St-Pierre et Perrault, 2009 1
Colloque international, Alger (Algérie) L’entrepreneuriat et la PME algérienne face au défi de la mondialisation :
enseignements des expériences internationales
(3 et 4 mars 2009)
Motivations et déterminants de l'internationalisation de PME :
Témoignages du Liban, du Maroc, du Canada et de la France
Josée ST-PIERRE
1
Institut de recherche sur les PME Université du Québec à Trois-Rivières
3351 Boulevard des Forges C.P. 500 - Trois-Rivières, QC
CANADA, G9A 5H7 Tél : (819) 376-5011 (4052)
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Et
Jean-Louis PERRAULT Université Européenne de Bretagne
CRESS-Lessor Maison de la recherche en sciences sociales
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Résumé L’internationalisation des PME et leur participation active à l’économie mondiale sont de plus en plus considérées par les pouvoirs publics comme une solution indispensable au développement économique de leur pays. Cette internationalisation peut se présenter de différentes façons et toucher aux dimensions commerciales, technologiques et organisationnelles des entreprises. Or, une participation réussie à l’économie mondiale fait appel à un certain nombre de capacités et de compétences que doivent développer les PME ce qui, contrairement à ce qui est entendu, va nettement plus loin que la seule possession d’un produit unique et distinctif. C’est ce qui ressort des entrevues conduites auprès de 18 dirigeants de PME internationalisées de quatre pays distincts. Le contexte d’incertitude et de risque dans lequel opèrent les entreprises internationalisées exige d’être réticulées, flexibles, apprenantes, innovantes et d’être fortement orientées vers la satisfaction des besoins des clients.
1 Les auteurs aimeraient remercier Maarouf Ramadan, Abdellah Najimi, Charles Tollah et Clarion Rahariniaina pour leur travail de collecte et de compilation des données, Claudia St-Pierre pour son assistance au niveau des entrevues et de la recension des écrits ainsi que le Fonds québécois de recherche, société et culture (FQRSC) pour son appui financier.
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Introduction
L’environnement économique mondial a changé de façon majeure depuis les dix
dernières années avec les poussées technologiques, le perfectionnement des outils de
communication et l’accélération du développement des systèmes productifs dans les pays
émergents tels que la Chine et l’Inde. Ces événements ont contribué à accroître les
exigences imposées aux entreprises pour qu’elles réussissent à maintenir leur position
concurrentielle sur des marchés qui sont de moins en moins acquis. Cependant, réussir à
concurrencer seules des entreprises qui bénéficient de facteurs de production nettement
moins coûteux tout en offrant une gamme de produits novateurs et continuellement
renouvelée est impossible pour les PME. Pour faire face à cette situation, plusieurs
dirigeants devront renouveler leur modèle d’affaires, mettre en place des façons de faire
modernes leur assurant une grande flexibilité et s’approprier les ressources qui permettent
à l’entreprise de devenir une PME apprenante. Celle-ci est ouverte tant à l’interne
(collaborations entre départements, gestion participative, etc.) qu’à l’externe
(collaborations avec d’autres organisations, engagement des parties prenantes, etc.),
adopte une stratégie où le client est valorisé, la qualité des produits est supérieure et la
flexibilité est accrue, et réussit à trouver les facteurs de production les plus
« performants » dans l’économie mondiale ce qui implique d’internationaliser l’entreprise
et ses activités. Cela fait appel à de l’innovation continue et un souci constant de
demeurer agile, flexible et apte à s’adapter à toute modification des conditions du marché
et de l’environnement. D’ailleurs, c’est leur efficacité dans l’innovation permanente qui
définit la position stratégique des PME sur leur marché (Vermeulen et al., 2005), les
entreprises innovantes sur toutes les dimensions (produit, procédé, organisation,
commercialisation) étant plus dynamiques et plus performantes que les autres; ce que
Julien (2003) décrit comme un processus « tourbillonaire » sollicitant toutes les facettes
de l’entreprise.
Dans les dernières années, les PME ont également dû revoir leurs processus ou modes
d’approvisionnement et de production afin de profiter des économies offertes par les pays
émergents pour réduire au minimum leurs propres coûts de production. Or, la pertinence
de ces stratégies a été remise en question avec la récente flambée mondiale du coût du
pétrole et les nombreux facteurs de risque qu’avaient sous-estimés les dirigeants de PME,
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dont le non-respect des délais de production, la piètre qualité de certains produits, le vol
de propriété intellectuelle ou de savoir-faire et la variabilité des délais de livraison (El
Fadil et St-Pierre, 2006).
C’est dans cet effort de compréhension de l’impact de la mondialisation sur
l’internationalisation des PME et de leurs façons de s’y adapter avec succès, mais aussi
dans une certaine volonté de combler un vide théorique concernant le comportement de
ces sociétés fermées que nous avons conduit une série d’entrevues semi structurées
auprès de dirigeants de PME de plusieurs pays. Avant de présenter l’analyse des 18
entrevues réalisées, nous allons d’abord discuter de différentes dimensions de
l’internationalisation tout en rappelant les motivations qui justifient chacune d’elles.
Nous allons par la suite identifier les déterminants qui sont reconnus par divers auteurs
comme des facteurs clés de l’internationalisation des PME.
2. Cadre d’analyse et synthèse de la littérature
2.1 L’internationalisation des PME : Différentes dimensions pour répondre à des
besoins spécifiques
Dans divers milieux, qu’ils soient académiques ou professionnels, les discussions sur
l’internationalisation des entreprises portent presque exclusivement sur l’exportation
comme si les deux expressions étaient de parfaits substituts. Or, le contexte actuel de
mondialisation des économies montre que l’internationalisation des entreprises va bien
au-delà du transport de marchandises vers l’étranger et touche également les flux de main
d’œuvre, les flux financiers ainsi que les facteurs d’efficacité et de productivité. En
conséquence, on ne s’internationalise plus exclusivement pour conquérir de nouveaux
marchés ou rentabiliser de coûteux investissements en R-D ou en technologies, mais on
s’internationalise également pour réduire les coûts de production, accroître la flexibilité
ou réduire les risques. Ces objectifs distincts et parfois complémentaires vont mener à des
stratégies spécifiques. D’ailleurs, Holmlund et al. (2007) montrent que les PME dont
l’internationalisation repose principalement sur l’exportation ont des motivations
différentes de celles où l’exportation s’accompagne d’activités en amont, notamment au
niveau de l’importation.
