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  • de luniversit McGill. Brigitte Kieffer jubile. Ce centre, intgr au dpartement de psychiatrie, va lui permettre de franchir le grand pas qui la sparait du lit du malade. Jusqu prsent la cher-cheuse navait, en effet, que les sou-ris pour sujet dtude. Au Douglas, nous disposons dun scanner pour lhomme et dun autre pour lanimal afin de pouvoir tudier les deux. Les comportements humains taient bien loin des proccu-pations de la lycenne, attire par la chimie la fin des annes 1970. Ctait naturel , recon-nat aujourdhui celle dont le pre, ingnieur chimiste, ntait sans doute pas pour rien dans ce choix initial. Aprs un DEA de chimie organique, elle opte en 1980 pour une thse luni-versit Louis-Pasteur de Stras-bourg au sein dune quipe qui se forme. Jai toujours aim tre au commencement des choses. Ses jeunes mentors, Christian Hirth et Maurice Goeldner, sou-haitent alors utiliser la chimie pour marquer des molcules biologiques, des enzymes, et ainsi mieux les suivre dans les proces-sus biologiques. Une premire. Puis une nouvelle ide prend corps. Produire des molcules hameons qui iraient pcher des rcepteurs aux opiacs, sur lesquels agissent les produits dri-vs de lopium. Je trouvais fasci-nant leffet de certaines substances comme lopium sur le cerveau. la fois antalgique et euphorisant. Je voulais comprendre comment a marche, raconte-t-elle.

    Mettre au point un antalgique sans effet addictif

    Brigitte Kieffer acquiert dautres comptences en gntique et pharmacologie et frappe la porte du grand Pierre Cham-bon directeur de lIGBMC. Il ma propos de venir travailler sur le sujet de mon choix. Lopportunit de ma vie , assure-t-elle prs de

    Brigitte Kieffer, biochimiste

    Btisseuse crbrale

    Ses travaux dcisifs dans la comprhension des mcanismes du cerveau et des comportements humains ont t rcompenss

    par le prix LOral-Unesco Pour les femmes et la science.

    Cest une superbe recon-naissance internatio-nale, affirme, encore mue, Brigitte Kieffer, fire de se voir dcerner le prix LOral-Unesco Pour les femmes et la science en mars. Dcalage horaire oblige, il est encore tt de lautre ct de lAtlantique, au Canada, lorsquelle apparat par Skype sur lcran de lordinateur pour nous rpondre. Entirement vtue de noir, cheveux longs cendrs lchs sur les paules, elle se dtache sur le dcor minimaliste de son appar-tement, le sourire franc, la voix sympathique et directe. Cest un immense honneur de reprsenter ainsi lEurope, mme si je ny vis plus. Jy ai tout de mme effectu vingt-cinq ans de ma carrire ! , pour-suit cette scientifique reconnue pour ses travaux dcisifs sur la comprhension des mcanismes cruciaux du cerveau, notamment ceux des rcepteurs aux opiacs. En effet, ce nest plus lInsti-tut de gntique et de biologie molculaire et cellulaire (IGBMC) de Strasbourg quil faut dsor-mais chercher cette Alsacienne pure souche mais Mon-tral. Depuis janvier, elle a pris la direction scientifique du Centre de recherche Douglas, spcialis dans les travaux sur le cerveau,

    1983 thse de chimie luniversit Louis-Pasteur de Strasbourg. 1989 Professeure assistante lcole suprieure de biotechnologie de Strasbourg.1994 Professeure la facult de pharmacie de Strasbourg.2001 Chef dquipe lIGBMC, Strasbourg.2007-2014 Directrice de recherche Inserm lIGBMC.

    2012-2013 Directrice de lIGBMC.2014 Professeure luniversit de Strasbourg, directrice de recherche, directrice scientifique du Douglas Research Centre de luniversit McGill, Montral. 2014 Membre de lAcadmie des sciences.2014 Laurate du prix international LOral-Unesco.

    Bio express

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  • ma projete sur la scne interna-tionale. Je suppose quelle doit dire quelle ny serait pas arrive sans lIGBMC, samuse Pierre Cham-bon. Cest probablement vrai, mais lide venait delle ! Entre ses connais-sances et lIGBMC, la synergie tait vidente. Elle a contribu au rayon-nement de lInstitut dans le monde. Claire Gaveriaux-Ruff, elle, dcrit sa consur comme une construc-tive positive , qui rflchit aux solutions plutt quaux problmes et joue souvent le rle de mdia-teur entre les gens. Tous regrettent son dpart de Strasbourg mais saluent son accomplissement. Sur sa lance, dans les annes2000, lquipe alsacienne cartographie puis manipule mu, delta et kappa dans le cerveau animal et enchane les dcouvertes. Quel luxe davoir un mtier consa-cr comprendre le fonctionnement des choses , smerveille toujours

    quinze ans aprs. lpoque elle ne savait pas quelle finirait par lui succder. Triple casquette de chimiste, pharmacologue et clo-neuse de gnes sur la tte, elle fonce, les rcepteurs des opiacs en ligne de mire. Ctait devenu le Graal des biologistes molculaires, se souvient-elle. la cl il y avait la perspective de mettre au point un antalgique sans effet addictif. Jai appliqu une technique utilise en immunologie, entoure dune super-chercheuse, Claire Gaveriaux-Ruff, et dune tudiante, Katia Befort. Tout le monde me disait que je ny arriverais jamais. Pierre Cham-bon me laissait faire et mon ancien matre de thse passait tous les jours pour me soutenir. raison ! En 1992, trois ans aprs le dbut du projet, le premier rcepteur aux opiacs, delta, est pch par lquipe fminine, bientt suivi des rcepteurs mu et kappa. Cela

    Brigitte Kieffer. En revanche, elle fronce un peu le nez lorsquon sou-ligne que le prix LOral-Unesco rcompense des femmes scien-tifiques. Si a peut encourager les jeunes chercheuses, tant mieux, il en faut. Mais je veux tre reconnue par mon travail, indpendamment du fait que je sois homme ou femme. Elle admet cependant quallier carrire et famille est plus difficile pour les femmes. Et de rendre hommage son compagnon : Il a rythm la vie quotidienne la maison, avec nos deux garons. Sans cette com-plmentarit, je naurais probable-ment pas pu tout mener de front.

    Des centaines de rcepteurs crbraux encore tudier Brigitte Kieffer pense dj ses prochains objectifs, comme tu-dier les centaines de rcepteurs crbraux encore inconnus. Il faudra au moins dix ans pour laisser une trace au centre Douglas , pr-voit-elle. Un nouveau dpart. Je suis sre que sil me voyait, Pierre Chambon dirait: Cest bien, Bri-gitte, vous commencez bien ! J Elena Sender

    Cest une constructive positive [] qui rflchit aux solutions plutt quaux problmes Claire Gaveriaux-Ruff, chercheuse lInstitut de gntique et de biologie molculaire et cellulaire, Strasbourg

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    Les travaux de

    Brigitte Kieffer ont rvl que le rcepteur

    mu, sensible aux opiacs (ici, vue dartiste de fleurs de pavot opium) joue un rle cl dans laddiction, tandis que le rcepteur delta

    est impliqu dans lanxit.

    Un essai clinique est en cours sur la base de ces recherches

    pour traiter la dpression.

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