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78 Healthcare Management FORUM Gestion des soins de santé – Summer/Été 2009

Exposé : Le dilemme éthique évident, c’est qu’il n’y aura pasassez de ventilateurs pour répondre à la demande prévisible,compte tenu des complications connues de l’influenza. La plu-part des hôpitaux fonctionnent à près de 100 % de leur capacitépour ce qui est des patients en ventilation assistée, même entemps normal, et même si certains hôpitaux sont dotés de plansd’urgence pour en accroître la capacité, il est presque certain qu’ildeviendra alors urgent de prioriser l’accès. Certaines personnesauront accès à un ventilateur dans le cadre de leurs soins, tandisque d’autres qui en auront besoin n’en auront pas et que bonnombre d’entre eux risqueront de mourir. En l’absence de critèresconvenus sur les patients à qui offrir une ventilation assistée,l’attribution de cette ressource rare s’effectuera selon le principedu premier arrivé, premier servi. Il est peu probable que cettedémarche soit la plus défendable, notamment lorsqu’on aura at-teint une pleine capacité, mais c’est l’issue inévitable d’une ab-sence de planification ou de l’application incohérente d’un plansolide. La première étape, difficile et nécessaire, consiste à prépa-rer une démarche commune, c’est-à-dire à établir « qui » et « quidécide », mais en pratique, l’aspect le plus crucial consistera às’assurer de l’application uniforme de la politique par les dis-pensateurs de soins de première ligne.

Ce n’est peut-être pas un enjeu éthique, mais l’un des défisimportants lorsqu’on s’attaque à ce type de dilemme, c’est quela responsabilité définitive quant à l’attribution convenable desressources pour répondre aux besoins de la population reposeentre les mains du gouvernement. Votre planification doit doncdemeurer sous forme de projet et ne deviendra une politiqueque si le gouvernement l’approuve. Il est peu probable qu’unreprésentant élu la perçoive comme un « gain » avant que lacrise survienne, ce qui n’est évidemment pas le meilleur momentpour entreprendre un plan d’urgence. Vous réussirez peut-êtreà obtenir l’approbation ou même l’orientation de certains fonc-tionnaires du ministère, mais ils seront conscients (surtout les

hauts fonctionnaires) des risques potentiels que représente cegenre d’entreprise et s’assureront que leur ministre peut concilierle risque de sembler trop peu préparé, d’une part, à celui d’aliénerune partie des électeurs, d’autre part, le tout pour une planifica-tion qui n’est encore qu’une possibilité théorique.

Même si plusieurs dispositions du code d’éthique du Collègetraitent de ce dilemme, on n’y trouve aucun plan d’action précis.Il est également fort peu probable que, dans une telle situation,un dirigeant de la santé soit jugé coupable d’avoir commis uneinfraction claire au code et risque d’en être tenu responsable. Àmoins qu’il se soit servi de son influence pour offrir un traite-ment préférentiel à ses amis ou à sa famille ! C’est une situationdans laquelle toutes les possibilités, si elles doivent être adoptées,sont désagréables, et où la seule source de satisfaction profes-sionnelle découlera du fait de savoir que les choix ont été faitsde la meilleure manière possible, selon le meilleur raisonnementpossible. Autrement dit, cette situation n’exige pas la stricte ap-plication du code d’éthique, mais l’analyse du problème dans uncadre éthique. Le document de principes du collège publié en2006 intitulé « Rôle des responsables de la santé dans la plani-fication des mesures en cas de pandémie de grippe » le recom-mande et renvoie à d’autres sources, comme le document ducentre conjoint de bioéthique de l’université de Toronto sur laprise de décision éthique pendant une pandémie. Ce documentest relativement court et mérite d’être lu, mais il faut en simplifierle cadre de dix principes et de cinq valeurs procédurales pourlui donner une valeur pratique. En effet, plus on intègre de prin-cipes, plus on risque qu’au moins certains d’entre eux s’excluentmutuellement. Vous serez d’ailleurs incapable de tous les respec-ter simultanément dans le cadre de votre planification. Pour évi-ter l’impasse éthique, l’analyse d’une situation donnée selon desprincipes éthiques pertinents exige une priorisation, c’est-à-direune hiérarchie de principes.

