Faculté des lettres et des langues Département des lettres et langues étrangères
Filière de Français
Enseignant : M.I. Belaïd.
Maître de conférences classe B.
Établissement d’exercice : Université de Biskra.
Affilié au laboratoire du FEU : Français des écrits universitaires, université de
Ouargla.
Module : Stylistique littéraire.
Pondération : 100% (Examen final sur commentaire composé).
Public cible : Master II, option : Littérature.
Volume : 14 semaines.
Cours :
Style et stylistique littéraire
2019-2020
-Sommaire-
Préambule
1. Langage, langue et Littérature
2. Esthétique, norme et style
3. Critères généraux d’identification
Conclusion
Bibliographie
Annexe
Z
« Les vrais grands écrivains sont ceux dont la
pensée occupe tous les recoins de leur style. »
Victor Hugo
Mots-clés : Esthétique, écart, langage, voix, littérarité.
Préambule :
Qu’est-ce que le « style » ? Communément, dans les Arts et Métiers, cela renvoie à une
originalité, une manière singulière, un particularisme dans la création. Ainsi, en littérature,
dit-on : « Cet écrivain a un style », dans la mode, on parle d’un individu « stylé » et puis,
même dans le sport - catégorie où règne généralement la performance bien plus que la beauté
- on évoque l’élégance du revers de Roger Federer au Tennis, le style offensif de Kasparov
aux échecs, le style insolent de Bolt en athlétisme ou le style extraverti de Jordan au basket-
ball. L’artisanat, dont provient l’Art de manière générale, comprend aussi cette manière
particulière d’accoucher de sa créativité. Que ce soient l’ébéniste, le maçon ou le tisserand ;
ils font preuve d’une singularité dans l’exécution, ils introduisent (consciemment ou
systématiquement) une empreinte artistique quant à leurs productions respectives. C’est donc
cette touche, ce plus, cet au-delà qui nargue la norme, cette persévérance assidue dans
l’originalité qu’il sera convenu d’appeler « style ».
Pourquoi et comment cette notion a-t-elle soumis son assise aux lettres modernes ?
Pourquoi est-elle devenue un horizon pour l’écrivain ; une ambition laborieuse et prestigieuse,
dont se targuent une grande partie des auteurs ? Essayons d’aborder ces questions. Prenant en
compte comme référence les dires des grands stylistes, ces esthètes seront certainement les
mieux placés pour répondre à la problématique de cette catégorie esthétique, mais pas
seulement...
1. Langage, langue et littérature :
Avant d’engager notre quête pour trouver le style en littérature, il conviendra d’aborder
les notions de langage, de langue et de littérature. Il existe un langage animal qui rendrait
jaloux les plus grands écrivains, tant il est codé, précis, nuancé et unique. La question de la
communicabilité a été réglée depuis des millions d’années dans le règne animal. Aucun
malentendu n’y est permis, pas de littérature, la survie avant tout. Les biologistes et les
zoologues ont bien étudié le sujet, ils nous ont appris que la fourmi communiquait par un
système complexe d’émission et de réception d’ensembles de phéromones ; on sait que
l’abeille indique sa position par la danse1 ; les chiens généralement par un système olfactif
contrasté, et les dauphins, avec une précision qu’on a peine à croire, par des signatures
vocales, par les sons tout simplement. L’homme, en revanche, n’a que le langage articulé,
pour exprimer avec précision ses besoins, ses volontés, ses souhaits, ses sentiments, ses
ambitions ; envisager et anticiper avec le recul du passé ; réaliser des projets pour un avenir
qu’il sait incertain. Et s’il est vrai que l’homme a survécu pendant des milliers d’années sans
le langage verbal, uniquement avec les bruits et les gestes, il n’en est pas moins vrai que la
société, l’art, la religion, la politique, l’économie et tous les domaines qui font notre monde
moderne n’auraient pu voir le jour sans le langage articulé2, sans la langue.
