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Fiche pédagogique intermusées
« Musique et musiciens d’Algérie (XIXe-‐XXe siècles) : destins croisés »
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Introduction générale
Le patrimoine musical algérien : un bref aperçu historique
Alger, Oran, Constantine, Paris : capitales des musiques algériennes
1. Des lieux de rencontre
En Algérie, les orchestres arabo-‐andalous, lieux de rencontre entre juifs et musulmans
A Paris, des lieux de rencontre pour les exilés d’Algérie
2. Quelques figures emblématiques
Slimane Azem (1918-‐1983) ; Blond-‐Blond (1919-‐1999) ; Lili Boniche (1921-‐2008) ; Kamal Hamadi (né en 1936) ; Line Monty (décédée en 2003) ; Reinette l’Oranaise (1915-‐1998) ; Shérazade .
3. Quelques instruments-‐phares de la musique arabo-‐andalouse
4. Pour approfondir
Bibliographie sommaire
Discographie sommaire
Filmographie
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Introduction générale :
Le patrimoine musical algérien : un bref aperçu historique
Le patrimoine musical algérien populaire et savant est riche et diversifié. Il mêle plusieurs styles musicaux, issus des musiques liturgiques comme des traditions populaires orales, et intègre plusieurs langues parfois entremêlées, allant de l’arabe classique au français en passant par l’arabe dialectal algérien, le kabyle, le chaoui (langue berbère), etc.
La musique arabo-‐andalouse a formé la matrice principale des musiques d’Algérie jusqu’au dernier tiers du XXe siècle. Son origine remonte au haut Moyen-‐Âge : elle naît dans l’Andalousie musulmane vers les VIIIe-‐IXe siècles avec pour fonction principale l’accompagnement des noubas (« suites » en arabe), suites d’airs instrumentaux soutenant ou dialoguant avec de la poésie chantée et interprétés selon un ordre strict et immuable. La musique arabo-‐andalouse fut longtemps un plaisir mondain réservé aux couches supérieures de la société musulmane. Ses compositions et les techniques instrumentales qui lui sont associées, centrées sur de la pratique du ‘oud*, se sont diffusées de manière orale jusqu’au début du XXe siècle. Quand l’un des grands maîtres de la musique arabo-‐andalouse disparut en 1899, emportant dans sa tombe le quart de son répertoire de noubas, l’auteur juif Edmond Yafil entreprit de retranscrire les noubas dont il pouvait encore prendre connaissance à l’époque. L’ouvrage fut publié en 1904 sous le titre Répertoire de musique arabe et maure.
Entre le début du XXe siècle et les années 1930 naît une génération de musiciens musulmans et juifs qui, ensemble ou séparément, vont donner à la musique du Maghreb une visibilité inédite et se faire l’écho à travers elle d’une sensibilité nouvelle, mêlant respect de la tradition et attirance pour les nouveaux modes d’expression musicale de la jeunesse occidentale, depuis le style crooner adopté
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par Salim Halali (1920-‐2005) jusqu’au registre de la chanson réaliste de Line Monty* (années 1920-‐2003), qui fut surnommée « l’Edith Piaf orientale », en passant par les accents bluesy de la guitare de Lili Boniche* (1921-‐2008) ou encore la chanson engagée de Slimane Azem*.
La dénomination même du courant musical illustré par cette génération d’interprètes algériens fait débat. Pour certains, il s’agit de « musique judéo-‐arabe » tandis que d’autres, à l’instar du célèbre interprète juif Lili Boniche, lui préfèrent le vocable de « musique arabe » :
« Est-‐ce qu’on dit d’un musulman qu’il joue de la musique islamo-‐arabe ? Je joue de la musique arabe, un point c’est tout ! »1.
S’exilant en France par nécessité ou par choix de carrière entre les années 1930 et les années 1970, ces artistes diffusent de l’autre côté de la Méditerranée une grande variété de styles musicaux populaires algériens empruntant à tous les registres. Bien que l’essentiel du répertoire de ces artistes soit composé de chansons d’amour, y filtrent également d’autres thèmes, tels l’exil, la nostalgie du paradis perdu (celui des paysages algériens comme celui de l’enfance ou de l’adolescence), le souvenir mélancolique ou au contraire joyeux de l’atmosphère de bonne entente entre juifs et musulmans dans l’Algérie d’avant l’indépendance, ou encore l’aspiration à la libération du joug colonial.
