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YATTARA Elmouloud Une histoire du Mali La pØriode post coloniale Nous traiterons trois volets : la marche vers lindØpendance, le Mali sous la premiLre RØpublique et le Mali sous la deuxiLme RØpublique. 1) La marche vers l’indØpendance AprLs la confØrence de Brazzaville en 1944, tout changea pour les territoires de l’AOF et de l’AEF, sur le plan politique. Les peuples colonisØs rØclamLrent plus de libertØ. Le Soudan n’Øchappa pas cette rLgle. Deux partis politiques vont se constituer. Il s’agit du PSP (Parti Progressiste Soudanais) de Fily Dabo Sissoko, instituteur puis chef de canton, du RDA (Rassemblement DØmocratique Africain) nØ au congrLs de Bamako le 18 octobre 1946 aprLs de multiples tractations. Pendant une dØcennie, le PSP parti des chefs coutumiers et des paysans, "des conservateurs" et le RDA de Mamadou KonatØ et Modibo Keita vont s’affronter. Le PSP soutenu par l’administration coloniale contrlent avec l’aide de cette derniLre la presque totalitØ du pays. Le RDA bien organisØ, partisan de l’indØpendance, soutenu par de jeunes intellectuels sortis des Øcoles de formation de matres, de mØdecins africains etc.. gagna grce une politique de proximitØ une grande partie de l’Ølectorat soudanais. AidØs par les commerants traitants, transporteurs, il finit par s’imposer au PSP qui dØs 1956-57, cessait d’Œtre le parti majoritaire. Aux Ølections du 2 janvier 1956, le PSP n’obtint que 37 % des suffrages contre 49.5 % pour le RDA. Arriva alors la loi cadre le 23 juin 1956, qui donna aux sept autres territoires de l’AOF et au Soudan, une large autonomie. Le Soudan disposa alors d’une assemblØe Ølue au suffrage universel par un collLge Ølectoral unique, et d’un conseil de gouvernement prØsidØ par le gouverneur tandis que la vice prØsidence Øtait confiØe Jean Marie

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YATTARA Elmouloud Une histoire du Mali

La période post coloniale Nous traiterons trois volets : la marche vers l’indépendance, le Mali sous la première République et le Mali sous la deuxième République.

1°) La marche vers l'indépendance Après la conférence de Brazzaville en 1944, tout changea pour les territoires de l'AOF et de l'AEF, sur le plan politique. Les peuples colonisés réclamèrent plus de liberté. Le Soudan n'échappa pas à cette règle. Deux partis politiques vont se constituer. Il s'agit du PSP (Parti Progressiste Soudanais) de Fily Dabo Sissoko, instituteur puis chef de canton, du RDA (Rassemblement Démocratique Africain) né au congrès de Bamako le 18 octobre 1946 après de multiples tractations. Pendant une décennie, le PSP parti des chefs coutumiers et des paysans, "des conservateurs" et le RDA de Mamadou Konaté et Modibo Keita vont s'affronter. Le PSP soutenu par l'administration coloniale contrôlent avec l'aide de cette dernière la presque totalité du pays. Le RDA bien organisé, partisan de l'indépendance, soutenu par de jeunes intellectuels sortis des écoles de formation de maîtres, de médecins africains etc.. gagna grâce à une politique de proximité une grande partie de l'électorat soudanais. Aidés par les commerçants traitants, transporteurs, il finit par s'imposer au PSP qui dés 1956-57, cessait d'être le parti majoritaire. Aux élections du 2 janvier 1956, le PSP n'obtint que 37 % des suffrages contre 49.5 % pour le RDA. Arriva alors la loi cadre le 23 juin 1956, qui donna aux sept autres territoires de l'AOF et au Soudan, une large autonomie. Le Soudan disposa alors d'une assemblée élue au suffrage universel par un collège électoral unique, et d'un conseil de gouvernement présidé par le gouverneur tandis que la vice présidence était confiée à Jean Marie

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Koné. L'africanisation des hautes fonctions va se poursuivre en décembre 1956, Modibo Keita est élu maire de la ville de Bamako. Le RDA gagna de plus en plus de terrain et à son troisième congrès qui se tiendra à Bamako du 25 au 30 septembre participèrent de hautes personnalités françaises comme François Mitterrand, Edgar Faure, Pierre Mendès France. Au référendum du 28 septembre 1958, contrairement à toute attente, le RDA partisan de l'indépendance, ancien allié du parti communiste fit voter oui. Les dirigeants du RDA que les membres du PAI (Parti Africain de l'Indépendance) d'alors condamnèrent, affirmèrent qu'ils n'étaient pas prés à cette date pour l'indépendance. Le PAI fit voter non au référendum. Le Soudan de la semi autonomie devint membre de la communauté franco-afriçaine. Mais les dirigeants du RDA soudanais qui avaient compris que l'indépendance de chaque territoire, signifiait la balkanisation de l'Afrique multiplièrent les contacts en vue de la création d'une fédération. L'US RDA réussit à organiser en Décembre 1958 à Bamako un congrès pour la fédération. Le Sénégal, la Haute Volta (Burkina Faso), le Dahomey (Bénin), la Mauritanie participèrent à ce forum. Mais pour des raisons de politique intérieure et de "pressions extérieures", la Haute Volta, le Dahomey, la Mauritanie se retirèrent. Le Sénégal et le Mali créèrent la fédération du Mali en janvier 1959. La fédération du Mali commença alors des négociations avec la France qui aboutirent à son indépendance qui fut proclamée le 20 juin 1960, et à la signature d'accords franco-maliens. Mais les divergences entre Sénégalais et Maliens aboutirent à l'éclatement de la fédération du Mali dans la nuit du 19 août au 20 août 1960. Les dirigeants soudanais gardés d'abord prisonniers au Sénégal furent renvoyés chez eux par les trains du Dakar Niger. Des milliers de Soudanais jadis fonctionnaires, employés du gouvernement fédéral, ouvriers du Dakar Niger furent expulsés du Sénégal. Ils laissaient dans ce pays maisons, biens, et beaucoup de souvenirs.

