché devenu hautement concurrentiel, elle varie aussi selon les stades de carrières et les conditions de réalisation de ce qui reste une activité de service basée sur des critères de production et d’évaluation partagés par les tatoueur. De façon générale, le régime de l’excellence prime ainsi sur celui de l’exceptionnalité dans le monde du tatouage et n’autorise guère à parler de subdivisions entre « écoles, périodes ou styles de tatouage ». Il convient, au contraire, d’interroger les éventuels effets, sur les processus de segmentation du métier, de la propulsion de certains tatoueurs – pas n’importe lesquels – dans d’autres sphères que celle du tatouage où, forts de leur succès commercial, d’une réputation souvent internationale dans leur milieu et de certaines dispositions sociales, scolaires et culturelles, ils sont à même de récolter de nouvelles gloires. Il s’agit donc de mettre en question la possibilité et les conditions d’un passage à l’art – et lequel – pour une minorité de tatoueurs en interrogeant également le rôle que jouent des instances extérieures, elles-mêmes aux prises avec des enjeux propres, comme les universités, les musées, les galeries d’art ou encore les médias. Cette démarche offrira, par ailleurs, l’occasion de voir si la notion d’« artification » (Heinich et Shapiro, 2012) renouvelle véritablement les approches déjà existantes sur le sujet.

Valérie Rolle est sociologue, rattachée à l’Université de Lausanne. Elle s’intéresse aux métiers situés aux frontières de l’art, de l’artisanat et des services. Elle a tiré de sa thèse de doctorat l’ouvrage L’art de tatouer. La pratique d’un métier créatif, paru aux Editions de la Maison des sciences de l’homme, et va prochainement publier De l’école à la scène. Entrer dans le métier de comédienne aux Editions Antipodes (à paraître en octobre 2014).

10h40 : Édification de frontières entre les corps et les esprits : étude de l’horimono dans l’espace public par Hayley McLaren, Hitotsubashi University Le processus de tatouage modifie de façon permanente la surface du corps, donnant lieu à une myriade d’interprétations selon le contexte historique et culturel ; nombre de ces interprétations sont fondées sur l’abolition des frontières physiques et symboliques : frontières de la peau transpercée par des aiguilles et définitivement modifiée par le dépôt d’encre ; frontières entre groupes sociaux lorsque les tatouages deviennent les marqueurs de l’inclusion dans un groupe ou de l’exclusion ; frontières conceptualisées entre le tatouage, la personne tatouée et la société. Les travaux universitaires ont généralement parlé de transgression des frontières à propos des grands tatouages japonais, ou horimono. Une histoire des tatouages punitifs et des interdictions des pratiques décoratives, le penchant actuel des yakuzas pour l’horimono, a débouché sur une équation avec la désaffiliation sociale et la formation d’une identité criminelle ; cette conceptualisation est également dominante dans l’opinion publique. Mais ces points de vue ne tiennent pas compte du statut ontologique de l’horimono lui-même. Cette présentation aborde cette question, explore les façons dynamiques dont les individus expérimentent l’horimono dans l’espace public de deux festivals shinto, Sanja Matsuri et Torigoe Matsuri, qui se déroulent chaque année à Shitamachi dans le centre de Tokyo.Ces festivals sont une rare occasion de voir ou de montrer l’horimono en public ; en effet des hommes et des femmes extrêmement tatoués transportent les esprits dans des palanquins à travers les rues, assurant sur leur passage la bénédiction des quartiers. Les

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travaux ethnographiques de terrain (2006-2013) montrent les horimono visibles dans le cadre de ces festivals comme des acteurs dynamiques redistribués. En se penchant sur deux aspects qui contribuent largement à l’interprétation et à l’expérience de l’horimono et du corps tatoué – droit et exposition publique – Hayley McLaren illustre le rôle que jouent les horimonos parmi les nombreux acteurs qui occupent la scène du festival, puis explique comment les actions menées pendant le festival ont un impact sur l’ensemble de la société.