Les expositions Vies d’exil. Des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie (1954-‐1962) à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration et Juifs d’Algérie au Musée d’art et d’histoire du judaïsme mettent significativement toutes les deux l’accent sur cette génération particulière de musiciens et compositeurs algériens née entre les deux guerres mondiales et dont les derniers représentants encore vivants sont désormais très âgés.
Alger, Oran, Constantine, Paris : capitales des musiques algériennes
Les grandes villes du territoire algérien, la capitale Alger, Oran, Constantine, ont chacune développé un style musical qui lui est propre, depuis le châabi algérois jusqu’au malouf constantinois en passant par le cabaret oriental qui fit les grandes heures des clubs d’Oran dans les années 1920 et 1930, avant de s’exporter à Paris un peu plus tard (cf. ci-‐dessous).
S’il n’est pas difficile de repérer des racines communes à ces différents styles musicaux puisant tous peu ou prou aux modes de la musique arabo-‐andalouse, chacun s’illustre par des références littéraires et des orchestrations spécifiques.
Le châabi, né à Alger au début du XXe siècle, prend ainsi sa source dans le chant religieux (dit medh en arabe) initialement chanté exclusivement dans la Casbah d’Alger à l’occasion des fêtes familiales. Il a progressivement été popularisé à partir des années 1930, grâce à la radio et au phonographe. Bien qu’utilisant un instrumentarium relativement traditionnel (instruments à percussion derbouka* et tar*, mandole*, guitare, banjo, flûte ney*, cithare dite qanûn*), le châabi algérien a connu une évolution stylistique importante dans les décennies qui ont suivi l’indépendance de l’Algérie. La mélodie a notamment pris une place déterminante au détriment des fioritures instrumentales et vocales qui caractérisaient ce style musical jusque-‐là. Le répertoire lui-‐même s’est davantage concentré sur les heurs et malheurs de la vie quotidienne dans l’Algérie contemporaine, permettant à son public une identification plus grande aux thèmes développés dans les chansons de style châabi.
1 Lili Boniche, cité par Le Matin (Alger), 20 mars 2008, repris par Jérémy Guedj, « La musique judéo-‐arabe, patrimoine de l’exil », in Driss El Yazami, Yvan Gastaut, Naïma Yahi (coord.), Générations. Un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France, Paris, éditions Gallimard – Cité nationale de l’histoire de l’immigration, 2009, p. 148.
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Le malouf est le terme désignant le genre musical savant et profane qui s’est diffusé dans une large partie du Maghreb, distinct de la musique savante arabe du Moyen-‐Orient et d’Egypte. En Algérie, le point d’ancrage de ce style musical est la ville de Constantine (située dans l’intérieur des terres, à l’Est d’Alger) qui s’est longtemps réclamée de l’école de Séville, l’une des trois grandes écoles de la musique arabo-‐andalouse. Progressivement, à Constantine qui a compté une communauté juive importante à l’époque moderne, ces derniers se sont imposés dans l’interprétation du répertoire andalou. Raymond Leyris (19012-‐1961), surnommé « Cheikh Raymond » en raison de son jeu virtuose à l’oud, né de père juif et de mère catholique et adopté par une famille juive de Constantine, est considéré comme l’un des plus éminents interprètes de ce style musical s’appuyant sur la grande tradition arabo-‐andalouse avec un souci patrimonial affirmé et revendiqué.
Cheikh Raymond, par ailleurs beau-‐père du guitariste et chanteur Enrico Macias (Sylvain Ghrénassia, né en 1938 à Constantine), fut assassiné par le FLN (Front de Libération Nationale) le 22 juin 1961. La disparition tragique de cette figure emblématique de la culture traditionnelle constantinoise devint le symbole de la rupture désormais consommée entre juifs (qui représentaient alors un peu moins de 40% des habitants de la ville) et musulmans constantinois.
La variété francarabe est un style populaire qui s’est popularisé particulièrement dans la ville d’Oran où résidèrent de nombreux Français d’Algérie jusqu’à la veille de l’indépendance algérienne. Ce style mêlant français et arabe et puisant rythmes et instruments aux musiques de danse occidentales et au jazz connut un grand succès localement avant s’exporter dès les années 1940 à Paris, grâce à des artistes tels que le chanteur Blond-‐Blond* ou le pianiste Maurice El Medioni. L’autre grande figure musicale de la ville, Sultana Daoud dite Reinette l’Oranaise*, formée à l’instar des artistes précédents par le célèbre chanteur Saoud El Medioni dit Saoud l’Oranais, se produisit aussi bien dans le registre populaire que savant de la musique arabo-‐andalouse.