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Les dirigeants soudanais biens accueillis au bercail proclamèrent le 22 septembre 1960 la République du Mali et prenaient acte de la dissolution de la fédération que la France avait déjà plus ou moins entérinée. Les dirigeants maliens rendaient d'ailleurs la France responsable du "coup d'Etat" du 19 au 20 août 1960, dans la mesure où les troupes françaises qui au non des accords franco maliens devaient intervenir se sont abstenues. Le Mali opta pour le socialisme à cause des événements de Dakar, tous les Maliens se rallièrent à l'US RDA. a- - Le Mali de la première République La situation d'exception que vivait le pays obligea les dirigeants de l'US RDA à considérer le gouvernement soudanais comme gouvernement provisoire de la République du Mali et à garder Modibo Keita comme président de la République. L'assemblée constituante et législative du Soudan lui avait en effet attribué ce poste le 17 janvier 1959 .1 Responsable devant l'assemblée, le président de la République fut chargé de diriger la politique du pays. La nouvelle République garda le drapeau de la fédération du Mali vert, jaune, rouge, l'idéogramme dogon en moins, ainsi que l'hymne dont les paroles néanmoins changèrent. L'armée malienne fut crée ainsi que la milice populaire. Le Mali demanda l'évacuation des bases militaires françaises le 20 janvier 1961.2 Sur le plan politique : Les dirigeants optèrent pour le socialisme. Mais ce mot fut difficile à définir puisque le socialisme malien n’était pas athée et devait comme le soulignaient ses idéologues s’inspirait des valeurs africaines. En fait la politique malienne de la première République s’articula autour de deux axes : le non alignement, la socialisation progressive de l’économie. Un plan quinquennal fut élaboré par une équipe de grands économistes.3Le Mali sans rompre les relations qui le liaient à l’ancienne métropole s’orienta plus vers les pays du bloc socialiste, URSS, Chine, Tchécoslovaquie, Hongrie, Pologne, Bulgarie, Roumanie, 1 Adam Bâ Konaré Panorama historique Note Librairée n°84 85 1984, op cit p 27 2 Le Mali fit venir ses soldats qui combattaient dans l’armée en Algérie ainsi que du Cameroun où la France matait l’insurrection de l’UPC ( Union des Populations du Cameroun) ainsi que tous les Maliens de l’armée française. C’est avec ces hommes que l’armée fut crée et placée sous le commandement du général Abdoulaye Soumaré qui avait suivi Modibo Keita après l’éclatement de la fédération du Mali. Les Français évacuèrent rapidement leurs bases militaires de Bamako Kati, Tessalit-Gao, avant la fin de l’année 1961 3 Samir Amin, le Professeur Bernard de l’Université de Poitiers, l’Israélien Eli-Lobel. D’ailleurs un moment, les dirigeants du Mali avaient été séduits par le type de socialisme israélien

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Vietnam du Nord, Corée du Nord avec lesquels de nombreux accords de coopération technique, culturel furent signés. Le Mali pour former rapidement des cadres envoya de nombreux étudiants dans ces pays. Au plan économique : La socialisation de l’économie commença par le monde rural : - l’Agriculture, pour l’encadrement des paysans, le service civique rural fut fondé ; de nombreux agents du génie rural furent envoyés dans les campagnes. Il fut demandé au monde rural de créer des champs collectifs. Sur le plan pratique, très rapidement l’encadrement se montra insuffisant et incapable de prodiguer des conseils valables. Les principales productions (mil, riz, maïs) si elles furent suffisantes les premières années de l’indépendance se maintenaient difficilement ou baissaient comme le montre le graphique (Annexe 1). Même l’office du Niger où l’implantation de Kolkhozes ou Sovkhozes, ou des communes populaires comme en Chine avait été tentée, ne réalisa pas de prouesses4 malgré les grandes attentions dont il faisait l’objet. La production de riz chutait d’année en année comme le montre le graphique (Annexe 1) Les champs collectifs rappelaient aux paysans les très tristement célèbres champs du commandant de l’époque coloniale. Le socialisme malien mécontenta donc en premier le monde rural, qui était obligé de vendre ses produits à des prix dérisoires aux organismes d’Etat comme l’OPAM (Office des Produits Agricoles du Mali). Par contre les productions des cultures de rente, le coton surtout augmentèrent, comme le montre les Annexes 2 et 3.

4 Il est vrai que les 24 % des colons de l’office étaient d’origine burkinabé, à l’indépendance certains rentrèrent chez eux . Ceux qu restèrent, cultivaient hors casiers et ne payaient aucune redevance à l’office du Niger.

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Mais ni l’Etat, ni les paysans maliens à cause des prix du marché mondial ne bénéficièrent de ces bonnes performances. L’Elevage grâce à de nombreuses campagnes de vaccination, de creusement de puits, connut un réel essor. Mais là aussi, les exportations d’animaux, de peaux5 , surtout après la création du franc malien en juillet 1962, firent perdre à l’Etat d’énormes sommes d’argent.

5 Exportations frauduleuses en direction de la Côte d’Ivoire, de la Haute Volta, du Ghana ; surtout du Sénégal

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Commerce et problèmes monétaires : Au plan commercial dés octobre 1960, le Mali créa la SOMIEX ( Société Malienne d’Importation et d’Exportation) qui avait le monopole de l’exportation des produits du crû et celui de l’importation des produits manufacturés, des biens alimentaires comme le sucre, le thé, le lait en poudre…. Elle se chargeait aussi de leur distribution à l’intérieur du pays à des prix défiants toute concurrence. La création de cet organisme mécontenta les Dyulas6elle leur enlevait une partie essentielle de leurs activités. Eux qui avaient aidés et soutenus le RDA avec leurs camions et leurs biens ne comprenaient pas l’attitude du gouvernement malien. Ils pensaient qu’à l’indépendance, ils occuperaient sur le marché la place des libano syriens. Ils furent aussi parmi les premiers opposants au régime socialiste. La situation commerciale du Mali s’aggrava, le 1er juillet 1962, le gouvernement malien après avoir mis en place un office des changes dés 1960, créa le franc malien. Le Mali tout en déclarant qu’il restait membre de la zone franc avait mis en circulation sa propre monnaie, crée sa banque d’émission : la Banque de la République du Mali. Il quittait alors de facto L’UMOA (Union Monétaire Ouest Africaine). Le franc malien fabriqué en Tchécoslovaquie non convertible rendait difficile les relations économiques avec ses voisins, le ravitaillement, parfois en produits de première nécessité fut compromis. Mais dés le 20 juillet 1962, les commerçants maliens mécontents manifestèrent car l’un des leurs Maragaga Kassoum Touré avait été appréhendé, car à son domicile des francs CFA prohibés depuis le 16 juillet avaient été trouvés. Les manifestants accompagnés de badauds s’étaient dirigés vers le commissariat du 1er arrondissement et l’ambassade de France en scandant des slogans hostiles au Mali : A bas le Franc malien, vive le Général de Gaulle. Les forces de l’ordre tirèrent, il y eut des morts.7