Le système alphabétique, que l’on doit aux grecs, est sans aucun doute ce qui a permis, en
premier lieu, l’évolution de l’humanité, l’agilité de l’esprit, par conséquent, la possibilité de
développement quasi-illimité quant à la technique3 et à tout ce qui a un rapport avec la
production matérielle (infrastructure) et la production immatérielle (superstructure). Sur ce, la
langue est ce qui distingue l’homme. Ce mammifère culturel et historique ne peut perpétuer
son espèce qu’avec la connaissance 4 . La tortue offre la carapace naturellement à son
1 Positivement, ce sont de véritables coordonnées géographiques. 2 Soit ce système organisé de signes qui permettent l’échange entre les individus. 3 On le voit clairement de nos jours avec les nouvelles technologies. 4 D’où l’importance capitale de l’instituteur, de l’éducateur, de l’enseignant, de la mère qui élève…
descendance pour assurer la survie de la sienne, alors que l’homme n’a rien, manque de tout,
pour survivre. Il doit apprendre pour réussir à dominer la nature hostile et chaotique (c’est ce
qu’il a longtemps cru), il doit inculquer des connaissances à sa progéniture pour subsister, et
ses descendants doivent imiter les plus « instruit » pour ne pas dépérir. Prométhée nous a
offert ce don. Lequel ? L’imitation. Aristote disait que l’homme est l’animal qui imite le
mieux. Quel meilleur moyen pour imiter parfaitement que l’écrit ? La reproduction graphique
de signes conventionnels est manifestement ce qui fera et continue 5 de faire la gloire de
l’Homme et sa pérennité. De manière quasi-arbitraire, les hommes regroupés en communautés
instaurent un système oral, puis écrit, pour réussir à assurer et à pérenniser leurs différentes
productions : croyances extra-terrestres (célestes), techniques pour faire du feu ou séduire une
femme6, poèmes pour se rappeler leurs aïeux et avoir la force de résister aux ténèbres.
Dès que l’homme eut conquis, patiemment, cette langue (ou dialecte), il s’empressa de la
consigner là où il le put, de témoigner de tout et de rien... Il le fit sur un support, un médium,
et là aussi, ça n’a pas été de tout repos. Sur l’omoplate d’un dromadaire, ou sur du cuir, sur de
l’argile, ou sur les murs, plus tard, bien plus tard, sur du papier, et aujourd’hui, comble de la
médiation technique, sur un écran lumineux en tapotant sur des touches. L’imprimerie, dès le
15ème siècle, se chargera de mondialiser ses dires et l’homme aura la prétention outrecuidante
de diffuser ses pensées sur tout le globe terrestre. Pour les lettres et langues françaises,
traditionnellement, on renvoie leurs naissances au Serment de Strasbourg (14 février 842) :
« Ce jour-là un serment d’alliance entre deux rois,
proclamé en deux langues représentatives des parlers tudesque
et roman contenait en germe l’organisation des littératures
nationales en Europe. »7
Rapporte ainsi Renée Balibar dans son essai8 sur l’histoire de la littérature française.
Le français ne peut se concevoir sans une littérature grecque, latine et chrétienne. La littéraire
française, comme toute littérature, est d’abord composée de symboles, des signes graphiques
qui appellent à une prise de contact et qui doivent être déchiffrés. La littérature sert à dire le
monde, on en conviendra aisément, elle sert à laisser un témoignage qui traverse les époques,
le fait de marquer de son empreinte les temps. Elle sert aussi, dans la quotidienneté sociale, à
5 Difficilement, c’est entendu, on ne lit plus de nos jours… 6 Les deux concourent également à la perpétuation de l’espèce. 7 BALIBAR, Renée, Histoire de la littérature française, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1991, p.3. 8 Ibid.
traduire la réalité qui nous entoure en mots intelligibles, susceptibles de provoquer une
réaction chez le lecteur, l’auditeur, le spectateur, le téléspectateur, et puis aussi, aujourd’hui,
l’internaute.
Ces mots que nous employons quotidiennement proviennent, non pas d’un moment
« t » marquant une création subite, mais d’un long processus de maturation anthropologique,
nous l’avons dit, c’est ce qui a permis à l’homme d’acquérir abruptement et de conquérir
difficilement la pensée à travers ce formidable outil d’abstraction qu’est la langue. Pensée et
langue sont intimement imbriquées et l’on ne peut bénéficier d’un esprit cartésien sans avoir
un savoir linguistique pour en faire l’abstraction. Ceci est démontré dans le roman 19849, de
George Orwell, dans lequel on use de mots-clés, de slogans, de formules, de mots génériques
et vagues pour appauvrir et ainsi contrôler les esprits. Effectivement, appauvrir la langue,
c’est, appauvrir la pensée. Par conséquent, de facto, lire, goûter et étudier la littérature, c’est,
incontestablement, enrichir la pensée. L’esprit humain trouve d’abord refuge dans la langue
pour pouvoir cultiver ses potentialités et exprimer sa singularité. Encore faudrait-il posséder
une somme large, variée et précise de mots, de phrases et d’agencements savants pour le faire.
