BECKER Benjamin Travail de fin d’études remis en décembre 2014 UE 5.6 – S6 – Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles IFSI de Rueil-Malmaison Promotion « Poussins » : 2012-2015 06-26-93-85-27 [email protected]
Sous La Direction de Mesdames Oukessou et Kara
« J’ai l’intime conviction que la relation aux autres êtres – nos compagnons de voyage – est
l’élément à la fois le plus mystérieux et le plus significatif de notre vie personnelle et en
définitive, de l’évolution cosmique. »
Hubert Reeves
L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté déchue ?
Il s’agit d’un travail personnel et il ne peut faire l’objet d’une publication
en tout ou partie sans l’accord de son auteur.
Toutes les abréviations utilisées dans ce mémoire sont annotées d’un
astérisque * et figurées dans un glossaire, à la page 51 du susnommé.
Benjamin BECKER
Je tiens à remercier très chaleureusement Mesdames Fabienne Oukessou et Leila Kara, mes
directeurs de mémoire et le Docteur en médecine générale Bernard Romefort pour leur accompagnement sans faille, qui ont su traduire mes besoins en faisant émerger des propositions
constructives qui m’ont permis de mener à bien ce travail ;
Je remercie également l’ensemble de l’équipe pédagogique de l’IFSI de Rueil-Malmaison, pour m’avoir permis d’être l’étudiant que je fus et fait grandir, pour m’avoir donné les ressources, les
connaissances et les outils qui me permettront de devenir l’infirmier que j’ai toujours souhaité être ;
Madame Kaddouri qui, par la validation de mes choix, m’a guidé et conduit sur un parcours de
stage aussi riche que diversifié ;
Un grand Merci à Mesdames Conduché, Selmani, Coulange et Benaï du CHCNP pour leur soutien solide et la confiance qu’elles m’ont témoignée dans ce formidable projet étudiant ;
Je remercie également ma famille, mais surtout mes parents qui m’ont toujours encouragé à
poursuivre dans la voie que j’avais choisie, pour les valeurs qu’ils m’ont inculquées et le courage qu’ils ont su m’insuffler dans ces études lorsqu’il venait à me manquer, ainsi que ce Goût de
l’Humain qu’ils ont toujours prôné ;
A Florent Duhamel et Pierre Lecompte je dédie ce travail, pour leur amitié, leur amour et les mains qu’ils ont su me tendre depuis toujours lorsque, sur mon chemin, le besoin s’en faisait
ressentir ;
A tous ces patients que j’ai rencontrés dans ma jeune carrière et qui ont fait de moi le soignant que je suis aujourd’hui, qui m’ont fait couler des larmes de joie, mais aussi de douleur, et qui
m’ont appris à aimer cet Autre, quel qu’il fût ;
A tous mes merveilleux collègues aux côtés desquels j’ai eu la chance de travailler, qui m’ont tant apporté et ont témoigné de cette conviction que cette fabuleuse profession était faite pour
Moi ; Pour ces étroites collaborations et solidarité face à l’adversité, pour ces innombrables fous rires
et ces “coups de gueule” incalculables qui m’ont fait avancer, pour ce Respect du Patient dont ils ont toujours fait preuve, et pour ce choix aussi ubuesque que probe mais non moins élogieux de
cet Art de soigner ;
Enfin, je te dédie ce mémoire, Frédérique Lautard, ma Sœur de galères, Toi qui a su m’écouter tout au long de ces trois ans, et qui a ensoleillé chaque jour davantage cette incroyable aventure
humaine qui nous a menés jusqu’au diplôme, que nous n’aurons pas volé... !
A vous Tous et aux autres… …Merci.
Benjamin
1
Sommaire Introduction………………...…………………………………………………………….p. 2 Situation d’appel………………………….…………………….……………………….p. 5 Cadre conceptuel…………………………………….…………..……………………...p. 8
I) L’éthique, genèse et garante d’une prise en charge infirmière
philanthropique et humaine…………………………………………………p. 12
II) La déontologie, règles et principes créateurs de professionnels de santé probes et vertueux…………………………………………...……………...p. 16
III) L’encadrement législatif du « prendre soin », repérage nécessaire dans de
nombreuses circonstances………………………………………...……….p. 19
IV) L’Autonomie, principe soignant immuable et incontournable à redéfinir inlassablement……………………………………..………………………...p. 24
Conclusion du cadre de référence…………..……..……………………………….p. 28 Analyse des enquêtes exploratoires : Enquête exploratoire : présentation de l’outil utilisé et de la population sondée……………………………………………………………………………….…...p. 29 Analyse des réponses aux questions posées……………………………...………...p. 33 Conclusion et hypothèse de recherche………………….…...……………………p. 49 Glossaire…………………………………………………………………………………p. 51 Bibliographie……………………………………………….………..………………….p. 51 Annexe I : Réflexion personnelle sur la notion de “Bioéthique”….……..………….p. 55 Annexe II : Lettre de demande d’autorisation d’enquêter adressée aux Directeurs des Soins et Cadres des services concernés par l’étude…….……………………..p. 58 Annexe III : Grilles des entretiens exploratoires (dont originale)...…...……………p. 59 Résumé/Abstract………………………………….……………………...……………p. 75
2
« Nous ne sommes sûrement pas Tout le monde, mais tout le monde est
Quelqu’un. Nos vies sont de petits cours d’eau se réunissant en une grande rivière ; le
courant nous entraîne vers la chute qui sous sa brume nous offre le paradis. »1
Faxian, moine bouddhiste du 4ème siècle de notre ère.
C’est à l’image de cette pensée, comme gravée dans le marbre et figée
dans le temps par la puissance des mots qui nous interpellent et nous enrobent d’un voile de
coton, que nous avons voulu construire ce mémoire de fin d’études. Accoucher d’un ouvrage
avant tout personnel auquel nous pourrons au besoin nous référer et dans lequel nous pourrons
nous retrouver. Comme une réflexion centrée sur nous-même, sur notre pratique soignante au
quotidien qui fera demain l’infirmier que nous souhaiterons être. Une pratique que nous
devrons sans cesse réévaluer, et constamment resituer autour et sur le patient. Afin, peut-être,
de ne pas perdre de vue l’essentiel de notre exercice professionnel, son cœur même et les
choix qui nous ont conduits dans cette voie : prendre soin de l’autre.
Mais surtout, tenter de ne jamais nous éloigner de cette idée faite nôtre que la richesse, la
puissance et la force de notre métier tiennent avant tout dans ces formidables liens aussi
complexes qu’étroits qui nous rapprochent du patient toujours un peu plus, et de manière
inexorable ; nous entendons par là bien sûr les rapports humains, qu’ils soient physiques ou
spirituels. Car chacune des relations humaines qui nous lient aux autres peut devenir un
souvenir unique, fragile et précieux, à la condition toutefois d’y insuffler une volonté ferme et
arrêtée de considérer cet autre comme un réel compagnon de route, un alter égo, un autre
“Soi-même”. Et ceci évoluant dans une relation qui se devra d’être maintenue à l’équilibre le
plus idéal possible. Le cas échéant pourrait biaiser le « prendre soin » qui donne à chaque
relation soignante la valeur inestimable des trésors les plus convoités. Mais, ces interactions
humaines devront malgré tout répondre à des codes explicites ou non, qu’il faudra alors
s’évertuer de comprendre et de déchiffrer, témoignant de facto cette volonté précédemment
exprimée.
Et cette complexité même du rapport humain, le rôle que chacun peut y jouer et la place
qu’il doit y tenir constituera le questionnement fondamental de ce travail, sa trame directrice
mais également sa source d’énergie. Et précisément, sur cette obligation d’équité qui sous-
entend l’importance d’y prioriser la Liberté et l’Egalité des chances de chacun d’entre nous
1 GAGNIERE, Claude. 1000 mots d’esprit. Paris : Points, 2008. Consulté le 26 janvier 2014 au domicile, p.59.
3
face à l’accès au soin, patients comme soignants (chacun des soignants que nous sommes
étant susceptible de devenir patient à son tour…), comme deux obligeances constitutionnelles
garantes de la qualité de nos prises en soin infirmières et soignantes.
Et de renchérir que cette Liberté dont nous tous voudrions pouvoir nous targuer de jouir en
tant qu’Êtres Humains nous semble devoir se situer à la base même des droits de l’Homme, et
son respect dans notre système de soins une conduite déontologique qu’on ne saurait abroger.
Dès lors, nous pourrions nous demander ce que nous mettons derrière cette notion de Liberté,
lorsque nous sommes infirmiers ? Serait-ce de laisser vacante la possibilité pour le patient de
prendre ses propres décisions, d’assumer ses propres choix ? Nul doute, assurément. Le
dictionnaire Larousse propose au mot “Liberté” une pléthore de définitions, toutes tributaires
d’un sens qui lui est propre : « Caractère de ce qui relève de l’initiative privée », « Etat de
quelqu’un qui n’est pas retenu prisonnier », « Etat de quelqu’un qui n’est pas soumis à un
maître »2 … pourtant avec pour chacune d’entre elles, le sentiment d’une capacité à pouvoir
prendre des décisions pour soi-même, à se gérer et à juger ce qui paraît être bon pour soi.
Ainsi, exister à part entière finalement, s’affirmer en tant que personne vivante et unique,
pouvant revendiquer des droits et des devoirs communs à tous et pourtant propres à chacun, et
que l’état de santé ou de maladie/handicap ne saurait réduire à néant.
Pour autant, l’adage populaire de préciser que « La liberté des uns s’arrête où celle des
autres commence. » On peut alors penser que la possibilité pour les patients de jouir d’une
toute liberté empiéterait sur celle des soignants qui ont fait envers eux vœu de protection,
d’aide et de soins ?! L’Histoire de France, mais pas seulement, nous prouve de surcroît
l’importance que ce principe tient dans le cœur des Hommes, rappelant qu’il est la base de
tout fondement sociétal, de tout rapport humain et de toutes les constitutions
gouvernementales que l’histoire mondiale a vues se construire. Elle est la fondation la plus
ancrée de notre Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, son préambule et son cri
d’espoir : « Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». En cela, il
semblerait être le principe éthique soignant le plus inaliénable, et le plus respectable. Nelson
Mandela clamera un jour « Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un de sa liberté.
L’opprimé et l’oppresseur en sont alors tous deux dépossédés de leur humanité. »3
2 LAROUSSE. Dictionnaires de français. Consulté le 26 janvier 2014 à 23h45. Disponible à l’adresse :
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/libert%C3%A9/46994. 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la liberté. Paris : Livre de Poche, 2010. Consulté au domicile, p.38.
4
Et de renchérir, Jacques Ruffié écrivait qu’ « Il n’y a d’éthique que lorsqu’il y a liberté. »4
Une Liberté donc assurée et affirmée par la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen et constitutive de la base même de nos rapports humains qui, dès lors, devrait
permettre de maintenir symétrique toute relation soignant/soigné : laisser l’autre décider pour
lui-même, établir ses propres jugements, exprimer ses conditions et sa volonté. L’élever au
rang de vertu permettrait peut-être à chaque soignant de mettre à mal n’importe quel
déséquilibre ou asymétrie naissant(e) dans cette relation de soin, qui se traduirait par le
pouvoir de l’un sur l’autre.
On l’a vu, la Liberté première dont peut bénéficier les patients serait peut-être et avant tout,
la possibilité de pouvoir penser librement ce qui semble bon pour lui, et d’en tirer les résultats
et les actions itératives consciemment et délibérément. Mais bien au-delà des valeurs
présentement introduites, notons qu’un certain nombre de principes et de mouvements
encadrent au quotidien les relations “soignant/soigné”. Ces relations que la demande de soin
produite par le patient et l’offre de prise en soin, de soutien et d’accompagnement qui émane
des soignants (et notamment des infirmiers puisqu’il s’agit de cela) mettent en place, sans que
l’on s’en rende réellement compte, comme un processus humain naturel, logique et inévitable.
Finalement, les relations humaines constitutives d’un métier que l’on a certes choisi
d’exercer, mais qui nous conduit parfois dans des situations imposées qui nous demandent
réflexion, questionnement, maturité, ouverture d’esprit, patience et remise en question...
Pour conclure cette introduction, arrêtons-nous quelques instants sur l’une des pensées
d’Eric-Emanuel Schmitt, extraite de son recueil de nouvelles Concerto à la mémoire d’un
ange et qui traduira, espérons-le l’image de cette profession infirmière de laquelle nous
tâcherons de ne jamais nous éloigner : « Tout homme est responsable de tout homme, de son
frère et des autres. Tuer, c’est l’oublier. Être violent, c’est l’oublier. »5 Cette violence dont
on parle étant parfois la forme que prennent nos prises en soin infirmières qui peuvent bafouer
certains droits auxquels les patients devraient pourtant pouvoir prétendre, sans que ce choix
ne soit opéré par nous, en tous les cas, d’une manière consciente et volontaire…
…Bon Voyage.
4 RUFFIE, Jacques. De la biologie à la culture. Paris : Flammarion, 2003. Consulté au domicile, p.45.
5 SCHMITT, Eric-Emmanuel. Concerto à la mémoire d’un ange. Paris : Livre de Poche, 2008. Consulté le 03 mai
2014 au domicile, p.111.
5
Situation d’appel
La situation professionnelle qui m’a conduit à ce processus de
questionnements et de recherche que je détaillerai plus tard, et donc à ce cheminement avant
tout personnel, a été le sujet d’une de mes analyses de pratique professionnelle, sur lesquelles
j’ai travaillé. Pour mémoire… Rappelons-nous…
Madame M., âgée de 83 ans et hospitalisée dans un service de Médecine Interne d’un
hôpital militaire fait l’objet d’une prescription médicale destinée à doser le taux de cortisol
présent dans ses urines. Mais pour ce faire, un recueil urinaire est donc indispensable. Or,
Madame M. étant incontinente, cet examen a nécessité la pose d’une sonde vésicale à
demeure. Ainsi, après une information et des explications qui me paraissent être claires et
loyales, je tente et parviens à obtenir le consentement oral de la patiente avant de réaliser ce
soin.
