L A R E V U E D E S B I B L I O T H Q U E S
M A R S - A V R I L 2 0 1 4 B I M E S T R I E L
185
1 D I T O R I A L
1
Pratiques de lecture versus Competences en lecture
L a Foire du livre a t comme chaque anne une for-midable caisse de rsonance pour le livre, mettant en vidence non seulement la production ditoriale, mais aussi tous les acteurs de la chane du livre. Les bibliothcaires
de la Fdration Wallonie-Bruxelles y tenaient un stand din-
formation. Les visiteurs, la recherche dun livre ou dune
information adquate bnficiaient ainsi concrtement de
lune des facettes de leur mtier : le conseil.
Dernier - dans la chronologie - et essentiel maillon de la
chane du livre, le lecteur mrite toute lattention. Il est un
autre public auquel il sagit de sadresser : les non-lecteurs.
La dernire enqute dEurobaromtre1 nous indique que la
lecture recule. Alors quen 2007, 71% des Europens affir-
maient avoir lu au moins un livre lors des douze derniers
mois, en 2013 ils ne sont plus que 68%. La Belgique est la
trane en affichant le chiffre de 65%.
Ce recul de la lecture de livres est par ailleurs corrobor par
les rsultats de lenqute 2007 mene en Communaut fran-
aise sur les pratiques culturelles2 o 66% des Belges franco-
phones disaient avoir lu un livre ces 12 derniers mois et ceux
de lenqute IPSOS sur lobservation des marchs numriques
du livre mene en 20133 indiquant que 38% des Belges fran-
cophones navaient lu aucun livre ces 12 derniers mois.
Les chiffres ne disent pas tout. Il convient de nuancer ces
rsultats, mme sils restent inquitants. Lire ne se limite pas
la lecture de livres, ce concept sous-entendant trs souvent
la notion de lecture fictionnelle. Aujourdhui les supports et
pratiques de lecture se diversifient et se multiplient.
cot des enqutes sur les pratiques de lecture, les tudes sur
les comptences en lecture nous apportent un autre clairage
sur la situation de la lecture en Fdration Wallonie-Bruxelles.
Dans un environnement o lcrit a une place prpondrante,
les jeunes et les adultes possdent-ils les comptences lan-
gagires indispensables pour sinsrer dans la socit ? Cette
question doit faire lobjet dune attention permanente.
Les rsultats de la dernire tude PISA - diffuss en dcembre
dernier - montrent une lgre amlioration des comptences
en lecture pour les jeunes de 15 ans. Leur score moyen (497
points) les place juste au-dessus de la moyenne OCDE.
Il nempche que les jeunes francophones se situent loin der-
rire la Flandre (518 points).
Ces moyennes traduisent en ralit de fortes disparits en
fonction de lorigine sociale des lves. Les difficults en lec-
ture pour les catgories dfavorises se marquent ds lcole
primaire. Une tude, mene en 2011, a compar les comp-
tences en lecture en 4e primaire dans 58 pays4 : 30% des lves
de la FWB ne dpassent pas un niveau lmentaire contre 19%
en moyenne dans les pays de lunion europenne ou de lOCDE.
Il sagit ici dun enjeu de socit essentiel qui nous concerne
tous : la lecture est un des fondements de la russite scolaire et
en consquence, de lintgration socioprofessionnelle.
La lecture, cest laffaire de tous . Sous ce titre, les ministres
de la Culture, de lEnseignement obligatoire et de lEnseigne-
ment suprieur ont runi un colloque le 13 fvrier dernier.
Les acteurs de terrain ont fait le bilan des expriences pilotes
menes dans le cadre des classes lectures et ont aliment
la rflexion concernant les liens coles-bibliothques-acteurs
culturels renforcs par un projet commun. Enseignants et
bibliothcaires ont pu tmoigner de lenrichissement mutuel
qua apport lexprience des classes lectures dans la ralisa-
tion de leur objectif commun : permettre lenfant de sap-
proprier lcrit en lui donnant sens.
La lecture devrait tre place au centre de nos politiques du-
catives, sociales ou culturelles et mobiliser tous les secteurs.
Cest dailleurs ce que font les bibliothcaires sur le plan local
lorsquils mettent sur pied un plan de dveloppement de lec-
ture et nouent des partenariats notamment avec les crches,
les coles, les associations dalphabtisation, les maisons de
jeunes ou les AMO.
Tous ensemble pour la lecture afin de renforcer les comp-
tences et les pratiques, nest-ce pas l un dfi porteur rele-
ver afin de permettre au plus grand nombre davoir accs la
connaissance et de sinsrer dans la socit ? 1 Eurobaromtre, Accs et participation la culture, novembre 2013.2 GURIN Michel, Pratiques et consommation culturelles en
Communaut franaise , Courrier hebdomadaire du CRISP, ns2031-2032, anne 2009.
3 Observation des marchs numriques du livre, PILEN, ADEB, IPSOS, avril 2013.4 SCHILLINGS P., et LAFONTAINE D., Les rsultats de lenqute PIRLS sur
la lecture en 4e primaire, caractre 44, 2013.
M a r t i n e G a r s o u d i r e c t r i c e g n r a l e a d j o i n t e
21 DITORIAL Pratiques de lecture versus Comptences en lecture par Martine Garsou
4 PARTENARIAT Jardins littraires et scnes ouvertes : partenariat avec les centres culturels par Hugues Dorze
10 COLLOQUE10 - Colloque Droit europen et politiques culturelles par Florence Richter14 - 80e Congrs de lIFLA Lyon en 2014 par Sylvie Hendrickx et Franoise Vanesse
18 INTERNET Une bibliothque 100% numrique ! par Philippe Allard
Lectures n18532e anne Mars-Avril 2014Ne parat pas en juillet-aotISSN 0251-7388
20 SOCIT20 - Des guides aux pays des mots par Pol Charles23 - Bouddhisme : mode ou attrait authentique ? par Vinciane Strale
27 AVENTURE De trs longtemps dici peu par Jacques Crickillon
32 JEUNESSE32 - Des classiques au got du jour par Michel Defourny35 - Lire 14-18 aujourdhui par Daniel Delbrassine39 - mile Jadoul et le quotidien des petits par Isabelle Decuyper
B I M E S T R I E L
S O M M A I R ERRRR
342 BD Sur Cauvin et Rosinski par Franz Van Cauwenbergh
46 JEU Gueules noires, Titanic, et lapin magicien par Pascal Deru
52 BRVE52 - Guides pratiques Mutualisation et gestion des priodiques53 - Cahier Histoire de Belgique, addendum
54 POCHE par Marie-Angle Dehaye 57 RECENSION
76 RDACTION DE LECTURES
4
39
M A R S - A V R I L 2 0 1 4
4 Lectures 185, mars-avril 2014
P A R T E N A R I A T
Jardins littraires et scnes ouvertes : partenariat avec les centres culturels
Entre les centres culturels et les
bibliothques, les collaborations vont
bon train. Pas partout et tout le temps,
mais depuis quelques annes, les partenariats
se multiplient a et l (animations, projets en
commun, partage de locaux,) Dsormais,
le nouveau dcret relatif aux centres
culturels ax sur le droit la culture pour
tous devrait intensifi er ces partenariats
entre deux acteurs cls de lducation
permanente.
par Hugues DORZErdacteur en chef adjoint dImagine
T ant du ct des centres culturels que de la lecture publique, on est dans la mme dmarche dduca-tion permanente. Il y a cette mme perspec-
tive dgalit et dmancipation, douverture
la culture, de dcouvertes. Certes, chacun
a ses spcifi cits et ses missions propres,
mais il y a dvidentes affi nits communes ,
explique Sophie Levque, de la Direction des
centres culturels (Ministre de la Culture de la
Fdration Wallonie-Bruxelles).
Pour les 115 centres culturels (CC) actuelle-
ment reconnus en Communaut franaise, ces
passerelles vers les bibliothques devraient,
sur papier du moins, sintensifi er. En effet, le
secteur est dsormais organis sur base dun
nouveau dcret entr en vigueur au premier
janvier qui refi xe les missions des centres
culturels, leurs modes de subventionnement,
leurs mthodes de travail, ainsi que les pro-
cessus participatifs .
La philosophie gnrale ? Les centres cultu-
rels doivent, par leurs actions, contribuer
lexercice du droit la culture des populations,
dans une perspective dgalit et dmanci-
pation . Des actions diffrents niveaux :
augmenter la capacit danalyse, de dbat et
dimagination chez les citoyens ; associer les
oprateurs culturels dun territoire (dont les
bibliothques) ; sinscrire dans des rseaux
de cooprations territoriaux ou sectoriels ,
etc.
Un terrain social de participation
Avec ce nouveau dcret, le secteur des CC
renoue donc, en partie, avec lide de d-
mocratie culturelle dfendue, ds la fi n des
annes 60, par ses fondateurs, parmi lesquels
Marcel Hicter, directeur gnral de la Jeunesse
et des loisirs du Ministre de lducation na-
tionale et de la Culture franaise. Lequel consi-
drait la culture non plus comme un objet
de consommation (mme intelligente) mais
comme terrain social de participation et
prnait une attitude non pas passive , mais
rceptive devant des uvres ou devant les
crations actuelles pour faire place la cri-
tique en groupes, des activits, par quelque
ct, opratives et cratrices, ainsi quau d-
clenchement dexpressions personnelles par
des actes culturels []
Un rle de mdiateur culturel
ct de cette mission gnrale visant d-
velopper au maximum le droit la culture et
ses diffrentes composantes (la libert artis-
tique, la promotion et la conservation du pa-
trimoine, la participation...), ce nouveau dcret
vise aussi renforcer les actions des centres
culturels autour dun territoire dfi ni ; servir
de mdiateur culturel (avec lide sous-ja-
cente de dcloisonnement , tout en respec-
5Lectures 185, mars-avril 2014
P A R T E N A R I A T
tant videmment lautonomie associative) ;
sadresser aux publics dfavoriss ; davan-
tage cooprer avec dautres centres culturels,
etc.
