Cahier du « Monde » No21526 daté Jeudi 3 avril 2014 Ne peut être vendu séparément
Descouleursdansl’assietteL’épidémiologisteSergeHercbergproposeunnouvelétiquetagepourmieuxapprécierlavaleurnutritionnelledesaliments.
Unemesureplébiscitéeparlesassociationsdeconsommateurs,maisdécriéeparl’industrieagroalimentaire.PAGES 4-5
Maths :unprixentredéterminismeethasard
I l n’y a pas de prix Nobel pour lesmathématiques. Lamédaille Fields ne joue pas ce rôle puisqu’elle n’est remise qu’à desmathématiciens demoins de 40 ans. Le prix Abel est en revanche
plus proche du prix Nobel car il récompense l’ensemble d’uneœuvre. L’Académie des sciences de Norvègevient d’annoncer que c’est lemathématicien russeYakov Sinaï, professeur à l’université de Princeton et àl’Institut Landau deMoscou, qui recevra le prix en2014 « pour ses contributions fondamentales aux systèmes dynamiques, à la théorie ergodique et à la physiquemathématique ».En termesmoins savants, il s’agit des rapports entre
déterminisme et hasard. Parfois, un phénomène aléatoire semble prédictible, et d’autres fois c’est l’inverse : ce qu’on pense être déterministe est en pratique aléatoire. Jouez par exemple 1million de fois à« pile ou face » : je peux vous affirmer que vous tirerez « face » entre 499 000 et 501 000 fois (et la probabilité que jeme trompe est très faible, inférieure à5 %). Pour ce jeu de hasard, il est donc possible defaire une prévision assez précise du résultat. A l’in
verse, si vous lancez une bille dans un jeu de flipper,on pourrait en théorie déterminer sa trajectoire, quin’est après tout qu’une suite de simples rebonds.Mais ces rebonds sont trop nombreux pour qu’onpuisse les suivre tous et lemouvement de la billenous semble aléatoire. On parle parfois de chaos déterministe.C’est ce vaetvient entre déterminisme et hasard
qu’on appelle « la théorie ergodique des systèmes dynamiques », énoncé par le physicien autrichien Ludwig Boltzmann à la fin du XIXe siècle. L’air qui nousentoure est constitué d’un nombre gigantesque demolécules qui rebondissent les unes contre les autresdemanière incessante, un peu comme dans un flipper. Il est impossible de suivre lemouvement de chacune d’entre elles. Boltzmann propose alors de faire« comme si » lemouvement était aléatoire : c’est ledébut de la physique statistique.Sinaï est sans conteste unmathématicienmais sa
réflexion se nourrit en permanence de la physique.Une partie de ses travaux consiste à établir rigoureusement certaines des intuitions de Boltzmann. On lui
doit, par exemple, une étude extraordinairement délicate dumouvement d’une bille sur une table debillard aumilieu de laquelle on a déposé un obstaclecirculaire. On peut voir ce « billard de Sinaï » parexemple dans www.chaosmath.org/fr.Depuis toujours les physiciens et lesmathémati
ciens entretiennent des rapports complexes faitsd’amour, de haine et d’indifférence… Les uns ne peuvent exister sans les autresmais certains feignentd’ignorer l’existence de l’autre camp. Cela dépend desindividus, des époques et des pays. La science soviétique des années 1960 avait largement favorisé la collaboration étroite entre les deux disciplines. Dans unentretien sur le site du prix Abel, Sinaï exprime avecforce son admiration pour l’Institut Landau deMoscou : « Lesmathématiciens et les physiciens y travaillaient ensemble, et surtout se comprenaient. »Un peu plus loin, il affirme que « les mathématiques
devraient être plus proches du problème du climat ». Lesystème climatique, avec tous ces vents et ces courantsmarins en interaction permanente fait en effetpenser à un immense jeu de billard… de Sinaï ? p
Démasqués par le scannerOriginaires de Guinée, desmasquesprésentés auMusée du quai Branlyà Paris voient leur structure dévoiléepar l’imageriemédicale. PAGE 3
La physique en héritage Filleet petitefille de Prix Nobel, HélèneLangevinJoliot évoque son parcourset lamarche actuelle de la science.Entretien. PAGE 7
Etrange été enAntarctique Lasaison qui s’achève à la base Dumontd’Urville a vumourir tous lespoussins adélie, tandis que le navireravitailleur n’a pu accoster. PAGE 2
SAMUEL GUIGUES POUR « LE MONDE »
c a rt e b l an ch e
EtienneGhysMathématicien, directeur
de recherche auCNRS à l’Ecolenormale supérieure de Lyon.etienne.ghys@enslyon.fr
(PHOTO: FABRICE CATERINI)
2 | 0123Jeudi 3 avril 2014 | SCIENCE &MÉDECINE | A C T U A L I T É
SaisonmortelleenAntarctiquee n v i r o n n e m e n t | Lesconditions,notammentatmosphériques,onteuuneffetcalamiteux
surlareproductiondesmanchotsAdélie.Aucunpoussinn’asurvécucetteannée
marion spée
C’ est la fin de l’été austral enAntarctique. Les scientifiques et le personnel technique venus sur la base Dumontd’Urville pour la saison sont partis, laissant
derrière eux 25 hivernants, seuls jusqu’en octobre. La base est située sur l’île des Pétrels, enbordure du continent, et accueille chaque année des milliers oiseaux venant s’y reproduire. Mais cette saison sera à graver dans lesannales, de l’avis de tous. Toutes les espèces – ycompris l’humaine – ont connu des déboires,plus oumoinsmarqués.« Les pétrels des neiges ont souffert de la pluie,
les fulmars étaient là mais ne se sont pas reproduits, les manchots empereurs ont eu un succèsreproducteur très faible », énumère ChristopheBarbraud, chercheur au Centre d’études biologiques de Chizé (DeuxSèvres). Une situationinédite. Pendant leur période de reproduction,ces oiseaux marins sont dépendants des conditions environnementales, à la fois en mer,où ils se nourrissent, et à terre, où ils prennentsoin de leur progéniture. Ainsi, les deux parents alternent voyages en mer et présence àterre.Mais chez lesmanchots Adélie cette stratégie
a été mise en échec, aucun poussin n’a survécu. Pour Thierry Raclot, chercheur CNRS audépartement d’écologie, physiologie et éthologie de l’université de Strasbourg et spécialistede cette espèce, « c’est du jamaisvu ». « Le succès reproducteur oscille en général entre 0,3 et1,2 poussin par couple ». Sachant qu’il y a environ 15000 couples sur la base, entre 4500 à18000 auraient dû survivre !
Retour sur une saison mortelle pour cesmanchots. « Le 26 octobre, à mon arrivée, il n’yavait aucun adélie, on se serait cru en hiver », sesouvient Christophe Barbraud. Quand ils ontenfin gagné la base, avec une semaine de retard, « ils n’étaient pas très gras », note ThierryRaclot. Lemâle est celui qui jeûne le plus longtemps, jusqu’à cinquante jours. C’est en effetlui qui commence l’incubation desœufs, aprèsla ponte, quand la femelle part en mer s’alimenter. Alors s’il manque de réserves et que lafemelle reste en mer trop longtemps, les conditions sont réunies pour qu’il ne soit pas capable d’attendre le retour de sa dame et abandonne son nid. Effectivement, il y a eu 15 %d’abandon à ce stade contre 2% à 5% les autresannées.Quel était le problème ? On était en novem
bre et la banquise n’avait toujours pas débâclé.La partie de la banquise qui part petit à petit àcette période était solidement fixée. « Norma
lement on trouve une polynie [zone d’eau libreaumilieu de la banquise] à environ 40km de labase, les manchots peuvent y nager et rejoindreplus vite leur zone d’alimentation située audelàdu pack », explique Marie Pellé, une scientifique habituée des séjours dans cette contrée.« Cette année, la polynie s’est ouverte en août,puis a gelé en octobre pour ne se rouvrir que début décembre. » Autrement dit, les manchotsont dû parcourir 90 à 100km en marchantpour trouver l’eau libre.Les voyages suivants ont aussi été plus longs,
si bien qu’au moment de l’éclosion, le parentqui, normalement, revient nourrir son nouveauné, est arrivé tard et avec peu de victuailles. « Les poussins ont dû jeûner pendantleurs quatre ou cinq premiers jours de vie », raconte Thierry Raclot. Pas idéal pour débuter. Ilfaut dire aussi que les trois jours de pluie consécutifs qui ont inondé les nids fin décembren’ont pas aidé. Les poussins n’étant pas encoreisolés thermiquement, de 30% à 40% sontmorts de froid. Selon Didier Lacoste, chef technicien du centreMétéo France àDumontd’Urville, « c’est un phénomène raremais pas exceptionnel ». Ce qui l’est plus en revanche, ce sont
les neuf jours consécutifs de températures positives enregistrées sur la base. « Cela n’a jamais été observé depuis le début desmesures enjanvier 1956 », affirme Olivier Traullé, chef ducentreMétéo France à Dumontd’Urville.Mais alors, pourquoi la glace tientelle
autant ? Pour David Salas, chercheur au Centrenational de recherche météorologique, « sil’océan sous la glace reste froid et que cellecis’est formée en conditions stables (peu de ventet de houle), alors elle sera solide et peu sensibleà un réchauffement de l’atmosphère ». Il ajoutequ’il faudrait connaître l’histoire de la banquise pour comprendre plus précisément cequi s’est passé.Fin décembre début janvier, la polynie était
là, mais il restait encore plus de 20km de banquise devant la base. Les voyages enmer continuaient à être plus longs et les poussins enpleine croissance manquaient de nourriture.« Nous avons compté 31 poussins vivants finjanvier pour environ 15 000couples », préciseThierry Raclot. On connaît la suite, aucun d’entre eux n’a survécu. La mauvaise performancedesmanchots Adélie aurait aumoins pu profiter aux skuas, prédateurs desœufs et poussins,
mais eux aussi ont passé unemauvaise saison.« L’échec des adélie concernant les œufs leur aété bénéfique à court termemais ensuite, quandil leur a fallu nourrir leur propre poussin avecdes poussins d’adélie, ils se sont retrouvés sansressources », explique Christophe Barbraud.Les oiseaux ne sont pas les seuls à avoir subi
ces conditions de glace particulières. « La persistance de la banquise a eu un effet sur l’activité dans son ensemble », assure Patrice Godon, chef de la logistique polaire à l’Institut polaire français PaulEmileVictor. « C’est lapremière fois que le bateau n’atteint pas labase », expliquetil, lui qui a passé 34 saisonsen Antarctique. « Au mieux il s’en est approchéà 20 km. » Le bateau, c’est l’Astrolabe, le navirepolaire français qui effectue des allersretoursentre Hobart et Dumontd’Urville pendantl’été austral pour apporter vivres, matériels etpersonnels.Un ravitaillement qui profite aussi à Concor
dia, la station francoitalienne située à1 100 km à l’intérieur du continent. Problèmed’accessibilité du bateau oblige, deux hélicoptères affrétés en février ont finalement permisde transférer assez de fioul et de nourriturepour que les hivernants passent effectivementl’hiver sur place. Sans quoi, leurmission auraitété annulée. Chacun espère que cela se passeramieux en 2015.Si on récapitule, la polynie n’est apparue que
très tard et la banquise n’a jamais débâclé.Deux ingrédientsclés à l’origine de l’hécatombe des manchots. Mais qu’estce qui régitl’état de la glace de mer ? « D’un côté on a lesconditions atmosphériques (vent, marée, courants océaniques) qui ont tendance à fragiliserla glace, et, de l’autre, les conditions géographiques (présence d’icebergs ou de glaciers) quivont au contraire piéger la banquise et la protéger », explique Lydie Lescarmontier, postdoctorante à l’université nationale australienne(Canberra). « Il est difficile de déterminer unphénomène en particulier qui expliquerait la situation présente, car tous ces processus interagissent. » Ce qui semble établi, c’est que « si labanquise persiste autour de Dumontd’Urville,elle va devenir de plus en plus épaisse. Retrouverde l’eau libre à conditions égales n’en sera queplus difficile », conclut Lydie Lescarmontier. p
UneffortinternationalcontrelesmaladiestropicalesnégligéesUnpartenariatpublicprivéafourni1,3milliarddetraitementspoursoignerunsixièmedelapopulationmondiale
paul benkimoun
R éunis à l’Institut PasteurdeParis,mercredi 2 avril,lesmembresdupartenariat « S’unir pour com
battre les maladies tropicales négligées » devaient présenter unbilan positif des actions menéesdepuis deux ans et annoncent denouveaux engagements.Constitué à Londres le 30 jan
vier 2012, le partenariat rassemble notamment treize laboratoires pharmaceutiques, la Banquemondiale, les structures d’aide audéveloppement des gouvernements américain et britannique,et la FondationBill etMelindaGates (FBMG).Touchant les populations les
plus pauvres et les plus vulnéra
bles dans le monde, les maladiestropicales négligées (MTN)menacent un habitant de la planète sursix de maladie, de handicap oud’être défiguré. Cette année, unaccent particulier est mis sur lalutte pour éradiquer les maladiesliées à des vers transmis par lebiais du sol, avec un financementglobal de 120 millions de dollars(87 millions d’euros). Quelque800 millions d’enfants viventdans des zones touchées par cesparasitoses.
