Ce manuel, dont la visée est essentiellement pratique, propose une méthode d’initiation à la traduction professionnelle, par opposition aux exercices de traduction axés sur l’acquisition d’une langue étrangère. Il répond aux exigences particulières de formation des futurs traducteurs de métier et s’adresse tout particulièrement, mais non exclusivement, aux étudiants des programmes universitaires de traduction. Son domaine est celui des textes pragmatiques généraux, formulés selon les normes de la langue écrite et en vue d’un apprentissage dans le sens anglais → français.Le manuel renferme 9 objectifs généraux d’apprentissage, 75 objectifs spé-cifiques, 85 textes à traduire, 253 exercices d’application, un glossaire de 275 notions, une bibliographie de 410 titres et des milliers d’exemples de traduction.
Jean Delisle, MSRC, trad. a., term. a., est diplômé de la Sorbonne Nouvelle (Paris III) et professeur émérite de l’Université d’Ottawa, où il a fait car-rière de 1974 à 2007. Auteur, coauteur et coordonnateur d’une vingtaine d’ouvrages, il a été traduit dans plus de quinze langues. La pédagogie et l’histoire de la traduction sont ses deux champs de recherche.
Avec la participation de Marco A. Fiola, trad. a. et term. a., titulaire d’un doctorat en traductologie de la Sorbonne Nouvelle (Paris III) et profes-seur agrégé à l’Université Ryerson (Toronto). M. Fiola est aussi coauteur du Livre du maître accompagnant la 3e éd. de La traduction raisonnée.
Le funambule — Œuvre originale de Jennifer MacklemTel un funambule, le traducteur avance pas à pas sur le fil des langues et des cultures à la recherche de l’équilibre parfait.
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Collection Pédagogie de la Traduction
Jean Delisle
La traduction raisonnée Manuel d’initiation
à la traduction professionnelle de l’anglais vers le français
3e édition
La traduction raisonnée
DU MÊME AUTEUR
Aux Presses de l’Université d’Ottawa La traduction en citations, 2007. L’enseignement pratique de la traduction (coéd. ETIB, Beyrouth), 2005. Portraits de traductrices (dir. ; coéd. Artois Presses Université, Arras), 2002. Traduit en coréen. Portraits de traducteurs (dir. ; coéd. Artois Presses Université, Arras), 1999. Traduit en coréen. Enseignement de la traduction et traduction dans l’enseignement (codir.), 1997. Traduit en coréen. Les traducteurs dans l’histoire (codir.), 1995 (2e éd. française, 2007 ; anglaise, 2012). Traduit en anglais,
arabe, chinois, espagnol, portugais et roumain. La traduction raisonnée et Livre du maître, 1993 (2e éd., 2003). Les alchimistes des langues, 1990. Traduit en anglais. La traduction au Canada/Translation in Canada (1534-1984), 1987. L’enseignement de l’interprétation et de la traduction : de la théorie à la pédagogie (dir.), 1981. L’analyse du discours comme méthode de traduction et Livre du maître, 1980 Traduit en anglais,
chinois, espagnol, persan et turc. Guide bibliographique du traducteur, rédacteur et terminologue (coauteur), 1979.
Chez d’autres éditeurs La terminologie au Canada. Histoire d’une profession, Montréal, Linguatech, 2008. Traduction : la formation, les spécialisations et la profession (codir.), Beyrouth, ETIB, 2004. Terminologie de la traduction (codir.), Amsterdam, J. Benjamins/Paris, Éditions UNESCO, 1999.
Traduit en afrikaans, allemand, anglais, arabe, chinois, espagnol, finnois, galicien, grec, italien, néerlandais, polonais, roumain, russe et turc.
Iniciación a la traducción. Enfoque Interpretativo. Teoría y Práctica (coauteur), Caracas, Universidad Central de Venezuela, 1997 (2e éd., 2006).
Au cœur du trialogue canadien. Croissance et évolution du Bureau des traductions du gouvernement canadien (1934-1984), Ottawa, Secrétariat d’État, 1984. Traduit en anglais et en chinois.