En intégrant le concept d’internationalisation à celui de la mondialisation, on peut voir le
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premier comme menant à une prise d’action volontaire d’une entreprise dans le but
d’acquérir des parts de marché, mais également comme un ajustement «forcé» de ses
activités à cause de l’ouverture des frontières et de l’augmentation du nombre de
concurrents sur son propre marché. Ainsi, la mondialisation touche désormais un nombre
de plus en plus important d’entreprises, où même celles qui se considéraient à l’abri des
menaces par leur concentration sur des marchés de niche sont désormais vulnérables à
l’arrivée de concurrents étrangers. Il en est ainsi des PME oeuvrant dans les secteurs de
production de masse à faible valeur ajoutée et opérant pour de grands donneurs d’ordres
pour qui la priorité est la réduction des prix. Le sous-traitant, n’opérant que sur un
marché local, se trouve ainsi forcé à revoir ses stratégies de production s’il veut conserver
son statut auprès de son donneur d’ordres et ce, en faisant appel aux ressources et aux
façons de faire disponibles au-delà de ses frontières.
L’internationalisation des PME n’est ainsi plus qu’une stratégie de croissance, mais
également une de survie. Cette nouvelle réalité demande donc une redéfinition du
concept d’internationalisation pour y intégrer d’autres dimensions que l’exportation.
Nous pouvons ainsi distinguer trois «dimensions» d’internationalisation, qui ne sont pas
exclusives les unes des autres, et dont chacune a ses propres motivations et finalités:
1) L'internationalisation mercantile, qui concerne la capacité à gagner des parts de marché ou des débouchés sur des marchés «lointains» et à y organiser ses achats et son approvisionnement. Elle épouse les formes traditionnelles d’exportation et d’importation, mais aussi d’investissement direct à l’étranger et de plus en plus de sous-traitance internationale. L’exportation répond d’abord à un besoin de croissance par la conquête de nouveaux marchés avec des produits existants ou adaptés ; de diversification du risque conjoncturel en opérant sur des marchés présentant des cycles économiques différents ; d’allongement du cycle de vie des produits pour lesquels d’importants efforts d’innovation et de R-D ont été consentis. Pour sa part, l’importation, la sous-traitance à l’étranger, la délocalisation ou l’investissement direct visent souvent à combler les insuffisances du système productif national, où les matières premières ne sont pas disponibles selon les standards de prix et de qualité, où les coûts de production sont trop élevés notamment au niveau de la main d’œuvre, ou encore pour profiter d’un savoir-faire particulier. Ces stratégies d’internationalisation ne visent pas à répondre prioritairement à des besoins de croissance, mais plutôt à des besoins d’efficience et de compétitivité.
2) L'internationalisation technologique, consiste à adopter les normes de production internationales, à investir dans les équipements et technologies «performantes» qui permettent une production flexible et de qualité adaptée aux exigences du commerce international, mais également aux besoins des grands donneurs d’ordres. Elle consiste également, pour certaines entreprises de secteurs spécifiques et ayant des activités de R-D soutenues, à contribuer au développement des technologies utilisées mondialement. C’est
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la recherche de gains d’efficience qui pousse souvent les PME à internationaliser leur système productif et leurs modes de production, mais aussi le fait que de tels systèmes ne sont pas disponibles sur les marchés nationaux. À noter que cette internationalisation s’accompagnera d’un rehaussement des compétences de l’entreprise dans la mesure où les technologies venant de l’étranger requièrent une mise à niveau des qualifications du personnel pour les opérer. Malheureusement, on discute peu de l’internationalisation technologique comme si les décisions liées au système de production ne pouvaient être considérées aussi stratégiques ou dynamisantes pour l’économie que celles liées à l’espace de marché. Elles peuvent sembler moins intéressantes pour les pouvoirs publics qui ne perçoivent pas les effets sur la création d’emplois ou la contribution à l’économie comme c’est le cas de l’exportation. Or, c’est une importante erreur de conception dans la mesure où de telles décisions permettent aux entreprises d’accroître leur flexibilité, leur potentiel d’innovation, leurs capacités à s’intégrer à des chaînes de valeur mondiales où les standards sont les plus élevés. D’ailleurs, c’est grâce à leurs technologies, à la performance de leur système et stratégie de production et à leurs capacités d’apprentissage que les PME sous-traitantes, notamment, seront en mesure de réduire leurs coûts, d’innover continuellement et d’atteindre les normes de qualité requises dans des marchés ultra compétitifs. Certains auteurs rappellent à juste titre l’importance de la capacité technologique de l’entreprise pour la réussite d’une stratégie d’internationalisation (Prashantham, 2005; Zhang et Dodgson, 2007). Tel que dit plus haut, les dimensions d’internationalisation ne sont pas indépendantes les unes des autres et il faut plutôt y voir les effets stimulants les unes sur les autres.
3) L'internationalisation organisationnelle vient en appui aux autres formes d’internationalisation. Cette dimension de l'internationalisation concerne, à des degrés divers, la capacité d’apprentissage organisationnel (Chtourou, 2006). Elle renvoie à l'idée selon laquelle, à l'instar de la croissance, l'organisation internationale des activités traduit un objectif de contrôle de la valeur, mais aussi de gestion des risques. Ceci est abordé par plusieurs auteurs qui traitent des changements organisationnels qui peuvent avoir lieu au sein d’une entreprise à l’issue de l’adoption d’une stratégie d’internationalisation évoquant l’importance des capacités organisationnelles à gérer les projets d’internationalisation pour assurer leur réussite (Terjensen et al., 2008; Cuevo-Cazurra et al., 2007).
