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Université de Liège Faculté de Philosophie et Lettres Département des Arts et Sciences de la Communication Cinéma expérimental – Livio Belloï Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi La conquête retournée Margaux DE RE Master 1 Arts du Spectacle Année académique 2012-2013

Yervant Gianikian, Angela Ricci Lucchi : cinéma expérimental

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DESCRIPTION

Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi sont deux cinéastes originaires de Milan pratiquant le foundfootage depuis plus de quarante ans. Les artistes basent principalement leur démarche sur l’art de la trouvaille de pellicules déjà impressionnées1. Il va s’agir pour eux de procéder à une relecture du passé afin de cerner les enjeux des grands thèmes du début du siècle. D’un point de vue technique, les cinéastes utilisent des méthodes telles que le recadrage, le ralenti, la colorisation, le négatif ou encore l’ajout d’une bande-son pour se réapproprier les images et permettre un détournement de leur sens originel. Ils désignent le dispositif artisanal permettant ces manipulations techniques sous le terme de « caméra analytique » 2. En ce qui concerne les images, celles-ci sont interrogées sous deux aspects : d’une part, questionner les figures du passé telles qu’elles apparaissent dans les films, et d’autre part interroger le matériau du film en ce qu’il a de plus altérable. La première partie de ce travail visera à revenir sur la biographie du couple Gianikian afin de mieux mettre au jour les tenants et aboutissants de leur démarche. La seconde partie constituera l’analyse d’une de leurs œuvres les plus célèbres : Dal Polo all’Equatore(1986). Outre le fait qu’elle a pu jouir d’une large reconnaissance — notamment grâce à sa diffusion en télévision —, il s’agit d’une œuvre emblématique du cinéma des Gianikian, tant du point de vue de la découverte du film source que dans le traitement formel qu’il a reçu. De plus, d’un point de vue strictement personnel, l’œuvre à la fois belle et troublante, marque durablement celui qui la regarde.

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Université de Liège ��� Faculté de Philosophie et Lettres

Département des Arts et Sciences de la Communication Cinéma expérimental – Livio Belloï

Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi La conquête retournée

Margaux DE RE

Master 1 Arts du Spectacle Année académique 2012-2013

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Introduction

Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi sont deux cinéastes originaires de Milan pratiquant le foundfootage depuis plus de quarante ans. Les artistes basent principalement leur démarche sur l’art de la trouvaille de pellicules déjà impressionnées1. Il va s’agir pour eux de procéder à une relecture du passé afin de cerner les enjeux des grands thèmes du début du siècle. D’un point de vue technique, les cinéastes utilisent des méthodes telles que le recadrage, le ralenti, la colorisation, le négatif ou encore l’ajout d’une bande-son pour se réapproprier les images et permettre un détournement de leur sens originel. Ils désignent le dispositif artisanal permettant ces manipulations techniques sous le terme de « caméra analytique » 2. En ce qui concerne les images, celles-ci sont interrogées sous deux aspects : d’une part, questionner les figures du passé telles qu’elles apparaissent dans les films, et d’autre part interroger le matériau du film en ce qu’il a de plus altérable. La première partie de ce travail visera à revenir sur la biographie du couple Gianikian afin de mieux mettre au jour les tenants et aboutissants de leur démarche. La seconde partie constituera l’analyse d’une de leurs œuvres les plus célèbres : Dal Polo all’Equatore (1986). Outre le fait qu’elle a pu jouir d’une large reconnaissance — notamment grâce à sa diffusion en télévision —, il s’agit d’une œuvre emblématique du cinéma des Gianikian, tant du point de vue de la découverte du film source que dans le traitement formel qu’il a reçu. De plus, d’un point de vue strictement personnel, l’œuvre à la fois belle et troublante, marque durablement celui qui la regarde.

1 Certains films sont composés d’images qu’ils ont eux-mêmes tournées, notamment des témoignages du père de Yervant Gianikian sur le génocide arménien. 2 Cette caméra s’apparente à une tireuse optique composée par un projecteur et une caméra. À la base, elle était destinée au visionnage des pellicules 9.5 mm. Elle a ensuite été réadaptée pour permettre le refilmage des photogrammes.

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I. Biographies

Yervant Gianikian est un italien d’origine arménienne né à Merano en 1942. Il a étudié l’architecture à Venise, non par intérêt pour la discipline, mais dans l’optique générale de s’ouvrir à l’art. Parallèlement, il travaille à la réalisation d’œuvres artistiques sur base d’objets trouvés qu’il collectionne. Il opte définitivement pour le cinéma à la fin de ses études et fait porter sa thèse sur le cinéma des années vingt. La découverte de l’avant-garde américaine et plus spécifiquement de Stan Brakhage attise sa passion pour le cinéma expérimental. Angela Ricci Lucchi est née en 1942 à Lugo di Romagna en Italie. Elle a suivi une formation de peintre en Autriche avec Oscar Kokoschka. La découverte des œuvres de Fernand Léger l’incite à se réorienter vers le cinéma. Au détour d’une installation artistique, elle rencontre Yervant. Le jeune couple s’installe à Milan dans les années septante et commence à travailler conjointement à des projets de courts métrages olfactifs. En 1977, les cinéastes mettent la main sur une série de films au format Pathé Baby3. Ces pellicules oubliées, dénichées par hasard par le couple, trouvent un second souffle. Visionner ces films est un moyen pour les Gianikian de reparcourir l’Histoire, et plus particulièrement l’histoire du cinéma. Des contraintes techniques les obligent à mettre au point une visionneuse particulière qu’ils feront ensuite évoluer en ingénieuse « caméra analytique ». Ils vont ensuite découvrir en 1982 une série de films de Luca Comerio, pionnier du cinéma documentaire italien. Sceptiques à l’idée de les transmettre tels quels, ils les soumettent à leur caméra analytique, refilmant, recadrant, ralentissant et coloriant 347 000 photogrammes imprégnés de l’impérialisme le plus abject et du colonialisme le plus cruel. Lorsqu’ils ne sont pas reclus dans leur atelier à travailler la pellicule, les Gianikian parcourent le monde et recherchent sans cesse de nouveaux trésors à mettre au jour.

