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Le Rif et les attentats en Europe
Depuis que l’enquête policière a imputé les attentats de Barcelone à un
groupe structuré dont les membres sont presque tous originaires du Maroc,
observateurs, politologues et sociologues1, ont établi une nouvelle grille des
profils des terroristes impliqués dans les attentats que l’Europe connait depuis
2015. Il existerait selon eux deux profils de terroristes différents : ‘les individus
désemparés’, solitaires de différentes nationalités, natifs ou non du pays d’accueil
européen. Entre dans cette première catégorie, les terroristes de Nice, de Londres,
de Berlin, dont l’acte terroriste se caractérise par le mode opératoire primaire et
l’arme de circonstance. L’autre profil est celui d’individus appartenant à des
groupes structurés, comprenant des fratries et des membres nés ou présents sur le
territoire européen de longue date. Ces individus à priori intégrés, rejettent
toutefois le mode de vie des sociétés dans lesquelles ils vivent. Ce sont ces
groupes qui ont commis les attentats de Paris de novembre 2015, ceux de
Bruxelles de mars 2016 et ceux de Barcelone du 17 août dernier.
Les individus de ce second groupe, ont une particularité pour une majorité
d’entre eux. Ils sont de nationalité ou d’origine marocaine et appartiennent à la
minorité ethnique Amazigh (berbère) du Maroc. Toutefois, ce sont d’abord des
Rifains, originaires du nord du Maroc, le Rif. Or, faire la lecture du fait rifain au
Maroc en termes d’Amazigh, c’est faire une lecture Kabyle (Algérie) du fait
Amazigh/berbère au Maroc. Une erreur, quand bien même des militants et des
intellectuels Amazigh marocains la font intentionnellement pour défendre leurs
intérêts face au pouvoir.
Le discours ambiant continue de déchiffrer ces attentats, à cause en partie
de leurs revendications par Daesh, comme une problématique spécifique à
Daesh : Les attentats de Barcelone et Cambrils, sont une réponse sur le sol
européens aux revers subis par Daesh en Orient ces derniers temps. Or, comme
on l’a souligné, ces attentats sont perpétrés par des groupes structurés, constitués
majoritairement de Rifaino-européens, une donnée qui modifie complètement la
lecture de ce terrorisme sur le sol européen. Ce sont des attentats que je qualifie
pour ma part, d’opportunistes dans la mesure où ces groupes terroristes, profitent
d’une conjoncture internationale, le terrorisme islamiste international et Daesh,
1 Ferhad Khosrokhavar, Le Maroc exporte ses djihadistes, LE MONDE, 23.08.2017
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pour faire avancer une cause ethno-nationaliste aux velléités indépendantistes. Le
Maroc n’exporte pas ses djihadistes comme on l’a affirmé, mais des dissidents
rifains exportent un terrorisme de type ethno-nationaliste-jihadiste à défaut de
pouvoir le pratiquer à l’intérieur du Maroc pour revendiquer l’indépendance du
Rif, indépendance comprenant les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
Les attentats de Paris, Bruxelles et Barcelone répondent en premier lieu,
aux objectifs politiques de ce mouvement dissident rifain – bien qu’ils ne soient
pas revendiqués comme tels - qui nécrose la société locale rifaine et les
communautés rifaines de la diaspora en Europe. Ce mouvement ethno-
nationaliste-jihadiste, trouve ses racines dans la sanglante guerre du Rif, menée
conjointement par les protectorats français et espagnole au Maroc au nom du
sultan, et qui mit fin à la pseudo et éphémère République du Rif (1923-1925)
d’Abdelkrim El Khattabi2, et dans la répression menée par Hassan II en réponse
au soulèvement des rifains en 1958-1959 mené par le fils d’Abdelkrim, Rachid El
Khattabi et d’autres membres des tribus rifaines ayant combattu l’Espagne et la
France.