Plans nationauxDans la déclaration de Londres,
le partenariat s’était donné l’objectif de contrôler ou d’éliminer,d’ici à la fin de la décennie, la plupart de dix MTN : filariose lymphatique, onchocercose, tra
chome, vers transmis par le sol,schistosomiase, lèpre, leishmaniose viscérale, maladie de Chagas, trypanosomiase humaineafricaine, dracunculose (maladiedu ver deGuinée).Publié le 2 avril, le rapport du
partenariat constate des progrèsaccomplis au cours des deux dernières années. A commencer parla prise de responsabilités despays concernés. Plusde 70d’entreeux, parmi lesquels certains trèstouchés comme le Nigeria oul’Ethiopie, ont élaboré des plansnationaux contre lesMTN.La demande de médicaments
s’est accrue, en particulier du faitde la promesse faite par les treizelaboratoires pharmaceutiques defaire don de la quasitotalité destraitements nécessaires pour par
venir aux objectifs du partenariat. En 2013, 1,35 milliard de traitements ont été donnés notamment par Merck, GlaxoSmithKline, Eisai ou Johnson& Johnson, ce qui représente unaccroissementdeplusde 35 %parrapport à 2011.
Essais cliniquesPlusieurs nouveaux contribu
teurs ont rejoint le partenariat,parmi lesquels leQueenElizabethDiamond Jubilee Trust. Les gouvernements brésilien, chinois, indien et nigérian, de même quedes organisations philanthropiques d’Argentine ou du Nigeriaont intensifié leurs investissements dans les programmes delutte contre lesMTN.Une composante de la Banquemondiale, l’As
sociation internationale pour ledéveloppement, a fait jouer desmécanismes rendant disponiblesde nouveaux financements pourun montant de 120 millions dedollars.Le rapport souligne lesavancées
réaliséesvers l’éliminationdecertaines MTN par plusieurs pays.C’est le cas de la Colombie, qui estdevenue le premier pays touchépar l’onchocercose à avoir pu confirmer l’élimination de cette maladie responsable de cécités.Les 47 pays d’Afrique subsaha
rienne, région où surviennent90 % des cas, ont apporté leursoutien à un plan régional visantà l’éradication de l’onchocercose.LaCôted’Ivoire, leNigeret leNigeria sontparvenusà sedébarrasserdu ver deGuinée.
LeMaroc a fait demême avec letrachome, une autre maladie quirend aveugle.Des progrès encourageants ont
également été accomplis en matière de recherche et développement de nouveaux outils pourcombattre les MTN. Sans nouveaux médicaments, en particulier sous forme pédiatrique, etnouveaux moyens de diagnostic,les objectifs du partenariat nepourront être atteints.Des tests diagnostiques de la
trypanosomiase humaine africaine (maladie du sommeil) utilisables sur le terrain sont récemment apparus, et de nouveauxtraitements contre cette maladiemortelle, beaucoup plus facilesd’emploi, font l’objet d’essais cliniques. p
Lesmanchots ont dûparcourir de 90 à 100 km
enmarchant pourtrouver l’eau libre
Manchots Adélie, sur la base Dumontd’Urville, située sur l’île des Pétrels, près du continent antarctique.JULIEN LABRUYÈRE
Cercle polaire
Pôle Sud
1 500 km
OCÉ
ANAT
LANTI
QUE
OCÉAN
INDIEN
OCÉANPAC IF IQUE
Mer deWeddell
Mer deRoss
Dumont d’Urville
A C T U A L I T É | SCIENCE &MÉDECINE | Jeudi 3 avril 20140123 | 3
GénétiqueUne enzyme salivaire impliquéedans l’obésitéLa concentration dans la salive de l’amylase, une enzymedigestive facilitant ladégradation de l’amidon, est corrélée aurisque d’obésité, selon une étude codirigée par Philippe Froguel (Institut Pasteur, Lille, Imperial College, Londres).Cette concentration est directement liéeau nombre de copies du gène de l’amylase salivaire (AMY1). L’étude indiqueque le risque d’obésité est huit fois plusélevé pour les 10 %des sujets qui en ontmoins de cinq copies que pour les 10 %des individus en ayant plus de huit Elleétablit un lien génétique entre lemétabolisme des sucres complexes et l’obésité. Lamastication en présence d’uneforte concentration d’amylase pourraitfaciliter leur bonne digestion.> Falchi et al., Nature Geneticsdu 30mars.
PhysiologieLa réduction calorique bénéfiquepour lesmacaquesLa réduction calorique appliquée à l’alimentation d’un groupe demacaquesélevés à l’université duWisconsin s’esttraduite par une baisse par trois du risque demourir d’unemaladie liée àl’âge, par rapport à desmacaques senourrissant à satiété. Ces observationslancées en 1989 tranchent avec uneétude précédente qui n’avait vu aucunbénéfice chez ces primates d’une tellerestriction de 30 % de l’apport calorique.Mais une nouvelle analyse de cesdonnées amontré que chez cesmacaques, le groupe témoin était luimêmeen restriction calorique. Cette observation concorde avec l’allongement de lavie lié à la réduction calorique observéchez les rongeurs, lamouche et le versC. elegans. (JEFF MILLER/UNIVERSITY OFWISCONSIN-MADIS)
> Colman et al., NatureCommunications du 1er avril.
2 992C’est, enmètres, la profondeur recordde plongée atteinte par des baleines àbec de Cuvier (Ziphius cavirostris). Soit1 100mètres de plus que les donnéesprécédentes sur cette espèce et600mètres de plus que le record détenu par un éléphant demer. L’équipeaméricaine qui publie dans PLoS Onedu 26mars son étude sur huit spécimens vivant au large de la Californie aaussi enregistré des temps de plongée45 % plus longs que ceux connus jusqu’alors, soit 137,5minutes. L’étudepermet demieux décrire les différences de comportement entre le jour etla nuit etmontre une diversité ducomportement de cesmammifèresjusqu’alors insoupçonnée.
PhysiqueDes trous font obstaclesaux tremblements de terreDes physiciens duCNRS, de l’InstitutFresnel et de l’entreprise de bâtimentMénard, àMarseille, ont démontré engrandeur réelle l’efficacité d’unnouveauconcept de protection sismique (LeMondedu 29 septembre 2012). Ils ont diminué par deux l’énergie propagée àquelque cinqmètres dupilon qui a faittrembler la terre. Pour ce faire, ils ontpercé le sol avec trois rangées de dixtrous de 30 centimètres de diamètre et5mètres de profondeur. Cette énergieest en fait retournée vers la sourcecomme si les trous étaient desmiroirs,conformément à la théorie. Cependant,les chercheurs appellent à la prudencequant à une éventuelle généralisation dela technique. Pour chaque sol, il faudraitcalculer la bonne configuration de trouset tenir compte d’effets secondaires, concentrant l’énergie dans des zones éloignées du bâtiment.> Brûlé et al., Physical Review Letters,du 4 avril.
LescannerfaitparlerlesmasquessacrésdeGuinée
e t h n o l o g i e | LelaboratoireduMuséeduquaiBranlyarecoursàl’imageriemédicalepoursonderlessecretsd’objetsrituels
pierre le hir
C’ est un grand masque au faciès terrifiant, mihommemibête. Percéd’orbites ténébreuses et d’une
cavité buccale qui semble exhalerune sourde menace, encadré d’uneépaisse crinière végétale, le visageest un indéchiffrable agrégat de cornes de gazelle et de buffle, de coquillages, de noix, de poils, de peau,de terre, de résine et de sang animal.Un assemblage hybride dont seulel’imagerie médicale est parvenue àrévéler une partie – et une partieseulement– dumystère.La pièce est l’une des plus saisis
santes de la soixantaine réunies parl’exposition « Bois sacré. Initiationdans les forêts guinéennes », présentée jusqu’au 18 mai au Musée duquai Branly, à Paris. On y trouve, àcôté de masques rituels, des statuettes et des pierres sculptées participant au système initiatique du poro,pratiqué depuis le XVIesiècle enAfrique de l’Ouest et toujours vivacedans certaines communautés deGuinée, du Liberia ou de Côted’Ivoire.