Maurice El Médioni (le premier au 2e rang) avec l’orchestre Bendaoud à l’Opéra d’Oran 1960. Archives familiales © MAHJ
A la fin des années 1970, Oran est également devenue la capitale nationale du raï, style musical populaire qui à l’époque connut une révolution stylistique importante en mêlant aux instruments et mélodies traditionnels des rythmes nouveaux (venus du reggae, du funk ou encore de la disco) pour proposer une musique de fusion dont le succès auprès de la jeunesse algérienne des années 1970 et 1980 fut fulgurant.
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1. Des lieux de rencontre
En Algérie, les orchestres arabo-‐andalous, lieux de rencontre entre juifs et musulmans
Qu’il s’agisse des ensembles de musique châabi très présents à Alger jusqu’à la veille de l’indépendance ou dans les orchestres de malouf à Constantine, musiciens juifs et musulmans se côtoyaient quotidiennement et entretenaient bien souvent des relations de complicité importante. Le microcosme de la Casbah d’Alger, où de nombreuses familles juives résidaient avant l’indépendance, offre un cas particulier que le documentaire d’une jeune réalisatrice franco-‐irlando-‐algérienne, Safinez Bousbia, El Gusto (2012) a fait récemment redécouvrir.
Ce documentaire, bien qu’emprunt de nostalgie, pointe une réalité sociologique, celle de la présence conjointe d’artistes populaires des deux confessions dans ces orchestres. Si le musulman Mohamed El Hadj El Anka (1907-‐1978) peut être à juste titre considéré comme celui qui a permis au châabi algérois de franchir une étape décisive en permettant qu’il soit enseigné au Conservatoire municipal d’Alger en 1957, nombre de ses disciples furent juifs, de Lili Boniche à Luc Cherki (guitariste et chanteur, né en 1936), tandis que certains des ensembles les plus célèbres furent dirigés par des artistes juifs, tel Elie Moyale dit Lili Labassi, chef d’orchestre et chanteur de châabi, père du comédien Robert Castel. Ces ensembles accompagnaient tant les fêtes traditionnelles musulmanes que juives et se produisaient régulièrement dans les cabarets d’Alger et d’Oran, avant de s’exporter avec succès à Paris et Marseille.
La guerre d’indépendance et les interdictions formulées par le FLN aux musiciens, juifs comme musulmans, de se produire auprès du public européen d’une part, les Accords d’Evian précipitant le départ des musiciens juifs d’Algérie vers la France d’autre part, mirent un terme quasi-‐définitif à cette atmosphère de partage.
A Paris, des lieux de rencontre pour les exilés d’Algérie
Le café dit « nord-‐africain » est un lieu de sociabilité essentiel pour les immigrés algériens en France2. Ces hommes seuls, exilés sans leurs familles, logés dans des conditions précaires (foyer, hôtel meublé, bidonville) s’y retrouvent après le travail. On vient y écouter les chanteurs et musiciens – comme Slimane Azem* -‐ eux-‐mêmes déracinés, qui y disent leur nostalgie du pays. C’est aussi le lieu du militantisme politique. Dès l’entre-‐deux-‐guerres, les militants messalistes haranguent les travailleurs immigrés algériens dans les cafés-‐restaurants. Les réunions locales de l’Étoile nord-‐africaine puis du Parti du peuple algérien s’y organisent. Les productions artistiques (musique, chansons, danse et productions théâtrales) jouent un rôle central dans la mobilisation. Les réunions se transforment souvent en soirées musicales.
L’impact de ces soirées sur l’immigration algérienne est réel. Elles permettent de renforcer la cohésion sociale au sein d’une communauté nord-‐africaine souvent marginalisée socialement et culturellement. Elles jouent un rôle clé dans l’activité politique des nationalistes algériens. Ces « fêtes arabes », selon l’appellation policière, accroissent l’audience des idées nationalistes. La mobilisation politique y compris pendant la guerre d’Algérie ne se limite pas aux questions idéologiques, elle renforce également les liens au sein de l’immigration en célébrant la culture et les valeurs communes qui justifient la lutte pour l’émancipation.