« Nous voyageons en cataloguant, nous cataloguons en voyageant à travers le cinéma que nous allons refilmer. La construction d’une caméra analytique nous permet […] de fixer et de reproduire dans des formes inhabituelles le matériel d’archive. Grâce à elle nous réalisons nos “mises en catalogue”, nous archivons, parmi la masse d’images trouvées et que nous avons, celles qui provoquent en nous de fortes sensations. Emploi de l’ancien pour le nouveau, pour faire émerger des actualités les sens cachés, pour renverser les sens premiers. Mémoire de fin de millénaire sur les comportements, les idéologies. »4 Yervant Gianikian, Angela Ricci Lucchi, 1995.

Et lorsqu’ils ne collectent pas, ils filment. Sans doute savent-ils mieux que quiconque combien ces images pourront être précieuses pour leurs héritiers. 3 Il s’agit d’un format familial 9.5 mm, un des tout premiers formats amateurs de l’histoire. 4 GIANIKIAN Yervant, RICCI LUCCHI Angela, « Notre caméra analytique », Trafic, n°13, Paris, P.O.L., 1995, p. 32.

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Parmi les œuvres du couple Gianikian, on peut citer celles qui concernent leurs expérimentations sur les films olfactifs. Il s’agit d’une vingtaine de courts-métrages d’une dizaine de minutes datant du début de leur carrière et montrant des collections d’objets du quotidien. Lors de la projection de ce qu’ils appellent des « paysages de poche », des effluves sont diffusés dans la salle – chaque film ayant une ou plusieurs senteurs attitrées. La diffusion de leurs films se fait par le biais de voyages qu’ils font de ville en ville. Ils vont par la suite mettre de côté cette pratique pour ne plus se consacrer qu’aux images au format Pathé Baby récupérées et aux vieilles pellicules de Comerio. Cette première période de leur art rend déjà manifeste leur intérêt pour les collections, les étiquetages, les classifications et les objets oubliés. Plus tardivement, les Gianikian entament une trilogie sur la guerre à travers leurs films Prigioneri della guerra (1995), Su tutte le vete è pace (1998) et Oh Uomo ! (2004). Ces images d’une impressionnante violence — parfois physique et crue, parfois morale et symbolique — sont recyclées par les cinéastes qui se les réapproprient. Les témoignages sur la guerre d’hier sont ainsi réimplantés dans le monde d’aujourd’hui. Les individus anonymes sont ramenés à la vie l’espace de quelques instants. Cette volonté de recycler de vieilles images pour en détourner le discours se retrouve d’ailleurs dans d’autres de leurs œuvres dont Dal Polo all’Equatore. De façon générale, on peut dire que les Gianikian interrogent la mémoire, les liens du passé au présent. Ils considèrent l’histoire comme un éternel recommencement. Selon eux, tout est condamné à se répéter. Et dans les images datant du premier quart du vingtième siècle, on aurait d’ailleurs dû voir les présages de ce qui se passerait par la suite. Ce sont également les relations de pouvoir qui sont mises en avant dans les films, que ça soit le pouvoir d’un homme sur un autre, d’une religion sur une autre, d’un chef sur un peuple, ou d’un peuple sur un autre peuple.

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II. Le film

Dal Polo all’Equatore, Yervant Gianikian, Angela Ricci Lucchi Italie, 1986, Couleur, 16 mm, 101’’

Le film source

Les photogrammes qui composent Dal Polo all’Equatore sont en majorité issus du film éponyme de Luca Comerio. Les images sont celles tournées par l’opérateur lui-même et par d’autres de ses contemporains. Luca Comerio était un opérateur italien des années vingt qu’on qualifie volontiers de futuriste. Cinéaste officiel du Roi Vittorio Emanuele III puis partisan du fascisme, il réalisait des films d’actualité et de propagande. Il était également explorateur – on le voit d’ailleurs apparaître avec un lionceau dans une séquence de chasse en Afrique – et collectionneur. Son succès auprès des grandes figures politiques du début du siècle s’explique sans doute par sa maîtrise de l’art cinématographique. Quelle que soit la finalité de ses films, ceux-ci témoignent d’une grande aisance à manipuler la caméra et d’un savoir-faire en matière de choix de fragments. Le résultat est très soigné, harmonieux, avec des séquences à la composition remarquable. C’est à la charnière du sublime – relatif à la forme – et de l’horreur – relative au contenu – que naît le paradoxe de ces images. Frappé d’amnésie, le documentariste finit par mourir oublié de tous en 1940, laissant derrière lui une large collection de films. La découverte par hasard de ces pellicules par les Gianikian constitue un tournant de leur vie dont le récit est presque émouvant (annexe 1). À l’origine, le film de 1925 Dal Polo all’Equatore était une compilation d’actualités visant à faire l’éloge du Régime. Les images cherchaient à dresser une sorte d’encyclopédie du monde et à faire l’éloge de la toute puissante Italie.

