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1 XXVI ° Dimanche du Temps Ordinaire (B) Sen croire digne ? Jugement dernier ou les âmes du Purgatoire Amaro do VALE ? (mort en 1619) Peinture sur panneaux de bois, début XVII° siècle 235 x 210 cm Église SaintLouis des Français (Lisbonne – Portugal)

XXVI Dimanche du Temps&Ordinaire (B) · Dans la partie haute de l’œuvre, le Christ est entouré du tribunal divin composé des douze apôtres et de deux avocats particuliers :

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XXVI°  Dimanche  du  Temps  Ordinaire  (B)  S’en  croire  digne  ?  

 Jugement  dernier  ou  les  âmes  du  Purgatoire  

Amaro  do  VALE  ?  (mort  en  1619)  Peinture  sur  panneaux  de  bois,  début  XVII°  siècle  

235  x  210  cm  Église  Saint-­‐Louis  des  Français  (Lisbonne  –  Portugal)  

     

           

   

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Évangile  de  Jésus  Christ  selon  saint  Marc   9,38-­‐43.45.47-­‐48.    En ce temps-là, Jean, l’un des Douze, disait à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. » Jésus répondit : « Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous. Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense. Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer. Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas. Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux pieds. Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas. »

Commentaire  

Les  auteurs  

Il m’est encore difficile de faire une attribution précise à cette œuvre. Les recherches laissent à penser qu’on peut l’attribuer au célèbre peintre Domingos VIEIRA SERRA ̃O avec la collaboration de Sima ̃o RODRIGUES (vers 1620), comme les deux autres tableaux du même mur représentant Notre-Dame de Bon Port. Ces deux peintres lisboètes furent les représentants du contre-maniérisme portugais. C’est pourquoi j’aimerais proposer une autre attribution pour celui-ci : Amaro DO VALE, mort en 1619. En effet, ce peintre fut un des maîtres du courant maniériste (et le déhanché des différents personnages permet de rapprocher cette œuvre de ce courant stylistique) et avait l’habitude de travailler sur panneaux de bois. Il fut, en effet, un des peintres du plafond de l’église Saint-Roch (les médaillons) située à quelques centaines de mètres. Couleurs, anges, nuages, disposition générale montrent de troublantes similitudes. Mais comme toute attribution… elle est sujette à caution !

Ce  que  l’on  voit  

Plutôt qu’un véritable « Jugement dernier » où le Christ sépare les brebis des boucs (Mt 25), on devrait ici parler de l’appel des âmes, et particulièrement des âmes du Purgatoire. Mais le sujet est plus difficile à interpréter qu’il n’y paraît.

Dans la partie haute de l’œuvre, le Christ est entouré du tribunal divin composé des douze apôtres et de deux avocats particuliers : la Vierge Marie à gauche et saint Jean le Baptiste à droite. Jésus, assis sur un nuage avec un déhanché proprement maniériste, est demi-nu, le grand manteau rouge le couvrant est emporté par un souffle. On distingue ses plaies aux mains et aux pieds. Sa main droite est tournée vers le ciel, sa main gauche vers la terre. Derrière lui, une belle lumière jaune nous rappelle qu’il est le Ressuscité, comme s’il sortait de la tombe au matin de Pâques.

Marie, ainsi que les apôtres qui siègent à ses côtés, semblent inquiets, soucieux. La Vierge paraît même se tordre les mains, comme prise par une douleur. Sa main droite, tenue au poignet par l’autre main, nous montre trois doigts, comme pour rappeler à son Fils qu’elle regarde, qu’il fait partie de la Trinité. Le grand manteau qui la couvre n’est pas du bleu habituel (signe de sa pureté) mais d’un vert profond, signe de miséricorde. Elle est l’avocate par excellence qui intercède auprès de son Fils pour toutes les âmes qui font appel à sa médiation.

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De l’autre côté, les apôtres sont assis à la suite de Jean-Baptiste. Ils discutent entre eux, du jugement peut-être. Le Baptiste, couvert d’un manteau rouge et tenant en main son bâton pastoral nous regarde et désigne « l’Agneau de Dieu » de la main droite. Il semble plus apaisé que Marie.