Ce dcret sefforce de rendre le secteur plus
lisible et plus clair pour tous (usagers, artistes,
oprateurs) , poursuit Sophie Levque. Il
devrait permettre de mieux identifi er les mis-
sions dun centre culturel partir dun terri-
toire donn et dune population bien dfi nie .
Un dcret qui entre videmment en rson-
nance avec un autre dcret, celui relatif la
lecture publique (2009), mettant laccent, de
son ct, sur le dveloppement de la lecture,
plus que sur la gestion des collections ou sur
le prt. Avec une srie de nouvelles missions
la cl dsormais bien connues par le secteur
(un dveloppement stratgique, des synergies
avec les coles, les CPAS, les centres culturels,
le rseau alpha, les maisons de jeunes, un
plan quinquennal, etc).
Au-del des textes, reste dsormais don-
ner vie ces nouvelles missions respectives.
Avec la question cruciale du fi nancement
(fonctionnement & emploi) dans un contexte
budgtaire diffi cile. Et, pour les acteurs de
terrain, un mlange dincertitudes (lire notre
entretien ci-contre) et de volont de dfendre
des services publics de qualit et accessibles
tous.
Jack Houssa (ACC) :
Des synergies utiles et ncessaires
Prsident de lAssociation des centres cultu-
rels (ACC), Jack Houssa porte un regard positif
sur les synergies entre ce secteur et celui de la
lecture publique.
Les centres culturels sont dsormais organi-
ss autour dun nouveau dcret. Un mot sur
celui-ci ?
Cest un cadre gnral port par de grandes
ides. Il faudra videmment du temps pour
que chaque centre culturel lintgre et le
fasse vivre au mieux. Mais lesprit gnral
est bon : le droit la culture pour tous, le
principe de territoire Reste videm-
ment savoir les moyens dont le secteur
disposera lavenir pour mener bien ces
nouvelles missions.
Aprs quatre ans de blocage des subven-
tions, le secteur reste proccup par cette
question budgtaire.
Il faudra videmment tenir lil les engage-
ments tant du ct des subventions de fonc-
tionnement que des aides lemploi (NDLR
les centres culturels comptent environ 850
quivalents temps plein bnfi ciant pour 50%
du systme daides lemploi ACS/APE). Cest
une des conditions de la russite pour donner
corps ce nouveau dcret.
Un budget de 17,633 millions et 115 institutions reconnues
Histoire. Les centres culturels ont plus de quarante ans. Ils ont t
initis aprs Mai 68 sur le modle des Maisons de la culture lances par
Andr Malraux en France et sur base de lexprience de Maisons des
jeunes chez nous. Cest sous la houlette de Henry Ingberg et Thrse
Mangot que le concept va vraiment prendre forme. Ainsi, en 1987,
on comptait 60 centres culturels reconnus. Lambition de lpoque
tant de permettre chaque commune davoir son foyer culturel .
Nombre. Aujourdhui, on dnombre 115 centres culturels reconnus
en Fdration Wallonie-Bruxelles : 103 centres culturels locaux et 12
centres culturels rgionaux.
Principe gnral. Ce secteur sappuie sur le principe des 4 P : la
parit dans la gestion (pouvoirs publics et associations) et dans le fi -
nancement (la FWB, les villes & communes) ; le pluralisme politique
et associatif ; la participation (des citoyens et des associations) et la
polyvalence dans les missions.
Missions. Le nouveau dcret du 21 novembre 2013 organise dsormais
les missions des centres culturels (lire ci-dessus) qui sappuie sur le
principe gnral du droit la culture pour tous, dans une perspective
dgalit et dmancipation. Avec une action plusieurs entres (du-
cation permanente, mdiation culturelle, mise en rseau de projets et
dactions, etc).
Budget. En 2014, le budget allou au fonctionnement des centres
culturels slve 17,633 millions deuros contre 17,622 millions en
2013. titre de comparaison, ce budget reprsente 5,6% du budget
global de la Direction gnrale de la culture ; 18,8% du budget des Arts
de la scne ; 83,9% de celui de la DO22 Livre , 110 % de celui de la
Lecture publique, 25,4% de celui de la direction Jeunesse et duca-
tion permanente , etc.
6 Lectures 185, mars-avril 2014
Celui-ci prvoit notamment de faire des
centres culturels des mdiateurs cultu-
rels locaux ou rgionaux.
En effet. ce propos, il importe de rassurer
les autres oprateurs (bibliothques, coles,
maisons de jeunes). Ce rle d ensemblier
de laction culturelle ne signifi e pas que le
centre culturel va du jour au lendemain tout
phagocyter. Il sagit dabord et avant tout dun
rle de coordination, de mise en rseau, qui se
veut positif et cohrent.
Le dcret lecture publique de 2009 pr-
voyait des synergies avec les centres cultu-
rels, notamment via le conseil culturel .
Aujourdhui, cest votre secteur qui est ap-
pel de son ct organiser des rapproche-
ments. Votre avis ?
Cest videmment ncessaire et utile. Mme si
cela se faisait dj au pralable et ce, diffrents
niveaux (partages de locaux, animations com-
munes) Mais ctait sans doute gomtrie
variable. Dsormais, on est sorti de lide que
la bibliothque cest uniquement ce temple
silencieux de la lecture, une forme de culture
personnelle et intrieure, et le centre culturel un
simple diffuseur de cultures . Il y a de nom-
breuses passerelles possibles et souhaitables.
Et, au sein dun mme territoire, il y a un grand
potentiel danimations (avec les coles, les asso-
ciations) et de rencontres effectuer.
Marchin :
un rapprochement avant la lettre
Marchin, dans larrondissement de Huy, on
na pas attendu le lgislateur pour faire cause
commune : le centre culturel (CC) et la bi-
bliothque se considrent comme un seul et
Pour en savoir +
- LAssociation des centres culturels de la Communaut franaise
de Belgique (ACC) dispose dun site web trs complet qui reprend
toute lactualit lie au secteur, un agenda, des publications, des
liens LACC dite galement une newsletter mensuelle (Infolettre),
un webzine juridique et un magazine (La Vie des Centres cultu-
rels). Infos : www.centres-culturels.be
- La direction des centres culturels dispose galement dun portail
www.centresculturels.cfwb.be
- Lassociation Marcel Hicter pour la Dmocratie culturelle assure un
travail de sensibilisation la dmocratie culturelle en Communaut
franaise de Belgique, en Europe et au niveau international (www.
fondation-hicter.org)
- voir aussi les sites dautres partenaires du secteur :
www.asspropro.be (lassociation des programmateurs professionnels) ;
www.centresculturels.be (Astrac, le rseau des professionnels des
centres culturels) ;
www.article27.be (lassociation Article 27 qui facilite laccs toute
forme de culture pour toute personne vivant une situation sociale
et/ou conomique diffi cile) ;
le site du rseau europen des centres culturels (www.encc.eu).
P A R T E N A R I A T
Exposition consacre lenfance,
Bibliothque de Marchin
7Lectures 185, mars-avril 2014
mme service public , comme lexplique
Nicolas Fanuel, responsable de la bibliothque
de Marchin.
Participation commune une exposition
consacre lenfance (Infana tempo), anima-
tions partages, mise disposition de locaux,
reprsentation de la bibliothque dans lor-
gane de gestion du CC, slections de livres
pour accompagner un spectacle, soutien au
projet Les tenanciers dun soir
Nous collaborons depuis trs longtemps
des initiatives ponctuelles, mais aussi des
projets plus importants et long terme ,
explique pour sa part Marie-ve Marchal,
animatrice-directrice. Nous navons pas at-
tendu un dcret pour travailler dans le mme
sens. nos yeux, la lecture publique fait par-
tie intgrante de la culture. Laccs lcrit (et
plus largement aux nouvelles technologies)
est un enjeu de socit important. Avec un
rle vident en termes dmancipation et de
citoyennet.
Et la responsable marchinoise de poursuivre :
Emprunter un livre, le lire, cest un acte
certes individuel et intime, en apparence peu
visible et qui ne fait pas la Une des mdias,
mais cest tellement essentiel. Car derrire ce
geste, il y a forcment un enjeu politique, au
sens noble du terme.
Marchin, cette synergie a t rendue possible
grce aussi de bonnes relations interperson-
nelles, une confiance mutuelle, une relle com-
plmentarit et labsence denjeux en termes
de pouvoir , poursuit Nicolas Fanuel.
En mutualisant leurs comptences, les deux
institutions ont galement russi toucher
dautres publics . Tout en gardant leurs projets
respectifs et leurs spcificits. Par exemple, la
bibliothque a dvelopp un projet dcrivain
public en partenariat avec les CPAS, la mai-
son de justice, les bibliothques de Huy et du
Rseau Burdinale-Mehaigne. Ma collgue bi-
bliothcaire a suivi une formation via le PAC et
au fil des annes les usagers ont recours lcri-
vain public pour divers besoins : administratifs,
personnels Ce projet fonctionne trs bien .
P A R T E N A R I A T
8 Lectures 185, mars-avril 2014
Rochefort : la culture lun chez lautre
Rochefort aussi, on a opt depuis belle
lurette pour mener bien diffrentes syner-
gies entre le centre culturel et la bibliothque.
Certes, avec des moyens diffrents en termes
de moyens humains (13 travailleurs dun ct,
deux de lautre) et budgtaires. Mais quim-
porte : Nous travaillons lun chez lautre se
flicite Carine Dechaux, animatrice-directrice
au centre culturel.
Ici, cest un gros vnement autour de la
culture arabe : la bibliothque est pleinement
implique (visites, accueil de groupes, anima-
tions, dpt de livres) L-bas, ce sont des
soires dauteurs (Armel Job, Bruno Mare)
organises au centre culturel. Plus loin, cest
un colloque sur la vieillesse et un projet sur
la maladie dAlzheimer et la personne ge. Et
puis, les deux institutions simpliquent dans
leurs organes de gestion respectifs (conseil
culturel et conseil du dveloppement de la lec-
ture publique). Par ailleurs, poursuit Carine
Dechaux, nous avons une runion annuelle
des associations au cours de laquelle nous
programmons une srie de projets pour la
saison .
