7/29/2019 3-02. DOSSE, François. De la structure au sujet
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François Dosse
Dans le monde des sciences humaines, deux décennies de structuralisme ont
brusquement laissé la place à un apparent désordre des idées. Pourtant, ces
orientations nouvelles, ou simplement issues de traditions jusqu'alors
ignorées, traduisent une philosophie commune : celle du retour du sujet toutcomme celle de la part explicite des actions humaines.
Le triomphe du structuralisme dans les années 50 et 60 fut à ce point spectaculaire
qu'il s'identifia à toute l'histoire intellectuelle française depuis 1945. Dans ces années-
là, il n'y avait point de salut hors de ce qui se présentait comme un nouveau regard sur
le monde et la culture humaine. Temps fort de la pensée critique, expression d'une
volonté émancipatrice des jeunes sciences sociales en quête de légitimation, le
structuralisme a suscité un véritable enthousiasme collectif dans toute l'intelligentsiafrançaise pendant au moins deux décennies. Pris dans un sens large, le mot structure
a fonctionné comme mot de passe pour une bonne partie des sciences humaines.
Michel Foucault considérait ainsi que le structuralisme « n'est pas une méthode
nouvelle, il est la conscience éveillée et inquiète du savoir moderne » ; Jacques Derrida
définissait cette approche comme une « aventure du regard ». Le structuralisme est
donc un mouvement de pensée, un nouveau rapport au monde beaucoup plus ample
qu'une simple méthode appropriée à tel ou tel champ de recherche. Cette attitude
mènera néanmoins à des résultats différents selon les domaines variés où elles'appliquera : linguistique, anthropologie, sociologie, philosophie, histoire générale,
histoire de l'art, psychanalyse, critique littéraire, etc. Cependant, comme l'explique le
philosophe des sciences Michel Serres en 1961, le structuralisme caresse l'ambition de
former un seul et grand programme d'analyse exportable à tous les champs du savoir.
Ce programme, au départ, puise une bonne part de son inspiration à une source
unique : la linguistique saussurienne, telle que la théorise le linguiste Roman Jakobson,
dans les années 40. Quelques idées fondamentales sont retenues. La première, sans
doute, est celle que l'objectif rigoureux des sciences humaines est d'étudier des
systèmes formels. Dans la théorie saussurienne, un signe ne tire pas sa signification
de son rapport à l'objet qu'il désigne, mais du fait qu'il s'oppose à d'autres signes. Une
langue est donc un système clos de formes qui s'opposent les unes aux autres et non
Article de la rubrique « Comprendre les organisations »
Hors-série N° 21 - Juin/Juillet 1998
La vie des idées
De la structure au sujet.L'humanisation des sciences
humaines ?
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un ensemble de contenus, de notions ou de significations. Exportée dans d'autres
disciplines, cette idée mettra au premier plan l'étude des formes et des relations,
excluant celle des substances et des qualités : oppositions binaires, chez Claude Lévi-
Strauss, carré sémiotique, chez Algirdas Julien Greimas, jeux de langue, chez Jacques
Lacan.
La deuxième idée découle de la précédente : pour Ferdinand de Saussure, la langue
est un système qui préexiste à l'usage que nous en faisons. Les paroles, c'est-à-dire
les phrases que nous produisons en utilisant cette langue, ne sont que des réalisations
anecdotiques et historiques. D'où cette tendance, générale chez les structuralistes, à
privilégier la dimension synchronique des phénomènes qu'ils étudient. On verra ainsi
des historiens comme Emmanuel Leroy Ladurie privilégier une « histoire immobile ».
La troisième est l'idée, présente chez de Saussure, que la langue est un phénomène
social dont les règles se constituent en pleine ignorance du sujet qui en fait usage.