En outre, faudrait-il être prudent pour fidèlement l’exprimer et non la voler ou la copier sur le
voisin. Et puis, quand bien même l’exprimerait-on justement (avec justesse), intéresserait-elle
réellement le voisinage ? Le style, c’est justement, cette capacité de dire soi avec exactitude
pour intéresser les autres ; le tout avec la précision dans la composition, la beauté dans
l’expression et la probité essentielle qui doit traverser toute la création.
La littérature offre des issues dynamiques, salvatrices, qui octroient à l’homme ce
privilège invraisemblable, ce pouvoir magique, de figer le rocher de Sisyphe et de se dérober,
un instant, au cercle étroit qui structure notre quotidien. L’étendue considérable de la
littérature et tout ce qu’elle implique est telle, qu’étudier une seule œuvre revient à
entreprendre une longue investigation sur :
« […] le contexte historique, c’est-à-dire, entre autres, la
biographie, avec ses éléments conscients et inconscients, la
politique, la société, l’histoire, la langue, la culture à tous les
sens du mot, la civilisation où baigne le romancier, … [et le
style de l’écrivain !] »10
9 ORWELL, George, 1984, éd. Folio, Paris, 1972.
10 PRÉVOST, Charles, Littérature, politique, idéologie, éd. Sociales, Paris, 1973, pp., 64, 65.
À travers les âges, une élite de critiques et de censeurs veillaient à conserver la qualité de
la littérature. Présentement, pas tellement. Si nous voulions donner une définition, nous
admettrions la suivante : c’est un ensemble de textes qui se définissent par un usage esthétique
de la langue11. La littérature est donc, aussi, cet usage esthétique. Nous approchons du style.
Mais comment définir ou délimiter ce champ esthétique ? Vraisemblablement, les critères
esthétiques changent avec les écrivains et les courants qui construisent cette littérature.
2. Esthétique, norme et style :
L’esthétique, c’est tout un paradoxe lié au souci de la beauté, cela mêle au même
moment : subjectivité et objectivité, pathos, logos et ethos, soi et autrui. L’un des premiers
penseurs modernes qui s’est intéressé à cette question du Beau fut Baumgarten. Il essaya de
résoudre cette vaste problématique dans son traité Aesthetica12. Tentative de résolution sous la
forme de vers, comme l’a fait Nicolas Boileau avec son Art poétique13 pour dire ce qu’est la
poésie. Ou encore avec des concepts comme l’a théorisé G. F. W. Hegel dans son Esthétique14
ou Emmanuel Kant avec le Beau et le Sublime15. Évidemment, enfin, sous forme d’essai avec
l’immense Qu’est-ce que l’art ?16 de Tolstoï.
Une œuvre littéraire doit donc se comprendre comme un travail sur la langue. Un travail
esthétique qui tient compte des critères de l’époque (contexte spatio-temporel) tout en
garantissant l’originalité à travers un apport transgressif ; une plus-value par rapport à une
norme qui s’établit naturellement par le langage populaire et doctement par les institutions
élitaires17. La critique et la censure se chargeront ensuite de classer cette production et de lui
conférer un statut. Chaque siècle comporte son lot d’écrivains qui ont su féconder la littérature
d’un apport transgressif suffisant pour s’inscrire dans l’époque. Une esthétique atypique et
authentique qui se distingue nettement par tous les choix et toutes les techniques investies
dans cette « nouvelle » écriture, car comme l’a si bien exprimé H. R. Jauss :
11CONIO, FOREST, Gérard, Philippe, Dictionnaire fondamental du français littéraire, éd. la Seine, Paris, 2005, p. 250. 12 BAUMGARTEN, Alexander Gottlieb, Esthétique, précédée des Méditations philosophiques sur quelques sujets se rapportant à l'essence du poème et de la Métaphysique, Trad. Jean-Yves Pranchère, éd. L'Herne, Paris, 1988. 13 BOILEAU-DESPRÉAUX, Nicolas, L’Art poétique, éd. Sendelbach, Berlin, 1874. 14 HEGEL, Georg Friedrich Wilhelm, Esthétique, 1835 (posth.), Trad. Ch. Bénard, Chicoutimi, édition numérisée par Daniel Banda, sous la direction de Jean-Marie Tremblay, Coll. Les Classiques des sciences sociales, http://classiques.uqac.ca/ 15 KANT, Emmanuel, Critique du jugement, suivi des observations sur le beau et le sublime, Trad. J. Barni, librairie philosophique de Ladrange, Paris, 1846. 16 TOLSTOÏ, Léon, Qu’est-ce que l’art ?, Trad. Teodor de Wyzewa, éd. Perrin, Paris, 1918. 17 Universités, académies, lycées, etc.