Bref, Rochefort, on travaille main dans la
main. Mme si, ajoute lanimatrice-direc-
trice, chacun son mtier. On peut venir en
appui ou mettre nos comptences en com-
mun, mais il faut aussi viter de se mar-
cher sur les pieds ou de se faire inutilement
concurrence .
P A R T E N A R I A T
Animation sur le thme Vie des seniors , Bibliothque de Rochefort
9Lectures 185, mars-avril 2014 99Lectures 185, mars-avril 2014
Pourquoi brle-t-on des bibliothques ? (essai) Denis Merklen
Collection Papiers, 349 pages, Presses de lenssib, novembre 2013ISBN imprim 979-10-91281-14-0 : 39 TTCISBN PDF 979-10-91281-20-1 : 23,40 TTC
DAngers, Brest, Caen, Pau, Strasbourg, Vaulx-en-Velin en passant par Dax, Nancy ou Grenoble... 70 bibliothques ont t incen-dies en France entre 1996 et 2013.Aboutissement de 5 ans denqute de ter-rain, le sociologue Denis Merklen interroge
dans cet essai ces violences sociales laune de la culture de lcrit. Un livre pour accom-pagner la rflexion des lus, des biblioth-caires et des travailleurs sociaux et clarifier le rle des institutions culturelles.
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50 ans dhistoire du livre : 1958-2008 (colloque) Sous la direction de Dominique Varry
Collection Papiers, 224 pages, Presses de lenssib, fvrier 2014ISBN imprim 979-10-91281-15-7 : 34 TTCISBN PDF 979-10-91281-20-1 ISBN ePub 979-10-91281-50-8 : 20,04 TTC
En 1958, Albin Michel publiait, dans la col-lection volution de lhumanit , Lappa-rition du livre, ouvrage majeur, sous la direc-tion de Lucien Febvre et Henri-Jean Martin. En 2008, un colloque international, dont ces textes sont issus, fait un bilan dun demi-sicle de recherches et tente une prospec-
tive de la discipline. Cet ouvrage comprend notamment les contributions dAnne-Marie Bertrand, Christian Jacob, Sabine Juratic, Jean-Dominique Mellot, Michel Melot et Valrie Tesnire.Roger Chartier en a assur la conclusion.
Mots cls avenir du livre, bibliographie matrielle, cultures crites, cultures numriques, Henri-Jean Martin, histoire culturelle, livres et lecture
Pub LECTURES mars-avril 2014.indd 1 03/02/2014 14:06:16
10 Lectures 185, mars-avril 2014
C O L L O Q U E
Colloque Droit europen et politiques culturelles
Le 15 novembre 2013, au Parlement europen,
se tenait ce colloque organis par les facults
de droit de lUCL et de Saint-Louis-Bruxelles.
par Florence RICHTERrdactrice en chef de Lectures
Si ctait refaire, je commencerais
par la culture (Jean Monnet)
On connat cette phrase clbre de lun des
pres de lEurope, et rappele par le dernier
orateur de la journe, Renaud Denuit, pro-
fesseur Saint-Louis et ancien fonctionnaire
europen. Celui-ci rsume bien le problme
essentiel de lUnion europenne aujourdhui,
savoir le dfi de sa lgitimation : pour vivre
et poursuivre sa construction, lUE a besoin
du soutien de ses citoyens ! Les femmes et
hommes politiques aux niveau national et
supranational qui ne sont pas des euroscep-
tiques rptent lenvi que lEurope doit dou-
bler sa construction conomico-fi nancire
de dveloppements des politiques sociale et
politique, les plus concrtes possibles. Mais la
culture est peu cite ! Et pourtant, lorsquon
est un citoyen lamda (!), comment croire en
une nouvelle institution (aux structures de
surcrot compliques et gigantesques) si celle-
ci nuse pas (ou peu) de la puissante, trs sym-
bolique, universelle (si on le veut) langue de la
culture ? Mais tout nest pas si simple
Renaud Denuit rappelle quelques chiffres (ex-
traits dEurostat) : le budget Culture, loisirs,
cultes de lUE reprsente 2,2% de son bud-
get global ; pour info, le budget Dfense de
lUE, cest 3% du tout Sur ces 2,2%, seul 1%
va la culture, dont 0,03 % au Programme
Culture au sens strict, cest--dire 57 millions
deuros, ce qui quivaut, affi rme R. Denuit, au
budget Culture, audiovisuel, sport de la
Fdration Wallonie-Bruxelles. Bien sr, ajoute
lorateur, on sait que des sous sont consacrs
la culture via les programmes europens de
dveloppement rgionaux, par exemple 6 mil-
liards deuros sont consacrs la Politique de
cohsion , et lUE intervient aussi en matire
de Recherche, Tourisme, Dveloppement. Il est
donc diffi cile dvaluer globalement laction
de lUE au point de vue culturel car diffrents
secteurs sont concerns.
Renaud Denuit sinterroge encore : la poli-
tique culturelle europenne a-t-elle une in-
fl uence sur les politiques culturelles des tats
membres ? Non ou peu, dit-il, mais en re-
vanche le National infl uence fortement le
niveau europen, par exemple avec les Villes
europennes de la culture .
Le rapport ambigu drgulation
des marchs de la culture versus
reconnaissance de la spcifi cit
nationale des politiques culturelles
Plusieurs intervenants du colloque rappellent
lvolution de la place de la culture dans la
construction europenne. Selon eux, lin-
fl uence en matire culturelle de lUE sur les
tats, est relle.
Le fameux Article 167 de la Constitution
de lUnion europenne prvoit que lUE doit
prendre en compte, considrer laspect cultu-
rel dans ses dcisions, mais sa rdaction est
vague, et son application loin dtre vidente
au regard du respect des toutes aussi fa-
meuses et trs commerciales liberts de circu-
lation des biens, des personnes, etc. Il y a une
11Lectures 185, mars-avril 2014
C O L L O Q U E
relle difficult la fois de dfinir le concept
de culture au niveau europen, et de lintgrer
dans le projet europen.
Pour linstant, lUE, la culture est mise en
valeur de trois manires : via le soutien la
cration contemporaine, via la protection du
patrimoine, et via la stimulation de divers pro-
jets. Lintervention de lUE en cette matire
est plutt dordre conomique, par une pro-
motion des cultures europennes, de la
Diversit culturelle , mais on ne peut pas
parler de vraie citoyennet europenne .
On connat les programmes Culture 2000 ,
qui visent amliorer laccs la culture,
stimuler lidentit europenne , faciliter
la comprhension des diffrentes cultures ;
on cherche Lunit dans la diversit . Avec
Culture 2007 , on observe un recentrage sur
le soutien aux circulations des biens et des per-
sonnes, et la promotion du Dialogue cultu-
rel . Aujourdhui, avec Creative Europe , on
pense aux implications industrielles (TIC, nu-
mrique, Tlcom) des politiques culturelles.
On sait aussi que lorsquune dcision com-
mune nest pas possible, on utilise la MOC ,
mthode ouverte de coordination, cest--dire
la participation volontaire des tats membres.
De nouvelles mthodes sont dveloppes, im-
pliquant la socit civile, par ex. les Forums
culturels europens , tous les deux ans, la
troisime dition stant installe Bruxelles
Bozar en 2013.
Nanmoins lEurobaromtre de 2013 enre-
gistre une baisse de la participation cultu-
relle du public dans lUE depuis 2007, en
partie explique par la crise. Mais pas seu-
lement : la tension entre Culture et
March unique lUE est constante. On
est la recherche dune nouvelle narration
pour lEurope comme le dit une fonction-
naire de la Commission.
Pas assez de Culture lEurope ?
Hugues Dumont, professeur spcialiste du
Droit constitutionnel lUniversit Saint-
Louis-Bruxelles affirme tout de go que la fa-
meuse Diversit culturelle nest pas protge
par lUE car les impratifs du March intrieur
dominent toutes les proccupations. La vision
de la Culture au sein des institutions de lUE
est en fait consumriste. Selon H. Dumont,
lapplication de larticle 167 est drisoire : si la
mise en vidence de lhritage culturel com-
mun est plus ou moins bien servi, par contre
on est loin daborder vraiment la question fon-
damentale de lidentit culturelle commune,
notamment, car lUE nest pas comptente
dans deux domaines, la fois hautement sym-
boliques et trs pratiques, ce qui permettrait
de crer une adhsion citoyenne , savoir :
lorganisation dans les coles dun cours sur
lhistoire de lEurope, et ltablissement dune
charte audio-visuelle europenne. Le dficit
de lgitimit de lEurope auprs des citoyens
trouve son origine, selon Dumont, dans les dif-
frents lments cits. Tout en prtendant les
respecter, lUE rode, dmantle les moyens
de promotion des identits nationales, mais
en mme temps ne donne pas non plus les
moyens de promouvoir une identit euro-
penne : oui, le March domine tout .
Alain Strowel, quant lui, semble embrayer
sur cette vison dH. Dumont lorsquil affirme :
Cette question de la diversit culturelle nest-
elle pas surtout utilise pour largir la palette
du consommateur culturel : on est bien dans
une conception consumriste de la culture ,
surtout axe sur lindustrie culturelle (pro-
duction, diffusion), notamment via lobses-
sion du numrique. Des socits de diffu-
sion telles Google ou Amazon recevront-elles
des subsides du nouveau programme 2014-
2020 Europe crative de lUE ?
Antoine Bailleux rappelle les diffrentes
conceptions de la Culture , et notamment
celle trs large et bien connue de la Dclaration
de Mexico en 1982, mais il sinterroge : lvo-
lution de la jurisprudence de la Cour de Justice
europenne savre moins pro-March unique
aujourdhui que dans les annes 70. Les choses
voluent.
Quant Jean-Christophe Barbato, il affirme :
Certes, il faut que lEurope reste diverse,
mais quelle devienne en mme temps plus
unitaire.
Et Cline Romainville rappelle limportance
des Droits culturels de plus en plus pr-
sents dans les politiques culturelles des tats
et qui, selon elle, prennent le relais des grandes
ides. Il sagit de la troisime gnration des
12 Lectures 185, mars-avril 2014
droits de lHomme (aprs les droits civils,
politiques, sociaux). Les tats mettent en
place des politiques daccs des individus la
culture. Nanmoins, il faut faire attention ne
pas tomber dans la promotion de la diversit
culturelle mainstream .