6 La Somiex avec son système de periquation vendait les produits dans ses succursales de l’intérieur au même prix qu’à Bamako. Les coopératives de consommation appuyaient l’action de la Somiex dans les petites localités, pratiquement tout le commerce de détail était aux mains des structures étatiques ou para étatiques, domaine privilégié des Dyulas. Leur mécontentement alors se comprend 7 Monnaie : graves incidents à Bamako Afrique Nouvelle 2/8/1962. Deux morts selon toute vraisemblance et 252 arrestations opérées à Bamako à la suite de manifestations

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A la suite de ces manifestations, Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko, anciens ministres parlementaires français et représentants du PSP ainsi que de nombreux commerçants furent arrêtés. Les pouvoirs publics dénoncèrent un complot anti- malien soutenu par la France. Un tribunal populaire du 24 au 27 septembre 1962 jugea les prévenus et condamna Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko, Kassoum Touré à la peine de mort. Leur peine sera commuée plus tard en condamnation à perpétuité mais ils moururent8 ainsi qu’un certain nombre de détenus dans les sinistres bagnes du Nord du Mali. Ce tribunal d’exception, infligea aux suspects, leur mort, assombrirent les relations franco maliennes.9 La socialisation de l’économie va continuer dans d’autres secteurs comme les transports, la RTM (Régie des Transports du Mali) est crée en 1961 pour assurer l’acheminement des marchandises d’exportation du Mali (arachide, coton), et l’importation des produits manufacturés depuis le port d’Abidjan. A cause de la fermeture du chemin de fer Dakar Niger après l’éclatement de la fédération du Mali, cette société qui était équipée de camions ouest allemands Krupp joua un grand rôle dans le ravitaillement en biens alimentaires et d’équipements du Mali. La Régie ainsi que sa section de transports urbain TUB (Transports urbains de Bamako) inquiétait tout comme la Somiex, nous le verrons plus loin les Dyulas transporteurs. Pour le transport aérien, la compagnie nationale Air Mali équipée surtout d’appareils soviétiques10 vit le jour. Dans des domaines divers comme l’élevage, les mines, la pharmacie, l’édition, la librairie, des sociétés d’Etat vont être crées. L’industrie : C’est dans ce domaine que les réalisations furent spectaculaires, pays de l’intérieur, à vocation surtout agro-pastorale11 , le Mali socialiste se dota d’industries.

8 C’est le 30 juin 1964 que l’administration annonça la mort de Fily Dabo 9 Diallo Boubacar Séga, Alhousseyni N’Diaye, les événements du 20 juillet 1962 à paraître. 10 Les premiers avions de la flotte étaient des DC 3 donnés par la Grande Bretagne mais c’est surtout l’URSS qui a formé les pilotes et équipé Air Mali d’avions de type Ilouchine 18, 14. 11 A l’indépendance du Mali, il n’y avait que des petites usines d’égrenage de coton, une huilerie, la plus importante du pays à Koulikoro.

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Il s’agissait de petite unités utilisant les productions agricoles locales. Pour leur financement, le Mali se tourna vers les pays socialistes avec lesquels il avait des accords de clearing. Aussi les principales usines furent montées par la Chine Populaire, la Corée du Nord, l’URSS, la Yougoslavie. La première usine fut la conserverie de Baguineda montée par la Yougoslavie. D’autres comme les huileries savonneries, les usines de sucre, de cigarettes d’allumettes installées par la Chine Populaire ; l’usine céramique par la Corée du Nord, la cimenterie par l’URSS suivront. Les usines obsolètes, souvent de seconde main comme la SOCOMA (Société des Conserveries du Mali) de Baguineda12 ont été montées sans grandes études. Elles ont souvent manqué de main d’œuvre, de bons gestionnaires, vendant souvent leur production à perte. Elles ont néanmoins donné du travail à une jeunesse nombreuse sans qualification13. Elles ne tarderont pas à connaître de graves crises de trésoreries, certaines fermeront alors. La situation économique du Mali se dégrada progressivement, le franc malien qui valait initialement un franc CFA fut dévalué de 50 % par les Dyulas. Un intense trafic s’organisa. Des marchandises, céréales, coton, arachide, bétail frauduleusement sortis du Mali étaient vendues dans les Etats voisins. Dans ces pays, les Dyulas déposaient leur avoir en CFA ou achetaient des produits manufacturés, tissus fins, cigarettes étrangères, lait (concentré ou en poudre), qui rentraient au Mali sans payer ni taxes, ni droits de douane. Ils étaient ensuite écoulés sur le marché noir à des prix exorbitants. L’Etat perdait dans ce commerce illicite d’énormes ressources. Mieux, les dépenses dites de souveraineté : l’entretien de nombreuses ambassades à l’étranger, les missions, les salaires payés aux nouveaux employés de l’Etat et des sociétés et entreprises d’Etat qui marchaient plus ou moins grevèrent les budgets. De 1960 à 1968, les budgets du Mali furent chroniquement déficitaires. Pour satisfaire les besoins de l’Etat, les pouvoirs publics firent marcher la planche à billets ; de la fausse monnaie avait été aussi introduite, l’inflation était galopante. 12 Alain Maharaux, l’industrie au Mali 1986 p 29 13 Cette jeunesse qui sera partiellement prise en charge par la réforme de l’enseignement en juillet 1962, l’une des réformes les plus appréciée d’Afrique.