C’est un mouvement à la fois tribal et jihadiste profondément attaché aux
structures traditionnelles tribales, dont les noyaux centraux sont la famille et la
tribu ; et à un islam rigoriste. C’est un mouvement qui prône paradoxalement la
démocratie. Toutefois, une démocratie au sens particulier de démocratie berbère
telle que les anthropologues et sociologues aux temps des protectorats l’ont défini
et nullement une démocratie aux valeurs libérales au sens où nous l’entendons en
Occident. Ce mouvement qui n’opère pas au grand jour, mais parle toujours de
revendications sociales, économiques et identitaire via le mouvement global
amazigh, exploite, en les nourrissant à la fois le sentiment de victimisation
national et européenne et la mémoire victimaire collective des Rifains. Il a
commencé à se manifester de manière très bruyante3 il y a deux ans par des
revendications à priori légitimes4 en s’attaquant à la fois à l’Espagne, la France et
le Maroc. Il s’agissait d’une part, de faire reconnaître par l’Espagne et la France,
l’utilisation d’armes chimiques prohibées par les conventions internationales
2 http://jalilasbai.com/ecrits-epars/ /L’histoire et le mouvement de protestation à Al Hoceima, 12 août
2017. 3 Je ne reviens pas sur les manifestations à la fois sociales, économiques et politiques de ce mouvement
depuis 2002. Je ne traiterai que de celles importantes sur le double plan national et international depuis 2015. 4 Le taux des personnes, notamment celui des enfants, atteintes de différents types de cancer, est
anormalement élevé dans la région du Rif par rapport au reste du pays. Cf. plusieurs études scientifiques menées
à l’échelle du pays.
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durant la guerre du Rif5, d’autre part, pousser les autorités marocaines à formuler
cette revendication et les demandes de réparation au nom de l’Etat marocain.
Or, dès son accession au pouvoir, le roi Mohammed six procède au
désenclavement de la région du Rif via de multiples projets, que le dernier Al
Hoceima, Far de la Méditerranée, lancé en octobre 20146, doit en principe
achever. Mais désenclaver cette région, signifie d’une part, pour les locaux et dans
une moindre mesure pour la diaspora rifaine, la fin d’une économie parallèle qui
touche tous les secteurs d’activités - pas uniquement le narcotrafic - et qui génère
plusieurs millions en devises étrangères. D’autre part, cela signifie la fin du
monopole religieux sur cette économie parallèle. Monopole que se partage les
pejedistes et la boushishiya7. Le rôle joué par Benkirane et son entourage dans le
retard pris dans la réalisation du dernier projet est une manifestation éloquente de
l’enjeu économico-politique pour ce dernier et son souhait de maintenir cette
région dans son enclavement en se jouant du fantasme autonomiste8.
Plusieurs événements qui se sont passés dans la région, donnent l’occasion
aux adversaires du désenclavement du Rif et de la cause ethno-nationaliste rifaine,
d’exploiter les affects rifains et de profiter de la conjoncture internationale : Fin
octobre 2015, l’assassinat de Mohsen Fikri, le marchand de poisson broyé dans
une baigne. Début novembre, le décès à Ceuta d’un personnage politique et
religieux de la région, Mohammed Ali, un indépendantiste, dirigeant religieux
rifains en Espagne et président de la Confédération des associations islamiques
d’Espagne. La réaction tardive des autorités à l’assassinat et l’absence de
condoléances officielles pour l’homme politique et religieux rifain, sont
l’opportunité pour lancer un mouvement de protestation (Hirak), en espérant
provoquer une vague de protestation qui s’étendrait à tout le Maroc. On espérait
une mobilisation comparable à celle obtenue par le mouvement du 20 février en
2011. Mais, le discours du leader est truffé de références religieuses, de références
à la mémoire douloureuse du Rif, de la référence à Abdelkrim et sa république, la
5 Certaines études universitaires tendent à prouver l’utilisation de gaz chimique pendant la guerre du Rif
similaires à ceux utilisés pendant la première guerre mondiale et interdit par les conventions de Genève au
lendemain de la Grande guerre. 6 Voir article de JN. FERRIE, La crise du Rif comme analyseur de l’inaccomplissement des politiques
publiques marocaines, telos-eu.com, 20 juin 2017. 7 Voir les importants travaux, depuis plus d’une vingtaine d’années, de Mohammed Tozy sur la confrérie
des Boushishiya et le mouvement islamiste au Maroc. 8 Fantasme dans la mesure où le peuplement dans cette région n’est plus un peuplement homogène à cause
du phénomène de migration arabo-berbère et africain : Les populations de l’intérieur migrent spontanément vers
la côte méditerranéenne pour des raisons économiques évidentes. Le paysage urbain s’en trouve complètement
transformé induisant une transformation sociale et ethnique de toute la région. Une transformation qui accélère la
destruction des structures anthropologiques familiales et tribales.
