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16/01/14 https://sites.google.com/site/forumpsybe/home/les-symptomes-de-l-humain-sont-au-dela-de-la-philosophie-et-de-la-medecine-par-alfredo-zenoni?tmp… https://sites.google.com/site/forumpsybe/home/les-symptomes-de-l-humain-sont-au-dela-de-la-philosophie-et-de-la-medecine-par-alfredo-zenoni?tmpl=%2… 1/2 Accueil > Les symptômes de l’humain sont au-delà de la philosophie et de la médecine, par Alfredo Zenoni Il n’y a pas de journal ou de magazine qui ne possèdent pas une rubrique « santé » et qui, une fois sur deux, ne traitent pas sous cette rubrique des problèmes comme les phobies, la dyslexie, la dépression, l’hyperactivité, l’insomnie, la timidité etc. sans même préciser qu’il s’agit de « santé mentale », tant la santé mentale elle-même n’est censée être qu'un secteur de ladite santé. Il ne s’agit pas simplement du point de vue des journalistes. C’est aussi le point de vue qui préside à tous les projets de réforme de la psychiatrie qui sont régulièrement mis en place comme au projet de loi dont nous discutons aujourd’hui. La transformation de tous ces symptômes, malaises, difficultés en « problèmes de santé » veut être une manière de répondre à la « stigmatisation » dont les personnes qui en souffrent et leurs familles feraient l’objet, en en faisant des maladies comme les autres. Ce moyennant quoi on fait passer l’idée que la psychothérapie qui y répondrait aurait à s’inscrire dans le type de dispositifs qui sont en vigueur en matière de santé – et qui comportent notamment prévention, dépistage, évaluation – au détriment de la spécificité de la clinique qui s’y traite. On nous dira, en réponse à notre refus de ramener les problèmes personnels, intimes, confidentiels de quelqu'un à des problèmes de santé, que ce quelqu’un peut toujours faire de la philosophie, c’est-à-dire avoir des opinions, se poser des questions, avoir des croyances personnelles voire adhérer à une religion. Mais pour considérer aussitôt que tout cela est optionnel, facultatif, et n’a pas à être confondu avec l’urgence de ce qui doit être assuré à tout citoyen, à savoir la santé. Si elle ne se situe pas dans le domaine de la santé, la psychanalyse relève du domaine de la philosophie, nous dit-on. Sauf que, depuis Freud, ce partage, traditionnel, classique de l’existence humaine entre le « philosophique », qui est optionnel, pluriel, facultatif et le médical, qui est nécessaire, qui concerne ce qui est bon pour tous, le partage entre le sens et la santé, s’avère laisser paradoxalement de côté le cœur problématique même de l’existence humaine, ignorer ce qui dans l’existence humaine comme telle, tant sur le plan individuel comme sur le plan collectif, fait problème, fait symptôme, fait malaise, sans que cela ait un rapport quelconque avec la bonne ou la mauvaise santé. C’est à partir de Freud, et on peut s’étonner avec Lacan qu’il ait fallu attendre si longtemps, qu’on s’est aperçu du fait que la condition humaine comme telle comporte des travers, des impasses, des contradictions qui ne sont pas la conséquence d’un dommage accidentel de cette condition même (lésion, anomalie génétique, virus, empoisonnement) mais qui relèvent de cette condition même en tant qu’elle est centralement désarrimée, décrochée, de toute sagesse ou réglage naturels. C’est cette condition, du fait même de son décrochage de la nature, qui rend possibles des pratiques, des activités, des interactions, des découvertes, des créations qui sont complètement absentes du monde animal. Mais c’est cette même condition qui est à l’origine d’égarements, de folies, d’embarras, d’excès ou de renoncements, d’inerties ou d’exaltations, bref d’expériences et de comportements dont les motivations, les raisons, les causes n’ont rien de naturel. C’est la condition humaine elle-même qui donne lieu à des problématiques qui tiennent au fait que pour ce qui est du plus intime de nous-même comme pour ce qui est du rapport à l’autre, c’est-à-dire pour ce qui nous concerne le plus, il n’existe pas de schéma de comportement, de programme génétique, de formule standard. Il ne peut y avoir que des formules individuelles, des solutions de fortune, improvisées, boiteuses, symptomatiques dont le disharmonique, le conflictuel, le dramatique, voire le comique qui les caractérisent, tant sur le plan individuel que collectif, n’ont pu être évoqués, abordés, illustrés, jusqu’à Freud, que par la poésie, le théâtre, la littérature. C’est Freud qui, le premier, a mis en rapport les symptômes de ce qui s’appelaient à l’époque des « maladies nerveuses » avec ce qui du dramatisme de la vie humaine se recueille, s’exprime, se transpose dans les créations littéraires, les fictions, l’art. Va-t-on dire que le désir, dont l’objet n’est pas lié à la satisfaction d’un