D'où, également, cette tendance - qui puise aussi à d'autres sources - à ancrer leursanalyses dans de puissants déterminismes sociaux et à évacuer la perception
consciente du sujet. L'ambition commune aux penseurs structuralistes est en effet
d'accéder à un niveau de réalité qui n'est pas immédiatement visible : c'est
l'inconscient structural chez J. Lacan, la structure narrative profonde chez J. Greimas,
la « formule canonique » des mythes chez C. Lévi-Strauss, l'« épistémè » chez M.
Foucault.
L'époque, enfin, et pour des raisons aussi bien politiques que scientifiques, est
marquée par l'idée que le discours sert tout autant à masquer la réalité qu'à la traduire.
A ce titre, on a pu qualifier la démarche structuraliste de « philosophie du soupçon » :
la démarche est celle d'intellectuels qui se donnent pour objectif de démystifier
l'opinion ordinaire, de récuser le sens apparent, de le déstabiliser et de chercher
derrière le discours l'expression de la mauvaise foi. Ainsi, intégrant certaines
catégories marxistes, Roland Barthes entreprend, avec ses Mythologies de démasquer
l'esprit « petit bourgeois » et chauvin qui anime l'esthétique de la consommation
moderne. Cette position du dévoilement s'inscrit, il est vrai, dans la filiation de
l'épistémologie française, celle de Gaston Bachelard par exemple, qui affirme
l'existence d'une coupure entre la compétence scientifique et le sens commun, ce
dernier étant dominé par l'illusion.
En arrière-fond, enfin, on trouve chez les structuralistes un pessimisme profond, une
critique de la modernité occidentale dont on cherche à saisir l'envers à travers les
figures de l'enfant, du fou ou du sauvage. Comme M. Foucault dans l'Histoire de la
folie à l'âge classique, on débusque, derrière le discours libérateur des Lumières, la
discipline des corps, l'enfermement des esprits dans une logique oppressive du savoir
et du pouvoir. Chacun à leur manière, R. Barthes et C. Lévi-Strauss expriment un rejet
profond de la culture occidentale en tant qu'elle voudrait se hisser au-dessus des
autres, existantes ou possibles. Pour le second, aucune culture particulière ne peut
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prétendre à avoir un sens qui lui soit propre et puisse exprimer la vérité des autres.
L'européocentrisme ne se justifie donc pas. Seules la variation et la différence ont une
valeur.
Ainsi, le structuralisme se constitue-t-il en philosophie commune à trois sciences
sociales qui postulent l'inconscient comme lieu de la vérité : la linguistique générale qui
analyse le système inconscient de la langue, l'anthropologie lorsqu'elle s'intéresse au
jeu des signes davantage qu'à leur contenu, et la psychanalyse lorsqu'elle perçoit
l'inconscient comme effet de langage. Ces sciences sociales, il faut le dire, sont
confrontées à la forte résistance des humanités classiques, à la tradition et au
conservatisme de la vieille Sorbonne. Le structuralisme adopte une position
intermédiaire et se place entre littérature et sciences exactes. Il contourne l'obstacle de
la Sorbonne en s'exprimant dans des universités périphériques, dans l'édition, dans la
presse et en investissant une institution vénérable : le Collège de France. Dans cette
bataille des « anciens et des modernes », la thématique de la coupure, de la rupture
joue à plusieurs niveaux. Les sciences sociales voient dans le structuralisme le moyen
de s'émanciper de la philosophie, en se dotant d'une méthode scientifiquement fondée
en linguistique. Certains philosophes, comprenant l'importance de cette démarche,
vont s'emparer de ce programme et développer une critique de la philosophie comme
discours sur le vrai, le beau ou le bien : ce sera ce qu'on a appelé « l'effet-logie »,
c'est-à-dire la récupération des travaux des sciences humaines par une philosophie qui
déconstruit en même temps les classifications en usage à l'intérieur des pratiques. La
philosophie préserve ainsi sa position centrale, tout en proclamant sa fin. Le rôle
majeur joué par des philosophes comme Louis Althusser tient aussi à leur capacité à
faire prévaloir un programme unitaire au milieu des années 60, et à brandir la notion
de structure comme étendard de ralliement.