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Dés juin 1963, soit un an après la création du franc malien, la situation économique devint intenable. Sur le plan politique, la rébellion des Kel Tamaheq que l’armée tentait de mater n’arrangeait pas les choses. Le gouvernement du Mali malgré ses prises de position de plus en plus radicales fut obligé de demander à la France l’ouverture d’un compte d’avance au trésor de ce pays. Une année après, il demanda au gouvernement français la garantie du franc malien par la Banque de France, mais à cause du sort réservé à Fily Dabo Sissoko et à ses compagnons, les négociations furent interrompues.14 Jamais pourtant le Mali socialiste ne rompit les relations avec l’ancienne métropole.15 Les négociations reprirent secrètement à la fin de 1966, en octobre de la même année, un échange de billets permit de retirer trois milliards de francs maliens de la circulation.16 Au plan politique, les clivages entre pro soviétiques, pro chinois et modérés s’exacerbaient. Fallait-il ou pas négocier avec la France ? Modibo en fin politique et soucieux de l’avenir opta pour la négociation. Jean Marie Koné considéré comme modéré fut nommé ministre de l’économie et Louis Nègre un technocrate (considéré comme pro français à l’époque) ministre des finances. Les négociations franco maliennes s’ouvrirent en 1967, elles aboutirent à la signature d’accords qui prévoyaient la mise au point d’une série de mesures destinées à favoriser le retour du Mali dans la zone franc. C’est dans ce cadre que le franc malien fut dévalué de 50 % le 6 mai 1967. Cette dévaluation qui ne s’accompagnait d’aucune mesure visant à diminuer la pauvreté, qui amena Modibo Keita à s’aligner du côté des idéologues et de certains jeunes, pour déclencher la Révolution Active. Révolution qui a conduit à la dissolution

14 Bertrand Ligneray Le Mali et la construction du socialisme africain. Problèmes économiques, n°1089, in novembre 1968, p 25 15 Les négociations franco maliennes de Paris janvier février 1962, dirigées par Idrissa Diarra Secrétaire politique de l’US RDA, et suivies côté français par le premier ministre Michel Debré avaient scellé entre la France et le Mali des relations durables. 16 Bertrand Ligneray Le Mali et la construction du socialisme africain Problèmes économiques, n°1089, in novembre 1968, opcit p 25

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du BPN (Bureau Politique National) et à la mise en place d’un CNDR ( Comité Nationale de Défense de la Révolution). La mise en veilleuse des institutions prévues par la constitution, la misère dans les campagnes et les villes consécutives aux mauvaises performances de l’agriculture, les exactions de la milice populaire vont provoquer le mécontentement générale. Un groupe de quatorze officiers sous la direction du Lieutenant Moussa Traoré va mettre fin au régime socialiste le 19 novembre 1968. Mais force est de reconnaître que le régime de Modibo Keita a jeté les bases d’un Etat moderne. Sur le plan diplomatique, il a réussi à nouer des relations avec presque tous les pays socialistes et du bloc occidental. Le Mali de Modibo Keita a été l’une des rares nations à avoir reconnu la RFA, (République Fédérale d’Allemagne) et la RDA (République Démocratique Allemande). En Afrique, il a soutenu tous les mouvements de libération, le FLN (Front de Libération National) algérien qui avait même des bases au Mali, les combattants pour la liberté en Angola, au Mozambique, en Afrique du Sud. Le Mali pour les aider leur a envoyé des armes et même des hommes17. Modibo Keita fut l’un des ardents défenseurs18 de l’unité africaine et l’un des pères fondateurs de l’OUA. Il a réussi en 1963 à réconcilier Algériens et Marocains à Bamako. Au niveau de l’enseignement, il a entrepris une réforme audacieuse en juillet 1962, dont le slogan de base était « une éducation de masse et de qualité ». Compte tenu des moyens financiers du pays, il opta pour le système des grandes écoles. L’Ecole Normale Supérieure ( ENSUP) pour la formation des enseignants, l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) où étaient formés les cadres de la magistrature, de l’administration, de l’Economie, l’Ecole Nationale des Ingénieurs ( ENI) etc. Pour l’encadrement de la jeunesse, le mouvement pionnier a été crée malgré son caractère très politique, il a largement contribué à l’éveil de la conscience nationale chez les jeunes.

17 L’ancien président Moussa Traoré a servi en Afrique Orientale dans la formation de combattants

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2°) Le Mali sous la deuxième République 1969-1991 La deuxième République, puisqu’elle est appelée ainsi a duré vingt trois ans, mais cette longue période peut être divisée en deux : La première correspond au pouvoir du CMLN, Comité Militaire de Libération Nationale (1968-1978). La deuxième voit le Lieutenant Moussa Traoré devenu Colonel puis Général s’installer durablement au pouvoir ( 1978-1991) b- Le CMLN au pouvoir 1968-1978 Le 19 Novembre 1968, au matin venant de Koulikoro, où il était descendu du bateau qui le ramenait de Mopti, le président Modibo Keita fut arrêté par des militaires en armes et sommé de les suivre avec ses compagnons. La première République du Mali venait d’être renversée par un coup d’Etat militaire. La chute des régimes socialistes d’Europe a permis d’ouvrir aujourd’hui ce débat. Il y a quelques années, ce sujet était presque tabou pour l’intelligentsia malienne. Le régime socialiste malien s’est écroulé surtout pour des raisons socio-économiques et certainement grâce à une aide des services spéciaux français, de Monsieur Foccart.19 Les paysans maliens n’ont pas accepté la collectivisation. Les nouvelles structures politiques, les réunions interminables et les slogans, les tracasseries policières, celle des brigadiers de vigilance et surtout celle de la milice populaire, provoquèrent le mécontentement général. Les militaires étaient également touchés, puisqu’ils se faisaient contrôlés eux aussi par des forces para militaires à la formation desquels ils avaient participée.20 L’armée malienne supportait alors de moins en moins la nouvelle orientation que les politiciens voulaient leur donner.. La Milice Populaire, forte de près de 10 000 hommes, bien habillée et équipée par la Chine Populaire placée sous l’autorité directe du parti tendait à prendre la place de l’armée, à peine 3000 hommes mal vêtus dans les missions qui devaient être les siennes.21

