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La transmission des crises financières aux pays émergents : l’expérience de l’Europe émergente
Jean-Pierre Allegret EconomiX, UMR 7235 CNRS et Université Paris Ouest Nanterre La défense
Introduction
La crise ouverte à la suite de l’effondrement du marché des crédits hypothécaires à risque en juin
2007 a été un choc majeur pour l’économie mondiale. Dès octobre 2008, le Fonds monétaire
international avait d’ailleurs souligné que les pays développés allaient vivre la récession la plus
importante en ampleur depuis 1945. Le point frappant de cette crise est son aspect mondial. Les
principaux indices manufacturiers ont chuté de manière simultanée, une telle synchronisation des
conjonctures étant tout à fait exceptionnelle. Un effet collatéral de cette crise est l’ouverture
début 2010 d’une nouvelle crise, centrée sur la Zone euro, à travers ce qu’il est convenu d’appeler
la crise des dettes souveraines. Notre analyse se focalise sur la transmission de la crise aux pays
émergents d’Europe centrale et orientale en considérant le canal financier
La première section étudie la transmission des tensions financières des pays développés aux pays
de l’Europe émergente. La seconde section s’intéresse aux réactions de politique économique.
1- L’influence des perturbations financières des pays développés sur les pays émergents : le canal financier
Balakrishnan et al. (2011) ont analysé la transmission des perturbations financières affectant les
pays développés en direction des pays émergents. Ils ont ainsi construit un indicateur de stress
financier combinant quatre caractéristiques principales : des variations importantes dans les prix
des actifs, un accroissement brutal du risque et / ou de l’incertitude, un assèchement de la
liquidité et des inquiétudes concernant la santé du secteur bancaire. L’indicateur de stress
financier prend ainsi en compte les développements sur les marchés actions (évolutions des
rendements et de la volatilité des cours), la prime de risque sur les émergents (EMBI), les tensions
sur les marchés des changes et la situation du secteur bancaire.
L’échantillon de pays émergents comprend 26 pays à partir de janvier 1997. L’indice de stress
financier rend bien compte des périodes de tensions financières connues par les pays émergents
depuis cette date (graphique 1) : crise asiatique de 1997-98, éclatement de la bulle internet et crise
des subprimes.
2
Graphique 1 L’indicateur de stress financier par régions émergentes
Source : : Balakrishnan et al. (2011).
On voit aussi que l’indicateur de stress financier tend à augmenter en même temps dans toutes les
régions émergentes. Ceci suggère la présence de facteurs communs expliquant leurs évolutions.
Balakrishnan et al. (2011) montre que le stress financier au sein des pays développés est la
principale composante commune du stress des marchés émergents. Plus précisément, environ
70 % du stress dans les pays développés est transmis aux pays émergents. La vitesse de
transmission est rapide, entre 1 et 2 mois seulement (graphique 2).
Graphique 2 Stress financier dans les pays développés et émergents, 1997-2009
Source : Balakrishnan et al. (2011).
La faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 a joué comme un puissant accélérateur de la
crise financière. De crise de la titrisation celle-ci s’est en effet transformée en crise financière
mondiale. Une manifestation de cette dimension mondialisée de la crise a été la chute
synchronisée des bourses mondiales après le choc de la mi-septembre 2008 (graphique 3).
Pays émergents Pays avancés (éch. droite)
3
Graphique 3 Cours boursiers mondiaux, indice
Pays développés : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Grèce, Hong Kong, Irlande, Italie, Japon, Nouvelle Zélande, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Singapour, Suède et Suisse Pays émergents : Brésil, Chili, Chine, Colombie, République tchèque, Egypte, Hongrie, Inde, Indonésie, Israël, Corée du Sud, Malaisie, Mexique, Maroc, Pérou, Philippines, Pologne, Russie, Afrique du Sud, Taiwan, Thaïlande et Turquie Europe de l’est émergente : Hongrie, Pologne, Rép. Tchèque et Russie
Source : MSCI Barra
Une autre manifestation importante de la crise est le retournement brutal des mouvements
internationaux de capitaux à destination des pays émergents et en développement (partie gauche
du Graphique 4) et dans l’Europe émergente (partie droite).