« Cedevait êtreunmasque trèspuissant, dédié à la protection de la communauté tout entière, suppute Aurélien Gaborit, responsable des collections africaines du musée etcommissaire de l’exposition. Portéaudessus de la tête par un membre
d’une société secrète, il devait être garant de la santé et de la fertilité, chassant les ennemis et repoussant les envahisseurs. »Du pouvoir occulte de cet objet té
moigne la charge magique, invisibleà l’œil nu, dont il est porteur. Lesrayons X, en effet, ont fait apparaîtreque les cornes de bovidés, dissimulées sous une croûte de sang sacrificiel, étaient emplies de matières organiques animales et végétales ré
Du pouvoir occultede cet objet
témoigne la chargemagique dontil est porteur
Lalecturerapideenfincrédible?Unestartupproposed’affichersurécranlestextesmotaprèsmot
hervémorin
L ire deux à cinq fois plusvite? Un rêve que SpritzInc, une startup américaine basée à Boston, dit
avoir réalisé, grâce à un astucieuxsystèmed’affichagedetextes,mot aprèsmot, à une vitesseque l’internaute peut fixer à saguise. La page d’accueil de Spritz(Spritzinc. com) permet de testerle procédé, qui semble convaincant : à 250mots à laminute, unpeu plus rapide que la vitesse delecture moyenne (220mots/min), on n’a aucunmal à appréhender le texteprésenté.A 400mots/min, on parvient
encore à suivre. La cadence de600mots/min est moins lisible,même si les concepteurs deSpritz assurent qu’un peu d’entraînement suffit pour s’y sentirà l’aise, et que certains individusmaîtrisentencore lesens, sanssefatiguer, à 1000mots/min !
Pour atteindre une telle vélocité, Spritz recommande de fredonner pour supprimer la subvocalisation, ce mécanisme deprononciation silencieuse actionnant lesmuscles vocaux quiaccompagnela lecturenormale–et dont certaines expériencesontmontré qu’il contribuait à labonne compréhension et à lamémorisationdes textes.Spritz a en fait recyclé un outil
utilisé depuis les années 1970 enpsychologie expérimentale, laRSVP (pour « Rapid Serial VisualPresentation »), qui consiste àprésenter séquentiellement desmots pour étudier les processusde perception. L’apport de lastartup a consisté à faire ensorted’aligner lesmots sur la lettre située au niveau du premiertiersgauchedumot, le« pointdefixationoptimal »:celapermetàl’observateur d’appréhender latotalité de l’item sans effectuerdesaccadesoculaires, lagymnas
tique qui permet aux yeux deprogresser le longd’untextenormal, chaque saut faisant « perdre » 200 millisecondes. Le système divise automatiquementlesmotsdeplusde 13 lettres.Spritz, dont la technologie sera
d’aborddisponiblesurunemontre connectée de Samsung et undes futurs smartphones de lamarque coréenne, ambitionnederendreaccessibleparsonoutil1 % du corpus textuel mondialen ligne d’ici à 2016. La sociétéprétend – sans fournir d’étudesscientifiques validées – que sonmode de lecture fera gagner dutemps aux lecteurs, sans dégradation de la qualité de lecture.Estce crédible ?Pour le neuropsychologue Sta
nislas Dehaene, il est possible dedoubler la présentation d’untexte parlé ou écrit sans en altérer la compréhension : « Jusqu’à400mots/min, les aires du langage suivent et sont activées au
même niveau qu’avec une phraseparlée, qui peut aussi être accélérée. » Mais dans une étude enimagerie cérébrale fonctionnelle, son équipe a montré (TheJournal of Neuroscience, 2012)qu’à une cadence plus élevée deprésentation, les aires supérieures de traitement du langage nepeuventplussuivre: ilexisteunesorte de mémoire tampon quisature et constitue un goulotd’étranglement.
Plusieurs objectionsLe neurologue Laurent Cohen
(PitiéSalpêtrière) juge, lui aussi,la technologiedeSpritz« intéressante », mais soulève plusieursobjections : le mode séquentielde présentation ne permet pasde revenir en arrière, de vérifier,comme on le fait avec un texteclassique, soulignetil. Et pourun texte hiérarchisé, la structuren’est pas perceptible. « Je ne saispassi lamémorisationou lacom
préhension “en profondeur” sefaitaussibienqu’avecuneprésentationstandard », s’interrogetil.Le spécialiste de cognition vi
suelle John Henderson (University of South Carolina) soulève,lui aussi, dans son blog, plusieurs points critiques. Lire untexte, écritil, c’est comme se déplacer sur un terrain accidenté,avec des passages plus ardus qued’autres.Onn’auraitpas l’idéedes’y aventurer les deux pieds reliés par une corde pour faire despas toujours identiques, sauf àrisquer la chute. C’est pourtantce que propose la lecture enRSVP, analysetil.Spritz seratil donc utile, au
delà de la lecture d’alertes ou decourtsmessages,pouravalerAlarecherche du temps perdu enquelques heures sur de petitsécrans ? Les laboratoires de psychologie expérimentale, commeles internautes, sont libres de lepasser aubancd’essai… p
t é l e s c o p e
duites en poudre, qui lui conféraientsans doute sa force.« Nous avons un partenariat avec la
clinique de l’Alma, qui nous permet deréaliser des scanners de certaines denos pièces, explique ChristopheMoulhérat, responsable du laboratoire de restauration du musée.Grâce à un logiciel spécifique dontnousavonsété lespremiersànousdoter, nous pouvons visualiser leur construction complexe, en trois dimensions, par une sorte de fouille virtuelle. » Il est ainsi possible, sansendommager l’objet, de l’examinersous toutes les coutures, de le décortiquer, de sonder sa structure intimeet de mettre au jour, sous l’amalgame qui le recouvre, l’alchimie desstrates et des inclusions de matériaux dont il tire son « principe actif ».Mais aussi de partager ces informations avec des spécialistes de lafauneet de la flore, pour en identifierles ingrédients.Plusieurs pièces emblématiques de
l’exposition ont été soumises à laquestion. L’équipe du quai Branly apar exemple découvert, sur un masque en bois du Liberia, une cavitéprotégée par des bandes de tissu etservant de réceptacle à des griffes deléopard, des cauris (petits coquillages
associés à la divination), des colliersde graines, une perle de verre ou depierre, des sachets de cuir ou de tissusemblables à des amulettes, maisaussi des fragments d’ossements–animaux ou humains ? – broyés etmêlés à des débris végétaux.« La recette magique des éléments
qu’il contient compte plus que l’objetluimême, commenteAurélienGaborit. Celui qui faisait cette préparationallait chercher la terre ou les plantesdans un lieu où il pensait que les esprits se rassemblaient, au pied d’ungrand arbre ou au bord d’une rivière.Les masques, utilisés pour des cérémonies d’initiation des jeunes, à unmoment charnière de leur vie où ilsrisquaient de passer sous l’emprise deforces malveillantes, servaient aussilors des événements marquants pourla communauté, comme les funérailles. » Et même, à armes inégales,magie contre fusils, dans la lutte contre les Européens, le Portugal puis laFrance, dont la Guinée fut une colonie de 1891 à 1958.Reste que les scanners sont encore
loin d’avoir levé le voile sur les énigmatiques pouvoirs des bois sacrésdes peuples de la forêt, dont la puissance de fascination demeure intacte. p
Les rayons X révèlent, sous l’amalgame recouvrant ce masque (à gauche), un assemblage de cornes (aumilieu) et la structure en bois de l’objet (à droite).THIERRY OLLIVIER, MICHEL URTADO/MUSÉE DU QUAI BRANLY
4 | 0123Jeudi 3 avril 2014 | SCIENCE &MÉDECINE | É V É N E M E N T
NutritionVersuncodedebonneconduite?
a l i m e n t a t i o n
L’épidémiologistedelanutritionSergeHercbergproposeunétiquetagedelavaleurnutritionnelledesalimentspluscompréhensibleparlegrandpublic.L’industrieagroalimentaireyestdéfavorable
sandrine cabut, pascale santi etlaurence girard
L es aliments aurontilsbientôt une étiquette decouleur selon leur qualiténutritionnelle, commel’habitat et l’électroménager sont notés en fonctionde leurs performancesénergétiques ? C’est ce que
préconise un rapport du professeurSerge Hercberg (Inserm) sur la prévention nutritionnelle, remis le 28 janvier àla ministre de la santé Marisol Touraine.Dans le cadre de la stratégie nationale desanté, celleci avait demandédespropositions concrètes pour donner un nouvelélan au Programme national nutritionsanté (PNNS, à miparcours de son 3e volet 20112015).SergeHercberg, qui préside le PNNS de
puis sa création, en 2001, a listé au totalquinze mesures préventives, dont l’emblématique étiquetage des aliments manufacturés. « Cela fait des années que lesassociations de consommateurs et les nutritionnistes plaident pour un systèmesimple avec des pastilles de couleur, quidonnent une idée de la qualité nutritionnelle globale, expliquetil. Pour les consommateurs, c’est une source d’information, permettant de comparer des denréesd’unemême famille. »De fait, le dispositif actuel est peu
adapté augrandpublic. L’étiquetage, souvent au dos ou sur le côté des emballagesdes aliments, fait en général état de la teneur en calories, en glucides, lipides (notamment graisses saturées), protéines, fibres et sodium (sel),mais l’interprétationreste complexe. Et la comparaison entre
produits de différentes marques est plutôt fastidieuse. Le nouveau règlementeuropéen Information des consommateurs (INCO), qui devra s’appliquer d’ici à2016, va rendre obligatoire les mentionsnutritionnelles sur les produits alimentaires préemballés sans vraiment bouleverser l’information délivrée aux acheteurs.