« […] Le système de références objectivement formulable qui,
pour chaque œuvre au moment de l’histoire où elle apparaît,
résulte [et procède] de trois facteurs principaux : l’expérience
préalable qu’a le public du genre dont elle relève, la forme et la
thématique d’œuvres antérieures dont elle présuppose la
connaissance, et l’opposition entre langage poétique et langage
pratique, mode imaginaire et réalité quotidienne. »18
Autrement dit, le public a déjà une idée du genre, il en a au préalable formé un
modèle, un archétype, une norme. L’écart qui s’opère entre celle-ci et l’apport qu’apporte
l’écrivain s’appellerait style.
Du latin stilus, le Larousse propose :
« 1. Manière particulière d’exprimer sa pensée, ses émotions,
ses sentiments […] 2. Forme de langue propre à une activité, à
un milieu ou à un groupe social. […] 3. Manière particulière de
pratiquer un art, un sport, etc. définie par ensemble de
caractère. […] 4. Manière particulière à un genre, à une
époque, notamment en matière d’art et de décoration, définie
par ensemble de caractères formels. […] 5. Ensemble des goûts,
des manières d’être de quelqu’un ; façon personnelle de
s’habiller, de se comporter, etc. […] 6. Qualité de quelque
chose ou de quelqu’un qui présente des caractéristiques
esthétiques originales. […] » 19
Ce mot : « style » renvoie, de par l’étymologie latine (stilus), au poinçon ordinaire qui
permet de consigner les comptes (mathématiques), les faits (historiographie), en somme : la
connaissance humaine (culture, technique, tradition, art, etc.). Mais c’est bien la sixième
acception du Larousse qui nous interpelle et intéresse. Le style est la qualité d’une chose ou
d’une personne qui détient, possède, présente, fait preuve d’originalité esthétique. Aussi, la
poétique, l’art de bien écrire, ou la rhétorique, l’art de bien dire. Plus généralement et depuis
l’antiquité, nous avons des indications précises sur ce que doit être cette « originalité
18 JAUSS, Hans Robert, Pour une esthétique de la réception, éd. Gallimard, Paris, 1978, p.49.
19 Le Petit Larousse illustré, éditions Larousse, 2009, Paris, p.969.
esthétique ». On sait que, Sénèque, Cicéron, Horace, pour les latins, et, Démocrite, Socrate,
Isocrate, Lysias pour les rhéteurs grecs, faisaient montre de leurs maîtrises de la langue et de
leurs virtuosités à articuler les rouages complexes du sujet qu’ils traitaient. En conclusion,
l’esthétique par rapport à la norme établie par l’Histoire, se confronte intérieurement chez un
écrivain le désir de mettre en forme sa trouvaille, sa manière d’écrire à lui, pour produire une
langue, un langage verbalisé par sa vision subjective de la beauté, par son manière, sa façon
de faire. Au reste, Rémy de Gourmont résumera la chose mieux que nous :
« Écrire, mais alors au sens de Flaubert ou de Goncourt, c’est
exister, c’est se différencier. Avoir un style, c’est parler au
milieu de la langue commune un dialecte particulier, unique et
inimitable et cependant que cela soit à la fois le langage de tous
et le langage d’un seul. »20
3. Critères généraux d’identification :
Pour cette dernière partie du cours, nous ferons honneur aux écrivains qui nous parleront
du style de manière subjective, de leur propre technique pour avoir du style, et enfin, des
critères qu’ils jugent importants pour qu’il y est style dans un écrit. Rappelons que ces critères
ne représentent pas une somme exhaustive de l’intégralité des caractéristiques du style
littéraire, rappelons aussi, cela va de soi, que ce ne sont que des vues subjectives pour essayer
de déterminer cette notion complexe. Tous ces points de vue, parcellaires, lacunaires,
partiaux, doivent être reconstitués par l’étudiant et mis en perspective avec les lectures
conseillées et les différentes références proposées pendant les cours magistraux.
Dernière remarque : Les citations ne sont pas référencées en bas de page, Ils constituent
seulement un florilège de pensées sur le style. Il sera fortement recommandé à l’étudiant
d’aller à la recherche de la source de la citation qui suscitera son intérêt.
Florilège :
I - Écart et nouveauté :
Si c’est le succès que tu cherches, persuade-toi que tout progrès que tu feras le compromet.
Le gros public n’applaudit jamais qu’à ce qu’il peut reconnaître ; quoi que ce soit que tu lui
apportes de neuf, il est gêné. André Gide
20 GOURMONT, Rémy DE, La culture des idées, éd. Electronique. Lien:http://www.bouquineux.com/?telecharger=635&Gourmont-La_culture_des_id%C3%A9es
Le public ne connaît du charme, de la grâce des formes, que ce qu’il en a puisé dans les
poncifs d’un art lentement assimilé. Marcel Proust
Le crime capital pour un écrivain c’est le conformisme, l’imitativité, la soumission aux règles
et aux enseignements. Rémy de Gourmont
L’originalité d’un artiste s’indique d’abord dans les petites choses et non dans les grandes.