Graphique 4 Flux nets de capitaux vers les pays émergents et en développement et vers l’Europe émergente, en milliards de dollars
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Flux privés, nets
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Investissements de portefeuille, nets
Autres flux privés, nets
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2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
Flux privés, nets
Investissements directs étrangers,
netsInvestissements de portefeuille, nets
Autres flux privés, nets
Europe émergente : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Hongrie, Kosovo, Lettonie, Lituanie, Macédoine, Monténégro, Pologne, Romanie, Serbie et Turquie Source : FMI, World Economic Outlook, Base de données, avril, 2012
Le côté gauche du graphique 4 fait apparaître deux ruptures : d’une part la faillite de Lehman
Brothers en 2008 et, d’autre part, le début de la crise des dettes souveraines de la Zone euro en
4
2010. Dans les deux cas, on observe un recul des entrées nettes de capitaux dans les pays
émergents et en développement. La partie droite montre que les pays de l’Europe émergente ont
été particulièrement frappés par le recul des flux liés aux autres investissements. Parmi ces
derniers, les crédits bancaires internationaux occupent une place particulièrement importante. Le
graphique 5 montre que les banques internationales ont davantage contracté leurs positions
transfrontières vis-à-vis des pays en développement que vis-à-vis des pays développés. On voit à
nouveau que la crise des dettes souveraines est marquée par un tassement marqué de l’activité
bancaire internationale.
Graphique 5 Positions extérieures des banques internationales vis-à-vis de tous les secteurs, variation trimestrielle, en %
Source : Banque des Règlements Internationaux
Il est important de souligner l’influence exercée par les facteurs extérieurs aux pays émergents
pour expliquer la dégradation de leur situation économique. Une manière de percevoir le rôle de
ces facteurs globaux est de considérer la relation entre l’indicateur VIX et la prime EMBI
(graphique 6). Au cours de la période marquée par la crise, on observe une intensification du lien
entre les deux variables. Les tests de causalité à la Granger1 confirment ce lien : si sur la période
1er janvier 2002 – 31 décembre 2007, l’indicateur VIX ne cause pas l’EMBI, on observe une telle
causalité sur la période 1er janvier 2008 – 21 août 2009. Entre les deux périodes, la corrélation
contemporaine entre les deux variables est respectivement de 0,73 et de 0,89. La crise des
subprimes n’est que l’illustration d’un phénomène bien connu : les facteurs extérieurs aux marchés
1 La causalité au sens de Granger vise à déterminer si une variable x cause une variable y en observant tout d’abord dans quelle mesure les valeurs passées de y arrivent à expliquer la valeur actuelle de y et de voir par la suite l’amélioration de l’estimation grâce à la prise en compte de valeurs retardées de la variable x. Y peut être considérée comme « causée selon Granger » si la variable x est déterminante dans l’estimation de y ou encore, d’une manière équivalente, si les coefficients des valeurs retardées de la variable x sont significativement différents de zéro.
5
émergents, et notamment les variables macroéconomiques des pays développés, exercent un
impact déterminant sur les primes de risques (Fernandez-Arias, 1996 ; Frank et Hesse, 2009 ;
Allegret et Sand-Zantman, 2009a).
Graphique 6 La relation VIX – EMBI au cœur de la crise financière
a. Relation VIX - EMBI et crise des subprimes b. Spread souverain dans l'Europe émergente
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EMBI+ (éch g)
VIX (éch d)
Sources : Ministère argentin de l’économie et des finances publiques, Chicago Board Options Exchange et Datastream La crise des dettes souveraines permet à nouveau de souligner le poids des facteurs
internationaux dans les dynamiques affectant les pays émergents et, parmi ceux-ci, les pays de
l’Europe émergente. Le graphique 7 illustre la dégradation de la situation financière des pays de la
zone euro, et plus particulièrement celle de l’Espagne, de la Grèce, de l’Irlande, de l’Italie et du
Portugal.