Réappropriation

Les Gianikian vont dans un premier temps visionner l’ensemble des photogrammes et en scruter chaque centimètre. Les photogrammes vont être isolés un à un, annotés et répertoriés dans un travail colossal. Ils vont ensuite les soumettre à leur caméra analytique : ralenti, colorisation, recadrage et surtout refilmage. Le film va également être sonorisé en lui joignant la musique obsédante de Keith Ulrich et Charles Anderson. Des milliers de tours de manivelle plus tard, le travail qui aura duré cinq années est achevé. L’œuvre ainsi remaniée est un film de cent minutes montrant des fragments d’Histoire plus ou moins disparates : un train traversant les montagnes du Tyrol, l'expédition italienne au pôle Sud de 1899, des images de la Première Guerre mondiale sur le front italien, des scènes de chasse en Ouganda, des combats en Inde, des cartes postales exotiques d'Afrique et d'Indochine des images tournées par l'opérateur Vitrotti sur la frontière russo-persane, etc.

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Découpage, description et analyse

« Le film est divisé en dix sections. Le montage se fait par blocs et par thèmes. »5 C’est dans le respect de cette structure que cette analyse a été réalisée. L’œuvre a été découpée en différentes sections et chaque section a été détaillée (annexe 2). À noter qu’à l’introduction de chaque nouvelle section, la musique – répétitive et lente, faite de bruits et de sonorités instrumentales désaccordées – évolue vers un nouveau motif sonore. Pour des raisons évidentes de longueur, il a été obligatoire d’opérer des choix quant aux séquences analysées. Seules sept sections seront ici traitées : le générique (section 0), le train (section 1), la chasse (sections 2 et 9), les guerres (sections 8 et 10) et la clôture du film (section 11).

Le générique [00:00:00 à 00:01:30]

Le film est introduit par un générique conçu artisanalement par les Gianikian sur base d’étiquettes (annexe 3). La première étiquette présente le titre. Les étiquettes suivantes fournissent des informations techniques sur le film. La dernière est une note des cinéastes sur Luca Comerio. D’emblée, ils mettent en lien l’amnésie du cinéaste documentariste et l’état de dégradation des images :

« L’amnésie chimique, la moisissure, la dégradation physique de l’image, voilà ce qui entoure le matériau des films. » Yervant Gianikia, Angela Ricci Lucchi, 1986.

On voit ensuite apparaître la première image du film : le titre – qui était pourtant déjà apparu –, mais cette fois dans la forme telle que lui avait donné Luca Comerio dans les années vingt. De grandes lettres annoncent « Dal Polo all’Equatore » et derrière, un globe terrestre tourne sur lui même. La présence d’étiquettes dans le générique rappelle l’obsession des cinéastes pour les collections déjà présente dans les films olfactifs. Parallèlement, cette pratique est celle qu’ils utilisent pour organiser les photogrammes de Comerio. Par extension, l’étiquette réfère également aux méthodes de classifications et d’archivage, et donc au foundfootage. Par le biais de ce générique singulier, on peut voir comment les cinéastes font écho à leur propre caractère, à leur ego, mais également à leur méthode. Par ailleurs, cette obsession pour les classifications rappelle les théories très contestées de la fin du dix-neuvième siècle comme celles de Lombroso ou de Charcot. Dans des domaines différents – la physiognomonie et la psychiatrie –, ces théoriciens vont sans cesse avoir recours à la classification et à l’étiquetage. Si la finalité de ces mises en catalogues est largement critiquable, la méthode est emblématique de cette fin de siècle. On peut d’ailleurs la rapprocher de la démarche encyclopédique des opérateurs des premiers temps lorsqu’ils tournent des vues exotiques et ethnographiques. Le générique des Gianikian fait résonner le contexte de l’époque.

5 GIANIKIAN Yervant, RICCI LUCCHI Angela, « Notre caméra analytique », Trafic, n°13, Paris, P.O.L., 1995, p. 36.

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Nous l’avons dit, le titre apparaît à deux reprises. Si la première apparition témoigne de la réappropriation du film par les Gianikian, la seconde introduit quant à elle le matériau source. Il s’agit d’assumer la provenance des images. Un lien se crée alors entre les cinéastes contemporains et l’opérateur des premiers temps. Par ailleurs, cet écran permet d’introduire le thème général du film : la conquête, allant du pôle à l’équateur. Cette conception d’une conquête qui recouvrirait la moitié du globe fait allusion à l’idéologie impérialiste. La conquête géographique est annoncée, même si elle se déclinera finalement sous d’autres formes.