Des chefs-d’œuvre ont été faits sur d’insignifiants détails, sur des objets vulgaires. Il faut
trouver aux choses une signification qui n’a pas encore été découverte et tâcher de l’exprimer
d’une façon personnelle. Guy de Maupassant
Les ouvrages bien écrits seront les seuls qui passeront à la postérité : la quantité des
connaissances, la singularité des faits, la nouveauté même des découvertes ne sont pas de
sûrs garants de l’immortalité. Ces choses sont hors de l’homme, le style est l’homme même.
George-Louis de Buffon
II - Concision et ellipse :
Le secret du grand art réside dans la concision. Von Goethe
Ajouter en enlevant. Jean-René Huguenin
L’écrivain est un samouraï. Écrire, c’est sabrer ses phrases.21 Anouar Benmalak
On devient bon écrivain comme on devient bon menuisier : en rabotant ses phrases. Anatole
France
Si ce qui est bon est court, il est doublement bon. La Rochefoucauld
C’est lorsqu’il y a trop à dire qu’il faut s’efforcer d’être le plus court possible. Bernanos
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Ainsi, recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j’écris quatre mots, j’en effacerai trois.
Le temps respecte peu ce que l’on fait sans lui...
Hâtez-vous lentement et, sans perdre courage ;
21 Propos recueillis par nos soins de la bouche de l’auteur.
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ;
Polissez-le sans cesse, et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Boileau
La véritable œuvre d’art c’est celle qui dit le moins. Camus
L’art n’est pas d’aligner des mots, mais d’en enlever. Morand22
Le bon écrivain est celui qui enterre un mot chaque jour. L-P. Fargue
III - Ordre, clarté et simplicité :
Classique vient de classis [en italique dans le texte] : frégate, escadre. Un livre classique est
un livre ordonné comme tout doit l’être à bord d’un bateau. Jorges Louis Borgès.
La première qualité du style, c’est la clarté. Aristote
Le style est une façon très simple de dire des choses compliquées. Jean Cocteau
Quand on écrit, on met en ordre ses obsessions. Albert Camus
Clarté, simplicité, à jamais voilà notre alpha et notre oméga. René Étiemble
Il faut éviter les inspirations vagues. L’art est "mathématique", les grands effets sont obtenus
par des moyens simples et bien combinés. Guy de Maupassant
La confusion imite assez l’abondance. C’est ainsi que les ruines d’un bâtiment médiocre
prennent plus d’espace qu’un palais bien proportionné. Charles Pinot Duclos
La valeur intrinsèque d’un livre ne dépend pas de l’importance du sujet (sans quoi les
théologiens l’emporteraient, et de loin), mais la manière d’aborder l’accidentel et
l’insignifiant, de maîtriser l’infime. Emil Cioran
Je n’ai pas plus de génie que les autres, mais j’ai plus de méthode.23 Descartes
IV – Maîtrise de l’adjectif :
L’adjectif, c’est la graisse du style. Hugo
La crainte de l’adjectif est le commencement du style. Claudel
22 Paul Morand fut Cité par Céline comme un écrivain ayant un style. 23 Cité par Céline pour expliquer la supériorité de son style.
Les poètes doivent craindre l’adjectif comme la peste. Cocteau
Addenda (ajouts de citations) :
V – L’illusion de la dichotomie :
Ces critères, signalons-le une dernière fois, ne sont pas exhaustifs et ne sauraient l’être. Le
style est un être vorace qui se nourrit de l’Histoire, on arrivera toujours à perfectionner, à
fignoler, à révolutionner les fondements mêmes du style littéraire. Ci-dessous un florilège de
citations qui discute l’illusion de la confrontation forme/fond :
Il ne peut y avoir, d'un côté, la forme, de l'autre, le fond. Un mauvais style, c'est une pensée
imparfaite. Jules Renard
La pensée ne s’achève que lorsqu’elle a trouvé son expression : les défauts de la forme sont
les défauts du fond. Gustave Lanson
C’est comme le corps et l’âme, la forme et l’idée ; pour moi c’est tout un et je ne sais ce
qu’est l’un sans l’autre. Plus une idée est belle, plus la phrase est sonore. [...] La précision
de la pensée fait (et est elle-même) celle du mot. Gustave Flaubert
Une phrase parfaite est au point culminant de la plus grande expérience vitale. L-P Fargue
Bien écrire, c’est tout à la fois bien penser, bien sentir et bien rendre ; c’est avoir en même
temps de l’esprit, de l’âme et du goût. G-L. Buffon
Conclusion :
« Le vrai, c’est le beau. Rabelais, La Fontaine, Boileau, Balzac, Hugo,
Flaubert, Céline et tous les grands écrivains s’entendent parfaitement bien sur
ce point […] De même que le corps d’un être humain n’est que le
prolongement, l’accroissement et le devenir de son code génétique, de même,
le style d’un écrivain n’est que l’aboutissement, l’achèvement, la perfection
mise en forme de l’ensemble de ses idées. »
Dr. M.I. Belaïd
Bibliographie conseillée :
Celui qui lit tout n’a rien compris.