19 Le Général Moussa Traoré, l’un des instigateurs du coup d’Etat disait lors de son procès que les « tombeurs » étaient ailleurs, en France. 20 Le Lieutenant Moussa Traoré fut instructeur de la Milice Populaire 21 Vitouhina G.O., Onoutchko V.G OP Cit P69

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L’armée était atteinte dans sa dignité, car en plus des vexations subies par ses chefs, les dirigeants du RDA voulaient également l’envoyer cultiver dans les campagnes.22 Toute cette méfiance vis-à-vis de l’armée date du coup d’Etat qui en 1966 avait renversé le président N’Krumeh du Ghana. C’est aussi dans cet esprit que le CNDR (Comité Nationale de Défense de la Révolution) fut crée. A ce malaise social, s’était ajouté une crise économique grave. En effet, la hausse des prix fut vertigineuse. L’indice des prix de détail des produits alimentaires était passé de 100 en 1962 à 167 en 196523 ; A cela, il faut ajouter le mauvais ravitaillement des magasins en denrées de première nécessité, la mauvaise gestion et la corruption contre laquelle le RDA avait lancé des opérations spectaculaires.24 Les militaires profitèrent alors du grave mécontentement que les réalisations positives du régime n’arrivaient pas à contrebalancer pour s’emparer du pouvoir.25 Il n’y eut pratiquement aucune opposition. Miliciens, brigadiers de vigilance furent désarmés, leurs chefs mis aux arrêts, à Bamako et dans les grandes villes quadrillées par l’armée, c’était la liesse populaire. La dictature militaire s’installa, presque tous les anciens dirigeants du pays, le président Modibo Keita, les membres de son gouvernement, du Bureau politique nationale furent arrêtés ; Beaucoup parmi eux dont le président furent envoyés dans les sinistres bagnes du Nord. Certains anciens dirigeants du RDA comme David Coulibaly, Jules Travélé moururent dans des conditions encore mal éclaircies, au cours de leurs arrestations, ou à la suite d’interrogatoires musclés ? c- La situation politique Le pays sera désormais dirigé par un comité militaire de quatorze membres dirigé par Moussa Traoré et un gouvernement présidé par lui.

22 Notamment dans l’office du Niger où des contingents avaient été envoyés pour la récolte du riz 23 Bertrand Ligneray, le Mali et la construction d’un socialisme africain, problèmes économiques n° 1089 14 novembre 1968 opcit p 25 24 L’opération Taxi entre autres qui consista à saisir tous les taxis appartenant aux fonctionnaires de l’Etat 25 L’absence de partis politiques d’opposition est aussi l’une des causes du coup d’Etat. Les Maliens ont toujours aimé les débats politiques

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Toutes les activités politiques sont interdites, le socialisme abandonné ; mais le Mali continuera à entretenir de bonnes relations avec les pays socialistes.26 Très rapidement, les militaires comprirent qu’ils devaient écouter les cadres du pays pour préparer l’avenir du pays. Ils n’avaient visiblement pas de programme. Une conférence nationale des cadres fut organisée.27Les cadres signifièrent alors au CMLN, qu’il n’était pas question de brader ce que les Maliens appelleront désormais, les acquis du peuple, c'est-à-dire les sociétés et entreprises d’Etat. Les cadres souhaitaient un rapide retour des militaires dans les casernes. Un régime policier digne des dictatures d’Amérique Latine fut mis en place sous la direction du capitaine Tiécoro Bagayoko. Tous les opposants au régime furent étroitement suivis et partout. Des agents de renseignements furent même envoyés dans des classes, pour écouter les cours des professeurs. Il est vrai que l’école dans sa presque quasi-totalité n’a jamais accepté le régime militaire. Les scolaires et universitaires ont toujours manifesté leur opposition au régime militaire chaque fois qu’ils en avaient l’occasion.28 Malgré le quadrillage policier du pays, les cadres s’organisaient dans la clandestinité ou publiquement contre le régime.29 Au niveau de l’armée, il n’y avait pas non plus d’unanimité autour des actions du CMLN. Dés 1969, un coup d’Etat dirigé par des officiers aurait été déjoué. Il y eut de nombreuses arrestations.30

26 Les accords signés avec ces pays sont maintenus. La coopération avec l’URSS, la Chine développée. De nombreux cadres civils et militaires sont envoyés en formation en URSS et dans les autres démocraties populaires. A l’ONU et dans les autres instances internationales, le Mali continuait à voter dans le camp progressiste, et participait activement aux réunions de l’OUA, ce qui a fait dire à certains qu’après le coup d’Etat, le Mali était resté socialiste. Le soutien aux mouvements de libération, la lutte contre l’apartheid ne furent pas non plus négligés. 27 Les scolaires et les universitaires dés les premières heures du coup d’Etat ont signifié leur opposition au régime militaire. 28 Les enseignants et les étudiants furent ce qui participèrent activement à la lutte pour la démocratie. Dans le confidentiel n °540 du 3 avril 1973 adressé au président du CMLN, le directeur de la sûreté le capitaine Tiécoro Bagayoko notait, 1) que soit banni à jamais tout enseignement à caractère politique 2) qu’à l’avenir, le département de l’éducation s’organise pour contrôler au niveau des établissements scolaires, les enseignements qui y sont dispensés. Cette correspondance avait été adressée au président après l’arrestation de professeurs sensés avoir dispensé un enseignement à caractère politique. 29 En 1970, à cause des pressions des mouvements syndicaux internationaux, le CMLN accepta la tenue d’un congrès. A l’issue de ce congrès, un projet de résolution avait proposé la libération des prisonniers politiques, l’instauration du socialisme, le retour des militaires dans les casernes, l’indépendance des syndicats vis-à-vis du pouvoir politique Vitouhina G.O., Onoutchko V.G OP Cit