A ceci près que son comportement et l’agitation dont elle a fait preuve tout au long du soin
ne concordaient pas avec ses propos, avec son consentement préalable ; consentement que j’ai
évidemment cherché à réitérer en amont du soin. Elle remuait dans son lit constamment,
m’empêchant ainsi de réaliser un soin avec sérénité et calme.
L’infirmière responsable de mon apprentissage ce jour-là est alors venue me prêter main-
forte afin de “contenir” Madame M., et notamment de lui maintenir les jambes et les mains et
d’orienter la discussion vers des sujets qui l’intéressaient, ce qui m’a permis de poser la
sonde. Ainsi, le comportement qu’elle a adopté durant cet acte était en inadéquation totale
avec sa pensée ; pensée altérée par ailleurs de par son âge avancé et sa démence affublée d’un
syndrome confusionnel des plus marqués. Je me suis surpris alors à penser qu’en jouissant de
toutes ses capacités mentales, Madame M. aurait peut-être in fine refusé un tel examen, le
jugeant inutile au regard de ses expériences, de ses croyances et de ses choix personnels, ce
qui a mis à mal certains de mes idéaux quant à ma pratique professionnelle que je souhaiterais
parfois hédoniste.
Ainsi, prendre pour acquis qu’elle accepterait tout ce que le corps infirmier aurait jugé
opportun pour elle était peut-être bafouer toujours un peu plus un certain nombre de lois et de
valeurs morales qui reposent avant tout sur le “Respect” et le “Goût de l’Autre”. Mais surtout,
ce soin “forcé” m’a posé un réel souci d’éthique, et a percuté avec force certaines de mes
valeurs de soignant. Et après une réflexion qui m’a paru appropriée, je me suis aperçu que les
6
difficultés éthiques qui peuvent être soulevées par le consentement du patient aux soins
infirmiers prodigués seraient peut-être itératives dans notre quotidien soignant.
Bien sûr, notifions dès à présent que chacune de ces situations est tant spécifique, qu’il
paraît bien impossible de trouver une réponse unique, inébranlable et identique à toutes,
comme une espèce de ligne de conduite, de chemin à suivre qui endoctrinerait et rendrait
impossible toute réflexion éthique constructive.
Et de préciser qu’après cette première démarche de réflexion, voici la première question
inhérente à ce travail qui en a surgi et sur laquelle j’ai eu envie de m’attarder, d’y chercher des
éléments de réponses (ce « terme de “réponse” ne doit pas être compris ici comme une
nécessaire recherche de solution, ou une manière de clôturer la question, mais au contraire
comme une attitude d’ouverture qui invite chacun à la responsabilité »6), ou du moins des
hypothèses permettant d’élaborer un semblant de solution, ou de relancer mon propre
questionnement éthique : Est-ce seulement la Victoire inespérée mais non moins acharnée
d’une vie sauvée qui marquera vraiment notre quotidien soignant dans l’appréhension de la
personne soignée ? Victoire parfois synonyme de “soignant vainqueur”, omettant
délibérément d’entendre d’abord, puis d’écouter et enfin de respecter le choix du Patient ? Ou
l’importance de mettre en œuvre toutes les armes dont nous disposons et toutes les
compétences et qualités humaines requises à la profession d’infirmière, et qui permettront
alors de resituer promptement la Personne Soignée… Au cœur de notre système de soins !
Fort de ce constat, un ensemble de questions s’est imposé à mon regard d’étudiant comme
une évidence incontournable sur laquelle il me fallait réfléchir, une manière, quelque part, de
rechercher les raisons qui font que notre “Agir” n’est pas toujours fidèle à nos engagements
premiers. Afin peut-être de parvenir à élaborer des axes de réflexion orientés sur nos pratiques
infirmières au quotidien.
Et ceci afin de parvenir à mettre dans notre devoir infirmier toute l’“Humanitude” et tout le
respect qu’il se doit lorsque nous sommes confrontés à ce genre de situations : Les lois
françaises sont-elles toujours adaptées à notre système de soin ? ; Est-il possible d’éviter la
confrontation entre les règles à respecter imposées par le système et nos valeurs soignantes ? ;
Qu’est-ce réellement que cette notion d’autonomie du patient ? Où s’arrête-t-elle ? ; Comment
la volonté du patient peut-elle trouver sa place dans une démarche de soin ou éthique issue
d’une décision collégiale arrêtée et immuable ? ; Ce consentement du patient, que l’on 6 BOLLY, C. et GRANDJEAN, V. L’éthique en chemin. Paris : L’Harmattan, 2004. Consulté en janvier 2014 au
CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.13.
7
qualifie de “libre et éclairé” n’est-il, finalement, pas plus une métaphore ou un symbole
qu’une réalité ? ; Est-ce finalement, tout un système qui est à réformer, sinon à moderniser ? ;
La prise de décision concernant un patient peut-elle être valable lorsqu’elle n’est pas prise en
équipe ? ; Quelle est la place à accorder aux personnes de confiance et aux directives
anticipées dans une démarche décisionnelle ? ; L’infirmier doit-il savoir et faire en toute
circonstance abstraction de ses propres valeurs morales ?
Toutes ces questions m’ont conduit à élaborer une problématique tournée sur le
consentement du patient aux soins (ou son éventuel refus) et le respect des droits dont il peut
jouir. Ce qui permettrait notamment de resituer au cœur même de nos prises en soin
infirmières l’importance du respect de son autonomie, c’est-à-dire de cette capacité affirmée
et revendiquée par le patient de pouvoir arrêter ses propres choix et décisions. La personne
soignée sera alors replacée dans une condition d’Homme libre capable de sentiments et de
ressentis, de penser, d’aimer et d’agir !
Aussi, j’ai retenu la problématique suivante : certains des patients que nous, professionnels
de santé, sommes amenés à rencontrer dans notre pratique soignante au quotidien, tous
services et toutes spécialités confondus, sont atteints de démence ou de Maladie d’Alzheimer
avancée, parfois de troubles psychiatriques et/ou neuro-dégénératifs esseulés ou surajoutés, ou
d’un quelconque déséquilibre ou handicap psychique et/ou mental. Parfois encore, ils sont
comateux ou à l’aube de leur mort. Dès lors, ils deviennent ainsi par les aléas de la Vie qui se
joue de ces Êtres Humains et l’espièglerie de certains processus physiopathologiques ou
destins malchanceux, incapables d’exprimer leur volonté et ainsi d’apporter leur
consentement à nos soins infirmiers, celui que la Loi française considère comme devant être
“libre et éclairé”. Ces soins que nous nous devons de leur prodiguer, dans le plus solennel et
profond respect de l’Autre, afin d’assurer à chacun le Droit de vivre avec Dignité, déférence
et égard jusqu’à la fin, tout simplement…
D’où ma question de départ suivante : Dans une conjoncture de perte fût-elle partielle de
leurs capacités intellectuelles et/ou cognitives, notre « prendre soin » infirmier est-il témoin
d’une corrélation entre une perte d’autonomie des patients et celle de leurs droits ?
8
Cadre conceptuel
J’étayerai donc mon cadre conceptuel et ma démarche de recherche
autour de 4 concepts principaux qui me permettront d’endiguer mon travail : l’Ethique
notamment grâce aux trois ouvrages du Traité de bioéthique co-écrits par une cohorte
d’auteurs spécialisés ou non, géniteurs ou pas d’un souffle nouveau et moderne sur le sujet,
mais tous à parts égales passionnés et profondément investis par et dans cette discipline. Sous
la direction d’Emmanuel Hirsch, ils recueillent un ensemble d’articles et écrits qui me
permettront de confronter plusieurs courants de pensée, mais également d’appréhender le
paysage éthique français d’aujourd’hui, et la place qu’elle occupe réellement au cœur du soin.
J’utiliserai également Philippe Svandra et son Comment développer la démarche éthique
en unité de soins afin de comprendre plus aisément le lien étroit tissé et entretenu depuis
toujours entre cette notion d’Ethique et les services hospitaliers du XXIème siècle.
Mais également, j’utiliserai beaucoup les écrits de Jean Leonetti dans cette partie, et pas
uniquement du simple lien de ces derniers d’avec le sujet traité. Car derrière ce grand nom
Leonetti, il y a non seulement le médecin humaniste, en phase avec son époque et au clair
avec sa pratique, mais également et surtout l’homme politique qui a su, par son génie et son
expérience, faire de ses combats des avancées prodigieuses dans ce grand domaine complexe
qu’est l’éthique (en fin de vie, notamment). L’ensemble de son œuvre admirable a su
pertinemment lier les situations les plus complexes avec cette notion de Dignité humaine, de
respect du Patient et de sa famille et de philosophie médicale évoluée, vitrine de cette loi du
22 avril 2005, qui porte dorénavant son nom. Des écrits qui m’ont beaucoup apporté tant sur
le plan intellectuel et de ma réflexion personnelle que sur celui de ma pratique quotidienne, et
qui m’ont permis d’opérer des choix pertinents dans ma prise en charge soignante.
Enfin, je chercherai des éléments de réponse et des pistes de réflexion auprès de L’éthique
en chemin de C. Bolly et V. Grandjean, et des ouvrages du philosophe en sciences humaines
Eric-Emanuel Schmitt.
Par ailleurs, j’aborderai la notion de Déontologie. Pour ce faire, j’utiliserai de nouveau
l’ouvrage de Philippe Svandra, ancien infirmier en soins généraux et spécialisé en déontologie
infirmière. Je ferai référence à cet auteur de nombreuses fois dans mon travail de recherche
car je trouve que son expérience du terrain et l’hétérogénéité des compétences qu’il a sues
développer dans son quotidien soignant lui valent un sens et un regard clinique très aiguisés.
9
Par ailleurs, d’abord universel, j’ai le sentiment quant à sa pratique professionnelle et au
travers de ses écrits, d’un environnement de soin maitrisé et décrit avec précision et passion,
faisant appel à des définitions, des métaphores et des valeurs que je partage, voire que je
prône. Ces valeurs dans lesquelles je me retrouve et que je m’évertue de développer au
quotidien, tant dans mes études en soins infirmiers qu’à travers l’aide-soignant que j’ai été, et
que je suis encore.
De plus, je manierai le Code de Déontologie Infirmière afin de corroborer les différentes
composantes et données qui se réfèrent à ce concept. Ainsi, ce travail me permettra de dresser
un modeste bilan de la situation en France concernant cette obligeance déontologique, mais
aussi de comprendre et de déchiffrer l’intérêt et le contenu d’un tel code, et l’utilité d’une
prédominance de son respect par le corps infirmier dans leur quotidien soignant.
Quant au concept de Droit du patient (la législation) qu’il serait indécent de dissocier des
deux précédents, j’utiliserai pour son étude les lois de Bernard Kouchner et Jean Leonetti,
respectivement relatives à la Qualité du Système de Santé français et des droits des patients en
fin de vie. Cela me paraît aussi évident qu’inévitable. Et pour ce faire, j’utiliserai
principalement les textes, articles et amendements des deux lois précédemment citées et
fédérées par le site internet gouvernemental http://www.sante.gouv.fr.
De surcroît, je m’appuierai dans cette partie de la Charte de la personne hospitalisée
annexée à la circulaire ministérielle du 02 mars 2006 relative aux droits des personnes
hospitalisées, ainsi que de l’ouvrage Droits de l’homme et pratiques soignantes (textes de
référence : 1948-1998). Pensé en 1998, il a été élaboré en hommage du 50ème anniversaire de
l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'Homme par l'Espace éthique de
l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.
Cette démarche fera ressortir un plan et une structuration de travail, auxquels se rajoutera
une réflexion tournée autour de la notion d’Autonomie du patient, et notamment de son
respect par le corps infirmier. Nous décrirons concrètement les formes qu’elle peut prendre, et
notamment son lien d’avec certaines valeurs soignantes, grâce à un article écrit par Albert de
PONTINIAC parue dans La revue de LAENNAC de printemps 1984 qui nous en offre une
définition humaniste et on ne peut plus d’actualité, puisqu’elle loue cette importance moderne
de prendre en charge la “Douleur Globale” du patient.
J’utiliserai également le compte-rendu d’une Commission éthique du Centre Médico-
Psycho-Pédagogique (CMPP*) de Paris-Nord qui avait pour titre Alzheimer : respect de
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l’autonomie tenue en Janvier 2011 à Paris V, et organisée par l’“Espace National de Réflexion
Ethique sur la maladie d’Alzheimer (MA*)”. Nous étudierons ainsi pour exemple la place
accordée à l’autonomie par les soignants chez les patients atteints de la MA.
Et afin de compléter mon étude, j’utiliserai à plusieurs reprises des définitions empruntées
au Dictionnaire humaniste infirmier car, construit par une infirmière de carrière Christine
Paillard, il définit différents termes et notions que l’on retrouve dans cette profession et les
affuble d’un reflet qui me semble être particulièrement proche de mes propres conceptions.
De plus, subtilement attelé à ce que nous appelons « Cœur de métier », ce dictionnaire n’omet
aucunement de recentrer ses définitions et ses approches sur le Patient primo, et sur ce lien
humain qui s’établit d’avec l’équipe soignante, nonobstant une technicité du vocable qui, au
total dénature complètement l’aspect “relationnel” de nos propos ; voire l’exclue totalement.