Thomas Bernhard
Conférence : Marie Darrieussecq : Qu’est-ce que le style ? Lien : https://www.canal-
u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/qu_est_ce_que_le_style.1217
Ouvrages théoriques :
BARTHES, Roland, Le Degré zéro de l’écriture, éd. Seuil, Paris, 1953.
CAHNÉ, MOLINIÉ, Pierre-Alain, George, Qu’est-ce que le style ?, PUF, Coll. Linguistique
nouvelle, Paris, 1994.
FROMILHAGUE, SANCIER-CHATEÂU, Catherine, Anne, Introduction à l’analyse
stylistique, éd. Armand Colin, Coll. Cursus : Lettres, Paris, 2016.
GENETTE, Gérard, Figures II, éd. Seuil, Paris, 1969.
GENETTE, Gérard, Figure III, éd. Seuil, Paris, 1972.
MOLINIÉ, George, Éléments de stylistique française, PUF, Coll. Linguistique nouvelle,
Paris, 2011.
MOLINIÉ, George, La Stylistique, PUF, Coll. Que sais-je ?, Paris, 1989.
YOCARIS, Ilias, Style et semiosis littéraire, éd. Classiques Garnier, Coll. Investigations
stylistique n°4, Paris, 2016.
Notes d’écrivains sur le style, l’écriture et la littérature :
Correspondances de Gustave Flaubert.
Entretiens avec le professeur Y de Louis-
Ferdinand Céline.
Journal de Jules Renard.
Carnets d’Antoine de Saint-Exupéry.
Discours sur le style de Buffon.
Tel Quel de Paul Valéry.
Journal d’André Gide.
La culture des idées de Rémy de
Gourmont.
Post-scriptum de ma vie (posthume) de
Victor Hugo.
Annexe :
Flaubert par Zola
MES SOUVENIRS SUR GUSTAVE FLAUBERT
Le Figaro, Supplément littéraire du dimanche, samedi 11 décembre 1880
Émile ZOLA
La sobriété, c’est la perfection. […] Quand il [Flaubert] se mettait à rédiger, il commençait
par écrire assez rapidement un morceau, tout un épisode, cinq ou six pages au plus. Parfois,
lorsque le mot ne venait pas, il le laissait en blanc. Puis, il reprenait le morceau, et c’était
alors deux ou trois semaines, quelquefois plus, de travail passionné sur ces cinq ou six pages.
Il les voulait parfaites, et je vous assure que sa perfection n’était pas commode. Il pesait
chaque mot, n’en examinait pas seulement le sens, mais encore la conformation. Eviter les
répétitions, les rimes, les duretés, ce n’était encore que le gros de la besogne. Il en arrivait à
ne pas vouloir que les mêmes syllabes se rencontrassent dans une phrase ; souvent, une lettre
l’agaçait, il cherchait des terme où elle ne fût pas ; ou bien il avait besoin d’un certain
nombre de r pour donner du roulement à la période. Il n’écrivait pas pour les yeux, pour le
lecteur qui lit du regard, au coin de son feu ; il écrivait pour le lecteur qui déclame, qui lance
les phrases à voix haute ; et même tout son système de travail se trouvait là. Pour éprouver
ses phrases, il les « gueulait » lui-même seul à sa table, et il n’en était content que
lorsqu’elles avaient passé par son « gueuloir », avec la musique qu’il leur voulait. A
Croisset, cette méthode était bien connue, les domestiques avaient ordre de ne pas le
déranger, quand ils entendaient monsieur crier ; seuls, des bourgeois s’arrêtaient sur la route
par curiosité, et beaucoup l’appelaient : « l’avocat, » croyant sans doute qu’il s’exerçait à
l’éloquence. Rien n’est, selon moi, plus caractéristique que ce besoin d’harmonie. On ne
connaît pas le style de Flaubert, si on n’a pas « gueulé » comme lui ses phrases. C’est un
style fait pour être déclamé, et la sonorité des mots, la largeur du rhythme [sic], donnent
alors des puissances étonnantes à l’idée, parfois par l’ampleur lyrique, parfois par
l’opposition comique. […]
Je ne puis même ici donner une idée de ses scrupules en matière de style. Il faudrait
descendre dans l’infiniment petit de la langue. La ponctuation prenait une importance
capitale. Il voulait le mouvement, la couleur, la musique, et tout cela avec ces mots inertes du
dictionnaire qu’il devait faire vivre. Ce n’était pourtant pas un grammairien, car il ne
reculait pas devant une incorrection, lorsqu’elle rendait une phrase plus sobre et plus
tonnante. D’autre part, il tendait davantage chaque jour à la sobriété, au mot définitif, car la
perfection est l’ennemie de l’abondance. Souvent, j’ai pensé, sans le lui dire, qu’il reprenait
la besogne de Boileau sur la langue du romantisme, si encombrée d’expressions et de
tournures nouvelles.