Ces trois aspects de l’internationalisation visent des objectifs spécifiques et on assiste dès
lors à une grande diversité de comportements correspondant à des motivations
différentes, ce qui traduit bien la réalité des PME que l’on peut observer dans des
contextes variés. Alors que certaines PME opèrent dès leur naissance sur différents
marchés internationaux, d’autres ne vendront jamais à l’étranger malgré une taille «jugée
critique» par les pouvoirs publics et plusieurs avantages concurrentiels dont un produit
distinctif. Les trajectoires d’internationalisation sont également éclectiques et aucun
comportement ne peut être jugé préférable à un autre. Les théories de
l’internationalisation des entreprises, qui ne prennent souvent pas en compte les
caractéristiques des PME et principalement les objectifs que poursuit son propriétaire
dirigeant, se butent ainsi à une diversité de situations et de motivations. Elles n’arrivent
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donc pas à fournir une compréhension satisfaisante de la diversité des situations
observées, ce qui nuit ainsi à la capacité des chercheurs et des pouvoirs publics à
recommander des actions adéquates pour favoriser l’internationalisation des PME et leur
inclusion «dynamique» et profitable dans l’économie mondiale.
Parler d’internationalisation des PME sans distinguer les motivations qui doivent la sous-
tendre nous prive d’une lecture adéquate de la réalité et du comportement de ces
entreprises. Ainsi, l’internationalisation des activités, qu’elle soit délibérée ou forcée, est
considérée comme une décision stratégique devant répondre à des besoins de croissance,
d’efficience, de survie, alignés sur les objectifs personnels du propriétaire dirigeant de la
PME. Ceci a été démontré par Cadieux (2009) dans son analyse de l’influence de
l’attitude des propriétaires dirigeants face à l’internationalisation de leurs activités. Ce
n’est que grâce à cet alignement entre les objectifs personnels, la stratégie et
l’organisation que l’entreprise pourra dégager une performance satisfaisante de ses
activités (Chetty et Campbell-Hunt, 2003). L’internationalisation est dès lors considérée
comme un moyen de satisfaire ces objectifs et de poursuivre une stratégie particulière et
non une fin en soi. C’est ce qui est illustré sur le schéma suivant des déterminants de la
performance des PME où l’on constate les rôles directs du propriétaire dirigeant, de la
stratégie et de l’organisation. L’internationalisation y est présentée de façon accessoire
permettant de réaliser les objectifs et la stratégie.
Figure 1 : Relations entre les objectifs du dirigeant, la stratégie de l’entreprise, son mode
d’organisation et la performance
St-Pierre et Perrault, 2009 7
Faire appel à des ressources provenant de l’étranger, déplacer ses systèmes de production,
vendre à des clientèles de culture différentes sont toutes des décisions qui présentent
certains risques et qui demandent ainsi à être prises de façon éclairée. Pénétrer un marché
étranger sans prendre en compte les réalités culturelles, importer des technologies
coûteuses sans s’assurer des compétences de la main d’œuvre locale, sous-traiter à une
firme étrangère sans vérifier sa réputation quant au respect des délais et des normes de
qualité sont autant de décisions qu’ont prises un grand nombre de dirigeants de PME et
ayant eu des incidences désastreuses sur la santé financière de l’entreprise. Pour ces
raisons, il importe de connaître les «facteurs clés» d’une internationalisation réussie ou ce
qui permet à une entreprise de rencontrer ses objectifs de performance par
l’internationalisation de ses activités. La connaissance des facteurs favorisant le
processus d’internationalisation permet ainsi aux dirigeants de mieux préparer leur
entreprise réduisant d’autant les risques d’échec ou de difficultés et, par le fait même, les
pertes de ressources qui pourraient être fatales. À ce sujet, on retrouve dans les écrits un
certain nombre d’auteurs qui ont pu mettre en évidence les déterminants clés de
l’exportation, alors que les dimensions de l’internationalisation technologique et
organisationnelles demeurent peu étudiées.
2.2 Les déterminants « clés » de l’internationalisation des PME
Nous savons que l’environnement externe joue un rôle dans la réussite de
l’internationalisation de l’entreprise, par contre, nous savons également que l’entreprise
n’a aucun contrôle sur ces éléments. Nous en ferons ainsi abstraction dans notre étude où
nous nous intéressons exclusivement à la dynamique des PME et à leur processus propre
d’internationalisation.
La figure 1 permet de saisir les différentes dimensions d’une entreprise qui contribuent à
assurer sa performance. On reconnaît ainsi cinq groupes de facteurs liés d’abord au
propriétaire dirigeant, à l’environnent externe à l’entreprise, aux différentes formes de
capital nécessaires à l’exercice de son activité, à la maîtrise de diverses compétences ou
pratiques d’affaires et finalement, à son mode d’organisation. En revanche, l’agencement
de ces facteurs n’est pas singulier et dépendra de la stratégie que poursuit le dirigeant de
l’entreprise, à savoir une stratégie d’expansion internationale, de compétitivité nationale
St-Pierre et Perrault, 2009 8
intégrée à une chaîne de valeur, de domination de son marché national avec un produit de
niche, etc.
Dans les analyses de l'internationalisation des PME, et peu importe les regards théoriques
adoptés, l’innovation fait partie intégrante du modèle d’affaires que doivent adopter les
entreprises. D’un point de vue formel, l’innovation se définit, au sens large, par « la mise
en oeuvre d’un produit (bien ou service), ou d’un procédé nouveau ou sensiblement
amélioré (pour la firme), d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une
nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques de l’entreprise, l’organisation du
lieu de travail ou les relations extérieures » (OCDE, 2005). L’entreprise qui réussit à
innover de manière continue doit être dotée de robustes capacités d’apprentissage,
contribuant à favoriser son intégration au système industriel mondial (SIM) (Hsu et
Pereira, 2008). Freel (2005) rappelle que l’innovation va au-delà de la maîtrise des
ressources technologiques, ainsi que de la réalisation d’activités de R-D; et fait appel à un
ensemble d’ingrédients permettant à une entreprise d’être ouverte, flexible et ainsi,
apprenante, tout comme cela est exigé pour réussir l’internationalisation ou une
croissance effrénée au rythme des gazelles, ces activités étant toutes garantes
d’incertitude et donc empreintes de risque. Ces facteurs clés sont observables,
notamment, dans des ressources humaines compétentes et engagées dans le succès de
l’organisation (Freel, 2005) et qui constituent l’essence de son capital intellectuel (Yli-
Renko et al., 2002) ; dans l’utilisation d’outils ou de technologies visant à assurer la
flexibilité et la qualité ; dans l’étendue de son capital social national et international et
dans l'intégration à des réseaux de collaboration susceptibles de partager les coûts, de
réduire l’incertitude et de combler des lacunes informationnelles stratégiques (Lu et
Beamish, 2001 ; Yli-Renko et al., 2002).
