Introduction
Les cancers du sein surexprimant HER2 (+++)
sont restés de mauvais pronostic jusqu’à la
mise au point de traitements ciblés capables
de se fixer par liaison spécifique à la zone
extracellulaire des récepteurs de la famille
des EGFR (epidermal growth factor receptor)
(1). Il existe actuellement deux traitements
ciblant HER2, le trastuzumab et le lapatinib
qui cible également HER1.
L’arrivée du premier anticorps monoclonal, le
trastuzumab, en situation métastatique puis
en phase adjuvante avait été qualifiée de
révolutionnaire par Gabriel Hortobagyi dans
son éditorial du numéro du NEJM qui publiait
les deux premiers articles : « Clearly, the results
reported in this issue of the Journal are not evo-
lutionary but revolutionary » (2). Cependant,
si la survie sans récidive atteint 85,9 % à 4 ans,
il y a encore un bon nombre de patientes qui
rechutent. La situation est identique en phase
métastatique, puisque la résistance primaire
au trastuzumab peut atteindre 60 à 70 % des
cas lorsqu’il est administré en monothérapie
et 30 à 50 % lorsqu’il est administré de façon
concomitante à une chimiothérapie (3, 4). En
fait, il est probable qu’un bon nombre de
patients développent une résistance
tumorale au trastuzumab dans les mois ou
années qui suivent le traitement. De plus, les
métastases cérébrales sont relativement fré-
quentes dans le cancer du sein HER2+ et il
semble que le trastuzumab soit inefficace
dans cette situation. C’est pourquoi il est
important de développer de nouveaux trai-
tements, tels que le lapatinib, mais aussi des
stratégies thérapeutiques alternatives. Nous
verrons dans cet article que recherche fon-
damentale et recherche clinique proposent
quelques pistes de réponses à ces problèmes
fréquemment rencontrés dans notre pratique
courante.
Mécanismes de résistances au
trastuzumab dans le cancer du
sein HER2+
Les mécanismes de résistance au trastu-
zumab actuellement identifiés sont de plu-
sieurs types :
– l’altération du récepteur HER2 : p95HER2,
forme tronquée de la protéine HER2 à
laquelle le trastuzumab ne peut se lier (5) ;
– l’interaction avec d’autres récepteurs à
tyrosine kinase qui revient, par exemple, à
former des hétérodimères de IGFR1/HER2 ;
– l’altération de la signalisation sur les voies
PI3K/AKT/P27 par des mutations de PI3KI,
perte de l’anti-oncogène PTEN (6), activa-
tion constitutive d’AKT ou perte de p27.
Efficacité du lapatinib dans
les formes métastatiques
résistantes au trastuzumab
Le lapatinib est une petite molécule inhibi-
trice de la tyrosine kinase qui agit au niveau
intracellulaire sur les récepteurs HER1 et
HER2 de la famille des EGFR.
Ce mécanisme d’action pourrait lui permettre
de garder une efficacité dans certaines situa-
tions de résistance à l’anticorps monoclonal
telle que dans les formes tronquées de HER2,
p95HER2 qui conserve une activité tyrosine
kinase. Ceci a été démontré en phase précli-
nique (6) et confirmée en clinique lors d’une
analyse rétrospective de deux essais (7). Les
dossiers des patientes incluses dans deux
études conduites en situation métastatique
avec du lapatinib en monothérapie ou en
association à la capécitabine ont été analysés
quant à l’expression de p95HER2 et à l’effica-
cité du lapatinib. Vingt à 28 % des tumeurs
de l’ensemble des patientes incluses dans ces
essais étaient p95HER2 positives ; aucune dif-
férence significative n’a été retrouvée en
termes de taux de bénéfice clinique entre les
sous-groupes p95HER2 positifs et p95HER2
négatifs traités par lapatinib.
Il a également été démontré sur des modè -
les précliniques que le lapatinib est actif sur
des clones résistants au trastuzumab par
hyperexpression de IGFR1 (8).
Alors que le trastuzumab seul ou en asso-
ciation aux taxanes perd en efficacité dans
les formes tumorales avec perte de l’activité
PTEN, il semble que l’activité du lapatinib soit
indépendante de l’expression de PTEN (9).
Enfin, une analyse a comparé l’activité des
deux agents selon le statut de la PI3Kinase
chez des patientes avec un cancer du sein
HER2+ traitées en néoadjuvant dans deux
études successives (10). Cette analyse a mis
en évidence l’impact du statut PTEN et de la
PI3Kinase sur l’efficacité des traitements :
si dans les tumeurs PTEN bas et/ou PI3K
mutée, le taux de réponses complètes
histologiques à un traitement à base de tras-
tuzumab exclusif est de 15 à 20 %, l’intro-
duction du lapatinib pendant 6 semaines
avant un traitement associant trastuzumab
et taxanes permet d’obtenir des taux de
réponses complètes histologiques de 60 à
100 %. Ces données suggèrent ainsi que l’al-
tération des voies PI3K/PTEN n’influence pas
l’activité du lapatinib et pourrait même être
prédictive de son efficacité.