On doit aussi rendre compte de cette histoire en termes de générations. Plusieurs
événements historiques sont à l'origine de l'empreinte commune qui marque les
intellectuels de cette période. C'est d'abord la Seconde Guerre mondiale et la difficulté,
soulignée par Theodor Adorno, de considérer avec le même optimisme qu'au début du
siècle une histoire occidentale qui, avec Auschwitz, a tourné à l'abomination, au crime
contre l'humanité. Cette histoire occidentale va devenir l'objet même du doute, de la
remise en cause, de l'ultracritique. L'enfer n'est plus alors les autres comme l'avait dit
Jean-Paul Sartre, mais soi-même en tant que sujet occidental. Si la société a été
capable de réduire l'individu à un matricule, l'existence du sujet et de ses illusoires
capacités de maîtrise n'est qu'une illusion dangereuse. Cette désespérance qui
engendre la distance critique du soupçon va s'accentuer au cours des années 50 et 60
avec l'émancipation progressive des peuples colonisés qui vont rompre avec le joug
européen et conquérir leur indépendance. Bon nombre d'intellectuels verront dans ce
rejet de la greffe occidentale la confirmation de leur position critique, et ils
considéreront la figure de l'autre, celle de l'altérité absolue par rapport à l'Occident,
comme le lieu même d'expression de la vérité et d'une certaine pureté. Cette sortie de
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l'histoire occidentale permet de trouver, par exemple chez les Nambikwaras du Brésil
décrits par C. Lévi-Strauss, l'expression d'une humanité innocente. Leur exemplarité
sera aussi renforcée par les révélations successives sur ce qui se passe dans les pays
communistes et le désenchantement qui en découle. La date de 1956, celle de l'entrée
des chars soviétiques en Hongrie, est capitale pour une génération d'intellectuels
marxistes qui vont trouver refuge dans un marxisme structuralisé, un « marxisme sous
vide », comme l'a appelé Jean-Marie Domenach, qui échappe au poids des désastres
du communisme réel. Beaucoup parmi ces intellectuels vont rompre avec la culture
communiste, quitter l'histoire sur la pointe des pieds et se réfugier dans la clôture du
texte, la science, l'évacuation du sujet et du signifié.
L'agir et le dire
Soudainement, à l'orée des années 80, tout a basculé : une bonne part des héros
français de l'aventure structuraliste a disparu, et leur oeuvre a été brusquement
occultée, accentuant l'impression de la fin d'une époque. On évite ainsi le travail de
deuil et de critique nécessaires à la juste évaluation de ce qui fut une des périodes les
plus fécondes de notre histoire intellectuelle.
Les idées apparues dans ces années 80 constituent, au-delà de leur foisonnement et
de la pluralité de ses formulations, une nouvelle configuration, dite poststructuraliste.
Elle est le fait d'une génération fortement marquée par Mai 68 : ses représentants
montrent un sens aigu de l'engagement, un souci du social. Leur horizon commun est
celui d'une réconciliation avec la démocratie, avec la participation citoyenne, avec les
technosciences. Ils acceptent de poser à nouveau le problème des rapports entrel'individu et le politique, et refusent ce que l'on nommera la « pensée 68 ». Ils sont
animés d'une volonté de dépasser les vieux clivages entre individualisme et holisme et
de rompre avec les prétentions disciplinaires. L'aspiration à l'ouverture, au
décloisonnement, et aux échanges constitue une orientation novatrice. La période
structuraliste avait été marquée par un certain anti-américanisme faisant obstacle à la
pénétration en France des débats anglo-saxons. A la fin des années 70, certaines
figures de philosophes, qui marqueront le poststructuralisme français, font
physiquement le détour par les Etats-Unis : Jean-François Lyotard, Michel Serres,
Jacques Derrida, Jean-Pierre Dupuy y enseignent. Bruno Latour, quant à lui, y effectue
son terrain d'études. A partir des années 80, la multiplication des traductions et
l'émergence de débats autour des thèses des universitaires outre-Atlantique attestent
un phénomène de plus en plus évident, celui de l'acceptation de la philosophie anglo-
saxonne dite « analytique », qui vient rompre avec la tradition franco-allemande «
continentale ».
