Guerre Chimique Contre Le Rif

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    Sous la direction de

    Rachid RAHA Mimoun CHARQI Ahmed EL HAMDAOUI

    Actes du colloque international surlutilisation des armes chimiques :

    Le cas de la guerre du Rif et ses consquences

    Collection Histoire & Anthropologie

    Les Editions AMAZIGH

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    Publications des Editions AMAZIGH (SNC)

    5 Rue Dakar Appt 7 Rabat

    Tl/Fax : 00.212.537.72.72.83

    E-mail : [email protected]

    Livre : La Guerre Chimique contre le Rif

    Auteur : Rachid RAHA Mimoun CHARQUI Ahmed EL HAMDAOUI

    Editeur : Les Editions AMAZIGH

    Edition : Avril 2005-2955

    Impression : PHEDIPRINT

    Dpt lgal : 2005/0602

    ISBN : 9954/0/5349/2

    Photo : Usine de fabrication des armes chimiques au bord de lacMarchica (Bni-Enzar)

    Publi avec la imable concours financier de la Chambre deCommerce, dIndustrie et de Services de Nador

    mailto:[email protected]:[email protected]
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    SOMMAIRE

    (En langue franaise)

    Prologue ................................................................... 5

    Maria Rosa de MADARIAGA et Carlos LAZARO AVILA :la guerre chimique dans le Rif (1921-1927) : Etat de

    la question ................................................................ 9

    Mimoun CHARQI : Pour des revendications, aux fins derparations, pour les prjudices subis suite lutilisationdarmes chimiques de destructions massives dans le Rif...... 51

    Annexes :

    - Sebastian BALFOUR. Lettre de soutien ..................................63

    - Ignacio CEMBRERO. Le poison qui arriva du ciel ....................65

    - Paco SOTO. Gaz toxiques contre le Rif ..................................73

    - Rachid RAHA. LEspagne cache les traces de sa guerrechimique au Rif .................................................................79

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    PROLOGUE

    Peut-on impunment, en violation des rgles lmentairesissues des conventions internationales et des droits humains, faireusage dune guerre dagression qui plus est en utilisant des armeschimiques de destruction massive ? Apparemment cest le cas et cestbien ce qui sest pass au dbut du sicle dernier contre le Rif et lesrifains. Le droit des gens, jus gentium -, communment appel

    droit international, ne valant que pour les nations dites civilises,dont les historiens rendront compte plus tard de la ralit barbare.Les rgles et principes qui seraient ainsi valables pour les uns ne leseraient pas pour les autres. Des voix dmocrates et progressistes sesont pourtant leves, lpoque, y compris parmi les ressortissantsdes pays agresseurs, colonisateurs et barbares pour dnoncer cespratiques. Qui les a entendues ?

    Par ailleurs, il est pour le moins tonnant que les gnrations

    daprs lindpendance, au Maroc, ne retrouvent pas dans leursmanuels et livres dhistoire les affres vcues par leur pays. Pourquoila guerre chimique contre le Rif a-t-elle t longtemps un secrettabou dont on na pas parl ? Pourquoi faut-il que lon apprennenotre histoire suite aux travaux et recherches faits par destrangers ? Celui qui mconnat voire ignore son histoire na pasdavenir. Il y a longtemps que la culture orale nest plus de mise etna plus de raison dtre. Elle devient un faux prtex te pour cacher la

    paresse et taire les tabous et secrets. Les marocains, dune faongnrale, et les rifains en particulier, ont accd lcole et au savoir.Nanmoins, il leur faudra aller ltranger pour connatre de lhistoirede leur pays. Quelle est cette btise qui fait que des autorits interdisent un colloque sur un aspect de lhistoire du pays ? Commentpeut-on concevoir quil soit plus ais dorganiser et de tenir uncolloque sur la guerre chimique contre le Rif en Espagne mme etque toutes les difficults apparaissent sil sagit de lorganiser auMaroc ?

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    Par deux fois, dj, des colloques sur ce thme nont pas puavoir lieu au Maroc. On comprendrait si il tait question de le faire enEspagne compte tenu des fautes et responsabilits qui retombent surcette dernire. Cest ds lors une premire que ce colloque ait puavoir lieu, Nador dans le Rif mme, et de surcrot avec laparticipation dune historienne espagnole.

    Quel est lintrt de cette rencontre? Tout dabord dbattre,se rendre compte et rendre compte de ce qui sest pass et desconsquences qui en ont rsult voire en rsultent aujourdhuiencore. Ensuite, voir ce quil est possible denvisager commedmarches lgales. Lhistoire tmoigne et juge des crimes et

    violations commises. Les hommes ne sont pas tous mauvais. Enreconnaissant les tors commis ceux daujourdhui lavent ainsi ceuxdhier. Mais les fautes, erreurs et responsabilits doivent trereconnues pour tre pardonnes. Pch avou, dit-on, est moitipardonn Les litiges et diffrends historiques ne sont pasinsurmontables. Bien au contraire. Le sort du Nord du Maroc sembleli pour des raisons diverses, quon le veuille ou non, lEspagne etinversement. Lhistoire, la gographie, sont l pour le montrer et

    bien aveugle est celui qui ne veut le voir. Des hommes et desfemmes venues du Maroc ont occup lEspagne des sicles durant. Ilsy ont apport : culture, science, savoir, art, raffinement, avant dentre chasss. LEspagne a occup et administr le Nord du Marocpendant prs dun demi sicle et occupe toujours des villes etprsides. Du Maroc, on voit lEspagne et inversement. Les espagnolsqui viennent en touristes ou en investisseurs au Maroc se sententchez eux. Les marocains qui passent leurs vacances en Espagne sy

    sentent mieux que chez eux.La guerre chimique contre le Rif fait probablement partie des

    accidents de lhistoire. Les dommages sont cependantincommensurables. A dfaut de pouvoir les rparer, il faudrait octroyercompensation aux victimes directes et indirectes. Le bon voisinage, lebon sens, les intrts des deux parties doivent les pousser uvrerpour un partenariat privilgi dans lintrt bien compris des deuxpeuples. Les points faibles et ngatifs doivent tre traduits en pointsforts et positifs. Des deux cts, il y a des hommes et des femmes de

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    bonne volont, pleins de sagesse et de raison. Si la paix nest pas unvain mot, il faudrait la transcender pour aller vers lHarmonie et lebien tre. Cela se construit deux. Le couple hispano-marocain tarde officialiser son union devant Dieu et devant les hommes, pour lemeilleur et pour le pire.

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    LA GUERRE CHIMIQUE DANS LE RIF (1921-1927) :

    ETAT DE LA QUESTION

    Maria Rosa de Madariaga

    & Carlos Lazaro Avila.

    La guerre chimique au 20e sicle.Lutilisation des armes chimiques dans les conflits arms, qui

    aujourdhui est dactualit, se trouve avoir une longue histoire, quiremonte au premier quart du 20e sicle. Il est en effet notoire quelors de la premire Guerre Mondiale, il fut utilis massivement

    lyprite, ainsi appele partir de Yper, nom en flamand de la villebelge de Ypres, contre laquelle les allemands employrent ledit agenttoxique pour la premire fois le 12 juillet 1917, alors quils avaientdj utilis avant, ds 1915, dautres gaz comme le Chlore. En ce quiconcerne les allis, les affirmations selon lesquelles ceux ci navaient

    jamais utilis lyprite durant la premire Guerre Mondiale ne

    Article publi dans Historia 16, avril 2003. Traduit de lespagnol par MimounCHARQI.

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    semblent pas tout fait correspondre la ralit. En effet, tant laFrance que lAngleterre fabriqurent lyprite et, mme si au momento ils en eurent en quantits suffisantes la guerre tait dj sur le

    point de se terminer, ceci nempcha pas, que, selon certainsauteurs, ils lutilisent durant loffensive finale allie, durant laquelle lesanglais auraient lanc le 14 octobre de 1918 des obus chargsdyprite contre un village appel Werwick, causant dans la 16eRserve Bavire dInfanterie de nombreuses victimes, entre lesquellesse trouvait le caporal Adolf Hitler, dalors, qui rsulta bless et atteintde ccit passagre(1).

    En vertu du Trait de Versailles de 1919, les allis

    vainqueurs prohibaient lAllemagne vaincue la fabrication darmeschimiques, et le Protocole de Genve de 1925 en prohibait tous lespays lutilisation, mme si ceux qui possdaient des stocks darmeschimiques taient autoriss les conserver, ce qui nempcha pasque lAllemagne ignorant cette interdiction continua en produire engrandes quantits, ni que les pays qui en possdaient des stocksimportants les utilisaient directement ou les refilaient dautres pourquils les utilisent. Plus prcise dans sa rdaction que celle de 1925, laConvention de 1972, ratifie par 131 pays, interdit lemploi, laproduction et le stockage darmes biologiques et toxiques, et prescritleur destruction. Enfin, la Convention de lONU pour lInterdictiondArmes Chimiques, approuve en 1992 et en vigueur depuis 1997,confirme les antrieurs instruments internationaux.

    Aprs la premire Guerre Mondiale, plusieurs furent les paysaccuss demployer des armes chimiques. La Grande Bretagne en fut

    accus pour les avoir utilises en Irak en 1919 et dans la frontirenord-occidentale de lInde au dbut des annes vingt (2). LEspagneaussi, dans le Rif au printemps de 1925 et la France quelques moisplus tard sur le front nord, aux alentours de Fs(3). Dans les annes1935 -1936, ce fut le tour de lItalie fasciste dtre accuse den avoirfait usage massivement en Ethiopie (4). Durant la guerre civileespagnole, plus concrtement dans les annes 1936 et 1937, lesfranquistes, dun ct, et les rpublicains, de lautre, saccusrent

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    mutuellement demployer des gaz toxiques, sans que dans aucun desdeux cas cela puisse tre prouv(5). Vers cette poque et des annesaprs, le Japon fut accus davoir utilis des armes chimiques de

    1937 1945 durant la guerre sino-japonaise. Les gaz lancs, autantpar des bombes ariennes que par des grenades dartillerie, avaientts entre autres, le phosgne, le diphosgne, la choloropicrine, lecyanure dhydrogne, le gaz moutarde (yprite) et la lewisite (6).Durant la deuxime Guerre Mondiale, il ne fut pas utilis de gaztoxique car, tenant compte de ce que les principales puissancesbelligrantes en possdaient des arsenaux importants, Hitler nosapas les employer de crainte que les allis rpondent de la mme

    faon.Dans les annes cinquante et soixante du sicle pass, il y

    eut dautres pays accuss dutiliser des armes chimiques : en fvrier1958, lArme de Libration du Sahara Marocain accusa les franaiset les espagnols de faire usage de bombes charges de gaz toxiquesdans la colonie de Rio de Oro et, en novembre de la mme anne,radio Pkin accusait les forces nationalistes chinoises, Quemoy,davoir bombard les troupes de lArme Populaire Chinoise dans lecontinent avec des grenades de gaz toxiques (7). Des annes aprs,les troupes gyptiennes furent accuses, selon divers renseignementsprocdant de sources proches de la monarch ie de lImam Al-Badr,davoir utilis de 1963 1967, des armes chimiques dans le cours deson intervention dans la guerre civile du Ymen au ct des forcesrpublicaines(8).