Il faut tout de mme ajouter ici une paren-
thse propos des Droits culturels selon la
thorie du philosophe Patrice Meyer-Bisch, qui
a beaucoup de succs en Fdration Wallonie-
Bruxelles : celui-ci promeut une conception
minoritaire parmi les juristes (notamment les
spcialistes de Thorie du Droit), des droits
culturels, savoir une conception base sur
lindivisibilit des droits de lhomme , qui
se rsume, sur le plan pratique, un tout est
dans tout et inversement pouvant savrer
utopique, et pas toujours de bon aloi lorsquil
sagit de rflchir une transcription en pro-
jets concrets sur le terrain. La Dclaration de
Fribourg de 2007 sur les droits culturels sins-
pire de la dfinition trs large de la Culture
contenue dans la Dclaration de Mexico.
Diffrents modles
de politiques culturelles selon les pays
Selon Julie Ringelheim, les approches
culture et concurrence commerciale
doivent coexister lUE. On peut dcider que
la culture est un ensemble de biens et services,
cest la logique dominante lUE aujourdhui ;
mais elle est insuffisante : il faut y ajouter une
conception symbolique de la culture, une
culture qui a du sens ! , faisant rfrence
chaque identit nationale comme aux cultures
minoritaires des tats.
Jean-Gilles Lowies rappelle que les politiques
de lUE en matire culturelle ont bien un
impact sur les rgions du monde, mais in-
fluence ne veut pas dire harmonisation .
Les politiques culturelles des tats sont com-
plexes dans lUE ; par exemple, le Parlement
europen a voulu rapidement mettre la culture
son agenda, mais les tats ont frein ; ou
encore : la Commission europenne dfinit les
lignes de force des politiques culturelles avec
les professionnels des secteurs culturels.
Selon Lowies, les modles des politiques cultu-
relles sont varis au sein des tats de lUE,
comme ailleurs dans le monde. On observe :
- ltat ingnieur : qui soccupe forte-
ment des politiques culturelles, de manire
centralise, avec des dfinitions explicites,
et peu dindpendance des arts et des ar-
tistes. Comme en ex-URSS ;
- ltat architecte : qui dfinit les objec-
tifs des politiques culturelles, mais son
systme est trs participatif quant au
reste. Comme en France ;
- ltat mcne : dont laction se limite
une action de redistribution. Comme au
Royaume-Uni ;
- ltat facilitateur : qui veut mettre en
place une rgulation afin de favoriser les-
sor des arts et de la culture. Comme aux
tats-Unis.
On peut mettre en vidence des modles plus
ou moins centraliss ou dcentraliss, des mo-
dles directs ou indirects, etc. Par exemple, au
Royaume-Uni, laccs la culture est une fin
en soi, et il y a une forte dcentralisation, no-
tamment via des conseils des arts. Alors quen
France, la culture est un moyen de diffusion des
valeurs rpublicaines et le concept de citoyen-
net y est important, via une organisation assez
centralise. Aux tats-Unis, le concept appli-
qu en matire culturelle est celui de Hidden
hand , la main cache qui ne laisse pas
tout faire par le march, contrairement ce
quon croit dans une vision trs mainstream
de ce qui se passe outre-Atlantique : ltat se
proccupe bien de rgulation. Chaque systme
prsente des avantages et des inconvnients.
Le Programme Europe crative
2014-2020 de lUE
En conclusion, Florence Delmotte voque le
nouveau Programme 2014-2020 Europe
crative dans lequel les anciens programmes
du secteur Audiovisuel rejoignent le Culturel.
De manire officielle, le Conseil de lUE pr-
sente comme suit ce Programme Creative
Europe qui runit, pour la priode 2014-
2020, les trois programmes actuels CULTURE,
MEDIA, et MEDIA MUNDUS dans un budget
global de 1,46 milliard deuros (affect pour
56% au sous-programme MEDIA, pour 31%
au sous-programme CULTURE, et pour 13%
au volet transsectoriel).
C O L L O Q U E
13Lectures 185, mars-avril 2014
Dans le communiqu de presse du Conseil de
lUE, le 5 dcembre 2013, on lit (extrait) :
Le nouveau programme fournira un soutien
de lUE aux organisations sans but lucratif
(essentiellement bnfi ciaires du programme
Culture) et aux entreprises commerciales
(essentiellement bnfi ciaires du programme
Media), afi n dencourager la coopration et la
circulation des uvres culturelles et cratives,
tant au sein de lUE que dans des pays tiers,
et dintgrer ainsi la dimension internationale
de la coopration audiovisuelle du programme
Media Mundus.
Europe crative soutiendra galement
des initiatives comme les Capitales euro-
pennes de la culture, le Label du patrimoine
europen, les Journes europennes du patri-
moine, et cinq prix de lUnion europenne
(Prix du patrimoine culturel de lUE / concours
Europa Nostra ; prix de lUE pour larchitecture
contemporaine ; prix de littrature de lUE, les
European Border Breakers Awards (EBBA) en
musique ; et le prix Media de lUE en cinma).
Les secteurs culturel et cratif reprsentent
jusqu 4,5% du PIB de lUE et prs de 4%
des emplois (environ 8,5 millions demplois
et beaucoup plus si lon tient compte de leurs
rpercussions sur dautres secteurs). LEurope
est le premier exportateur mondial de pro-
duits de lindustrie de la cration. En ce sens, le
nouveau programme concourt galement la
ralisation des objectifs de la stratgie Europe
2020 pour lemploi et la croissance, et contri-
bue ainsi aux efforts dploys par lUE pour
surmonter lune des priodes conomiques les
plus diffi ciles de son histoire.
Dernire information : dans le secteur Lettres
et Livre , la principale matire mise en avant
par Europe crative est le soutien la tra-
duction littraire.
(re)lire :
- Dossier Droits culturels : mots en-
nemis ou rvolutions ? , in Agir par
la culture n35 (automne 2013), PAC.
- Dossier Europe et bibliothques ,
in Lectures n156 (mai-juin 2008).
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14 Lectures 185, mars-avril 2014
C O L L O Q U E
80e Congrs de lIFLA Lyon en 2014
Article paru dans Biblirama n110,
p. 24-29
par Sylvie HENDRICKX et Franoise VANESSEFIBBC
C haque anne au mois daot, lIFLA, International Federation of Library Associations and Institutions, orga-nise un Congrs sur un continent diffrent.
Alors que, trs souvent, ces manifestations se
droulent dans des pays lointains, cette anne,
cest la ville de Lyon qui a t choisie pour
accueillir ce 80e Congrs des Bibliothques
et de lInformation. Lvnement est de
taille ! En effet, lorganisation dun Congrs
de lIFLA en francophonie est extrmement
rare. Conscientes du caractre exceptionnel
de lvnement, les deux associations profes-
sionnelles, lAPBD et la FIBBC, ont accueilli le
9 dcembre dernier, Annie Dourlent, repr-
sentante de lIFLA pour la France. Dans un
esprit de partage et de convivialit, celle-ci a
prsent une quarantaine de bibliothcaires
les missions et les rouages de cette grande
machine quest lIFLA ainsi que lopportunit
que reprsente la tenue de ce Congrs en un
lieu si proche. Paralllement cette inter-
vention et en dialogue avec Annie Dourlent,
Chantal Stanescu, directrice adjointe de
la Bibliothque centrale pour la Rgion de
Bruxelles-Capitale a livr lexprience trs
concrte de ses participations diffrents
Congrs antrieurs de lIFLA. Quant Jacques
Hellemans, bibliothcaire responsable de la
Bibliothque dconomie et de gestion lULB,
il nous a prsent en tant que reprsentant de
lAssociation Internationale francophone des
Bibliothcaires et Documentalistes (AIFBD),
le programme dun congrs satellite celui de
lIFLA.
Dans les lignes qui suivent, voici, sous forme
dabcdaire, le compte-rendu de cette
rencontre.
P comme Portrait
Organisme de dimension
internationale cr en 1927,
lIFLA regroupe aujourdhui
prs de 1 600 membres : principalement des
associations de bibliothcaires mais gale-
ment des bibliothques en tant quinstitutions
et des bibliothcaires adhrant de manire
individuelle. Lensemble de ses membres se r-
partit dans non moins de 150 pays diffrents !
Ces chiffres pourraient donner le vertige mais,
que lon ne sy trompe pas, le caractre impo-
sant de la machine IFLA nest pas synonyme
de sclrose ventuelle. Bien au contraire !
lIFLA, malgr son grand ge, est un orga-
nisme bien vivant, dynamique, aux horizons
larges, qui bouge, interpelle et mobilise dans le
domaine des sciences de linformation. Cette
grande ouverture se couple dune extrme di-
versit des bibliothques quelle entend fd-
rer : bibliothques publiques, acadmiques, de
recherches, spcialises
15Lectures 185, mars-avril 2014
C O L L O Q U E
P comme Porte-parole
La vocation premire de lIFLA
consiste promouvoir et
dfendre les intrts des bibliothques, des
services dinformation ainsi que des usa-
gers . Cet organisme effectue pour ce faire
un important travail de reprsentation des
bibliothques auprs dorganismes interna-
tionaux tels que lUnesco ou encore lOMPI
(Organisation mondiale de la Proprit intel-
lectuelle). Des questions aussi essentielles
pour les bibliothques que celle du droit
daccs aux ressources lectroniques ou des
droits dauteurs sont ainsi portes au niveau
international par lIFLA. Une voix dautant plus
dterminante pour les professionnels des bi-
bliothques que ceux-ci nont pas toujours le
temps ni la possibilit de suivre ces questions
dans leur travail quotidien.
