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Page 1: echo des carrieres 49 - ACJPSaint-Jacques et la chapelle de l’ancien Hôtel-Dieu de la ville (futur musée archéologique) en 1907. Marie-Thérèse Jouve surveille aussi les travaux

par Maud GRILLET

attachée de conservation desmusées et du patrimoine deCavaillon

Maud Grillet nous donne icile texte de la communica-tion qu'elle a faite aux ren-contres judéo-comtadinesd'avril dernier. Nous avions annoncé qu'elle nepouvait nous communiquer son texte pour le N°48. Nous savions que ce n'était que partie remise.La présentation qu'elle nous livre du Musée JuifComtadin passionnera sans aucun doute noslecteurs tant par la richesse de la documentationque par la finesse du style de notre amie.

Le musée juif comtadin de Cavaillon accueille lesiège social de l’Association Culturelle des Juifsdu Pape depuis la création de cette association.En vertu de ces liens privilégiés, il nous a sem-blé intéressant, dans le cadre des premièresRencontres judéo-comtadines, de présentersuccinctement l’histoire du patrimoine juif deCavaillon et d’évoquer les projets émergeants.

Tout d’abord, une rapide présentation de cepatrimoine s’impose. Le patrimoine juif deCavaillon, c’est évidemment une synagogue duXVIIIe siècle renommée, mais aussi d’autreséléments patrimoniaux mal connus du public cartrop peu mis en valeur.En premier lieu, l’exceptionnelle conservation dela trace urbaine de la carrière, au cœur du cen-tre ancien de Cavaillon, est la grande originalitéde notre patrimoine, là où les travaux de rénova-tion urbaine du XIXe siècle et/ou l’état de déla-brement du patrimoine juif d’Avignon,Carpentras ou Lisle sur la Sorgue ont fait dispa-raître cette empreinte ailleurs. Ainsi, riche d’unesynagogue et d’un bain rituel, la première car-

rière créée dans le Comtat (1453) constitue untémoignage rare de l’organisation architecturaled’une carrière juive. L’îlot Castil Blaze (îlot immobilier compris entrela rue hébraïque, la rue Chabran et la placeCastil Blaze, propriété de la Ville de Cavaillon etde la Fondation Calvet qui accueille la synago-gue, le musée juif comtadin, la conservation desmusées et leurs réserves) est un site historiqueessentiel pour la cité, symbolisant à lui seul lesrelations entre Juifs et Chrétiens durant lestemps modernes. L’ancienne carrière juive ycôtoie en effet les vestiges du couvent desDominicains (fondé en 1519, actuelle conserva-tion des musées de Cavaillon) dont les arcadesde cloître ornent encore la place Castil Blaze (ill.1) .La synagogue de Cavaillon, construite entre1771 et 1774, est l’élément le mieux connu, deshistoriens comme du public : bâtiment auxdimensions modestes (à l’échelle de la commu-nauté juive de Cavaillon), la grande cohérenceesthétique de son décor, liée à la rapidité de sonexécution, émerveille toujours. Attenant à cette synagogue mais intégré à unbâtiment voisin, un bain rituel, autrefois excep-tionnellement visitable (Journées du Patrimoine)mais aujourd’hui clos pour raisons de sécurité,constituait un équipement indispensable à la viede la communauté juive. Cependant, son his-toire et son évolution nous sont, pour l’heure,mal connues. Au-delà de ces bâtiments liés à lavie de la collectivité, nous conservons la maisondu dernier rabbin, Bédarride, qui l’a vendue en1827 à Michel Jouve. Cette maison, danslaquelle vécut ensuite la famille Jouve, fonda-trice des musées, date de la seconde moitié duXVIIIe siècle et est accolée à la synagogue. Elleest actuellement affectée aux réserves dumusée Jouve. Enfin, moins connues encore sont nos richescollections muséales liées à la présence d’unecommunauté durant plus de 8 siècles.