Serge Hercberg s’est appuyé sur la littérature internationale, les recommandations de groupes d’experts et l’expérience de pays comme le RoyaumeUni,qui a récemment mis en place un système de feux tricolores. « Toutes les analyses systématiques publiées concluentque les systèmes d’information nutritionnelle sont susceptibles d’influencer lesconsommateurs et que ces effets touchenttous les groupes de population, notamment ceux qui ont les plus faibles niveauxd’éducation, qui sont le plus à risquenutritionnel (obèses, hypertendus) ou qui ont leplus faible intérêt pour la nutrition »,écritil dans son rapport. Le nutrition
niste concède toutefois que « les étudesportent sur les comportements d’achat àcourt terme mais ne testent pas l’impactde la mesure mise en place dans la durée ».S’inspirant du modèle britannique à
trois couleurs, Serge Hercberg préconiseune échelle plus fine avec cinq couleurs(vert, jaune, orange, fuchsia, rouge).Avantage : « Il est plus facile pour un industriel de faire monter son produit d’unecatégorie avec cinq couleurs qu’avectrois. »Mais laméthode de calcul reste lamêmeque celle des Anglais. Pour chaquealiment sont pris en compte quatre éléments plutôt défavorables sur le plannutritionnel : la densité énergétique (apport calorique pour 100 g), la teneur en
sucres simples, en graisses saturées et ensel. Chacun de ces items étant noté de 1 à10, le score global est donc compris entre0 (le meilleur sur le plan nutritionnel) et40. Celuici peut cependant être minimisé par la présence dans le produitd’éléments considérés commefavorablespour la santé : fruits ou légumes, fibres,protéines, chacun étant coté de 1 à 5. Lanote finale peut donc théoriquement aller de – 15 (dans l’idéal) à + 40.« L’idée n’est pas de stigmatiser un pro
duit ni d’interdire de manger les produitsrouges, mais de donner des repères », résume le docteur Chantal Julia, de l’équipede recherche en épidémiologie nutritionnelle (Bobigny), qui travaille avec leprofesseur Hercberg. Globalement, l’offre
Certains regrettentque le systèmene prenne pasen compte
les additifs, colorants,et les labels bio
U ne seule page sur 152. Levolet prévention surl’alimentation et l’acti
vité physique n’était que portion congrue dans le plan Cancer présenté début février parFrançois Hollande (consultablesur ecancer. fr). De nombreusessociétés savantes ont dénoncédans une lettre à laministre dela santé en février ces «modestes propositions », et alerté surl’urgence de relancer la politique nutritionnelle de la France.Pourtant, de nombreux tra
vaux scientifiques ontmis enavant le rôle des facteurs nutritionnels (qui couplent alimentation et activité physique) surl’état de santé et dans le déterminisme des principalesmaladies chroniques (cancers,maladies cardiovasculaires, diabète,etc.). Environ un tiers des cancers les plus fréquents dans lespays industrialisés pourraientêtre évités grâce à la préventionnutritionnelle. Une étude publiée en ligne par le Journal ofEpidemiology and CommunityHealth, lundi 31mars,menéepar l’University College London,montre qu’une consommationd’aumoins sept portions defruits et légumes chaque jourréduit les risques demortalité etdemaladies cardiovasculaires.L’instauration du Programme
national nutrition santé (PNNS),
en 2001, a entraîné des progrès, cequi permet à la France de ne pasêtre tropmal placée en termesd’obésité par rapport au RoyaumeUni ou à l’Allemagne. L’obésité touche toutefois 15 % desadultes en France, le facteur socialétant de plus en plusmarqué.L’Observatoire de la qualité de
l’alimentation (Oqali), créé en2008 et géré conjointement parl’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et l’Institut national de la recherche agronomique(Inra), a publié fin 2012 une étudesur les effets des 35 chartes signées alors par les industriels.
Très loin des objectifs fixésSur l’ensemble des produits
concernés, la réduction de sucreétait de 0,4 %, celle d’acides grassaturés de 0,1 à 0,2 %, celle de sodiumde 1,1 % aumieux. Soit trèsloin des objectifs fixés par lePNNS2 en 2006. « Certains produits évoluent dans le sens des recommandations nutritionnellesmais d’autres s’en éloignent, constateMarine Spiteri, de l’Inra.Dansles produits laitiers frais par exemple, le taux de lipides a augmentédans des yaourts au lait fermentégourmands. Demême, en charcuterie, nous constatons une baissedu sodiumdans le jambon cuit supérieur, les lardons et les saucissons secs, mais une augmentationdans les saucisses de type knack. »
Parallèlement, pour préparer latroisième phase du PNNS qui setermine en 2015, la Direction générale de la santé a saisi l’Ansesen 2012 sur l’élaboration de nouvelles recommandations alimentaires. L’Anses rendra un premierrapport fin 2014. « Dans le cadrede cette réévaluation, pour êtreschématique, nous proposeronsdes fourchettes d’apports pouridentifier les aliments, les nutriments qui permettent demaintenir un bon état de santé, tout enprenant en compte les habitudesculturelles ou encore les types depopulations », indique le professeur IrèneMargaritis, chef del’unité d’évaluation des risquesliés à la nutrition à l’Anses. Ces recommandations intégreront l’activité physique.Demême, une nouvelle grande
étude, Esteban, va être lancéemardi 1er avril par l’Institut deveille sanitaire (InVS) auprès de4000 adultes et 1000 enfantspour décrire la consommation etl’état nutritionnel des Français.« Cela permettra d’identifier parexemple le pourcentage de la population qui ne respecte par lesrepères nutritionnels », indiqueKatia Castetbon, épidémiologiste, responsable de l’unité nutrition à l’InVS. Autant d’éléments destinés à éclairer lapolitique de prévention. p
p. sa. et l. gi.
Unvoletoccultédans le planCancerprésentéaumoisde février
Un garde-manger au banc d’essai
eau laitsodasodalight
jusde
fruits
INFOGRAPHIE LE MONDE
1 1 1 11
2
33
8
44
65
5
13
6
7
Echelle de qualité nutritionnelle des aliments de vert (le meilleur) à rouge (le moins bon). Le(densité énergétique, teneur en acides gras saturés, en sucres simples et en sodium) et trois paramètreset en fibres alimentaires). Pour un même produit, le score dépend des marques.
4 fromages
É V É N E M E N T | SCIENCE &MÉDECINE | Jeudi 3 avril 20140123 | 5
alimentaire comprend de nombreux aliments gras et sucrés que le consommateur n’identifie pas forcément commetels. » Certains regrettent que le systèmene prenne pas en compte les additifs, colorants, et les labels bio.Si le principe d’un tel étiquetage était
retenu, il devrait être validé par l’Agencenationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui fixerait les seuils pourchaque couleur. « L’étiquetage est unoutilde gestion, il ne s’agit que de la partieémergée de l’iceberg de questions scientifiques relatives à la nutrition », estimetoutefois la professeure Irène Margaritis,responsablede l’unitéNutritionà l’Anses.Pour l’heure, rienn’estacquis. Leprojeta
reçu le soutien des associations,mais l’industrie agroalimentaire freine des quatrefers. « Nous soutenons le projet et demandons au gouvernement français de l’appliquer », affirme Olivier Andrault, de l’UFCQue choisir, car, affirmetil, « gouvernement après gouvernement, il ne se passerien dans la nutrition. Nous en sommesrestés à de vagues chartes d’engagementsvolontaires ». Et d’ajouter : « Avec le règlement européen INCO,onaperdu l’occasiond’améliorer l’étiquetage obligatoire. »L’association Consommation, loge
ment et cadre de vie (CLCV) est sur lamême ligne. « Nous trouvons la proposition deM. Hercberg très ambitieuse. Nousvoulons une information pour éclairer lesconsommateurs dans leur choix. Fairepasser l’idée qu’on a besoin d’un systèmevisible, en face avant des produits, qui permet de les comparer. Il n’est pas questionde dire : “Toutes les pâtes à tartiner sontétiquetées en rouge et les compotes sanssucre en vert’’. Parmi les pâtes à tartiner,certaines sont plus équilibrées que
d’autres », estime Charles Pernin, de laCLCV. Cette association de consommateurs « invite la ministre de la santé à inclure l’échelle nutritionnelle dans le futurprojet de loi de santé publique ».Pour défendre l’idée, la CLCV a aussi
lancé un sondage en ligne auprès desconsommateurs fin février. Une initiativequi lui a permisdevérifier que la proposition n’était pas du goût de tous. L’association de consommateurs a publié unmail, envoyé par l’Association nationalede l’industrie agroalimentaire (ANIA) àses membres, qui se conclut par une injonction sans ambiguïté : « Nous vous incitons à répondre massivement à ce sondage ! »Au final, selonM.Pernin, « sur lesprès de 1 200 réponses reçues, 85 % despersonnes sont favorables à la présence del’échelle nutritionnelle sur l’emballage ». Sile « bourrage des urnes » n’a donc euqu’un effet très limité, il illustre bien l’opposition de l’ANIA sur ce sujet. Même si,pris individuellement, tous les industriels n’ont peutêtre pas lemême avis.Audelà des associations historiques de
consommateurs, des mouvements de citoyens commencent àvoir le jour. Leprojet Open Food Facts (http://openfoodfacts.org/), né en mai 2012, milite ainsipour « plus de transparence dans l’industrie alimentaire, en particulier sur les étiquettes », selon son fondateur StéphaneGigandet. Environ 900 contributeursdans le monde entier envoient des données accessibles en open data, sur Internet et smartphones. D’autres applications, telle Shopwise, existent pour scanner les aliments et identifier leurcontenu.De leur côté, les industriels ne voient
pas d’un bon œil ces dispositifs. L’ANIAestime que le règlement INCO fournit
des « informations simples, objectives etimmédiates » pour évaluer l’apport nutritionnel de l’aliment et sa place dansl’alimentation quotidienne par rapportauxbesoins. A contrario, l’associationdel’agroalimentaire juge que « les feux tricolores [du système anglais] sont uneévaluation subjective. Il s’agit d’un jugement de valeur qui est identique quelleque soit la taille de la portion de l’alimentconcerné ou l’alimentation de la personne. Tous les aliments peuvent avoirune place dans une alimentation équilibrée. Tout est une question de quantitéconsommée et de fréquence de consommation ».