Zenoni - Les Symptomes Humains Sont Au-Dela de La Philosophie Et de La Medecine

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Accueil >

Les symptômes de l’humain sont au-delà de laphilosophie et de la médecine, par Alfredo Zenoni

Il n’y a pas de journal ou de magazine qui ne possèdent pas une rubrique « santé » et qui, une fois sur

deux, ne traitent pas sous cette rubrique des problèmes comme les phobies, la dyslexie, la dépression,

l’hyperactivité, l’insomnie, la timidité etc. sans même préciser qu’il s’agit de « santé mentale », tant la

santé mentale elle-même n’est censée être qu'un secteur de ladite santé. Il ne s’agit pas simplement du

point de vue des journalistes. C’est aussi le point de vue qui préside à tous les projets de réforme de la

psychiatrie qui sont régulièrement mis en place comme au projet de loi dont nous discutons

aujourd’hui.

La transformation de tous ces symptômes, malaises, difficultés en « problèmes de santé » veut être une

manière de répondre à la « stigmatisation » dont les personnes qui en souffrent et leurs familles feraient

l’objet, en en faisant des maladies comme les autres. Ce moyennant quoi on fait passer l’idée que la

psychothérapie qui y répondrait aurait à s’inscrire dans le type de dispositifs qui sont en vigueur en

matière de santé – et qui comportent notamment prévention, dépistage, évaluation – au détriment de la

spécificité de la clinique qui s’y traite. On nous dira, en réponse à notre refus de ramener les problèmes

personnels, intimes, confidentiels de quelqu'un à des problèmes de santé, que ce quelqu’un peut

toujours faire de la philosophie, c’est-à-dire avoir des opinions, se poser des questions, avoir des

croyances personnelles voire adhérer à une religion. Mais pour considérer aussitôt que tout cela est

optionnel, facultatif, et n’a pas à être confondu avec l’urgence de ce qui doit être assuré à tout citoyen,

à savoir la santé. Si elle ne se situe pas dans le domaine de la santé, la psychanalyse relève du domaine

de la philosophie, nous dit-on.

Sauf que, depuis Freud, ce partage, traditionnel, classique de l’existence humaine entre le

« philosophique », qui est optionnel, pluriel, facultatif et le médical, qui est nécessaire, qui concerne ce

qui est bon pour tous, le partage entre le sens et la santé, s’avère laisser paradoxalement de côté le

cœur problématique même de l’existence humaine, ignorer ce qui dans l’existence humaine comme

telle, tant sur le plan individuel comme sur le plan collectif, fait problème, fait symptôme, fait malaise,

sans que cela ait un rapport quelconque avec la bonne ou la mauvaise santé. C’est à partir de Freud, et

on peut s’étonner avec Lacan qu’il ait fallu attendre si longtemps, qu’on s’est aperçu du fait que la

condition humaine comme telle comporte des travers, des impasses, des contradictions qui ne sont pas

la conséquence d’un dommage accidentel de cette condition même (lésion, anomalie génétique, virus,

empoisonnement) mais qui relèvent de cette condition même en tant qu’elle est centralement

désarrimée, décrochée, de toute sagesse ou réglage naturels. C’est cette condition, du fait même de