R comme Rflexion
LIFLA mne une rflexion
sur les missions des biblio-
thques au niveau inter-
national . Elle sintresse de nombreux
aspects de la bibliothconomie depuis le web
smantique et tous les aspects techniques de
linformatisation des bibliothques jusquaux
services aux populations multiculturelles en
passant par les bibliothques pour les enfants,
la libert daccs linformation, la gestion des
connaissances Ces multiples proccupations
sont examines par lune des 42 sections de
recherche et de rflexion que compte ce jour
lIFLA. Ces sections mnent de nombreux tra-
vaux de recherches et publient, notamment en
ligne, des documents-ressources susceptibles
daider et dinspirer les bibliothcaires dans
leur travail.
M comme Mouvement
Malgr la diversit des sujets
abords par les sections, il
arrive que des questions ne
soient pas encore traites. Dans ce cas, les
membres motivs peuvent se mobiliser
et crer un groupe dintrts spcialiss .
Dernirement, cest la question des peuples
indignes ou encore celle du dveloppement
durable au sein des bibliothques qui ont fait
lobjet de la cration de nouveaux groupes
dintrts spcialiss, dmontrant ainsi le
caractre vivant dun organisme en constante
volution.
C comme Congrs
Chaque anne, un Congrs
international (WLIC : World
Library Information Congress), point dorgue
du travail effectu pendant lanne par les
sections et groupes dintrts spcialiss, est
organis. Cette anne, cest la ville de Lyon qui
a t choisie pour accueillir du 16 au 22 aot
2014, la 80e dition de ce Congrs. Cest un
vritable vnement pour la France qui navait
plus accueilli cette manifestation depuis 25
ans mais galement pour ses pays frontaliers
au vu de lampleur de cette organisation : 7
jours de congrs et prs de 400 communica-
tions ! Mais galement un salon professionnel
de haut niveau avec de nombreux exposants
de multiples nationalits, des moments convi-
viaux, une soire culturelle ainsi que des cir-
cuits de visites de bibliothques. Pour lorga-
nisation dun prochain congrs en Europe, il
faudra attendre trois ans.
C comme Confluence
Cette dition 2014 du
Congrs a choisi pour thme :
Bibliothques, citoyennet, socit : une
confluence vers la connaissance. Et lon sat-
tend effectivement une belle affluence cet
t Lyon avec larrive de 35 000 congres-
sistes : des centaines de traditions cultu-
relles, de conception du monde et de vision
de la vie en socit. Une exprience unique
riche humainement et professionnellement,
explique Annie Dourlent.
16 Lectures 185, mars-avril 2014
M comme Multilinguisme
Avec sept langues officielles
(langlais, le franais, lespa-
gnol, lallemand, le chinois,
larabe et le russe), lIFLA inscrit clairement le
multilinguisme comme lune de ses proccu-
pations cls. Force est cependant de constater
que dans les faits langlais reste la langue de
communication dominante au sein de lIFLA
que ce soit travers son site Internet (exclu-
sivement en anglais mais partiellement en
cours de traduction en franais) ou lors dune
majorit dinterventions au Congrs. Ainsi sur
400 communications, il faut sattendre trou-
ver environ 10% dinterventions en franais
contre 70% en anglais. Beaucoup de sessions
sont cependant traduites et le droulement du
Congrs dans la ville de Lyon pourrait gale-
ment influencer cette proportion.
P comme Prsence
francophone ???
Selon Jacques Hellemans de
lAssociation internationale francophone des
Bibliothcaires et Documentalistes (AIFBD),
le constat est l : La littrature profession-
nelle quil sagisse des revues internationales
de bibliothconomie ou de la recherche en
sciences de linformation est trs majoritaire-
ment anglophone. Il en rsulte que la ralit
des bibliothques francophones est relative-
ment mconnue sur le plan international.
Le Congrs lui-mme, comme en tmoigne
Annie Dourlent, est largement domin par le
monde anglophone (Angleterre, tats-Unis,
Australie) ainsi que par les pays scandinaves
et asiatiques. Dans ce contexte, il est dautant
plus crucial pour les bibliothcaires franco-
phones dtre prsents, de se regrouper pour
mieux assurer la prsence et la visibilit sur le
plan international des ralits francophones.
ce sujet, Chantal Stanescu, bibliothcaire qui
assiste rgulirement aux Congrs nous ras-
sure : Soyons convaincus que nous, biblio-
thcaires francophones, avons galement des
expriences et un savoir-faire livrer sur le
plan international. Nos bibliothques sont, par
exemple, parmi les plus avances en matire
de rflexion sur la lecture aux tout-petits.
C comme Coopration
Le Congrs de lIFLA, surtout
lorsquil se droule nos
portes, apparait comme une
chance unique de rencontrer des biblioth-
caires du monde entier. Il se veut un temps
de rflexion sur son mtier et sa pratique pro-
fessionnelle travers la confrontation avec
laltrit, avec lexprience et les faons de
faire qui se vivent ailleurs. Les rencontres per-
sonnelles ralises au cours de ces sept jours
de Congrs sont autant doccasions de crer
des contacts, de dvelopper des changes
pour nouer des cooprations futures. Lune des
missions de lIFLA est dailleurs dencoura-
ger cette coopration des bibliothques entre
elles . cette fin, elle propose galement via
son site, des expriences de jumelages entre
bibliothques de diffrents pays, notamment
Nord-Sud.
C comme Communication
De dcembre fin janvier,
lIFLA lance auprs des bi-
bliothcaires, via son site
Internet, une srie dappels la communica-
tion sur diffrents sujets. En marge de ces pr-
sentations frontales, lIFLA propose une autre
formule de participation, plus conviviale, une
Avenue des affiches . Il sagit l dune autre
faon dtre prsent au Congrs sur le plan du
contenu. Une alle contenant de 130 140
posters permet aux visiteurs de dialoguer
avec des bibliothcaires dsireux de partager
une initiative intressante, innovante quils
jugent digne dintrt. Les sujets des affiches
doivent tre soumis lIFLA avant le 3 fvrier
2014.
C comme Cot
Participer un tel Congrs a
un cot, bien videmment.
Prvoir plus ou moins 450
euros (voir plus de dtails sur le site). Mais
finalement, est-ce si cher quand on sait que
cette somme vous donne accs un nombre
important de confrences pendant six jours et
C O L L O Q U E
17Lectures 185, mars-avril 2014
de visites de bibliothques (transport pris en
charge). Il ne vous reste donc plus qu per-
suader votre pouvoir organisateur de vous
soutenir dans votre lan ou introduire une
demande au Service de la Lecture publique
de la FWB. Mais les espoirs sont minces au
vu du budget actuel dont ce Service dispose
Dommage car les bibliothcaires belges fran-
cophones sont trop peu, voire pas du tout,
prsents ces Congrs ! Et comme le sou-
ligne Chantal Stanescu, Une telle participa-
tion permet de prendre la mesure de ce que
nous sommes, de prendre connaissance des
grands courants internationaux, de mieux cer-
ner comment on travaille ailleurs et doprer
ainsi une vritable radioscopie permettant de
nous situer dans le monde des bibliothques.
Cest galement une belle occasion de valo-
riser et de communiquer sur notre travail ce
que nous navons pas suffi samment lhabitude
de faire.
M comme Marge
En marge du Congrs de lIFLA,
qui attire des milliers de per-
sonnes venues des quatre
coins du monde, se mettent en place ce que
lon appelle des confrences satellites. Celles-
ci se droulent avant ou aprs le Congrs dans
des lieux gographiquement proches de la ville
qui laccueille et visent en approfondir un
thme. En 2014, elles se drouleront Paris,
Nancy, Strasbourg ou encore Birmingham
ce sujet, Jacques Hellemans, nous prsente
le Congrs triennal de lAssociation interna-
tionale francophone des Bibliothcaires et
Documentalistes (AIFBD) qui se tiendra du 23
au 25 aot 2014 sur le thme Francophonie,
bibliothques et confl uences . Ce Congrs
satellite se veut purement francophone mais
de dimension internationale. Il nous invite
rencontrer nos collgues dAfrique franco-
phone, du Qubec, de France LAIFBD est
galement active dans lorganisation des ren-
contres de participants francophones au cours
du Congrs de Lyon et travaille la traduction
des communications en langues trangres.
Un tableau de bord des traductions des inter-
ventions des ditions prcdentes du Congrs
IFLA est dailleurs disponible sur le site AIFBD.
org.
C O L L O Q U E
Infos :
- Site de lIFLA : http://conference.ifl a.org/ifl a80/
(appel communication, inscription, mailing) ;
- Informations en franais via le site du Comit
franais international des bibliothques et
documentation : www.cfi bd.fr/IFLA-2014-A-
LYON.html
- Page Facebook : WLIC IFLA 2014
- consulter galement : larticle de Chantal
Stanescu consacr au dernier Congrs 2012 de
lIFLA organis Helsinki, dans Lectures n178,
p. 6-17.
18 Lectures 185, mars-avril 2014
I N T E R N E T
Une bibliothque 100% numrique
Le site Cnet avait fait fort en publiant en septembre 2013 un article consacr
Bibliotech : la 1e bibliothque sans livres.
Dautant plus que ce nest pas exact puisque cette
bibliothque propose bien des livres, sauf quils ne
sont plus papier !
Q uand ABCNews avait voqu la pre-mire bookless public library1, elle avait dj emprunt ce raccourci ! Il faudra pourtant shabituer distinguer le
contenant du contenu. Dans le livre papier,
contenant et contenu sont intimement lis.
Avec le numrique, le livre, cest--dire le texte
et les images (auxquels sajoutent des fonc-
tionnalits), est distinct du support de lecture,
dont la dsormais clbre liseuse. Ce ne sont
pas les livres qui disparaissent de ce type de
bibliothque, seulement les rayonnages !
Cette premire bibliothque 100% num-
rique amricaine 2 comme lappelle Cnet
nest pas virtuelle . La BiblioTech3, une
public digital library, occupe 450 m San
Antonio, 7e ville des tats-Unis avec plus de
1,7 millions dhabitants. Le quartier o elle
est physiquement situe est majorit hispa-
nique, et 40% des mnages ny disposent pas
dun ordinateur. Dans lenvironnement trs
contemporain de cette bibliothque, on sy
voit proposer des contenus et du matriel.