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RENCONTRES JUDEO-COMTADINES

LE PATRIMOINE JUIF DE CAVAILLONHISTOIRE ET PROJETS

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A l’aube du XXe siècle, cet exceptionnelensemble constitue un patrimoine fragile,préservé grâce au comité de sauvegarde dessynagogues comtadines et aux soins de lafamille Jouve. Lors du rattachement du Comtat Venaissin à laFrance en 1791, la carrière de Cavaillon avaitdéjà connu une importante désertification. Lacommunauté juive de la ville était ainsi réduite à49 personnes au début du XIXe siècle (ill. 2). Ala fin du XIXe - début du XXe siècle, la familleJouve, qui occupe la maison voisine de la syna-gogue, se soucie de l’avenir de la communautéet de son patrimoine : « C’était, ces jours-ci,fête juive. Je me rappelle qu’autrefois, à depareils jours, à travers le mur qui sépare notremaison du Temple israëlite nous entendions leschants gutturaux des fidèles hébraïques […]D’adorateurs zélés, plus même un petit nombre.Ni chants, ni cérémonie ? Seule, la vieille MmeA. vient passer la journée sur la terrasse duTemple. […] Marie-Thérèse et moi faisons unevisite au sanctuaire abandonné, nous sommesses derniers fidèles » (Michel Jouve, carnetintime, 17 septembre 1899, Musées etPatrimoine de Cavaillon, cité dans SylvieGrange, Une famille en Provence, p. 146).Marie-Thérèse et Michel Jouve s’impliquentalors dans la sauvegarde de la synagogue deCavaillon et des derniers objets de la commu-nauté. Marie-Thérèse surveille activement lestravaux qui ont lieu à la synagogue en 1901(incluant la modification de l’emplacement del’escalier d’accès). En 1906, la famille proposede se porter acquéreur de la synagogue, maisdévolution est faite à l’Association Cultuelle.Dans la même logique, les Jouve achèteront etsauvegarderont ainsi la chapelle sur la collineSaint-Jacques et la chapelle de l’ancien Hôtel-Dieu de la ville (futur musée archéologique) en1907.Marie-Thérèse Jouve surveille aussi les travauxde restauration de la synagogue de 1929/1930,ceux-là même qui permettent la découverte dela « guéniza » (cimetière de livres) dans lacharpente, fonds constitutif du musée juif comta-din. Elle retrouve alors, dans un placard de lasynagogue, les portes de l’ancien tabernacle

(XVIe siècle), actuellement présentées aumusée juif-comtadin. Elle photographie en 1935les travaux de peinture du monument. Michel,de son côté, étudie l’ancienne carrière juive etrédige un manuscrit sur le sujet. Au-delà de cesfaits notables, les Jouve constituent aussi unfonds photographique, documentation excep-tionnelle sur le patrimoine cavaillonnais et surl’ancienne carrière de Cavaillon. Par ces diver-ses actions, ils participent donc activement à lasauvegarde mais aussi à la connaissance dupatrimoine juif comtadin de Cavaillon.

En 1921 intervient la première protection au titredes Monuments Historiques d’une synagoguefrançaise, celle de Trets. Rapidement, en 1924,les synagogues de Cavaillon et de Carpentrassont à leur tour classées MonumentsHistoriques ; une protection liée à une inquié-tude sur leur avenir. Dans ce cadre, des travauxde restauration de la synagogue de Cavaillonont lieu en 1929/1930. C’est l’architecte en chefdes Monuments Historiques, Henri Nodet, quiprocède à cette première restauration impor-tante. Elle inclut la remise en état de la toiture entuiles creuses et de la charpente, la réfectiondes badigeons intérieurs et des enduits exté-rieurs, des menuiseries et des plafonds, la res-tauration des panneaux inférieurs de la ported’entrée et du cartouche en pierre portant uneinscription hébraïque et enfin la remise en étatdes ferronneries de la terrasse,Au milieu du XXe siècle, l’avenir du patrimoinejuif cavaillonnais paraît assuré. La synagogueest officiellement devenue propriété municipaleà la fin des années 1940. Les Jouve ont léguéleur patrimoine (dont la maison du dernier rabbinet le bain rituel) à la Fondation Calvet à la mortde la dernière descendante, Marie-Thérèse, en1938.