son décrochage de la nature, qui rend possibles des pratiques, des activités, des interactions, des

découvertes, des créations qui sont complètement absentes du monde animal. Mais c’est cette même

condition qui est à l’origine d’égarements, de folies, d’embarras, d’excès ou de renoncements, d’inerties

ou d’exaltations, bref d’expériences et de comportements dont les motivations, les raisons, les causes

n’ont rien de naturel. C’est la condition humaine elle-même qui donne lieu à des problématiques qui

tiennent au fait que pour ce qui est du plus intime de nous-même comme pour ce qui est du rapport à

l’autre, c’est-à-dire pour ce qui nous concerne le plus, il n’existe pas de schéma de comportement, de

programme génétique, de formule standard. Il ne peut y avoir que des formules individuelles, des

solutions de fortune, improvisées, boiteuses, symptomatiques dont le disharmonique, le conflictuel, le

dramatique, voire le comique qui les caractérisent, tant sur le plan individuel que collectif, n’ont pu être

évoqués, abordés, illustrés, jusqu’à Freud, que par la poésie, le théâtre, la littérature. C’est Freud qui, le

premier, a mis en rapport les symptômes de ce qui s’appelaient à l’époque des « maladies nerveuses »

avec ce qui du dramatisme de la vie humaine se recueille, s’exprime, se transpose dans les créations

littéraires, les fictions, l’art. Va-t-on dire que le désir, dont l’objet n’est pas lié à la satisfaction d’un

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besoin, le désir dont le ressort est lié aux fantasmes, ce désir que Freud a isolé au cœur de l’inconscient

et qui traverse toutes ces œuvres, constitue un problème de santé ?

Situer la psychanalyse du côté des pratiques qui concernent la santé de l’individu ce serait supposer

qu’il existe des standards de l’existence humaine (des standards de la relation sexuelle, de l’amour, de

la famille, des loisirs, de la sociabilité, des modes de vie en général) à l’aune desquels il s’agirait

d’évaluer la plus ou moins bonne santé de l’individu. La thérapie « psycho » consisterait alors

essentiellement à vous prescrire ce qui est bon pour vous, de la même façon que pour votre bien-être

on vous conseille de manger autant de fruits et de légumes par jour, de boire autant d’eau etc. Or, la

psychanalyse part justement du fait qu’il n’y a pas de « bon pour vous » déjà là, mais qu’il s’agit de

partir de votre « bon pour vous » à vous en tant qu’il vous fait problème. S’il ne vous fait pas problème,

s’il ne fait pas symptôme pour vous, eh bien on en reste là.

Cependant, pour n’être pas du domaine de la santé, la psychanalyse n’est pas pour autant une

philosophie. Non que les thèmes touchés, abordés, interrogés par certains philosophes soient sans

rapport avec ce qu’une psychanalyse rencontre. Mais la philosophie n’est pas une pratique, elle ne prend

pas son départ dans un symptôme, dans ce qui fait symptôme pour un sujet, pour y répondre par une

pratique singulière, individuelle, qui emprunte les mêmes voies dont s’est tissée, d’aléas en rencontres,

la trame de l’histoire qu’il exprime. Pour n’être pas une pratique de la santé, la psychanalyse ne

concerne pas moins le symptôme, même si, ce symptôme, il s’agit moins d’en envisager l’éradication

que d’en isoler la racine dans l’irréductible singularité d’un sujet.

La psychanalyse ne se laisse pas enfermer dans l’alternative : ou ça concerne la santé ou c’est de la

philo. Le champ de la psychanalyse est un champ spécifique qu’il s'agit de préserver, sans pour autant

considérer qu’elle n'est pas concernée par le symptôme. Elle est concernée par le symptôme qui ne

relève pas du domaine de la santé, mais de la condition même de l’être humain.

Comment rendre audible la spécificité d’une clinique et d’une pratique qui y répond, qui pour n’être pas

du domaine de la santé n’est pas pour autant une philosophie, voilà le défi devant lequel nous sommes

mis aujourd’hui.