    Dans le dernier quart du XXesicle, laccusation la plus grave

    retomba sur lIrak pour lutilisation massive darmes chimiques dansla guerre contre lIran et, surtout, contre la population civile Kurde.Les 17 et 18 mars 1988, les irakiens bombardrent intensivement lapopulation de Halabja, ville de plus de soixante mille habitants situedans le Kurdistan irakien, au nord du pays, prs de la frontire aveclIran, causant, selon diverses sources, 5.000 morts et autant deblesss. En plus de lyprite, gaz vsicant, il aurait t utilis des gazneurotoxiques comme le sarin.

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    Quelques unes des accusations dutilisation darmeschimiques manquaient de fondements. Dans les annes trente, aprsla commotion cause par les intenses bombardements avec gaz

    toxiques effectus par les italiens en Ethiopie en 1935-1936, lopinionpublique internationale fut particulirement sensible nimportequelle dnonciation quant au possible emploi dune arme prohibepar les traits internationaux. Dans la guerre civile espagnole, aucundes deux camps belligrants narriva utiliser des gaz toxiques ;aussi, les accusations lances rciproquement par les franquistes etpar les rpublicains servirent surtout darmes de propagandedestines dnigrer et dprcier lennemi devant lopinion publique

    internationale. Bien que les accusations, dans dautres conflitsbelliqueux, purent obir aux mmes mobiles propagandistes,certaines, cependant, correspondaient la ralit, comme ce fut lecas, en sus de lItalie en Ethiopie, et de la Grande Bretagne en Irak,celui de lEspagne dans le Rif. Dans des annes plus rcentes,lutilisation darmes chimiques par lIrak, dans le Kurdistan irakien, estgalement suffisamment prouve, ce qui ne signifie pas, en dpit desaccusations de certaines puissances occidentales, que lIrak continue

    aujourdhui disposer de ces armes, ayant t oblig par lacommunaut internationale les dtruire, dans lultime dcennie dusicle pass et au dbut de celui-ci.

    De lutilisation de gaz toxiques par larme espagnole dans leRif, dans les annes vingt du sicle pass, il se parla, bien sr, lpoque. La majorit des militaires qui intervinrent dans la guerrecontre Abdelkrim eurent connaissance de lemploi de gaz toxiques ouparticiprent dans des actions dans lesquelles ceux-ci furent utiliss.La socit civile aussi eut partiellement connaissance de leur emploi,par une partie de larme, travers surtout les soldats appels dansles rangs, dont beaucoup souffrirent eux-mmes des effets mortifresdes gaz. Le premier tmoignage sur leur utilisation est d Ramon J.Sender (lui mme servit en Afrique lors de la guerre du Rif), qui dansson roman Iman (1930) raconte les tragiques expriences dunsoldat dorigine paysanne, Viance, et, travers celui-ci, les effets dugaz sur les troupes espagnoles. A ce tmoignage, il convient dajouterdeux autres : celui de Pedro Onda Bueno, observateur de lAviation

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    Militaire qui, dans son uvre autobiographique La vida y yo (1974) se rfre au lancement de gaz toxiques depuis les avions etlempoisonnement quils produisaient sur les champs rifains; et celui

    dIgnacio Hidalgo de Cisneros qui, dans son uvre aussiautobiographique Cambio de rumbo , rvle comment il futprotagoniste de divers lancements de gaz toxiques bord dun avionFarman F.60. Tous ces tmoignages revtent un norme intrthistorique, pour tre bass sur des expriences vcues par leursauteurs. Nonobstant, dans toute lhistoriographie sur la guerre du Rif,il nexistait, jusquil y a quelques annes, aucune uvre qui abordaitle thme des gaz toxiques.

    Il convient de signaler que les premiers en donnerconnaissance furent deux journalistes allemands, Rudibert Kunz etRolf-Dieter Mller, dans luvre Giftgaz gegen Abd el krim.Deutchland, Spanien und der Gasgrieg in Spanisch Marokko, 1922-1927 (LAllemagne, lEspagne et la guerre du Gaz dans le MarocEspagnol, 1922-1927), publie en 1990, dont-il nexiste pas deversion espagnole(9), mais une version arabe, publie Rabat en1996 avec le titre Harb al ghazat as sammat bi-l-maghrib.

    Abdelkrim El Khattabi f i muwajahat as silah al kim iyah (La guerredes gaz toxiques au Maroc. Abdelkrim El Khattabi face aux armeschimiques). Postrieurement, le thme fut abord par dautresauteurs entre lesquels il convient de mentionner les espagnols JuanPando, dans Historia secreta de Anual (1999) ; Carlos LazaroAvila, dans un article intitul La forja de la Aeronautica Militar :Marruecos(1909-1927) , dans luvre collective Las campaas deMarruecos. 1909-1927 (2001) ; Angel Vias, dans luvre Franco, Hitler y el estallido de la guerra civil (2001) ; et MariaRosa de Madariaga, dans Los moros que trajo Franco. Laintervencion de tropas coloniales en la guerra civil (2002) ; enfin,dentre les trangers, lhispaniste britanique Sebastian Balfour abordeextensivement le thme dans son uvre Abrazo mortal(2002) .

    La documentation darchives sur les gaz toxiques dans le Rifest norme. Aujourdhui, passs les annes prescrites par la loi,

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    les chercheurs intresss peuvent consulter toute cette nombreusedocumentation au Service Historique Militaire (SHM) de Madrid, et

    dans les Archives Historiques de lAir, de Villaviciosa de Odon.Le travail que nous prsentons ici est bas

    fondamentalement, en sus de la bibliographie existant sur le thme,sur les sources darchives suivantes : Service Historique Militaire(SHM), Ministre Franais des Affaires Etrangres (AEF) et ForeignOffice (FO), Ministre britannique des affaires extrieures.

    Les gaz toxiques dans la guerre du Rif.Bien que vulgairement connus comme gaz de guerre , la

    plupart dentre eux sont en ralit liquides, certains trs volatiles,cest dire quune fois disperss dans la zone dattaque, ilssvaporent rapidement, tandis que dautres sont plus persistantscomme lyprite, liquide qui ne prsente pas un degr lev devolatilit en comparaison avec dautres agents chimiques. Si dans laguerre du Rif, le gaz dont il se parla le plus fut lyprite, peut trepour limpact que causa son utilisation durant la premire GuerreMondiale, il ne fut cependant pas lunique, puisque dautres,particulirement le phosgne et la chloropicrine, furent aussi utiliss.

    Lyprite, dont la dnomination correcte est le sulfure de bis(2 chloropicrine), tait appele par les allemands HS ( Hun Stoffe ; German Stuff en anglais). Elle est aussi connu comme gazmoutarde , mustard gas en anglais, d ce que durant lapremire Guerre Mondiale, il se disait quelle sentait comme ce

    produit culinaire obtenu de la plante du mme nom.Bien que la volatilit de lyprite ne soit pas trs leve, sa

    persistance tait plus ou moins grande en fonction de la tempraturede la zone o elle tait utilise. Plus leve est la temprature, plusleve est la volatilit et par consquent moindre la persistance. Denuit, en raison de ce que le refroidissement de la terre affecte lescouches les plus basses et lair, il fait plus froid, et l les gaz (ouliquides qui se volatilisent) tendent se comprimer et ne stendent

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    pas, cest dire que du fait de ne pas monter sa persistance dans lazone augmente. Au contraire, de jour, le rchauffement de la terre,

    par absorption de la radiation solaire, affecte les couches les plusbasses et, dans ce cas, lair est plus chaud pour ce que les gaz (ouliquides volatiles) stendent, diminuant la persistance de lagent,mais affectant les individus quil croise en montant.

    Lyprite appartient au groupe des gaz dits vsicants. Depuisle point de vue physiologique, elle attaque avec plus ou moinsdintensit, selon sa concentration toxique, tous les tissus derevtement, traversant les couches superficielles de la peau et

    produisant en elle des lsions semblables des brlures et cloqueset, elle attaque aussi dautres organes, tels les yeux, avec possibilitde provocation daveuglement passager. Linhalation de ses vapeurscause aussi de graves troubles digestifs (vomissements, diarrhe),cardio-vasculaire (chute de la pression artrielle) et nerveux(asthnie, coma) et jusqu la mort, des heures aprs linhalation.

    Quant au phosgne et la chloropicrine, les deux sont desagents neumotoxiques. A la diffrence des agents vsicants, lephosgne ne produit pas de brlures ; la voie dintoxication tantpulmonaire. Une fois inhal, il altre la permabilit de la membranealvolaire, qui est situe la fin du tractus respiratoire o se produitlinterchangement de loxygne qui passe au sang et le dioxyde decarbone qui passe au tractus respiratoire pour tre expir. Lapermabilit de cette membrane tant altre, du liquide passe lespace interstitiel, ce qui fait que la personne ait des diff icults pourrespirer, en raison de lempchement de ce liquide, qui sinterpose,que loxygne puisse arriver jusquau sang. Si la concentrationinhale est trs leve, du liquide passe lintrieur des poumons etla personne affecte meurt par dme pulmonaire. Lautre agentneumotoxique, la chloropicrine, ractione dans les parties hautes dutractus respiratoire sans arriver la membrane alvolaire ; cepourquoi les intoxications dans ce cas sont moins graves que cellesdu Phosgne. A se dissoudre dans leau des scrtions bronchiales,elle produit de lacide chlorhydrique qui lse le tractus respiratoire,bien que, videmment, si la concentration inhale est trs leve, elle

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    peut affecter non seulement le tractus respiratoire mais aussi lesalvoles.

    Dans tous les cas, bien que les vsicants et lesneumotoxiques soient deux agents distincts et que les mcanismesdaction ne soient pas les mmes, le fait quun agent chimique soitincapacitant ou ltal dpend de sa toxicit intrinsque, mais aussi dela concentration inhale et du temps dexposition. Linhalationdyprite produit aussi des lsions dans lappareil respiratoire et il esttabli que lors de la premire Guerre Mondiale, les personnes quimouraient de forme immdiate aprs les attaques avec yprite

    ltaient non en raison des brlures de la peau, mais en raison delinhalation de hautes concentrations dyprite qui lsait le tractusrespiratoire(10) .