2 Voir aussi la fiche intermusées Cité nationale de l’histoire de l’immigration – Musée d’art et d’histoire du judaïsme : « Quels bouleversements identitaires après l’exil ? Juifs d’Algérie et immigrés algériens en France »
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Pierre Boulat (1924-‐1998), Le café de la rue Maître-‐Albert, 1955. ©EPPPD-‐Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration, CNHI
Le cabaret oriental est un lieu de fête moins fermé sur le milieu des travailleurs immigrés maghrébins. Ils se multiplient avant la Seconde Guerre mondiale et se concentrent dans le quartier de La Huchette dans le Vème arrondissement parisien. Le cabaret El Djazaïr, ouvert par Mohamed Iguerbouchen, est l’un des plus fameux. Salim Halali lui-‐même dirige deux cabarets à la fin des années 1940 : Ismaïlia Folies, puis Le Sérail dans le VIIIème arrondissement, avant de partir pour Casablanca ouvrir un autre établissement3. Beaucoup d’autres, au nom évocateur : Le Tam-‐Tam, Le Koutoubia, Les Nuits du Liban, Le Morroco, Le Bagdad ou le Dar-‐el-‐Beïda, sont des lieux de sociabilité et de solidarité transnationale. Ils attirent d’ailleurs une clientèle de célébrités françaises. Musiciens français, juifs et musulmans jouent ensemble. En dépit des soubresauts de l’histoire, dès l’entre-‐deux-‐guerres et y compris pendant la guerre d’Algérie, des artistes juifs et musulmans poursuivent la tradition des orchestres qui se produisent avec succès en Algérie. Ainsi Blond-‐Blond* joue régulièrement avec Kamal Hamadi* et chantera pour célébrer l’indépendance dans un café d’Asnières. Les cabarets orientaux très en vogue à Paris déclinent peu à peu à partir de la fin des années 1960.
Carte postale publicitaire de 1958 du cabaret El Djazaïr. ©Collection particulière
3 Voir Driss El Yazami, « Paris, scène maghrébine », in Générations. Un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France, Paris, éditions Gallimard – Cité nationale de l’histoire de l’immigration, 2009.
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2. Quelques figures emblématiques
Slimane Azem (1918-‐1983) :
Poète et chanteur kabyle, Slimane Azem naît le 19 septembre 1918 à Agoni Ggeghran et meurt le 28 janvier 1983 à Moissac (Tarn-‐et-‐Garonne).
Émigré en 1937, Slimane Azem connaît le destin de nombreux travailleurs algériens en métropole. Il devient ouvrier dans une aciérie de Longwy pendant deux ans avant d’être mobilisé au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Il est réformé en 1940 et rejoint la capitale puis est embauché dans le métro parisien. Il est réquisitionné pour le STO dans les camps de travail de la Rhénanie entre 1942 et 1945.
Après la Libération, il tient un café dans le XVème arrondissement où il chantera devant un public pour la première fois. Sur les encouragements d’un autre chanteur de l’immigration, Mohamed El Kamal, il compose ses propres chansons et se produit sur scène à la fin des années 1940. Il enregistre sa première chanson « A Moh A Moh » en 1951 : véritable complainte sur l’exil et hommage au poète kabyle Si Mohand u Mhand. Pendant la guerre d’indépendance algérienne, il poursuit son activité musicale et compose la très célèbre chanson « Criquets, quittez mon pays ! », qui dénonce les méfaits du colonialisme, les colons étant assimilés à des criquets dévastateurs. En 1971, il est le premier artiste algérien à recevoir un disque d’or.
Blond-‐Blond (1919-‐1999) :
Né Albert Ruimi à Oran en 1919, Blond-‐Blond, surnommé ainsi parce qu’albinos, s’initie à la musique dans les cabarets orientaux de sa ville natale avant d’émigrer à Paris en 1937, la même année que Slimane Azem*. Il se fait connaître par un style nouveau, marqué par une présence scénique forte (il est souvent « ambianceur » des soirées dans lesquelles il joue), un répertoire mêlant les registres classique et fantaisie, et une pointe d’humour bon enfant qui font la marque de fabrique de nombre de ses succès. De 1939 à 1946, il passe la guerre à Oran. C’est dans sa ville natale qu’il enregistre en 1950 le titre « L’Oriental » en francarabe (mélange de français et d’arabe), qui connaît un très grand succès et sera repris par Enrico Macias.