Enjeu : Vous représentez votre hôpital, le centre universitaire régional le plus important et le plus spécialisé de la région, ausein d’un groupe de planification de la lutte contre la pandémie d’influenza. Ce groupe de planification a déterminéqu’il faut adopter une démarche de priorisation régionale commune auprès des patients en ventilation assistée (votreprovince dispose d’un plan de lutte contre la pandémie d’influenza, mais il n’est pas détaillé à cet égard). Vous vousformez l’image mentale d’un flux apparemment interminable de patients en phase critique transférés de la périphérieà votre hôpital, tandis que votre propre personnel épuisé tombe aussi malade. Vous convenez qu’une démarchecommune s’impose et vous comprenez que si vous ne faites pas preuve de leadership, vous perdrez toute l’influenceque vous auriez pu avoir. Quels enjeux et principes éthiques se rapportent à cette discussion, quels sont les écueilset comment pouvez-vous progresser vers une planification viable ?

Brigadier-général Hilary F. Jaeger, MD, CHE, présidente du comité

Des réponses à vos questions d’éthique

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L’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans son recueilde documents de travail de 2008 intitulé Addressing ethical issues inpandemic influenza planning, propose un cadre plus simple de troisprincipes en cas de problèmes d’accès à des ressources restreintes.Il s’agit de l’efficience (ou utilité), de l’équité et de l’impartialité enmatière de procédure. Même avec ces trois seuls principes, la listepriorisée des personnes sous ventilation assistée dépendrait duprincipe jugé le plus important entre l’efficience et l’équité. Entermes nettement simplifiés, une analyse axée sur l’efficience fa-voriserait l’affectation de ressources restreintes aux personnes lesplus susceptibles de guérir où dont la guérison serait la plus bé-néfique pour la société, tandis qu’une analyse axée sur l’équitéfavoriserait le traitement des personnes les plus malades ou decelles considérées comme les plus susceptibles de mourir sansl’intervention. Le chapitre 2 du document de l’OMS, offert gra-tuitement en anglais dans le site Web de l’organisation, contientun exposé complet et pourtant compréhensible de l’applicationde ces trois principes aux restrictions en cas de pandémie.

Les lecteurs connaissent sûrement le terme triage. Pour la plu-part des professionnels de la santé, il permet de déterminer lespremières personnes à soigner. Les lecteurs militaires savent quel’intention du triage est en fait plus profonde, et pour bien desgens, plus troublante. En effet, c’est également le processus quiconsiste à décider qui recevra des soins s’il est impossible de soi-gner tout le monde. Le résultat pratique des décisions de triagemilitaire, c’est que des personnes gravement malades, qui au-raient reçu un traitement énergique dans d’autres circonstances,ne recevront que des soins palliatifs minimes afin d’orienter lacapacité de traitement vers les personnes les plus susceptibles dese rétablir. La règle capitale du triage militaire, celle de faire leplus grand bien au plus grand nombre, provient d’une analyseaxée sur l’efficience. On peut aussi invoquer un argument axésur l’efficience pour inclure les dispensateurs de soins de pre-mière ligne dans la liste des personnes traitées, et le justifier endémontrant qu’il est dans l’intérêt primordial de l’ensemble dela population de maintenir le système de santé le plus fonction-nel possible. Lorsqu’on s’intéresse seulement à l’efficience, à l’ex-clusion de tout autre principe, on risque d’appliquer ce principetrop largement, à l’extérieur du domaine de la santé, de tenircompte de ce qui serait préférable pour l’ensemble de la sociétéet d’inclure alors la sécurité publique, les dirigeants du gouver-nement et les grands employeurs. Le potentiel d’abus et d’injus-tice augmente à mesure que s’élargit la définition du « biencommun ».