Les obsédés textuels, Hull, Asticou, 1983. Roman.
Chez l’auteur Histoire de la traduction (s.d.), DVD pour PC (avec la collaboration de Gilbert Lafond). Mise à jour
continue. Distribution : [email protected].
mailto:[email protected]
Jean Delisle Marco A. Fiola
La traduction raisonnée Manuel d’initiation
à la traduction professionnelle
de l’anglais vers le français
3e édition
avec la collaboration de Georges L. Bastin, Georges Farid, Aline Francœur,
Noëlle Guilloton, André Guyon, Charles Le Blanc
et Elizabeth Marshman
Les Presses de l’Université d’Ottawa 2013
Les Presses de l’Université d’Ottawa (PUO) sont fières d’être la plus ancienne maison d’édition universitaire francophone au Canada et le seul éditeur universitaire bilingue en Amérique du Nord. Fidèles à leur mandat original, qui vise à « enrichir la vie intellectuelle et culturelle », les PUO proposent des livres de qualité pour le lecteur érudit. Les PUO publient des ouvrages en français et en
anglais dans les domaines des arts et lettres et des sciences sociales.
Les PUO reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du
livre du Canada pour leurs activités d’édition. Elles reconnaissent également l’appui du Conseil des
arts du Canada et de la Fédération canadienne des sciences humaines par l’intermédiaire des Prix
d’auteurs pour l’édition savante. Nous reconnaissons également avec gratitude le soutien de l’Université d’Ottawa. Elles reconnaissent aussi la participation financière de l’Université Ryerson.
Révision linguistique : Nadine Elsliger Correction d’épreuves : André La Rose Mise en page : Édiscript enr. Maquette de la couverture : Édiscript enr. Illustration de la couverture : Le funambule, œuvre originale de Jennifer Macklem©
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
Delisle, Jean, auteur La traduction raisonnée : manuel d’initiation à la traduction professionnelle de l’anglais vers
le français/Jean Delisle, Marco A. Fiola ; avec la collaboration de Georges L. Bastin [et six autres]. — 3e édition.
(Pédagogie de la traduction) Comprend des références bibliographiques. Publié en formats imprimé(s) et électronique(s). Comprend du texte en anglais. ISBN 978-2-7603-0806-0 (couverture souple). — ISBN 978-2-7603-2099-4 (epub). — ISBN 978-2-7603-2117-5 (pdf)
1. Traduction. 2. Anglais (Langue) — Traduction en français. 3. Traduction — Problèmes et exercices. I. Fiola, Marco A., 1963- , auteur II. Titre. III. Collection : Pédagogie de la traduction
PE1498.2.F74D44 2013 418’.02 C2013-906083-9 C2013-906084-7
Dépôt légal : Bibliothèque et Archives Canada Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2013
Table des matières
Remerciements.................................................................................................................. 15
Introduction...................................................................................................................... 17
Abréviations ...................................................................................................................... 23
I MÉTALANGAGE DE LA TRADUCTION
Objectif premier Assimilation des notions du Glossaire ...................................................................... 27
II DOCUMENTATION DE BASE DU TRADUCTEUR
Objectif 2 Outils du traducteur .................................................................................................. 41
Objectif 3 Limites des dictionnaires bilingues ........................................................................... 51
Objectif 4 Sens critique, jugement linguistique ......................................................................... 59
Objectif 5 Évaluation des ressources documentaires................................................................. 71
III MÉTHODE DE TRAVAIL
Objectif 6 Étapes de la méthode de travail ................................................................................. 83
Objectif 7 Repérage des difficultés de traduction ...................................................................... 93
Objectif 8 Explication de texte .................................................................................................... 111
Objectif 9 Logique ....................................................................................................................... 119
Objectif 10 Cohérence et cohésion ............................................................................................... 127
Objectif 11 Travail en équipe ....................................................................................................... 137
Objectif 12 Autorévision ............................................................................................................... 143
IV OUTILS TECHNOLOGIQUES
Objectif 13 Traductique................................................................................................................. 151
Objectif 14 Ressources de la bureautique .................................................................................... 167
Objectif 15 Machine à dicter......................................................................................................... 177
V PROCESSUS DE LA TRADUCTION
Objectif 16 Report, remémoration, création discursive .............................................................. 189
Objectif 17 Correspondances vs équivalences : les mots.............................................................. 199
Objectif 18 Économie.................................................................................................................... 205
Objectif 19 Étoffement .................................................................................................................. 211
Objectif 20 Correspondances vs équivalences : les phrases.......................................................... 217
Objectif 21 Compléments cognitifs .............................................................................................. 223
Objectif 22 Traduire littéralement ou librement ?........................................................................ 231
Objectif 23 Créativité du traducteur ............................................................................................ 239
Objectif 24 Traduire l’humour...................................................................................................... 249
VI RÈGLES D’ÉCRITURE