Des enseignes de la grandedistributionse sont toutefois engagées à clarifier l’information, comme Intermarché, qui amis en place en 2006 Nutripass, un système de feux tricolores. De même, desdistributeurs travaillent depuis 2006pour améliorer leurs marques de distributeur (MDD), comme certains industriels, notamment en changeant les recettes des produits.La proposition d’étiquetage fait aussi
débat dans le milieu des nutritionnistes.JeanMichel Lecerf, chef du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille, s’estainsi déclaré défavorable à un tel
fléchage, qui « peut avoir des effets pervers », atil indiqué dans Le Figaro le4 février. « Aucun aliment n’est mauvaisen soi, tout est une question d’équilibre »,ajoutait le nutritionniste, luimême souvent critiqué pour ses multiples liensd’intérêt avec l’industrie agroalimentaire. Un cas loin d’être unique dans lemilieu des chercheurs en nutrition,comme le souligne Serge Herberg. Luimême, reconnaîtil, a nouédenombreuxpartenariats avec des industriels pourses études, avant d’abandonner tout financement privé il y a quelques années.Autre opposition fermement expri
mée, celle de l’Italie. Par la voix de saministre de l’agriculture, elle a déclaré endécembre 2013 que le système britannique, même sur une base volontaire, étaitsusceptible deporter atteinte auprincipede libre circulation des marchandises ausein de l’UE et d’induire en erreur le consommateur. Elle estimait que le systèmemenaçait le « régime méditerranéen »,mais aussi les produits d’appellationcomme le fromage ou le jambon, quiauraient, selon elle, pu recevoir un feurouge. Certains ont pensé qu’elle défendait ainsi une autre spécialité italienne,unemarque très connue des enfants.Que feront les pouvoirs publics ? Si
l’ambition affichée par le ministère lorsde l’annonce de la stratégie nationale desanté le 23 septembre 2013 est clairequant à la prévention, celuici estaujourd’hui très discret. « Les propositions du rapport sont en cours d’analyse »,indiqueton au cabinet de la ministre.Idem à la Direction générale de la santé.Le professeur Hercberg n’a eu aucuneréaction non plus du côté de l’Assembléenationale et du Sénat, à qui il a fait parvenir son document. p
La propositiond’étiquetage fait aussidébat dans le milieudes nutritionnistes
AuRoyaumeUni,la jungledesétiquettes
I l y a les fruits et les légumesqui n’ont pas d’étiquette surleur contenu nutritionnel. L’in
dication est apposée en revanchesur certaines viandes : le rôti deporc donne au consommateurtoutes les informations nécessaires (calories, gras, gras saturé, sucre, sel), mais pas la cuisse de canard. Quant au bacon, il estétiqueté, mais d’une couleur uniforme, alors que les filets de pouletà la gravy utilisent un système defeu tricolore (rouge pour le sel et legras saturé, orange pour le gras etles calories, vert pour le sucre).Dans les rayonnages d’un super
marché Sainsbury’s du sud de Londres, il y en a pour tous les goûts…en termes d’étiquetage. Suivant leproducteur, les indications sont àl’avant ou à l’arrière du paquet, lescouleurs sont différentes, les présentations ne sont pas directement comparables… Si bien que lesclients n’y prêtent pas toujours attention, et n’en comprennent pastoujours lemessage.« Honnêtement, ça nem’intéresse
pas, témoigne Shawn, un jeunehomme un peu empâté. C’est plutôt pratique quand je fais un régime et que je cherche à réduire unecatégorie, par exemple le sel. Maissinon, je les regarde à peine. » Pourune autre cliente, le problème estque les portions ne sont jamais lesmêmes : « Les indications sur lescéréales sont pour 30grammes.Mais c’est combien, 30grammes ?Ce que je veux savoir, c’est combienil y en a dans toute la boîte. »La GrandeBretagne est l’un des
leaders dans le domaine de l’étiquetage nutritionnel des aliments.Le pays étant le plus touché parl’obésité en Europe occidentale,l’idée d’un étiquetage obligatoireest en débat depuis une décennie.En 2005, Sainsbury’s a été le premier à introduire son propre système. L’année suivante, l’agencede sécurité alimentaire a produitun rapport sur le sujet.C’était compter sans la résistance
des grands groupes agroalimentaires. Après des années de discussion et de lobbying, un accord a finalement été trouvé en juin 2013 :l’étiquetage sera volontaire, il n’yaura pas de loi pour l’imposer àtous. En échange, le gouvernementa obtenu que tous les grands su
permarchés, ainsi qu’une vingtaine demultinationales (Pepsi,Nestlé, Mars…), s’engagent àmettre en place un système uniformisé. Au total, 60 % de l’alimentaire vendu au RoyaumeUni sontcouverts par l’accord. « Cela évited’imposer une réglementation troplourde au petit producteur agricole », justifie un porteparole duministère de la santé.
Cinq bâtonnets de couleurL’étiquetage choisi est constitué
de cinq bâtonnets de couleur(rouge, orange, verte) dans chaquecatégorie : calories, gras, gras saturé, sel et sucre. En dessous, unchiffre indique ce que chaque portion représente en pourcentage dela consommationmoyenne normale d’un adulte. Par exemple,une portion de poulet à la saucemoutarde et miel compte pour8 % des calories consommées chaque jour, 4 % du gras, 6 % du sel…Dernier point, essentiel : cet étiquetage se trouve sur le devant del’emballage. Il est immédiatementvisible pour le client, sans avoirbesoin de regarder à l’arrière.Quand les produits sont compa
rables, un tel système se révèletrès efficace. Cela permet de serendre compte par exemple que lepâté des Ardennes est plus sainque celui de foie de poulet, ou qu’ilvautmieux prendre la pizza aucheeseburger que celle au doublepepperoni…Dans la pratique pourtant, cette
belle uniformité tarde à sematérialiser. Et même si elle semettaiten place, estce que cela aurait unimpact sur la consommation ? Laplupart des études sont plutôt encourageantes. L’une, de l’institutIpsosMori, indique que l’étiquetage influence 80 % des consommateurs dans leur acte d’achat.Mais Alizon Draper, spécialiste dela nutrition à l’université deWestminster et coauteure d’une grandeétude sur le sujet, relativise :« Pour l’instant, on ne sait pas sil’étiquetage a un effet significatifpour pousser les gens à utiliser desproduits plus sains. » A ce stade, ilest trop tôt pour en tirer lamoindre conclusion sur la santé des Britanniques. p
eric albert(londres, correspondance)
Outre le système de logo, lesrecommandations de SergeHercberg sur la prévention nutritionnelle comptent unequinzaine d’autresmesures.(http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_Hercberg_15_11_2013.pdf).Mesure phare, la publicité télévisuelle n’est autorisée dans lajournée (7 heures22 heures)que pour les aliments ayant unscore nutritionnel considérécomme suffisamment favorable. Des systèmes de taxationsont proposés selon la qualiténutritionnelle des aliments. Ilest aussi préconisé de réduireles apports de sel, de favoriserl’allaitement, etc. La pratiqued’une activité physique et sportive est aussi conseillée. Parallèlement, le rapport comprendune seconde partie avec des« mesures concernant la priseen charge desmaladies liées àla nutrition », sous l’autorité duprofesseur Arnaud Basdevant. Audelà de la questionde l’obésité, une attention particulière a été portée à lamalnutrition et aux désordres alimentaires chez les jeunes, et àla dénutrition à tous les âges(http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_Basdevant_15_11_2013.pdf).
Unequinzainedemesures…
SOURCES : ÉQUIPE ÉPIDÉMIOLOGIE NUTRITIONNELLE; INSERM; INRA; CNAM; UNIVERSITÉ PARIS 13
11
12
10
13
14
AVOINE
915
Le score est calculé pour 100 g à partir de quatre paramètres principauxparamètres complémentaires (teneur en fruits, légumes et noix, en protéines
Au placard
– colza
– palme
– blanc
– complet
– boudoirs
– crêpe nature
– goûter fourré
– croissant
– brownies au chocolat
– flocons d’avoine
– céréales fourrées chocolatou chocolat noisette
9. Pâte à tartiner chocolatée :
10. Riz :
11. Pâtes :
12. Sucre :
13. Biscuits :
14. Céréales :
15. Huiles :
Au réfrigérateur
– eau
– jus de fruit
– emmental
– tomme
–mozzarella
– 4 fromages
– 4 saisons
– soda
– soda light
– lait demi-écrémé
1. Boissons :
2. Beurre :
3. Pizza préparée :
5. Fromages :
6. Fruits et légumes :
7. Frites :
8. Pommes noisettes :
4. Steack haché :(selon sa teneur en graisse)
– doux allégé
– doux ou salé
6 | 0123Jeudi 3 avril 2014 | SCIENCE &MÉDECINE | R E N D E Z V O U S
L a comète s’élance vers la Terreà une vitesse vertigineuse.Dans l’atmosphère, elle n’estplus qu’une énorme boule de
feu. L’impact est dévastateur, avec uncratère de 120 km de diamètre, untsunami inimaginable ainsi que
d’autres catastrophes en chaîne,comme des tempêtes de feux, despluies acides, un long « hiver » dûaux poussières soulevées par l’explosion. Le résultat est l’extinction de laplupart des formes de vie sur la planète.C’est l’un des scénarios possibles
pour expliquer la fin des dinosaures,il y a 65millions d’années. L’hypothèse a été émise en 1980 par uneéquipe américaine, composée notamment du Prix Nobel Luis Alvarez et deson fils, à la suite de l’observationd’une concentration anormalementhaute d’iridium dans certaines couches géologiques. Depuis, plusieurschercheurs ont étudié le possible impact de ces catastrophes sur l’évolution de la vie. L’hypothèse d’une périodicité de ces événements,d’environ 35millions d’années, a étéavancée.Un article récent (arxiv, 1403.0576)
propose une explication assez fascinante pour cette périodicité. Elle serait la conséquence de lamatièrenoire de notre galaxie. Pour expliquerla vitesse de rotation des étoiles, onimagine l’existence d’une nouvellecomposante, non détectée à ce jour,
ditematière noire, parce qu’ellen’émet pas de lumière. Elle seraitcinq fois plus abondante que lamatière ordinaire ! Les auteurs de l’article, dont la physicienne Lisa Randall,connue aussi pour sesœuvres de vulgarisation, imaginent que lamatièrenoire comporte un disque dans leplan galactique. Si le Soleil passe périodiquement à travers ce disque, lesforces gravitationnelles pourraientêtre tellement élevées qu’elles délogeraient certaines comètes de leurs orbites. Cellesci se trouveraient dansun grand nuage, dit d’Oort, une gigantesque calotte sphérique constituée de toutes sortes d’objets célestes.Si le disque dematière noire est suf
fisamment dense, le passage du Soleilet du nuage d’Oort à travers celuicipourrait déclencher des tempêtes decomètes vers la partie la plus internedu système solaire. Le système constituerait alors une espèce de grandehorloge cosmique, avec des catastrophes planétaires comme coucou.Avant de vous inquiéter, il faut souligner que dans cette théorie abondentdes éléments non prouvés à côtéd’autresmieux établis. Si les cratèresd’impact sont une réalité (il suffit de
regarder la surface de la Lune pours’en rendre compte), leur périodicitéest sujette à question. L’existence dunuage d’Oort n’est pas confirmée,tout comme celle d’un disque dematière noire.Cela n’a rien d’étonnant : la plupart
des grandes découvertes commencent par des hypothèses audacieuses.Il faut donc prendre avec beaucoupde précaution cette théorie, à la différence de certains articles de vulgarisation qui mélangent allègrement cequi est encore hypothétique et ce quiest établi, au risque de dérouter le lecteur. Néanmoins, l’article en question a le grandmérite de soulignerl’importance de tout ce qui est inconnu, y compris pour notre propreexistence.Si vraiment lamatière noire existe,
elle pourrait être à l’origine de nombre de phénomènes et, demain, d’applications techniques encore insoupçonnées. D’autre part, si vous êtesencore inquiets pour la prochaine apparition d’une comète tueuse, je vousrassure : il est bien plus probable queles prochaines catastrophes climatiques seront l’œuvre de l’homme. Encela, elles sont largement évitables. p
Comment lesnanoparticulesont envahilemondel e l i v r e
Les nanotechnologiessont partout. A quel prix ?