Graphique 7 Conditions de financement des Etats dans quelques pays de la Zone euro, données journalières
a. Spreads 10-ans des obligations d'Etats, en % b. Primes sur les CDS souverains, en points de base
0
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1600
14/12/2007 14/12/2008 14/12/2009 14/12/2010 14/12/2011-5
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Portugal
Grèce, éch. droite
Irlande
Espagne
Italie
France
Royaume-Uni
Allemagne
Grèce
PortugalEspagne
Italie
Irlande France
Source : Datastream
Afin de comprendre dans quelle mesure cette crise peut avoir des effets systémiques
internationaux, il convient d’intégrer son impact sur les banques. Une aggravation de la crise
pourrait déstabiliser les banques dans la mesure où celles-ci détiennent des titres publics dans
leurs portefeuilles. Dans cette perspective, des tensions sur les taux longs conduiraient à des
pertes en capital pour les banques qui, à leur tour, pourraient entrainer une crise bancaire via des
6
effets de contagion liés à la perte de confiance. La transmission au secteur non financier
reposerait sur le comportement de réduction de l’effet de levier par les banques de la zone euro
reposant sur deux facteurs principaux : l’accroissement du coût de la ressource bancaire et les
exigences en fonds propres issues de la régulation prudentielle.
Depuis le début de la crise, quelques indicateurs suggèrent clairement que les banques – plus
particulièrement celles de la Zone euro – souffrent des tensions affectant les finances publiques.
En premier lieu, le graphique 8 montre la présence de tensions sur les marchés interbancaires qui
dépassent le seul marché interbancaire en euro.
Graphique 8 Tensions sur les marches interbancaires et crise de la dette souveraine
Spreads taux interbancaires à trois mois-OIS, en points de base Spreads taux interbancaires à douze mois-OIS, en points de base
Royaume-Uni
Royaume-Uni
Zone euro Zone euro
Etats-Unis
Etats-Unis
Source : OFCE (2011)
Dans une perspective similaire, le graphique 9 suggère la présence d’effets de contagion. En effet,
on voit que les primes sur les CDS bancaires augmentent même dans les banques non Union
européenne.
Graphique 9 Primes sur les CDS du secteur bancaire, en points de base
0
100
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300
400
500
600
14/12/2007 14/12/2008 14/12/2009 14/12/2010 14/12/2011
Royaume-Uni
Amérique du nordUnion européenne
Source : Datastream
7
Des tensions ont aussi été observées sur les primes des CDS souverains dans les pays émergents
depuis 2010. Le graphique 10 illustre la présence de ces tensions pour quelques pays de l’Europe
émergente.
Graphique 10 Primes sur les CDS souverains dans quelques pays de l’Europe émergente, données journalières, en points de base
0
200
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600
800
1000
1200
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09
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11
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12
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12
Rép . Tchèque
Pologne
Lituanie
Lettonie
Hongrie
0
1000
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0
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300
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700
800
900
01/01/2009 01/01/2010 01/01/2011 01/01/2012
Ukraine
Russie
Turquie
Roumanie
Croatie
Serbie
Source : Datastream
La réduction de l’effet de levier par les banques a conduit à une réduction des crédits
internationaux en direction des pays émergents (Graphique 5 plus haut). Le graphique 11 montre
que les pays de l’Europe émergente ont été les plus frappés par cette réduction depuis le début de
la crise des dettes souveraines dans la zone euro.
Graphique 11 Positions extérieures des banques internationales vis-à-vis de tous les secteurs dans les régions émergentes, variation trimestrielle, en %
Source : Banque des Règlements Internationaux
Au total, la crise de la dette souveraine revêt toutes les caractéristiques d’une crise systémique
internationale.