J’aimerais beaucoup en parallèle par ce mémoire prôner cette valeur de Respect qui, dans
nos métiers, devrait être indéfectible, et qu’il conviendrait certainement de développer
toujours davantage afin de pallier à l’excroissance d’une éventuelle asymétrie dans nos
relations de soin. Enfin, j’aimerais travailler avec ce vocable de l’Amour, de cet Amour
tourné vers l’Autre, ce goût de l’Humain qui devrait animer chacune des blouses blanches qui
composent notre système de soins et des cœurs qu’elles abritent, permettant ainsi comme
l’écrivit le Docteur en Santé Publique Walter Hesbeen en son temps, de « mettre du Soin dans
les soins »7. Cet Amour donc pour un mémoire que je souhaite tuméfié et galvanisé de ce goût
de l’Autre, à l’image de notre métier infirmier.
En dernière partie de ce travail, je construirai et mènerai plusieurs entretiens oraux semi-
directifs avec des infirmières diplômées d’état de services de réanimation, de médecine
gériatrique aiguë et de psychiatrie qui me permettront, en sus du travail de recherche et
d’étude mené en aval, de tenter de répondre à la problématique posée et, avec toute la
modestie et tout le recul qui prévalent ici, d’élaborer des propositions de réponses, des
hypothèses, des suggestions. En somme, je tenterai de confirmer ou d’infirmer la véracité des
éléments constitutifs de mon cadre de référence fournis par mes lectures en vertu de l’activité
de soin, et de jauger de la possibilité de leur réalisation tout au long de notre quotidien
soignant.
Par ailleurs, je tâcherai d’évaluer par ces entretiens la place que tiennent les différents
concepts étudiés dans le cœur des infirmières interrogées et, puisqu’elles en sont le témoin 7 HESBEEN, Walter. La pratique soignante : une rencontre et un accompagnement. Issy-les-Moulineaux :
Masson, 1998. Consulté en août 2013 au domicile, p.32.
11
principal et l’assise indispensable aux côtés des patients, de facto dans notre Système de Santé
français. Et pour ce faire, je leur demanderai de m’en donner leurs propres définitions ainsi
que de tenter de peindre la vision de ce rôle qu’elles ont au quotidien auprès des patients
quant à honorer ces concepts, que je choisis dorénavant de qualifier de “qualités”.
J’œuvrerai d’obtenir ces péroraisons par la description d’une situation marquante vécue par
chacune d’entre elles.
Nous essayerons également d’analyser ce que les services de soin mettent en place afin de
magnifier ces prérogatives et de décliner les priorités de soin de notre système par l’analyse
de leur organisation au quotidien, de leur modernité ou, au contraire, de leur vétusté.
Hypothèses terminales que je tenterai de reformuler en une ultime question de recherche.
12
I) L’éthique, genèse et garante d’une prise en charge infirmière
philanthropique et humaine
« Lorsque nos intentions sont égoïstes, le fait que nos actes puissent
paraître bons ne garantit pas qu’ils soient positifs ou éthiques ! »8
Sa Sainteté le Dalaï Lama
Le Dictionnaire humaniste infirmier de Christine Paillard définit
l’éthique comme étant la « science de la morale. Empruntée au latin impérial éthica et
signifiant “morale”, lui-même pris du grec ethikôn désignant les “mœurs”. »9 Une définition
qui soulève le sens commun même d’un concept général que d’aucuns pourraient considérer
comme une norme de conduite, répondant aux exigences et règles sociales en vigueur dans
une société, une culture, un microcosme donné. Philippe Svandra, ancien infirmier en soins
généraux, aujourd’hui Cadre de Santé en région Ile-de-France et auteur de l’ouvrage
Comment développer la démarche éthique en unité de soins définit quant à lui l’éthique d’une
relation de soin comme une prise en charge, voire une ultime décision « devant tendre vers le
meilleur pour le patient »10. Pour appuyer sa définition, il utilise la vision de Paul Ricœur,
illustre philosophe français des sciences humaines du XXe siècle, qui considère l’éthique
comme une « distinction entre le mal et le pire. » En somme, dans cette conception plus
désuète de la définition, le moindre mal peut alors ici faire figure de bien, mais surtout doit
être vu, perçu et entendu comme tel par les protagonistes concernés. Ce qui n’est pas toujours
chose aisée.
Finalement, la réflexion éthique permettrait de trouver une réponse à un problème
soulevé, à une difficulté rencontrée, mais qui ne devra jamais être considérée comme ferme et
définitive. Car non seulement elle évoluera en fonction des individus, des valeurs et des
histoires de vie de chacun, mais surtout elle pourra être modifiée sitôt que l’on s’accorderait le
temps d’y réfléchir de nouveau, ou que l’on y intégrerait des paramètres ou des biais
supplémentaires, comme l’expérience ou le savoir-être propre à chacun.
8 Sa Sainteté le Dalaï Lama. L’art de la compassion. Paris : Livre de poche, 2007. Consulté au domicile, p.21.
9 PAILLARD, Christine. Dictionnaire humaniste infirmier – Approche et concepts de la relation soignant-soigné.
Noisy-le-Grand : SETES, 2013. Consulté en février 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.120. 10
SVANDRA, Philippe. Comment développer la démarche éthique en unité de soins. Paris : Estem, 2005. Consulté le 26 septembre 2013 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.09.
13
D’ailleurs, « Les questions les plus intéressantes restent des questions. Elles enveloppent
un mystère. A chaque réponse, on doit joindre un “peut-être”. Il n’y a que les questions sans
intérêt qui ont une réponse définitive. […] Je veux dire qu’à “Vie”, il y a plusieurs solutions
donc pas de solution »11, écrira l’écrivain et docteur en philosophie Eric-Emmanuel Schmitt
dans son livre Oscar et la dame rose. Et d’ajouter « Telle est l’intimité essentielle de la
condition humaine : vivre avec davantage de questions que de réponses »12 affirmera-t-il dans
son recueil de nouvelles Concerto à la mémoire d’un ange. Déjà cité précédemment (voir note
7), il paraissait inadapté de construire un travail orienté sur les relations et sciences humaines
sans analyser les ouvrages que cet auteur qui a beaucoup étudié les soubassements des
rapports sociaux, a écrits. Etudes dont les visions sont incroyablement contemporaines et
progressistes.
En reprenant donc ces auteurs, nous comprenons l’intérêt d’une telle démarche dans une
profession comme la nôtre ou la tangente “Humain” occupe une place centrale. Car les soins
que nous offrons aux patients, et qui reposent avant tout sur une communication qu’il nous
siéra d’adapter à chacun d’eux, devront être les meilleurs possibles ; en laissant ouverts
toutefois le champ des possibilités dans nos prises de décision les concernant et l’accueil du
point de vue et de la pensée de l’autre, collègue comme patient.
Quant au médecin cardiologue Jean Leonetti, maire d’Antibes et député européen depuis
2002, il introduira sa conférence sur la fin de vie du 13 décembre 2005 à Rouen par
l’affirmation suivante : « Si la morale édicte des règles, l’éthique elle s’interroge ! »13
Véronique Grandjean, médecin en soins palliatifs, dans son livre L’éthique en chemin co-
écrit avec l’infirmière Cécile Bolly, précise à la page 103 que « Jamais l’éthique ne nous dit
une fois pour toutes ce qu’il faut faire… Et c’est heureux ! »14, rappelant ainsi l’importance
peut-être déontologique, de réévaluer chaque situation à caractère éthique difficile afin de
trouver un consensus, une réponse qui paraisse la mieux adaptée. En quelque sorte, d’un point
de vue éthique, les réflexions qui encadrent nos conduites infirmières devront se référer aux
théories morales tournées sur des principes inviolables tels que l’autonomie, la justice ou la
bienfaisance (qui sont également les trois principes fondamentaux du néologisme 11
SCHMITT, Eric-Emmanuel. Oscar et le dame rose. Paris : Albin Michel, 2002. Consulté en février 2013 au domicile, p.91. 12
SCHMITT, Eric-Emmanuel. Concerto à la mémoire d’un ange. Paris : Livre de Poche, 2008. Consulté le 03 mai 2014 au domicile, p.201. 13
LEONETTI, Jean. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 07 février 2014 au domicile, p.21. 14
BOLLY, C. et GRANDJEAN, V. L’éthique en chemin. Paris : L’Harmattan, 2004. Consulté en janvier 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.103.
14
“bioéthique”, l’éthique du vivant), et les conséquences des actes engagés en regard que l’on
souhaiterait hédonistes. Ce qui signifie que, bien qu’elle repose sur des valeurs basilaires
soignantes incontournables, l’éthique infirmière dans une pratique au quotidien ne devra
jamais rester figée, ou se reléguer sur des situations antérieures déjà vécues. Chaque nouvelle
situation à caractère éthique, c’est-à-dire une situation singulière, l’étude d’un cas particulier
humainement complexe dans notre futur infirmier devra être intelligemment et collégialement
réévaluée et réfléchie. Un conflit de valeurs ou de consciences dont l’aspect aporétique devra
malgré tout être levé, pour l’avenir du patient.
Et puisque nous y sommes, rappelons qu’il convient de ne pas mélanger ces deux termes
“éthique”/“bioéthique” qui, même s’ils sont intimement liés, sont pourtant subtilement
différents. Et, bien que nous choisissions de ne pas développer ce sujet ici, nous souhaitions
malgré tout redéfinir cette notion de “bioéthique”, qui débouchera plus tard sur des lois que
l’on regroupera sous la terminologie des “lois de bioéthique” du 06 août 2004.
De surcroît, une pléthore d’auteurs ayant écrit sur le sujet s’accordent à penser que l’on ne
peut décemment parler d’éthique, qu’elle fût médicale ou paramédicale, sans aborder cette
notion de “bioéthique”. Et, ce travail de réflexion portant sur ce sujet (bioéthique) a su mettre
en lumière toute l’importance qui lui prévalait dans une époque aussi moderne et évoluée que
la nôtre. Voire, de la qualifier d’“incontournable” lorsque l’on travaille avec l’Humain, car cet
Humain devient très vite dans ces deux domaines d’intervention un Être Humain, puis un
individu de chairs et d’os, et finalement, un “simple” être vivant en tant qu’entité biologique
et physiologique. L’on comprend dès lors la primauté et l’opiniâtreté du lien qui tient unies
ces deux notions d’Ethique/Bioéthique.
Le Lecteur, s’il est intéressé, retrouvera ce travail de réflexion personnelle en annexe I,
page 55 de ce mémoire.
En introduction du Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères dont il aura la
direction, co-écrit par plusieurs professionnels de santé, Jean Leonetti précise que les «
[…] avancées scientifiques de ces dernières années nous obligent à apporter des réponses à
des situations auxquelles l’humanité et les hommes n’avaient jamais été confrontés. »15 Il
définit la bioéthique plus loin comme devant permettre de « Faire émerger une pensée
moderne destinée à favoriser et à accompagner la recherche scientifique, tout en respectant
la dignité humaine. » 15
LEONETTI, Jean. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 07 février 2014 au domicile, p.20.
15
Philippe Svandra quant à lui, définit ce néologisme comme « l’ensemble de problèmes
posés à la biologie et à la médecine. »16 Wilhelm Reich en propose la définition
suivante : « c’est l’étude systématique de la conduite humaine dans les sciences de la vie et de
la santé quand une telle conduite vient à être examinée à la lumière des valeurs et principes
moraux. »17
Pour Christian Hervé, Directeur du laboratoire d’Ethique Médicale et Médecine Légale à
l’Université Paris Descartes, dans Ethique médicale ou bioéthique ?, « Aucune réflexion
éthique si bien menée soit-elle, n’exempte pas l’individu de son propre choix, de sa propre
décision »18, traduisant là un lien incontestable avec cette définition d’Autonomie du Patient
que nous tenterons d’élaborer, un ultime concept que nous essayerons de dépeindre en
dernière partie de ce cadre de référence.
Nous l’aurons compris, l’Ethique soignante que chaque « blouse blanche » devrait
s’appliquer à développer constitue donc le facteur indispensable et primordial d’une prise en
charge des patients à la hauteur des valeurs humaines qu’elle engage et suppose. Apparaît
désormais l’importance de développer toujours un peu plus dans nos services de soins une
éthique infirmière, permettant de réaffirmer cette volonté de couronner en principe-Roi
l’“Humanitude” qui donne et donnera à notre métier toute la noblesse, la magnanimité et
l’éclat que l’on pourrait lui souhaiter. A la condition toutefois que l’on accepte d’accorder un
peu de notre temps dans notre pratique quotidienne à la réflexion, au questionnement et à
l’écoute de l’Autre, par ces milliers de façons qui nous permettent d’entendre cet Autre. Le
défunt écrivain Michel Random dira un jour dans une interview radiodiffusée que « L’écoute
entend l’autre dans son propre silence »19.
Une Ethique donc qui permettrait de maintenir une profession infirmière probe, dans ce
sens où d’aucuns ne considèrent comme meilleures ses opinions, son histoire ou son
expérience. Une démarche qui conduira à une solution qui ne devra pas non plus ressembler à
une logique molle, un choix par défaut, et finalement une pensée unique aliénante. Mais une
16
SVANDRA, Philippe. Comment développer la démarche éthique en unité de soins. Paris : Estem, 2005.
Consulté le 26 septembre 2013 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.18. 17
BOLLY, C. et GRANDJEAN, V. L’éthique en chemin. Paris : L’Harmattan, 2004. Consulté en janvier 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, pp.18 et 19. 18
HERVE, Christian. Ethique médicale ou bioéthique ? Paris : L’Harmattan, 2006. Consulté en août 2014 au
domicile, p.03. 19 Science + culture. « Colloque de l’Unesco de 1995 à Tokyo », 1h avec Michel Random. Paris VII, le
31/10/2011. Paris : Organisation des Nations Unies pour l’Education de la Science et la Culture (Unesco) et Ilke Angela Marechal, 2011. Ecouté le 02 février 2014.