Après la guerre, il retourne à Paris et devient un habitué d’un des plus célèbres cabarets orientaux de la Rive Gauche à Paris, le El Djazaïr où il partage la vedette avec notamment Kamal Hamadi*. En dehors de ses prestations scéniques, Blond-‐Blond collabore comme musicien de studio avec les musiciens algériens musulmans exilés à Paris, tels les kabyles Zerrouki Alloua et Slimane Azem*.
En 1962, il est le seul chanteur judéo-‐arabe à chanter à Asnières pour fêter l’indépendance algérienne et pouvoir encore se produire en Algérie au début des années 1970.
Photo ©MAHJ
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Lili Boniche (1921-‐2008) :
Elie Boniche, dit Lili Boniche, est né à Alger en 1921 dans une famille juive. Guitariste, chanteur et compositeur, il est reconnu comme l’un des grands interprètes de la musique arabo-‐andalouse, en particulier du style algérois chaâbi* qu’il a largement contribué à populariser en France.
Son père, musicien, encourage les dispositions musicales de son fils en l’envoyant à l’âge de dix ans apprendre auprès de Saoud l’Oranais, maître du hawzi, dérivé populaire de la musique classique arabo-‐andalouse. Encore adolescent, déjà virtuose, il se voit confier une émission musicale à l’antenne de Radio Alger.
Décidé à innover, Lili Boniche modernise son style en mélangeant chaâbi, rumba, paso doble, mambo et musique arabo-‐andalouse. Il écrit des chansons en « francarabe ». L’un de ses grands succès est sa reprise de la chanson « Bambino » de Dalida. De manière générale, sa musique devient extrêmement populaire et il se produit dans de nombreux cabarets.
Après l’indépendance en 1962, il quitte l’Algérie pour la France où il se lance dans les affaires. Il ne retrouve le chemin de la scène et des studios que dans les années 1990 après plusieurs années éloigné des milieux artistiques professionnels. Le « crooner de la Casbah » sort l’album « Alger Alger » en 1999 et fait un triomphe la même année à l’Olympia. Il meurt à Paris le 6 mars 2008 à l’âge de 85 ans.
©Mahj, Karina Feredj
Kamal Hamadi (né en 1936) :
Sa rencontre décisive avec Slimane Azem*, le père de la chanson kabyle, oriente Kamal Hamadi, de son vrai nom Larbi Zeggane, vers la musique. Il délaisse son métier de tailleur et intègre à l’âge de 17 ans Radio Alger où il participe à de nombreuses opérettes et aux émissions enfantines. Il y rencontre Noura, qui deviendra sa muse, son épouse et l’une des plus grandes chanteuses algériennes. Ils se rendent tous deux à Paris en 1959 où Kamal prend contact avec Radio Paris et des maisons de disques. Plusieurs d’entre elles font ensuite appel à lui. Il développe sa carrière en France en collaborant avec la maison de disques Pathé Marconi. Il écrit des chansons pour son épouse qui remportent de grands succès comme « Ya Rabi Sidi » (Oh mon Dieu), adaptation d’une chanson traditionnelle sur le départ d’un fils pour la France. Il compose également pour de nombreux chanteurs maghrébins comme Karim Tahar, Saloua ou El Anka. Parallèlement, il poursuit lui-‐même une carrière de chanteur avec pour thèmes de prédilection la vie quotidienne des Algériens, l’amour ou l’exil. Au cœur du quartier de Barbès, il côtoie de grandes figures du patrimoine musical maghrébin comme Dahmane El Harrachi ou Blond-‐Blond qui l’accompagne au tar. Son travail de compositeur contribue grandement à l’obtention par Noura en 1971 du premier disque d’or (1 million d’exemplaires chez Pathé Marconi) remis à une chanteuse algérienne en France. Kamal Hamadi vit toujours aujourd’hui entre la France et l’Algérie et a plus de 500 chansons à son répertoire. Il est considéré comme l’un des plus grands auteurs-‐compositeurs-‐interprètes algériens.