En plus de contribuer à partager les risques, ces collaborations permettent aux PME
d’accélérer leur processus d’internationalisation grâce à l’accès aux réseaux de
distribution, à la technologie, au marché, au savoir-faire et à l’information, ainsi qu’à des
ressources complémentaires (financières, humaines, technologiques) qui viennent
combler certaines lacunes. Cet avantage est encore plus important, notamment dans les
pays en développement où la structure économique ne permet pas l’accès au même
portefeuille de ressources, de savoir-faire et de compétences que dans les pays plus
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développés et souvent de plus grande taille. Ces collaborations impliquent le plus souvent
des clients, fournisseurs, distributeurs, compétiteurs et même des agences
gouvernementales soit, en bref, les acteurs du réseau d’affaires des entreprises. Gardons-
nous toutefois de n’associer que des vertus aux réseaux et aux collaborations, puisqu’une
entreprise qui n’aurait pas les connaissances pour développer correctement ses relations
et ses réseaux n’en retireraient pas que des avantages et pourrait subir des conséquences
néfastes comme les retards dans les processus de production, des problèmes de qualité,
des vols de propriété intellectuelle, etc.
Tel que dit plus haut, les réseaux permettent aux entreprises de profiter d’information
concernant les marchés potentiels, mais aussi de bénéficier d’innovations technologiques
pour accroître leur compétitivité et faciliter leur pénétration sur des marchés étrangers.
Ces informations stratégiques sont également véhiculées dans les foires, salons et
expositions où les entreprises s’y présentent comme exposants ou comme visiteurs. Cela
implique évidemment que l’entreprise dispose d’une certaine capacité d’apprentissage et
d’absorption de l’information (Hsu et Pereira, 2008; Terjensen et al., 2008) et qu’elle ne
travaille pas de façon isolée. Chetty et Campbell-Hunt (2003) ajoutent que plus
l’entreprise visite ses clients, ses fournisseurs et ses partenaires sur une base régulière,
plus elle accroît ses chances de voir se manifester de nouvelles opportunités d’affaires;
ces visites jouant ainsi le rôle de veille commerciale et stratégique.
Au-delà des capacités d’innovation et réticulaires qui permettent aux entreprises de
construire un avantage concurrentiel, lequel est nécessaire pour développer de façon
durable leurs capacités d’internationalisation (Le Roy et Torrès, 2001), nous admettons
l’importance de maîtriser différentes compétences et capacités stratégiques. Il en est ainsi
des capacités de réponse à une clientèle exigeante (Mechling et al., 1995) grâce à la
proximité des marchés afin d’anticiper les besoins des clients ainsi que les réactions des
concurrents montrant l’importance des activités de veille. Par ailleurs, les entreprises qui
désirent être performantes au plan international ont peu d’options au niveau de leur
structure de production. Pour Mechling et al. (1995), les exigences auxquelles doivent
répondre les systèmes de production imposent des choix susceptibles d’optimiser la
flexibilité, de réduire les temps de développement des produits (du design jusqu’à la mise
en marché) pour diminuer les délais de réponse au client, mais aussi pour bénéficier
St-Pierre et Perrault, 2009 10
d’une forte capacité à réagir rapidement à un environnement hostile susceptible de se
modifier abruptement. Cela exige de faire appel à des technologies et systèmes de
production fortement automatisés imposant également des contraintes sur les
compétences du personnel à opérer efficacement de tels actifs.
Certains auteurs considèrent que ces capacités sont plus facilement maîtrisées à mesure
que s’accroît la taille de l’entreprise. La taille, qui est un indicateur de ressources
disponibles ou accessibles, permettrait également d’assurer les compétences, les
ressources financières, et surtout les capacités d’absorption des coûts de sa stratégie et
des risques associés à l’internationalisation. En revanche, les plus petites entreprises
pourraient adhérer à un processus d’internationalisation de façon graduelle où chaque
étape sera déclanchée selon le succès obtenu à l’étape antérieure, ce que Cadieux (2009)
qualifie de boucle d’apprentissage. L’influence de la taille sur les capacités
d’internationalisation des PME demeure donc mitigée tout en étant l’un des facteurs les
plus controversés de la littérature puisqu’il ne permet pas de comprendre la réalité des
petites firmes «nées mondiales». De plus, cette taille réduite devant limiter les ressources
de l’entreprise peut largement être compensée par l’accès à des réseaux externes
(Prashantham, 2008). L’âge de l’entreprise pourrait également jouer un rôle dans la
mesure où il permet d’exprimer le degré d’expertise et de savoir-faire d’une entreprise ;
encore ici, ce facteur est contestable dans la mesure où il ne permet pas de comprendre le
comportement des firmes qui, dès leur naissance, opèrent sur plusieurs marchés
simultanément.