Le train [00:01:30 à 00:11:27]

Pour prolonger le motif de la conquête, les Gianikian ouvrent leur film sur une séquence montrant la conquête au sens strict : la conquête géographique, l’avancée physique dans l’espace. On voit ainsi pendant les dix premières minutes du film une série de vues ferroviaires montrant le Tyrol avant la Première Guerre mondiale. À noter que dans un de leurs textes, les Gianikian nous apprennent qu’ils ont dû partiellement restaurer la pellicule pour qu’elle puisse être supportée par la caméra analytique6. Subsistent tout de même des traces de moisissure et des taches dont nous reviendrons sur l’importance. Dans cette section, les Gianikian réutilisent des vues panoramiques frontales et latérales qui leur permettent de renouer avec la tradition du cinéma des premiers temps. On retrouve l’ondoiement du lointain, le surgissement du proche, le défilement, le noir complet et l’éblouissement à la sortie du tunnel. Cette fascination pour le motif du train est présente chez d’autres cinéastes expérimentaux. Dans Fin (1992), Pelechian montre d’abord l’intérieur d’un train et ses passagers avant de sortir pour filmer l’extérieur du mobile et le paysage. Dans The Desorient Express (1996), Ken Jacobs renverse et inverse des vues panoramiques ferroviaires, générant de puissants effets visuels. Enfin, dans The Death Train (1993) Bill Morrison met en évidence le motif du défilement qui implique que les jouets optiques, le cinéma et le train se définissent par des intermittences du visible. Si on s’arrête un instant sur les entrées et sorties de tunnel, on peut dire qu’elles constituent une définition minimale du cinéma. On passe ainsi du noir complet à la lumière ; le cinéma est une alternance entre ces deux états. Par ailleurs, ce procédé permet aux Gianikian d’ouvrir leur film sur une vue qui donne l’impression d’être un fondu d’ouverture. On passe d’une image avec un petit cercle lumineux à une image complètement lumineuse à la sortie du tunnel (annexe 4). En débutant leur film de la sorte, les cinéastes rappellent la récurrence de l’usage du fondu dans le cinéma des premiers temps.

6 GIANIKIAN Yervant, RICCI LUCCHI Angela, « Notre caméra analytique », Trafic, n°13, Paris, P.O.L., 1995, p. 37.

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Cette brève analyse rapproche fortement la démarche des Gianikian des pratiques d’autres cinéastes expérimentaux. Ils se démarquent en revanche lorsqu’ils choisissent de monter la section au ralenti. Un des effets directs de ce procédé, sur lequel nous reviendrons, est de permettre au spectateur de saisir chaque détail de l’image. On voit ainsi à plusieurs reprises des figures humaines sur le bas-côté. Mais les conséquences du ralenti ne s’arrêtent pas là. En montrant les vues panoramiques ferroviaires, les Gianikian reviennent sur les liens qui unissent l’invention du dix-neuvième siècle qu’est le train avec l’autre invention contemporaine qu’est le cinéma. Sur cette base, on a souvent établi une triangulation entre le train, le voyage et le cinéma. Parallèlement, un théoricien comme l’historien allemand Wolfgang Schivelbusch établit l’ambivalence du train et précise qu’en utilisant le motif ferroviaire, le cinéma montre à la fois un transport pratique et moderne et un projectile inquiétant. Si ce motif inquiétait le spectateur de l’époque, celui à qui s’adressent les Gianikian est familier de ce type d’images. De plus, en faisant le choix du ralenti, les Gianikian ont décidé de briser l’effet de vitesse, et donc le fondement même de l’ambivalence du train. Pourtant, la section provoque le trouble. Le train est métamorphosé en un serpent de fer qui se faufile lentement entre les flancs des montagnes. La conquête spatiale infinie qu’il opère n’est pas un voyage de découverte et d’amusement. La caméra accompagne le train dans sa conquête inquiétante du paysage. Le triangle train-voyage-cinéma est ici réactualisé pour former un nouveau triangle train-conquête-cinéma. Pour le public des Gianikian, le train n’est donc plus ambivalent parce qu’il est rapide, il est inquiétant parce qu’il a permis à l’homme de coloniser. Le rôle assigné à la caméra, qui sera confirmé par le reste du film, est également oppressif. En filmant l’Ailleurs, la caméra participe de la colonisation, ou du moins la cautionne. Si le train conquiert physiquement une trajectoire, la caméra le fait symboliquement. Mais c’est bien d’une prise de vue dont il est question. Ce qui est pris est enlevé aux autochtones et rapatrié en Occident. La conquête, évoquée par les dictionnaires soit comme conquête militaire d’un peuple ou d’un territoire, soit comme conquête morale de valeurs, peut aussi être une conquête par l’image.

La chasse [00:11:27 à 00:20:10] et [01:04:46 à 01:20:33]

Le film propose deux séquences portant sur la chasse : une au début, centrée sur l’Arctique – appelée « Le Sphynx blanc »7 –, et une à la fin, ayant lieu en Afrique – « Le Sphnyx noir »8. La manière de procéder des cinéastes est toujours relativement identique pour ces séquences. Il s’agit de désigner le ou les chasseur(s), puis l’animal – généralement en les isolant dans des plans différents – et de montrer finalement l’abattage ou la capture. Cette composition visant à isoler les sujets – humains ou animaux – passe parfois par le recadrage de l’image source. 7 GIANIKIAN Yervant, RICCI LUCCHI Angela, « Notre caméra analytique », Trafic, n°13, Paris, P.O.L., 1995, p. 37. 8 Idem