Sous ce tribunal divin, siégeant sur les nuages, on trouve l’archange Michel, lui-même debout sur un nuage flottant au-dessus du feu de l’enfer. Il a la tête dans le ciel, mais les pieds plantés en enfer, comme pour la Croix de Jésus (cf. Urs VON BALTHAZAR). Michel est habillé tel un chevalier, pour ne pas dire un roi : le heaume est surmonté d’un panache blanc, sa chlamyde vole au vent, juste retenu par ses deux grandes ailes blanches et son déhanchement met en valeur son armure grise. De sa main droite, il tient une lance, celle qui va terrasser le diable, et de la gauche il tient son bouclier, posé au sol, et frappé des armes des Bourbons : les trois fleurs de lis. Michel veut dire en hébreu : qui est comme Dieu ? Et c’est ici le cas : l’archange, comme Dieu (le Christ) a le même déhanché et la même position des bras. Il est l’archange psychopompe (celui qui pèse les âmes) et le fait au nom du Christ, car il est comme le Christ. Il nous regarde, les yeux fixes, comme pour nous avertir que ce Jugement nous concerne nous aussi…

Au bout de chacune de ses ailes, deux anges, tournées vers lui, leur chef, semblent aussi intercéder pour les âmes. Celui de gauche paraît inquiet, presque désespéré. Ceux pour qui ils implorent sont-ils condamnés ? Ses mains désignent les âmes à ses pieds, comme une dernière grâce demandée pour eux à l’archange. Celui de droite est plus souriant. Il regarde les âmes sous lui, elles doivent être sauvées. D’autant plus que les mains de l’ange sont comme une invitation à sortir de ce feu et à rejoindre le ciel. Il les rassure.

Une des premières remarques que l’on peut se faire en regardant ce tableau est que la position traditionnel du Jugement dernier est inversée : les damnés sont souvent à gauche du Christ, reprenant le verset de Matthieu 25 : « à gauche les maudits de mon Père ». Ici, ils ne sont pas à la gauche du Christ, mais à la nôtre.

En effet, aux pieds de l’archange, une foule d’hommes et de femmes est entourée de flammes rouges et jaunes. Leurs attitudes sont diverses mais l’on voit qu’aucun n’est indifférent au drame qui est en train de se jouer : ils en sont les premiers acteurs. Beaucoup sont en imploration : mains ouvertes ou jointes, comme en prière. Leurs regards sont tournés vers le Tribunal divin, hormis deux personnages, dont un au premier plan, qui prend une attitude humble, comme pour se plier à la décision, sans faire appel, hormis de sa prière. Ils sont tous nus, et aucun signe distinctif ne permet de connaître leur position sociale.

Deuxième chose à noter, et rare ici, aucun diablotin ne vient emmener les âmes vers une gueule béante. Les flammes sont bien présentes, mais pas les personnages habituels du Malin. Faut-il y voir une scène inaugurant le Jugement, rien n’est encore fait ni décidé ? Ou, comme pour le Jugement Dernier de Beaune (Rogier VAN DER WEYDEN), l’idée que le diable est en nous : c’est nous-même qui nous entraînons en Enfer, qui nous condamnons par nos actes ? Ou une simple représentation du purgatoire : le lieu où l’on se purge de ses péchés non pardonnés, ou pour lesquels nous n’avons pas fait pénitence. Et qu’est-ce qui purifie mieux que le feu ?

Sera-­‐t-­‐on  jugé  ?  