Ce renouvellement des idées est, au plan théorique, marqué par la réhabilitation de la
part explicite et réfléchie de l'action. Dans les années 80, on voit réapparaître l'acteur
en sociologie. Dès 1983, le sociologue Alain Touraine consacre un ouvrage entier à la
question du « retour de l'acteur ». Raymond Boudon défend, plus que jamais, son «
individualisme méthodologique », et il est mieux écouté qu'avant. Parallèlement,
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l'héritage de la sociologie compréhensive de Wilhelm Dilthey, de George Simmel et
surtout de Max Weber, défendu par Raymond Aron dans les années 60 mais largement
ignoré à l'époque, est activement revisité ou redécouvert dans les sciences sociales
françaises au cours des années 80.
Il ne s'agit pas pour autant d'un simple retour du sujet tel qu'il était envisagé autrefois
dans la plénitude de sa souveraineté postulée et d'une transparence possible. La
recherche se déplace vers l'étude du problème de la conscience que les hommes ont
de leurs actes, et met à profit, à cette fin, une série d'approches auparavant tenues
pour secondaires ou idéologiques : c'est la pragmatique, qui étudie la part de l'action
dans le discours, c'est le cognitivisme, qui prend en considération les états mentaux
des acteurs, c'est encore le modèle du choix rationnel qui décrit la part de stratégie qui
motive tout acteur. Le schéma du soupçon exigeait de passer derrière la strate
consciente pour aller directement aux motivations inconscientes. La démarche nouvelle
part des phénomènes, des actions, de ce qui apparaît comme signifiant pour expliquer
la conscience des acteurs. Ce programme de recherche débouche sur un horizon
complexe, dénué de tout réductionnisme.
Cette part explicite et réfléchie de l'action revenue au premier plan a pour effet de
rendre à nouveau possible l'écriture d'une histoire politique, conceptuelle et
symbolique. C'est ce qu'illustrent les travaux de Marcel Gauchet sur le religieux et le
politique, de Gérard Noiriel sur l'identité, d'Alain Boureau sur la croyance, et plus
généralement toute l'entreprise mémorielle de Pierre Nora.
Mais ce déplacement est particulièrement sensible dans la nouvelle sociologie. Celle
que proposent Luc Boltanski et Laurent Thévenot considère que nombre de postulats
classiques de la sociologie française sont à remettre en cause. C'est, par exemple, la
coupure radicale entre compétence scientifique et compétence commune, qui a pour
effet de ne pas prendre au sérieux l'aptitude des gens ordinaires à décrire leur propre
situation. La période structuraliste y voyait systématiquement le reflet d'une illusion
idéologique. C'est aussi l'anthropologie pessimiste implicite qui faisait de l'intérêt le seul
et unique motif de l'action. L'intérêt a notamment joué le rôle de levier dans toutes les
entreprises de dévoilement, de dénonciation des prétentions des acteurs. C'est aussi
la prétention du paradigme critique à analyser les conduites de tous les individus en
toute situation. Enfin, c'est l'incohérence du paradigme structuraliste qui se prétendait
critique, dénonçant le caractère normatif des positions des acteurs, leurs illusions,
leurs croyances, sans pour autant critiquer ses propres fondements normatifs.
Le basculement de paradigme intervenu dans les années 80 prend appui sur ces
remarques pour reformuler un programme de recherche davantage capable de rendre
compte des éléments constitutifs de l'action. L'ethnométhodologie a utilement contribué
à ce déplacement consistant à rechercher les similitudes entre explications
scientifiques et celles fournies par les acteurs eux-mêmes. Cette approche a permis un
renversement décisif qui a consisté à faire de la critique elle-même un objet de la
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sociologie. L'ancien paradigme ne pouvait pas prendre les opérations critiques pour
objet dans la mesure où, s'appuyant sur une coupure radicale entre faits et valeurs, il
maintenait le sociologue à l'abri de toute entreprise critique.