La compréhension du rôle des différentesvoies de signalisation dans la cancéroge-nèse mammaire et plus particulièrementcelui des récepteurs HER2, d’une part et,d’autre part, des mécanismes d’action desdifférents agents ciblant cette voie et desmécanismes de résistance, permetd’orienter les stratégies thérapeutiques.L’exploration de marqueurs prédictifs deréponse représente une voie de rechercheincontournable dans cet objectif.
Compte rendu de Congrès16
Vol. 4 - n° 2 - trimestriel mai 2010 - Oncomagazine - © Springer 2010 - DOI 10.1007/s11944-010-00 -
Cancer du sein avancé ou métastatique HER2+ :évolution de la prise en charge
COMPTE RENDU
Daniel SerinInstitut Sainte-Catherine, Avignon
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Compte rendu de Congrès 17
© Springer 2010 - DOI 10.1007/s11944-010-0024-0 - Oncomagazine - trimestriel mai 2010 - Vol. 4 - n° 2
Quelles sont les options
thérapeutiques à proposer en
cas d’échec à un traitement
par trastuzumab administré en
phase métastatique ?
Première option, proposée par différents
auteurs : changer de type de cytotoxique
associé à l’anticorps monoclonal. Certains
essais, principalement de type observation-
nels et une étude de phase III interrompue
précocement suggèrent que la reprise d’une
nouvelle chimiothérapie associée au trastu-
zumab permettrait de récupérer une
certaine efficacité (11).
L’administration du lapatinib représente la
deuxième option qui reste efficace dans cer-
taines situations de résistance au trastu-
zumab.
Une étude randomisée de phase III avait
confirmé l’intérêt du lapatinib en cas d’échec
à l’anticorps monoclonal chez des patientes
avec un cancer du sein métastatique HER2+ ;
cette étude avait permis une obtention
d’AMM européenne en juin 2008 (12, 13).
« Tyverb® est indiqué, en association à la capé-
citabine, dans le traitement du cancer du sein
avancé ou métastatique, avec surexpression
des récepteurs ErbB2 (HER2). Les patientes
doivent être en progression après un traite-
ment antérieur ayant comporté une anthracy-
cline, un taxane et un traitement incluant
trastuzumab en situation métastatique ».
Cette étude avait comparé un bras de traite-
ment par capécitabine seule (représentant
une option de traitement possible faute de
traitement de référence dans cette situation)
à un bras associant lapatinib et capécitabine.
Sur 399 patientes randomisées, cet essai
avait démontré la supériorité de l’association
par rapport à la monothérapie en termes de
survie sans progression (objectif principal)
avec un délai médian avant progression de
6,2 mois versus 4,3 mois, respectivement
dans les deux bras et une réduction du
risque de progression de 43 %, hazard ratio :
0,57 (IC 95 % = 0,43-0,77), p = 0,00013. La
réponse objective et le bénéfice clinique
étaient également en faveur de l’association
lapatinib-capécitabine. Quant à la survie
globale, il n’avait pas été mis en évidence de
différence statistiquement significative lors
de l’analyse en intention de traitement (ITT)
et ceci pour deux raisons : d’une part, à la
demande du comité indépendant de sur-
veillance des données, l’étude a été inter-
rompue précocement du fait de l’atteinte de
l’objectif principal lors de l’analyse intermé-
diaire prévue au protocole (supériorité du
bras lapatinib-capécitabine versus capécita-
bine en monothérapie) rendant ainsi les
données de survie globale immatures et
d’autre part, du fait qu’un certain nombre de
patientes (36 des 201 patientes) du bras chi-
miothérapie avaient bénéficié du traitement
à base de lapatinib par un cross over proposé
lors de la progression.
En ce qui concerne les sites de progression,
quatre patientes dans le bras à base de lapa-
tinib contre 13 patientes du bras capécita-
bine ont développé une rechute cérébrale,
p = 0,045.