Car c’est là la vraie question. Une question que l’on aborde peu dans l’Église. Peut-être parce que l’on a trop abordée, parce qu’on en a trop parlé, parce qu’on a trop fait peur aux gens ? Et comme pour un balancier, un coup à droite, un coup à gauche, nous sommes passés de la théorie du Jugement implacable, de la peur du péché, à une miséricorde infinie qui ferait que tous seront sauvés et que le péché n’existe quasiment plus, du moins chez moi, pas chez les autres…

Pourtant, s’il est bien un sujet que le Christ aborde sans ambages, c’est celui du Jugement. Comme il parle souvent de la Géhenne, et du Diable. Eh oui, le péché existe et il nous condamne. C’est bien ce que Jésus nous a dit aujourd’hui dans l’Évangile. Que serait en effet notre foi si la liberté n’existait pas ? Et même la liberté de me damner moi-même ! L’amour ne s’impose pas. La miséricorde ne s’impose pas. Tous deux se choisissent, volontairement, librement. Libre de pécher, mais aussi libre de m’en retenir, voire de m’infliger les pénitences nécessaires pour éviter toute condamnation définitive.

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Le  péché  et  les  péchés  

Mais qu’est-ce donc que le péché ? Je ne vais pas ici me lancer dans une digression théologique, je n’en ai ni l’espace, ni la compétence ! Simplement une perception personnelle. Le péché pour moi est ce qui coupe, ce qui sépare, ce qui éloigne. Si je prends cette idée du lien, j’ai cinq grandes cordes qui me relient aux autres, à mon corps, à mon âme, au monde et à Dieu. Le péché coupe une de ces cordes, et par retentissement, coupe ou fragilise les autres. La miséricorde (les entrailles de mère) renouent. Et lorsque l’on fait un nœud sur une corde coupée, celle-ci s’en voit raccourcie. Et ainsi, je me rapproche !

Et puis, il y a les péchés. Je n’aime pas trop mettre ce mot au pluriel car il me semble racornir, rabougrir l’idée de base et sombrer dans une liste poussiéreuse et culpabilisante. Qui plus est, dans cette catégorie « des péchés », on s’oriente souvent vers les péchés de la chair plus que des manques de charité ! Et il me semble que le manque de charité, d’amour de l’autre et de Dieu, est le plus grave. Sans pour autant nier l’importance des autres, mais en remettant un ordre sacré, une hiérarchie.

Le péché ? Le Christ en a précisé une série dans l’évangile. Ils sont cause de chute et de scandale. Chute, car le péché est comme une plaque de gel, on glisse dessus et on chute ! Le tout n’est pas de chuter… Le tout est d’éviter de rester parterre. On y prend froid (je crois que l’enfer sera plus froid que brûlant, du moins extrême). Comment se relever ? Comment sortir de l’enfer du péché ?

Sortir  de  l’enfer  ?  

En croyant à une triple miséricorde, en apprenant à marcher sur la glace, en gardant courage et en trouvant les crampons adaptés à mes pieds !

Une  triple  miséricorde…  

Je crois que Dieu, si je le veux, si je regrette mon péché, je crois que Dieu me pardonne. J’ai foi en cela. Ne pas y croire serait pécher contre l’Esprit. Mais je dois croire aussi en la miséricorde des autres. Comme moi, parfois avec un peu de temps, ils sont capables de me pardonner. Chacun d’entre nous a des entrailles de mère ! À moi de leur montrer ma bonne volonté et mon désir de réparer. Je dois aussi et enfin croire en ma propre miséricorde. C’est peut-être le plus difficile… se pardonner à soi-même. Mais sans cela, le pardon et l’apaisement ne peuvent se trouver.

En  gardant  courage…  

Oui, nous chutons et nous rechuterons ! Alors, pour garder courage, pour ne pas désespérer, disons cette prière à la Vierge de miséricorde, Notre-Dame du Perpétuel Secours :

O  sainte  Vierge  Marie,  qui,  pour  nous  inspirer  une  confiance  sans  bornes,  avez  voulu  prendre  le  nom  si  doux  de  Mère  du  Perpétuel  Secours,  je  vous  supplie  de  me  secourir  en  tout  temps  et  en  tout  lieu  :  dans  mes  tentations,  après  mes  chutes,  dans  mes   difficultés,   dans   toutes   les  misères   de   la   vie   et   surtout   au  mo-­‐  ment   de  ma  mort.  Donnez-­‐moi,   ô   charitable  Mère,  la  pensée  et  l'habitude  de  recourir  toujours  à  vous  ;  car  je  suis  sûr  que,  si  je  vous  invoque  fidèlement,  vous  serez  fidèle  à  me  secourir.  Procurez-­‐moi  donc  cette  grâce  des  grâces,  la  grâce  de  vous  prier  sans  cesse  et  avec  la  confiance  d'un  enfant,  afin  que,  par  la  vertu  de  cette  prière  fidèle,  j'obtienne  votre  Perpétuel  Secours  et  la  persévérance  finale.  Bénissez-­‐moi,  ô  tendre  et  secourable  mère,  et  priez  pour  moi,  maintenant  et  à  l'heure  de  ma  mort.  Ainsi  soit-­‐il.    

