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Phèdre

Introduction

Racine est considéré comme le plus grand auteur de tragédies de la période classique sous Louis XIV. Pour cette œuvre, publiée en 1677, et certainement sa plus célèbre, il s’est inspiré d’une tragédie du grec Euripide, Hyppolyte, et d’une autre du latin Sénèque, Phèdre.Cet extrait est la scène où Phèdre avoue son amour secret pour Hyppolyte à sa nourrice Œnone. La scène d’aveu est un véritable topos pour les dramaturges, depuis l’Antiquité. Ici, elle est située au début de la pièce, elle enclenche l’intrigue jusqu’au dénouement : l’amour révélé de Phèdre conduira à sa mort et à celle d’Hyppolyte. L’aveu suppose la présence de deux personnages sur scène. Dans la tragédie classique, le rôle du confident ou de la confidente a été créé pour éviter la trop grande monotonie scénique du monologue.

En premier lieu nous étudierons la stratégie d’Œnone pour arracher l’aveu, puis nous étudierons la mise en place d’un aveu indirect.

I. Un aveu arrachéa) Les stratégies successives d’Œnone pour pousser Phèdre à avouer

On est au début de la pièce, Phèdre est la seule qui détient la vérité, le spectateur n’en sait pas plus que les autres personnages.Malentendu entre elle et Œnone, qui pense qu’elle a commis un crime. Dans sa 1ère réplique, elle dément, et donne un premier indice. Elle parle d’un conflit entre ses mains et son cœur. C’est une synecdoque qui fragmente son corps ; elle ne se considère plus dans la totalité de son être. Cela indique sa névrose.Suite :_ Œnone : « mains » (vers 3)_ Phèdre : « mains » (l. 4), « cœur » (vers 5)_ Œnone : « cœur » (vers 7)Jeu sur la polysémie de « cœur » : au XVIIème siècle, le cœur est le siège symbolique des sentiments, de l’amour, mais aussi du courage et de la pensée.

Phèdre ne détrompe pas Œnone mais interrompt l’échange (vers 8-9). Cette dernière va la manipuler en évoquant sa mort éventuelle (vers 13), l’amour maternel qu’elle lui a porté, son rôle de nourrice (vers 17), son dévouement (vers 18). Elle met en relief l’ingratitude de Phèdre en opposant sa fidélité à toute épreuve à la suspicion, la cruauté de sa maîtresse (« Cruelle » au vers 16). → tonalité pathétique, notamment au vers 23Cela échoue, elle se rabat sur une prière solennelle : vers 26 à 28 (« au nom des pleurs », « Par vos faibles genoux », « Délivrez mon esprit »). Cette stratégie est payante puisque Phèdre parlera.

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Tout le long, Œnone va poser des questions à sa maîtresse.

Elle comprend qu’il est question d’amour lorsque Phèdre évoque Vénus au vers 40. Alors elle prend conscience que ce n’est pas l’amour qui est condamnable, mais la personne aimée.Œnone : « Aimez-vous ? » 3 pieds

« Pour qui ? » 2 pieds      montre sa peur d’entendre la vérité« Qui ? » 1 pied

Son souffle diminue, sa voix s’éteint.

b) L’aveu douloureux d’un amour criminel

L’aveu est la révélation douloureuse d’un secret aux lourdes conséquences. Ici, sa gravité et mis en avant par les champs lexicaux- du crime : « crime » (vers 2, 24), « trempé dans le sang » (vers 3), « criminelles » (vers 4), « coupable » (vers 25)- de l’horreur : « affreux » (vers 6), « épouvanté » (vers 7), « Tu frémiras d’horreur » (vers 21), « horreur » (vers 23), « frayeurs » (vers 31), « le comble des horreurs » (vers 43), « je tremble, je frissonne » (vers 44), « Tout mon sang dans mes veines se glace. » (vers 49).La mort des protagonistes Phèdre et Hyppolyte est annoncée ici avec le champ lexical de la mort omniprésent, notamment grâce au verbe « mourir » employé par les deux personnages de très nombreuses fois : « Je meurs » (vers 9), « Mourez » (vers 10), « les morts » (vers 13), « j’en mourrai » (vers 25), « Vous mourûtes » (vers 37), « mortel » (vers 38), « Je péris » (vers 41).