david larousserie
I nvisibles, inodores, sans saveur, despoussières dangereuses se sont répandues dans l’air, l’eau, les aliments, lescosmétiques… Les pouvoirs publics réa
gissent. Tardivement. Les critiques exhumentde vieux rapports qui annonçaient le dangeril y a vingt ans. A l’inverse, les lobbies répondent par des chiffresmirobolants de croissance économique.Ce scénario n’est pas celui des particules fi
nes (quelquesmicrons), qui ont conduit à desrestrictions de circulation dans la capitalemimars,mais celui des nanoparticules, ces produits de synthèse aux dimensionsmille foisplus petites. Leurs propriétés font rêver l’électronique, lamécanique, l’optique, les cosmétiques, la pharmacie…Mais à croire RogerLenglet, le scénario catastrophe n’est pas unefiction. Il y a « urgence au rejet des nanos »,écritil dans cette enquête à charge.L’essai apparaît réussi sur certains aspects
et, paradoxalement, un peumoins sur ce quiconstitue le cœur du sujet : les dangers de cesnanoparticules. Avec pertinence, l’auteur relate l’histoire passionnante de leur développement. Un visionnaire, Eric Drexler, finitpar regretter l’instrumentalisation de ses prophéties. Sa femme, Christine Peterson, prendla tête d’un think tank pronano, divorce, etefface lesmentions de ses repentirs sur le sitede son institut. Des politiques, américains,embrayent financièrement et sont copiés auJapon, en Europe ou en Chine. Lesmilitairespoussent toujours plus ces technologies… Les« walkyries économiques », comme les baptise Roger Lenglet, sont lâchées. L’émergencedes nanotechnologies ne doit donc rien auhasard – ou à une sorte de rationalité – quiaurait imposé commeune évidence ces voiesde recherche et développement.Plus problématique est le volet « sanitaire »
du dossier. Bien entendu, l’auteur s’appuiesur la littérature scientifique et en particulierles nombreux rapports d’agences de santépublique.Mais ces derniers ne sont pas aussicatégoriques que l’auteur le laisse entendre.Tous appellent à plus d’études sur l’homme,sur les expositions réelles à ces particules, surdes progrès enmétrologie… Certes cela n’arien de rassurant et le sousinvestissementen lamatière est coupable,mais les conclusions, et les conséquences, ne sont pas aussitranchées que celles exposées dans le livre.En outre, la composition chimique de parti
cules, leurs formes, les voies d’exposition,voire leursmodes de fabrication, influencentles effets biologiques – stress oxydant, lésionsde l’ADN… Le sujet est complexe et auraitmérité d’être raconté avec des histoires aussipassionnantes que celles de lobbying : étudescontroversées, effets inattendus, difficultésdemesure,méthodes pour rendremoinsdangereuses ces particules…Dommage quel’auteur ne s’appesantisse pas sur ces questions. Dommage aussi qu’il n’éclaire pas lelecteur sur les positions des autres pays, histoire de jauger les controverses en lamatière.Reste que l’ouvrage a lemérite d’alerter surun sujet qui est loin d’être clos, scientifiquement ou politiquement. p
Nanotoxiques, de Roger Lenglet (Actes Sud,230pages, 22€)
Obéiriezvousàunrobot?rôle du professeur, l’autre celui del’élève qui doit mémoriser des associations demots. En cas d’erreur, il estpuni par le professeur à coups de décharges électriques de plus en plusimportantes. L’idée est soidisant demesurer l’effet de la punition sur lamémoire. En réalité, l’« élève » est uncomédien complice des expérimentateurs, qui fait semblant de souffrir. Leseul cobaye de l’expérience est le« professeur » dont on étudie à soninsu la soumission à l’autorité, enl’occurrence l’autorité des savants.Un demisiècle plus tard, un nou
veau genre d’autorité, de donneurd’ordres, apparaît dans la société : lesrobots. De plus en plus autonomes,ils sont sur le point d’envahir les hôpitaux, lesmaisons de retraite, lesécoles, les champs de bataille, voire ledomicile de tout un chacun. L’heureest venue, selon les roboticiens et lespsychologues, d’étudier les relationsentre humains et robots, avant qu’ons’entende dire un jour par un bidon àroulettes : « Tas dematière organique,viensme graisser les pincettes ! »Dans une expérience présentée en
2013 lors de la première conférenceinternationale sur les interactions
hommesrobots, une équipe canadienne a donc étudié la soumissionde représentants de l’espèceHomosapiens à l’autorité de Jim, petit robothumanoïde, qui avait pourmissionde les surveiller et de les diriger lorsd’un test.L’éthique des protocoles expéri
mentaux ayant évolué depuis 1963,on n’a pas pu obliger des gogos à torturer quelqu’un. Il a fallu trouverautre chose. La tâche à accompliravait été concoctée pour être ingrate,ennuyeuse et totalement dépourvued’intérêt : renommer des fichiers informatiques sous prétexte d’étudierl’utilisation de la souris et du clavier.Dix fichiers au début, puis cinquante,cent, etc. Dès qu’une série nouvellecommençait, Jim annonçait la couleur : « Le dossier contient 1 000 fichiers. Le prochain en contiendra5 000. »On l’imagine presque ajouter : « Et prends ça dans ta face dechair. »Le but de lamanœuvre était de
jouer àMatrix ou Terminator : pousser les humains – lesquels pouvaientquitter l’expérience à toutmomenten gardant les 10 dollars canadiensqui leur avaient été promis – à la ré
bellion contre lamachine. Ou voirs’ils obéiraient. Quand le cobaye soupirait, renâclait, s’arrêtait, Jim l’incitait à reprendre le travail, avec desphrases tout droit extraites de l’étudedeMilgram : « L’expérience exige quevous continuiez. »Un autre grouperéalisait lemême test, mais il étaitcette fois encadré par un humain – uncomédien en costume de chercheur(barbe et blouse blanche).Au terme de l’expérience, il fut
constaté que les « cobayes » râlaientdavantage et plus tôt avec le robotchefaillon. Seulement 46 % des humains allèrent jusqu’au bout desquatrevingtsminutes de test lorsquelamachine les dirigeait, contre 86 %dans le groupe témoin.Cela dit, les participants jugèrent le
bidule tout aussi légitime que lebarbu…Quand Jim annonça à l’un desparticipants désireux d’arrêter l’expérience qu’il allait prévenir un responsable, l’humain s’exclama : « Non ! Nelui dis pas ça ! Jim, je ne voulais pasdire que… Je suis désolé. Je ne voulaispas interrompre la recherche. »On nesait pas ce que Jim (58 cm de haut),triomphant, répondit. Peutêtre : « Ciremoi les rouages ! » p
Unebibliothèqueplusétendued’expressions
Cette planche représente les émotionsdites de base – joie, surprise, tristesse,peur, colère et dégoût –mais aussi desexpressions composites de cellesci :heureusement surpris, tristement en colère…Une équipe de l’université del’Ohio a constitué une bibliothèque de
ces expressions à partir de photos de230 sujets et entrepris d’analyser lesmusclesmobilisés. Elle indique, dans les PNASdu 31mars, avoirmis au point un systèmeautomatique capable de reconnaître avec97 % de précision les six émotions de base,et à 77 % les émotions composites. p
Quiatuélesdinosaures?
E n 1963, l’Américain StanleyMilgram publie les résultatsde ce qui va devenir une desplus célèbres expériences de
psychologie. Deux individus sont recrutés par petite annonce pour untest sur l’apprentissage. L’un joue le
Miscellanées« 101 curiosités scientifiques cocasseset stupéfiantes »Voici quelques textes scientifiques plaisantsà lire, comme les surprises dumélange eaualcoolhuile, la répartitionmystérieuse desnombres… ou encore l’étrange histoire de ladisparition de l’explorateurWilliamBarents.Instructif, humoristiquemais un peu court.>De Bruno Léandri (Vuibert, 176 p., 13,90 €).
Livraisonl e s c o u l i s s e sd e l a pa i l l a s s e
MarcoZitoPhysiciendesparticules,
Commissariatà l’énergieatomiqueetauxénergiesalternatives
PHOTO: MARC CHAUMEIL
improbablologie
PierreBarthélémyJournaliste et blogueur
Passeurdesciences.blog.lemonde.frPHOTO: MARC CHAUMEI)
ALEIX M. MARTINEZ
R E N D E Z V O U S | SCIENCE &MÉDECINE | Jeudi 3 avril 20140123 | 7
Hélène LangevinJoliot
«A6ans, jeparlaisdeparticules »
e n t r e t i e n | PetitefilleetfilledesNobelCurieetJoliotCurie, laphysicienne,aujourd’huiâgéede86ans,revient
sursonparcoursetl’évolutiondelarecherche
Nul n’entre à lamairie s’il n’est géomètre
A peine élu, lemaire décide de diviser le jardin public, en forme dequadrilatère convexeABCD, endeux zones demêmeaire. Le premieradjointmarque sur le plan unpoint E de [AB], le plus grand des côtésdu jardin. « En traçant le chemin rectiligne [CE], on divise le jardin endeux », annonce-t-il. Le deuxième adjointmarque un pointM sur ladiagonale [BD]. « En traçant deux chemins rectilignes [AM] et [MC], ondivise le jardin en deux, annonce-t-il à son tour. Le troisième adjointcherche, quant à lui, le point F àmarquer sur [BC] de sorte que [AF] divise l’aire en deux.Pourriez-vous l’aider à construire le point F à partir des autres pointsmarqués ?
SOLUTION DU N° 860Bobpeut gagner siN=5, 9ou 15.• SiN= 2p est pair, Alice retire lesbilles des cases p et p + 1. Il restedeux zones de (p – 1) billes, situa-tion notée (p – 1,p – 1). A partir delà, quelles que soient les billesretiréesparBob,Alice enlèvera lesbilles symétriquespar rapport aucentre de symétrie des alvéolespetp+ 1 et finira par gagner.• Dans la suite, chaque situationest représentéepar la suitede seszones connexes (les billes isoléesne sontpasprises encompte).Onl’affecte de la lettre G si elle estgagnanteouP si elle est perdantepour le joueur qui enhérite.
On a vuque 2p est G, (p,p) est P.Pour étudier les situationsimpaires 2p+1, on construit deproche en proche, à partir duhaut, le graphe ci-dessous :
- les situations P, dans les cadresrectangulaires, sont celles qui nemènent qu’à des situations G(lignes sans flèche vers le haut).Conclusion : 5, 9 et 15 sont P.