Les services de cette bibliothque dun genre
nouveau sont accessibles gratuitement tous
les rsidents du comt du Bexar (Texas). Lide
est de rendre accessible la technologie et ses
applications des fi ns dducation, dalpha-
btisation, de promotion de la lecture et des
loisirs.
Si un livre numrique peut tre emprunt sans
entrer physiquement dans la bibliothque,
il a sembl cependant important de conser-
ver un btiment considr comme un espace
communautaire. Linitiative semble un succs
puisque, en octobre 2013, on comptait 7 000
membres.
Contenants & contenus
Le matriel propos montre la palette des sup-
ports de le cture (ou daccs la connaissance)
puisquon y trouve 600 e-readers ou liseuses
3M (qui peuvent tre emportes), 200 liseuses
pour enfants Nook pr-charges , 48 sta-
tions informatiques iMac, 10 ordinateurs por-
tables et 40 tablettes iPad utiliser sur le site.
Et chacun peut amener sur place son propre
matriel et accder aux contenus disponibles,
pour autant, bien sr, quil soit inscrit la
bibliothque. Des stations de dcouverte
cran tactile permettent de feuilleter des
livres numriques sur cran et densuite les t-
lcharger sur une liseuse ou les lire grce une
application sur son propre appareil. Laccs
wifi est videmment prvu.
par Philippe ALLARDjournaliste
1 The First Bookless Public Library: Texas to Have BiblioTech, ABCnews,
Joanna Stern, 14 janvier 2013.
2 En fait, une initiative du mme genre avait t lance en 2002
Tucson en Arizona, mais ctait sans doute trop tt ! Six ans plus tard, elle a rpondu la demande des habitants dajouter des livres
rels . Un projet Newport Beach en Californie aurait t abandonn
en raison du toll suscit.
3 Site web : bexarbibliotech.org. Le site web est galement propos
en espagnol.
19Lectures 185, mars-avril 2014 19
I N T E R N E T
Les contenus proposs sont, eux-mmes, trs
varis puisquon peut dcouvrir :
- des livres numriques proposs pour 14
jours soit plus de 10 000 ebooks avec 3M
Cloud Library4
- des audiolivres avec OneClick5
- des cours de langue avec Mango6
- des magazines en ligne avec Zinio7 et des
cours dinformatique (tutoriels vido en
ligne) avec AtomicTraining8, via RBdigital9.
Pour dcouvrir ces collections, il faut se rendre
sur des pages daccs mises aux couleurs de la
BiblioTech. On quitte donc lenvironnement de
la BiblioTech elle-mme pour pouvoir utiliser
ces services.
Le site de la bibliothque met en vidence
des ressources en ligne, certaines uniquement
accessibles sur place (comme Ancestry10 utile
aux gnalogistes), dautres permettant lac-
cs hors bibliothque (par exemple NewsPaper
Archive11 avec des archives de presse). Parmi
ces ressources, les 42 000 livres libres du
Projet Gutenberg12 et les 6 000 audiolivres de
Librivox13.
La bibliothque propose aussi des classes in-
formatiques et des espaces dtude et de ren-
contre. Et on y trouve mme un coffee shop !
Comme toute autre bibliothque, la BiblioTech
impose des rgles ses utilisateurs. Elles
sont rsumes dans un document Policies
& Procedures14 qui pourrait inspirer ceux qui
voudraient transplanter le concept sur le
vieux continent. Un autre rglement porte
sur lusage de lInternet et des ordinateurs
(Internet & Computer Use15). Le site web in-
tgre un blog16 malheureusement peu actif.
La presse amricaine17 a suivi linstallation de
cette bibliothque qui a tourn la page ,
notamment en interrogeant un des promo-
teurs, Nelson Wolff, un juge et... bibliophile,
qui a expliqu avoir t inspir par la biogra-
phie du fondateur dApple Steve Jobs rdige
par Walter Issacson. Lesthtique des magasins
Apple aurait, elle aussi, infl uenc la concep-
tion de la bibliothque. Par contre, ces articles
nvoquent pas les bibliothcaires, leur forma-
tion et les comptences exiges dans ce nou-
vel environnement.
Et chez nous ?
Linitiative texane donne rfl chir par le
contraste quelle offre avec les ralits quoti-
diennes du vieux continent o le prt du livre
numrique et la mise disposition doutils de
lecture restent du domaine exprimental. Des
bibliothques comme la bibliothque munici-
pale de Grenoble joueront les cobayes pour le
prt numrique en bibliothques (PNB)18. BiblioTech et les rseaux :
- BiblioTech sur Facebook : www.facebook.com/BexarBibliotech - BewarBiblioTech (@BexarBiblioTech) sur Twitter : twitter.com/BexarBibliotech- Club de lecture Bexar BiblioTech eBook Club sur GoodReads : www.goodreads.com/group/show/110996-bexar-bibliotech-ebook-club- Bexar Bibliotech de Texas (prsentation en espagnol) sur YouTube : youtu.be/QUshk1U9yyg
4 3m-ssd.implex.net/cloudapps/
5 www.oneclickdigital.com
6 www.mangolanguages.com
7 www.zinio.com
8 atomictraining.com
9 www.rbdigital.com
10 www.ancestry.com
11 newspaperarchive.com
12 www.gutenberg.org
13 librivox.org
14 bexarbibliotech.org/sites/default/fi les/PDF/bibliotech_policy.pdf
15 bexarbibliotech.org/sites/default/fi les/PDF/internet_use_policy_0.pdf
16 bexarbibliotech.org/blog
17 Bexar set to turn the page on idea of books in libraries, MyUSA, John W. Gonzalez, 11 janvier 2013.
18 La bibliothque municipale de Grenoble, pilote pour le prt numrique, ActuaLitt, Antoine Oury, 2 dcembre 2013 (www.actualitte.com/bibliotheques/la-bibliotheque-municipale-de-grenoble-pilote-pour-le-pret-numerique-46695.htm).
Lectures 185, mars-avril 201420
et Luther, auquel A. Rey voue une franche ad-
miration : lun des esprits les plus levs de
son temps [], mlange de spiritualit (trop)
exigeante, de joie de vivre (trop)exubrante, de
sens du dbat intellectuel aiguis
Si on gote lanecdotique, on apprendra quun
alchimiste et astrologue du XVIe, Cornelius
Agrippa, est un personnage important dans
Harry Potter ; que, pour Bakounine, sil est un
diable dans toute lhistoire humaine, cest ce
principe de commandement ; que le chiffre
de la Bte de lApocalypse, 666, est celui obtenu
(ce mcrant de Rey a vrifi !) au dcompte
des pages du Satan des tudes carmlitaines
(il ny a pas de hasard) ; que Dante affubla ses
personnages dmoniaques de noms grotesques,
Cagnazzo (sale clebs), Graffi acano (griffe-chien),
Ciriato (cochon) ; que dans la Gense Adam est
lobjet, relve Rey, dune ambigut : Yavh,
ayant apparemment oubli quen tant quElo-
him il avait dj cr le couple humain, se met
endormir le mle, lui prlever une cte[], puis
construisant ou btissant ce greffon inattendu
en femme.
On laissera Andr Gide, en qui Claudel disait
voir Satan, le soin de conclure : Il nest pas
duvre dart o nentre la collaboration du
dmon.
Autodictionnaire Voltaire :
contre la rage du dogme
Au seuil des 80 pages de ce qui se prsente
comme une Prface inutile , fi gure ce conseil
du prfacier : je vous invite sauter allgre-
ment cette prface et vous promener dans
cet Autodictionnaire. Allons-y donc sauts et
gambades, avec lauteur Andr Versaille, pour
nous merveiller de ce que Voltaire continue
dtre trs frquentable, entranant et si pro-
fondment humain : il y a chez lui de quoi faire
amplement son miel. Lisons.
Et convenons de ce qui suit : il est profi table et
doux de ne songer qu lamiti et ltude ;
il est affreux que la nature ait empoisonn les
plaisirs de lamour [] par une maladie pouvan-
table (Voltaire visait la syphilis, lisons sida) ;
il faut reconnatre nos dettes envers les Arabes
(astronomie, chimie, mdecine, algbre, go-
graphie) ; sil est diffr jusqu lapproche de la
mort, le baptme permet de mourir vertueux ;
pour se comprendre, il faut dfi nir les termes,
ou jamais nous ne nous entendrons ; lors des
par Pol CHARLES
docteur en philosophie et lettres
Thank you Satan (Lo Ferr)
Dictionnaire amoureux du diable par Alain Rey ?
Environ 300 entres ; certaines, hermtiques :
Azazel, Cambions, Grylles Pazuzu, Yezilis Donc,
on se retrouve dans le monde des mots et des
signes. Le pied, pour un lexicographe clbre et
factieux qui, assure-t-il, se veut athe.
Le diable mis toutes les sauces : en Abaddon
certains commentateurs modernes voient
lAntchrist, quand les Tmoins de Jhovah
reconnaissent le Christ. Mais : vous avez dit
Antchrist ? Ne faut-il pas dire Antichrist ? Alain
Rey trouve du grain moudre : LAntichrist se-
rait quelquun ou quelque chose qui soppose au
Christ [], lAntchrist venant devant le Christ
de manire le cacher ou le devancer.
Vastes, trs vastes sont les lectures et les curio-
sits del rey, et ce serait le diable si chacun ny
trouvait pas son bonheur ; la prosprit du mot
diable atteste de lomniprsence paradoxale
de celui quon nomme ici Lucifer porteur de
lumire, ailleurs Prince des Tnbres. Le voca-
bulariste grne les mots avec gourmandise,
comme une diseuse de chapelet : dmon, dmo-
nial, dmoniaque, dmonique, dmonoltrie,
dmonologie, dmonomanie, dmonopathie ; et
les expressions : tirer le diable par la queue, cre-
ver lil du diable (= russir en dpit de lenvie
quon suscite).
Il faut, quand il sagit dautant de points de vue
adopts, se limiter ; disons, au champ littraire.