16
éthique malgré tout encadrée et contenue par un certain nombre de valeurs et de règles strictes
indispensables à sa plénitude, ce qui la liera de manière incontournable et indéfectible à une
déontologie morale et professionnelle. Cette dernière constitutive d’un lien non-négociable
entre les règles établies au sein de notre profession, et une philosophie infirmière que l’on
souhaiterait kantienne : « Le bien est ce vers quoi tout être tend, et le bonheur est le bien de
l’homme ! ».
II) La déontologie, règles et principes créateurs de professionnels de
santé probes et vertueux
Philippe Svandra donne la définition suivante du terme “déontologie” :
« Par Déontologie, il faut comprendre “ce qu’il faut faire”, devenant ainsi l’étude ou le
discours sur les normes »20, liant de manière indubitable l’éthique d’une profession infirmière
déférente aux règles qui la régissent. Le bioéthicien Jean-Yves Goffi dans son livre Penser
l’euthanasie paru en 2004 précise que « les actions justes sont, en elles-mêmes, porteuses de
leur caractère normatif, indépendamment de leurs conséquences heureuses ou
malheureuses. »21 Ceci traduisant la présence indispensable et nécessaire de normes sociales
et philosophiques à la base de toute action soignante, et qui ne doit pas tenir compte des
hypothétiques conséquences qui pourraient en être inhérentes. En fait, qu’importe les résultats
de ces actions, elles devront répondre à des valeurs soignantes claires, pérennes dans le temps,
délimitées et admises par l’ensemble de l’équipe soignante pluridisciplinaire.
Car rappelons ici l’importance de la collégialité dans la prise des décisions concernant les
patients, et de cette solidarité et ce partage des compétences qui font au quotidien la force et
l’attractivité de notre milieu professionnel.
Aujourd’hui, qu’importe le métier dans lequel nous évoluons, il apparaît clairement que ce
terme de déontologie fait référence aux normes et procédures qui l’encadrent. C’est
20
SVANDRA, Philippe. Comment développer la démarche éthique en unité de soins. Paris : Estem, 2005.
Consulté le 26 septembre 2013 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.11. 21
GOFFI, Jean-Yves. Penser l’euthanasie. Paris : PUF, 2004. Consulté le 01 mars 2014 au domicile, p.54.
17
« l’ensemble de règles qui régissent une profession et la conduite de ceux qui l’exercent »22,
précise plus loin Philippe Svandra.
En somme, il tente d’expliquer que les règles sont indispensables dans notre pratique
infirmière, comme une ligne de conduite à tenir et à respecter afin d’arrêter tout d’abord un
comportement déférent universel à tous les infirmiers. Ce qui, d’une part renforcera les liens
de ces derniers entre eux ; mais également cette déontologie offre une proposition de normes
professionnelles, mais non dénuées de liens avec ces autres morales, imposées par la Société.
Afin de maintenir notre profession sociologiquement convenable aux yeux des patients, en
genèse, et à ceux des soignants, irrémédiablement.
Pour Thierry Desbonnets, psychomotricien Cadre de Santé, la déontologie « D’une part,
s’agit d’un discours, d’une mise en mot, selon un ordonnancement logique, de ce qui lie un
agir à sa moralité, sa justesse ou son idéalité ; d’autre part, c’est le corpus de règles et
devoirs qui fait sens au sein d’une profession et de son exercice par les membres qui la
composent. […] Elle statue sur ce qu’une profession se fixe comme règles de vie au sein
d’une société. C’est une inscription dans l’ordre de la loi, garantissant un exercice
professionnel, […] devenant opposable à l’ensemble des membres d’une profession. »23
Cette définition se rapprochant finalement du point de vue plus général dressé par Philippe
Svandra, mais précisant plus nettement les abords et les orées du concept. Une définition qui
tient enchâssés règles, valeurs et idéaltypes d’un exercice professionnel et les individus qui
s’y prêtent.
Concernant cette obligeance déontologique dont on parle, Aristote écrivait un jour qu’ «
elle existe assurément ; il y a des choses qu’il “faut faire”. Il ne faut les faire que parce
qu’elles sont requises pour atteindre une certaine fin. »24 Les règles morales qui régissent nos
professions soignantes sont basées sur des principes hippocratiques fondamentaux, au-devant
desquels celui de « rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments
»25. S’y réfère le principe plus moderne du Code de Déontologie Infirmière de « porter
secours à celui dont la vie est en péril, personnellement ou en obtenant du secours, en lui
22 SVANDRA, Philippe. Comment développer la démarche éthique en unité de soins. Paris : Estem, 2005. Consulté le 26 septembre 2013 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.11. 23
THIERRY DESBONNETS. La cadrature de la déontologie. Consulté le 08 mai 2014 à 13h37. Disponible à l’adresse : http://www.cadredesante.com/spip/IMG/pdf/cadrature_de_la_deontologie.pdf. 24
ORTOLANG. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. Consulté le 18 décembre 2013 à 10h45. Disponible à l’adresse : http://www.cnrtl.fr. 25
ORDRE NATIONAL DES MEDECINS. Le serment d’Hippocrate. Consulté le 18 décembre 2013 à 11h50. Disponible à l’adresse : www.conseil-national.medecin.fr/le-serment-d-hippocrate-1311.
18
apportant l’aide nécessaire et/ou immédiate. »26 Compte tenu de ces injonctions, il semblerait
être un devoir déontologique que de mettre en œuvre tout ce qui semble techniquement,
scientifiquement et médicalement envisageable pour sauver la vie des patients, malgré leur
éventuelle volonté contraire affirmée, dans le but de perpétuer et de préserver leur état de
santé. Ceci traduisant que les infirmiers dans leur pratique de tous les jours devront “sauver la
vie” des patients dont ils ont la responsabilité, comme une obligation professionnelle non-
négociable.
Mais, ce même code de préciser qu’« aucun acte infirmier ne peut être pratiqué sans le
consentement libre et éclairé de la personne »27, ce qui introduit un biais supplémentaire dans
la prise de décision, notamment parce que cet article numéro 16 déstabilise le bien-fondé de
l’affirmation précédente. Ce qui introduit parallèlement la notion d’Autonomie que nous
étudierons plus tard, et qui a trait de près à ce consentement libre que la Loi française
considère comme indispensable à tout acte paramédical infirmier.
Cette dualité présente au cœur d’un même code déontologique souligne une fois encore la
difficulté et la complexité d’arrêter un consensus dans une démarche éthique. Et de penser que
nulle ne pourrait se targuer d’être tributaire dans une telle démarche de la meilleure solution
possible. Ce consensus devra conduire à l’élaboration d’un nouveau projet de soins afin
d’équilibrer et d’optimiser au mieux ce que Karl Rogers dénomma en son temps le “Care and
Cure” ; balancier entre le “prendre soin” du patient et la thérapeutique plus terre-à-terre qui lie
de manière exiguë ledit patient aux soignants qui évoluent à ses côtés.
Le Dictionnaire humaniste infirmier précise à la page 86 que « Le conseil international des
infirmières caractérise la déontologie par les infirmières ayant “quatre responsabilités
essentielles : promouvoir la santé, prévenir la maladie, restaurer la santé et soulager la
souffrance. Les besoins en soins infirmiers sont universels.” »28 Il précise ainsi que ce code de
déontologie infirmière retrace en quatre points principaux seulement les objectifs
professionnels infirmiers, qu’il transforme finalement en obligations. Chaque infirmier devra
donc s’approprier ces pivots et les honorer, mais sans oublier de les adapter à chaque patient
rencontré, à la situation d’exercice, et à ce que in fine, les collègues, les patients et leur
famille, et la Société attendent de lui.
26
Ordre National des infirmiers consulté le 18 décembre 2013 au domicile. 27
Ibidem note 23. 28
PAILLARD, Christine. Dictionnaire humaniste infirmier – Approche et concepts de la relation soignant-soigné. Noisy-le-Grand : SETES, 2013. Consulté en février 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.86.
19
Cet ensemble de règles professionnelles, de normes et de principes fait donc de la
déontologie une prérogative à la profession infirmière, mettant au jour une intrication
inévitable d’avec la législation française, permettant au total de poser les limites de la
recherche infirmière et de la prise en soin des patients explicitées en première partie de ce
travail. Cela permettra donc aux différents acteurs du système de Santé français de dessiner
des objectifs bien précis dans le respect de valeurs morales immuables, garantes d’une image
du Soin perçue par la population française de manière très chaleureuse. In fine, une Morale
dont le but ultime sera de maintenir impossible la naissance de toute déliquescence de notre
Société infirmière.
D’ailleurs, Jean Leonetti pose la question suivante dans son traité de bioéthique : « La
médecine est-elle destinée à créer un mieux-être ou doit-elle se limiter à la correction des
“mal-être” ? »29 De fait, il surgit la nécessité de fixer les limites des domaines d’intervention
de la médecine qui, avec nos moyens et nos techniques actuels, pourrait très rapidement
dépasser le “Ce” pourquoi elle est destinée. Doit-elle rester un outil fonctionnel ou devenir un
produit esthétique honteusement avili de superflus et de gaspillages financiers, à l’image des
conditions de vie confortables dont nous jouissons aujourd’hui dans nos sociétés modernes
occidentales ?
Au total, qui dit “règles” dit cadre législatif, lois et décrets qui permettent d’encadrer
chaque code de déontologie, et par ce biais finalement, chaque profession ; comme une
manière travestie d’obédience étatique de dicter une bonne fois pour toute ce qui paraît
déontologiquement convenable et philosophiquement conforme à notre pays de Droits.
III) L’encadrement législatif du « prendre soin », repérage nécessaire
dans de nombreuses circonstances
On l’a vu dans les items précédemment traités, notre système de soins
français qui compte parmi les plus performants au monde (sinon, le plus performant !) repose
29 LEONETTI, Jean. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel
Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 07 février 2014 au domicile, p.23.
20
avant tout sur un système législatif aussi encadré que complexe, à la base même de sa
réussite. Car les lois françaises, bien qu’elles puissent paraitre aux yeux de certains citoyens
outrancièrement drastiques et exagérément aliénantes, auront toutefois le mérite d’encadrer
une pratique infirmière qui n’en deviendra que plus recentrée sur le Patient et dont le
dévoiement serait, a priori inenvisageable. Mais, qu’entendons-nous vraiment par “loi” et
“législation” ?
Le Dictionnaire humaniste infirmier donne à la page 173 la définition suivante du terme
Législation : « Ensemble des lois régissant tel ou tel domaine, qui s’exprime dans un pays,
une communauté (internationale…) pour fonder des règles sociales ayant pour valeur de
limiter les excès, anticiper et protéger les individus et leur environnement »30.
La Loi quant à elle étant définie par le dictionnaire Larousse comme une « Prescription
établie par l’autorité souveraine de l’Etat, applicable à tous et définissant les droits et les
devoirs de chacun ; c’est également un principe général jugé comme déterminant les choses,
les hommes, le fonctionnement d’un ensemble »31. Et pour qu’elles restent en phase avec leur
époque et leur assise sociale, rappelons l’importance d’arrêter un ensemble de lois
péremptoires clairement défini mais qui sache évoluer corrélativement aux technologies et
aux avancées biologiques et médicales de notre siècle ; notamment afin que lesdites lois
soient en mesure de répondre aux attentes de notre Société. Nous entendons par là cette
obligation philanthropique de psalmodier le Soin (qui prend ici le sens de “faire attention à
quelqu’un”, in situ le Patient) au rythme de cette douce mélodie que produit le souffle de la
Liberté (celle pour le patient de pouvoir tout simplement dire « Non !, je ne souhaite pas »).
Un ensemble de lois donc qui, dans une pratique infirmière quotidienne devra être le garant
d’un équilibre entre le patient et l’infirmier, chacun bénéficiaire de droits qui doivent être
respectés par l’autre. Elles devront permettre de protéger le patient affaibli par sa maladie, son
handicap, et le maintenir au cœur du Système, comme un citoyen de Droits. Ainsi, notre
objectif dans cette partie est avant tout de comprendre l’importance que peuvent prendre
l’existence et la dénomination de lois lorsque les soignants sont confrontés à des situations
extrêmes, et non d’en dresser leur liste exhaustive.
Et afin d’établir un lien avec la déontologie dont on vient de parler, rappelons que la
profession infirmière est régie par le Code de Santé Publique (CSP*) français, créé en 1953 et 30 PAILLARD, Christine. Dictionnaire humaniste infirmier – Approche et concepts de la relation soignant-soigné.
Noisy-le-Grand : SETES, 2013. Consulté en avril 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.173. 31
LAROUSSE. Dictionnaires de français. Consulté le 02 mai 2014 à 12h56. Disponible à l’adresse : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/loi/47700.
21
refondu par ordonnance en 2000. Conjointement aux Codes de déontologies médicale et
infirmière (entre autres) redéfinis en 2004, il revêt à travers ses lois la Liberté du Patient et
l’importance de replacer ce dernier dans sa posture de Citoyen français doté de droits et de
devoirs ; mais avant tout doué d’une capacité établie de discernement. Une Liberté prônée et
revendiquée par la Charte de la personne hospitalisée de 1995, notamment par son article
numéro 1 : « Toute personne est libre de choisir l’établissement de santé qui la prendra en
charge » et numéro 7: « La personne hospitalisée peut, à tout moment, quitter
l’établissement »32.