Carte postale publicitaire éditée par La Voix du Globe dans les années 1960 ©Collection particulière
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Line Monty (décédée en 2003) :
Line Monty est née dans une famille juive algéroise. Le style qu’elle a forgé, à mi-‐chemin de la chanson réaliste inspirée par Edith Piaf et de la chanson arabe magnifiée par la voix de la diva égyptienne Oum Kalsoum, exprime à merveille la rencontre des cultures arabe et française, devenant l’une des stars les plus emblématiques de la chanson orientale. S’exprimant aussi bien en langue arabe qu’en français (c’est d’ailleurs comme chanteuse française « chantant si bien l’arabe » qu’elle se fait connaître en Egypte), ou en francarabe*, elle rencontre un succès dépassant largement le public traditionnel avec « L’Orientale ». Délaissant progressivement le français pour un répertoire que lui réclame son public en dialecte algérien ou en francarabe, Line Monty instilla beaucoup de mélancolie et de nostalgie dans les chansons qui firent son succès. Elle est décédée à Paris en 2003.
Photo © MAHJ
Reinette l’Oranaise (1915-‐1998) :
Reinette l’Oranaise est née Sultana Daoud à Tiaret en Algérie en 1915 dans une famille juive religieuse marocaine et algérienne. Elle est décédée à Paris en 1998. Rendue aveugle à l’âge de deux ans à cause d’une variole contractée et mal soignée, la jeune Sultana Daoud suit tôt les leçons du maître oranais de la musique arabo-‐andalouse, Messaoud Medioni dit Saoud l’Oranais qui la baptise « Reinette l’Oranaise » et avec qui il se produit sur les scènes d’Oran dans un duo où l’opposition entre la voix « fraîche » de Reinette et la voix plus grave de Saoud font merveille. Elargissant son répertoire depuis le châabi algérois* et le style populaire arabo-‐andalou chanté en dialecte algérien vers le grand répertoire classique arabo-‐andalou en arabe classique, elle connaît le succès en Algérie, se produisant régulièrement à la radio, accompagnant aussi bien des cérémonies juives que musulmanes et pouvant, fait exceptionnel, chanter dans un orchestre d’hommes. Après 1962 et son installation en France, elle sombre dans l’oubli, avant d’être finalement redécouverte en 1986 à l’occasion d’un récital donné à Paris et reprendre tournées internationales et productions de disques.
Photo © MAHJ
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Shérazade :
Sherazade4 est arrivée en France à l’âge de 3 ans. Après avoir épousé un militaire français, elle s’installe à Paris où une de ses amies l’initient à la danse orientale et lui fait connaître le cabaret El Djazaïr. Elle y est immédiatement engagée et rencontre un vif succès. Pendant la guerre d’Algérie, elle est comme tous les Algériens vivant en France, artistes ou ouvriers, soumise au paiement des cotisations au FLN pour soutenir la lutte pour l’indépendance. Elle devient même ponctuellement « porteuse de valises ». Lors de ses numéros sur la scène du cabaret El Djazaïr, elle rencontre de nombreuses célébrités comme Line Renaud. Après la guerre d’Algérie, sa carrière devient internationale. Elle témoigne aujourd’hui dans l’exposition Vies d’exil. Des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie 1954-‐1962 à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.
Photo : Shérazade posant dans le cabaret El Djazaïr ©Collection particulière
3. Quelques instruments-‐phares de la musique arabo-‐andalouse
‘Oud : instrument de musique à cordes pincées né probablement vers 1800 avant notre ère, très répandu dans les pays arabes, en Turquie, en Grèce, en Azerbaïdjan et en Arménie. Son nom vient de l'arabe al-‐oud (signifiant « le bois »), terme transformé en Europe en laute, alaude, laud, liuto, luth. Instrument soliste de la musique arabe par excellence, l'oud est aussi employé comme basse mélodique ou rythmique dans les ensembles instrumentaux, à moins qu'il n'accompagne un chanteur.
Qanûn : instrument à cordes pincées de la famille des cithares sur table, très répandu dans les pays du Moyen-‐Orient ainsi qu'en Grèce, en Iran, en Azerbaïdjan, en Arménie et au Turkestan chinois. Bien qu’on le trouve épisodiquement dans les orchestres arabo-‐andalous, c'est essentiellement la musique savante arabo-‐turque, les maqâms, qui est jouée sur cet instrument difficile. Il peut se jouer en solo, ou accompagné d'une percussion (riqq ou daf) ou en accompagnant un chanteur ou un ensemble.