8
La suite de cet article s’intéresse aux réponses de politique monétaire adoptées dans les pays
émergents. Dans la mesure où la crise de la dette souveraine est encore en cours, on se concentre
sur la crise financière internationale liée aux subprimes.
2- Les réponses de politique économique dans les pays émergents
Afin de comprendre les réponses de politique monétaire et l’action par le taux de change, il est
nécessaire au préalable d’identifier les vulnérabilités à la crise des pays de l’Europe émergente. En
effet, la présence de vulnérabilités limité la capacité des autorités à mener des politiques contra-
cycliques (Ghosh et al., 2009 ; IMF, 2010 ; Gardó et Martin, 2010 ; Mitra, 2011). Il existe une
littérature importante soulignant le fait que les pays émergents ont moins de marge de manœuvre
que les pays développés.
Les vulnérabilités
On a vu précédemment que les mouvements internationaux de capitaux avaient connu un reflux
important à la suite de la crise financière. Une question importante est de voir dans quelle mesure
les pays émergents sont plus ou moins vulnérables aux chocs affectant certains flux de capitaux.
Les pays d’Europe centrale et orientale sont particulièrement vulnérables au canal financier.
L’exemple de la Hongrie l’a bien montré. Ces pays cumulent en effet d’importants déficits des
comptes courants avec une divergence de trajectoire marquée par rapport aux autres pays
émergents (graphique 12 et tableau 1).
Graphique 12 Soldes du compte courant par régions émergentes et Tableau 1 Soldes par pays de l’Europe émergente, en % du PIB
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
Bulgarie -5,453 -5,523 -2,379 -5,323 -6,425 -11,666 -17,573 -25,239 -23,181 -8,942 -1,322 1,935
Croatie -2,305 -3,046 -7,209 -6,019 -4,123 -5,27 -6,676 -7,261 -8,914 -5,02 -1,028 0,879
Rép. Tchèque -4,571 -5,082 -5,437 -6,071 -5,046 -0,93 -2,109 -4,394 -2,121 -2,472 -3,031 -2,949
Estonie -5,377 -5,176 -10,618 -11,308 -11,312 -9,978 -15,341 -15,946 -9,677 3,704 3,587 3,17
Hongrie -8,644 -6,077 -6,992 -8,022 -8,427 -7,479 -7,405 -7,274 -7,397 -0,199 1,097 1,605
Lettonie -4,864 -7,561 -6,6 -8,147 -12,911 -12,504 -22,586 -22,442 -13,228 8,65 2,983 -1,198
Litunanie -5,868 -4,695 -5,155 -6,837 -7,611 -7,017 -10,643 -14,477 -13,272 4,652 1,461 -1,712
Pologne -6,039 -3,123 -2,797 -2,524 -5,24 -2,382 -3,848 -6,231 -6,603 -3,985 -4,66 -4,307
Romanie -3,025 -4,38 -3,333 -5,819 -8,364 -8,646 -10,389 -13,426 -11,635 -4,163 -4,452 -4,166
Russie 18,036 11,069 8,436 8,229 10,067 11,057 9,53 5,925 6,245 4,05 4,704 5,466
Serbie -1,767 -2,493 -8,262 -7,265 -12,139 -8,694 -10,181 -16,138 -21,6 -7,122 -7,237 -9,14
Turquie -3,723 1,923 -0,27 -2,478 -3,679 -4,622 -6,094 -5,921 -5,686 -2,176 -6,35 -9,907
Ukraine 4,737 3,689 7,485 5,767 10,648 2,937 -1,501 -3,694 -7,086 -1,477 -2,188 -5,626-10
-5
0
5
10
15
20
Europe centrale et de l'est
Communauté des Etats
Indépendants
Asie en développement
Amérique Latine et
Caraïbes
Moyen Orient et Afrique
du Nord
Afriqu e Sub-Saharienne
Source : FMI, World Economic Outlook, base de données avril 2012.