Un nouveau goût pour l'observation
L'épreuve du nouveau paradigme se situe dans l'enquête de terrain, au plan
empirique. Lorsque L. Boltanski et L. Thévenot ont mené leur enquête sur la manière
dont nous menons nos discussions quotidiennes, ils ont commencé par rassembler un
important corpus hétéroclite d'observations. Bruno Latour et Michel Callon, avant de
remettre en cause le grand partage entre la connaissance scientifique et la
connaissance ordinaire, se sont appuyés sur une ethnographie minutieuse des
pratiques et des discours des scientifiques.
La remise en cause de ces grandes coupures permet aussi de renouer des liens
pacifiés entre philosophie et sciences humaines. Cette nouvelle orientation implique de
prendre au sérieux le « tournant linguistique» pris par les philosophes anglo-saxons,pour lesquels toute étude devait commencer par celle du langage dans lequel les
hommes décrivent leurs actes et leurs motifs. Comme Louis Quéré, Alain Cottereaux ou
François Dubet, le chercheur doit alors s'astreindre à suivre les acteurs au plus près
de leur travail interprétatif. Il prend au sérieux leurs arguments et les preuves qu'ils
apportent, sans chercher à les réduire ou à les disqualifier en leur opposant une
interprétation plus forte. Pour réaliser ce travail, pour éviter toute forme rigide
d'interprétation, la nouvelle sociologie opère de nombreux détours du côté de la
philosophie analytique, de la pragmatique, du cognitivisme, de la philosophie politique,comme le font, chacun à leur manière, les animateurs de la revue Raisons pratiques :
Jean-Luc Petit, Bernard Conein, Jacques Guilhaumou, etc. Tous ces cheminements
croisés contribuent à faire naître un sentiment d'unité autour d'un nouveau paradigme.
Celui-ci peut être qualifié de paradigme interprétatif dans la mesure où il vise à mettre
en évidence la place de l'interprétation dans la structuration de l'action en revisitant
tout le réseau conceptuel, toutes les catégories sémantiques propres à l'action :
intentions, volontés, désirs, motifs, sentiments, etc.
L'herméneutique, telle que la conçoit Paul Ricoeur, est un bon exemple de ce cadre
commun qui s'offre aux sciences humaines et à la philosophie. Sa démarche permet
d'explorer toutes les potentialités des deux pôles, traditionnellement opposés, de
l'explication et de la compréhension. Elle évite de présenter comme antagonique ce qui
serait du ressort des sciences de la nature (l'explication) et ce qui conviendrait aux
sciences de l'esprit (la compréhension). Le monde de la vie ou le monde vécu et les
diverses procédures de subjectivation et de socialisation possibles sont donc à la base
d'un travail qui ne pouvait que retrouver les sciences humaines lorsque celles-ci
s'interrogent sur l'agir, soit sur le sens à donner à la pratique sociale.
Cette nouvelle alliance entre la philosophie et les sciences humaines ouvre sur une «
greffe herméneutique » qui ne signifie aucunement de s'enfermer, à la manière
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structuraliste, dans la clôture du texte. Elle s'accompagne du dépassement de
l'alternative longtemps prônée entre langue et parole, en s'appuyant notamment sur la
théorie de l'énonciation de Jules Benveniste, qui valorise l'unité du discours comme
interaction concrète entre les hommes.
Le point de vue du sujet dans sa part explicite se trouve ainsi réhabilité. Les acteurs
sont pris au sérieux dans leurs dires, leurs représentations, leurs croyances. Ce qui ne
disqualifie en rien la prise en compte, pratiquée par les structuralistes, des conditions
et des présupposés historiques, sociologiques et culturels, dans lesquels le sens
manifeste se déploie.
François Dosse
Historien, auteur de Paul Ricoeur, les sens d'une vie, La Découverte, 1997.