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En avril 1971, un autre complot préparé par Yoro Diakité , Malick Diallo, membres du CMLN et le sergent chef Siméon Sidibé aurait été également découvert. Yoro Diakité avait été le président du gouvernement provisoire, vice président du CMLN, puis ministre. Les causes profondes de la mésentente entre ces deux capitaines et les autres tous lieutenants, sauf le capitaine Charles Samba Sissoko, sont obscures. Yoro Diakité « l’intellectuel » du groupe car auteur d’un livre au titre évocateur Une main amie31 Etait sans doute trop partisan du rapprochement avec la France32comme son compagnon d’infortune, Malick Diallo. Officiellement, il avait été exclu du gouvernement pour avoir voulu « faire admettre une position anti-nationale ; anti-africaine et rétrograde ». Yoro Diakité, Malick Diallo et Siméon Sidibé33 furent jugés en juillet 1972 par la cour de sûreté de l’Etat et condamnés aux travaux forcés à perpétuité. Ils furent internés dans les geôles du Nord, Yoro Diakité décéda quelques temps après, suite à des mauvais traitements. Malick Diallo à cause de multiples interventions étrangères fut libéré. La grâce présidentielle lui fut accordée le 24 juillet 1979. Il n’était un secret pour personne que l’équipe dirigeante malgré les sympathies apparentes manquait de cohésion. Il y avait le groupe des faucons comprenant :Tiécoro Bagayoko Directeur des services de sûreté, Kissima Dukara, ministre de la Défense, celui des colombes composé du président Moussa Traoré et de Youssouf Traoré. Les autres membres du CMLN se rangeaient selon les circonstances sur l’un ou l’autre groupe. Sous les pressions extérieures, notamment celles de la France, le principal bailleur de fonds du Mali, le pays va s’ouvrir timidement à la vie politique. En arrivant au pouvoir, les militaires n’avaient ils pas dit qu’ils voulaient remettre de l’ordre et rentrer dans les casernes ?

30 Vitouhina G.O., Onoutchko V.G Op Cit P67 31 Il a été le directeur de l’école inter armes de Kati où certains membres du CMLN ont fait leur formation ( et où Moussa Traoré a été instructeur). Il avait plusieurs amis civils dont des professeurs 32 Jean de La Guériviére Les circonstances paraissent favorable à une normalisation complète des relations avec la France, le Monde du 17 novembre 1971 33 Jean de la Guériviére opcit

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En avril 1974, se tient le 3e congrès de l’UNTM (Union Nationale des Travailleurs du Mali), qui élit son bureau le 2 juin de la même année, un référendum pour l’adoption d’une nouvelle constitution et l’instauration d’un parti politique unique et organisé. Des intellectuels réunis dans une organisation dite « Regroupement des patriotes maliens » lancent des tracts dénonçant la farce électorale du 2 juin 1974. Ils sont arrêtés après un quadrillage policier de toute la capitale, maltraités, humiliés, ils sont jetés en prison. Ils ne seront jugés qu’en avril 1975 et condamnés pour de simples tracts à des peines allant de deux à quatre ans de prison. Nouant avec son « cycle de complots », le Mali du CMLN, une tentative de coup d’Etat dirigée par l’adjudant chef Mamadou Lamine Sissoko, fils de Fily Dabo Sissoko, sept sous officiers, des hommes de troupe et des nomades aurait été déjouée en décembre 1976. Mamadou Lamine mourut lui aussi dans les bagnes du Nord. Violences, arrestations, humiliations surtout des cadres ont caractérisées, les dix ans de règne du CMLN. d- - La situation économique Le socialisme comme voie de développement est abandonné, mais grâce à la détermination des cadres, les sociétés et entreprises d’Etat furent maintenus.34 La situation économique dans laquelle se trouvait le Mali dont la balance extérieure accusait un déficit de plus de cinq milliards, obligea ses dirigeants à demander l’aide extérieure.35 La France fut alors l’un des premier pays à financer. Les autres nations occidentales aussi, qui ne voyaient pas d’un bon œil le socialisme malien. Des projets furent financés dans le domaine de la recherche agronomique, de la vulgarisation du matériel agricole. Un aide complémentaire fut donnée pour la réorganisation des sociétés et entreprises d’Etat. La réforme la plus remarquable des autorités militaires, fut la création des ODR ( Opérations de Développement Rural) par l’ordonnance n° 22 du CMLN du 24 mars 1972.

34 Certains membres du CMLN souhaitaient certainement leur démantèlement, « ces symboles du régime socialiste » 35 La balance du commerce extérieur du Mali accuse un déficit de 5 milliards 308 millions Afrique Nouvelle du 23 au 29 octobre 1969, n° 1159

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Organismes à caractère technique dotés de l’autonomie financière et de gestion, ils avaient en charge la coordination et l’utilisation des moyens nécessaires à l’exécution des programmes.36 Un programme triennal de redressement économique et financier (1970-1972), fut lancé presque entièrement financé par l’extérieur. Le pays se couvrira de ces organismes dont l’efficacité ne fut pas en rapport avec les moyens déployés. Dès 1972-73, une grave sécheresse éclata. Elle fut signalée par l’extérieur. Les pouvoirs publics n’agirent que longtemps après, ils perçurent une partie de l’impôt sur le bétail, alors que la communauté européenne avait donné son aide. Si le Nord du pays fut le plus touché, 40 % du cheptel détruit, toute la République fut frappée en 1972, il y avait 1 850 000 sinistrés. Le déficit céréalier s’est chiffré à 260 000 tonnes en 1973 et 400 000 tonnes en 1974.37 Le PIB baissa de 8 % en deux ans (1972 -1974). L’aide extérieure afflua au Mali sous forme d’argent, de dons en nature. Elle sera dilapidée.38 Le Nord , région la plus éprouvée ne recevra qu’une infime partie de l’aide qui lui était destinée. Cette situation a sans doute préparé la rébellion Kel Tamaheq des années 1990. Les récoltes des cultures de rente, arachide, coton ont été cependant bonnes en 1972. Le groupe textile Agache-Willot s’était même proposer d’installer une usine au Mali39 Le déficit de la balance commerciale avait commencé à baisser. Le gros problème économique restait les sociétés et entreprises d’Etat, que des coopérants français appelés depuis le coup d’Etat essayaient de redresser les finances. La Somiex et Air Mali accusaient de lourds déficits. Celui de la Somiex s’élevait à 2 milliards de francs maliens.40 Les Français et les autres partenaires occidentaux souhaitaient leur liquidation.