Dans la seconde moitié du XXe siècle, lescollectivités territoriales vont s’engagerdans la valorisation du patrimoine juif comta-din de Cavaillon. La ville de Cavaillon réalisealors divers travaux d’entretien et de valorisationdu monument : en 1955, la remise en état del’ancienne boulangerie (rez-de-chaussée de la

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synagogue) ; le nettoyage de la façade nord en1961 ; la réfection des plafonds de la synago-gue en 1969. André Dumoulin, conservateur départementalresponsable des collections de Cavaillon depuis1945, est chargé de créer, dans la boulangeriede la synagogue, un musée juif comtadin dontsont encore nostalgiques ceux qui l’ont connu.Outre l’ancien fonds de la communauté sauve-gardé par les Jouve, il suscite de nombreuxdons pour l’ouverture officielle en 1963. Des col-lections sont ainsi constituées grâce aux donsimportants d’anciennes familles du Comtat 1 :châles de prière, meguilla, ketouba, taleth,mezouza, assiettes, lampes de Hanoukka, porteschofar…

Entre 1985 et 1987, la synagogue fait l’objetd’une restauration majeure qui permet alors derestituer son aspect originel. A l’extérieur, lafaçade sud en pierre d’Oppède est nettoyée, latoiture et la charpente sont totalement révisées(isolation thermique), le platelage du balcon estrepris, les portes métalliques des troncs votifsrestaurées… Mais le grand apport de la restau-ration de 1985/1987 est la redécouverte du raffi-nement du décor intérieur. Ainsi, le dégagementcomplet de la peinture et de la bronzine a permisde retrouver les couleurs originelles des lambrisdu XVIIIe siècle (montants, traverses et tablesgrises ; moulures des panneaux étroits en bleuvif avec un filet jaune autour de la table ; coquil-les alternées jaunes et bleues). De même, labichromie originelle du plafond est restituée(blanc cassé avec une rosace grise). Les mursse couvrent désormais de leur teinte initiale roseparme. La surcharge de bronzine est éliminée.La dorure est restituée dans sa fonction initiale,soulignant les éléments-phares de l’édifice et dela liturgie (teba et tabernacle). Ainsi se confirmela remarque d’André Dumoulin sur ce temple,formulée bien plus tôt : « Rien d’austère ni deméditatif ; tout est aimable et gracieux commedans un petit salon du palais de Versailles » (ill.3).

Succédant à André Dumoulin, Sylvie Grangedirige les musées de Cavaillon de 1985 à 2004.En 1988, une fouille de sauvegarde est menée

dans la rue hébraïque. Elle permet une valorisa-tion de l’espace urbain avec la mise en place derevêtements différenciés entre les anciens quar-tiers juifs (calade) et chrétiens, ainsi que le mar-quage au sol d’éléments architecturaux repérésau cours de la fouille : le puits commun et laporte de la carrière, l’emplacement originel del’escalier de la synagogue... Autre initiative originale, la conservatrice s’as-socie au réalisateur Jacques Malaterre pourtourner trois films sur les synagogues de l’an-cien Comtat, toujours visibles au musée deCavaillon.

En 1988/1989, la collaboration informelle entreles trois partenaires (Fondation Calvet, Ville deCavaillon et Conseil général de Vaucluse), encours depuis une quarantaine d’années, génèrela signature d’une convention tripartite parlaquelle ils mettent en commun patrimoine etmoyens pour assurer le fonctionnement du ser-vice Musées et Patrimoine de Cavaillon. Lavalorisation du patrimoine juif comtadin est unmoteur dans la signature de cette convention.

L’évolution du musée et l’enrichissementdes collectionsDe façon contradictoire, au cours des vingt der-nières années, le musée juif comtadin s’est enri-chi d’acquisitions d’importance, mais sa présen-tation au public s’est appauvrie pour des raisonsde conservation (humidité des lieux).Aujourd’hui, seuls quelques manuscrits, deslivres issus de la guéniza, des reproductions dephotographies anciennes, des images de lasynagogue avant et après restauration ainsi quedes pierres tombales de l’ancien cimetière juif(déplacé en 1945) sont présentés au public.Parmi les pièces majeures ayant rejoint les col-lections au cours de ces dernières années,notons un tableau anonyme du XVIIe sièclereprésentant l’intérieur d’une synagogue (acquisen 1992). Si la salle commune de la synagoguereprésentée (tabernacle, table de lecture) n’estpas spécifiquement comtadine, la représenta-tion des chapeaux jaunes - imposés aux Juifsdu Pape à compter du XVIe siècle - y est excep-tionnelle.Sylvie Grange a développé un important projet

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de « musée de site » sur l’ancienne carrière. Acette fin, elle a fait acquérir par la municipalitéune maison qui borde la rue hébraïque au nord(maison Sagal et Portugal) et dont une partie estcontemporaine de la synagogue. En 2005,après le départ de ce conservateur, son projetétant abandonné, la Ville a revendu cette mai-son qui fait aujourd’hui l’objet d’un projet immo-bilier.