Et, il n’est pas superfétatoire de préciser que, concernant notre pays qui a vu naître la
“Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen” hélas toujours enviée par un nombre
indéfinissable de peuples et d’ethnies au XXIème siècle, il est rassurant de voir s’inverser une
vieille tendance ; renversement qui permet d’éviter aujourd’hui le raccourci un peu trop rapide
qui pouvait parfois relier un patient quelconque à sa « simple » pathologie, à un traitement
particulier ou à un examen médical. A présent, la « pancréatite de la 18 » devient « le Patient
de la chambre 18, Monsieur X. » grâce à la Loi Kouchner du 04 mars 2002 relative aux
Droits des Patients et à la “Qualité du Système de Santé français”. Ainsi, d’après l’article 3 de
ladite loi, « La personne malade a le droit au respect de sa dignité », « Toute personne a […]
le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont
l'efficacité est reconnue […] ». Enfin, « Toute personne a le droit de recevoir des soins visant
à soulager sa douleur » et « le droit à recevoir une information claire, loyale et appropriée sur
son état de santé »33, ce qui permettra au patient de prendre les décisions qu’il jugera
nécessaires en regard de l’information reçue. Ceci sous-tendant donc la nécessité d’un
consentement aux soins par le patient, prévu par l’article 36 du CSP.
Et de préciser que la Charte précédemment citée rappelle également qu’« Un acte médical
ne peut être pratiqué qu’avec le consentement libre et éclairé du patient »34. Dans le cas d’une
incapacité pour le patient de répondre de cet amendement, la Loi Kouchner prévoit également
la désignation d’une personne de confiance (parent, proche ou médecin traitant) consultée au
cas où le patient serait hors d’état d’exprimer sa volonté, et valable pour la durée de
l’hospitalisation. Ceci lui permettra en quelque sorte de “déléguer” ses décisions, ses choix en 32 CIRCULAIRE N° DHOS/E1/DGS/SD1B/SD1C/SD4A/2006/90 du 2 mars 2006 relative aux droits des personnes
hospitalisées et comportant une charte de la personne hospitalisée. Articles 1 et 7. 33 LOI BERNARD KOUCHNER. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du
système de santé. Consulté le 26 mai 2014 à 23h42. Disponible à l’adresse :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000227015. 34
Ibidem note 32, Article 4.
22
une personne choisie et retenue par confiance, par liens interpersonnels étroits ou amitié
solide à qui il aurait confié ses désirs, ses envies. Cette personne pour laquelle il est certain
que ce jour s’il vient, elle prendra les décisions les plus judicieuses, réfléchies et opportunes
pour lui. Une façon de rester maître de sa Destiné jusqu’au bout, et Libre donc. Et n’importe
quel infirmier ou personnel relevant des corps médical et paramédical se devra de respecter
les dictées et instructions de cette personne, si la situation le nécessite.
En somme, une loi qui permet de resituer le malade dans sa condition d’Homme libre, mais
également, qui se fera garante d’une égalité entre les patients par l’amendement « Aucune
personne ne peut faire l'objet de discriminations dans l'accès à la prévention ou aux soins »35,
et qui renforcera la probité de nos actions infirmières.
Et afin de renforcer cette analyse et de conforter ce point de vue, reprenons également cette
Loi Leonetti du 22 avril 2004 précédemment nommée qui rappelle l’importance et
l’obligeance sociologiques et quasi républicaines du respect de la Dignité qui prévaut à toute
fin de vie, par l’arrêt des thérapeutiques jugées inutiles par le patient, sa personne de
confiance ou à défaut, sa famille, et l’équipe pluridisciplinaire ; respect qui ne sera intègre que
par la prise en charge organisée de la douleur. La prohibition de cette “obstination
déraisonnable” prend figure de continuité des droits de la personne plébiscités par la loi
Kouchner. De plus, cette loi prévoit la possibilité pour le patient de réaliser des directives
anticipées concernant son devenir, les actions à entreprendre par les équipes soignantes et ses
souhaits à honorer, dans le cas où ce dernier tomberait dans l’incapacité d’exprimer sa
volonté. Ainsi, les articles L. 1111-13 et R. 1111-17 du CSP précisent que « Toute personne
majeure peut, si elle le souhaite, faire une déclaration écrite, appelée “directives anticipées”,
afin de préciser ses souhaits quant à sa fin de vie, prévoyant ainsi l’hypothèse où elle ne serait
pas, à ce moment-là, en capacité d’exprimer sa volonté. »36
Valables si réalisées dans les trois ans qui précèdent cette incapacité, elles sont révocables
à tout moment par le patient et traduisent ainsi l’importance accordée aux volontés du patient,
à son aptitude à se positionner en tant qu’Être Humain au sein d’un système. Et cela même
dans la maladie, jusque dans sa phase terminale, et donc dans ces situations extrêmes les plus
délicates de fin de Vie. Ainsi, le patient paraît pouvoir rester indépendant jusqu’à son décès, 35
LOI BERNARD KOUCHNER. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Consulté le 26 mai 2014 à 23h42. Disponible à l’adresse :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000227015. 36 FERLENDER, P. ; HIRSCH, E. L’Espace éthique de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Droits de
l’homme et pratiques soignantes (textes de référence : 1948-1998). Paris : Les dossiers de l’AP-HP, 1998. Consulté le 29 mai 2014 au domicile, p.56.
23
et même après sa mort, outre les circonstances. Un défunt qui finalement reste un Homme de
Droits même au-delà des limites de sa Vie, et dont la dernière exigence compréhensible serait
un trépas accompagné et confortable. L’ensemble des lois le permettant est ré-explicité dans
l’ouvrage Droits de l’homme et pratiques soignantes (textes de référence : 1948-1998) qui a
été élaboré en hommage au 50ème anniversaire de l'adoption de la Déclaration universelle des
droits de l'Homme par l'Espace éthique de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Aussi, il
nous propose par ce livre un recueil de textes élaborés par la communauté internationale à la
suite de cette Déclaration dans ce but de façonner toujours davantage un paysage de soin
public à l’image de nos revendications françaises, même de celles les plus ancrées dans
l’histoire.
Et par ces deux lois, plusieurs de ces revendications historiques ont trouvé une finitude, un
corps, une âme et un canal d’expression incroyablement moderne. Et elles sont parvenues au
gré des années à s’ancrer dans le cœur des soignants, et notamment des infirmiers, à se hisser
loin à l’extrémité d’un mât, d’un tuteur qui permet de cultiver dans nos services de soins et au
centre même de cette institution française une manière de faire, une science du “Prendre Soin”
quasi parfaite et enluminée de cet Amour de l’Autre.
Au total, lorsque l’on établit aujourd’hui un tour de la situation législative en France de par
ces deux lois, nous nous apercevons bien vite qu’il en ressort trois prérogatives législatives et
institutionnelles primaires et indiscutables concernant les patients, qui transpirent la Liberté :
une prise en considération de leur consentement (à la suite d’ une information qui doit être
claire, loyale et appropriée) ; le soulagement de leur douleur, comme prérogative
incontournable d’une prise en charge soignante vertueuse et le respect de leur Dignité,
qu’importe la situation de soin vécue. Il appartiendra alors à chaque infirmier de prendre
conscience de ces lois et de les respecter ; le cas échéant se faisant témoin de faute pénale. Car
de comprendre, il ne s’agissait pas ici d’alléguer des textes de loi sans objectifs prédéfinis.
Mais chacun pourra y rajouter un ensemble de valeurs soignantes et sociales et l’inonder de
ce goût louable de l’Autre, qui fera de la prise en soin infirmière non pas une obligation
juridictionnelle légale, mais avant tout un accompagnement suave, intègre et enveloppant du
patient. Et lorsque nous prêtons à cette exhaustivité une oreille on ne peut plus attentive, nous
mettons fatalement au jour ce lien étroit que constituent tous ces apanages entre eux. Et par ce
24
lien que nulle ne saurait détruire, ils se reflètent indéniablement dans ce grand principe
infirmier basilaire, ils le défendent et l’entretiennent : l’Autonomie du patient.
IV) L’Autonomie, principe soignant immuable et incontournable à
redéfinir inlassablement
Parmi les valeurs professionnelles que requiert la profession infirmière,
le syndicat national infirmier a placé en genèse d’entre toutes l’“Autonomie” du patient, qu’il
a associée à la “Dignité de la Personne”. Arrivent ensuite la “Justice” et l’“Equité” dans les
soins37. Un principe certes ouvert en termes de définition, mais avant tout rattaché à un chœur
de valeurs soignantes, qui en traduisent toute la primauté et l’éclat. Une autonomie qu’il nous
serait gré de maintenir la plus solide possible, mais qui dans certaines situations, et nonobstant
la législation française potentiellement garante de toutes dérives, peut être amputée et
conduire à une prise en soin soignante bariolée et séquellaire.
Prenons pour exemple un patient atteint de la maladie d’Alzheimer au stade IV, dans
l’impossibilité pour lui de reconnaitre le plus infime détail d’une vie arrivée à son crépuscule ;
ou cet autre patient plongé dans un coma irréversible dont il ne sortira plus ; ou encore ce
patient-là atteint d’une quelconque psychose qui lui dénature tout lien logique avec la réalité
de son quotidien… Comment peut-on dans ces situations si différentes définir mêmement et
décrire en des mots identiques cette Autonomie, qui sera finalement propre à chaque patient, à
chaque situation ou soin rencontré ?! Une adversité qui demandera alors à chaque infirmier
une évaluation ad lucem aussi illustre que délicate du cadre, et cette capacité certaine de faire
appel aux valeurs les plus ancrées et les plus immuables de leur escarcelle, mais aussi à leurs
qualités humaines les plus notoires. Car chacune de ces situations délicates dans lesquelles le
patient se trouvera physiquement, psychologiquement ou socialement “affaibli”, ou tout au
plus animé par cette idée, par ce sentiment, ce ressentiment… ? se fera également écho d’un
certain degré d’autonomie pour le patient conservé si nous nous voulons optimistes, perdu si
le pessimisme remporte la partie !
37
LE SYNDICAT NATIONAL DES INFIRMIERS. Valeurs professionnelles. Consulté le 04 mai 2014 à 23h32. Disponible à l’adresse : www.syndicat-infirmier.com.
25
Une Autonomie que chaque infirmier se devra d’entretenir, voire de tenter de restaurer,
puisque, bien sûr, elle a indéniablement à voir avec la Liberté.
L’auteure anglaise Virginia Woolf atteinte de troubles de la personnalité de type bipolarité
dans son sublime roman Mrs Dalloway, emprunté par le réalisateur Stephen Daldry en 2002
pour son film {The} Hours d’une beauté cinématographique époustouflante, fait tenir à son
héroïne le discours suivant : « Toute patiente, si humble soit-elle, doit avoir la liberté de dire
ce qu’elle pense être bon pour elle ; c’est même ce qui lui confère son humanité. »38 Ainsi,
tout au long du récit, Madame Dalloway souffrant d’une psychose avec délires chroniques
parvient, à de rares et précieux instants T., à exprimer ses désirs les plus profonds comme les
plus démentiels. Une manière pour l’auteure de redonner à son héroïne malade la possibilité
d’être elle-même, de penser librement et d’opérer des choix consciemment et délibérément. Et
ces moments de lucidité offerts à Madame Dalloway rappellent au lecteur qu’elle est Femme
avant tout, Humaine et en cela Unique. Un roman, l’histoire d’une vie, comme une Ode à la
tolérance qui situe l’esprit malade et/ou sain de l’Homme quel qu’il fût, à un niveau de
prestige identique.
Et de renchérir, Walter Hesbeen écrit à la page 56 d’Un métier au cœur du soin que « La
reconnaissance de l’esprit de l’autre conduit à reconnaître qu’il est capable de faire quelque
chose de sa vie, quels que soient sa situation ou son état »39.
Aussi, l’on comprend l’importance sine qua non du développement d’abord, puis de
l’expression de certaines valeurs chez les soignants qui, finalement sont les éléments
indispensables à la finitude et à l’épanouissement de cette Autonomie. Et certainement, au-
devant desquelles le Respect inéluctable de la Dignité du patient, que l’on pourrait définir
comme un accompagnement. Cet « accompagnement qui passe par l’écoute ; le malade saura
[ainsi] qu’il est digne de respect, qu’il continue d’exister aux yeux des autres […], qu’il est le
sujet d’une rencontre et non seulement objet de soins. Il s’agit […] d’être une présence
vivante à l’écoute de celui qui souffre ou présente une douleur. »40 Et par douleur, on parle
évidemment de ce “Total Pain” décrit en 1967 par l’infirmière puis le médecin Cicely
Saunders, c’est-à-dire de cette souffrance sous toutes les formes qu’elle peut adopter. Ce qu’il
faut probablement comprendre ici, c’est qu’écouter les souffrances des patients et accepter de
38
WOOLF, Virginia. Mrs Dalloway. Paris : Folio Classique, 2008. Consulté en mai 2014 au domicile, P. 214. 39
HESBEEN, Walter. Un métier au cœur du soin. Issy-les-Moulineaux : Masson, 1998. Consulté en février 2013 au domicile, p.47. 40
PONTINIAC (de), Albert. La relation avec celui qui meurt. La revue LAENNEC. Printemps 1984. P.18. Consulté au domicile le 24 mai 2014.
26
les recevoir et de les considérer, c’est quelque part laisser la possibilité au patient de
s’exprimer pleinement et de se sentir vivant et libre jusqu’au bout. Ceci pouvant être pour les
soignants une manière de respecter cette Autonomie.
Car la considération de l’Autre, mais avant toute autre chose le respect de sa Dignité, de
ses désirs ou de ses croyances vaut peut-être bien mieux que ces quelques mille solutions
trouvées pour prolonger une Vie pour laquelle tout un chacun aura déjà perdu la valeur, le
sens et la signification. Et ce respect passera avant tout par une bientraitance que les
infirmiers doivent engager et primer au quotidien comme une valeur-Maîtresse.