Hayley McLaren est doctorante en Anthropologie sociale à l’Université Hitotsubashi, au Japon. Sa thèse « Entre le statut social et le statut ontologique de l’horimono : étude du tatouage dans le centre de Tokyo » est une exploration ethnographique des pratiques du tatouage dans le quartier d’Asakusa de Tokyo. Un aspect de ce projet de recherche s’intéresse aux « expériences vécues » de l’horimono, les manières très diverses dont ceux qui arborent les horimono, et les horishi, tatoueurs japonais, ainsi que d’autres acteurs de l’espace public, vivent l’expérience des horimono et des corps tatoués comme des agents sociaux dynamiques. Hayley est titulaire d’une Licence (avec mention) en Études japonaises de l’Université de Queensland en Australie, et d’un Master en Anthropologie de l’Université Hitotsubashi au Japon.

11h10 : Discussion

11h50 : Connexion par la scarification des corps : culture de la scarification chez les chasseurs-cueilleurs Baka du Sud-Est du Cameroun par Yujie Peng, Université  de Kyoto

Les Baka sont l’un des groupes de chasseurs-cueilleurs pygmées vivant dans la forêt tropicale d’Afrique centrale. On a observé chez eux de nombreuses cicatrices, telles que tatouages et marques qui ont uniquement une fonction décorative, comme l’expliquent les Baka eux-mêmes, ou des cicatrices résultant de traitements médicaux traditionnels ou de blessures accidentelles. Cette présentation va expliquer la signification de ces trois sortes de cicatrices à travers l’analyse de leurs pratiques de scarification.Chaque Baka, même les enfants, possède de nombreuses cicatrices résultant de blessures accidentelles reçues en particulier pendant leurs séjours en forêt. Les études montrent qu’ils peuvent se blesser en 2-3 jours pendant les séjours dans les camps installés dans la forêt tropicale. Ils ont recours à des remèdes traditionnels, le « ma » en langue baka, pour guérir les maladies ou se protéger des maladies ou des dangers. Ils croient que certains « ma » peuvent les aider à trouver des animaux, de l’igname sauvage ou des fruits, ou à réaliser leurs vœux. Une utilisation populaire des « ma » en guise de traitement est la saignée qui peut laisser des cicatrices sur la peau. Par ailleurs, le tatouage, ou « tele » en langue baka, est un moyen de décorer les corps. Mais sa pratique et sa transmission ne sont pas imposés : la participation et l’apprentissage se font spontanément. De plus, les femmes baka manifestent davantage d’intérêt pour le « ma » et le « tele » ; elles aiment les partager avec leurs pairs. On considère que cette disparité entre les sexes vient de la différence dans les rôles qu’elles occupent dans la société baka. Le fait que les Baka partagent le « ma » et le « tele » laisse supposer qu’elles réclament la synchronisation de leur corps, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les tatouages des Baka, en particulier des femmes baka, pourraient nous renseigner sur leur cercle de vie intime et pourraient traduire leur angoisse de l’instabilité.

Yujie Peng est doctorante à l’École supérieure des Études asiatiques et africaines de l’université de Kyoto. Elle est spécialisée dans la scarification et la décoration corporelle des chasseurs-cueilleurs baka, et mène depuis 2010 ses recherches de terrain au Sud-Est du Cameroun, où elle a séjourné pendant 15 mois environ. Elle a expliqué la transmission des décorations corporelles des Baka.

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12h20 : Tatouage et modernité chez les Indiens de la côte Nord-Ouest des par Quentin Ehrmann Curat, EHESS

Pratique ancienne parmi certains peuples de la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord, le tatouage symbolisait l’appartenance à un clan ou à une confrérie de danse. Leur esthétique particulière les rattachait en grande partie au style du dessin de la côte nord-ouest, fait d’ovoïdes et de lignes de forme à l’épaisseur variable. Anthropologues et photographes en ont documenté la pratique et l’iconographie à la fin du 19e siècle (en particulier parmi les Haida des Îles de la Reine Charlotte), peu avant que celle-ci ne tombe en désuétude : sous l’influence de la christianisation et de la colonisation, les structures sociales que représentaient ces motifs périclitèrent, emportant avec elles les raisons d’afficher de tels dessins d’ours, de corbeau, de grenouille, etc., sur le torse ou les avant-bras.On assiste depuis une vingtaine d’années à un développement des motifs « côte nord-ouest » dans les tatouages des peuples côtiers, qu’ils eussent comme les Haida possédé une tradition de tatouage, ou qu’ils l’adoptent, à l’image des Kwakwa ̱ka̱’wakw (Kwakiutl) du nord de l’Île de Vancouver. Cette résurgence fait écho au réinvestissement des cérémonies traditionnelles (le « potlatch »), et à l’importance renouvelée des structures familiales, sociales et rituelles. Les modèles sont généralement commandés à des artistes tribaux maîtrisant les codes du dessin de la côte nord-ouest, puis réalisés par des tatoueurs professionnels à Vancouver ou Victoria.Cette présentation propose un éclaircissement sur la pratique du tatouage parmi les Haida de la fin du 19e siècle et de montrer les traits communs (style, symbole, artiste) et différences avec les pratiques de tatouage dans le style « côte nord-ouest » des Haida et des Kwakwa ̱ka̱’wakw de ce début du 21e siècle.