Ces deux options sont validées par lesrecommandations de Saint-Paul-de-Vence2009, la première avec un niveau depreuve 3B et la seconde 2B (14). La com-mission de transparence reconnaîtl’option thérapeutique par lapatinibcomme la seule validée et octroie uneamélioration du service médical rendu deniveau III.Une troisième option en situation d’échec au
trastuzumab serait l’association des deux
agents ciblés suggérée par les résultats d’un
essai international multicentrique (15). Cet
essai dont les données ont été communi-
quées à deux reprises et publiées en partie
récemment interroge la communauté scien-
tifique (15). En effet, chez des patientes mul-
titraitées pour un cancer du sein métastatique
et progressant sous trastuzumab, le lapatinib
permet d’obtenir une nouvelle réponse
tumorale (3 réponses complètes et 7 ré pon -
ses partielles) et une médiane survie sans pro-
gression de 8,1 semaines ; l’association
lapatanib-trastuzumab permet elle d’obtenir
une réponse (2 réponses complètes et 13
réponses partielles) et une survie sans pro-
gression médiane de 12 semaines ; la diffé-
rence entre les deux traitements correspond
à une réduction du risque de progression de
27 %, HR = 0,73 (IC 95 % : 0,57–0,93), p = 0,008.
La mise à jour des données de survie globale
a récemment fait l’objet d’une présentation
à San Antonio (16). Là encore, on constate que
le lapatinib permet d’obtenir une médiane de
survie globale de 9,5 mois et l’association une
survie globale médiane de 14 mois, corres-
pondant à une réduction du risque de décès
de 26 %, HR = 0,74 (IC 95 % : 0,57–0,97), p =
0 ,026. Ces résultats sont d’autant plus signi-
ficatifs que plus de la moitié des patientes du
bras lapatinib en monothérapie ont bénéficié
de l’association par un cross over, lors de la
progression. La tolérance semble équivalente
dans les deux bras de traitement à l’excep-
tion d’un plus fort taux de diarrhées chez les
patientes traitées par l’association lapatinib-
trastuzumab ; il en est de même pour la tolé-
rance cardiaque : 10 épisodes de toxicité
cardiaque avec l’association versus 3 avec le
lapatinib seul et tous de grade 1/2. Cette
option a été retenue dans la mise à jour des
recommandations américaines du NCCN
(National Comprehensive Cancer Network)
(17).
Quel traitement chez les
patientes avec un cancer du
sein HER2+ et RE+ ?
Les voies HER1 et HER2 interagissent avec la
voie des récepteurs aux estrogènes et il
semble logique d’associer un anti-aromatase
et un anti-HER2 de façon concomitante, pro-
posant ainsi un double blocage.
Dans le cas d’un cancer du sein hormono-
sensible HER2 positif, l’association peut être
proposée (niveau 1 grade A) (14). L’étude
Tandem avait démontré la faisabilité d’une
telle association : l’association trastuzumab-
anastrozole avait démontré sa supériorité en
termes de SSP sur un traitement par anastro-
zole seul (4,8 mois versus 2,4 mois) (18).
Récemment, c’est l’association létrozole-lapa-
tinib qui a fait l’objet d’un avis positif du
CHNP (19). Dans une étude contrôlée par
placebo et menée chez 1 286 patientes (dont
219 avaient une tumeur HER2+), l’association
lapatinib-létrozole a démontré sa supériorité
sur le létrozole (+ placebo). La survie sans pro-
gression médiane chez les patientes HER2+
(objectif principal) était de 8,2 mois pour l’as-
sociation versus 3 mois pour le bras compa-
rateur, HR = 0,71 (IC 95 % : 0,53–0,96), p =
0,019. En termes de tolérance, les effets secon-
daires ont été en majorité de grades 1 et 2 et
ont été le plus souvent gérés sans modifica-
tion du traitement à l’étude. Dans le bras
association, il faut cependant noter que 10 %
des épisodes de diarrhées étaient sévères
(9 % de grade 3 et moins de 1 % de grade 4)
et que les rashs cutanés étaient de grade 3
dans 1 % des cas et de grade 2 dans 15 %. Les
épisodes de diarrhées sévères ont conduit à
des interruptions de traitement dans 17 %
des cas et des réductions de dose dans 18 %.
Compte rendu de Congrès18
Vol. 4 - n° 2 - trimestriel mai 2010 - Oncomagazine - © Springer 2010 - DOI 10.1007/s11944-010-00 -
Conclusion
Le lapatinib représente une thérapeutique
très importante dans les cancers du sein
HER2+ devenus résistants au trastuzumab.
Ce traitement est validé par une AMM dans
cette indication en seconde ligne de traite-
ment métastatique et recommandé par les
experts de Saint-Paul-de-Vence. L’association
au létrozole indiquée dans les cancers du
sein métastatiques hormonodépendants
HER2+ démontre une efficacité particuliè -
rement intéressante dans cette population
avec un gain absolu de plus de 5 mois en
survie sans progression. �
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