Ces valeurs que chacun d’entre nous acquière grâce à son histoire, à ses expériences, à son
caractère, et aux rapports sociaux qu’il décide d’entretenir. Eric-Emanuel Schmitt dans
Concerto à la mémoire d’un ange raconte à la page 124 qu’ « Adolescents, nous sommes en
grande partie fabriqués par notre éducation, notre milieu, nos parents ; adultes, nous nous
fabriquons par nos choix. Le fatras de tout ceci enfantera nos valeurs et idéaux, et ce de
manière irréversible. »41
Mais « Qu’en est-il de la liberté, de la dignité, du respect, de l’autonomie dans les
circonstances où la chronicité, la douleur, la dépendance, l’échéance rapprochée d’une fin de
vie semblent atténuer le sens de la vie, ou alors, fort paradoxalement les exacerber ? »42,
s’interrogera Emmanuel Hirsch dans ce traité que nous connaissons bien à présent.
Et afin de prolonger cette idée, analysons le compte-rendu de l’« Espace Nationale de
Réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer (MA) » tenu en janvier 2011 pour la
Commission étique d’Ile-de-France et qui a réuni Fabrice Gzil, philosophe en sciences
humaines et Florence Latour, gériatre au sein d’un groupe hospitalier de Paris. Cette rencontre
a permis de redéfinir cette notion d’autonomie chez une personne atteinte de la MA et la
création d’un sens commun permettant de la respecter. Ainsi, il existe pour ces deux
auteurs « deux manières traditionnelles de répondre à ces questions [de la finitude de
l’Autonomie]. La première consiste à s’en tenir aux préférences et aux valeurs qui étaient
celles de la personne lorsque celle-ci était encore capable d’autonomie. On peut alors se
référer aux directives anticipées ou recourir à des histoires de vie. […] La seconde consiste à
essayer de se représenter l’expérience subjective de la personne, à se demander ce qu’est une
41
SCHMITT, Eric-Emmanuel. Concerto à la mémoire d’un ange. Paris : Livre de Poche, 2008. Consulté le 03 mai 2014 au domicile, p.124. 42
HIRSCH, Emmanuel. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 18 février 2014 au domicile, p.33.
27
vie bonne dans une situation qui est la sienne [celle du patient] »43. Et pour ce faire, les
infirmiers qui évoluent au quotidien avec ces patients devraient considérer que la MA n’est
pas synonyme d’incompétence et que les patients qui en sont atteints conservent assez
longtemps une capacité de décider de certaines choses. Et bien que l’un des principes de la
Loi Leonetti soit réaffirmé ici, il semble que cette législation française ne puisse pas toujours
et en toute circonstance répondre aux dilemmes éthiques qui s’imposent parfois à notre
pratique infirmière. D’où l’importance inégalée de ces Commissions paritaires dans notre
quotidien.
Aussi, et afin de mieux les résoudre, il convient probablement à chaque soignant d’établir
la distinction entre la capacité décisionnelle (à donner un consentement libre et éclairé) et la
capacité pour l’autonomie qui, visiblement, est conservée longtemps. Et peut-être, parfois
jusqu’au bout de la vie, par instinct de survie, tout simplement !
Et à aucun moment de son exercice professionnel, un infirmier ne devra faire abstraction
des droits des patients, mais plutôt devra s’évertuer à leur redonner ou à leur laisser la plus
grande autonomie possible et en cela, la plus grande Liberté, et de connoter la plus grande
Indépendance. « Il n’y a ni éthique ni justice fondées si l’homme n’est pas libre, auteur de ses
actes, donc responsable »44 écrira Eric-Emmanuel Schmitt. Car, bien au-delà de ce système
juridictionnel frigide, la Liberté se définit peut-être et avant tout comme le droit de faire tout
ce qui ne nuit pas à autrui. Et en “prenant soin” de l’autre de manière consciencieuse, à coup
sûr, jamais nous ne nuirons…
« Nous avons le sentiment de la liberté quand nous délibérons, hésitons, choisissons. »45
Eric-Emmanuel Schmitt
« Je jure, Cher Maître, d’adorer toujours les deux déesses, Muse et Liberté. »46
Arthur Rimbaud
43
ESPACE NATIONAL DE REFLEXION ETHIQUE SUR LA MALADIE D’ALZHEIMER. Alzheimer : respect de l’autonomie. Commission éthique du CMPP. Janvier 2011. Paris V. P.6 44
SCHMITT, Eric-Emmanuel. Concerto à la mémoire d’un ange. Paris : Livre de Poche, 2008. Consulté le 03 mai 2014 au domicile, p.200. 45
Ibidem note 42, p. 203. 46
RIMBAUD, Arthur. Poésies complètes. Paris : Livre de Poche, 199. Consulté en juillet 2014 au domicile, p.86.
28
Au total, et en conclusion de ce cadre de référence, pour tous ces
patients amputés de leur capacité intellectuelle, de discernement ou d’expression de leur
volonté, la possibilité de continuer à mener une vie autonome jusqu’au bout sera sûrement
permise par l’aide apportée à la traduction de leurs valeurs propres dans des actes, leurs actes
du quotidien. Une aide qui finalement, représente le rôle propre d’un infirmier, son cœur de
métier et sa mission première. Un travail de longue haleine, qui nécessitera patience, vertu,
écoute, accompagnement, courage… et des ressources en la famille et en l’entourage du
patient.
Et afin de développer un savoir-être professionnel et une “manière de faire” toujours plus
probes, chaque infirmier devra trouver l’équilibre nécessaire entre toutes ces notions
abordées, et accorder à chacun de ces concepts dans sa pratique toute l’importance qui lui
prévaut. Voire, s’en faisant témoin, il devra s’évertuer à maintenir la plus juste et loyale
relation de soin possible avec la personne soignée, en recourant au besoin à toutes les valeurs
morales, déontologiques et humaines drainées par cette superbe profession. Dans l’obtention
de cet objectif et afin d’atteindre cette plénitude, il pourra trouver du soutien et une aide
auprès de l’équipe pluridisciplinaire dans laquelle il évolue, mais surtout auprès du patient lui-
même, parfois géniteur de formidables leçons de Vie…
29
~ Enquêtes de terrain ~
Présentation de l’outil utilisé et de la population sondée
Concernant donc ce concept professionnel multifactoriel
d’Autonomie que nous venons de tenter de dépeindre par l’étude de ce cadre de
référence, nous constatons donc qu’il nécessite au quotidien pour son respect
immuable par les infirmiers d’outils, de valeurs et de bases solides entre autres
littéraires et législatives, qui l’escorteront jusqu’à sa plénitude. Et, bien au-delà du
carcan administratif imposé à notre profession, et si l’on en croit cette myriade
d’auteurs étudiés, la probité de nos actions infirmières est possible, rendant par la
même au “Prendre Soin” de notre art infirmier toutes les lettres de Noblesse qu’une
évolution technologique et des mœurs rapide de notre XXème siècle et un affûtage
paroxystique des sciences médicales ont entaché. Etait-il devenu si caduque qu’il
nécessita irrémédiablement un souffle nouveau de modernisation ?
Un cadre pour autant indispensable à chaque situation à caractère éthique rencontrée.
Par exemple, un peintre qui n’en n’aurait pas pour peindre ne pourrait s’adonner à
son art. Mais parfois, pour l’étoffer, lui donner du corps ou du mordant, il est obligé de
sortir de ce cadre qu’il s’impose, laissant son imagination à l’évasion, faisant ainsi
évoluer sa vision artistique, son œuvre, sa folie créatrice… De la même manière, il
nous est parfois indispensable de sortir de ce cadre administratif imposé par le système
pour débloquer une situation et l’extirper d’une fange dans laquelle elle est
embourbée. Il appartient alors à chacun de ne pas dépasser certaines limites
humainement souhaitables lorsqu’il s’agit de l’Homme.
Et à en croire ce que j’ai lu, il nous est désormais possible de “bien faire” et de
développer toujours davantage une attitude professionnelle qui soit en adéquation avec
l’image que cette profession revêt au sein de la Société tout entière, et finalement aux
yeux des Patients et de leur famille. Une posture déférente qu’ils attendent de nous que
nous développions : je veux parler bien sûr de cet altruisme à toute épreuve, et la
volonté de faire du patient non seulement l’“objet” de nos soins, mais surtout de le
rendre le témoin incommensurable d’un éternel respect de l’espèce Humaine.
30
Ainsi, cette prise en soin infirmière décrite par les ouvrages comme devant être
hédoniste et tendre vers le meilleur nous est indiquée comme priorité soignante et
véritable vertu professionnelle. Une espèce de “démarche qualité” de chaque instant
qui devrait donc transpirer dans les soins et animer le cœur de chacun des
professionnels du corps infirmier. Et c’est cela que je me suis évertué d’évaluer par
mes enquêtes de terrain. Evaluer LA place que tient chacun de ces concepts abordés et
défendus par la littérature dans le cœur des infirmières interrogées et, puisqu’elles en
sont le témoin principal et l’assise indispensable aux côtés des patients, de facto dans
notre Système de Santé français. Conjointement, j’ai également souhaité analyser ce
que les différents services de soin mettaient en place pour honorer ces prérogatives.
Et pour ce faire, je me suis rapproché de collègues travaillant dans des services dont
les spécialités ont été citées dans mon cadre de référence. Ceci m’a permis d’établir un
lien plus aisé avec ce dernier, et de me “cantonner” à une analyse spécifique m’évitant
ainsi des élucubrations qui peuvent être rapides et se mettre en place insidieusement
dans nos discours sitôt que l’on traite de ce sujet aussi complexe que passionnant
d’éthique.
J’ai donc fourni par courrier électronique à la Direction des établissements dans
lesquels je souhaitais enquêter la grille d’enquête exploratoire que j’avais construite
(et que le lecteur retrouvera en annexe III page 59), et dont la faisabilité et la
pertinence avaient été évaluées par des collègues infirmières et amies, et par mon
Directeur de Mémoire. Puis, je suis allé sur le terrain après une double autorisation
(Directeur des Soins et Cadre de Santé des services) afin d’effectuer ces entretiens
avec deux infirmières de réanimation de chirurgie cardio-vasculaire (CCV*), deux
infirmières de médecine gériatrique aiguë et une infirmière en psychiatrie. Il s’est agi
d’entretiens oraux semi-directifs laissant libre le champ des possibles quant aux
réponses des sondées, mais permettant malgré tout d’endiguer adroitement ces
dernières dans le sujet traité, afin de laisser intact ce lien question-réponse. Ainsi, j’ai
voulu laisser la possibilité aux infirmières interrogées de se confier librement quant
aux différents thèmes abordés, et celle d’ouvrir toujours davantage ce sujet de
mémoire, vers des horizons jusqu’alors inexplorés… Et cet objectif a pu être atteint
grâce à la guidance mise en place au cours de ces entretiens. Quant aux services
retenus, ils l’ont été de prime abord pour maintenir un lien avec l’étude fournie par
31
mon cadre de référence. Mais également pour la spécificité très particulière qui les
anime chacun, et qui nécessite un accompagnement du patient et une prise en soin
divergents, voire opposés en de nombreux points. Ainsi, la technicité requise en
réanimation ne constituera pas la priorité soignante d’un service de gériatrie ou de
psychiatrie par exemple, qui nécessitera davantage de patience, de calme, de douceur,
de temps… Et la comparaison que j’ai pu y observer a cru il me semble l’intérêt que
nous pouvions accorder à cette analyse du terrain.
Et, à ce propos, je tiens à remercier dès à présent et très chaleureusement ces 5
collègues qui, malgré leur remarquable charge de travail et les responsabilités qui leur
incombaient, ont pris le temps de répondre à mes questions, et de réfléchir avec moi
sur ces notions aussi importantes et précises que, finalement, extrêmement ouvertes et
à jamais amovibles. Elles m’ont permis d’avancer dans ma réflexion et leur expérience
professionnelle de terrain m’a permis de tarir certaines de mes interrogations
antérieures à ce mémoire, et nées de ce travail. Egalement, je leur présente mes
sincères salutations pour cette honnêteté dont elles se sont faites représentantes.
A toutes, un grand Merci !
Je commencerai donc cette analyse d’enquête par la présentation tabulée des
professionnelles avec lesquelles j’ai travaillé, car cette dernière me paraît être la plus
simple, la plus claire et la plus appropriée à une éventuelle comparaison de population.
Les formations suivies apparaissant en gras dans ce tableau ont été réalisées à la
demande de l’agent. Les autres ont été jugées “obligatoires” par la structure dans
laquelle ces infirmières exercent, et leur ont donc été imposées.
Infir
mièr
e
Age
du
diplô
me
Service et
spécialité
de travail
actuels
Service(s) et
spécialité(s)
de travail
antérieurs
Formations suivies Situati
on
familial
e
Devenir
A. 12 ans Réanimatio
n CCV
SSR*,
diabétologie
“Incendie”, “DU*
douleur”, “Les
gestes et soins
d’urgence”,
Mariée,
deux
enfants
Incertain
pour l’heure
32
“L’hygiène
hospitalière : mission
mains propres”, “Les
infections induites
par les soins en
réanimation”
C. 3 ans Réanimatio
n CCV
Premier
poste
“Incendie”, “Les
infections induites
par les soins en
réanimation”,
“Manutention des
patients”,
“Ventilations
artificielles”
Célibat
aire, un
enfant
Aimerait se
spécialiser
en
infirmière
anesthésist
e
S. 22 ans Médecine
gériatrique
aiguë
Gériatrie de
nuit
“L’hygiène
hospitalière”,
“Accompagnement
en fin de Vie”,
“L’éthique à
l’hôpital”, “Respect
des cultes religieux
dans les soins”
Mariée,
3
enfants
Souhaiterait
un poste en
hôpital de
jour
A.-
C.