Objectif 25 Usages codifiés de rédaction ...................................................................................... 261
Objectif 26 Traduction non sexiste, rédaction épicène................................................................ 265
Objectif 27 Nouvelle orthographe ............................................................................................... 275
Objectif 28 Notes du traducteur (N.d.T.)..................................................................................... 283
VII DIFFICULTÉS D’ORDRE LEXICAL
Introduction...................................................................................................................... 297 Objectif 29
Mot juste..................................................................................................................... 303 Objectif 30
Available ...................................................................................................................... 323 Objectif 31
Challenge, challenging, to challenge ............................................................................ 327 Objectif 32
To control..................................................................................................................... 331 Objectif 33
Corporate..................................................................................................................... 335 Objectif 34
Development, to develop ............................................................................................. 341 Objectif 35
To identify ................................................................................................................... 347 Objectif 36
To involve .................................................................................................................... 351 Objectif 37
Issue, to issue ............................................................................................................... 355 Objectif 38
-minded, -conscious, -oriented .................................................................................... 359 Objectif 39
Pattern ......................................................................................................................... 363 Objectif 40
Policy/Procedure .......................................................................................................... 367 Objectif 41
Problem ....................................................................................................................... 371 Objectif 42
System.......................................................................................................................... 375 Objectif 43
Caractérisation ........................................................................................................... 379 Objectif 44
Sens propre, sens figuré.............................................................................................. 385 Objectif 45
Mots français dans le texte de départ ........................................................................ 391 Objectif 46
Le déictique this.......................................................................................................... 397 Objectif 47
Anglicismes de fréquence .......................................................................................... 403
VIII DIFFICULTÉS D’ORDRE SYNTAXIQUE
Introduction...................................................................................................................... 415 Objectif 48
Comparatifs elliptiques.............................................................................................. 417 Objectif 49
Structures ordinales ................................................................................................... 425 Objectif 50
On … basis.................................................................................................................. 429 Objectif 51
As................................................................................................................................. 435 Objectif 52
While ........................................................................................................................... 443 Objectif 53
When ........................................................................................................................... 449 Objectif 54
With/Such.................................................................................................................... 455 Objectif 55
Disjonctions exclusives .............................................................................................. 463 Objectif 56
Déterminants juxtaposés ........................................................................................... 469 Objectif 57
Structures résultatives ................................................................................................ 475 Objectif 58
Verbes de progression, verbes d’aboutissement........................................................ 481 Objectif 59
Négativation ............................................................................................................... 487 Objectif 60
Participes présents, gérondifs et rapports logiques .................................................. 497 Objectif 61
Voix passive................................................................................................................. 505 Objectif 62
Tournures nominales, tournures verbales................................................................. 511
IX DIFFICULTÉS D’ORDRE STYLISTIQUE
Introduction...................................................................................................................... 521 Objectif 63
Concision.................................................................................................................... 523 Objectif 64
Élimination des relatives............................................................................................ 531 Objectif 65
Dépersonnalisation .................................................................................................... 537 Objectif 66
Anaphores et répétitions............................................................................................ 543
Objectif 67 Auxiliaires modaux : can/may/should ........................................................................