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L’instant de la mort est mis en avant par les cinéastes par le biais du ralenti et du recadrage. Dans une séquence, on voit que l’image ralentie d’un ours polaire à l’agonie a été recadrée et le cache a été coupé (annexe 5). Ce procédé a pour effet de se centrer sur l’animal, sur les détails de son calvaire et de dilater le temps dans une logique d’expansion. La mort est donnée comme interminable ce qui amplifie le potentiel dramatique du fragment. Par ailleurs, le fait de multiplier les séquences identiques – agonie d’un morse, d’un ours – participe de l’effet d’amplification. Pour ce qui est des séquences se déroulant en Afrique, les colons blancs sont accompagnés par les autochtones. Dans les séquences choisies par les Gianikian, le privilège du tir ne revient jamais aux colonisés. Ils sont montrés en position d’observateurs. Ils regardent les colons abattre les animaux et ensuite leur expliquer comment l’animal doit être découpé et déplacé. Le contraste lumineux entre colons blancs et autochtones noirs est très marqué. À certains moments, cette dialectique se traduit même dans l’image par une composition gauche-droite avec, au centre, l’animal mort (annexe 6). Là encore, les cinéastes utilisent le ralenti et le recadrage. Pour beaucoup des vues de chasses, les Gianikian ont choisi des images comportant des caches ovales ou circulaires. Outre le fait que cet usage réfère aux films à point de vue du cinéma des premiers temps et qu’il est une façon pour les Gianikian de renouer avec cette tradition, cette pratique assimile le regard du spectateur à la visée de l’arme (annexe 7). Le point de vue est celui du fusil et par extension du chasseur. La caméra n’est plus seulement affaire de conquête d’espace, elle est aussi la conquête violente et meurtrière du corps. Le corps – animal ici, mais humain dans d’autres séquences – est comme abattu par la caméra-fusil9.

Les guerres [00:56:52 à 01:03:43] et [01:20:34 à 01:36:29]

Prolongeant le thème de la violence de la colonisation, il est question à plusieurs reprises dans le film d’aborder la thématique de la guerre. Le dénominateur commun est, comme pour les séquences de chasse, l’amplification de l’instant de la mort. Dans la section sur la Première Guerre mondiale, les corps tombent, au ralenti, infiniment. Les lignes de soldats qui courent sur le front sont explosées par les balles. Dans une séquence portant sur une bataille à Gondar en 1910, on voit un autochtone se faire abattre par un blanc. La séquence est d’abord montrée au ralenti, puis deux autres fois en opérant un recadrage sur le corps qui s’effondre. L’amplification est double : elle passe par la dilatation du temps et par la répétition de la scène. L’usage du ralenti et du recadrage qui est fait ici par les Gianikian est emblématique de leur démarche générale. Lorsqu’ils usent de ces deux procédés, ils attirent l’attention des spectateurs sur un détail. Si l’on reprend la terminologie de Roland Barthes, on peut dire que les cinéastes nous montrent à voir leur punctum. Ils attirent l’œil sur un événement discret qui a retenu leur attention et qui les a émus.

9 Ce terme n’est pas sans rappeler le fusil photographique mis au point par Marey en 1882.

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« Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point mais aussi me meurtrit, me poigne. »10 Roland Barthes, 1980.

Si Barthes disait volontiers qu’il préférait la photographie au cinéma, parce que les images sont trop furtives dans le second domaine, les Gianikian pallient ce manque de fixité par le ralenti et permettent ainsi la mise au jour d’infimes détails. On assiste dans le film à tous les défilés et processions qui entourent les combats. Tantôt en négatif – sans doute pour accentuer les formes –, tantôt en positif, les photogrammes révèlent la belle symétrie des lignes de soldats. Disciplinés, ils défilent face à leurs leaders, plus gradés les uns que les autres et que l’on aperçoit d’ailleurs vers la fin du film. Une des séquences finales reprend ce motif de géométrie des foules. Un plan d’ensemble sur le fond d’une vallée révèle « VIVA IL RE ». Cette fois, les lignes formées ne sont pas faites de soldats, mais bien de quadrupèdes ruminants. Ironiquement, aux soldats se substituent… des moutons (annexe 8). Cette déformation ironique n’est pas isolée. La démarche de Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi vise ici à dénoncer l’ethnocentrisme et le regard condescendant que l’Occident a posé sur le reste du monde11. Le regard condescendant va être détourné, et même retourné. Par le biais des regards que nous lancent les colonisés, l’Occidental est tourné en dérision. Si certains regards nous touchent, d’autres semblent davantage nous narguer. L’Africaine filmée debout avec son bébé, en train de mastiquer une racine toise l’opérateur et ne semble pas impressionnée par sa présence. Les petites Africaines qui subissent le catéchisme de la religieuse blanche font leur signe de croix de l’autre main, comme pour résister. Les visages des hauts gradés sont décadrés et donc, partiellement amputés par la caméra. Un autre phénomène semble rendre justice à ces regards qui nous interpellent : le temps. Nous l’avons souligné, la moisissure est omniprésente sur la pellicule, et les Gianikian n’ont rien fait pour écarter les photogrammes abimés. Cette altération rappelle d’une part la matérialité de la pellicule et le fait que les images sont avant tout matériau, et souligne d’autre part les ravages du temps. Parfois la congruence entre la décomposition de la pellicule et ce qui est représenté est ironique. C’est notamment le cas lorsque les tâches viennent effacer totalement le chasseur dissimulé dans la glace, ne laissant intactes que les parois rocheuses qui l’entourent. On retrouve ce phénomène dans les images du front où les soldats ont été effacés par la moisissure alors que la rocaille est restée intacte (annexe 9). Ceux qui autrefois, avaient fait violence aux corps des colonisés se voient également violentés par la pellicule. Si comme l’induisait Deutsch dans Film Ist, le cinéma est un document, une mémoire, il est, comme la mémoire humaine et particulièrement celle de Comerio, propice à l’amnésie. 10 BARTHES Roland, La chambre claire. Note sur la photographie, Gallimard-Le Seuil, 1980. 11 Cette démarche rappelle celle de Gustave Deutsch dans Film Ist (1995-1998) et particulièrement le segment 9.3 et 9.4 sur la conquête et la guerre.