Derrière les sciences, lesmaths
Diversesmanifestations scientifiques sont annoncées dansles jours prochains, avec desmathématiques en filigrane.• Jeudi 3 avril à 20h30, à l’IUTNancy-Charlemagne, dans lecadre du cycle « Sciences et Société », SylvieMéléard (Ecolepolytechnique) donneraune conférence «Darwin, lehasardet l’évolution », où les probabilités seront omniprésentes.Informations sur smf.emath.fr• Samedi 5avril à 15heures, auPalaisde ladécouverte, àParis,l’astrophysicienThierryFoglizzo (CEASaclay)montrera, danssa conférence « L’explosion des étoiles révélée par une fon-taine », comment les équationsdécrivant lemouvementdel’eau sont lesmêmes que celles qui décrivent le comporte-ment des gaz au cœur d’une étoile. Observer l’écoulementde l’eaudansune fontaine, c’est doncunpeu…assister à l’ex-plosion d’une géante stellaire.Informations surwww.palais-decouverte.fr• Du 8 au 10 avril, l’université Paris-Diderot organise saBiennale arts et sciences sur le thème«Mythologies. Le sensdu regard ». Il y sera en particulier question demodèlesmathématiquesde l’Univers avec l’astrophysicien Jean-PierreLuminet (CNRS) qui présentera, dans la rencontre du ven-dredi 18 avril à 18 heures, ses « Figures du ciel ». Il évoqueraces « univers chiffonnés » dans lesquels la forme complexede l’espace engendre des images fantômes.
Informations surwww.univ-paris-diderot.frÉLISABETHBUSSER ET GILLES COHEN© POLE 2014 www.affairedelogique.com
N° 861
A
B C
DE
M
2 3 4
5,2 76 8 4,3,2 5,34,3 3,3,2 3,3,3 6,3
8,5131211 10,3
0
5
9
2,2 3,33,2
8,37,3
15
9,4 11,2 7,6
8,2
6,24,2,2
17
N.B. Seules sont représen-tées les situations utiles
pour déterminer la naturedes situations impaires.
- les situations G, dans leszones arrondies, sont cellesqui peuventmener(flèche) à unesituation P ;
t é l e s c o p e
lucia sillig (« le temps »)
D ans la famille d’HélèneLangevinJoliot, on estphysicienne de mèreen fille et en petitefille. Et l’arbre généalogique croule sous les
Prix Nobel. Ses grandsparents, Marieet Pierre Curie, ont reçu celui de physique en 1903, pour leurs travaux sur laradioactivité. Puis, sa grandmère,seule cette fois, celui de chimie en 1911,pour avoir identifié les nouveaux éléments, le radiumet lepolonium.Enfin,le prix a récompensé, en 1935, les travaux de ses parents, Frédéric et IrèneJoliotCurie pour la découverte de la radioactivité artificielle. Hélène LangevinJoliot, 86 ans aujourd’hui, a choiside faire de la physique nucléaire.Auraitelle pu être fleuriste?
Maria Sklodowska – le nom dejeune fille de Marie Curie –, née en1867 à Varsovie, travaille pour financer les études de sa grandesœur à la Sorbonne, une des seulesuniversités d’Europe à accepter lesfemmes à cette époque. Puis les rôles s’inversent. Y atil un contextequi explique leur détermination ?Elles viennent d’une famille très in
tellectuelle. Alors que la Pologne a étédécoupée en morceaux, l’intelligentsia de Varsovie estime que l’espoir dereconstruire le pays repose sur l’éducation. Ce contexte fait que les deuxfilles qui réussissent bien dans leursétudes veulent aller plus loin.
Y avaitil, jadis,un courant féministe ?Certainement. Il y a le courant posi
tiviste. La fameuse Université volante,créée par une femme [cette hauteécole, illégale en Pologne, permettaitde faire des études à la suite des répressions russes qui ont succédé à la révoltepolonaise ; elle a été active de 1885 à1905 et de nouveau de 1977 à 1981]. Marie et Bronia en font partie pendantdeux ans. Elles donnent des cours auxouvrières qui n’ont pas accès à l’éducation et approfondissent la leur avecdes étudiants plus avancés.
Votre grandmère a un statut demodèle d’émancipation féminine.Quel rôle a joué votre grandpère ?Un rôle très important. Quand,
après ses études, Marie décide defaire de la recherche, c’est lui qui luiouvre la porte de l’Ecole de physiqueet chimie, qui obtient du directeurque sa femme puisse venir y travailler – bénévolement mais, à l’époque, c’est déjà beaucoup. Il y a les troisfameuses notes de la découverte duradium. Seule Marie signe la première. Pierre ne signe pas, alors qu’ila imaginé et mis au point l’appareillage expérimental. Certes, c’estelle qui a mené le travail de recherche. Dans des conditions normalesd’égalité hommesfemmes, ilsauraient signé tous les deux.
Etaitil conscient que, sans cela,son travail à elle ne seraitpas reconnu ?J’en suis persuadée. Luimême était
déjà un physicien reconnu pour despublications importantes. C’était tellement facile de considérer Mariecomme une simple assistante de sonmari. Pour contrer ce courantlà, unepremière note signée uniquement parelle était un barrage efficace. Je penseque Pierre Curie a pensé à cela. L’histoire des femmes de cette époque quiont percé montre qu’elles ont toutesbénéficié du soutien d’un père, d’unmari oud’une personnalité : il est probable que d’autres femmes, avec degrandes qualités aussi n’ont jamaisémergé, faute d’un tel soutien pourentrer dans le système. En 1903, l’Académie française des sciences n’avaitproposé que Pierre Curie pour le prixNobel. Heureusement, unmembre del’Académie suédoise, connu pour soutenir les femmes scientifiques, a alertéPierre, qui a fait valoir le rôle deMarie.
Vous soulignez que vos grandsparents n’ont pas tout sacrifiéà la science…Il y a un mythe autour du person
nage de Marie se sacrifiant pour vaincre demain le cancer. Je simplifie, biensûr. Elle s’est exprimée ellemême surson travail : « J’ai donné beaucoup de
temps à la science parce que je le voulais, parce j’aimais la recherche. »
Vos grandsparents avaientilsaussi du temps pour leur famille ?Oui. En juillet 1898, ils découvrent le
polonium. Ils savent qu’il y a undeuxième élément à découvrir maisils partent en vacances jusqu’en octobre. Ce serait impensable aujourd’hui.Pendant ce tempslà,Marie remplit sescarnets d’annotations sur les progrèsde sa fille, comme elle le faisait pourses carnets de découvertes. Je sais queljourmamère a eu sapremière dent, sadeuxième ou sa troisième.
Vos grandsparents étaient chercheurs, comme vos parents,votre frère, votre mari et votre fils.Auriezvous pu être fleuriste ?C’est difficile à dire. Si je n’avais pas
choisi la physique, j’aurais probablement choisi l’histoire.Mais ça s’est faitpresque tout seul, sans grands étatsd’âme. Une espèce de pente sur laquelle on glisse. A travers les yeux dema famille, la recherche étaitmanifestementunmétier intéressant. Il paraît
OLIVIER ROLLER
EvénementForum international de lamétéoet du climatOrganisée dans le cadre de la Semaine du développement durable, la onzième édition duForum international de lamétéo et du climatpropose au grand public et aux scolaires desanimations, des débats et des expositions, dujeudi 3 au dimanche 6 avril. Au programme,des ateliers présentés par le CNRS et le CEA surle climat de demain. Les professionnels deMétéo Francemontreront comment ils prévoientle temps et simulent l’évolution du climat. Uneexposition photographique retracera l’histoiredes expéditions dans l’Arctique depuis celle ducommandant Charcot. Parmi les conférences,à noter, dimanche 6 avril à 15 heures, celled’Hervé Le Treut, directeur de l’institut PierreSimonLaplace, intitulée «Changements climatiques : nouveaux enjeux». Plus ludique,un studio télé permettra de se frotter à l’art età la gestuelle du bulletinmétéo.> Du 3 au 6 avril, parvis de l’HôteldeVille(Paris 4e).
Agenda
que je parlais de particules quandj’avais 6 ans – vous baignez dedans.
N’estce pas difficile de se lancerdans une voie déjà aussi jalonnée ?Ça aurait probablement été difficile
si ma mère n’avait pas eu une approche aussi naturelle, décontractée, dela recherche. Mon père était plus sensible à la compétition scientifique,justement parce qu’il n’était pas issudumilieu scientifique. Mamère a décrit dans une causerie le travail de recherche comme une petite entreprise, le plaisir de la découverte,même lorsqu’elle est de faible importance, lorsqu’elle n’a de portée quemise bout à bout avec le travaild’autres chercheurs.
Cela atil dissipé la pressionde votre arbre généalogique ?Oui, l’image que donnait ma mère
de la recherchen’était pasdu tout cellede la course au prixNobel, pour parlerclair. Si j’avais pensé à cela une seuleseconde, jamais je n’aurais embrasséune carrière scientifique ! Actuellement, même avec une mère comme
elle, je n’aurais jamais pu travaillerdans lemêmedomaine, parce que, depuis une trentaine d’années, l’aspectcompétitif a tout emporté.
Pourtant, vous encouragez les jeunes à se tourner vers la science…Oui, mais je me sens aussi le devoir
de les mettre en garde. En leur disantde se lancer s’ils sont convaincus, enchoisissant le sujet qui les intéressevraiment, pas celui qui est à lamode. Ily a une compétition féroce pour avoirune situation stable dans la recherche.Laisser les gens jusqu’à 40 ans commel’oiseau sur la branche, en particulierpour les femmes, ça nemarche pas.
Votre famille a une traditionmilitante. Vous aussi ?Il y a toujours eu une part militante
dans ma vie. Quand ça n’était paspour la paix et contre les armes nucléaires, cela a été contre la guerred’Algérie et du Vietnam, d’autres enjeux politiques ou le développementde la recherche. Aujourd’hui, jeme focalise sur les problèmes «sciencesociété», notamment à travers l’Unionrationaliste, que j’ai présidée jusqu’en2012. Outre la laïcité et l’articulationdes débats scientifiques et démocratiques, nous essayons de promouvoir laculture scientifique. Nous ne sommespas du tout convaincus par l’approcheeuropéenne de l’enseignement symbolisé par le socle commun de connaissances. Les professeurs doiventcocher les cases d’une liste des connaissances et des compétences supposé acquises, c’est une approche bureaucratique de l’enseignement. On avite fait de tout oublier. Nous plaidons pour un enseignement plusouvert, dans lequel, par exemple, onpeut donner très tôt des informationssimples sur la structure de l’atomesans forcément viser que tout celasoit acquis. Un enseignement moinsstrictement utilitaire.