Ils ont donc une dépendance certaine aux financements internationaux, et plus particulièrement
au financement bancaire international. Ainsi, si on s’intéresse à la taille et à la composition des
liens financiers entre les pays émergents et les pays développés, on voit que les pays émergents
d’Europe ont vu leurs engagements bancaires fortement augmenter alors que ceux des pays
9
émergents d’Asie diminuaient2. Parallèlement, les banques européennes ont augmenté leurs prêts
aux pays émergents d’Europe suggérant, comme le soulignent Balakrishnan et al. (2011), que les
banques des pays d’Europe de l’ouest sont devenues la principale source à l’origine des effets de
créditeurs communs.
Un facteur aggravant de vulnérabilité concerne l’endettement en devises des agents domestiques
afin de bénéficier de taux d’intérêt plus bas dans un contexte de risque de change limité dans la
mesure où beaucoup de pays de l’Europe émergente ont leur monnaie ancrée à l’euro. Entre 2007
et 2011, de nombreux pays de la région ont vu les prêts en devises aux ménages et aux entreprises
non financières augmenter entre 2007 et 2011 (graphique 13).
Graphique 13 Prêts en devises en pourcentage du PIB dans quelques pays de l’Europe émergente, 2007 et 2011
Ménages Entreprises non financières
0
10
20
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60
Croatie Hongrie Roumanie Ukraine Pologne Turquie Russie
2007
2011
0
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14
16
18
Croatie Hongrie Roumanie Ukraine Pologne Turquie Russie
2007
2011
Source : IMF (2012).
Dans les pays où le déséquilibre de devises est important, les agents sont exposés à un effet de
bilan négatif de taille importante en cas de dépréciation de la monnaie domestique.
Il convient de souligner que l’on observe au contraire une réduction du degré de dollarisation en
Amérique latine et centrale, région pourtant marquée par une dollarisation historiquement
importante (Izquierdo et Talvi, 2009).
La politique monétaire
Les banques centrales de nombreux pays émergents ne sont pas restées à l’écart du mouvement
de baisse des taux d’intérêt observé dans les pays développés. La majorité des banques centrales
de ce groupe de pays en effet possèdent plus de marges de manœuvre que dans les précédents
épisodes de crise. En premier lieu, cette crise provient des pays développés, ce qui doit en
principe limiter le risque qu’une politique monétaire expansionniste provoque une crise de
confiance. En deuxième lieu, l’inflation est maîtrisée dans beaucoup de pays émergents. En
troisième lieu, le fait que de nombreux pays émergents aient adopté des régimes de change plus
2 Sur ce point, voir Balakrishnan et al. (2011).
10
flexible redonne des capacités d’actions aux banques centrales. En quatrième lieu enfin, les
banques centrales des pays émergents ont des taux directeurs qui demeurent bien supérieurs à
ceux des banques centrales de pays développés.
On peut d’ailleurs à nouveau souligner la différence de réactions des pays d’Amérique latine entre
la crise actuelle et la crise russe. Le graphique 14 montre ainsi que si les banques centrales ont
réagi à la crise russe par une contraction monétaire (hausse des taux d’intérêt), cela n’a pas été le
cas avec la crise actuelle.
Graphique 14 Réactions de politique monétaire en Amérique latine et centrale
a. Crise russe b. Faillite de Lehman Brothers
Taux d'intérêt
Taux de change
Ta
ux
d'i
nté
rêt
Ta
ux
de
cha
ng
e Ta
ux
d'i
nté
rêt
Ta
ux
de
cha
ng
e
Taux d'intérêt
Taux de change
Source : Izquierdo et Talvi (2009), p.17.