Quentin Ehrmann Curat est Doctorant en anthropologie à l’EHESS sous la direction de Marie Mauzé (Laboratoire d’Anthropologie Sociale). Il s’intéresse aux cultures matérielles et aux cérémonies des peuples de la côte nord-ouest du Canada depuis quinze ans et écrit dans le cadre de sa thèse une histoire et une ethnographie de la sculpture et des sculpteurs Kwakwa ̱ka̱’wakw, mettant en avant la continuité des cérémonies du potlatch et des pratiques de la sculpture du bois à travers tout le 20e siècle.

12h50 : Discussion

Session 4 : ArtModérateur : Luc Renaut, Université de Grenoble

14h40 : Introduction par Luc Renaut

14h50 : Ornement et fonctionpar Jane Caplan, professeure émérite, Université d’Oxford

Le point de vue des recherches de Jane Caplan sur le tatouage est essentiellement historique. Elle propose dans cette présentation d’examiner comment les historiens culturels et les philosophes de l’esthétique anglais et allemands/autrichiens du 19e siècle ont éclairé les débats sur la fonction et le rapport des arts décoratifs, arts populaires et le

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corps en tant que moyen et support de communication – débats dans lesquels le tatouage avait une certaine importance. Le plus célèbre d’entre eux était Adolf Loos, dont l’essai « Ornement et crime » (1910) est une polémique très excessive contre le tatouage : comme chacun sait, cet essai s’est inspiré de l’utilisation conventionnelle du tatouage, qu’il a renforcée, comme indice de barbarie, ainsi que l’indique l’appel à communications. Même si, comme l’appel à communications l’affirme aussi, cette association a été supplantée dans l’esthétique sociale contemporaine, Jane Caplan soutient que ce changement d’optique rend utile de revisiter les textes classiques sur l’ornementation et la décoration rédigés entre les années 1850 et 1920 par des auteurs tels que Owen Jones, Gottfried Semper, Alois Riegl, W. R. Lethaby, Georg Simmel et Siegfried Kracauer – pour apporter une certaine profondeur historique aux débats actuels sur l’esthétique du tatouage.  

Il peut également être utile, pour reprendre les idées de Mark Anderson dans Kafka’s Clothes (1992) et l’étude révolutionnaire d’Ulrike Landfester Stichworte (2012), d’intégrer l’invocation du tatouage dans ces textes sur les origines et la fonction de la décoration dans le débat contemporain sur les origines de l’écriture, notamment les travaux de l’historien allemand Heinrich Wuttke. Ces débats sur la décoration et l’écriture portent en partie sur les questions des origines et des surfaces. L’introduction de cette thématique pourrait contribuer à engager un débat plus large sur le statut de ces mêmes questions dans la conception des tatouages contemporains.

Jane Caplan est professeure émérite au St Antony’s College de l’Université d’Oxford, professeure invitée à Birkbeck, Université de Londres, et Emeritus Marjorie Walter Goodhart Professor d’histoire européenne au Bryn Mawr College. Elle a publié de nombreux articles sur l’histoire du tatouage à l’Ouest, notamment en tant que directrice de la rédaction de Written on the Body. The Tattoo in European and American History (London/Princeton 2000), et en tant qu’auteur de nombreux essais.