Ainsi, votre groupe de planification doit s’entendre sur lesprincipes éthiques qu’il a l’intention d’appliquer à la situation. Ildoit s’entendre sur le principe qui aura préséance en cas deconflit et il doit déterminer la portée à donner au principe d’ef-ficience. Si vous avez accès à un éthicien médical, il serait bonde faire appel à lui pour aider votre équipe à structurer sa penséeet à vaincre les obstacles à mesure qu’elle passe d’un ensembleconvenu de principes à des lignes directrices et une liste priorisée.Il n’est pas conseillé de prendre la voie facile et de demander à

l’éthicien de rédiger la planification, puis de la soumettre à votregroupe pour qu’il l’accepte. En effet, une telle démarche ne serapas assez consultative, et le groupe de planification (ainsi queles dirigeants régionaux) ne se sera pas assez « approprié » laplanification lorsque viendra le temps de répondre aux questionsinévitables des médias et du public sur son origine et ses orien-tations.

Dans le respect du principe d’impartialité en matière de pro-cédure, il est essentiel de consulter largement et en toute trans-parence pour déterminer cette liste de principes et la priorité dessoins en résultant. Les experts de la santé publique donnent deprécieux conseils, mais ne devraient pas prendre la décision dé-finitive. Les médecins, les infirmières, les inhalothérapeutes, lepersonnel médical d’urgence, les aumôniers doivent tous pou-voir participer et ne pas douter que la démarche proposée reflètel’examen attentif de multiples facteurs. Il faut également donnerl’occasion à des représentants de la collectivité de participer auprocessus ou, du moins, les informer de sa mise en œuvre etdes résultats éventuels.

Votre groupe de planification doit être réaliste quant aux res-sources qui seront probablement disponibles et admettre que lapandémie d’influenza ne se substituera pas à tous les autres be-soins de ventilation assistée. La planification doit déterminer lepourcentage de ressources à affecter à la prise en charge de l’in-fluenza par rapport aux autres besoins de santé continus. Enfin,la planification résultante, même si elle demeure sous forme deprojet, doit être revue périodiquement et être assez flexible pourtenir compte des nombreuses inconnues liées à la planificationd’urgences médicales. Votre planification ne doit pas coincer voscliniciens dans une séquence donnée de prises de décision àl’émission d’une certaine phase d’alerte. La récente expérience dela grippe H1N1 révèle la possibilité d’une vaste dispersion géo-graphique conjuguée à une vigilance et à des phases d’alerte éle-vées sans répercussions importantes sur le volume de travaildans les centres régionaux. L’application aveugle d’une démarchequi ressemblerait à « une fois que l’OMS passe en phase 6, au-cune personne âgée de 85 ans ne recevra de ventilation assistée »est intenable du point de vue de l’éthique si le système de santéne subit aucune pression indue.

À TITRE D’INFORMATIONLe comité d’éthique est sur le point d’entreprendre l’analyse

périodique du code d’éthique du Collège ainsi que des mesuresconnexes d’enquête et de décision en cas d’infractions éventuellesau code. Nous sommes ravis de la possibilité de travailler avecde véritables experts du sujet dans le cadre de ce processus, maisaimerions également connaître l’avis de membres du Collège.Trouvez-vous le code utile et pertinent ? Est-il trop détaillé ou,au contraire, contient-il des volets qui, à votre avis, mériteraientd’être clarifiés ? En plus du code, on pourrait peut-être envisagerque le Collège prépare un cadre de principes éthiques convenusqui pourrait orienter les dirigeants de la santé en présence deproblèmes comme celui qui est décrit aux présentes.

Pour plus renseignements à propos du comité d’éthique, visitez notre site Web : www.cchse.org.Si vous avez une question pour le comité d’éthique, envoyez-la par courriel à [email protected].