    Les documents du Service Historique Militaire (SHM)mentionnent les gaz toxiques, des fois de faon euphmistique, avecdes expressions telles que bombes X, bombes spciales ou bombes dillumination , mais en de nombreuses occasions ils le smentionnent explicitement, tantt de manire gnrique, sansspcifier de quel gaz il sagissait, tandis que dautres fois ils indiquentclairement le nom du gaz : yprite, phosgne, chloropicrine.Nonobstant, les diffrents types de bombes apparaissent avec unnom cl qui correspond au contenu et au poids de chacune. Ainsi, lescls pour les diffrents types de bombes taient les suivantes : C-1(yprite, 50 kg) ; C-2 (yprite, 10 kg) ; C-3 (phosgne, 26 kg) ; C-4(chloropicrine, 10 kg) ; C-5 (yprite, 20 kg). Il faut signaler quedautres types de bombes, qui ntaient pas asphyxiantes, portaientainsi un nom cl : celles dsignes par la lettre A (A-1 A-3) taientde tolite, un explosif puissant ; les B-1 (essences, 7 kg), B-2(Phosfore, 1 kg), B-3 (cartouches)(11).

    La provenance des gaz toxiques et leur utilisation encampagne.

    Peu aprs le dsastre dAnnoual et lcroulement de tout lecommandement militaire de Melilla, en juillet-aot 1921, les voix

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    commencrent slever dans toute lEspagne dans la presse, auCongrs qui rclamaient lutilisation de tous les moyens offensifs

    ncessaires, incluant les gaz toxiques, pour en achever avec lemouvement dAbdelkrim, dominer entirement la zone par les armeset infliger aux rifains un dur chtiment. Dans un article de Lacorrespondancia militar(5 septembre 1921), le dput parlementaireF. Crespo de Lara se lamente au sujet de la lenteur avec laquellesorganisait laviation militaire et pourquoi il navait pas encore tcommenc employer les gaz asphyxiants. Dans un autre article du10 octobre, le mme auteur insistait sur la ncessit de contracter

    des aviateurs trangers avec ample exprience dans les armes quiavaient particip la guerre europenne et bien adroits dans lespratiques de bombardements, y compris avec des bombes chargesavec des gaz asphyxiants . Le ton dautres journaux y compris ceuxde tendance librale tel que le Heraldo de Madrid, tait aussibelliqueux et rclamait galement leur emploi(12).

    Il convient de se demander quand fut prise la dcisiondutiliser des gaz toxiques dans la guerre du Rif ? Dans la

    correspondance tlgraphique entre le ministre de la Guerre, leVicomte De Eza, et le haut commissaire, le gnral Berenguer, endate du 12 aot 1921, cite par Juan Pando dans son uvre Historiasecreta de Anual, le premier manifestait quil tait en train desacheter, entre autre matriel de guerre, des composants de gazasphyxiants pour leur prparation Melilla et le second que mmesil avait toujours t rfractaire les utiliser contre les rifains, illes emploierait avec vritable plaisir, pour ce quils avaient fait. Si

    la dcision de les utiliser parat remonter aot 1921, peu aprs lemassacre le 9 de ce mois des soldats espagnols Jebel Aroui, parcontre, il ne semble pas quil sen fit usage dans les mois suivants, en juger par la presse qui continuait le rclamer. Dans cettedcision influa sans doute le dsir de vengeance de larme et decertains secteurs de lopinion publique pour les massacres perptrs Selouane et Jebel Aroui, ainsi que la ncessit de mettre

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    fin le plus tt possible, cette guerre, en recourant aux moyensmilitaires les plus modernes pour reprochables quils soient. Le

    Heraldo de Madrid ne disait-il pas, pour justifier lemploi des gaztoxiques, que pourquoi devait-il tre plus cruel de tuer un hommeen lenveloppant dun nuage de gaz asphyxiants quen luidchiquetant le corps avec une grenade (13) ?

    Nonobstant, si la dcision dut iliser des gaz toxiques surgitau dbut de la droute de larme dans le Rif, lors de lt 1921, ilconvient de se demander si lEspagne ne disposait pas avant cettedate de quelque type de gaz, bien quelle ne lait jamais utilis

    jusqualors. Cest au moins ce que paraissent suggrer certainsdocuments dorigine rifaine existant dans les archives du Ministrefranais des affaires extrieures. Ainsi, le Cad Haddou ben Hamou,dans une lettre Abdelkrim, date du 31 aot 1921, lui demande dene librer aucun des prisonniers espagnols, surtout le gnralNavarro, car sil les libre, les espagnols, lui dit-il vous dtruirontavec des bombes empoisonnes (14). Ces paroles semble laisserentendre que les rifains avaient des informations selon lesquelles

    larme espagnole pensait utiliser des gaz toxiques contre eux, bienque nous ne sachions pas si ctait car ils les avaient dj ou parceque ils se disposaient les acqurir bientt. Le Cad Haddou BenHamou se rfre galement au thme des gaz toxiques en dautresoccasions. Dans une lettre Abdelkrim, attribue en Cad prcit, du2 dcembre 1921, il disait ce sujet : Envois moi quatre caisses degaz, car je nen ai plus ici, ainsi que de largent pour en acheter dixautres Taourirt (15). (Taourirt tait, comme chacun le sait, le poste

    franais, limitrophe avec la zone espagnole, do il se faisait uneimportante contrebande darmes avec le Rif). Cette lettre paratindiquer que les rifains disposaient de gaz toxiques, non seulementcar il leur tait possible de les acheter dans la zone franaise maisaussi car ils les avaient pris aux espagnols. Cela dcoule dune autrelettre, galement de Haddou Ben Hamou Abdelkrim, le 6 dcembre1921, dans laquelle il lui communique que tout le matriel de guerre(canons et munitions) pris aux espagnols se runissait Dar Driouch,

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    et il rajoutait ce qui suit : le gaz se runira au fur et mesure qui larrivera. En ce qui concerne celui qui se trouve Azib Midar, cris

    aux notables, en leur demandant quils nous aident le recueillir

    (16)

    .De cette correspondance, il semble se dgager quen plus du

    matriel de guerre conventionnel, les espagnols disposaient danscertains postes militaires de projectiles avec gaz et que les rifains senseraient appropris avec lautre matriel. Ici, deux questionssimposent : si les espagnols les possdaient, pourquoi ne les avaient-ils pas utiliss ? Et quel pays avait fourni lEspagne ces gazpuisquelle ne les fabriquait pas ?

    Sagissant de la premire question, il convient de supposerque sils navaient pas utilis les gaz dont ils pouvaient disposer avantle dsastre dAnnoual, ce sera pour diffrentes raisons dordrepolitique ou technique. Politique, puisquaprs la premire GuerreMondiale, o il stait utilis massivement, la communautinternationale condamnait son usage. En sus, le commandementespagnol ne pensait pas en ces moments quil fut politiquementopportun de les utiliser contre la rsistance rifaine, considrant queles armes conventionnelles suffiraient pour la vaincre. Technique, carlEspagne ne devait pas disposer alors de canons adapts pour lelancement de grenades charges avec ces gaz, ni de personnelspcialis dans son maniement. Il est probable que larme tait surle point de recevoir des canons de type adquat probablement de155 mm, ainsi que lassistance technique ncessaire, pour lemploi dugaz le moment venu.

    Quant la provenance des gaz, les journalistes allemandsRudibert Kunz et Rolf-Dieter Mller, auteurs du livre susmentionn,soutiennent que durant lt 1921 lEspagne disposait de quantit debombes de gaz et des installations ncessaires pour les charger dansun difice situ Melilla et que ctait la France qui les lui fournissait,ainsi que le matriel pour la fabrique. En sus, ils rajoutent que

    jusqu ce moment les franais navaient pas mis la disposition de la

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    fabrique plus que des gaz lacrymognes et autres qui irritaient le nezet enflammaient la gorge(17). Le cas est que le Cad Haddou BenHamou, dans ses lettres Abdelkrim le 2 et le 5 dcembre 1921,

    emploi uniquement la parole gaz , sans spcifier de quel type iltait et il est fort possible que ce soit tout simplement des gazlacrymognes appartenant la catgorie des appels mortifiants et neutralisants . Par contre, dans la lettre du 31 aot 1921, leterme bombes (en ralit celui quil utilise correspond bien plus celui de boulets cest dire, un projectile rond) est complt par alwahji qui signifie quelque chose comme luminosit ouluminiscence . Pourquoi alors ces bombes ou projectiles seraient

    de gaz empoisonns ou toxiques , tant donn que le termearabe pour qualifier ces derniers est celui de as-samma ? Ilconviendrait de penser quil pourrait sagir de bombes ou grenadesincendiaires, mais celles l les rifains, selon loriginal arabe de cettecorrespondance, les nomment al-harika cest dire qui brlent,de faon que les dsignes par le nom pr-indiqu devaient treautres qui aussi produisaient une certaine luminosit, bien quedistinctes des incendiaires. Maintenant, cette luminosit ne pouvait

    tre due leffet dune charge explosive dans la bombe ou grenade,puisque lexplosion, en produisant une augmentation de latemprature, favorise la dcomposition de lagent chimique et dtruitson action. Donc, il devait sagir dun gaz qui produirait par lui mmeun effet lumineux ce qui nous conduit penser quil pourrait peuttre sagir du phosgne, qui peut produire se disperser un nuageblanc ou jauntre et cela serait ce que les rifains voyaient. Dcouverten 1811 par Davy, le phosgne fut obtenu exposant la lumire

    solaire un mlange de chlore et oxyde de charbon, et de l drive sonnom phos = lumire et gno = engendrer. La dnomination que lesrifains donnaient ce gaz toxique pourrait correspondre, encore quesans pouvoir lassurer, ce que les espagnols appelaient aveceuphmisme bombes dillumination , selon certains documents duService Historique Militaire. Il faut signaler que les bombesdillumination , proprement parlant ntaient pas toxiques, maiscorrespondaient la catgorie des appeles pyrotechniques ,

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    selon la classification que donne le livre La guerra quimica (Gases deCombate), publi en 1924 par lEtat Major Central de lArme, ce pour

    quoi le terme illumination qui figure dans quelques documentsmilitaires pourrait obir, sans plus, une formule convenue sansrelation avec un quelconque effet optique. Une autre hypothseserait aussi possible. Les dispositifs utiliss pour disperser les agentschimiques de guerre ne doivent pas comporter, comme nous disionsavant, des explosifs car ceux l peuvent dcomposer lagent aumoment de lexplosion ; ils portent une fuse et un dtonateur ce quiapporte lnergie suffisante pour que le rcipient, lintrieur duquel

    va lagent, se casse et permette sa dispersion. Le dtonateur apportelnergie qui dans le cas dun agent chimique, ne doit pas tre trsleve pour ne pas le dcomposer, ce pourquoi il est ncessaire demodifier le dtonateur que comporte une arme chimique par rapport celui qui porte une arme conventionnelle. Comme lEspagne navaitaucune exprience dans lusage des armes chim iques, il est possibleque ce que firent les espagnols ce fut simplement charger lyprite oule phosgne dans le rcipient o normalement va lexplosif, sans

    modifier les proprits du dtonateur, de faon qu altrer lastabilit de lyprite ou du phosgne, ceux-ci pourraient sedcomposer en substances qui prendraient certaines couleurs ouluminosit. Dun autre ct, dans certains documents il y a mentionde bombes charges avec tolite qui portaient en plus des substancestoxiques, mlange qui se considrerait probablement plus efficace,mais qui en ralit, faisait dcomposer le gaz et dtruire ses effetstoxiques.