En  apprenant  à  marcher  sur  la  glace…  

Je donne des cours quand vous le voulez… Ça s’appelle la réconciliation ! Comment pourrions-nous apprendre à marcher sur la glace du péché si nous ne recevons pas le pardon du Seigneur, si nous n’acceptons pas l’aide du prêtre ?

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En  trouvant  les  bons  crampons  !  

Là, à chacun de se connaître, de savoir où l’arbre penche et de prendre de vraies mesures pour se corriger. Parfois l’arbre continuera de pencher, mais il ne chutera pas s’il est étayé. Parfois de soigner les racines suffit.

Ne  pas  s’en  croire  digne…  

Permettez-moi pour terminer ce texte, ou trop long ou trop court, de vous livrer une page de DOSTOÏEVSKI dans Crime et Châtiment : la vision du Jugement dernier par Marmeladov.

Avoir pitié de moi ! Pourquoi avoir pitié de moi ! hurla tout à coup Marméladov, se levant, le bras tendu devant lui, plein d’inspiration et d’audace, comme s’il n’avait attendu que ces mots. Pourquoi avoir pitié de moi, dis-tu ? Oui ! On n’a pas à avoir pitié de moi. On doit me crucifier, me clouer sur une croix et non pas avoir pitié de moi. Mais crucifie-le, juge, crucifie-le, et quand tu auras crucifié, aie pitié de lui ! Et alors je me rendrai moi-même chez toi pour être crucifié car ce n’est pas de joie dont j’ai soif mais de douleur et de larmes !… Penses-tu marchand, que ta bouteille m’a été douce ? C’est la douleur, la douleur que j’ai cherchée au fond de cette bouteille, la douleur et les larmes. J’y ai goûté et j’ai compris. Et celui-là aura pitié de moi. Qui eut pitié de tous et Qui comprenait tout et tous. Il est Unique. Il est le Juge. Il viendra ce jour-là et demandera : « Où est la fille qui s’est vendue pour sa marâtre méchante et phtisique, pour les enfants d’une autre ? Où est la fille qui eût pitié de son père terrestre, ivrogne inutile, sans s’épouvanter de sa bestialité ? ». Et il dira « Viens ! Je t’ai déjà pardonné une fois… pardonné une fois… il t’est beaucoup pardonné maintenant encore car tu as beaucoup aimé… ». Et il pardonnera à ma Sonia, Il lui pardonnera, je le sais déjà qu’Il lui pardonnera. Je l’ai senti dans mon cœur, tout à l’heure quand j’étais chez elle… Et Il les jugera tous et pardonnera à tous, aux bons et aux méchants, aux sages et aux paisibles… Et quand Il aura fini avec tous, alors Il élèvera la voix et s’adressera à nous : « Venez vous aussi ! dira-t-Il. Venez petits ivrognes faiblards, venez petits honteux ! » Et nous viendrons tous, sans crainte. Alors, diront les très-sages, diront les raisonnables : « Seigneur ! Pourquoi acceptes-tu ceux-ci ? ». Et Il dira : « Je les accepte, très-sages, je les accepte, âmes raisonnables, car aucun de ceux-ci ne s’est jamais considéré digne de cela… ». Et il tendra ses mains vers nous et nous les baiserons… et nous pleurerons… et nous comprendrons tout ! Alors, nous comprendrons tout !… et tous comprendront… et Katerina Ivanovna… elle aussi comprendra… Seigneur, que Ton Règne arrive !