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Fiche de lecture

Henri MENDRAS

La Seconde Révolution française 1965-1984

INTRODUCTION

Dans La Seconde Révolution française, publié pour la première fois en 1988, Henri Mendras

n’aborde pas de front la question des conflits sociaux. Il s’agit d’un ouvrage traitant

essentiellement des multiples transformations qu’a connues la société française des années

1960 aux années 1980. Ces transformations ont, aux yeux de l’auteur, tant bouleversé la

structure sociale qu’il les compare à une « Seconde Révolution française ». La question des

conflits apparaît surtout dans le chapitre 4 intitulé « la faucille et le marteau » et le chapitre 12

« une révolution morale ? », mais demeure inséparable de la réflexion que mène H.Mendras

sur l’ensemble de la société française. Nous présenterons donc ces deux évolutions en

parallèle.

A. REMISE EN CAUSE DE LA STRUCTURE DE CLASSES ET DECLIN DU SYNDICALISME

De 1965 à 1984, la société française connaît de profonds bouleversements: elle passe d’une

« structure de classes » à une société où les frontières entre groupes sociaux sont plus ténues.

Cette évolution générale s’accompagne du passage d’un combat syndical intégré à la structure

de classes à un déclin du syndicalisme.

1. LE PREMIER XXEME SIECLE

Le premier XXème siècle se caractérise, selon H.Mendras, par une « structure de classes », au

sens où les clivages entre groupes sociaux demeurent importants. Il distingue deux clivages

principaux, les inégalités de richesse et de niveau de vie et les clivages culturels qui se

cristallisent dans les « styles de vie » et les manières d’être.

La société française se compose alors de quatre classes sociales :

Les « paysans », dont le poids démographique est important, constituent un groupe fermé.

La classe ouvrière, dont le poids démographique, suite à l’industrialisation, est important.

Elle se caractérise par une forte conscience de classe, le sentiment d’appartenance à un

groupe et un sentiment d’opposition.

La bourgeoisie est la classe dominante. Elle est dotée d’un fort pouvoir économique (il

s’agit d’une classe de propriétaires) et d’un certain « style de vie » (habiter dans « beaux

quartiers », posséder une maison de campagne, avoir des domestiques à son service…). La

bourgeoisie a aussi une forte influence politique. Ses membres ont eu le privilège de

fréquenter le lycée et disposent alors d’une culture propre (notamment les « humanités »).

Les classes moyennes ont une importance numérique encore relative. Elles occupent des

positions intermédiaires. Nombreux sont ses membres en voie d’ascension sociale. Elles

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regroupent notamment les commerçants, artisans, petits fonctionnaires, instituteurs,

professeurs et salariés du privé.

Cette « structure de classes » ne laisse que peu de place à la mobilité sociale et se caractérise

par l’importance des rapports de domination. Dans un tel cadre, « le combat syndical

s’intégrait visiblement dans la structure de classes » note H.Mendras. Ainsi, la classe ouvrière

a développé deux institutions qui lui sont propres : le syndicalisme et le parti communiste.

Ces deux institutions favorisent une certaine « conscience de soi » (Marx). La prégnance des

rapports de domination se manifeste par l’importance des conflits sociaux : dans un « univers

de capitalisme libéral », des grèves ouvrières contre un patron « connu et visible » s’ajoutent à

de violentes grèves paysannes (comme celle des bûcherons du Bourbonnais) favorisant d’idée

d’une petite paysannerie rouge.

2. LES FACTEURS DE CHANGEMENT

A) VERS UNE SORTIE DE LA STRUCTURE DE CLASSES

Quatre grandes évolutions ont favorisé l’érosion de cette structure de classes :

1. L’évolution de la population active : l’accélération de l’exode rural à partir des années

1950, la croissance démographique ouvrière jusqu’aux années 1970 précédant une

diminution des effectifs (accompagnant une certaine désindustrialisation) et la tertiarisation

de l’économie favorisant d’un accroissement des employés et des classes moyennes

bouleversent la répartition des effectifs caractéristiques du premier XXème siècle.

2. L’enrichissement de la société française : la croissance économique forte des « Trente

Glorieuses » favorise un enrichissement de la société française qui a profité à tous les

groupes sociaux et notamment aux employés et aux ouvriers dont les niveaux de vie

augmentent significativement. Ainsi, même si les différences entre groupes sociaux

persistent, on perçoit tout de même une réduction certaine des écarts entre groupes.