    Nous navons plus retrouv, dans les sources rifaines, desallusions aux gaz toxiques, et ce jusquau 24 juillet 1922, date laquelle le Cad Haddou Ben Hamou revient, dans une lettre

    Abdelkrim, sy rfrer dans les termes suivants : Je tinformequun bateau franais a transport 99 quintaux de gaz asphyxiantpour le compte des espagnols. Le dit chargement est arriv Melillale 16 juin du courant mois (18). Il convient de signaler que le termearabe utilis pour se rfrer ce gaz est de nouveau celui de al-

    wahji , qui pourrait correspondre, pour les raisons prcites, celles

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    appeles par les espagnols bombes dillumination . Dans cettemme lettre, le Cad Haddou Ben Hamou communiquait Abdelkrimquun tel monsieur Bartoli tait arriv de Paris, rapportant, entre

    autres choses dont il avait t charg, cent masques gaz quil luicderait pour le prix de 100 francs lunit, mais que, dans le cas o laquantit quils voudraient acqurir serait plus grande, il serait dispos les vendre 60 francs. Les masques se trouvaient Oran o ilspouvaient aller les recueillir. Et abondant sur le mme thme, ilenvoyait Abdelkrim une image du canon qui lance des obus avecgaz asphyxiants (19), dont la porte tait de 50 km et le prix de5.000 francs .

    Cette correspondance indique que les premiers gaz toxiquesdont disposa larme espagnole au Maroc taient de provenancefranaise. Mais si la France navait pas, ce qui semble,dinconvnient fournir lEspagne ce matriel belliqueux, commenon plus donner des instructions au personnel militaire charg de lemanier, elle ne pensait pas, cependant, lutiliser elle -mme, commecela se dgage dun autre paragraphe de la lettre mentionne, danslaquelle le Cad Haddou Ben Hamou disait ce qui suit : Lesespagnols ont envoys 300 soldats en France une fabrique de gazasphyxiant pour apprendre la manire de lutiliser dans la guerre. Lesespagnols ont adopt cette mesure, alors que les franais ont refusde lemployer eux-mmes (20). En mme temps, peut tre pour selibrer de toute accusation possible, le Gouvernement franais avaitfait savoir, par le biais de la presse, que depuis que la paix avaitt signe les principales puissances avaient dcid de prohiberlemploi de gaz asphyxiants dans les guerres futures (21). En fin decompte, la France le fournissait dautres pays sous le manteau,dclarant en mme temps publiquement son refus lutiliser.

    Peut tre que ce chargement arriv Melilla le 16 juin 1922fut le mme auquel se rfre lavis donn dans cette ville le 22 mai1922, selon lequel des projectiles chargs de gaz (22) seraientrapidement disponibles. Ce premier gaz pourrait tre le phosgne, quitait, ce qui semble, le prfr par les franais, qui lavait privilgi

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    dans leurs essais chimiques pour lavoir considr comme tant ungaz de combat plus toxique que lyprite(23). En sus du phosgne, ilest possible que les franais aient livr lEspagne la chloropicrine,

    bien que larme espagnole pouvait aussi lavoir obtenu de rservesciviles, tant donn que ce produit chimique sutilise, comme lon sait,dans les champs(24), surtout pour liminer les animaux nuisibles(insectes ou rats).

    Limage du canon, qui lance des obus avec gazasphyxiants , envoye par le Cad Hadou Ben Hamou Abdelkrim,parat suggrer que larme espagnole les avait dj lancs avant juin1922, bien que cel puisse signifier quil sagissait tout simplement ducanon apte pour les lancer en nimporte quel moment ; raison pourlaquelle les rifains, devant cette ventualit, pensrent, dun ct, la possibilit dacqurir eux-mmes un canon de ces caractristiques,et, dun autre ct, davoir des masques anti-gaz pour se protgerdes attaques avec gaz de lartillerie espagnole.

    Il conviendrait de penser ainsi la possibilit selon laquellelarme espagnole se serait limite jusqualors de simples essais ou

    exprimentations, mais non une attaque en toute rgle. En ce sens,la notice du journal colonial franais La dpche coloniale, cite parS. Balfour(25), selon laquelle lartillerie espagnole aurait lance, audbut de novembre 1921, prs de Tanger, la premire attaque, avecdes projectiles chargs de phosgne ou de chloropicine, ne semblepas trs crdible. Par ailleurs, le journal attribut le succs de lacampagne de Berenguer dans la rgion occidentale du Protectorat lemploi de gaz asphyxiants. En premier lieu, il faut tenir compte de

    ce que La dpche coloniale, qui reprsente les intrts de colonsfranais dAlger dfendus par un groupe de dputs et snateurs, latte desquels se retrouvait Eugne Etienne, jusqu sa mort en 1921,et qui tait profondment hostile la prsence de lEspagne dans lazone nord du Protectorat, ne ratait pas loccasion dattaquer lesespagnols ; ce qui fait que la notice, base sur de simples rumeurs,avait surtout pour objet de les dprcier devant lopinion publiqueinternationale. En second lieu, la situation dans la rgion occidentale

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    du Protectorat ntait pas aussi grave, lautomne 1921, au pointdexiger lemploi de gaz toxiques, bien quune certaine agitation

    sannonait. Le dsastre dAnnoual eut des rpercussions immdiatesdans la rgion de Larache, o dj dans la nuit du 27 aot 1921, futattaqu par surprise la position de Akba El Kola et, aprs, celle deGomara, o les rifains conjointement des combattants gomarisattaqurent, partir du 21 octobre, quelques positions militairesespagnoles. Dans ces circonstances, il eut t plus logique que lesgaz toxiques eurent pour objectifs ces lieux ou dautres comme latribu de Beni Aros, qui restait en grande partie insoumise, mais non

    la rgion de Tanger, o il ne senregistrait pas dincidents dignes demention jusqu ce quil se produisit le soulvement de la tribu desAnjeras en dcembre 1924, ce qui dtermina alors lemploi de gazasphyxiants par laviation. En troisime lieu, il rsulte rvlateur quelattach militaire de lambassade de Grande Bretagne Madrid, bieninform par le biais des consuls britanniques Tanger et Tetouan,dit dans une dpche, dat du 20 mai 1925, que lutilisation debombes de gaz remonte une date relativement rcente et que

    antrieurement au soulvement de la tribu de Anjera en dcembre1924, peu ou rien ne stait entendu dire du gaz (26). Il est fortcertain quil se rfre des bombes de gaz lances par laviation etnon par lartillerie, mais, de toute faon, il rsulte trange que sil yeut des cas demploi de gaz toxique dans la rgion de Tanger,antrieurement dcembre 1924, les consuls britanniques dans cettecit et Tetouan ne seraient pas au courant et que surtout, ils ne sesoient pas empresss de le dnoncer, tenant compte que les deux

    taient fort critiques avec la politique de lEspagne au Maroc,particulirement avec lactuation de larme espagnole dans leProtectorat. Enfin, de la documentation du Service Historique Militairecorrespondant juin-septembre 1922, il se dgage que dans cesdates il ne stait pas encore utilis de gaz toxiques, pour des raisonsfondamentalement techniques, encore quaussi politiques (27).

    Nanmoins, la correspondance de Melilla avec le HautCommissaire, entre juin et juillet 1922, rvle que dans le Parc

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    dArtillerie et les ateliers militaires de Melilla, il stait dj initi,depuis juin, la charge de projectiles avec ces gaz et que leur nombreatteignait, le 1 juillet, 700 de 15,5 cm (155mm) et le 14 juillet il y

    avait dj 1000 tirs complets de projectiles avec cette charge(28)

    .Dans un tlgramme du 4 juillet 1922, le Haut Commissaire

    demandait au Commandant gnral de Melilla de linformer durgencede lopportunit de lemploi de projectiles avec gaz asphyxiants dans les secteurs dans lesquels ils pourraient sutiliser en vue de lasituation politique , et surtout si tous les lments qui intervenaientdans leur utilisation taient prts, de faon que lorsque leur emplo iserait ordonn il y eut toutes les garanties de ce que leurs effets

    sur lennemi devraient tre efficaces et que cela ne produirait pasdaccidents dans les troupes espagnoles, ce pour quoi devaientsobserver toutes les prcautions dans lemmagasinage, le transportet lemploi, en accord avec les instructions approuves par R.O.C du14 octobre 1921(29). Dans sa rponse du 5 juillet 1922, lecommandant gnral de Melilla informe le Haut Commissaire de cequil existait les lments ncessaires pour lemploi de gaz dans despices de 155 mm et des masques en nombre suffisant pour viterdes accidents dans les troupes, tout en considrant quavantdemployer cette nouvelle mthode (soulign dans loriginal), il seraitncessaire de raliser quelques tirs dessai pour tre sr de ce que lesdistincts lments fonctionnent parfaitement et que le personnel taitfamiliaris avec lusage du masque. Par ailleurs, le Commandantgnral indiquait que les exercices de tirs se feraient sur le front tirant au dbut sur des objectifs bien visibles et pouvant sessayer,par la suite, un tir de surprise sur les pices que tenait lennemi Sidi Messaoud (tribu de At Said) et Tzayuday (tribu de Tafersit)lorsque celles l attaqueraient. Il rajoutait que pour des raisondordre politique , il considrait quil ntait pas convenant employerce nouveau moyen de guerre (soulign dans loriginal), pour lemoment, lexception du cas indiqu o les batteries ennemies dufront feraient feu. Et il terminait sollicitant lautorisation pour raliserdes exercices de tirs dessai lorsque le personnel serait suffisammentinstruit.(30)