Objectif 68 Locutions, clichés, idiotismes ....................................................................................
Objectif 69 Allusions .....................................................................................................................
Objectif 70 Métaphores.................................................................................................................
Objectif 71 Juxtaposition/coordination vs articulation/subordination......................................
Objectif 72 Fausse question ..........................................................................................................
Objectif 73 Réseaux lexicaux.........................................................................................................
Objectif 74 Renforcement du caractère idiomatique du texte d’arrivée.....................................
Objectif 75 Textes mal écrits .........................................................................................................
551
561
577
587
601
607
613
619
631
Glossaire ............................................................................................................................ 641
Bibliographie ..................................................................................................................... 695
Annexe I Liste des textes ............................................................................................................ 713
Annexe II Notices biographiques ............................................................................................... 715
Seules peuvent profiter de l’enseignement de la traduction les personnes qui possèdent déjà une bonne formation. Il ne s’agit pas de l’enseignement des langues, mais d’une technique, des règles propres à la traduction, règles qui ne sont, comme toutes les règles du langage, que la constatation ou la codification de l’usage, de particularités constatées dans l’exercice de la traduction.
Pierre Daviault
Even those who approach or attain true bilingualism are still usually unable to translate without instruction.
Michael A. K. Halliday
Enseigner à traduire ce n’est ni transmettre des connaissances, ni faire assimiler des notions régurgitables à souhait, mais faire comprendre des principes et y associer des exercices qui assurent que leur application bascule dans le réflexe.
Danica Seleskovitch
REMERCIEMENTS
Nous aimerions adresser nos plus sincères remerciements aux personnes qui nous ont apporté leur collaboration pour la préparation de cette troisième édition de La traduction raisonnée.
En premier lieu, nous tenons à remercier notre collègue Marco A. Fiola, de l’Université Ryerson (Toronto, Ontario), qui a préparé un sondage électronique sur les éditions antérieures et produit une analyse détaillée des résultats. De ce travail préliminaire a résulté l’ajout de plusieurs objectifs, selon les vœux exprimés par les professeurs et les étudiants sondés, de sorte que l’on peut affirmer que la nouvelle mouture du manuel correspond aux besoins actuels de formation des futurs traducteurs. Nous devons aussi à ce professeur d’avoir établi les consignes ayant servi à uniformiser la présentation des nouveaux objectifs rédigés par sept collaborateurs. Il a également relu l’ensemble du manuscrit révisé qu’il a commenté et enrichi d’exemples. C’est par ses soins, enfin, que la mise à jour du Livre du maître a été préparée. C’est pourquoi, compte tenu de l’importance de son apport, nous avons jugé qu’il méritait le titre de coauteur de la troisième édition du manuel.
Nous aimerions aussi adresser nos remerciements aux auteurs des nouveaux objectifs pour leur disponibilité et la qualité de leur collaboration. Ont participé à cette « œuvre collective » : Georges L. Bastin (Université de Montréal), Georges Farid (Université du Québec en Outaouais), Aline Francœur (Université Laval), André Guyon (gestionnaire des technologies d’information au Bureau de la traduction), Charles Le Blanc et Elizabeth Marshman (Université d’Ottawa). À ces noms s’ajoute celui de Noëlle Guilloton, de l’Office québécois de la langue française, qui a complètement refondu et mis à jour l’objectif « Féminisation » de la deuxième édition, renommé dans cette troisième édition « Traduction non sexiste, rédaction épicène » (OS 26). Nous adressons nos plus sincères remerciements à tous ces professeurs et langagiers. Une notice biographique de chacun d’eux figure à l’Annexe II — Notices biographiques.
Les personnes suivantes méritent également notre reconnaissance pour leur apport ponctuel et désintéressé : Louise Brunette (Université du Québec en Outaouais), Benoit Léger (Université Concordia), Alain Otis (Université de Moncton) et Malcolm Williams (Université d’Ottawa). Merci, enfin, à Carole Martin pour l’idée du funambule de la couverture.