II. La mise en place d’un aveu indirecta) Une stratégie de contournement

A partir du vers 30, Phèdre prend le dessus, et se sert d’Œnone pour formuler son aveu : elle reste évasive, ce qui la pousse à poser des questions. C’est une stratégie de contournement ; elle ne peut proférer le nom d’Hyppolyte.

La frontière entre le dialogue et le monologue est mince car Phèdre n’est concentrée que sur elle-même, il n’y a pas toujours de réel échange.

Elle demande à sa nourrice de se relever (vers 29) → c’est un instant solennel.vers 29 : césure, avec un hémistiche pour chacune des femmes → rupture du rythme qui souligne l’attention de l’instant. 

Elle condamne son crime avant de l’avoir formulé (« mon crime » au vers 24) mais se présente aussi en victime (« le sort qui m’accable »). La césure montre bien ces deux sentiments partagés, avec un hémistiche pour chacun.

vers 36 : Phèdre parle à sa sœur, Œnone est exclue de l’échange.Mais cette dernière finit par comprendre ce dont il est question, ce qui réintroduit un réel 

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échange : vers déstructurés (42, 43, 45). Ils soulignent l’importance du moment et retiennent l’attention du spectateur.

Phèdre exclue son interlocutrice du dialogue et suscite sa curiosité en restant évasive ; elle évoque les dieux et une certaine fatalité qui s’abat sur son sort.

b) Le poids de la fatalité

Phèdre évoque constamment les dieux : « Grâces au ciel » (vers 5), « Plût aux dieux » (vers 6) et finit même par les apostropher : « Ciel ! » (vers 30), « Ô haine de Vénus ! Ô fatale colère ! » (vers 32). vers 32-33 : interjections exclamatives pour évoquer son passé : les crimes de sa mère et la malédiction de sa famille (minotaure…).vers 24 : « crime » → amour criminel, voire monstrueux, comme celui de sa mère avec le taureau. C’est un amour contre-nature.Elle évoque ensuite sa sœur Ariane aux vers 36-37. La rime « blessée/laissée » marque l’impossibilité de cet amour, qui se rapporte au sien par le biais de la malédiction.Phèdre est donc une victime qui ne peut que mourir puisque le destin (Vénus) a condamné les deux sœurs et leur mère : vers 25 → registre tragique.vers 40 : conjonction « puisque » → Phèdre se déresponsabilise ; elle est victime de Vénus.

Cette exclusion d’Œnone du dialogue est en fait une stratégie de Phèdre pour que sa confidente soit d’autant plus avide de découvrir la vérité, et de lui poser des questions… Elle va même parvenir à lui faire prononcer le nom, en utilisant une périphrase pour désigner Hyppolyte : « ce fils de l’Amazone » (vers 47).Après cet extrait, Phèdre a une longue tirade, elle sera délivrée et parlera librement.

Conclusion

L’aveu est une profération à qqun, qui pousse à avouer. Il est en général douloureux, et secret. Ici, c’est un processus long : Phèdre se dérobe jusqu’à ne plus pouvoir se cacher.C’est celle qui pose les questions au départ qui est amenée à proférer l’aveu. Cela montre bien qu’un aveu a besoin d’une tierce personne pour être proféré.Phèdre fausse les règles du dialogue : elle se sert des sentiments d’Œnone, esquive ses questions et la pousse à en poser, pour guider sa pensée, lui faire dire ce qu’elle-même ne peut pas dire.L’objet de cet aveu est l’amour, mais les confidences de Phèdre ne sont pas lyriques pour autant. Elles engagent son destin tragique, et suscitent crainte et pitié chez le spectateur.Cette scène constitue le nœud de l’intrigue dans la pièce. Le spectateur apprend l’amour secret de Phèdre pour son beau-fils, amour criminel qui mènera à leurs morts.