15h20 : « Au mieux, mignon et insignifiant ; au pire, vulgaire et stupide » : la culture du tatouage et de l’estampe à Londres à la fin de l’époque victorienne par Matt Lodder, Université d’Essex

De récentes découvertes dans les archives de photographies de grands tatouages du tatoueur de la fin de l’époque victorienne et de l’époque édouardienne Sutherland MacDonald, le premier tatoueur professionnel de renom en Grande-Bretagne et certainement le premier propriétaire d’un salon de tatouage à Londres, révèlent l’intérêt que des artistes populaires portent à son iconographie à travers des estampes et reproductions de l’époque, notamment le peintre du Salon des Artistes français William Bouguereau (dont le Cupide et Psyché (1899) a été entièrement reproduit sur un dos par MacDonald vers 1907), le peintre orientaliste mineur Luis Falero (populaire dans les estampes mais décrié par les critiques, comme l’indique la citation du titre de cet article), et l’éminent artiste ornithologique Archibald Thorburn (dont le galeriste possédait des locaux attenants au studio de Macdonald sur Jermyn Street).Les reproductions de Macdonald sont fidèles ou contradictoires, ou entre les deux – dans un motif pour le dos il remplace un lièvre pris dans les griffes des faucons de Thorburn par un cerf bizarrement disproportionné – mais dans chaque cas il est clair qu’autant lui-même que ses clients ont du respect pour un ensemble de traditions artistiques qui ont été dévalorisées par les critiques et les historiens de l’art lorsqu’ils étaient au faîte de leur popularité, et le sont toujours. Cette présentation va expliquer que les liens entre le tatouage et la peinture populaire révèlent des rapports plus riches et plus profonds que ces images si souvent rejetées comme étant kitsch ou, comme l’affirme un critique de Bouguereau, « flasques et molles ». D’une manière plus générale, Matt Lodder va également expliquer que la compréhension de la circulation et de la consommation de certaines estampes populaires à la fin du 19e et au début du 20e siècle fournit un modèle

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pour comprendre la naissance du tatouage comme pratique artistique professionnelle au Royaume Uni – en essence, les images sélectionnées comme motifs de tatouage par les meilleurs clients des premiers tatoueurs londoniens traduisent l’élan social, culturel, économique et esthétique qui sous-tend l’établissement de salons de tatouage permanent et la création de l’industrie du tatouage qui a suivi.

Matt Lodder est historien de l’art à l’Université d'Essex. Ses recherches portent sur l’histoire du tatouage en Grande-Bretagne en tant que pratique artistique professionnelle, et l’application des méthodes théoriques et historiographiques de l’histoire de l’art à l’étude du tatouage de façon plus générale. Il a donné des conférences dans le monde entier, notamment dans les musées V&A, Pitt Rivers et Horniman ; à New York, Berlin et Toronto. Son premier ouvrage, Tattoo: An Art History, sera publié en 2015.

15h50 : Discussion

16h30 : L'appréhension juridique de l’œuvre d'artpar Alexis Fourniol, Université Paris 1 L’intitulé de l’exposition « Tatoueurs, Tatoués » dénote une relation intime entre ces différents acteurs, relation emportant une création et une transformation, toutes deux ayant vocation à être exposées. Or, avant cette rencontre se joue la qualification juridique de l’activité du tatoueur. Si celle-ci est consacrée par le droit de la propriété intellectuelle, en ce qu’elle engendre une œuvre de l’esprit, sous condition d’originalité, elle s’avère, en revanche, minorée par le droit fiscal. La jurisprudence administrative refuse de manière constant d’appliquer le taux de TVA réduit, prévu pour les réalisations artistiques, aux tatoueurs. Au-delà, l’apposition d’un tatouage sur le corps d’autrui, ou sur son propre corps, impose de confronter la liberté de création à l’ordre public, notamment à travers les notions de dignité de la personne humaine et du respect dû au corps. L’utilisation du corps comme support de création entraînant corrélativement sa réification, une tension juridique s’opère. Dernier temps conflictuel, la circulation du tatouage, sur son support originaire ou dérivé, impose de s’intéresser aux photographies réalisées et à l’exposition du corps. Certaines pratiques artistiques contemporaines sur son propre corps, à l’instar d’ORLAN, ou sur le corps d’autrui, à l’image de la relation contractualisée entre Wim Delvoye et Tim Steiner, illustrent ce changement de perspective ; le corps est désormais appréhendé comme un matériau de création. A cet égard, l’apposition d’une œuvre d’art sur le corps d’autrui entraîne une paralysie des prérogatives juridiques accordées à l’artiste. La modification ou la suppression du tatouage ne pourra porter préjudice à l’artiste. En revanche, l’exposition dérivée de l’œuvre par le recours à la photographie ou à la vidéo demeure soumise au respect des droits, tant moraux que patrimoniaux, de l’artiste. De cette relation naît un constat : le corps n’est nullement un support juridiquement neutre.