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    On voit constamment une grande proccupation pour lascurit du personnel responsable de la charge des projectiles, deleur transport jusquau front et de leur manipulation dans les

    batteries. Dans ce sens, la correspondance fait rfrence lancessit de tenir compte du manuel dInstructions pour le tir deneutralisation avec grenades de gaz toxiques, duquel diversexemplaires avaient t envoys Melilla pour tre distribus dansdes postes militaires du front comme Dar Driouch, Dar Kebdani etKandoussi(31). Ces instructions, bien quelles fussent approuves parR.O.C du 14 octobre 1921, ne semblent pas avoir t distribuesavant juillet 1922. Le personnel charg du maniement des gaz

    toxiques est constitu par le nomm Groupe dinstruction , quidevait raliser des essais et expriences avec le matriel avant sonemploi en combat. Le gnral Damasco Berenguer fut substitu parle gnral Ricardo Burguete la tte du Haut Commissariat en juillet1922 et tout parat indiquer que, lors de ce mois et dans celuidaot, le personnel assign au maniement des gaz toxiques se limita raliser des essais et preuves, tant que le CommandementGnral de Melilla ne sollicite pas, jusqu dbut septembre,

    lautorisation du nouveau Haut Commissaire pour en faire usage. Eneffet, dans un tlgramme du 2 septembre 1922, le CommandantGnral de Melilla demande au gnral Burguete de lui confirmerlautorisation, donne par son prdcesseur dans le poste, demployerdes projectiles avec ces gaz, tant donn laccroissement quisobserve dans le feu de lartillerie ennemie depuis loccupation deAzib Midar(32). Berenguer, comme lon sait, cessa sa charge de HautCommissaire le 8 juillet 1922 et, bien que lautorisation datait du 13

    du mme mois, il pourrait lavoir donne avant son dpart. Quant Azib midar, cette position, situe dans la tribu de Tafersit, elle avaitt reprise le 25 aot 1922, Burguete tant dj Haut Commissaire.Dans un tlgramme du 7 septembre 1922, ce dernier donnait sonautorisation pour employer des grenades toxiques, le GroupedInstruction tant celui qui devait en faire usage contre Tzayuday

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    (Tribu de Tafersit), chaque fois que les conditions atmosphriques,vent et emploi opportun des masques le permettent (33). A Melilla ilse disposait dj, au dbut de septembre, de 2000 projectiles

    chargs de gaz toxiques, dont certains pour tre transports despostes militaires dans le front : Dar Kebdani il en fut port 150 endate du 8, et le 30, il sy transporta de nouveau 500 et autantdautres Dar Driouch(34).

    Etant donn quil y avait dj des projectiles chargs de gaz,non seulement Melilla, mais aussi dans les postes militaires dufront, et que le Haut Commissaire avait donn son autorisation pourles utiliser, il est fort possible que durant lautomne 1922 il sen fitusage de manire sporadique et contre des objectifs prcis etconcrets. Dans une lettre dAbdelkrim la Socit des Nations, datedu 6 septembre 1922, bien quil ne mentionne pas spcifiquement lesgaz toxiques, il dnonce lutilisation par les espagnols d armesprohibes (35), ce qui parat indiquer que les gaz avaient dj tutiliss, bien que ce soit de manire restreinte et titre dessai, ouquAbdelkrim tait au courant de ce que larme espagnole sedisposait les utiliser sous peu. Le gaz aurait t le phosgne ou plusvraisemblablement la chloropicrine, dont il y a existence constantedans le baraquement magasin de Mar Chica depuis le dbut de juin1922(36). Ou aussi, le plus probable cest quil sagisse simplement degaz lacrymognes, comme parat lindiquer une lettre du ColonelDirecteur du Parc dartillerie des ateliers militaires au CommandantGnral de Melilla, en date du 7 juillet 1922, dans laquelle il dit quepour viter des accidents dans le transport des gaz jusquau front etdans le maniement des batteries, le personnel assign ces taches

    devait se prsenter latelier de gaz pour sen charger et faire desexpriences avec le produit appel bromure de benzyle (37).Notons que ce produit est prcisment celui utilis pour la fabricationde gaz lacrymognes. Bien que le document se rfre euxcomme des gaz asphyxiants , il faut tenir en compte qu cettepoque il ne se faisait pas de distinction, comme il se feraitpostrieurement, entre les diffrents types de gaz, et que cette

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    dnomination sapplique tous, y compris les lacrymognes, dontlemploi ntait pas prohib par les conventions internationales.

    Ramon J. Sender, dans son roman Iman qui, bien quetmoignage littraire, est bas sur des faits rels vcus par lauteur,voque lodeur aigre de lyprite(38). qui, lance par lartilleriecontre les rifains, arrive jusquaux soldats espagnols durant le combatacharn, livr la tentative de secourir le poste que lauteur appelleT, mais quil nest pas difficile didentifier comme celui de Tizzi Azza.Loccupation de ce poste le28 octobre 1922, par larme espagnole,donna lieu les jours 1 et 2 de novembre des journes sanglantes,dans lesquelles il y eut de nombreuses pertes, pour avoir essay dyfaire parvenir un convoi de secours. Mais si ce fameux convoi Tizzi Azza provoqua en son temps des critiques aigres enversBurguete, (nombreux le comparant au dsastre dAnnoual), ce ne futpas lunique fois o les tentatives de secourir ce poste occasionnrentdes affrontements sanglants avec grand nombre de pertes. Le 5 juin1923, un convoi envoy au secours de Tizzi Azza recausera denombreuses victimes, entre lesquelles se retrouvait le lieutenantcolonel Valenzuela, chef de la Lgion, qui rsulta mort ce aprs quoiFranco occupa son poste. De ces deux convois Tizzi Azza, nouspensons que celui auquel se rfre Sender nest pas celui denovembre 1922, mais celui de juin 1923, car dans la premire date ilne se disposait pas encore dyprite, tandis que dans la seconde, il sepeut que laide allemande permit dj den disposer, si ce nest engrandes quantits, tout au moins suffisantes pour charger avec cegaz toxique un nombre considrable de projectiles.

    Aux premiers gaz toxiques procdant des stocks allis,prcismment franais, suivrait laide allemande qui sera, debeaucoup la plus importante durant toute la guerre du Rif. Selon lesjournalistes allemands Rudibert Kunz et Dieter Mller, le Roi AlfonsoXIII avait dj manifest, depuis 1918, lAllemagne son intrt pourles gaz toxiques et son dsir de disposer des installations ncessairespour les produire. A ces contacts ultra secrets suivraient dautres en1921, anne o lEspagne reviendrait exprimer lAllemagne son

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    intrt pour obtenir du matriel de guerre chimique, en dpit de ceque le Trait de Versailles en prohibe ce pays la fabrication. Le 21novembre 1921 voyageait Madrid Stolzenberg, fabriquant allemand

    connu de produits chimiques, lequel eut des conversations avec chefsmilitaires, ministres et Palais. Le gouvernement espagnol exprima sondsir de disposer le plus rapidement possible dune fabriquecomplte, spcialement ddie la production de gaz toxiques plusmodernes, mme si parvenir un accord posa des difficults entreautres raisons parce que le Gouvernement espagnol voulait disposerde ces gaz durgence et que la fabrique ne serait pas en conditionsdes les produire avant quelques annes. Stolzenberg manifesta,

    nanmoins, quil pourrait, entre temps, fournir lEspagne des gaz deguerre dj prts pour lemploi(39)..

    Les conversations se poursuivirent en 1922. En mai de cetteanne, Stolzenberg voyagea de nouveau Madrid et les deux partiesarrivrent enfin un accord, qui se matrialisa par un contrat sign le10 juin, en vertu duquel la firme allemande sengageait construireet mettre en marche la fabrique de gaz toxiques et faciliter lesinstallations appropries pour la production de munitions, telles quedes grenades dartillerie et de main, ainsi que des quipementstechniques et du personnel allemand spcialis. La fabrique seconstruira dans le lieu appel La Maraosa, situ prs de Aranjuez,mais ne serait pas en conditions de produire des gaz toxiques si cenest pass quelques annes. Stolzenberg fournirait entre-temps lEspagne, pas exactement le gaz dj prt pour lemploi, mais lasubstance chimique ncessaire pour le fabriquer, concrtement loxol,comme lon appelait le tiodiglicol, un des ractifs utiliss pourfabriquer lYprite. Il faut tenir compte de ce que cette substancetoxique sutilise au niveau industriel pour usages non militaires, ceavec quoi Stolzenberg pouvait se jouer impunment des clauses duTrait de Versailles qui prohibait lAllemagne la production de gaztoxiques, vu quil lui tait toujours possible dallguer que les produitschimiques de sa fabrique taient destins usages civiles. Loxol sera

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    transport par voie maritime de Hambourg vers Melilla, un atelierqui sinstallait dj Mar Chica, cest dire dans un lieusuffisamment loin de la ville pour viter de possibles accidents au

    sein de la population civile. Il se rapporte quau dbut de juin 1922cet atelier ou plus exactement un baraquement magasin existait djpour la charge de projectiles, qui noffrait pas de garanties suffisantespour le personnel, ce pour quoi il studiait la construction dunbtiment en dur(40). Lunique gaz emmagasin dans ce baraquement,qui se mentionne cette date fut la choloropicrine, cest dire quelEspagne navait pas encore commenc recevoir loxol, qui tait lasubstance chimique ncessaire pour fabriquer lyprite. Il ny a pas

    non plus au dbut de juin 1922 la mineure allusion la prsence detechniciens allemands Melilla. Il faut avoir lesprit que le contratpour la construction de la fabrique de gaz toxiques la Maraosa etpour lenvoi doxol Melilla datait du 10 juin 1922, de faon quilfaudrait des mois avant que Stolzenberg soit en conditions defabriquer lui mme ce produit et de le fournir larme espagnole auMaroc.

    Ce qui prcde nous conduit supposer que lyprite ne fitson apparition Melilla que jusquen 1923. Quant la fabrique de laMaraosa, prs dAranjuez, qui commenait se construire avecl'aide de Stolzenberg, elle sutilisait pour la production de bombes quitaient envoyes, aprs, Melilla pour tre charges l bas avec desgaz toxiques.

    Les plans politico-militaires dutilisation de gaz toxiques etleur application effective

    Si les plans politico-militaires examinaient en thorielutilisation massive de gaz toxiques avec fin de causer le plus grandmal possible lennemi et lobliger se soumettre, lanalyse de ladocumentation nous indique que, dans la pratique, ce fut pour desproblmes dans lobtention de la substance toxique, retards dans lacharge des projectiles et bombes daronefs, accidents, des fois

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    normment graves, dans les magasins de gaz ou des avaries quiobligeaient interrompre la production, ou bien pour des

    considrations dordre politique, qui ne conseillaient pas toujours leurutilisation, que ni lArtillerie, ni lAviation espagnoles narrivrent lesemployer massivement, les limitant, de manire slective, desobjectifs et tribus trs prcis. Dans ce sens, dans le cadre dun planbelliqueux plus complet et global, la guerre chimique d trecirconscrite, dans une stratgie plus ample de guerre totale , lemploi du gaz avec des bombes haute capacit explosive etincendiaire, non seulement contre des tranches, blockhaus ou points

    dfensifs rifains, mais aussi contre des marchs, cultures, forts etnimporte quels lments nvralgiques du systme militaire ou civildAbdelkrim(41).