Ds le 13e, Rutebeuf met en scne un pacte avec
le diable ; les crivains et les potes du diable,
le dictionnaire en recense une cinquantaine,
de saint Augustin Cioran, sans oublier Dante,
Cazotte, Defoe, Balzac, Baudelaire, Byron, Gogol,
Goethe, Huysmans, Nerval, Rimbaud, Bernanos.
Mais lcrivain qui a sans doute le plus fr-
quent le diable, cest Dostoevski, dont plu-
sieurs personnages sont de vrais dmons - Ivan
Karamazov : le diable est tout ce quil y a en
moi de bas, [] de lche et de mprisable ;
la lgende du Grand Inquisiteur met en scne
le combat manichen de Dieu et du diable
Plus loin de nous, certains milieux catholiques
nont pas hsit mettre en familiarit le diable
Des guides aux pays des mots
S O C I T
S O C I T
21Lectures 185, mars-avril 2014
ses sicaires, bourrs de haschich, taient assurs
de leur sjour posthume dans les jardins dAllah.
Nihil novi sub sole Pol Pot, plus prs de nous,
fut lui galitariste, son Angkar se chargeant dli-
miner deux millions de Cambodgiens pour ins-
taurer lgalit de la peur. Douch, prof de maths
in tempore non suspecto, apporta sa pierre
lentreprise : 12 380 excutions.
Des mchants sont plus modestes : Bonnie and
Clyde tuaient de sang-froid et braquaient des
banques, mais la postrit prfra magnifi er leur
histoire damour, mme si elle ne respecta pas
leur souhait dtre inhums ensemble. Csar
Borgia apprit du Prince de Machiavel pouvoir
ne pas tre bon, et Nietzsche le rhabilita, au
prtexte que sa mchancet ntait rien dautre
que la manifestation de sa volont de puissance.
On croise plus loin des ribambelles de bri-
gands : au XVIIIe, Mandrin, dabord contreban-
dier puis voleur de grand chemin et assassin ;
Capitaine Moneuse pouvanta le Hainaut ; plus
tard, Cartouche inaugure la galerie des truands
repentis - topo littraire qui inspira le Gaston
Leroux de Chri-Bibi.
Le cinma aussi raffole des mchants : la sul-
fureuse Cruella des 101 Dalmatiens, le pasteur
tueur de veuves incarn par un cauchemar-
desque Mitchum dans La nuit du chasseur de Ch.
Laughton ; aussi Hitchcock confi a-t-il Truffaut
que plus russi est le mchant, plus russi sera
le fi lm.
Si liconographie de louvrage est poustou-
fl ante, on regrette que certaines contributions
sacrifi ent ce ton guind quaffectionnent h-
las certains universitaires. Et on me permettra
une mchancet : lorthographe est et l
mchante.
Les kilts nont pas de fermeture clair
Si lon passe outre la fascination que lauteur,
qui ne dissimule gure sa misanthropie, prouve
pour le nausabond, le crapuleux, le glauque,
le stercoraire et le sadique, on pourra prendre
je ne sais trop quel plaisir cette encyclop-
die du bizarre au titre explicite : Malfaisances
et incongruits de lespce humaine par Martin
Monestier qui savre, en ce domaine, le plus
grand spcialiste in the world ; en tmoignent,
du mme auteur, Cannibales, Les poils, Histoire
et bizarreries sociales des excrments, Histoire et
techniques des excutions capitales, Le crachat,
etc.
saintes croisades, tout ce qui ntait pas chr-
tien fut massacr ; si on peut consentir ce
que les moines renoncent aux femmes, cest
malheureux pour eux ; mais ils mritent ce mal-
heur quils se sont fait eux-mmes ; la justice
envers les femmes nest pas toujours quitable,
croire que ce sont les cocus qui ont fait les
lois ; il faut regarder la jeune fi lle comme
un tre pensant dont il fallait cultiver lme,
et non comme une poupe quon ajuste ; on
peut se moquer de ces troupeaux de fainants
tondus, blancs, gris, noirs, chausss, dchaux,
en culottes ou sans culottes, ptris de crasse et
darguments, dirigeant des dvotes imbciles ;
il est tonnant quaucun historien romain na
parl de ces prodiges (dont est tisse la vie
de Jsus) ; le concile de Latran (1215), inaugu-
rant des pratiques immondes, ordonna que les
Juifs portassent une petite roue sur la poitrine,
pour les distinguer des chrtiens ; il est regret-
table que la plupart des princes, des ministres,
des hommes constitus en dignit, nont pas le
temps de lire ; ils mprisent les livres - nest-ce
pas, Sarko ? - ; Montaigne, philosophe parmi
des fanatiques, et qui peint sous son nom nos
faiblesses et nos folies, est un homme qui sera
toujours aim ; la plus belle fontaine de
Bruxelles est un enfant de bronze [] qui pisse
continuellement de leau.
Enfi n, appelons de nos vux la ralisation de
cette prophtie : la tolrance sera regarde
dans quelques annes comme un baume essen-
tiel au genre humain. Dans quelques annes ?
la mchancet noire et hideuse, qui
croupissait au milieu de miasmes dltres
Lautramont, Les chants de Maldoror
Sous la houlette de L. Faggion et Ch. Regina,
historiens de lUniversit dAix-Marseille, 80
spcialistes de sciences humaines et sociales
signent les 169 notices de ce Dictionnaire de la
mchancet qui ne se veut pas un dictionnaire
des mchants : louvrage tente de circonscrire
le phnomne par ses causes et ses effets -
bref de penser la mchancet travers por-
traits historiques et mythologiques, et concepts
(tyrannie, perversit, cruaut, entre autres).
Une enluminure du Livre des merveilles de Marco
Polo reprsente, en son faux paradis, Le Vieux
de la Montagne , adorable vieillard fanatique
qui, au XIe sicle, inventa les attentats suicides
et terrorisa un empire situ dans lIran actuel :
S O C I T
22 Lectures 185, mars-avril 2014
De 1 400 pages grand format, on peut retenir
quelques gracieusets. Sarah Bernhardt pas-
sait ses nuits dans son cercueil ; sa mort, un
farceur commenta : Encore cette folie des
planches ! Les collectionneurs, dont Freud se
mfi ait, entretiennent des attachements tous
azimuts : cordes de pendus, siffl ets, puces, pots
de chambre Jean-Pierre Marielle se fendit
un beau jour dune dlicieuse vacherie : Le
meilleur rle dIsabelle Adjani, cest Woolite.
Mlenchon fl ingue le foot : Je ne comprends
pas que des milliers de smicards se dplacent
pour aller voir des milliardaires taper dans un
ballon. Les fonctionnaires, qui sont gens ima-
ginatifs, ont cr des impts incongrus : sur le
clibat, la couleur des moutons, les pchs.
Quant aux lgislateurs, ils se sont surpasss : au
Massachussets, il est illgal davoir un gorille sur
le sige arrire de sa voiture, et en Floride, on ne
peut pter en public aprs 18 heures. On clture
avec lentre Zoophiles : Les Ecossais portent
un kilt parce que les moutons peuvent entendre
le bruit dune fermeture clair plus dun km de
distance.
Dictionnaire des chiens illustres
Ce dictionnaire est dun croyant : Les chiens
sont bons pour tout. [] La guerre, les combats,
la dfense, la chasse [], la garde des troupeaux
[], la traction [], la course de vitesse [], le
travail, lexprimentation animale mais aussi
la qute des truffes. Surtout laffection En
loccurrence, lauteur nest pas le seul croyant :
En janvier 2003, un chien nomm Torira a t
consacr moine bouddhiste au Japon !
Autant lavouer : mcrant, je suis plutt chat.
Si on ne rencontre ni chats troufi ons, ni chats
fl ics, ni chats btes de cirque cest tout leur
honneur. Cependant, pour ne pas dsobliger les
amateurs de toutous, piochons le saugrenu, le
cocasse, lmouvant dans ce dictionnaire touffu,
trop touffu : ainsi de la liste de tous les chiens
(90) de la Maison-Blanche ; ainsi de lindex
Hommes et femmes de lettres domaine
francophone aux 103 noms, parmi lesquels,
curieusement, Truman Capote et Paul Lotaud
(sic). Profi tons plutt de loccasion pour adresser
un coup de chapeau lexcellent, discret mais ici
abondamment cit, Roger Grenier ; regrettons
par contre quun nettoyage htif du volume ait
laiss subsister bien des obscurits : la prin-
cesse Charlotte [] aurait demand, moyennant,
quil saccouple ses chiens trois toy spaniels
tricolores / Pendant la bataille de, il accom-
pagne des patrouilles
Tout comme en Irak, les troupes anglaises et
amricaines ont utilis des chiens, en particu-
lier des chiens de dtection pour se protger
des explosifs. Les braves btes ont-elles sur-
vcu ? Dj Stalingrad, les Russes envoyaient
des chiens kamikazes sous les chars allemands.
Jespre quon a rendu ces hros les honneurs
militaires les Anglais sont friands de ce genre
de crmonies ; ils furent aussi les dlicats inven-
teurs du rat killing (lcher un chien dans une
arne et compter le nombre de rats quil tait
capable dexterminer en un temps record.)
Alfred Jarry, lui, se contenta denterrer son chien
au cimetire dAsnires (30 000 cabots). Y a-t-
il un paradis pour les chiens ? Luther en assura
ses enfants. Certains humains nont pas de ces
attentions : en 1923, Bobbie traversa lAmrique
(4 500 km) pour rejoindre ses matres - qui nen
voulurent pas. Obama, lui, flicita personnelle-
ment Cairo, berger belge malinois qui participa
lattaque du repaire pakistanais de Ben Laden.
Quelquun rendit-il hommage Bouraa, le chien
qui permit Pavlov de dmontrer lexistence des
rfl exes conditionns ?
REY, AlainDictionnaire amoureux du diable / dessins dAlain Bouldouyre -Paris : Plon, 2013. - 975 p. ; 20 cm. - ISBN 978-2-259-21733-0 (Br.) : 29,40 .
VERSAILLE, AndrAutodictionnaire Voltaire. -Paris : Omnibus, 2013. - 622 p. ; 20 cm. - ISBN 978-2-258-10061-9 (Br.) : 31,70 .