36 Mamadou Nadio, l’évolution du Delta intérieur du Niger (Mali) 1956-1980, d’une région sous peuplée, à une région surexploitée ? thèse de Géographie, Université de Rouen 1984, p 109 37 Alpha Oumar Konaré, Adam Bah Konaré les grandes dates du Mali 1984, p202 38 Gérée en partie par Kissima Dukura. Les Maliens parlaient à cette époque de villas de la sécheresse construites avec les dons 39 Les difficultés financières de Bamako vont peser sur les entretiens franco maliens, les Echos 24 avril 1972, Tiers Monde le Mali un fruit mûr pour Foccart 40 Les difficultés financières de Bamako vont peser sur les entretiens franco maliens

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Le régime militaire par crainte de mécontenter la population, des conséquences socio économiques de leur fermeture ne tentèrent guerre cette aventure.41 En visite en France en Avril 1973, Moussa Traoré obtint de ce pays une aide accrue, plus de 2 milliards cinq cent millions d’aide furent octroyés au Mali au titre de l’année 1973.42 Dans tous les cas, l’aide accordée au Mali de 1969 à 1978, par les pays occidentaux aux Mali a été très substantielle et beaucoup de dettes ont été octroyées par l’URSS et les Démocraties Populaires.43 Grâce à une diplomatie active en Asie, en Europe, en Amérique, l’aide internationale soutenait bien en 1976, l’effort intérieur. L’aide de la République fédérale allemande, du Canada, des Etats –Unis, était la plus importante assistance reçue par le Mali. La France avec 16 milliards de francs maliens se situait au premier rang.44 Sur le plan céréalier, l’amélioration des conditions météorologiques et de l’encadrement rural permirent une augmentation de la production de mil, de riz, de maïs. Mais les bons résultats agricoles de l’année 1976, le Mali exporte des céréales, qui devaient se répercuter sur l’activité commerciale (à cause de la défaillance des organismes de commercialisation) lui ont au contraire portés préjudice. La balance des paiements a alors accusé un déficit de 20 milliards de francs CFA. Jusqu’en 1978, les cultures céréalières vont se maintenir à un niveau de production raisonnable, mil et sorgho 989300 tonnes, riz 232000 tonnes, maïs 81700 tonnes45.

41 Comme noté plus haut, certains membre du CMLN, voulaient de leur liquidation. La position du président Moussa Traoré hostile aux grands changements a dû peser dans la balance. Il ne souhaitait pas la liquidation des sociétés d’Etat. Des milliers d’emplois auraient été supprimés et de nombreuses personnes privées de ressources, des remous sociaux auraient pu se produire 42 Le président Moussa Traoré en France, les problèmes de coopération ont dominé les entretiens, Afrique Nouvelle 30 avril 1972 43 En 1971, le Mali dont le budget était de l’ordre de 23 milliards de francs maliens avait emprunté aux pays socialistes 110 milliards. Les occidentaux, la France en tête dont l’aide se faisait surtout sous forme de dons ne voulaient pas payer les dettes du Mali aux pays communistes in Jean de la Guériviére, les circonstances paraissent favorables à une normalisation complète des relations avec la France. Le Monde du 17 novembre 1971 44 La normalisation politique, le non alignement, La croix du 12 février 1977 45 Plan quinquennal de développement économique et social 1981, 1985 p58

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Quant à la filière coton, elle se développait à une rythme plus rapide que celle de l’arachide déjà en perte de vitesse, mais les problèmes du pays comme encore aujourd’hui restait la répartition du produit national détenu pour l’essentiel par les classes proches du pouvoir et les commerçants. Le Malien du coup d’Etat de 1968 à 1978, n’a certainement pas senti une amélioration de ses conditions d’existence. Mais la mort suspecte du président Modibo Keita en détention en 1977, alors que sa libération avait été annoncée46 compliqua de nouveau la situation. Une forte mobilisation populaire va suivre, des centaines de maliens vont accompagner au cimetière d’Hamdallaye, le corps du père de la nation Malienne ; c’était la consternation. Le pouvoir militaire réagi violement en procédant à l’arrestation de nombreuses personnes qui avaient assistés à l’enterrement de Modibo Keita. Il semble, qu’à partir de ce moment, les tenants du régime militaire ont compris que plus rien ne sera comme avant. Faucons et colombes se tenaient sur leur garde, ce sont les colombes dirigées par Moussa Traoré qui l’emportèrent le 28 février 1978. Grand stratège, ancien élément des services de renseignements et instructeur des commandos, Moussa Traoré réussit à arrêter sans effusion de sang Tiécoro Bagayoko, Kissima Dukara, Karim Dembélé, Charles Samba Sissoko, tous membres du CMLN. On parla alors à Bamako de la bande des trois, qui selon le président du CMLN préparaient un complot visant à renverser le régime et à stopper le processus de « démocratisation » entrepris, ils voulaient instaurer le fascisme selon le président. Deux procès retentissants furent organisés pour juger les « traîtres » qui avaient été dégradés et leurs compagnons. Le premier dit procès politique se déroula à Bamako et le deuxième, procès économique à Tombouctou, loin de Bamako. Des peines très lourdes furent infligées aux inculpés, internés dans les bagnes du Nord du Mali. Tiécoro Bagayoko qui avait envoyé au président une lettre pathétique lui demandant pardon, Kissima Dukara et certains de leurs compagnons moururent.