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Parallèlement, on peut à nouveau invoquer Barthes qui, toujours dans La Chambre Claire, introduit un second sens au terme punctum. Découlant du ça a été, c’est à dire du fait que celui dont l’image nous parvient a été présent devant l’objectif à un moment donné, le punctum de temps introduit l’idée que ce qui a été présent est forcément mort. Il y a ainsi paradoxe entre l’effet de présence, induit par les regards, et l’effet d’absence auquel ils renvoient. Le punctum de temps rétablit l’égalité entre tous ceux qui sont passés devant la caméra. Colons ou autochtones, soldats ou gradés, nul n’échappe cette fatalité. Enfin, un dernier élément d’ironie, touchant cette fois à la démarche même des Gianikian, peut être relevé. Nous l’avons dit, l’acte de prise de vue induit une certaine conquête visuelle. Filmer consiste à prendre quelque chose. Or, les Gianikian ne se contentent pas de réutiliser les photogrammes de Comerio tels quels. Ils font le choix de les refilmer. Quand Comerio et ses contemporains ont filmé les peuplades colonisées, ils leur ont volé quelque chose. Quand les Gianikian refilment ces images, ils volent à leur tout quelque chose aux opérateurs. Ils opèrent une véritable conquête de la pellicule en inversant le message initial induit par le film source.

Clôture [01:36:29 à 01:37:30]

Arriver au bout des nonante minutes du film et se retrouver face à la dernière séquence est très déconcertant. Alors que tout le film semblait traversé par une certaine logique thématique et formelle, la dernière séquence vient bouleverser cette cohérence. Par ailleurs, aucun texte théorique n’abordait cette section et les analyses semblaient toutes l’ignorer, comme si elle n’existait pas. La séquence consiste à montrer le défilement vertical d’images d’une scène bourgeoise. Les images défilent verticalement de bas en haut par intervalle de plus ou moins cinq secondes. Cette méthode rappelle celle utilisée par Ken Jacobs dans Tom, Tom, The Pipper’s Son (1971), à la différence qu’ici, il n’y a pas d’abstraction puisque le film se joue normalement dans chaque « photogramme ». En réalité, la séquence se base sur un artifice visant à rappeler le mécanisme de défilement des images. On voit un homme dans son jardin, tenant à bout de bras un lapin. Il l’agite, amusé, sous le regard de plusieurs femmes endimanchées et de chiens qui semblent vouloir croquer l’animal. Le film, sans doute tourné début du vingtième siècle dans une famille bourgeoise, dans un format amateur qui doit probablement être du Pathé Baby, devient une sombre mascarade montrant jusqu’où peut aller la cruauté de l’homme et, par extension, de l’acte cinématographique qui, en filmant la scène, devient complice.

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Conclusion

La démarche des Gianikian est à la fois artistique et engagée. La part de sublime des images est essentielle, mais n’est pas à surestimer par rapport à la force du message politique. Ces fragments montrent avant tout l’horreur du premier quart de siècle, comme un présage à ce qui aura lieu par la suite. Parallèlement, la position des Gianikian face au cinéma des premiers temps est ambivalente. On voit d’une part une admiration pour les motifs des origines et une grande connaissance des canons de l’époque, et d’autre part la persistance d’une relative méfiance. La caméra comme arme et la notion de prise de vue tendent à rappeler les écueils de la pratique cinématographique. Ces pièges sont mis en exergue dans le film par les différents moyens comme le ralenti, le recadrage, la musique, la colorisation et le négatif. Les cinéastes soulignent les conséquences humaines de ces emplois de la caméra en attirant l’œil sur le punctum des images, à la fois de détail et temporel. Ce qui rend singulière l’œuvre des Gianikian, c’est qu’elle se trouve à la charnière entre le sublime, l’horreur et l’ironie. Dans les textes portant sur Dal Pollo al’Equatore, les théoriciens semblent partager l’idée selon laquelle le cinéma des Gianikian ressuscite ceux qui ont été victimes, comme un hommage. Les titres des articles et les textes parlent de mémoire, d’Histoire, de témoignage. En réalité, cette conception oublie de considérer la composante de dérision que recèle le film et plus encore la démarche des Gianikian. Il n’est pas question ici de pitié pour les gens qui sont représentés. Le geste est plus fort et le foundfootage sert davantage à rendre une certaine justice en montrant comment les rapports de force exposés dans le matériau source peuvent être déconstruits et inversés. Ce réajustement passe par plusieurs aspects. Premièrement, les implications du ça a été et du punctum de temps induisent que colons et colonisés sont tous morts. Face à cette vérité immuable, il n’y a plus de domination. Ensuite la détérioration de la pellicule et les recadrages viennent faire violence aux corps de ceux qui, eux-mêmes, avaient fait violence aux colonisés. C’est l’autre vengeance du temps sur l’Homme. Enfin, les Gianikian provoquent malicieusement les opérateurs du passé en reproduisant l’acte de conquête et en prenant possession – par le biais de leur caméra analytique – des images pour finalement en détourner complètement le sens.