Les pays émergents de la zone Europe les plus contraints par la crise – du fait notamment de
l’ampleur de leur endettement domestique en devises et de leur dépendance à l’égard des
financements internationaux – ont eu tendance à réagir plus tardivement au choc provoqué par la
faillite de Lehman Brothers. Le graphique 15 compare ainsi l’évolution du taux d’escompte de
quelques banques centrales de pays émergents (partie gauche) avec des émergents de la zone
Europe particulièrement vulnérables (partie droite). Selon le graphique, il apparaît qu’à
l’exception de la Lituanie, les autorités monétaires ont soit augmenté leur taux d’escompte au
moment du choc (Hongrie, Russie), soit elles l’ont laissé inchangé (Estonie, Lettonie).
11
Graphique 15 Taux d’escompte dans quelques pays émergents, en %
0
5
10
15
20
25
30
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
0
2
4
6
8
10
12
14Chili
Brésil (éch. droite)
Corée du sud
Chine
Pologne
Russie
Ukraine
Hongrie
Lettonie
Lituanie
Source : FMI, Statistiques financières internationales
Le graphique 16 confirme les remarques précédentes en les accentuant. Il présente les taux du
marché monétaire dans quelques pays émergents d’Asie et d’Amérique latine et centrale (partie
droite) et dans quelques pays de l’Europe émergente (partie droite). On voit que les perturbations
monétaires ont été bien plus fortes que ce que suggère la seule observation des taux d’escompte.
Graphique 16 Taux du marché monétaire dans quelques pays émergents, en %
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
0
5
10
15
20
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
20
0
2
4
6
8
10
Brésil (éch. droite)
Chili
Mexique
Thaïlande
Corée du Sud
Lettonie
Ukraine (éch. droite)
Roumanie
Lituanie
Pologne Russie
Source : FMI, Statistiques financières internationales
Les taux de change
Un trait marquant de la crise actuelle est que de nombreux pays émergents, la zone Europe étant
une nouvelle fois une exception notable, ont laissé leur taux de change se déprécier (graphique
17).
12
Graphique 17 Taux de change nominal effectif dans quelques pays émergents. 100 = 2005
Une hausse (baisse) du taux de change effectif nominal signifie une appréciation(dépréciation) de la monnaie domestique
Source : Banque des Règlements Internationaux
60
70
80
90
100
110
120
130
140
70
80
90
100
110
120
130
140
80
85
90
95
100
105
110
Brésil
Chine
Chili
Corée du Sud
Argentine
Mexique
Rép. Tchèque
Pologne
Roumanie
Russie
Turquie
Hongrie
Lettonie
Bulgarie
LituanieEstonie
Ce comportement explique d’ailleurs pourquoi on observe une réactivité des taux d’intérêt des
banques centrales globalement plus vigoureuse en Amérique latine ou en Asie comparativement à
ce qui s’est passé en Europe émergente. L’explication principale de cette évolution de
comportement repose sur le fait que le degré de dollarisation des économies a diminué de
manière très significative, particulièrement en Amérique latine et centrale, ce qui a réduit la peur
du flottement des autorités, peur du flottement qui reposait elle-même sur de puissants effets de
bilan négatifs liés aux dépréciations (Calvo et Reinhart, 2002 ; Allegret et Sand-Zantman, 2009b).
Dans ce contexte, les dépréciations n’avaient pas les effets expansionnistes escomptés et
pouvaient même conduire à des effets dits « contractionnistes » (Frankel, 2005). La réduction de
la dollarisation permet de faire jouer les propriétés de lissage des chocs offerts par des taux de
change davantage flexibles (Edwards et Levy-Yeyati, 2005).
Allegret et al. (2013) ont confirmé cette observation en étudiant les pays membres de l’Union
européenne entrés en mai 2004 mais qui n’ont pas adhéré à la Zone euro depuis. Utilisant un
modèle VAR sur la période janvier 2004 – décembre 2010, ils montrent que les pays ayant adopté
des régimes de change rigides (Estonie, Lettonie et Lituanie) ont contenu la réponse de leur taux
de change nominal aux chocs réel et financier les ayant affecté alors que les pays à régimes de
change plus flexibles (Hongrie, Pologne et République tchèque) ont laissé leur monnaie se
13
déprécier. Ce comportement est largement expliqué par la dollarisation – euroisation des dettes
dans le premier groupe de pays.