1 an et
demi
Médecine
gériatrique
aiguë
Premier
poste
“Incendie” Célibat
aire,
sans
enfant
Souhaiterait
dans
l’avenir un
poste en
médecine
polyvalente
ou
spécialisée
L. 25 ans Psychiatrie
: UCD*
(pédopsych
iatrie)
Une carrière
en
psychiatrie,
car infirmière
spécialisée
en
psychiatrie
“La contention en
psychiatrie infantile”,
“La chambre
d’isolement”, “La
bonne utilisation du
« Packing »”, “Parler
de ses souffrances”,
“Maladie et
Remari
ée, 5
enfants
En retraite
dans trois
ans
33
sexualité chez
l’adolescent”,
“Iatrogénie
médicamenteuse en
psychiatrie”
Analyse des réponses aux questions posées
Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ?
Il m’a paru opportun et approprié de commencer mon enquête par cette question car,
bien qu’elle puisse paraitre difficile de réponse et extrêmement ouverte, j’ai craint que
la suite de l’enquête et les questions à venir ne modifiassent dûment l’image que les
infirmières avaient de cette notion, et qu’elles en viennent à en biaiser la réponse.
Ainsi, mon objectif par cette question était d’appréhender le cadre éthique dans lequel
l’infirmière évoluait, et ce qu’elle-même ou l’établissement concerné mettait en place
afin de définir l’éthique, mais surtout d’utiliser cet outil au quotidien.
Et le premier constat flagrant qui en a surgi est le suivant : sur les cinq infirmières
interrogées, une seule affirme avoir suivi une formation ayant trait au sujet. Je
m’aperçois également que les jeunes infirmières nouvellement diplômées en donnent
des définitions plus « scolaires », c’est-à-dire tournées vers des généralités
professionnelles, des évidences qui sont également des principes et des objectifs de
soin : « Bien faire », « Faire en accord avec nos convictions », « Respecter ses
valeurs »… Les infirmières de diplôme mais aussi d’âge plus avancés orientent et
recentrent cette définition davantage sur le patient : « Respecter les valeurs de la
personne soignée », « Faire le meilleur pour le patient », « Peser le pour et le
contre »… Ce qui prouve peut-être que définir l’éthique, c’est avant tout exercer et
travailler au quotidien avec les patients et ses collègues, dans une interdisciplinarité
professionnelle dans laquelle chacun trouvera sa place. Et je constate inéluctablement
que cette définition et cette vision de l’éthique évoluent avec l’expérience du terrain,
avec les difficultés rencontrées et probablement les formations suivies. En effet, seule
l’infirmière S. de médecine gériatrique qui a suivi une formation dans ce domaine
34
m’en a donné une définition qui se rapprochait le plus de celles explicitées par les
auteurs étudiés dans mon cadre de référence.
Avec toutefois et pour toutes cette idée de “faire le bien”, d’être en accord avec
certaines valeurs soignantes. Et je ne saurais expliquer si cette image de l’éthique
provient d’une formation initiale en soins infirmiers claire et adéquate, ou si elle
s’échappe plutôt du cœur même de ces soignantes, comme une intuition, une volonté
immuable de faire le bien et de “prendre soin”, et qui traduit dès lors les raisons et la
vocation qui les ont conduites dans cette voie professionnelle. Ceci nous rappelant par
la même les origines religieuses d’une profession des plus anciennes en termes de
probité.
Mais, dans cette analyse, j’ai également pu noter la subsistance d’une distinction
d’entre l’éthique de “réanimation” et celle de “gériatrie”. En effet, la première est, à
l’image du service finalement, plus technique, davantage délimitée et volontiers plus
hiérarchisée : « C’est par exemple de ne pas maintenir en vie pour s’acharner »,
« C’est tenir compte aussi de l’avis de la famille dans nos décisions »… L’éthique en
“gériatrie” pour sa part étant davantage tournée sur un aspect relationnel plus marqué,
sur une relation soignant/soigné remise au premier rang d’un ensemble de priorités
soignantes : « C’est considérer la personne âgée comme n’importe quel autre
patient », « Tenter de respecter les choix du patient même s’il est dément », « C’est se
rappeler que nous sommes tous des Êtres-Humains »…
Et toutes ces affirmations extraites de ces entretiens ne me conduisent nullement à
penser l’existence d’une espèce d’éthique à double vitesse, ou qui serait différente
d’un service à l’autre, d’une spécialité à l’autre, d’un soignant à l’autre. Mais, je pense
toutefois au regard de cela que, malgré tout, l’éthique de chacun tente de s’adapter au
milieu dans lequel elle évolue, compte tenu des outils que nous souhaitons lui léguer,
et de l’importance que les services de soin souhaitent lui accorder. Il ne s’agit non pas
certes, de mettre de l’éthique partout et tout le temps, ce qui aboutirait à dénaturer sa
vraie fonction, et le ce pourquoi elle est destinée. Mais plutôt de l’utiliser à bon
escient, et de l’adapter à la situation rencontrée. Car finalement, comme l’a très
justement souligné S. de médecine gériatrique, « l’éthique est partout, sitôt que l’on
accepte de baisser les yeux pour la trouver à ses pieds ». Il s’agirait alors de l’étendre
35
à son paroxysme, si tant est qu’il soit possible de lui définir une fin ?! D’ailleurs, et à
bien y songer, l’éthique n’est-elle pas fondamentalement une fin en soi ?
De surcroît, le discours tenu par l’infirmière S. m’emmène à penser que les
formations et les conférences sur ce sujet devraient peut-être s’étendre dans notre
système de soin et au sein des services, et son tabou se désacraliser afin d’offrir aux
soignants les outils les mieux adaptés et les plus divers à l’épanouissement de leur
éthique professionnelle, mais peut-être avant tout personnelle.
Car, en conclusion de cette question, et afin d’apporter le regard le plus optimiste
possible sur la situation en France aujourd’hui, j’ai compris par cette enquête que ce
concept d’éthique est indiciblement enfoui et bien ancré là dans le cœur des
infirmières, et même dispose d’une importance sans équivoque. Mais ce qui manque
parfois à certaines d’entre elles, c’est la possibilité de pouvoir l’exprimer par les mots
d’une part, mais également par les actions du quotidien et la prise en considération de
leurs points de vue, l’écoute et le respect par les autres de leurs valeurs propres et
professionnelles, et la possibilité de s’affirmer en tant que soignante dotée d’une
capacité de prendre parti ou défense d’une décision arrêtée ; dût-elle l’être devenue de
manière collégiale et protocolaire.
Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ?
Là encore, les réponses fournies m’ont étonné, dans ce sens qu’elles ne coïncidaient
pas toujours avec ce que j’avais imaginé.
Pour l’infirmière A.-C. de médecine gériatrique, il s’agit assurément de « Faire en
sorte de respecter les choix des patients, même s’ils sont déments. C’est aux soignants
de s’adapter à eux, et non l’inverse. » Ce qui traduit bien là une volonté affirmée
d’organiser les soins et le quotidien en fonction des volontés et de l’état général des
patients. A.-C. ne précise pas pour autant si cette intention est partagée par le reste de
l’équipe, et si elle est toujours réalisable à chaque instant, compte tenu du joug imposé
par la rigidité horaire hospitalière que l’on connaît. Cependant, d’être rassuré qu’une
infirmière nouvellement diplômée puisse se faire témoin de pensées semblables,
finalement à l’image de ce que nous avons retenu du cadre de référence construit en
amont de cette analyse. Sa collègue S. du même service (qui a bénéficié d’une
36
formation en éthique) tient à peu près un discours similaire : « C’est garder à l’esprit
à chaque seconde que les personnes âgées sont dotées d’une histoire comme tout
Homme, et que la perte de leurs repères ne doit pas les déposséder de ce droit au
Respect. Pour Moi, c’est CA exercer l’éthique. » Et, de renchérir qu’il est fort à parier
que ce souffle de service, ces opinions d’une probité avérée ne soient pas sans lien
d’avec cette formation reçue.
Cependant, A.-C. complète ses propos par la phrase suivante : « Parfois, cette
adaptation est rendue difficile par l’aspect aigu, la crise de la pathologie du patient.
C’est alors à nous [soignants] de créer ou de trouver de nouveaux outils pour les
comprendre », ce qui traduit encore une fois cette volonté de bien faire, de considérer
le patient aussi dément et âgé qu’il puisse être comme une “Perle dans un écrin”. Ceci
nous conduit donc à penser que, finalement, un réel effort est peut-être fait au sein des
services hospitaliers afin de rendre l’exercice infirmier le plus luxuriant possible, et le
plus flamboyant.
Pour L., infirmière en psychiatrie, l’éthique au quotidien dans son service s’exprime
d’une manière bien différente : « Nous, on dira d’une prise en charge dans notre
fondation qu’elle est éthique lorsqu’elle arrive à conduire le gamin sur un vrai projet
de Vie, à lui donner un avenir et un semblant d’espoir pour sa vie sociale future. » Ici,
cette éthique infirmière est intimement liée à l’“après”, au devenir, au futur. Mais
alors, à bien y réfléchir, cela signifierait qu’un avenir un peu moins sûr ou moins
lumineux pour cet adolescent Lambda serait le résultat d’une prise en charge
infirmière qui aurait manqué de déférence et de réflexion éthique quant aux décisions
prises à son sujet ? Nul doute, assurément Non ! J’ai donc relancé L. afin qu’elle
précise ce qu’elle tentait de me faire comprendre par cette réponse. Et elle m’a
répondu ceci : « On essaye toujours d’être les mieux possibles pour les enfants, d’être
les plus justes et de leur offrir les soins les plus appropriés. Pourtant parfois, parce
que l’on a moins de temps, ou bien parce qu’on y accorde moins de temps
consciemment, les projets sont moins construits, moins ancrés pour certains. Et je
mentirais en disant que nos prises en charge sont égalitaires pour tous, car parfois
pour certains gosses, on baisse les bras. »
Pour l’infirmière A. de réanimation, elle a répondu à cette question de la manière
suivante : « En réanimation, lorsque l’on a le temps, on fait parfois des “réunions
37
éthiques” pour réfléchir sur nos pratiques. Mais souvent, elles concernent la prise de
décisions pour des patients qui, je pense, parfois sont arrêtées un peu rapidement.
Enfin, je pense que le temps n’est pas toujours suffisant à nos réflexions
personnelles. » Ce que j’ai trouvé intéressant de relever ici est cette notion du Temps,
que l’on a jusqu’alors jamais abordée. Car, en effet, il faut bien se l’avouer, faire
preuve d’une véritable démarche ou d’un processus éthique de qualité, c’est accepter
de prendre le temps de réfléchir, de se détacher quelque peu de sa pratique et de son
quotidien soignant, pour parfois se recentrer sur soi-même, et sur ce que l’on désire
réellement et sincèrement faire pour l’Autre. Seul(e), avant toute chose, et à plusieurs
ensuite, au sein d’une équipe. Finalement, c’est quelque part accepter de s’accorder du
temps à soi-même, et aux autres.
Et l’on comprend par les propos de ces infirmières que l’organisation de leur travail
et sa charge notamment alourdie par une composante administrative de plus en plus
conséquente sont telles qu’il est parfois mal aisé à l’équipe pluridisciplinaire en place
d’offrir à la réflexion éthique, ou pour d’éventuelles formations sur le sujet le temps
requis pour cela. Et bien qu’elles s’acharnent à défendre ces valeurs soignantes à
chaque instant, il n’en demeure pas moins que les priorités soignantes induites par
notre Système de Santé toujours plus tourné vers le profit financier et l’économie en
sont de facto bouleversées, et l’appât du gain nous conduit peut-être à confondre
“Rapidité” et “Précipitation”. De surcroît, mon expérience aide-soignante et mes
stages infirmiers témoignent réellement d’une nécessité de faire vite et bien dans une
tarification à l’acte introduite en 2009 où chaque centime compte, reléguant au second
rang d’une prise en soin l’écoute, la démarche éthique et l’accompagnement. Et cette
organisation du soin infirmier que je qualifierai de « moderne » demande alors aux
infirmières des qualités nouvelles d’adaptation toujours plus accrues ; voire de
caractériser de véritable prouesse professionnelle la capacité d’inclure dans leur
pratique de chaque instant l’éthique soignante la plus affûtée possible.
38
Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ?
Il me paraît bien futile de préciser que je me suis appuyé des réponses données ici
afin d’analyser plus aisément les deux questions précédemment étudiées.
Ainsi, hormis l’infirmière S. de médecine gériatrique, aucune des sondées n’a réalisé
de formation en éthique, qu’elle fit suite à une demande issue de leur propre initiative
ou imposée par leur hiérarchie. Cependant, les deux infirmières de réanimation
assurent avoir participé à des concertations pluridisciplinaires éthiques appelées
“Réunion de Concertation Pluridisciplinaire” (RCP*) quant au devenir d’un patient X.
A.-C. de médecine gériatrique pour sa part me confie n’avoir « jamais assisté à un
groupe ou réunion ayant un lien avec un quelconque sujet éthique. Mais, j’essaye de
moi-même de mettre de l’éthique dans tout ce que je dis ou fais. »
Pour L. de psychiatrie, des « réunions éthiques, on en fait tous les jours. Maintenant,
jamais l’une d’entre elles n’a redéfini clairement ce qu’était réellement l’éthique. Le
côté pratique, c’est que finalement, on peut y mettre un peu ce que l’on veut. »
Et à l’analyse de ces réponses, une question surgit indubitablement et de raison
indicible : on comprend ici que l’éthique, en tout cas cette éthique “littéraire” dont on
parle, n’est peut-être pas une priorité dans la politique de prise en charge des patients
dans notre Système de Soin. Et bien que l’on en parle régulièrement et que les
infirmières interrogées assurent y être confrontées au quotidien, nous pouvons
constater un manque de formation sur le sujet, qui permettrait peut-être de redéfinir
clairement ce concept, et puisqu’il n’y a pas une seule définition possible de l’éthique
finalement, au moins d’en arrêter les objectifs et d’élaborer les outils nécessaires à sa
floraison dans notre pratique infirmière.