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présence unique du drapeau Amazigh et l’absence du drapeau marocain et ainsi
que de symbole évoquant ou supposant l’appartenance à une même nation, la
nation marocaine ; le Hirak ne mobilise pas au-delà du Rif, les médias nationaux
et internationaux, passé les premiers temps, s’en désintéressent. C’est un échec.
C’est dans ce contexte particulier que les attentats de Paris en novembre
2015, perpétrés par des rifains surviennent, mettant sous les feux des projecteurs
occidentaux et orientaux, une minorité amazigh réprimée par le pouvoir marocain,
ne retenant que la version victimaire de son histoire et la réelle ou supposée
ségrégation du pouvoir central marocain et celle des pays d’accueil à son égard.
Mais à aucun moment, ces attentats n’ont été analysées comme un moyen de
propagande à des fins ethno-nationalistes-jihadiste.
Il en va de même pour les attentats de Bruxelles en mars 2016. Ces attentats,
sont devancées de plusieurs événements internationaux qui concernent
directement les Rifains. Dès août 2015, plusieurs vagues d’arrestation de mineurs
clandestins9 originaires du Rif, sont menées par la Guardia Civil. En décembre
2015, les autorités espagnoles menacent d’expulser plus d’une centaine d’entre
eux de Melilla. Le 28 janvier 2016, une centaine de jeunes extrémistes suédois
organisent une chasse aux migrants, dans la gare de Stockholm et ses alentours
visant principalement les jeunes mineurs clandestins marocains (majoritairement
du Rif). En février 2016, déboutés de leurs demandes de droit d’asile en Espagne,
des rifains manifestent à Melilla, brûlent le drapeau marocain et demandent
l’indépendance du Rif. Alors, que le Hirak, continue variant les demandes à
chaque fois que les autorités marocaines répondent aux précédentes. La pression
médiatique internationale retombant, les attentats de Bruxelles perpétrées par des
Rifains, redirigent la vindicte vers un pouvoir central despotique et le hirak d’une
population rifaine mal aimée, maltraitée, réprimée à l’intérieur comme à
l’extérieur.
Mais comme lors des attentats précédents en Europe, les médias et les
spécialistes se désintéressent de nouveau du Rif. Le hirak, soutenu par un seul
parti, le PJD, entre dans une période d’enlisement à cause : des élections
législatives, la privation de la diaspora marocaine10 d’y participer, dépouillant
ainsi le mouvement d’une représentation extérieure, et enfin l’éviction de
Benkirane du gouvernement à la suite de la crise qui a suivi ces élections. Pour
9 Ils seraient plus 3000 en Espagne dont 300 installés dans les enclaves de Ceuta (154) et Melilla (200). 10 La Constitution de 2011 accorde à tous les marocains de la diaspora, les droits politiques : vote,
éligibilité, participation politique…Les lois organiques devant permettre l’application des dispositions la
Constitution ne sont toujours pas rédigées.
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mettre fin à cet enlisement et redonner un nouveau souffle au Hirak, son leader et
d’autres militants s’en prennent aux mosquées à Al Hoceima et à Nador,
interrompant les prières du vendredi au motif de la khotba politisée des Imams.
La réaction sécuritaire de l’Etat marocain est immédiate. Le hirak revient sur le
devant la scène dans les médias nationaux et internationaux et mobilise la diaspora
rifaine à travers l’Europe. Plusieurs manifestations sont organisées pour réclamer
la libération des prisonniers du Rif, notamment ses leaders. Les deux plus
importantes manifestations11 se déroulent à Barcelone en juillet et août 2017
quelques jours à peine avant les attentats commis par le groupe de terroristes
rifains.
Ces attentats de Barcelone comme ceux de Paris et de Bruxelles, commis
par des groupes terroristes rifains structurés ; et bien qu’ils aient été tous
revendiqués par l’Etat islamique ne doivent pas faire occulter le fait qu’il s’agit
d’abord et avant tout d’un moyen de propagande, choisi par une minorité ethno-
nationaliste-jihadiste dont la revendication est avant tout une revendication
politique, nationaliste-identitaire et religieuse rigoriste, dans la mesure où seul un
islam rigoriste peut lui assurer la pérennité de sa structure anthropologique. Son
inscription dans le mouvement jihadiste international n’est qu’un moyen et non
une fin./.
Blog, le 25 août 2017, Jalila Sbaï
11 Lors de ces manifestations, les hommes et les femmes ont défilé séparément. Les femmes en majorité
voilées ont défilé derrière les hommes !