Projets autour du patrimoine juif cavaillon-naisLa Commission Régionale du Patrimoine et desSites a examiné en novembre 2006 des propo-sitions de protection de plusieurs sites patrimo-niaux juifs. Le bain rituel de Cavaillon a reçu unavis favorable pour son classement, avisconfirmé par la Commission nationale du prin-temps 2007. Dans ce cadre, la Fondation Calveta commandé au Service d’Archéologie duDépartement de Vaucluse une première étudearchéologique. Les premières conclusions decette étude menée par François Guyonnet nousrenseignent sur l’évolution du bain lui-même etde son escalier d’accès. Mais des questionssubsistent : ce bain appartenait-il à une habita-tion privée ? Les membres de la communautépouvaient-ils en bénéficier, et si oui, commentétait organisé son accès ? A terme, une étudeapprofondie du site conditionnera une restaura-tion intelligente et, si les résultats le permettent,une restitution au public proche de l’organisationoriginelle.

Par ailleurs, une proposition d’approche muséo-graphique a été formulée dans le cadre duProjet Scientifique et Culturel du Musée encours de validation par l’Etat2. Il s’agirait, entreautres, d’observer le fonctionnement d’une com-munauté stigmatisée et de valoriser les échan-ges culturels entre communautés juive et chré-tienne (en particulier l’influence provençale dansla culture juive du Comtat, sensible à travers l’ar-chitecture, la langue, les rites…). Cette appro-che muséographique serait un préalable à l’ac-cès au bain rituel restauré, ainsi qu’à la synago-gue et boulangerie de la communauté. L’ancienghetto pourrait alors faire l’objet d’une signaléti-que (limites, puits…), comme par ailleurs d’au-

tres sites patrimoniaux dans la ville. Cependant, au-delà de la carrière et du muséede Cavaillon, c’est un véritable parcours enVaucluse qu’il conviendrait aujourd’hui de mettreen place pour valoriser ce patrimoine spécifiqueau territoire. La mise en réseau des acteurs encharge de la gestion et de l’étude de ce patri-moine, de statuts très divers, est un enjeu préa-lable nécessaire à toute valorisation réussie.

Eléments de bibliographieDumoulin André, Un joyau de l’art judaïque fran-çais, la synagogue de Cavaillon, Paris,Klincksieck, 1970Grange Sylvie, Une famille en Provence : chro-nique photographique 1894-1914, EditionFondation Calvet, collection Musées etPatrimoine de Cavaillon, 1995. Travaux de restauration, Carpentras – Cavaillon,Synagogues comtadines, MonumentsHistoriques, Ministère de la culture et de la com-munication, Aix, Edition LIGNES publicité, 1988

.Notes1 Dons de Denise Levy-Astruc, d’Esther Astruc, d’ArmandLunel, de Hélène Stora, de Joseph Levy, de MonsieurMayer-Astruc, de Monsieur Fischel, de MonsieurBougnias, de Roger Rebestock…2 Quelques éléments des collections en réserves : le«cimetière de livres» : bibles (fragmentaires parfois) desXIVe, XVIe, XVIIe siècles - Pentateuques, livres et amu-lettes cabalistiques (XVIIIe siècle) ; la vie sociale : docu-ments d’archives (contrat de mariage – ketouba -, livre decaisse…), tronc pour les aumônes ; les rites collectifs ouindividuels : lampes de Hanoukka, lampe de Shabat(XVIIIe siècle), tephilah, talith, coupe de circoncision,assiettes, schofar, meguilla (rouleaux d’Esther), yad ... etla lampe à huile romaine ornée d’un motif de doubleménorah, dite « lampe d’Orgon » (Bouches-du-Rhône,Ier siècle av. J.-C. - Ier siècle ap. J.-C.)?, le plus ancientémoignage de la présence juive dans le sud de la France(dépôt).

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1 – Extrait du cadastre de Cavaillon.

2 - Mars 1913, les derniers représentants de la communauté juive deCavaillon devant le tabernacle de la synagogue, clichéJouve, coll. Musées et Patrimoine de Cavaillon.

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3 – L’intérieur de la synagogue de Cavaillon ; vue de la teba, cliché Christophe Grilhé.