Il se châtrait, il se stérilisait, il finissait par avoir peur des mots, les tournant de cent
façons, les rejetant, lorsqu’ils n’entraient pas à son idée dans sa page. Un dimanche, nous
le trouvâmes somnolent, brisé de fatigue. La veille, dans l’après-midi, il avait terminé une
page de Bouvard et Pécuchet, dont il se sentait très content, et il était allé dîner en ville,
après l’avoir copiée sur une feuille du grand papier de Hollande dont il ne servait.
Lorsqu’il rentra vers minuit, au lieu de se coucher tout de suite, il voulut se donner le
plaisir de relire sa page. Mais il resta tout émotionné, une répétition lui avait échappé, à
deux lignes de distance. Bien qu’il n’y eût pas de feu dans son cabinet, et qu’il fit très froid,
il s’acharna à ôter cette répétition. Puis, il vit d’autres mots qui lui déplaisaient, il ne put
tous les changer et alla se mettre au lit, désespéré. Dans le lit, impossible de dormir ; il se
retournait, il songeait toujours à ces diables de mots. Brusquement, il trouva une heureuse
correction, sauta par terre, ralluma la bougie et retourna en chemise dans son cabinet
écrire la nouvelle phrase. Ensuite, il se refourra grelottant sous la couverture. Trois fois, il
sauta et ralluma ainsi sa bougie, pour déplacer un mot ou ajouter une virgule. Enfin, n’y
tenant plus, possédé du démon de la perfection, il apporta sa page, enfonça son foulard sur
ses oreilles, se tamponna de tous les côtés dans son lit, et jusqu’au jour éplucha sa page, en
la criblant de coups de crayon. Voilà comment il travaillait. Nous avons tous de ces rages ;
mais lui avait ces rages d’un bout à l’autre de ses livres.
Quand il était à sa table, devant une page de sa première rédaction, il se prenait la tête
entre les deux mains, et pendant de longues minutes regardait la page, comme s’il l’avait
magnétisée. Il lâchait sa plume, il ne parlait pas, restait absorbé, perdu dans la recherche
d’un mot qui fuyait ou d’une tournure dont le mécanisme lui échappait. Tourgueneff qui l’a
vu ainsi, déclarait que c’était attendrissant. Et il ne fallait pas le troubler, et il avait une
patience d’ange, lui si peu endurant d’ordinaire. Il était très doux devant la langue, ne jurait
pas, attendait des heures qu’elle voulût bien se montrer commode. Il disait avoir cherché des
mots pendant des mois.
Je viens de citer Tourgueneff. Un jour, j’assistai à une scène bien typique. Tourgueneff,
qui gardait de l’amitié et de l’admiration pour Mérimée, voulut ce dimanche-là que Flaubert
lui expliquât pourquoi il trouvait que l’auteur de Colomba écrivait mal. Flaubert en lut donc
une page ; et il s’arrêtait à chaque ligne, blâmant les qui et les que, s’emportant contre les
expressions toutes faites, comme « prendre les armes » ou « prodiguer des baisers ». La
cacophonie de certaines rencontres de syllabes, la sécheresse des fins de phrases, la
ponctuation illogique, tout y passa. Cependant, Tourgueneff ouvrait des yeux énormes. Il ne
comprenait évidemment pas, il déclarait qu’aucun écrivain, dans aucune langue, n’avait
raffiné de la sorte. Chez lui, en Russie, rien de pareil n’existait. Depuis ce jour, quand il nous
entendait maudire les qui et les que, je l’ai vu souvent sourire ; et il disait que nous avions
bien tort de ne pas nous servir plus franchement de notre langue, qui est une des plus nettes et
des plus simples. Je suis de son avis, j’ai toujours été frappé de la justesse de son jugement ;
c’est peut-être parce que, à titre d’étranger, il nous voit avec le recul et le désintéressement
nécessaires.