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III. Filmographie*

Films Durée Année

Catalogo n. 3 – Odore di Tiglio intorno la Casa 12 min 1977-79 Dal 2 Novembre al Giorno di Pasqua 10 min 1975-76 Erat-Sora 10 min 1975 Wladimir Propp – Profumo di lupo 10 min 1975 Klinger e il guanto 1975 Del Sonno e Dei Sogni di Rosa Limitata al Senso Dell’Odorato

10 min 1975

Alice profumata di rosa 1975 Catalogo della Scomposizione 10 min 1975 Non cercare il Profumo di B N L 10 min 1975 Catalogo comparativo 10 min 1975 Stone-Book 10 min 1975 Catalogo – Cesare Lombroso Sull’Odore del Garofano

10 min 1976

Cataloghi – Non è Altro Gli Odori che Sente 10 min 1976 Di Alcumo Fiori Non Facilmente Catalogabili 10 min 1976 Catalogo n. 2 20 min 1976 Profumo 27 min 1977 Un prestigiatore una miniaturista 10 min 1978 Milleunanotte 120 min 1979 Karagoez et les Bruleurs d’Herbes Parfumés 16 min 1979 Catalogo n. 4 – Une Due Tre : Immagini. Un Due Tres : Profumi

18 min 1980

Caralogo 9,5 – Karagöez 16 min 1981 Essence d’Absynthe 15 min 1981 Das Lied von der Erde – Gustav Mahler 17 min 1982 Dal polo all’equatore 101 min 1986 Ritorno a Khodorchur : Diario armeno 80 min 1986 Frammenti 3 min (52x) 1987 La Più Aamata Dagli Italiani 90 min 1988 Passion 7 min 1988 Uomini, Anni,Vvita 70 min 1990 Interni a Liningrado 60 min 1990 Archivi Italiani n. 1 – Il fiore della Razza 25 min 1991 Archivi Italieni n. 2 20 min 1991 Giacomelli – Contact 13 min 1993 Animali Criminali 7 min 1994

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Diario africano 16 min 1994 Aria 7 min 1994 Prigionieri della guerra 67 min 1995 Lo specchio di Diana 31 min 1996 Nocturne 18 min 1997 Io ricordo 12 min 1997 Su Tutte le Vette è Pace 72 min 1998 Transparences 6 min 1998 Inventario balcanico 63 min 2000 Visioni del deserto 16 min 2000 Images d’Orient – Tourisme vandale 62 min 2001 Frammenti elettrici n. 2 Vietnam 9 min 2001 Frammenti elettrici n. 1. ROM (Uomini) 13 min 2002 Frammenti elettrici n. 3. Corpi 9 min 2003 Oh ! Uomo 71 min 2004 Frammenti elettrici. New Caledonia 8 min 2004 Luci misteriose 12 min 2005 Frammenti elettrici n. 4, 5 : Asia-Africa 63 min 2005 Terremoto 10 min 2006 Ghiro Ghiro Tondo 61 min 2007 Frammenti elettrici n. 6 – Diario 1989. Dancing in the Dark

60 min 2009

Notes sur nos voyages en Russie 1989-1990 15 min 2011

* Cette filmographie a été établie grâce à des recoupements de sources qui, parfois, se contredisent. Les dates, durées et titres mentionnés sont donc à considérer avec réserve.

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IV. Bibliographie

Articles BERGALA Alain, « Le moindre mal », Les Cahiers du cinéma, n°435, Paris, Editions de l’étoile, juin 2004, pp. 23-24. CHAUVIN Jean-Sébastien, « Vision d'histoire des Gianikian », Cahiers du cinéma, n°547, Paris, Editions de l’Etoile, 2000, p. 11. GIANIKIAN Yervant, RICCI LUCCHI Angela, « Notre caméra analytique », Trafic, n°13, Paris, P.O.L., 1995, pp. 32-41. GIANIKIAN Yervant, RICCI LUCCHI Angela, « Nous recherchons dans les archives… », Cahiers du cinéma, n°590, Paris, 2ditions de l’Etoile, mai 2004, pp. 48-50. GIANIKIAN Yervant, RICCI LUCCHI Angela, « Tourisme vandale : deux projets », Trafic, n° 38, Paris, P.O.L., 1995, pp. 32-40. GIANIKIAN Yervant, RICCI-LUCCHI Angela, « Voyages en Russie. Autour des avant-gardes », Trafic, n° 33, Paris, P.O.L., 2000, p. 47. GIANIKIAN Yervant, RICCI LUCCHI Angela, « Choses trouvées, choses pensées » Trafic, n° 50, 2004. HABIB André, « Les stases de l’histoire. Du found footage en généra, et des films d’angela Ricci-Lucchi et Yervant Gianikian en particulier », Hors Champ, Quebec, 2006. NEYRAT Cyril, « L’enface de la guerre », Cahiers du cinéma, n°626, Paris, Editions de l’Etoile, septembre 2007, pp. 63-64. PERRET Jean, « Les moments du réel », Les Cahiers du cinéma, n°604, Paris, Edictions de l’Etoile, septembre 2005, pp. 84-85. SCHEFER Jean Louis, « Carrousel de jeux », Cahiers du cinéma, n° 610, Paris, Editions de l’Etoile, mars 2006, p. 72.