Par ailleurs, comme le soulignent De Clercq et al. (2005), l’internationalisation des PME
est un acte entrepreneurial qui dépend, notamment, des caractéristiques du dirigeant
principal, de son orientation stratégique et de sa volonté à vouloir gérer son entreprise
dans un contexte de complexité et de forte incertitude. Parmi les déterminants liés au
propriétaire dirigeant, Hutchinson et al. (2006) parlent surtout de l’importance de la
vision de l’entrepreneur, laquelle se façonne avec la personnalité, l’expérience de vie à
l’étranger ou le fait d’y avoir travaillé. L’expérience outre-mer favorise la maîtrise des
connaissances et des compétences culturelles et sensibilise le dirigeant aux différentes
façons de faire que l’on peut trouver ailleurs. Ces expériences sont également favorables
à l’innovation grâce à l’apport d’idées nouvelles. La compétence du dirigeant à insuffler
St-Pierre et Perrault, 2009 11
une vision internationale à son entreprise est non seulement le fruit de l’expérience
antérieure, mais aussi du niveau de scolarité. Par ailleurs, l’attitude du dirigeant est
également considérée comme un facteur clé de l’internationalisation. Une attitude
favorable aux activités internationales permet de motiver les employés, ce qui est
nécessaire dans les situations où il existe une forte incertitude, tout en étant garante d’un
déploiement suffisant des ressources ainsi que d’une certaine acceptation des risques
susceptibles de compromettre les résultats anticipés à la moindre difficulté. Finalement,
son réseau personnel et son capital social seront d’importants catalyseurs, contribuant à
accroître la base de connaissances et d’expertise, bonifiant ainsi son capital intellectuel.
On peut schématiser les facteurs clés de l’internationalisation à la figure suivante, en se
rappelant toutefois que les différentes capacités nécessaires pour réussir dans un contexte
d’économie mondiale seront contingentes aux objectifs de l’internationalisation d’une
part qui eux refléteront la stratégie que poursuit le dirigeant de la PME d’autre part.
Figure 2 : Les facteurs clés de l’internationalisation des PME
Tel qu’indiqué en introduction, notre intérêt consiste à mieux comprendre
l’internationalisation des PME, à savoir les dimensions des activités qui sont
internationalisées, les motivations, les déterminants, les impacts. La plupart des études
recensées faisant part des facteurs de succès de l’internationalisation des PME ont adopté
une vision étroite et spécialisée plutôt que holistique et se sont concentrées sur quelques
groupes de facteurs particuliers. Ce regard limité ne nous permet pas de dissocier les
facteurs principaux de ceux qui pourraient jouer un rôle plus secondaire mais tout de
même significatif. On constate également que l’on s’est attardé surtout à l’exportation
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comme principal mode d’internationalisation. C’est aussi pour corriger cette lacune que
nous avons interrogé des dirigeants de PME manufacturières pour connaître leur
expérience.
Dans la prochaine section, nous décrirons d’abord le cadre de travail adopté pour
conduire nos entrevues, présenterons sommairement les caractéristiques des PME
interrogées, et analyserons en regard des prescriptions de la littérature, leur
comportement face à l’internationalisation.
3. Présentation des expériences de 18 PME de 4 pays différents
3.1 Méthodologie et collecte de données
En nous référant à la littérature scientifique et professionnelle, et en partageant nos
connaissances du terrain grâce aux expériences vécues par des entreprises de nos réseaux,
nous avons pu élaborer un guide pour réaliser des entrevues semi structurées d’une durée
de 1h30 se déroulant sur le site des entreprises. Outre les questions sur le profil de
l’entreprise et de son propriétaire dirigeant, le guide permettait de questionner les
dimensions de l’internationalisation et les moyens déployés, le type de stratégie à savoir
solitaire ou relationnelle, les retombées, les facteurs ayant influencé la réussite des
activités internationales. Les dirigeants ont été sélectionnés à partir des réseaux des
chercheurs, et devaient être à la tête d’entreprises manufacturières ayant des activités
internationales. Aucun autre critère n’a servi à constituer l’échantillon.
Les entrevues ont d’abord été conduites en Bretagne (France) et au Québec (Canada).
Nous avons pu profiter de contacts à l’étranger après le début du processus pour y étendre
la collecte de données, nous permettant ainsi de voir l’influence que pouvaient jouer le
pays et son système économique sur la dynamique des PME. Le Liban et le Maroc se
sont alors joints à l’étude. Les données ont été collectées entre les mois de juin à
septembre 2008 et elles ont été analysées après avoir été retranscrites sur papier (sauf
pour les entrevues au Maroc où les dirigeants ont refusé que leur conversation soit
enregistrée).
Les profils des entreprises sont très variés ainsi que leurs expériences et leurs activités
internationales. En revanche, et malgré cette diversité de situations face à
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l’internationalisation, on notera plusieurs éléments communs qui permettent de confirmer
que certains facteurs clés doivent être maîtrisés par toutes les entreprises qui aspirent
vouloir internationaliser leurs activités et ce, peu importe le contexte économique dans
lequel elles exercent leur métier. Nous dégagerons ces tendances dans notre analyse.
Le tableau suivant montre que la plupart des PME sont âgées et expérimentées, sont de
taille relativement élevée et ont toutes, à l’exception d’une entreprise, dépassé le cap des
cinq premières années d’existence, qui sont souvent les plus fragiles. En revanche, leurs
expériences internationales sont diversifiées, ainsi que leur degré technologique et
d’innovation. Ce dernier résultat peut surprendre dans la mesure où l’innovation est
relevée dans toutes les études comme un préalable à l’internationalisation, ce qui ne serait
pas systématique et plutôt contingent à la forme et aux objectifs de l’internationalisation.