À toutes ces personnes ayant à cœur la formation de la relève, nous exprimons notre plus vive gratitude. Si cette troisième édition de La traduction raisonnée reçoit le même accueil que les deux précédentes, une part de ce succès leur reviendra.
J. D.
INTRODUCTION
L’étude des processus mentaux qui défont le travail du traducteur peut nous apprendre beau-coup de choses sur les processus qui mènent aux traductions réussies.
Maurice Pergnier
Cet ouvrage, dont la visée est essentiellement pratique, n’a d’autre ambition que de proposer une méthode d’initiation à la traduction professionnelle, par opposition aux exercices de traduction axés, en didactique des langues, sur l’acquisition d’une langue étrangère. Il répond aux exigences particulières de formation des futurs traducteurs de métier et s’adresse tout particulièrement, mais non exclusivement, aux étudiants des programmes universitaires de traduction.
Son domaine est celui des textes pragmatiques1 généraux, formulés selon les normes de la langue écrite et en vue d’un apprentissage dans le sens anglais vers le français. Souvent anonymes, contrairement aux textes littéraires qui, eux, sont signés, les textes pragmatiques ont une utilité plus ou moins immédiate et servent à transmettre une information d’ordre général ou propre à un champ d’activité. L’esthétique n’est pas leur caractéristique dominante, comme c’est le cas des œuvres littéraires. Ils représentent environ 90 % du volume des traductions dans le monde. On dénombre, au Canada, des milliers de traducteurs, mais une infime minorité réussit à vivre de la traduction littéraire. Notre manuel tient compte de cette réalité à la fois historique, politique, économique et linguistique.
Nouvelle édition, même orientation Dix années se sont écoulées depuis la publication de la deuxième édition de La traduction raisonnée (2003) et vingt ans depuis la première, qui remonte à 1993. Le temps était donc venu d’actualiser le manuel, qui a recueilli jusqu’ici la faveur des professeurs et des étudiants des écoles de traduction au Canada et même à l’étranger.
Tout manuel nécessite des « rafraîchissements » périodiques pour plusieurs raisons : besoins changeants des apprenants, progrès des connaissances, nouvelles ressources documentaires, apparition sur le marché de nouvelles aides à la traduction et de nouveaux outils de bureautique, sans compter l’évolution de l’usage, ce maître souverain. À cet égard, il est frappant de constater à quel point une langue change sur une période de dix ans. Son évolution suit le rythme trépidant de la vie moderne.
Nous avons profité de cette nouvelle édition pour enrichir le manuel et en diversifier le contenu. Son orientation générale, par contre, demeure inchangée : former de futurs traducteurs qui occuperont des postes dans les administrations publiques, les entreprises
1. Les termes qui composent l’essentiel du métalangage de l’enseignement pratique de la traduction figurent dans le Glossaire à la fin du manuel.
18 La traduction raisonnée
privées, les cabinets et agences de traduction ou qui seront traducteurs indépendants. La formation qu’il propose n’est pas axée sur la traduction littéraire, bien que les principes de base décrits dans ces pages soient aussi valables pour ce genre de textes.
Démonter le processus de la traduction Cette troisième édition est la distillation d’une quarantaine d’années d’enseignement de la traduction générale au niveau universitaire. Les difficultés d’apprentissage en début de formation sont nombreuses : méconnaissance de la nature réelle de la traduction, recherches documentaires insuffisantes, défauts de méthode, propension au transcodage, sous-traduction, surtraduction, hypertraduction, sous-exploitation des ressources de la langue d’arrivée, pour ne nommer que les principales. Si certaines personnes semblent naturellement douées pour la traduction, ce don n’est l’apanage que d’un petit nombre. D’où l’existence des nombreuses écoles de traduction au Canada et ailleurs dans le monde.
Notre manuel n’est pas un recueil de recettes : les livres de recettes n’ont jamais fait les grands chefs. Nous l’avons plutôt conçu comme une réflexion sur la démarche cognitive du traducteur. Au lieu de lui donner la forme d’un cahier de prescriptions et d’interdits, nous avons préféré ordonner son contenu sur l’assimilation progressive et méthodique des principes, règles et procédés de l’art de traduire.