Je citerai encore une phrase que Flaubert écrivait dernièrement à un ami : « J’ai
beaucoup aimé Balzac, mais le désir de la perfection m’en a détaché peu à peu. » Voilà tout
Flaubert. Je réunis ici des notes, je ne discute pas une théorie littéraire. Mais je veux pourtant
ajouter que ce désir de la perfection a été, chez le romancier, une véritable maladie, qui
l’épuisait et l’immobilisait. Qu’on le suive attentivement, à ce point de vue, depuis Madame
Bovary jusqu’à Bouvard et Pécuchet : on le verra peu à peu s’absorber dans la forme,
réduire son dictionnaire, se donner de plus en plus au procédé, restreindre davantage
l’humanité de ses personnages. Certes, cela a doté la littérature française de chefs-d’œuvre
parfaits. Mais il y avait un sentiment de tristesse, à voir ce talent si puissant renouveler la
fable antique des nymphes changées en pierre. Lentement, des jambes à la taille, puis à la
tête, Flaubert devenait un marbre.
Parfois, je soulevais, cette question devant lui, avec prudence, car je craignais de
l’affliger. Une critique le bouleversait. Quand il nous lisait un morceau, il n’y avait pas à
discuter, sous peine de le rendre malade. Pour moi, dès qu’il poursuivait les qui et les que, il
négligeait par exemple les et ; et c’est ainsi qu’on trouvera des pages de lui où
les et abondent, lorsque les qui et les que sont complètement évités. […] changer un mot était
pour lui faire crouler toute la page. Chaque syllabe avait son importance, sa couleur et sa
musique. Il s’effarait, à la seule idée de déplacer une virgule. Ce n’était pas possible, sa
phrase n’existait plus. Lorsque il nous lut Un Cœur simple, nous lui demandâmes d’enlever la
phrase sur le perroquet, que Félicité prend pour le Saint-Esprit : « Le Père, pour l’énoncer,
n’avait pu choisir une colombe, puisque ces bêtes-là n’ont pas de voix, mais plutôt un des
ancêtres de Loulou. » Cela nous semblait, pour la vieille bonne, d’une subtilité d’observation
qui frisait la charge. Flaubert parut très ému, il nous promit d’examiner le cas ; il s’agissait
simplement de couper la phrase mais il ne le fit pas, il aurait cru l’œuvre détraquée.
Naturellement, après un tel labeur, le manuscrit terminé prenait à ses yeux une
importance considérable. Ce n’était pas vanité, c’était respect et croyance pour un travail qui
lui avait donné tant de mal, et où il s’était mis tout entier. Il en faisait faire une copie, qu’il
revoyait une dernière fois avec soin ; et c’était cette copie qui allait à l’imprimerie. On
trouvera certainement dans ses papiers tous ses manuscrits originaux, écrits de sa main ; il
en choisissait même le papier, un papier solide et durable, avec la pensée de laisser un texte
exact pour la postérité. Quant à la copie, elle le détachait de son œuvre, disait-il ; il la lisait
en étranger, son livre ne lui paraissait plus à lui, et il s’en séparait sans souffrance ; tandis
que s’il avait donné son manuscrit, ce manuscrit sur lequel il se passionnait depuis si
longtemps, il lui aurait semblé qu’il s’arrachait un morceau de sa chair. Avant de remettre le
texte à l’imprimerie, il aimait à en lire des morceaux, dans des maisons amies. C’étaient des
solennités. Il lisait très bien, d’une voix sonore et rhythmée [sic], lançant les phrases comme
dans un récitatif, faisant valoir admirablement la musique des mots, mais ne les jouant pas,
ne leur donnant ni nuances ni intentions ; j’appellerai cela une déclamation lyrique, et il
avait toute une théorie là-dessus. Dans les passages de force, lorsqu’il arrivait à un effet
final, il enflait la voix, il montait jusqu’à un éclat de tonnerre, les plafonds tremblaient. Je lui
ai entendu achever ainsi La Légende de saint Julien I’Hospitalier, dans un véritable coup de
foudre du plus grand effet. […] La littérature, à ses yeux, était une fonction supérieure, la
seule fonction importante du monde. Aussi voulait-il qu’on fût respectueux pour elle […].24
24 http://flaubert.univ-rouen.fr/etudes/zola_figaro_1880.php