Tableau 1 : Description du profil des PME interrogées
Canada (4) France (4) Liban (5) Maroc (5)
Âge 22 – 27 ans 36 – 70 ans 1 – 56 ans 5 – 36 ans Expérience internationale 5 – 25 ans 4 – 38 ans 1 – 56 ans 5 – 36 ans
Nombre d’employés 40 – 400 50 – 200 5 – 235 65 - 150 Stade de développement Croissance
élevée Croissance Croissance
variable Croissance variable
Pourcentage d’exportation 5 – 95 5 – 80 35 – 100 0 – 15 Pourcentage d’importation 0 – 70 - 10 – 100 50 - 80
Taux d’innovation 0 – 90 % - 70 – 100 % 5 – 50 % Budget de RD (% des ventes) 0 - 35 - - -
Sous-traitance Oui - Non Oui / Non Degré technologique Moyen à élevé Moyen à élevé Moyen à élevé Faible à moyen
3.2 Les formes d’internationalisation
Bien qu’elles n’adoptent pas toutes les mêmes modalités ou les mêmes stratégies de
développement, on note que toutes les PME sont engagées dans une internationalisation
mercantile, aux ventes et à l’approvisionnement, à l’exception des entreprises marocaines
qui ont peu d’activités d’exportation (deux firmes sur cinq). Ce résultat contredit
quelques théories de l’internationalisation et confirment l’importance d’une approche
holistique pour bien comprendre ce phénomène chez les PME. Depuis longtemps, on
considère que la première étape de l’internationalisation d’une entreprise est
l’exportation, d’abord vers des pays présentant beaucoup de similitudes avec le marché
national, et ensuite vers des pays de plus en plus différents et éloignés. Cette stratégie
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ayant pour but d’aider les entreprises à développer leurs compétences et leur maîtrise des
activités internationales ne semble pas être privilégiée par les entreprises marocaines,
pour qui l’importation est essentiellement obligatoire pour des raisons structurelles, les
matières premières n’étant pas disponibles sur le marché national pour assurer une
production de qualité à leurs clients. Ces motivations se trouvent également chez les PME
d’autres pays, mais de façon plus diffuse. Par ailleurs, l’absence d’activités d’exportation
chez des PME fortement internationalisées par leurs importations et leur mode de
production est souvent observée chez des PME sous-traitantes de grands donneurs
d’ordre où leur compétitivité se joue sur les coûts, la flexibilité et l’innovation. Le
développement des marchés des PME est directement contraint par le rythme de
croissance des donneurs d’ordres, qui laissent souvent peu d’espace à leurs sous-traitants
pour prendre de l’expansion sur d’autres marchés et diversifier leur clientèle.
L’internationalisation technologique est également très présente chez les PME, la plupart
d’entre elles faisant l’acquisition de leurs équipements de production à l’étranger. Parfois
fortement recommandés par leur client, ou encore par des fournisseurs collaborateurs, les
choix technologiques résultent d’activités de veille réalisées par des participations à des
salons et expositions ou par la consultation de différents fournisseurs à l’étranger,
Dans la mesure où l’intégration d’activités internationales dans les PME peut entraîner
une distorsion ou certains dysfonctionnements internes, elles ne peuvent être directement
inductrices de performance. Il faut donc «ajuster» les fonctions et l’organisation de
l’entreprise pour l’adapter au contexte international dans lequel elle doit œuvrer, ce que
nous avons qualifié d’internationalisation organisationnelle.
C’est l’exportation qui entraîne le plus d’ajustements internes chez les PME, mais ceux-ci
dépendent du pays étudié. Au Liban, par exemple, les impacts de l’exportation sont
majeurs puisqu’ils ont imposé l’embauche de personnel spécifique résultant d’une
spécialisation des tâches. Dans la mesure où les produits dédiés aux marchés étrangers
sont fortement distincts des produits destinés au marché national, il est normal de
constater ces effets au Liban, contrairement au Canada et à la France. Les démarches
d’exportation, le suivi des délais de livraison, les activités légales et logistiques liées au
transport mais aussi aux actions douanières ont nécessité l’embauche de personnel
spécialisé.
St-Pierre et Perrault, 2009 15
Les impacts universels que l’on retrouve dans tous les pays sont d’abord un rehaussement
du niveau technologique du processus de production, peu importe la forme
d’internationalisation ce qui confirme la volonté de s’intégrer au système industriel
mondial évoquée plus tôt. L’embauche de personnel spécialisé découle directement des
activités internationales, mais surtout le développement de nouvelles compétences dont
les langues, l’informatique, la logistique ; l’intensification et la régularisation des
activités de veille commerciale, technologique et concurrentielle ; l’adoption de normes
internationales au niveau des produits et des processus de production ; un allongement
des horaires de travail et les conséquences sur la gestion du personnel ; et un besoin accru
de visibilité de l’entreprise via l’Internet et les sites Web (activité plus prononcée chez les
entreprises libanaises).
De façon plus spécifique, on notera chez les entreprises libanaises et marocaines,
l’implantation de pratiques de gestion des ressources humaines stratégiques permettant
notamment la gestion participative, la flexibilité des horaires de travail, l’implication du
personnel. Ces pratiques font partie des caractéristiques des organisations «apprenantes»,
soit ces entreprises qui présentent les capacités de s’ajuster aux turbulences économiques
et d’innover continuellement sur toutes les dimensions. Dans les dernières années,
l’immatérialité croissante des entreprises manufacturières a déplacé les sources de
création de valeur du capital physique vers le capital intellectuel. Alors que le capital
physique peut être copié d’une entreprise à l’autre, il devient désormais un actif non
stratégique, ce qui n’est pas le cas du capital humain chez qui la motivation, la créativité,
l’engagement et l’efficacité contribuent à en faire l’actif le plus stratégique des
entreprises innovantes à l’avant-garde de leur secteur. La mondialisation pourrait ainsi
avoir comme effet, au-delà de l’internationalisation des activités, d’obliger une mise à
niveau des façons de faire des entreprises qui subissent les mêmes contraintes et la même
tension pour maintenir leur compétitivité et ce, peu importe leur localisation.