46 Il est temps que la vérité soit dite sur les conditions de la mort de celui qui fut le père de l’indépendance malienne et qui consacra sa vie au combat pour l’émancipation de l’Africain

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Le président Moussa Traoré avait réussi à se débarrasser de ses compagnons les plus gênants et qui occupaient les postes de Directeur de la Sûreté Nationale et de ministre de la Défense. Il avait désormais les mains libres pour mener sa propre politique. De quatorze au coup d’Etat du 19 novembre 1968, les membres du CMLN dix ans après n’étaient qu’au nombre de sept. Les arrestations du directeur de la sûreté et de certains de ses compagnons furent accueillies avec beaucoup de joie et de soulagement, les exactions, les humiliations pour beaucoup de Maliens avaient pris fin. e- Le président Moussa Traoré règne 1978 à 1991 Moussa Traoré disait à un journaliste à la suite de l’arrestation de ses anciens amis : « Je suis fondamentalement démocrate, mon équipe est maintenant suffisamment cohérente pour qu’ensemble, nous aboutissons à la démocratie. »47 Certains intellectuels pensèrent que le président avait complètement changé et qu’ils pouvaient travailler avec lui. Alpha Oumar Konaré était certainement de ceux là. Il accepta le poste de ministre de la culture, la vie politique venait de renaître, l’UDPM ( Union Démocratique du Peuple Malien) portée sur les fonds baptismaux les 28-29-30 et 31 1979 et ses « appendices » UNFM (Union Nationale des Femmes du Mali) et l’UNJM ( Union Nationale des Jeunes du Mali) était peut être porteuse d’espoir. Mais très rapidement, les discours enflammés du bouillant ministre de la culture sur la corruption, les cadres dégénérés, la recherche de la santé morale, l’éloignèrent du président. On connaît la suite. Tous les Maliens selon leur âge, leur sexe devaient faire partie des organisations démocratiques intégrés de l’UDPM.48Tous les cadres furent obligés de prendre la carte du parti.49 Certains intellectuels s’étaient abstenus, si les tracasseries avaient cessé, ils n’étaient pas en sécurité.

47 Le Mali de 1968 à 1988, du CMLN à l’UDPM, p 91 48 Les organisations intégrés à l’UDPM étaient l’UNFM, UNJM, l’UNTM ( Union Nationale des Travailleurs du Mali) était en principe indépendante de l’UDPM 49 Les jeunes aussi, toutes les demandes d’emploi devaient être accompagnés de la carte de l’UNJM

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D’autres, prirent le chemin de l’exil, surtout après les manifestations estudiantines des années 1979-1980, suivies par une terrible répression, et la mort sous la torture de l’étudiant en philosophie Abdul Karim Camara dit Cabral, le 17 mars 1980. Le pays jusqu’aux mouvements politiques de l’année 1990 vivra au rythme du parti unique dont la charte était inspirée de celle du FLN ( Front de Libération Nationale) de l’Algérie et ses principes du PCUS ( Parti communiste de l’union soviétique). Les services de renseignements furent renforcés et à la tête de la très puissante sécurité d’Etat n’étaient placés que les officiers auxquels le président avait entièrement confiance. On oublie souvent de le dire, l’armée était elle aussi étroitement surveillée . Un malaise politique général, soutenue par une situation économique déplorable devait précipiter la fin du régime. f- La situation économique De 1969 à 1978, l’aide étrangère occidentale, des pays socialistes et des pays du golfe arabo-persique a afflué au Mali, sous forme de dons mais aussi de prêts. Les bailleurs de fonds à cause de la position géopolitique du Mali et des richesses dont son sous-sol regorgeait jusqu’en 1981, étaient prêts à payer malgré la gestion calamiteuse du pouvoir en place. C’est ainsi que Pierre Biarnes notait dans les colonnes du Monde : « les dirigeants sont certes de plus en plus pris à la gorge et ils le savent, mais ils connaissent aussi très bien l’importance stratégique que l’Occident et tout particulièrement la France attribue à leur pays.(qui en outre paraît receler du pétrole et de l’uranium), au cœur de l’Afrique, dans un Sahel menacé de déstabilisation , pourquoi se disent ils, ferait on preuve de sévérité à leur endroit aujourd’hui qu’à une époque où ces menaces étaient moins évidentes ? Au regard de l’intérêt que présente la stabilité de cette vaste région « éponger » 3 milliards de francs français d’arriérés accumulés sur une dizaine d’années n’est pas un prix déraisonnable. »50 L’occident continuera donc à financer jusqu’en 1985 au moins les cérémonies, les voyages, les grandes réunions du parti unique, calqués sur les modèles algérien et soviétique.

50 Pierre Biarnes, Bamako hésite à revenir sur une étatisation désastreuse pour l’économie. Le Monde 1981

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En fait, le pays a surtout vécu de l’aide extérieure. C’est ainsi que comme pour tous les plans précédents, les plans quinquennaux 1974-1978, 1988-1991, n’ont été financés que de 21 % par le pays. Au plan agricole, le retour de la bonne pluviométrie en 1984, 1985, 1986 a permis de dégager des excédents, mais les effets furent annihilés. Les causes étaient la mauvaise commercialisation (1/3 des excédents seulement fut vendu), les prix très peu rémunérateurs aux producteurs, la concurrence de l’aide alimentaire.51 Quant à la production cotonnière en hausse après l’indépendance52 (les superficies toujours en augmentation), sa commercialisation subissait les fluctuations du marché mondial. En effet, si les prix d’achat aux producteurs ont augmenté certaines années, ils ont été stationnaires où ont baissé sur le marché mondial. L’office du Niger malgré les nombreux programmes de réforme continuait à traverser une crise. La situation économique devint catastrophique malgré la liquidation de la plupart des sociétés, entreprises d’Etat et l’ajustement structurel. Les importations représentaient en 1985, 1986, 30 % du PIB, même 45% en 1985 et n’étaient couvertes qu’a 50 % par les exportations constitués du bétail sur pied et de coton fibre. En 1986, le PIB avait reculé pour la troisième année consécutive. Les journées sanglantes du 26 mars 1991, après de multiples négociations, aboutirent à la chute du régime de Moussa Traoré. Démocrates et militaires dirigés par Maître Demba Diallo et Amadou Toumani Touré, mirent en place le CTSP ( Comité de Transition pour le Salut du Peuple). Une transition dirigée par Amadou Toumani Touré qui allait durer quatorze mois, jeta les bases d’une démocratie véritable, multipartiste.

51 Attilio Gandio, le Mali , Khartala pp 227-228 52 La campagne 1982- 1984, fut mauvaise