3. La forte croissance des classes moyennes : la multiplication des emplois « intermédiaires»

dans les entreprises et le secteur public (enseignants, travailleurs sociaux, infirmiers…).

4. Les phénomènes de diffusion culturelle : la généralisation de la scolarisation, le

développement des médias de masse (radio, télévision) suscitent une érosion des anciennes

frontières culturelles entre les groupes sociaux.

B) LES FACTEURS DU DECLIN DE SYNDICALISME

Ces évolutions s’accompagnent d’un déclin du recrutement syndical à partir de la fin des

années 1970. Si Mendras note que ce déclin se manifeste dans l’ensemble des pays

occidentaux, il se centre sur le cas français et discerne trois principaux facteurs :

Le déclin de la grande industrie : la grande industrie lourde laisse la place à l’industrie

électronique ou chimique. Or, le syndicalisme était surtout important dans l’industrie

lourde traditionnelle (charbonnage, sidérurgie, métallurgie…) et les services et

industries nouvelles se développant sont bien souvent peu syndiqués.

Le déclin du parti communiste : le PC passe d’une organisation de masse à un parti de

militants. Si en 1945, un quart des Français ont voté en faveur du PC, le parti

communiste ne représente, à l’heure où écrit Mendras (ie fin des années 1980), qu’à

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peine 10% des voix (et encore moins aujourd’hui…). Les régions où le PC était le plus

influent étaient le sud ouest rural et les banlieues des grandes villes

industrielles (notamment la couronne rouge du nord et l’est parisien). L’e??Oxode

massif des petits paysans et la modernisation de l’industrie expliquent en partie cette

perte d’influence. Mendras souligne que le PC, resté « fidèle à sa conception de la

classe ouvrière » (regroupant les prolétaires des usines, mines et champs), refuse de

séduire d’autres classes sociales. Si le PC incarnait, pour ses militants, une « société

complète » (« [Le parti] leur explique le monde, la société et ses injustices, et fournit

des réponses à toutes les questions » écrit Mendras), le marxisme n’est plus considéré,

à la fin des années 1980, comme « la seule véritable science de la société » suite

notamment aux dénonciations de Soljenitsyne ainsi qu’à l’attitude de l’URSS en

Pologne et en Afghanistan. Mais le déclin du PC peut aussi s’expliquer par

l’enrichissement de la société française : « Le misérabilisme devenait incongru dans

une société qui s’enrichissait rapidement et où les ouvriers voulaient se différencier

des nouveaux pauvres et du quart monde ».

La crise des années 1970 : Dans un contexte de chômage important, se syndiquer

devient un « coût », dans la mesure où être syndiqué peut accroître le risque d’être

licencié.

B. LES ANNEES 1980 : NOUVELLE STRUCTURE DE CLASSES ET TRANSFORMATIONS

DU MOUVEMENT SOCIAL

1. UNE NOUVELLE STRUCTURE SOCIALE

La société française des années 1980, bien que toujours différenciée, se caractérise

essentiellement par des coupures sociales et culturelles plus atténuées que précédemment. Les

années 1960-70-dbt 1980 ont favorisé la « moyennisation » de la société française. La classe

ouvrière, par exemple, laisse place à la « constellation populaire » (Mendras) dont la position

relative a profondément changé : il n’y a plus de coupure sociale et culturelle entre les classes

moyennes et la « constellation populaire ». Les classes moyennes des années 1980 sont

renommées, par H.Mendras, « constellation centrale ». Leur ascension démographique s’est

accompagnée d’une capacité d’influence accrue. Diplômés et plus instruits, les membres de la

« constellation centrale » prônent de nouvelles valeurs (union libre, mouvement écologiste).