En proposant une méthode de traduction raisonnée, nous souhaitons guider les premiers pas des futurs traducteurs en démontant avec eux le mécanisme complexe de la traduction. Éclairés sur la démarche à suivre, ils ne traduiront pas « à l’aveuglette », mais disposeront, du moins nous l’espérons, de repères fiables pour faire leurs choix d’équivalences.
Fondements de la méthode En enseignement de la traduction, la réflexion théorique et la pratique sont souvent un couple désuni. Nous avons tenté de les rapprocher chaque fois que cela était possible, tout en restant très concrets.
Notre méthode prend appui sur la théorie interprétative de l’École de Paris (Lederer, 1994, 1997 ; Seleskovitch, 1975), tout autant que sur la linguistique différentielle, notamment sur la contribution inestimable des comparatistes canadiens d’origine française Jean-Paul Vinay (1910-1999) et Jean Darbelnet (1904-1990), coauteurs de la Stylistique comparée du français et de l’anglais (1958). En didactique de la traduction, les démarches interprétative et comparative ne sont pas antinomiques, mais complémentaires, même si traduire ce n’est pas comparer, comme nous le verrons lors de l’analyse du processus cognitif de la traduction.
En 1969, Jean Darbelnet a publié dans la revue Meta un article intitulé « La traduction raisonnée ». En lui empruntant ce titre pour notre manuel, nous avons voulu rendre hommage à ce pionnier de la linguistique différentielle et de l’enseignement de la traduction au Canada (v. Delisle, 1990a : 51-56).
« Un dictionnaire sans exemples est un squelette », a dit Voltaire. Nous pouvons dire la même chose d’une méthode de traduction qui ne s’appuie pas sur un large corpus d’exemples. Nous avons donc jugé indispensable d’étayer d’exemples nombreux et variés la présentation des notions et des difficultés de traduction étudiées.
Il n’est pas défendu de penser que les textes desquels sont tirés ces exemples ont été produits dans des conditions plus ou moins normales de travail par des traducteurs de métier. Nos exemples sont donc « réels » ; ils ne sont pas « bricolés ». En procédant ainsi,
19 Introduction
nous faisons profiter les futurs traducteurs de l’expérience de leurs aînés et réduisons, dans une certaine mesure, l’écart qui sépare l’université du monde du travail.
La capacité de traduire présuppose une connaissance poussée des langues de départ et d’arrivée, en l’occurrence l’anglais et le français. C’est une condition préalable sine qua non à l’exercice du métier de traducteur. Il est faux de croire que tout francophone qui connaît l’anglais sait forcément traduire. Ce mythe a la vie dure. On a aussi tendance à oublier qu’il est plus important encore de maîtriser le français, car c’est dans cette langue que se manifestent l’aptitude à rédiger et la créativité du traducteur. « La traduction est le seul mode de lecture qui se réalise comme écriture, et ne se réalise que comme écriture » (Meschonnic, 1999 : 177). La lecture est passive, l’écriture, active.
Faire l’apprentissage de la traduction, ce n’est donc pas apprendre les langues, mais développer une double compétence générale et quatre aptitudes fondamentales, celles-ci s’exerçant à trois niveaux :
Double compétence 1. compétence de compréhension des textes à traduire ; 2. compétence de réexpression de leur sens (fond et forme).
Quatre aptitudes 1. dissocier les langues (savoir éviter les interférences) ; 2. appliquer les procédés de traduction (réaliser correctement le transfert interlinguis
tique) ; 3. intégrer des connaissances non linguistiques à des énoncés linguistiques (les complé
ments cognitifs) ; 4. maîtriser les techniques de rédaction (connaître les usages de la langue écrite).
Trois niveaux 1. les règles d’écriture (celui des usages codifiés de rédaction) ; 2. l’interprétation (savoir dégager la signification pertinente de mots et des énoncés en
contexte) ; 3. la cohérence (du discours et de sa logique).