FAGGION, Lucien et REGINA, Christophe (sous la direction de)Dictionnaire de la mchancet. -Paris : Max Milo, 2013. - 381 p. ; 27 cm. - ISBN 978-2-315-00480-5 (Br.) : 55,70 .
MONESTIER, MartinMalfaisances et incongruits de lespce humaine. -Paris : Cherche-Midi, 2013. - 1400 p. : ill. ; 28 cm. - ISBN 978-2-7491-1287-9 (Rel.) : 49,00 .
DEMONTOY, AndrDictionnaire des chiens illustres. -Paris : H. Champion, 2013. - (Les dictionnaires). - 571 p. : ill. ; 21 cm. - ISBN 978-2-7453-2464-1 21 (Br.) : 29,00 .
S O C I T
23Lectures 185, mars-avril 2014
par Vinciane STRALE
sociologue
Nous pouvons tirer un constat de lexamen rapide
des rayons des librairies. Si on sintresse un tant
soit peu aux religions et la philosophie qui les
concerne, on rencontre quelques livres traitant du
christianisme, quelques autres, mais plus axs sou-
vent sur laspect social ou politique, sintressent
lislam. Lanimisme est quasi absent. Le boudd-
hisme, par contre, rencontre un vif succs et est le
sujet de trs nombreux ouvrages. De ses aspects
les plus grand public aux ouvrages les plus
rudits, que reprsente cet attrait ? Est-ce un en-
gouement superfi ciel pour quelques ides propres
au bouddhisme, un engagement philosophique
profond, spirituel ou un abord plus concret pour
certains ? Il semble que cela peut tre tout cela
la fois. Considrons diffrents livres qui abordent
les registres diffrents du bouddhisme et nous
clairent sur cette attirance occidentale.
Le Bouddha
Jos Frches, dans son ouvrage appel simple-
ment Bouddha, va lessentiel : au sage qui a
engendr ce courant religieux et aux messages
et enseignements quoffre le rcit de son exis-
tence. Reprenant ce que dit la tradition, lauteur
a choisi dutiliser le biais de mmoires ima-
ginaires du personnage. Que le jeune prince
Siddharta se promne dans la campagne, quil
accompagne son pre la chasse au tigre ou
quil se rebelle contre la vie protge quon veut
lui faire mener, nous suivons ds son enfance
celui qui deviendra Bouddha. On le dcouvre
ensuite dans sa dcouverte de la souffrance,
dans son errance, dans son ascse. Plus tard, ce
matre de sagesse va avoir ses disciples et dis-
penser inlassablement son enseignement. Cest
une approche vivante, intime et lumineuse du
Bouddha que nous offre Jos Frches. Chaque
acte de sa vie est une leon sur le chemin de
la vrit et le bouddhisme apparat ici comme
une voie simple et sereine. Cet album comporte
aussi une belle iconographie qui accompagne le
rcit et lui donne une vivante prsence. Cest
une russite que ces mmoires imaginaires du
Bouddha qui se rvle ici un tre proche de nous,
qui nous sourit et nous tend la main.
Bouddhisme : mode ou attrait authentique ?
Comment aborder le bouddhisme ?
Pour nous Occidentaux, le bouddhisme est la
fois dconcertant et attirant. Les ides centrales
que nous y rencontrons sont souvent loignes
de ce qui nous est familier, de nos cadres habituels
de pense et de comprhension. Les ides reues
comme les prjugs sont de ce fait nombreux.
Dautres choix et dmarches la non-violence, la
compassion peuvent nous sembler tout fait ju-
dicieux et sduisants. Aussi la manire de prsen-
ter le bouddhisme peut tre diverse. Spcialiste
universitaire et traducteur du tibtain, Philippe
Cornu veut dvelopper dans Le bouddhisme :
une philosophie du bonheur ? une approche pr-
cise qui vite les malentendus comme les lieux
communs. Ainsi, il rejette des ides courantes sur
cette religion et veut la diffrencier des notions
philosophiques ou psychologiques avec lesquelles
on la mle. Loccidentalisation du bouddhisme -
qui est relle - nest pas rcente. Ce passage de
lOrient lOccident prsente un double risque.
Le premier consiste livrer une version plus ou
moins New Age du bouddhisme en ladaptant
des notions comprhensibles et familires de la
culture occidentale. Le second risque, en restant
trop prs dune tradition savante, est de crer
une lite dOccidentaux bouddhistes coups
des ralits. Le bouddhisme est une exprience
de vie qui sinsre dans le contexte o lon est.
Philippe Cornu est trs attach la transmission
spirituelle qui est celle des grandes coles tra-
ditionnelles. Il est diffi cile de dfi nir, nous dit-il,
ce que sera un bouddhisme occidental quand
on sait, par exemple, quil a mis cinq cents ans
pour simplanter en Chine. Lauteur veut rendre
compte ici de ce cheminement spirituel vrai. Il
diffrencie les coles, mouvements et courants.
Il sattache galement prciser le problme de
lego, ce quest le karma, le lien du bouddhisme
avec la mditation, avec le dveloppement per-
sonnel, avec le social, avec le sexisme et lthique.
Il analyse les questions de la non-violence, du
vgtarisme et de la relation matre-disciple.
Louvrage de Philippe Cornu sattache prciser
ces notions essentielles afi n que, sans tre dfor-
me, la sagesse libratrice du bouddhisme puisse
tre transmise tous.
La mditation
Dans La voie du bouddhisme au fi l des jours. tre,
aimer, comprendre, Olivier Raurich nous pro-
pose un tout autre abord, celui de la mdita-
S O C I T
24 Lectures 185, mars-avril 2014
tion. Le bouddhisme est, nous explique-t-il, une
sagesse pratique , cest un chemin qui sins-
crit dans lexprience personnelle. Son ouvrage
propose exercices pratiques et rfl exions afi n
daborder les vrits dlivres par le Bouddha il
y a des sicles. Ces vrits restent profondment
valables dans nos modes de vie actuels. Olivier
Raurich nous amne la comprhension dides
cls telles que limpermanence, linterdpen-
dance, lamour, la compassion, tudiant et
interprte du matre tibtain Sogyal Rimpoch,
lauteur permet douvrir la voie du bouddhisme
des personnes de tous horizons, de convictions
diverses, de cultures diffrentes. Au fi l de ce che-
minement aussi concret que spirituel, le boudd-
hisme savre tre une voie ouverte tous ceux
qui dsirent la suivre.
Zen, Tao, Yoga : une dmarche syncrtique
Ne cherche pas et tu trouveras. Lart de vivre ins-
pir du zen, du tao et du yoga, est un ouvrage
bien diffrent. Lauteur, Denis Fak, adopte une
dmarche syncrtique qui unit dans une mme
manire de vivre ces trois approches. La plupart
dentre nous recherchent le bonheur et ils vivent
sur le mode du Je . Saccrocher au moi est
pourtant un obstacle au bonheur car le monde,
la ralit ne rpondent pas sa recherche. Perdus
dans lagitation mentale, dans les penses mul-
tiples et les images, nous ne sommes gure dans
linstant prsent. En puisant dans le zen, version
japonaise du bouddhisme, dans le tao, courant
de pense chinois et le yoga, discipline indienne,
lauteur veut unir les notions essentielles qui y
sont prsentes et qui peuvent nous permettre
de vivre autrement. Se dtacher de son ego,
changer son regard sont des attitudes fonda-
mentales. Refusant une existence base sur la
consommation, Denis Fak nous explique quil
est possible dtre en harmonie avec soi-mme
comme avec le cours des choses . Dans les
trois philosophies quil adopte, il souligne que
des changements sont accessibles : voir et sentir
autrement, vivre autrement la relation soi et
au monde. Cet ouvrage reprsente une attitude
frquemment rencontre dans notre culture
occidentale : chercher dans diffrents courants
spirituels ou philosophiques trangers des r-
ponses un questionnement personnel. Cest un
peu une forme de shopping philosophique et
spirituel que nous rencontrons ici, mais qui ne
manque pas pour autant de pertinence.
Laltruisme et la bienveillance
Louvrage de Matthieu Ricard, Plaidoyer pour
laltruisme. La force de la bienveillance, est de-
venu trs rapidement un rel succs de librairie.
Pourtant, cette somme de plus de neuf cents
pages aurait pu paratre indigeste plus dun,
mais cela na pas t le cas. Ce que nous dit cet
auteur est fondamental, intressant, souvent
inattendu. vitant une rudition aride comme
une approche trop vulgarise, ce livre est pas-
sionnant. Personnage dconcertant aussi que
Matthieu Ricard. Scientifi que, il a t chercheur
en biologie gntique. Parti en Asie, il y est res-
t depuis quarante ans. Devenu bouddhiste, il
vit au Npal o il est moine. Il est galement
linterprte franais du dala-lama et soccupe
daction humanitaire. Lorsquil aborde son sujet
essentiel, laltruisme, il dveloppe et analyse
non seulement une approche philosophique et
psychologique, mais se rfre aussi la science
qui lui a donn des connaissances spcialises
et lui a appris la rigueur intellectuelle. Dentre
de jeu, Matthieu Ricard parle de laltruisme et
de ses bienfaits. Lamour altruiste, que lon ren-
contre dans le bouddhisme sous la notion de
compassion stend tous les tres sensibles,
humains et non humains . Lacte seul ne suffi t
pas dfi nir lacte altruiste, il est aussi nces-
saire de connatre la motivation qui le guide. Par
ailleurs, il faut, au-del dun acte isol, tendre
laltruisme. tre lucide, tre impartial et rjoui
par le bonheur dautrui, faire preuve de courage
et de comprhension, sont ncessaires pour tre
vritablement altruiste. Sil existe un altruisme
biologique, comme celui qui fait quon va prendre
soin de ses enfants, laltruisme tendu est plus
diffi cile, car il est dcid et demande en outre
dtre impartial. Par ailleurs, Matthieu Ricard
sinsurge contre une ide essentielle des co-
nomistes, savoir lhypothse que les hommes
sont guids par lgocentrisme et calculent
leurs actes sur la base du rapport cot-bnfi ce.
Laltruisme tendu, nous dit-il, existe.
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