    Lexistence de nombreuses sources documentaires, qui setrouvent dans les archives militaires la disposition des chercheurs,permettent dtablir lvolution de lAronautique Militaire espagnolele long du conflit rifain, en laquelle il se met en relief la progressiveadaptation du personnel et des appareils de vol la guerre. Il

    convient de rappeler que les pilotes espagnols furent dj, ennovembre 1913, les premiers aviateurs de lHistoire raliser unbombardement arien et leurs tactique et matriel furent samliorantdurant tout le conflit nord africain. Il se rapporte le lancement de gazpar des canons de 155 mm, mais, tant donn les limites demanuvre de lArtillerie, entre autres raisons pour la configurationaccidentelle du terrain, et de son atteinte ou rayon daction, sonemploi se concentra en des points concrets du front, et le poids de la

    guerre chimique sur objectifs loign avec son indniable pouvoireffectif et psychologique retomba sur lAviation, surtout partir de1924. Toutes ses recrues durent faire front un nouveau mode deguerre, pour laquelle ils navaient pas t entrans ni non plussuffisamment avertis sur ses risques. La guerre du Rif sera lapremire du XXe sicle dans laquelle laviation utilisa des gaztoxiques.

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    Grce un document rserv envoy par le HautCommissariat du Maroc au Commandant Gnral de Melilla, nous

    savons quen octobre 1922, il se prit la dcision de crer unecommission pour ltude de lemploi de bombes et de la fabrication degaz toxiques pour lAviation (42). Entre temps, pour pouvoir raliser desattaques avec gaz toxiques il fallu recourir aux stocks trangers, quifournirent des bombes de 11 Kg, et lassistance technique pour lacharge de projectiles dArtillerie ; concrtement de la maisonfranaise Schneider qui apporta matriel et techniciens au Parcdartillerie des ateliers militaires de Melilla. La premire attaque

    arienne avec gaz toxique fut ralise par les bimoteurs (Bristol F.2Bdu 4e Groupe dEscadrilles, durant les 14, 26 et 28 juillet 1923, dansle village de Amessaouro (tribu de Temsaman) (43). A partir daot decette anne, on commence enregistrer dans la documentationlexistence de bombes de gaz toxiques (identifies comme bombes X)dans la soute munition de Nador, avec une moyenne non infrieure 200 units(44).

    Si nous parlons de gaz toxiques et dattaques ariennes nous

    devons invitablement nous rfrer aux mmoires de Ignacio Hidalgode Cisneros. La lecture de ses mmoires, qui doivent tre faitesprudemment nous conduit penser que le haut commandementespagnol pensa initialement aux polimoteurs franais Farman F.60Goliath pour le lancement de grandes bombes de gaz. Cet avion, bienquil causait divers problmes pour son maniement et atterrissagedans les arodromes marocains, tait lunique capable de lancer 4 ou6 bombes de 100 kilos qui, selon Hidalgo, taient dyprite et avaient

    t achetes du stock alli de guerre(45).Les aviateurs et techniciens espagnols initirent une

    valuation de toutes les bombes charges de gaz toxiques et, suivantla corrlation numrique des bombes de gaz identifies par le sigle C,ils arrivrent la conclusion de ce que le modle C-5 (charg avec 20Kg dyprite) tait le plus efficace pour les attaques (46). La rvisiondes informations denmagasinnement et de lancement de bombesdes divers gaz toxiques (phosgne, chloropicrine et yprite) entre lesannes 1923 et 1927 appuient lide du successif perfectionnement

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    en fonction de lefficacit. Si en 1924 les bombes C-1 (yprite, 50 Kg)et C-2 (yprite, 10 Kg) semblent tre les plus utilises, partir de

    1925 et jusqu la fin de la guerre du Rif la C-5 simposera auxautres. Le haut commandement rapidement se rendit compte de ceque la chaleur de laire septentrionale marocaine tait prjudiciablepour leffet du gaz et envisagea la possibilit dutiliser le gaz dans desvols nocturnes, missions nouvelles qui avaient dj commenc seraliser avant le lancement de gaz toxiques par laviation : Il a tdemand la hirarchie des moyens pour effectuer des vols de nuitet bombarder les lieux o il y aurait des concentrations ennemies. De

    mme il se disposera rapidement de projectiles chargs de gaz quilconviendra de lancer peu avant le lev du jour. Afin que lefficacit dececi et de cela soit maximale, il convient que le service dinformationprcise si possible le lieu o dorment les ennemis runis en harkas,prcisant si cest le mme quils occupent durant le jour ou sils serpartissent par les douars les plus proches aux campements de laharka. Melilla, 16 mai 1922(47).

    Les bombardements nocturnes, quils fussent par lArtillerie

    ou par lAviation, avaient pour objet que les gaz ne se volatisent paspar leffet de la haute temprature, quil ne stendent pas et que leurpersistance augmente dans la zone.

    Comment des bombes si prilleuses ont-elles t lances pardes quipages peu instruits dans le maniement et la prvention deseffets du gaz ? Il est certain quil y eut de nombreux problmestechniques et humains dans le maniement du matriel chimique.Sebastien Balfour a cit les informations donnes en 1924 parlattach amricain Shean(48), en ce qui se rfre la faible efficacitde laviation qui bombarde toujours la mme heure du matin et dusoir dans des missions formes par un avion et, exceptionnellement,les jours de march, par trois. Labsence de facteur de surprise quelobservateur amricain fait lgard des espagnols sexplique par lasimple raison que les hautes tempratures nord africainesempchaient les vols la mi journe ou en milieu de soire, d ceque, comme lindiquent les renseignements des ateliers demaintenance de lEscadrille du Maroc, les avaries taient nombreuses

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    dans les systmes de rfrigration ou dans le rchauffement desmoteurs, ce qui provoquait un dgt accus des avions (49). Par

    ailleurs, mis part le cas des missions de reconnaissance, le fait dedestiner un seul appareil pour frapper un objectif tait plus enrelation avec la tactique espagnole dconomiser moyens et matriel

    sans viter lobjectif psychologique de la prsence ariennepermanente en fonction dun ennemi dispers, dont la forcersidait, dans les gurillas et auquel on ne pouvait faire obstaclequen des moments concrets, comme le jour de clbration desmarchs. Sheean ne devait pas avoir connaissance de ce que les

    espagnols, pour rsoudre les deux problmes, recoururent lacomplte tactique des vols de bombardement nocturne avant laubeet en nuits claires, ce en quoi le dommage des bombes sunissait leffet moral dempcher le repos de lennemi et de crer un tat deguerre permanente.

    Balfour aussi indique que la tactique espagnole de vol rasanttait trs pauvre en rsultats, en dpit de stre inspire de cellequutilisa la RAF en Irak en 1919. Il napporte cependant aucune

    preuve documentaire de ce suppos transfert de mthode de guerre.Depuis 1913, anne en laquelle les espagnols ralisrent le premierbombardement arien de lhistoire, la tactique de bombardementstait beaucoup amliore, jusquau point quen 1921 il stait credans les Alcazares (Murcia), lEcole de Tir de Bombardement Arien,o beaucoup de pilotes et observateurs qui volaient en Afriqueavaient fait leurs tudes. Il faut tenir compte de ce que lorographiecomplique du Rif obligeait concentrer le feu des mitrailleuses et

    bombes en des points de difficile accs, les avions tant soumis aufeu rifain depuis diverses hauteurs. Ainsi, donc, lunique faon defournir des approvisionnement et procurer une couverture auxsoldats ctait en ralisant des vols dans lesquels les appareils, trsbasse altitude (100 mtres), avec la protection de leurs deux ou troismitrailleuses, attaquaient lobjectif pour lancer les bombes sous lestirs ennemis ajusts, qui causrent de nombreuses pertes demembres dquipages et dappareils. Cette tactique risque, baptise

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    par le journaliste franais Maurillac comme vol lespagnole (50),fut, de toute faon, prohibe par Alfredo Kindelan lorsquil assuma le

    commandement des Forces Ariennes au Maroc le 27 aot 1922,pour considrer quelle tait peu efficace en relation avec lnormeperte dappareils et membres dquipages quelle occasionnait (51),orientant la tactique, comme nous le verrons un bombardementplus systmatique et planifi.

    Tout le matriel volant se versa dans la campagne et onsattela la cration dune rserve suffisante de bombes pour que lacouverture sur les objectifs fut continue. Alfredo Kindelan, chef des

    Forces Ariennes du Maroc, spcifia la fin de 1923 la ncessit decompter avec des rserves de 1.000 bombes de 11 kilogrammmesincendiaires et autant asphyxiantes, et daugmenter jusqu 12.000celles de tolite (52). Il y a des documents qui conduisent penserque lusage intensif du gaz contre les tribus les plus irrductiblescomme celle de At Waryaghel (la tribu dAbdelkrim), fut prsent danslesprit des stratges militaires espagnols, qui arrivrent calculerqu avec une rserve de 1.000 bombes de 11 kilogrammes de gaz

    ou 3 de 50 kilogrammes on nettoyerait [sic] compltement en jour decalme un kilomtre carr de terrain, cest dire, quavec quasi 8.000bombes de 11 kg ou 1.000 de 5, latmosphre dAt Waryaghelresterait irrespirable avec un cot de 3 ou 4 millions de pesetas (53).Mais la ralit tait autre. Les informations refltent quelles taientdans la pratique la production et les stocks des poudrires et, enfonction de ces variables, il fallut doser leur emploi, daprs ce quilressort de la documentation consulte : Puisque lon ne dispose pas

    pour le moment de ce type de bombes en quantit ncessaires et,dans le souci de trouver une solution pratique, et rapidementralisable, je crois que laction doit se limiter, pour le moment, bombarder avec du gaz et des bombes incendiaires les villages, leshameaux et les fortifications ennemies, ainsi que les groupes et lebtail, et avec des grenades incendiaires les champs de maiz, lessilos et les forts (54).