Définition de la traduction Nous faisons nôtre la définition de la traduction que propose Claude Tatilon dans son ouvrage Traduire : pour une pédagogie de la traduction, car cette définition s’applique parfaitement aux textes pragmatiques et correspond aux qualités que nous reconnaissons nous aussi à une traduction réussie :
Traduire […] c’est avant tout se mettre au service de ses futurs lecteurs et fabriquer à leur intention un équivalent du texte de départ : soit, d’abord, un texte qui livre, avec le moins de distorsion possible, toute l’information contenue dans celui d’origine. Mais traduire, c’est aussi produire un texte duquel il convient d’exiger trois autres qualités : qu’il soit rendu « naturellement » en langue d’arrivée (qu’il « ne sente pas la traduction », dit-on couramment), qu’il soit parfaitement intégré à la culture d’arrivée et qu’il parvienne, par une adroite manipulation de l’écriture, à donner l’idée la plus juste de l’originalité et des inventions stylistiques de l’auteur traduit (Tatilon, 1986 : 150).
20 La traduction raisonnée
Nous retrouvons dans cette définition le souci des destinataires (les lecteurs éventuels de la traduction), la fidélité au contenu du texte original et le respect des habitudes linguistiques des locuteurs de la langue d’arrivée (son caractère idiomatique). Elle tient compte également des réalités socioculturelles et des aspects stylistiques et rhétoriques présents dans les textes pragmatiques tout autant que dans les œuvres littéraires.
Le maniement du langage La traduction raisonnée porte sur le maniement du langage à la charnière de deux langues. Concrètement, s’initier à traduire, c’est apprendre à lire un texte original avec les yeux d’un traducteur, c’est-à-dire apprendre à y repérer les difficultés d’interprétation et de reformulation qu’il renferme et pouvoir les nommer.
Ce balisage suppose l’acquisition d’un outillage conceptuel. L’expérience prouve qu’il est difficile, voire impossible, de tenir un discours structuré sur les phénomènes de la traduction sans disposer d’une terminologie idoine. Privé de ce cadre notionnel, on bascule rapidement dans l’impressionnisme stérile, contraire à un enseignement universitaire digne de ce nom. Il s’imposait donc d’inclure dans notre manuel un Glossaire du métalangage de l’initiation à la traduction.
Plus l’apprenti traducteur acquerra une conscience claire de la méthode de travail à appliquer, de la démarche à suivre, de la nature des difficultés à vaincre et des stratégies à mettre en œuvre pour les surmonter, plus il deviendra maître de son art et sera en mesure d’en repousser les limites.
On ne peut pas inculquer le talent, mais il est possible de créer des conditions d’apprentissage favorables à son développement. Pour ce faire, il importait de placer le principal intéressé — l’étudiant — au cœur même de la démarche interprétative qui caractérise l’opération traduisante afin de lui en faire saisir toute la dynamique.
Une méthode par objectifs d’apprentissage Toute bonne méthode d’enseignement, quel que soit le domaine d’étude, doit clairement délimiter la matière à transmettre, sérier les difficultés, fixer des objectifs d’apprentissage, préciser les moyens permettant de les atteindre, établir une progression dans la formation et, enfin, prévoir des modalités d’évaluation des performances observables (Bloom et al., 1969 ; Mager, 1977 ; Prégent, 1990). Nous avons tenté de respecter ces exigences — acquis le moins contesté de la pédagogie moderne — en ordonnant la matière de notre manuel autour d’objectifs généraux et spécifiques.
Par objectif d’apprentissage, on entend la description de l’intention visée par une activité pédagogique et qui précise les changements durables de comportement devant s’opérer chez un étudiant. On distingue deux grandes catégories d’objectifs.
L’objectif général (OG) est un bref énoncé d’intention, formulé en termes plus ou moins précis, qui indique les résultats auxquels doit conduire un processus d’apprentissage à l’intérieur d’un programme d’études ou d’un cours. L’objectif général est formulé du point de vue du professeur et décrit le savoir à faire acquérir à l’étudiant.