Articles en ligne BAECQUE Antoine de, « Faire renaître les milliers de regards qui gisaient dans ces films », Libération, [en ligne], 2006, [URL : http://www.liberation.fr/week-end/010158528-faire-renaitre-les-milliers-de-regards-qui-gisaient-dans-ces-lms], (consulté le 10 avril 2013). BELPOLITI Marco, « Gianikian e Ricci Lucchi : Nei crepacci del tempo presente », La Stampa, [en ligne], 2012, [URL : http://www.lastampa.it/2012/04/23/cultura/arte/mostra-della-settimana/gianikian-e-ricci-lucchinei-crepacci-del-tempo-presente-Z48xpXJTPSvTnhPDijIj2J/pagina.html], (consulté le 10 avril 2013) BONNAUD Frédéric, « Les Gianikian, le temps retrouvé », Les Inrocks, [en ligne], 2000, [URL : http://www.lesinrocks.com/2000/06/20/cinema/actualite-cinema/les-gianikian-le-temps-retrouve-11227259/], (consulté le 10 avril 2013). BONNAUD Frédéric, « Retour à Khodorciur, Journal arménien et Hommes, Années, Vie », Les Inrocks, [en ligne], 1999, [URL : http://www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/retour-a-khodorciur-journal-armenien-hommes-annees-vie/], (consulté le 10 avril 2013). BONNAUD Frédéric, « Rétrospective Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi », Les Inrocks, [en ligne], 1998, [URL : http://www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/retrospective-yervant-gianikian-et-angela-ricci-lucchi/], (consulté le 10 avril 2013).

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BONNAUD Frédéric, « Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi – A la rencontre des fantômes », Les Inrocks, [en ligne], 2000, [URL : http://www.lesinrocks.com/2000/12/05/cinema/actualite-cinema/yervant-gianikian-et-angela-ricci-lucchi-a-la-rencontre-des-fantomes-11219232/], (consulté le 10 avril 2013). BRETON Emile, « A la recherche du cinéma perdu », Humanité, [en ligne], 2006, [URL : http://www.humanite.fr/node/103267], (consulté le 10 avril 2013). PERRON Didier, « Yervant Gianikian / Angela Ricci Lucchi : Analyse, collage, mélancolie », Les Inrocks, [en ligne], 1995, [URL : http://www.lesinrocks.com/1995/05/03/cinema/actualite-cinema/yervant-gianikian-angela-ricci-lucchi-analyse-collage-melancolie-11222572/], (consulté le 10 avril 2013).

Ouvrages DAN Sipe, « From the Pole to the Equator: A Vision of a Worldless Past », ROSENSTONE Robert (dir.), Revisioning History. Film and Construction of a New Past, Princeton University Press, 1995, pp. 174-187. FIANT Anthony, « La caméra analytique de Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi : un processus de réappropriation », FARCY Gérard-Denis, AMIEL Vincent (dir.), Mémoire en éveil, archives en création, Editions L’Entretemps, 2006. LUMLEY Robert, Entering the Frame : Cinema and History in the Films of Yervant Gianikian and Angela Ricci Lucchi, Oxford, Editions scientifiques internationales Peter Lang, 2011. MACDONALD Scott, A Critical Cinema 3 : Interviews With Independent Filmmakers, University of California Press, 1998. MACDONALD Scott, Avant-Garde Film: Motion Studies, Cambridge Press University, 1993, pp. 112-121 TOFFETTI Sergio (dir.), Yervant Gianikian, Angela Ricci Lucchi, Turin, Editions Museo nazionale del cinema, coll. « Cinemazero », 1992.

Mémoire FLAGOTHIER Audrey, Le temps d'un regard : étude de la problématique du regard à la caméra et du regard de la caméra dans l'oeuvre d'Angela Ricci-Lucchi et Yervant Gianikian (mémoire de Master), Liège, Université de Liège, 2012.

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V. Annexes

Annexe 1 : découverte des films de Luca Comerio

GIANIKIAN Yervant, RICCI LUCCHI Angela, « Notre caméra analytique », Trafic, n°13, Paris, P.O.L., 1995, p. 35.

« À Milan, au printemps 1982, nous trouvons donc les travaux du dernier laboratoire de Luca Comerio. Le lieu est le sous-sol d’un petit établissement de banlieue, près des autoroutes. Le laboratoire cinématographique a un air du XIXe siècle. La caméra Prevost avec laquelle Comerio filma, au début comme seul opérateur, la Première Guerre mondiale, est appuyée à la verticale sur un banc-titre en bois. La tireuse au contact, elle aussi en bois, ressemble à une petite armoire, avec deux rideaux en tissu noir dans la partie inférieure pour cacher les deux corbeilles qui recueillent la pellicule. Dans la machine, la pellicule n’est entraînée que par une seule roue dentée à huit pointes. Les films sont regardés sur une petite table en bois avec des plateaux en bakélite. Le laboratoire va être démoli. Le propriétaire, seul ouvrier, a déjà démonté et cassé à coups de marteau la tireuse Lumière, par désespoir, parce que sans avenir. Les divers morceaux, rouillés, désarticulés, emplissent des seaux dehors dans la cour, sous la pluie, où sont alignés aussi les châssis en bois pour développer. À l’intérieur, d’autres objets, des appareils cinématographiques sur des socles, sont recouverts de lourdes bâches noires et maintenus par de grosses cordes. Les films documentaires inflammables sont conservés dans une cave. Ils sont destinés à êtres brûlés. Nous regardons quelques photogrammes d’un fragment de film. Nous les regardons “fixes” à la main, en contre-jour sur le verre dépoli, à la lumière de la table. Une embarcation à voile virée en peinte en bleu et rose marin. Nous ne voulons rien voir d’autres à moins de tout voir. »