    La campagne du Rif, initie depuis septembre 1921, peuttre considre comme une guerre conventionnelle dans le sens large

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    du terme, avec une composante additionnelle de guerre chimique. Cette dernire constitua, sans doute, un aspect trs important du

    conflit mais non le dcisif. Il est certain qu partir de fin janvier1923, aprs la libration des prisonniers espagnols Ajdir, le hautcommandement eut souhait disposer de la plus grande quantitpossible de gaz toxique pour la balancer aux rifains, mais ce souhaitbuta contre de nombreuses difficults techniques au cours de laguerre, comme celle concernant lobtention de la substance chimique(loxol) que fournirent les allemands pour la fabrication de lyprite.Pour cela le gouvernement espagnol demanda ds la mie de 1924,

    lAllemagne, la prsence de techniciens et de matriel pour acclrerla production un rythme de 1400 bombes par jour, et, dans ce but,lors du mois doctobre se dplacrent Melilla deux spcialistesdirigs par le technicien germanique le Dr Hofmeister(55). Par ailleurs,le rythme de la production se trouvait galement soumis auxpressions du gouvernement du Directoire Militaire de Primo deRivera, qui avait vit, lt de 1924, une tentativedinsubordination militaire de hauts chefs dun secteur de larme,

    lorsquil dcida le retrait des troupes espagnoles de la rgionoccidentale de la zone une ligne dfensive appuye sur loccupationde divers points le long de la cte, ce qui fut interprt comme unepremire tape dabandon du Protectorat. En achever avec la guerredu Rif tait prioritaire pour le gouvernement qui mit de grandsespoirs dans les nouvelles armes, spcialement dans le gaz.

    Les chefs de lAviation espagnole ont examin la stratgie suivre et, pour des raisons non seulement techniques mais aussi

    politiques, on ne procda pas un bombardement toxiqueindiscrimin du Rif. On se proposait de lancer le gaz dune manireslective, sur les tribus qui constituaient le noyau dr de larsistance, comme le rvle le tlgramme suivant du CommandantGnral au chef des Forces ariennes, le 30 aot 1923 :

    Son Excellence, Monsieur le Haut Commissaire, dans untlgramme daujourdhui me dit : Prire dappeler le LieutenantColonel Kindelan et de lui prsenter le projet de division par zones

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    des tribus Temsaman et At Waryaghel afin de les attaquer fondlune aprs lautre jusquen finir avec toutes , en employant dans ce

    but tous les types de bombes de tolite, incendiaires et X (gaztoxiques) dont vous disposiez(56).

    Les attaques contre des objectifs concrets furent uneconstante dans la stratgie suivie par les hauts commandements toutle long de la guerre. Un tlgramme du 5 mars 1925 indique que 50bombes C-5 (yprite, 20 kg) avaient t remises par laviation afin debombarder Souk El Arbaa de Taourirt situ sur la rive gauche duNekor, qui tait daprs ledit tlgramme, la seule zone insoumise

    non yprite, dans laquelle se runissaient de grandscontingents(57). Dans une dpche du 22 mars 1925 au Gnral enchef, le Commandant Militaire de Melilla tait plus explicite quant auxraisons pour llection de cet objectif :

    Dans le souk el-arbaa de Taourirt de Ait Wariaghel serunissent les mercredis une grande quantit dennemis confiants ence que ledit souk na jamais t bombard par aucun type de bombesdu fait dtre situ assez loin et que je navais pas eu jusqu prsentconnaissance de ces informations. Et puisquil y est fort probable quebeaucoup de monde sy rende en toute confiance le mercredi silfaisait beau temps et que nous aurions loccasion de leur causerbeaucoup de mal et de les chtier durement, je prie S.E. demautoriser employer cent bombes C-5 pour le bombardement que

    jordonnerais pour le premier mercredi o il ferait beau et qui servirasans doute faire beaucoup de mal lennemi (58).

    Dans ce document il est question de cent bombes, maislAviation nen reut que cinquante qui, en plus, devaient treretournes au cas o leur emploi ne fut pas considr ncessaire.Etant donn la pnurie de bombes C-5 en ce moment, il fallaitrationner au maximum le stock disponible. A Melilla, en janvier 1925,eurent lieu dimportantes avaries dans linstallation et une violenteraction des gaz, dues des corps trangers ou impurets de loxolutilis comme matire premire, qui tait de qualit trs infrieure

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    celle, envoye en 1924. Les essais chimiques raliss avec la matiredmontrrent quelle tait inadquate et prilleuse pour la fabrication

    laquelle elle tait destine. Des 27 bidons analyss seuls troistaient acceptables, tandis que le reste pouvait mettre en prillinstallation et causer des victimes parmi le personnel, tant donnque les dgagements violents des gaz pouvaient provoquer uneexplosion. Il fallut donc suspendre la fabrication de la substancedestine la charge des bombes C-5 jusqu ce que les avariesconstates dans les racteurs de production dyprite fussentrpars. Sous le rgime normal de fabrication on pouvait produire

    100 bombes par jour, mais de nombreuses difficults faisaient queseules pouvaient se faire 75 charges et, cela, sil narrivaient pasdaccidents ou davaries imprvus (59).

    Il faut tenir compte de ce que latelier de Melilla tait le seulqui fabriquait des gaz toxiques et quil devait fournir des bombes nonseulement lartillerie et laviation de ce territoire, mais aussi celles de la rgion occidentale du Protectorat, de sorte que si lafabrication venait sinterrompre, il fallait puiser dans les stocks

    disponibles. Le 18 janvier 1925, sembarqurent sur le garde-cteOued Targa 200 bombes C-5, dont 100 dentre elles destination deSebta et autant dautres destination de Larache, et le 9 fvrier, 400autres bombes C-5(60), furent transportes Sebta ; ces envois tanteffectus rgulirement, selon les ncessits et le nombre debombes disponibles. Les frquentes interruptions dans la fabricationdes gaz, pour avaries ou autres inconvnients, provoquaient unepnurie des stocks disponibles et il fallut plusieurs reprises limiter

    leur emploi, mme dans les cas o les plans stratgiques leconsidraient opportun.

    Les bombes de gaz tout comme le reste du matriel deguerre taient habituellement transportes par tous les avionsterrestres de laviation Militaire. Les hydravions en transportrentgalement de faon exceptionnelle (61).

    LAronautique Navale intervint au Maroc avec une unit

    forme par le porte-aronefs Ddalo quip avec un dirigible

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    et plusieurs hydravions, qui tout en disposant assez tt de bombes degaz enmagasinnes dans ses soutes, naurait pas, daprs les

    informations qui nous sont parvenues, employ une partie de seshydravions au lancement de ce genre de bombes (62). A partir dumoment o la fabrique de Melilla commena produire en srie desbombes de gaz de diffrents calibres, les Breguet XIV DH-4, Potez15, Fokker C. IV et DH-9 de lEscadrille Arienne du Maroc initirentune guerre chimique qui stendit jusqu juillet 1927, mais qui pourles raisons mentionnes, narriva jamais tre massive. Par le carnetde vol dun pilote qui vola au Maroc, nous savons que de 167

    missions ralises entre juin 1924 et juillet 1925, il nen fit que deuxavec yprite(63). Les feuilles de service de lobservateur Jos LopezJimenez qui participa dans la campagne du Rif entre aot 1925 etavril 1927, indiquent quil ralisa seulement 7 bombardements avecyprite sur un total de 130 missions (64). Dans le rapport personnel delInfant Alfonso dOrlans, qui fut la tte dune escadrille de FokerC.IV durant les oprations dAl Hoceima, il raconte quil bombardaavec yprite seulement les villages de Beni Zalea et Oued Laou (65)

    (rgion de Ghomara). Enfin nous disposons du tmoignage de PedroTonda Bueno, observateur dun Potez 15, dont lunit participait auMaroc depuis juin 1924. Dans son uvre sus mentionne, Tondavoque la vie quotidienne de son unit et se rfre aussi auxbombardements avec yprite, mais il le fait de faon exceptionnelledans le cadre des multiples missions que les aviateurs ralisrentdans la campagne contre Abdelkrim.

    Ces exemples ne peuvent certainement pas reflter toute

    lactivit dune force arienne qui parvint disposer de quelques 150aroplanes, et il faudrait consulter la documentation plus fond, maisils apportent de toute manire des donnes sur lusage non massif dugaz toxique.

    Dans le dbarquement dAl Hoceima, le 8 septembre 1925,le gaz toxique fut employ dans les localits de lintrieur, tandis quele matriel de haute capacit explosive fut utilis sur la premire lignedu front. Lanalyse de la documentation indique que les escadrilles

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    qui participrent lappui arien au dbarquement employrentexclusivement des bombes dyprite C-5 (20 Kg), laissant de ct les

    bombes de chloropicrine ou C-4 (10 g), qui taient assez prilleusespour les aviateurs espagnols, mme lorsquils respectaient la hauteurde lancement(66). Lyprite tait le gaz indiqu pour causer des perteschez lennemi dans des aires que les troupes propres nallaient pasoccuper ou traverser durant une priode de temps suprieure lapersistance du gaz, qui pouvait tre suprieure ou infrieure selon latemprature et dautres circonstances. Cest ainsi que dans ledbarquement dAl Hoceima il fut utilis dans des localits de

    lintrieur pour produire des pertes chez larrire-garde rifaine sansque les troupes espagnoles en premire ligne du front souffrent seseffets toxiques.

    Lattaque rifaine, en avril 1925, aux postes militaires franaisdans la tribu de Beni zeroual, lautre rive de lOuerga, conduit lesgouvernements franais et espagnol entamer des conversations quidonnrent lieu au Trait de Madrid de juillet 1925, destin coordonner les efforts militaires pour en finir dfinitivement avec

    Abdelkrim dans une action combine des moyens ariens, terrestreset navals qui culminrent dans le dbarquement dAl Hoceima. Cetteopration, avec grand dploiement de moyens, sera le dbut de la findAbdelkrim. Al Hoceima tait la cl du Rif, du fait que l tait situela tribu des At Waryaghel, cur de toutes les rsistances lapntration trangre. Il y avait dj eut antrieurement denombreux plans pour un dbarquement Al Hoceima, sans quaucundentre eux ne fut concrtis, jusqu ce que le plan dessin par le

    gnral Gomez Jordana fut dpoussir et actualis en cooprationavec lalli franais, qui devait attaquer simultanment, depuis lazone sud du Protectorat. Comme ce fut dj le cas en 1913, danslemploi pour la premire fois des avions bombardiers, les espagnols,avec ce plan de dbarquement, furent les prcurseurs dune nouvelletechnique de guerre dont les rsultats seraient pris en compte par lesgnrations militaires postrieures(67).