3.3 Les motivations à l’internationalisation
Les motivations à l’internationalisation mercantile et technologique sont connues et
aucun comportement original n’est apparu lors des entrevues. Les exportations sont
motivées par l’étroitesse du marché national, la dépendance aux cycles économiques
St-Pierre et Perrault, 2009 16
nationaux, la volonté de vouloir rentabiliser des investissements ou de profiter de
certaines opportunités qui se présentent de façon inopinée. Deux entreprises opérant dans
le secteur agricole ont affirmé aussi vouloir réduire la dépendance face aux conditions
climatiques par une diversification géographique. Par ailleurs, l’instabilité politique que
peut présenter le pays a également été soulevée par les PME libanaises. Dans le même
ordre d’idées, le contexte politique prévalant au Québec pendant certaines périodes
(années 80 à 90) a également amené plusieurs PME québécoises à destiner leur
production vers d’autres régions que le territoire canadien, malgré sa dimension et
l’important marché qu’il pouvait présenter. On notera le cas particulier d’une petite
entreprise ayant une clientèle très peu diversifiée et qui a voulu suivre son principal client
à l’étranger pour pouvoir le conserver. Cette anecdote montre le caractère de dépendance
que l’on retrouve chez beaucoup de PME et le fait que leurs décisions ne sont pas
toujours totalement délibérées. Des questions de survie viennent souvent modifier
rapidement les plans de l’organisation. Une autre entreprise a du délocaliser sa
production dans un pays émergent pour profiter des bas salaires afin de respecter les
exigences de son principal donneur d’ordres. Alors que l’internationalisation ne faisait
nullement partie des objectifs du propriétaire dirigeant, il s’est retrouvé devant une
décision difficile de déplacer une partie de sa production à l’étranger ou de perdre tout le
volume d’affaires avec ce client qui représentait au-delà de 60% de ses revenus. Une
autre dimension de la dépendance des PME se retrouve dans le statut de sous-traitance
que plusieurs désirent conserver, vu les avantages commerciaux qu’ils peuvent en tirer.
La réduction des coûts, l’absence de fournisseurs nationaux, l’importance de garantir une
qualité irréprochable sont les principales motivations à l’approvisionnement outre-mer,
celui-ci pouvant être assuré par de simples relations commerciales, mais également par de
la sous-traitance et la présence de filiales à l’étranger.
Du côté technologique, les investissements dans les systèmes de production venant
d’outre frontière se justifient principalement par l’inexistence sur le marché national
d’équipements adéquats, les recommandations du donneur d’ordres, le besoin de s’aligner
sur les technologies mondiales pour intégrer des chaînes de valeur. On notera aussi le fait
de vouloir réduire la dépendance face à une main d’œuvre de plus en plus difficile à
remplacer, ce qui est le cas dans les pays développés, ainsi qu’un intérêt à investir dans
St-Pierre et Perrault, 2009 17
des équipements et des technologies faciles à utiliser afin de réduire les besoins de
formation de la main d’œuvre. Mais par-dessus ces motivations d’ordre technique, on
note l’importance qu’accordent toutes les entreprises à la satisfaction des besoins de leurs
clients. C’est donc dans un souci de répondre adéquatement dans les normes de délais, de
qualité et de coûts de leurs clients que les dirigeants accordent une attention accrue à leur
système de production et consacrent d’importants efforts pour trouver les solutions les
plus optimales.
Finalement, les motivations à l’internationalisation organisationnelle sont méconnues des
dirigeants puisqu’ils perçoivent leurs décisions comme étant des effets induits
directement par l’internationalisation mercantile et technologique, ne résultant pas d’un
choix stratégique. En revanche, les pratiques qu’ils mettent en place et les ajustements
qu’ils font à leur organisation sont motivés par le souci de réussir leurs activités
internationales en contrôlant les ressources et en réduisant les risques de leurs décisions.
3.4 Les facteurs clés de l’internationalisation
Comment sont prises les décisions d’internationalisation des PME ? Cette question revêt
un intérêt particulier dans le cadre des PME qui sont reconnues pour leurs déficits
chroniques de ressources. Il apparaît dès lors intéressant de savoir comment elles arrivent
à prendre des décisions fructueuses en matière d’internationalisation, réduisant ainsi leurs
risques d’échecs.
Comme cela a été noté par de nombreux chercheurs, les réseaux sont particulièrement
fertiles en conseils et facilitent grandement le processus de décisions. Par contre, ce ne
sont pas les réseaux formels les plus sollicités, soit ceux composés des consultants, des
chambres de commerce ou des agences gouvernementales, mais les réseaux informels
formés de gens appartenant au cercle des connaissances des dirigeants des PME, car ils
procurent une information plus fiable permettant ainsi de réduire les délais et les risques
étant donné la confiance. On peut aussi apprécier un effet domino où un premier contact
dans l’environnement du dirigeant (souvent un autre dirigeant d’entreprise ayant vécu
une expérience semblable) en entraîne un second auprès de personnes moins connues
augmentant ainsi l’étendue du réseau informel du chef d’entreprise. Cela a été souligné
par plusieurs dirigeants qui ont affirmé que de façon non planifiée, « ils vont où
St-Pierre et Perrault, 2009 18
l’information les mène ». Un contact pour un débouché à l’exportation peut mener à une
suggestion de nouveau fournisseur de matière première ou vers une entreprise avec qui il
serait intéressant de collaborer.
Les participations aux salons, expositions et foires commerciales sont également
nécessaires, mais non suffisantes pour décider d’un engagement formel. Les visites
industrielles ont été mentionnées comme étant indispensables par l’ensemble des
dirigeants, car elles permettent une appréciation plus juste du partenaire potentiel (client,
fournisseur, collaborateur ou autre). Ces sources d’information valent pour toutes les
formes d’internationalisation alors que pour l’internationalisation technologique, on
ajoute plus spécifiquement l’équipe technique de l’entreprise, les clients ainsi que des
sources d’information spécialisées notamment sur Internet.
Enfin, il y a unanimité quant à l’importance de disposer d’une capacité d’innovation
globale et non seulement sur le produit, de maîtriser un savoir-faire spécifique, de faire
preuve d’une flexibilité exceptionnelle permettant de s’adapter aux besoins des clients
dans des délais parfois très courts et d’être irréprochable au niveau de la qualité. Cette
capacité d’innovation n’est pas toujours liée à des activités de R-D formelles et
structurées. Elle peut être fort différente d’une entreprise à l’autre, selon le type
d’innovation sur lequel focalise l’entreprise. Du côté de l’exportation, plusieurs dirigeants
ont mentionné que le produit de l’entreprise, bien qu’il puisse être unique et distinctif,
n’est pas un atout suffisant. On reconnaît l’importance d’accompagner ce produit d’un
service de qualité, d’un savoir-faire, etc. La tertiarisation de l’économie pousse ainsi les
entreprises manufacturières à miser davantage sur des atouts immatériels et inimitables
que sont le savoir-faire, la qualité de la relation avec la clientèle, la flexibilité et la grande
capacité d’adaptation à différentes situations.