L’objectif spécifique (OS) est un énoncé formulé en termes de comportements observables qui décrit le plus précisément possible les résultats auxquels doivent conduire une ou plusieurs activités pédagogiques à l’intérieur d’un programme d’études ou d’un cours. Outil opérationnel, l’objectif spécifique est rédigé du point de
Annexe II
NOTICES BIOGRAPHIQUES
Georges L. Bastin, trad. a., est professeur titulaire à l’Université de Montréal et responsable du Groupe de recherche en histoire de la traduction en Amérique latine («HISTAL», http:// www. histal.ca). Il a exercé et enseigné la traduction et l’interprétation de conférence durant une vingtaine d’années au Venezuela. Ses domaines de recherche sont la pédagogie et l’histoire de la traduction. Rédacteur en chef de la revue Meta, il a publié de nombreux ouvrages et articles.
Georges Farid, titulaire d’un doctorat en linguistique appliquée de l’Université Paris V René Descartes, est professeur à l’Université du Québec en Outaouais. Il y enseigne surtout la grammaire normative depuis 1982. Outre quelques ouvrages, il est l’auteur de nombreux articles, entre autres sur la grammaire et l’orthographe française. Le participe passé, les homonymes et l’orthographe sont notamment ses champs de prédilection.
Aline Francœur, term. a., trad. a., est professeure agrégée au Département de langues, linguistique et traduction de l’Université Laval, où elle dirige le Centre interdisciplinaire de recherches sur les activités langagières. L’histoire des dictionnaires et la terminologie sont ses deux champs de recherche privilégiés. Elle a publié une vingtaine d’articles dans des revues spécialisées telles que les Cahiers de lexicologie, Dictionaries, International Journal of Lexicography, Lexicographica, Meta, Mémoires du livre et Terminogramme, et codirigé les ouvrages Les dictionnaires Le Robert. Genèse et évolution et Les dictionnaires Larousse. Genèse et évolution, publiés aux Presses de l’Université de Montréal. Elle a récemment pris la relève de Claude Poirier à la direction du Trésor de la langue française au Québec (TLFQ).
Noëlle Guilloton, term. a., est conseillère linguistique. Elle a travaillé à l’Office québécois de la langue française de 1979 à 2012, principalement aux consultations et aux communications. Coauteure du guide Le français au bureau et de l’article « La féminisation au Québec » du dictionnaire électronique de Franqus, elle est aussi l’auteure de Mots pratiques, mots magiques et d’Arrêts sur images. Elle a été l’initiatrice du Téléphone linguistique et la responsable linguistique de la Dictée des Amériques.
André Guyon est titulaire d’un baccalauréat en traduction (1980) de l’Université de Montréal. Depuis 1987, il fait carrière au Bureau de la traduction du gouvernement canadien. D’abord traducteur, il a été coordonnateur en technologies langagières, puis expert conseil en technologies langagières. Il est actuellement l’architecte principal des fonctionnalités de la nouvelle boîte à outils destinée aux langagiers du Bureau.
Charles Le Blanc est professeur agrégé à l’École de traduction et d’interprétation de l’Université d’Ottawa. Traducteur professionnel et littéraire, il enseigne la traduction
http:histal.ca
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pragmatique de l’anglais au français au niveau universitaire depuis 2003. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Le complexe d’Hermès, traité de traduction couronné en 2010 par l’Académie des lettres du Québec (catégorie « essai ») et finaliste au Prix du Gouverneur général du Canada.
Elizabeth Marshman, professeure adjointe, enseigne la terminologie, la terminotique et la traductique à l’Université d’Ottawa. Elle est membre de l’Observatoire de linguistique Sens-Texte et de l’équipe de la Collection électronique de ressources en technologies de la traduction (CERTT) (www.certt.ca). Elle s’intéresse particulièrement à l’analyse de corpus en terminologie et en traduction, aux relations terminologiques et à la formation en traductique.
http:www.certt.ca
REMERCIEMENTSINTRODUCTION
Annexe IICOLLABORATIONS