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    Le 2 octobre 1925 les colonnes du gnral Sanjurjo prirentAjdir, la capitale rifaine, ce qui obligea Abdelkrim fuir et continuer la

    lutte depuis dautres point du territoire insoumis jusquau 27 mai1926, o il finit par se rendre aux franais, de crainte des reprsaillesespagnoles. Aprs la reddition dAbdelkrim, les partisans du chefrifain continurent la rsistance dans les tribus du Rif central,Ghomara et Jebala, qui resteraient insoumises, jusqu ce que le 10juillet 1927 le gnral Sanjurjo annona officiellement Bab Taza lafin de la guerre. Dans cette priode, pour combattre les noyauxrebelles, particulirement dans les massifs montagneux de Jebel Alam

    et Jebel Hessana, laviation continua assurer un important appui larme de terre avec les modernes Breguet XIX. Il y eut encoreloccasion demployer des gaz contre les noyaux rebelles, puisque le 3juin 1927, 42 bombes C-5 furent largues Beni Guizit, tandis queles magasins de Tetouan et Larache comptaient respectivement avec200 et 497 units de ce type de bombes dyprite(68) .

    Effets des gaz toxiques sur les troupes espagnoles et sur lapopulation rifaine.

    Dans ses mmoires intitules Cambio de Rumbo, Hidalgo deCisneros relate avec contrarit les missions de bombardement quilralisa avec un F.60 charg, selon lui, de bombes avec yprite. Cepilote raconte que, des annes plus tard, un vieux rifain luicommuniqua que les bombes navaient caus aucun effet entre lescombattants car les hautes tempratures dAfrique diss iprent le gaz,et Hidalgo en arrive dire quil aurait mieux valu des bouteilles delimonades de Melilla, qui avaient la rputation dtre indigestes. Cetteaffirmation, qui ne saccorde pas tout fait la ralit, cache undessein vident de se disculper, tant donn que ses mmoiresfurent crits et publis dans les annes soixante dans un pays delorbite sovitique, dont le rgime encourageait les mouvements dedcolonisation mondiale. Nanmoins, Idalgo ne voulu pas, aprs tout,passer sous silence les terribles effets causs par lexplosion de lundes engins larodrome de Tawima lorsque son afft sen

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    dgagea causant la mort de plusieurs soldats (69). Ils nous a tconfirm lexistence de cet accident dans lequel non seulement fut

    bless le capitaine Jos Planell, chef de la guerre chimique, maisaussi le lieutenant pilote et ingnieur aronautique Arturo GonzalezGil, qui souffrit de terribles brlures aux pieds (70). Il y eut desoccasions dans lesquelles furent dtectes des fuites de gaz descarcasses des bombes et il fallut procder au maniement avecprcaution et lenterrement ultrieur des engins. Selon un rapportdu Colonel Directeur du Parc de lArtillerie et des ateliers militaires deMelilla, au sujet des avaries enregistres dans les racteurs de

    production dyprite en janvier 1925, les manipulations effectues parles cinq quipes qui soccupaient de la fabrication avaient causesdes lsions, certaines graves, parmi deux capitaines et quatrelieutenants, et le propre auteur du rapport avait t atteint deconjonctivite alors quil ne faisait que surveiller les travaux, tandisque parmi les soldats qui y participaient il y eut 82 pertes (71).

    Les aviateurs et le personnel charg de la production de gaztoxiques ne furent pas les seuls qui souffrirent des effets des

    accidents ds ce type de grenades ou bombes, puisque quil y eutaussi des cas de troupes espagnoles atteintes par le gaz, commecelui auquel se rfre Ramon J. Sender dans Iman, ou comme celuique mentionne Juan Pando au sujet de nombreux soldats dbarqus Al Hoceima qui souffrirent des effets dun nuage de gaz lorsquechangea la direction du vent durant lattaque. Au cours desbombardements lyprite effectus Anjera, aprs le soulvementde cette tribu en dcembre 1924, le gaz des bombes, port par le

    vent, tomba sur les troupes espagnoles, et causa parmi elles denombreux blesss(72).

    Quant aux effets des gaz toxiques sur les rifains, ils durenttre, sans doute, importants et causer de nombreuses victimes, nonseulement au sein des combattants, mais galement parmi lapopulation civile. Les aviateurs, en sus de lancer des bombes sur lesconcentrations de harkas, les lchaient sur les villages et sur lessouks, le jour du march ou si non la veille, de sorte que le lieu

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    restait contamin durant deux ou trois semaines, en raison de lapermanence dyprite. Les effets de ce gaz vsicant provoquaient

    fondamentalement, comme nous lavons dj dit, des brlures dansla peau et des cloques, linflammation des yeux, et pouvait mmecauser une ccit passagre, des vomissements, et, coup sr,inhal en grandes quantits, il laisait le tractus respiratoire et pouvaittre ltal. Autre caractristique de ce gaz, cest quil imprgnait lesvtements et continuait produire des effets sur les personnes mmesi elles laissaient passer du temps avant de sen revtir.

    La premire plainte sur lutilisation du gaz toxique dans la

    rgion occidentale du Protectorat remonterait dcembre 1924, dateen laquelle, selon un rapport du consul britannique Tanger, du 20dcembre 1924, un reprsentant de Anjera manifesta avoir tdlgu par cette tribu pour dnoncer devant le mentionn consul lesbombardements de ses villages par les aviateurs espagnols avec desbombes de gaz qui avaient caus pertes de vision ou ccit et autresblessures sur les femmes et enfants (73). Dans une autre dpche du19 avril 1925, le consul britannique indiquait que, selon les

    informations quil avait pu runir, il ny avait pas de doute que le gazqui avait t utilis par les espagnols dans leurs bombardements taitlyprite. Cest ce qui est confirm par le tmoignage du Dr. Forraz,chef de lHpital franais de Tanger, qui avait eut certaine exprienceen matire de gaz toxique durant le premire Guerre mondiale, et quiavait soign dans son hpital de Tanger divers cas, selon lui, tousprovoqus par lyprite. Par ailleurs, les gens du pays qui avaient vules bombardements dclaraient unanimement que les bombes de gaz

    taient lances par des avions et leurs descriptions sur les effets delyprite sur les tres humains correspondaient exactement cellesdu Dr. Forraz(74).

    En ce qui concerne la raction des dirigeants rifains avant lesbombardements avec des gaz toxiques, il semble quils essayaientden occulter les effets meurtriers quils causaient au sein de lapopulation, selon un bulletin affich Melilla le 20 juillet 1924 :

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    Il semble que ladite tribu [At Waryaghel] occulteprudemment les effets et ne laisse arriver aucune information jusqu

    nos lignes. Tant quil ny aura pas dinformation un peu prcise duct dOujda, o il serait plus facile den obtenir, on ne dispose devagues informations.

    Mais en juger selon les informations que nous dtenons, ilparat que les effets des bombes sont apprciables et ont provoquchez eux assez de panique, sans que les nombreuses grottes quilsont construites partout et o ils se considrent en sret lors desjours de bombardements de notre Aviation suffisent en empcher

    les effets(75) .Face aux effets non seulement physiques mais aussi

    psychologiques provoqus par les bombardement aux gaz toxiquesau sein de la population, il est trs possible que les dirigeants rifainsnaient pas eu intrt en parler, pour ne pas augmenter davantagela panique. En ce qui concerne les accusations au plan international,il convient de s ignaler que si les plaintes et protestations dAbdelkrimcontre les bombardements par laviation espagnole furentnombreuses, il ny a pas de rfrences spcifiques lutilisation degaz. Dans une fameuse lettre d'Abdelkrim Aux Nations Civilises adresse la Socit des Nations le 6 septembre 1922, le chef rifainse rfre uniquement lutilisation darmes prohibes par lesespagnols(76). Sur lutilisation des gaz toxiques il y eut, cependant,des dnonciations diriges la Socit des Nations Genve, maisnon par Abdelkrim lui mme, sinon par dautres, que ce soit parsympathie pour le chef rifain ou bien pour des raisons humanitaires.

    Les rifains, pour leur part, savaient dj depuis 1921 que lesespagnols disposaient de gaz toxiques, mme si au dbut il pourraitsagir seulement de gaz lacrymognes. En Juin 1922, ils avaientpens acqurir, comme nous avons vu prcdemment, des masquesanti-gaz pour se protger. Quand leur dmarche pour disposerdavions, elle fut, comme on le se sait, sans succs. En 1924, ils enachetrent quatre en Algrie, tous de vieux avions franais, dont un

    seul, un Potez-15, parvint se poser au Rif, o en dpit dtre

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    LA GUERRE CHIMIQUE DANS LE RIF (1921-1927) : ETAT DE LA QUESTION

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    camoufl il fut dcouvert par laviation espagnole, qui le dtruit. Dj,en 1923, Abdelkrim avait tent avoir des avions et autre matriel de

    guerre, dont des gaz toxiques. Dans le contrat sign le 30 avril 1923par son frre Mhammed et lex-officier britannique Alfred PercyGardiner, il y avait une liste de marchandises que celui-ci devaitacheter pour les rifains, dans lesquelles, en sus dautres matriel deguerre, figuraient huit bombardiers et quatre avions de chasse, ainsique diffrents types de bombes, dont 50 de gaz (77). Il est inutile dedire que de tout ce matriel, Abdelkrim ne vit rien, except quelquesfusils et cartouches que ledit Capitaine Gardiner, un vritable

    aventurier et escroc, qui trompa misrablement le chef rifain, russi faire passer de contrebande, mais, pour sr, ni un seul avion, nibombes de gaz asphyxiantes.

    Plus de soixante dix ans ont passs depuis la guerre du Rifet le fait quaujourdhui il se sache et se reconnaisse publiquementque lEspagne utilisa des gaz toxiques cest en soi rendre justice lavrit historique. Dans la guerre du Rif, les victimes causes par lesbombardements aux gaz toxiques, furent sans aucun doute

    nombreuses, quoiquil est galement certain que davantage furent lesvictimes des bombes conventionnelles, du fait que celles l furent lesplus utilises. Dans le cas concret de lyprite, ses effets immdiatssont connus, mais il est difficile dtablir quels seraient les possibleseffets long terme, tant donn que pour y parvenir, il faudrait unsuivi des personnes atteintes. En ce sens, il savre hasardeuxdaffirmer que le nombre de cas de cancers enregistrs aujourdhuidans le Rif, trs suprieur celui des autres rgions du Maroc, selon

    des statistiques officielles, soit d aux effets long terme de lypritesur la population et sur les descendants des personnes qui, lpoque, furent atteintes par les bombardements. Sagissant dunequestion aussi grave, il faudrait viter les spculationssensationnalistes et apporter des preuves scientifiques.

    Selon les tudes ralises par des experts mondiaux, commeceux de lAgence Internationale pour lInvestigation sur le Cancer(Lyon, France), il est fort certain que lyprite est une substance

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