2. UNE EVOLUTION DES VALEURS

Cette évolution de la structure sociale s’accompagne alors d’une évolution des valeurs, de la

morale et des mœurs, manifeste avec les événements de Mai 1968 derrière lesquels Mendras

voit une « transformation radicale » du « principe même de la légitimité civique et morale »,

dans la mesure où ce mouvement laisse la possibilité à de nombreuses légitimités (sectes,

mouvements marginaux, corporations, catégories d’âges…) de s’affirmer. Dans cette lignée,

les certitudes morales sont, dans les années 1980, en train de fondre avec une progression

d’un « relativisme cohérent qui autorise chacun à être soi à sa manière ». Dans cette tolérance

accrue résulte une plus grande variété de genres de vie au sein des différents groupes sociaux

et va de paire avec une atténuation des différences hiérarchiques. La « seconde Révolution

française » a donc favorisé le développement??O conjoint de la liberté et de l’égalité. « Dans

les années récentes, notre société a réduit l’écart entre les valeurs qu’elle proclame et la façon

dont les gens les vivent (…) En ce sens, on peut conclure que la révolution a fait plus de

progrès en vingt ans, depuis Mai 68, qu’en deux siècles ». Mai 1968 s’est accompagné de

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l’essor de nombreux mouvements sociaux qui s’essoufflent depuis. Le féminisme, le

régionalisme et le mouvement écologiste ont été, d’après Mendras « tous très rapidement

« récupérés » dans le fonctionnement normal des institutions », ce qui a contribué à les

« affadi[r] ». « Tous ces mouvements auront eu pour principal effet d’ouvrir un espace

politique et culturel neuf où leurs dirigeants ont fait leur apprentissage de notables ».

Cet essoufflement des mouvements sociaux s’accompagne d’une transformation du

syndicalisme.

3. UN RENOUVEAU DU SYNDICALISME ?

Depuis le milieu des années 1970, le syndicalisme français a perdu plus de la moitié de ses

effectifs. Cette réduction du syndicalisme n’est pas homogène, dans la mesure où les

syndiqués demeurent assez nombreux dans les entreprises nationalisées et les services publics,

alors qu’ils sont très peu nombreux dans les entreprises de moins de cent salariés. Si le

nombre de syndiqués a diminué dans l’ensemble des centrales, il est surtout en réduction à la

CGT. Depuis les années 1970, les conflits sociaux se font de moins en moins nombreux, ont

tendance à se localiser tout en devenant souvent « plus longs et plus durs ». Le nombre de

grèves diminue jusqu’en 1993 (la première publication de l’ouvrage date de 1988, mais une

nouvelle édition est remise à jour en 1994 ; d’où ces chiffre??Os…), le nombre de journées

perdues à la suite de grèves n’a jamais été aussi bas qu’au début des années 1990 : culminant

à six millions en 1963, il n’atteint pas 500 000 en 1991. Plus qu’une réduction conjoncturelle

des effectifs, Mendras semble y voir une transformation majeure du mouvement syndical.

A partir du milieu des années 1980, le syndicalisme se trouve confronté à de nouveaux défis,

comme la prise en compte des problèmes particuliers rencontrés par les travailleurs immigrés

ainsi que les transformations du monde du travail. Dans une société où le chômage atteint un

niveau élevé (le chômage touche plus de 10% de la population active française en 1985),

Mendras soutient que les syndicats de révèlent incapables de représenter et de protéger les

chômeurs, la priorité étant donnée à la défense de l’emploi des salariés.

En dépit de la réduction des effectifs et des difficultés rencontrées, Mendras souligne bien que

les syndicats n’ont pas perdu leur influence sur la société. Ainsi, il semble que la perte de

militants et la perte de confiance s’accompagnent d’un « rôle sociétal renforcé ». De plus, la

disparition progressive de l’organisation taylorienne au sein de l’entreprise entraîne la

diffusion des pratiques de concertation et de négociation. Les négociations collectives se

répandent notamment dans les entreprises sous la forme de « cercles de qualité ». La gestion

du temps, les horaires ainsi que l’amélioration des conditions de travail relèvent aussi de la

négociation. Depuis les lois Auroux de 1982, les accords négociés augmentent de 3 à 5% par

an. L’auteur note enfin que les négociations sont plus nombreuses dans l’industrie que dans le

tertiaire, dans les grandes entreprises que dans les petites. Les lois Auroux, Roudy et Rigoux

ont aussi accru les fonctions des comités d’entreprise et ont ouvert aux syndicats de nouveaux

champs de compétence, ce qui les a amenés à se démultiplier en commissions spécialisées :

« Une véritable démocratie socioprofessionnelle s’est rapidement et discrètement instaurée au

cours des dix dernières années. Elle procure aux syndicats un nouveau fondement à leur

légitimité ». Ainsi, l’« institutionnalisation des syndicats contribue à les légitimer et à les

intégrer dans la société civile ».

Fiche de lecture réalisée par Lise Bernard (ENS-LSH)


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