Violon : le violon a progressivement remplacé le rebab dans les orchestres de musiques arabo-‐andalouse au cours du 20e siècle. A l’image du rebab, instrument bicorde exécuté pour les gammes orientales se jouant généralement assis à la verticale, le violon (ou parfois violon alto) tel qu’il est employé dans la musique arabe, bien qu’accordé à la quinte comme dans la musique occidentale, est le plus souvent positionné verticalement, sur le genou gauche, afin de permettre au soliste de chanter à l’aise.
Derbouka (ou darbouka) : il s’agit de l'un des principaux instruments de percussion du monde arabo-‐musulman, traditionnellement faite en terre cuite ou céramique, bien que des versions en métal ou plus rarement en bois soient apparues du fait de sa fragilité. Il existe plusieurs techniques de jeu, qui se rejoignent sur certains points, mais qui permettent de distinguer les écoles arabes des écoles turques, avec des variations régionales importantes.
4Lire son témoignage : « Sherazade ‘Toi, tu deviendras danseuse !’ » in Benjamin Stora, Linda Amiri (sous dir.), Algériens en France. 1954-‐1962 : la guerre, l’exil, la vie, Paris, coédition Cité nationale de l’histoire de l’immigration – Autrement, 2012, p.140-‐145.
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4. Pour approfondir
Bibliographie sommaire
-‐ Slimane AZEM, Youssef NACIB, Slimane Azem : le poète, Publisud, 2002. -‐ Driss EL YAZAMI, Yvan GASTAUT, Naïma YAHI, Générations. Un siècle d’histoire culturelle des
Maghrébins en France, Paris, Gallimard – Génériques -‐ Cité nationale de l’histoire de l’immigration, 2009.
-‐ Jean-‐Charles SCAGNETTI, L’aventure scopitone (1957-‐1983) : histoire des précurseurs du vidéoclip, Paris, Autrement, collection « Mémoires / Culture », 2010, 151p.
-‐ Benjamin STORA, Linda AMIRI (sous dir.), Algériens en France 1954-‐1962 : la guerre, l’exil, la vie, Paris, coéditions Autrement – Cité nationale de l’histoire de l’immigration, 2012, 223p.
-‐ « Algérie – France. Une communauté de destin », Hommes et migrations, n°1295, Cité nationale de l’histoire de l’immigration, janvier-‐février 2012.
-‐ « La chanson maghrébine de l’exil en France. 1950-‐1970 », Écarts d’identité, n° spécial, Aralis, Génériques, juillet 2009.
-‐ « Musiques et films : archives pour l’histoire de l’immigration », Migrance, n°32, Génériques, 4ème trimestre 2008.
Discographie sommaire
-‐ Génériques, HnaLghorba : nous sommes l’exil. 1937-‐1970. Maîtres de la chanson maghrébine en France, Paris, Génériques, EMI Music France, 2008 (3 CD + un livret)
-‐ Slimane AZEM, Tasekkurt, Saint-‐Denis, Creativ Productions, 2005. -‐ Slimane AZEM, Le malheur des temps, Saint-‐Denis, Creativ Productions, 2007. -‐ Slimane AZEM, Les temps révolus, Saint-‐Denis, Creativ Productions, 2007. -‐ Slimane AZEM, La carte de résidence, Saint-‐Denis, Creativ Productions, 2008. -‐ Lili BONICHE, Il n’y a qu’un seul Dieu : live à l’Olympia (janvier 1999), Paris, Warner Music
France, 1999. -‐ BLOND BLOND, Trésors de la chanson judéo-‐arabe Blond Blond, Vincennes, Buda Musique,
2006. -‐ BLOND BLOND, Line MONTY, Youssef HAGEGE, Les stars du music hall d’Algérie, Paris,
Nocturne, 2006 (1 BD + 1 CD + 1 DVD) -‐ Kamal HAMADI, Kamal Hamadi, Saint-‐Denis, Creativ Productions, 2005. -‐ Kamal HAMADI, NOURA, Noura Kamal Hamadi, Saint-‐Denis, Creativ Productions, 2006. -‐ Reinette l’Oranaise, Trésors de la chanson judéo-‐arabe, Reinette l’Oranaise, Vincennes, Buda
Musique, 2006.
Filmographie :
-‐ Safinez BOUSBIA, El Gusto, Quidam Productions, 2012. Coffret DVD incluant le documentaire sur la musique châabi à Alger et le concert de l’orchestre El Gusto à Paris-‐Bercy en 2007