Conclusion
Les pays émergents – et parmi ceux-ci les économies de l’Europe émergente – ont été frappés par
un choc macroéconomique majeur. Ce choc est inédit à la fois par son ampleur et par le fait que
son épicentre se situe dans les pays développés. Alors que durant les années 90 les pays
émergents avaient montré des capacités limitées à résister aux chocs négatifs les affectant, la crise
actuelle a révélé une capacité de résistance accrue. L’Europe émergente est une exception
importante.
Cependant, il convient de souligner que même si les fondamentaux de ces économies se sont
améliorés très sensiblement, il n’en demeure pas moins qu’elles restent très exposées aux chocs
internationaux. Ainsi, une des leçons de la crise actuelle est que même les pays dotés de
fondamentaux solides ont été affectés. Une nouvelle fois – eu égard aux expériences de crises des
années 90 – cela pose la question de la régulation des flux internationaux de capitaux pour ces
pays. Les entrées massives de capitaux dans les marchés émergents depuis la seconde moitié de
l’année 2009 – entrées dues au niveau très bas des taux d’intérêt mondiaux – dont remis au goût
du jour la question des contrôles de capitaux dans ces pays afin de pouvoir gérer leurs
conséquences déstabilisatrices. Cette question est d’autant plus importante qu’il existe un
potentiel de très forte instabilité internationale liée à la crise des dettes souveraines de la Zone
euro.
Références
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Allegret J.P. et Sand-Zantman A. (2009b), « Does a monetary union protect against foreign shocks ? An assessment of Latin American integration », Journal of Policy Modeling, vol.31, n°1, p.102-118.
Allegret J.P., Becker-Pucar E. et Josifidis K. (2013), « Adjustment mechanisms and exchange rate regimes in new 2004 EU members during the financial crisis », Post-Communist Economies, vol.25, n°1, mars, à paraître.
Balakrishnan R., Danninger S., Elekdag S. and Tytell I. (2011), “The Transmission of Financial Stress from Advanced to Emerging Economies”, Emerging Markets Finance and Trade, vol.47 (03S2-mai-juin), p.40-68.
Calvo G. et Reinhart C.M. (2002), « Fear of floating », The Quarterly Journal of Economics, vol.117, n°2, mai, p.379-408.
Edwards S. et Levy-Yeyati E. (2005), « Flexible exchange rates as shock absorbers », European Economic Review, vol.49, n°8, p.2079-2105.
Fernandez-Arias E. (1996), « The new wave of private capital inflows : push or pull ? », Journal of Development Economics, Vol. 48, p. 389-418.
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Frank N. et Hess H. (2009), « Financial spillovers to emerging markets during the global financial crisis », IMF Working Paper, WP/09/104.
Frankel J.A. (2005), « Mundell-Fleming lecture : contractionary currency crashes in developing countries », IMF Staff Papers, vol.52, n°2, p.149-192.
Gardó S. et Martin R. (2010), « The impact of the global economic and financial crisis on Central, Eastern and South-Eastern Europe, a stock-taking exercise », ECB Occasional Paper Series, 114, juin.
Ghosh A.R., Chamon M., Crowe C., Kim J.I. et Ostry J.D. (2009), Coping with the crisis : policy options for merging market countries, IMF Staff Position Note, avril, SPN/09/08.
IMF (2010), How did emerging markets cope in the crisis ?, Strategy, Policy, and Review Department, juin.
IMF (2012), Global Financial Stability Report, The Quest for Lasting Stability, Washington D.C., April. Izquierdo A. et Talvi E. (2009), Policy trade-offs for unprecedented times : confronting the global crisis in
Latin America and Caribbean, IADB. Mitra P. (2011), « Capital flows to EU new member states : does sector destination matter ? »,
IMF Working Paper, WP/11/67, mars. OFCE (2011), « La très grande récession », OFCE Les Notes, n°8/16, décembre.