En dernier lieu, on notera que la plupart des dirigeants des PME rencontrées sont
détenteurs d’un diplôme technique ou en gestion (souvent universitaire), ne bénéficiaient
pas toujours d’expériences de vie à l’étranger, et prennent souvent seuls les décisions
concernant les marchés. Cette diversité de profil ne correspond pas tout à fait à ce qui est
décrit le plus souvent dans la littérature (voir Cadieux, 2009). Par contre, tous ces
dirigeants sont engagés dans des réseaux de gens d’affaires, nationaux ou internationaux
et ont une connaissance très pointue de leur secteur et des tendances dans leur domaine.
St-Pierre et Perrault, 2009 19
Ils ont une vision des activités internationales et y perçoivent davantage d’opportunités
que de menaces, suggérant ainsi un comportement ouvert à la prise de risque, mais
réfléchie, celle-ci étant en partie contrôlée par de multiples actions.
Conclusion
Cette recherche exploratoire de l’internationalisation des PME manufacturières a permis
de confirmer un certain nombre de concepts relevés dans la littérature et aussi d’attirer
notre attention sur des aspects moins bien documentés. On retiendra par exemple que
cette internationalisation se fait à des rythmes très divers et au gré des opportunités et non
par un «cheminement» déterminé à l’avance, même pour ceux qui planifient leurs actions
; les capacités d’innovation doivent être étendues à l’ensemble de l’entreprise, plutôt que
concentrées sur les produits, permettant ainsi d’afficher les habiletés d’une PME
apprenante ; la participation aux activités des chambres de commerce ou de gens
d’affaires ne suffit pas à déclencher une décision, celle-ci demandant de se déplacer dans
le marché visé et de rencontrer formellement un éventuel partenaire ou collaborateur ; les
sources d’information «informelles» sont plus riches que les sources formelles et sont
davantage consultées puisqu’elles sont considérées plus fiables et qu’elles permettent de
réduire les délais et les risques ; l’importance des réseaux se confirme, mais
principalement des réseaux informels internationaux où l’effet domino provoque
l’étendue des activités d’internationalisation ; l’élargissement du réseau de contacts
permet à l’entreprise d’avoir accès à de nouvelles opportunités qui n’ont souvent aucune
relation avec le contact initial.
Les activités internationales, peu importe leur nature (commerciales ou technologiques)
entraînent un rehaussement de la compétitivité des entreprises grâce à une amélioration
de toutes leurs capacités stratégiques, de leurs processus d’affaires et de leurs
compétences. Les exigences de l’internationalisation peuvent toutefois provoquer une
réduction de rentabilité pendant la période de «mise à niveau», étant donné les
investissements nécessaires pour ajuster l’entreprise à ses nouveaux besoins. Il est
d’ailleurs à prévoir une certaine période de turbulence dans l’entreprise où les ressources
financières seront fortement sollicitées. Selon le rythme de l’internationalisation et
l’expérience de l’entreprise, cette période pourra durer de deux à quatre ans.
St-Pierre et Perrault, 2009 20
Par ailleurs, l’internationalisation procure également des bénéfices non financiers comme
l’ont affirmé plusieurs dirigeants. Les entretiens ont révélé que cela entraînait un
accroissement de leur crédibilité, soit auprès de différents partenaires économiques
(clients, fournisseurs) soit auprès de leurs propres employés qui y trouvent ainsi une
importante source de fierté et de motivation. L’innovation est souvent mentionnée
comme étant un préalable à l’internationalisation, mais on notera plutôt, suite aux
témoignages, que l’innovation est à la fois un déterminant et une conséquence de
l’internationalisation. En effet, les capacités d’apprentissage des entreprises qui oeuvrent
sur des marchés internationaux où qui vont y chercher leurs ressources s’accroissent
parce qu’elles développent leurs habiletés à travailler en incertitude dans des contextes
changeants et turbulents. Évidemment, maintenir une position concurrentielle sur des
marchés internationaux demandent aussi à l’entreprise de renouveler continuellement ses
produits/services ou façons de faire pour rester distincte des autres.
Implications pour les pouvoirs publics
À l’attention des pouvoirs publics qui souhaiteraient accroître le degré d’exportation des
entreprises de leur économie afin de créer des emplois et de la richesse, nous suggérons
d’adopter une approche globale dans leurs actions. Mettre l’accent uniquement sur le
degré d’innovation d’un produit ne permet pas à lui seul d’assurer une performance
internationale, pas plus que de rajeunir le parc d’équipement et d’investir dans les
nouvelles technologies. L’exportation sans considération de la capacité d’innovation
globale de l’entreprise, de ses capacités d’apprentissage et d’adaptation spontanée à des
changements subits de son environnement, de ses capacités technologiques et de sa
flexibilité ne peut qu’accentuer la vulnérabilité des PME et les risques de défaillance. Il
faut d’abord travailler avec le propriétaire dirigeant de la PME pour lui insuffler le goût
et la motivation nécessaires pour intégrer activement l’économie mondiale car toutes les
facettes de son entreprises seront touchées par sa décision, et non seulement les activités
commerciales.
En somme, mesurer les capacités d’une PME à s’adapter, à innover de façon globale, à
développer son capital social, à absorber un certain rythme de croissance sans réduire la
qualité des produits, ce qui pourrait détériorer la réputation de l’entreprise, est
St-Pierre et Perrault, 2009 21
certainement la meilleure stratégie que pourraient adopter les pouvoirs publics qui
souhaitent un plus grand degré d’internationalisation des entreprises de leur pays. Ne pas
oublier aussi d’évaluer la capacité du propriétaire dirigeant à diriger une entreprise qui
pourrait voir son chiffre d’affaires se décupler, ce qui mènerait éventuellement à la venue
de partenaires financiers externes et donc à une cession d’une partie de son contrôle.
Rappelons finalement que la PME performante est celle dont l’organisation est alignée
sur l’orientation stratégique et les objectifs du propriétaire dirigeant.
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