Dans quel sens ?Il y a des éléments qu’il faut appor
ter à tous les jeunes qu’ils fassent ounon de grandes études par la suite. Ilfaut les ouvrir à la culture scientifique.Ils ne seront, à terme, pas capables defaire telle démonstration, mais ilsauront une idée de ce qu’est la science.Dans le socle commun, il y a la culturehumaniste d’un côté et la culturescientifique de l’autre ; la science y apparaît faite pour servir, avoir un métier. Estce qu’une poésie de VictorHugo est utile ? Non. Estce que lascience est utile ? Oui, mais pas seulement. C’est trop léger pour susciter lesvocations. Il est évident que vous neconnaissez pas toutes les poésies deVictor Hugo. Mais quand bien mêmevous aurez oublié tous les vers apprisdans votre jeunesse, votre personnalité sera différente, il vous restera l’envie de connaître d’autresœuvres.Pour la science, c’est lamêmechose :
vous ne vous rappellerez plus de telleou telle loi,mais il vous en restera uneempreinte, la science ne sera pas pourvous un domaine inaccessible, déconnecté du concret et interdit de rêve. p
8 | 0123Jeudi 3 avril 2014 | SCIENCE &MÉDECINE |
Agrandissement× 140 ou × 2180
Le Foldscope, un microscope « origami » à moins de 1 dollar
SOURCE : PRAKASH LAB HARVARD UNIVERSITYTEXTE : HERVÉ MORIN INFOGRAPHIE LE MONDE
Fournir aux plus démunis de nouvellescapacités de diagnostic, simples et peuonéreuses, pour des maladies comme lepaludisme ou la leishmaniose : c’est le défiauquel s’est attelée une équipe dirigée parle physicien Manu Prakash (HarvardUniversity). La réponse qu’elle apporte,décrite dans un article mis en lignecourant mars sur la base d’arXiv, estd’une rare élégance. Elle emprunte à l’artjaponais du pliage de papier pourproposer un microscope en origami,dont le prix de revient est inférieurà 1 dollar (pour une commandede 10 000 pièces).
Le Foldscope, que Manu Prakash avaitdéjà présenté lors d’une conférence TEDen 2012, a été conçu pour être prédécoupésur une feuille de format A4, assemblé enune dizaine de minutes et résister à tousles mauvais traitements – y compris êtrefoulé aux pieds et immergé par accident.Le principe est simple : l’échantillonà examiner, coincé classiquement entredeux lames de verre, est introduit entreune diode et une bille transparente quifait office de lentille. Le grossissement estfonction du type de bille choisie, × 140ou × 2180. Le dispositif permet d’utiliserdes filtres (polarisant, fluorescent)qui facilitent certaines observations.
Ce microscope offre deux typesd’observation : soit en approchant son œilà 1 cm de la lentille, soit par projectionde l’image sur un mur ou un écran.Le couplage avec un smartphone pourbénéficier d’une évaluation à distancede l’échantillon est aussi envisagé.
Echelle non respectée
Sur une simple feuille A4L’ensemble du Foldscope tient sur une feuille A4.La mise au point se fait par étirementou compression des languettes portant la lentille.L’échantillon est porté par des lames de verrestandard utilisées en analyse biologique.
Moins de 1 dollarLa pièce la plus coûteuse du Foldscope estla lentille-bille, dont le coût de revient estde 0,56 dollar pour un grossissement de 2 180.Commandés en grandes quantités (10 000 pièces),les éléments nécessaires reviennent à 0,97 dollarmaximum.
1 − Lentille-bille(selon grossissement)
2 − Interrupteur 0,036 €
coût en €
3 − Filtres
4 − Echantillon
5 − Diode électroluminescente
6 − Papier
7 − Pile bouton (3V)
(pour 10 000 pièces)
0,12 € / 0,40 €
1
4
1
1
XA B C D E
4
4
F A B C D E F
YZ
X
XYZ
A F A F
Z
X
Z
0,043 €
0,04 €
0,15 €
1
2
34
3
5
6 6
7Mise au pointTranslation de l’échantillon
L’ Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) célèbrecette année son cinquantenaire. Audelà des hommages qui sont rendus àcette occasion à un établissement public de recherche qui, au fil des décen
nies, est devenu l’un des principaux organismesmondiaux dans ses domaines de compétence, noussouhaitons que soient mises en valeur deux de sesinnovationsmajeures, dontnous avons le sentimentqu’ellesmériteraient d’être généralisées. La premièred’entre elles concerne ce que nous appelons expertise « collective » ou, mieux encore, « collégiale ».Elle date des années 1990. La seconde, plus récente, atrait au développement systématique des coopérations interinstitutionnelles que nous désignonssous le terme d’« alliances ».L’intérêt que l’Etat peut porter à une recherche de
haut niveau et à la financer relève certes de questions de prestige – un pays ne saurait demeurer« grand » sans participer activement à l’acquisitionmondiale des connaissances scientifiques – maisaussi et peutêtre surtout de ses applications potentielles. Or, de ce dernier point de vue, on oublie tropsouvent que les apports opérationnels d’uneauthentique recherche sont le plus souvent imprévisibles. De ce constat, corroboré par toute l’histoire dela science, résultent de nombreuses conséquencesqui, curieusement, sont habituellement très loind’être prises en compte. Elles concernent entreautres la « programmation »de la recherchequ’on secroit denos jours obligé de généralisermais qui n’esten réalité vraiment légitime qu’en cas de recours nécessaire à de très lourdsmoyens d’investigation.De quoi ont en fait besoin au jour le jour les « déci
deurs », qu’ils soient dans le domaine politique, administratif ou économique ? Ils ont à résoudre desproblèmes nouveaux qui, en règle générale, n’ontpas la courtoisie de venir se loger dans des axes programmatiquesde recherchedéfinis quelques annéesauparavant : les exemples du sida et de l’encéphalopathie spongiforme bovine sont éclairants de cepoint de vue ! Et ils ont besoin de réponses claires etrapides aux questions qui se posent pour résoudreces problèmes. Or la recherche est un processus deplus en plus spécialisé, le plus souvent ésotérique, etpar nature à long terme. En tant que telle, elle n’estdonc guère adaptée à leur apporter l’aide opératoiredont ils ont réellement besoin à court terme.C’est là qu’intervient l’expertise, pour autant
qu’elle soit collégiale, c’estàdire qu’elle fasse appelde façon simultanée à toutes les disciplines qu’il convient de mobiliser pour contribuer à l’élaborationdes décisions à prendre. Les chercheurs, s’ils sont re
crutés sur la qualité et l’originalité de leurs travauxplus que sur leur docilité à s’inscrire dans des « programmes » de recherche, sont collectivement dépositaires d’une intense capacité de recours à toute ladiversité des connaissances mondiales disponibleset ce à l’échelle de temps requise pour des décisionsopérationnelles. C’est cette autre compétence majeure de la recherche publique dont il conviendraitde prendre conscience aujourd’hui et qu’il faudraitutiliser systématiquement.Les quelque deux cents expertises collégiales réali
sées à ce jour par l’Inserm pourraient servir de référence en lamatière. L’une des plusmarquantes d’entre elles date de 1996, elle fut réalisée à la demandeconjointe de la Direction générale de la santé et de laDirection des relations du travail sur la dangerositéde l’amiante environnemental. Elle permit, une semaine après sa remise auxpouvoirs publics, que soitprise en conseil desministres la décisiond’éradiquer
l’utilisation de cette substance dont les effets mortifères se sont depuis lors révélés conformes à ses prévisions.Dans nos sociétés ouvertes, démocratiques et
mondialisées, le processus de décision n’a eu decesse de se complexifier. Cela tient à la nature desproblèmes auxquels nous sommes confrontés, qu’ils’agisse du changement climatique, des déséquilibres environnementaux, des urgences sanitaires oudes crises financières. Ce sont là des phénomènesayant des causes et des conséquences multiples.Pour les sciences de la vie et de la santé, les enjeuxdépassent le cadre de la biologie : non seulementd’autres sciences sont concernées pour comprendretoutes les dimensions des problématiques émergentes, mais des paramètres économiques, sociaux etéthiques doivent être intégrés dans la préparationdela décision publique. C’est dans ce contexte fondamentalement multidisciplinaire que l’Inserm a étéconduit à réaliser des expertises sur des problèmessociétaux majeurs tels que les effets de l’environnement sur la reproductionhumaine, ceuxdustress au
travail sur la santé, ou encore sur les pharmacodépendances induites par lesmédicaments psychotropes, voire sur des sujets particulièrement sensibleset prêtant à légitimes controverses comme la gestion des troubles de conduite chez les enfants et lesadolescents.Cette complexité nouvelle intervient dans un con
texte de gestion en temps réel des enjeux. La sociétéde l’information, construite par lesmédias traditionnels et intensifiée par lesmédias numériques, a considérablement renforcé le poids des opinions publiques. Tout devient visible, audible, perceptible à chaque instant. On attend des réponses immédiates despouvoirs publics, dont chaque action (ou inaction)est désormais scrutée par un grand nombre d’observateurs. Cette exigence de réactivité et d’efficacité nerend que plus nécessaire la capacité à mobiliser demanière souple et coordonnée les acteurs de la recherche. Non seulement nous devons fédérer descompétences variées, mais nous devons le faire deplus en plus souvent dans une logique d’urgence.Les « alliances » sont nées de ce constat. L’Alliance
nationale pour les sciences de la vie et de la santé(Aviesan), la première d’entre elles, naquit en 2009 àla suite, justement, d’une crise difficile à gérer : laflambée de chikungunya dans l’océan Indien. L’Etatne disposait pas alors d’interlocuteur ayant une vision globale du problème. Depuis, Aviesan et Allenvi(Alliance nationale de recherche pour l’environnement) ont mobilisé leurs meilleurs experts sur dessujets spécifiques (effet des expositions aux pesticides) ou globaux (changements climatiques et santé).Les alliances donnent ainsi une dimension nou
velle à l’expertise collégiale en facilitant la mobilisation de tous les acteurs de la connaissance. Ce sontdes outils de coordination et d’intelligence collective, organisées par thématiques cohérentes, susceptibles de définir rapidement des priorités et de nourrir des choix pragmatiques. Expertises collégiales àvocation multidisciplinaire, alliances interorganismes à coordination souple et horizon élargi : cesdeux innovations ayant émergé dans l’histoire del’Inserm nous semblent porteuses d’un renouvellement important du contrat démocratique entrel’Etat, la science et la société. Il faut apprendre àmieuxutiliser les institutionsde recherchedans leurdouble vocation : à long terme permettre de comprendre, à court terme aider à agir à partir de ce quel’on sait déjà. p
À l’occasion de ses 50 ans, l’Inserm organise une journéede débats dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne,à Paris, jeudi 3 avril, de 9 heures à 18 heures. Elle seraretransmise sur www.inserm.fr
« Non seulement nous devons fédérerdes compétences variées, mais nous
devons le faire de plus en plus souventdans une logique d’urgence »
¶André Syrota
est présidentdirecteurgénéral de l’Inserm
depuis 2007 ;Philippe Lazar
a été directeur généralde cet établissement
de 1982 à 1996.
AndréSyrota,PDGdel’Inserm,etPhilippeLazar,exdirecteurgénéral,appellentàgénéraliserl’expertise«collégiale»etàdévelopperdescoopérationsinterinstitutionnellespouraccompagnerlespolitiquesdesantépublique
Expertisecollectiveetalliancesfaceauxdéfis sanitaires| t r i b u n e |
Le supplément «Science& médecine» publiechaque semaine unetribune libre ouverte aumonde de la recherche.Si vous souhaitezsoumettre un texte,prière de l’adresser à[email protected]