Alexis Fourniol est Doctorant à l’Université Paris 1. Ses thèmes de recherche portent essentiellement sur l'appréhension juridique de l’œuvre d'art afin d'en proposer une vision unitaire, convoquant ainsi les différentes branches du droit, et d'en déterminer les attributs. Il ’exerce en parallèle une activité d'Avocat et collabore régulièrement au Journal des Arts, afin de couvrir l'actualité juridique, tant nationale qu'internationale, liée à l'art et à son marché.

17h : Criminalité inconsciente ou art légitime ? : l’éthique du tatouage dans l’art performance contemporain par Anna Felicity Friedman, Université de Chicago

Alors que le tatouage continue à consolider la passerelle qui relie le monde des beaux-arts à celui des arts populaires, et que les tatoueurs tels que Spider Webb avaient commencé à édifier dans les années 1970, cette pratique apparaît de plus en plus

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comme un élément fondamental de l’art performance contemporain. Les praticiens du tatouage peuvent être des artistes en vue, comme Wafaa Bilal dans son œuvre provocatrice de 2010 … and Counting, ou des artistes émergents, comme Kat Chamberlin et l’œuvre qu’elle a commencée à créer en 2011, Mnemonic. Certains de ces artistes, Bilal notamment, font appel à des tatoueurs professionnels comme co-auteurs. D’autres, comme Chamberlin, deviennent tatoueurs, ajoutant ainsi ce savoir-faire à leur palette de compétences artistiques.La partie la plus controversée de cette nouvelle tendance concerne les tatoueurs qui n’ont « aucune formation » et se tatouent les uns les autres, et tatouent même des personnes du public. Bien que Chamberlin ait reçu une formation sur les agents pathogènes transmissibles par le sang, ce n’est pas le cas de la plupart des autres artistes qui se posent en tatoueurs. D’importantes questions éthiques se posent lorsque l’on considère le risque de transmission de maladies graves (hépatite, septicémie et SARM en particulier) par des personnes qui n’ont pas été formées à la prévention de ces risques.Cette présentation va étudier l’éthique de l’utilisation du tatouage parmi les artistes de la performance. Quand est-ce qu’un risque de maladie est acceptable ? Quand est-ce que le besoin de tatouer une image en direct passe avant les protocoles de sécurité ? Quelles précautions peut-on prendre sans porter atteinte à l’intégrité artistique ou à la position conceptuelle que le tatouage est un art qui doit être accessible à tous ?

Les tatouages non stériles – avec un consentement éclairé quant aux conséquences – peuvent être une véritable prise de position artistique. Cependant, le fait d’exposer à des maladies potentielles des personnes crédules peut être considéré comme un comportement imprudent, voire criminel, et expose les salles qui reçoivent ces performances et ces artistes à des poursuites éventuelles. Le Dr Friedman va accompagner son analyse d’anecdotes et de documents tirés de ses observations lors de récentes performances de tatouage en direct, y compris celle où elle a participé en tant que « toile ».

Anna Felicity Friedman étudie l’histoire et la culture du tatouage depuis plus de 20 ans. Dans sa thèse de doctorat à l’Université de Chicago elle a fait des recherches sur les « “Tattooed Transculturites » -expatriés de culture européenne qui ont intégré des sociétés non occidentales. Ses nombreux cours autour de l’art corporel à la School of the Art Institute de Chicago ont analysé les tatouages anciens et contemporains dans une perspective interdisciplinaire. Elle est actuellement directrice de la rédaction et auteure collaboratrice du prochain World Atlas of Tattoo (Thames & Hudson/Yale University Press, automne 2015).

17h30 : Tatouage, identité artistiquepar Anne & Julien, (HEY! modern art & pop culture), commissaires de l'exposition Tatoueurs, Tatoués.

Anne & Julien sont les créateurs et rédacteurs en chef de la revue d’art trimestrielle HEY! modern art & pop culture (Editions Ankama / 619). En tant qu’auteurs et journalistes spécialisés dans les cultures alternatives depuis 25 ans, ils ont sorti plusieurs livres et tourné des documentaires autour de la musique et de la bande dessinée. Ils ont publié Les Monde Promis aux Éditions Rackham ainsi que l’ouvrage HEY! Tattoo (Éditions 619 / Ankama – collection Beaux Livres, 2014). Ils sont également commissaires d’exposition (Musée de la Monnaie de Paris, Halle Saint Pierre, musée du quai Branly), et artistes au sein de la troupe qu’ils ont fondée HEY! La CIE, avec laquelle ils transposent sur scène l’univers étrange et fantastique de HEY!

18h : Discussion générale, animée par les membres du comité scientifique :

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Frédéric Keck, Jessica De Largy-Healy, Luc Renaut, Sébastien Galliot, Pierre-Yves Belfils.

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Exposition TATOUEURS, TATOUÉS06/05/14 – 18/10/15Mezzanine OuestCommissaires : Anne & Julien Fondateurs de la revue HEY ! modern art & pop culture, performers, journalistes, auteurs, réalisateursConsultant artistique : Tin-Tin, artiste tatoueurConseillers scientifiques : Sébastien Galliot, anthropologue et Pascal Bagot, spécialiste du tatouage pour le Japon

TATOUEURS, TATOUÉS explore l’univers du tatouage et propose une approche inédite de cette pratique ancestrale en rassemblant 300 œuvres historiques et contemporaines provenant du monde entier. Pour la première fois, une exposition met en perspective la dimension artistique du tatouage, son histoire depuis les premiers témoignages de son existence, au travers de toutes les cultures. Le musée du quai Branly fait écho à l’intérêt grandissant porté à cet art – à la fois « objet » de fascination et marquage identitaire – dans nos sociétés contemporaines.Si le tatouage est riche d’une histoire à la fois technique et esthétique, déjà très largement étudiée et représentée, les tatoueurs et tatoués en sont les porte-paroles au quotidien. Pour la première fois, le propos d’une grande exposition est consacré au tatouage en tant que geste artistique, et rend hommage aux pionniers contemporains, ces artistes qui ont fait évoluer l’art du tatouage mais dont le rôle n’a jamais été mis en valeur. Anne & Julien, commissaires de l’exposition, ont su réunir pour l’occasion, via un important réseau, les œuvres des plus importants tatoueurs.Créés spécifiquement pour l’exposition, 13 « volumes » - prototypes reproduisant de manière hyperréaliste des parties de corps humain - sont façonnés dans un matériau expérimental et tatoués par des maîtres de l’art du tatouage parmi lesquels Tin-Tin (artiste tatoueur français), Horiyoshi III (artiste tatoueur japonais), Filip Leu (artiste tatoueur suisse), Jack Rudy (artiste tatoueur américain), Xed LeHead (artiste tatoueur anglais), Chimé (artiste tatoueur polynésien). Sont également présentés 19 projets de tatouages peints sur des kakémonos par des tatoueurs qui exercent dans le respect de leur art, en faisant preuve d'une inspiration résolument moderne et d’une volonté de mettre en valeur dans leurs travaux une réelle singularité. Les volumes et les projets de tatouage jalonnent le parcours de l’exposition, fil conducteur contemporain qui révèle les réseaux d’influence du tatouage dans toutes les parties du monde.

Cette exposition est organisée par le musée du quai Branly, Paris, en partenariat avec le Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, et en collaboration avec le Metropolitan Museum of Art, New York.

Espace tactile de l’exposition réalisé grâce à la technologie et au mécénat de

* INFORMATIONS PRATIQUES : WWW.QUAIBRANLY.FRContact presse :Pierre LAPORTE Communication - tél : 33 (0)1 45 23 14 14 - [email protected]

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Contacts musée du quai Branly :Nathalie MERCIERDirectrice de la [email protected]

Magalie VERNETAdjointe de la directrice de laCommunication, Responsable des relations mé[email protected]

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