Est-ce donc aux services et Directions de Soins de mettre en place les financements
et la condition nécessaires à de tels formations et/ou réunions, Comités ? Ou plutôt,
est-ce l’organisation générale de notre Système de Soin français qui est à repenser afin
de transformer cette nécessité gouvernementale indispensable d’économie financière
dont on nous afflige la responsabilité d’honorer, en une nécessité intarissable d’offrir
aux patients qui font notre quotidien la possibilité de leur digne considération de
chaque instant ?
39
Quoiqu’il en soit, un problème subsiste dont je n’aurais nullement la suffisance
d’affirmer que j’en connais les origines ou en détiens les solutions d’y remédier. Pour
autant, il est évident que les infirmières souhaiteraient que l’on fasse de l’éthique un
combat et une prérogative du quotidien, et qu’il leur soit fournie la possibilité de s’y
épanouir afin d’embellir toujours plus leurs prises en soin, dût-elle passer par une
réorganisation environnementale et institutionnelle sans précédent.
Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ?
Les réponses à cette question confirment le constat établi par la première analyse. A
savoir que bien que ces définitions diffèrent en fonction de l’âge de l’infirmière
interrogée et de son expérience professionnelle, le concept d’éthique reste une notion
relativement bien déterminée, prônée par elles et chère à leur cœur. En tous les cas,
dont l’utilisation au quotidien et le ce pourquoi elle est destinée est su de chacune, et la
place qui lui est alors allouée dans le soin est revendiquée avec ferveur.
Et ce consensus dont on parle est défini par les infirmières comme un genre
d’équilibre, de balance entre toutes les solutions et propositions avancées pour chacun
des cas présentés qui demandent réflexion. Mais ce qui est tout à fait étonnant, c’est
que bien qu’elles aient attribué à cet équilibre à trouver les noms différents de
solution, proposition, résultat…, toutes les infirmières leur ont attribué la qualité de
“meilleur(e) possible”. L’infirmière S. répond toutefois de manière plus précise qu’il
s’agit de « trouver un accord, une entente qui satisfasse tout le monde, mais qui
privilégie surtout le patient », rappelant de nouveau l’importance prouvée des
formations quant à l’utilisation appropriée des outils dont nous disposons dans notre
quotidien, si tant est que nous puissions réduire cette éthique à un simple outil.
Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ?
Comment ?
Les réponses ici sont sans équivoque : il s’agit d’un « Oui » général. Certaines (les
infirmières A., A.-C. et S.) énoncent la Charte du Patient hospitalisé affichée dans
40
chaque service de soin. L. de psychiatrie quant à elle se réfère au règlement intérieur
de son établissement en lien très étroit avec les Droits des enfants hospitalisés : « Il
suffit de lire le règlement intérieur de la Fondation pour comprendre que des Droits
accordés aux enfants, il y en a une liste longue jusqu’à demain. »
Quant aux deux infirmières de réanimation, elles me précisent toutes deux que les
lois notamment Kouchner, Leonetti et à l’information sont régulièrement évoquées et
réhabilitées à chaque RCP. De plus, C. m’indique que le Cadre de Santé du service
tient informé régulièrement l’ensemble de l’équipe quant aux modifications à venir de
ces lois. Ce qui m’a paru intéressant dans leur réponse, c’est qu’elles m’ont semblé
concernées par le sujet. Ainsi, elles recherchent l’information manquante en regard,
pour « ne pas se mettre en difficulté face à la loi et ne pas outrager un Droit
quelconque du patient. C’est aussi une question de respect et de sauvegarde de cette
confiance que les patients mettent en nous ! », me précisera A. de réanimation.
Seule L. précise l’existence d’une personne ressource au sein de l’établissement à qui
il est aisé de se référer au besoin. « C’est un juriste de formation, et il est très utile
surtout en cas de désaccord survenant entre un enfant et ses parents. Car, il est faux
de croire que les parents décident de tout pour leur gosse et que les gamins ne peuvent
pas prendre de décision(s) pour eux-mêmes. Ils ont ce droit-là par exemple. Des fois,
on est un peu perdu alors il nous éclaire. »
A l’analyse de cette question, même si les infirmières paraissent relativement bien
informées sur le Droit (parfois parce qu’elles font l’effort de s’y intéresser ou de
rechercher les éléments utiles à leur prise en soin), je suis conduit à penser que
l’existence d’une personne ressource telle qu’elle existe dans la structure de soins de
l’infirmière L. pourrait encore améliorer l’organisation et la sécurité des soins, mais
également des professionnels en exercice, notamment face à une population soignée
de plus en plus procédurière.
Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre
service compte-tenu de sa spécificité ?
A cette question, les réponses ont été aussi diverses que surprenantes. A ce point-tel
que cette hétérogénéité pourrait finalement bien refléter la diversité des définitions
41
possibles de ce concept, et établir des liens entre toutes relèverait d’une prouesse
finalement davantage extrapolative et imaginative que logique et véridique. Mais après
réflexion et à l’analyse de ces réponses, je m’aperçois, hélas, que la deuxième partie
de la question : « Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa
spécificité » serait peut-être à l’origine d’une aussi flagrante pluralité de points de vue.
A la seule définition de l’autonomie, les réponses fournies auraient sans doute été plus
convergentes ; particularité qui, finalement, aurait été bien moins intéressante à ce
travail.
Pour A.-C. de médecine gériatrique, elle s’exprime par la capacité pour l’infirmière
« de laisser le patient faire le maximum de choses pendant la toilette ou pour manger
par exemple, et travailler avec lui à préserver cette autonomie. Donner les outils, mais
ne pas faire à la place. » Ici, A.-C. ne me parle pas de ces capacité et possibilité pour
le patient à prendre des décisions, à opérer ses propres choix.
L. décrit cette autonomie par degrés, et « en fonction des ados, on leur laisse des
heures libres où ils ont l’autorisation de sortir seuls de la Fondation. Si les règles
notamment d’horaire retour ne sont pas respectées, alors ces temps durant lesquels ils
sont seuls sont de moins en moins longs ou finissent tout simplement par être
supprimés. » Mais « à l’intérieur de la Fondation, à cause de l’interaction les uns
avec les autres, cette autonomie n’est pas vraiment envisageable », précise-t-elle. Pour
autant, et bien que l’on en ait pas toujours conscience, je crois pourtant en une réelle
autonomie développée dans ces services de psychiatrie. Si l’on tient compte du fait par
exemple que les enfants font leur lit le matin, mettent le couvert, aident au
débarrassage, proposent et animent parfois eux-mêmes leurs propres jeux… ne s’agit-
il pas là de formidables preuves d’autonomie qui permettent à ces enfants en
difficultés de grandir et d’acquérir des responsabilités ? Celles-là mêmes qui nous
construisent et nous guident progressivement sur le chemin de la vie adulte !
Pour C. de réanimation, « lorsque vous êtes confrontés à des patients dans le coma,
parler d’autonomie est une tâche difficile. Les patients sont dépendants parfois à
300% de nous. Comment pouvons-nous dans ces conditions leur laisser une
autonomie du quotidien ? […] Dans ces cas-là, on la reporte sur les familles qui
prennent le relais et soin de leur proche hospitalisé, et ce partage de compétences et
d’autonomie finalement leur fournit un sentiment de renaissance, celui d’être
42
vraiment utile. » Apparaît dès lors avec C. une donnée nouvelle : celle du partage.
Partage d’une connaissance, d’un savoir, d’un savoir-faire, d’un art… d’avec une
famille, un proche ou des collègues. Une donnée qui, à mon sens, est extrêmement
intéressante et prend au cœur de ce mémoire tout son sens. Car finalement, lorsque
nous parlons d’éthique, de consensus, de législation… n’est-ce pas de partage et de
solidarité dont il s’agit d’un abord premier ? Le partage d’idées, de droits et de devoirs
communs, d’expériences, de propositions qui font grandir et avancer d’aucuns dans
leurs voies professionnelle et personnelle, et notamment par l’attelage à la résolution
de ces difficultés éthiques du quotidien concernant les patients.
Au total, c’est peut-être CA l’autonomie, à l’instar et en sus de ce que les auteurs lus
et moi avons développé dans notre cadre de référence. Partager avec l’Autre tout ce
qui peut l’être (existe-t-il seulement particule qui ne le soit pas ?), et notamment ce qui
lui sera utile afin de rester Digne et Libre… En somme, Homme jusqu’à la fin…
In fine, une autonomie qui, pour être respectée, peut parfois demander la
performance d’une imagination et d’une adaptation à toute épreuve. Jean-Jacques
Rousseau écrira un jour que « C’est l’imagination qui étend pour nous la mesure des
possibles […], et nourrit les désirs dans l’espoir de les satisfaire. »47
Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ?
Par la question précédente, les infirmières rencontrées avaient déjà partiellement
répondu à celle-ci d’un même jet. Seulement, j’aimerais préciser toutefois qu’A. de
réanimation a établi elle-même un lien avec la législation qu’il m’a paru opportun
d’analyser : « Le mieux pour ne pas commettre de bourde, c’est de se référer à la
législation en vigueur. Ainsi, nous on sait qu’un patient qui a toutes ses capacités doit
décider de ce qu’on lui fait. Et par exemple, il nous arrive de ne pas administrer de
traitement lorsque l’on essuie un refus d’untel ou d’untel. Chose que l’on ne faisait
pas forcément 10 ans en arrière lorsque j’ai débuté. On précise les risques en cas de
refus, on tente de négocier, on pèse la balance bénéfice-risque. Mais jamais on ne
s’acharne. C’est une philosophie de service. » La première interrogation venue à 47
ROUSSEAU, Jean-Jacques. Les Confessions. Paris : Folio Classique, 2004. Consulté en août 2014 au domicile, p.30.
43
l’encontre de cette réponse a été de comprendre pourquoi ce point de vue législatif
n’est pas parvenu plus tôt au cours de l’entretien ?
Ainsi, par cette confidence, A. m’offre le lien rêvé entre deux notions ; mieux, le
prouve : l’autonomie et sa revendication par le corps infirmier et la législation qui
permet finalement de bien faire et de respecter les codes de conduites sociales et
déontologiques. Mais elle souligne également une évolution dans les pratiques, une
manière de faire qui apparemment, et si l’on en croit les auteurs étudiés, a su s’adapter
aux lois en cours, se modifier parallèlement aux mœurs, aux états d’âmes et priorités
de notre Système de Santé français. Et bien qu’il serait non avenu de généraliser les
propos d’A. à l’ensemble de la communauté infirmière, elle témoigne clairement
d’une modification de ses pratiques corrélée finalement à la volonté que cette Loi
Kouchner a souhaitée transmettre à l’ensemble des soignants : considérer le Patient
comme un citoyen de Droits que l’on devrait systématiquement positionner à une
équidistance du citoyen “sain” et du soignant en terme de déférence.
S. de médecine gériatrique quant à elle rajoute un élément très intéressant :
« L’autonomie de la personne âgée, c’est une obligation que l’on doit préserver pour
qu’une fois hospitalisée, elle ne se “grabatairise” pas trop rapidement, et qu’elle
conserve l’espoir un jour de rentrer chez elle. » L’autonomie est donc mise ici au
service d’un devenir, d’un futur pour la personne âgée que l’on souhaite le meilleur
possible. Une manière, quelque part, de faire du respect de l’autonomie du patient une
obligation toujours centrée sur lui, recélant ainsi une certaine probité dans les
sentiments des infirmières nourris d’encouragement et d’espérance. L’espoir de
maintenir la personne âgée telle qu’elle fut, le plus longtemps possible… Les
infirmières prennent alors un rôle de mère nourricière et protectrice, faisant ainsi
honneur à leurs racines religieuses. L’on comprend de facto et clairement le raccourci
opéré par Walter Hesbeen : “prendre en Charge” devenant alors et dorénavant
“prendre en Soin”.
44
Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en soin, une situation impliquant un
patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce
problème ?
Pour analyser cette question, je fais le choix de deux réponses seulement, qui me
paraissent les plus parlantes.
Ainsi, j’ai gardé l’exemple d’A.-C. qui m’a touché, et pas uniquement par la
“naïveté” de réponse due au noviciat de son diplôme ; mais également parce qu’il me
paraît refléter une réalité de terrain qui peut nous concerner, nous tous professionnels
de santé. Et par ce “nous” dans lequel je m’inclue bien évidemment, je trouvais
intéressant de réfléchir sur ce que je, sur ce que nous aurions pu mettre en place ou
répondre à la patiente, si nous avions vécu la situation en lieu et place d’A.-
C. : « Encore tout récemment, nous avions une patiente qui refusait tous ses bilans et
traitements, et pour laquelle, compte-tenu de son état de santé général, nous savions
pertinemment qu’elle ne rentrerait jamais à son domicile, bien qu’elle le réclamait
tous les jours. Et pour qu’elle accepte sa prise de sang du jour, j’ai fait croire à la
patiente qu’elle lui permettrait de rentrer chez elle plus rapidement. Sur le moment, je
me suis sentie obligée de lui mentir pour qu’elle accepte mon soin. Aujourd’hui, je
regrette vraiment ce que j’ai fait car ça n’était pas déontologique du tout. Je sais que
je lui ai menti, et je m’en veux terriblement ! Ce n’était pas du tout éthique. » Je suis
tout d’abord ému par cette honnêteté sans faille qui traduit bien ici un réel problème.
Mais au-delà de ce problème éthique effectivement soulevé, d’autres questionnements
bien plus profonds encore m’interpellent, comme la nécessité qu’A.-C. a ressentie de
« mentir » à la patiente, outrepassant ainsi un respect de cette conjonction éthique
qu’elle a promise à sa pratique professionnelle. Quel est donc l’élément dont il faille
tenir compte qui l’a conduite à réagir ainsi ? Est-ce le stress imposé par le système lui-
même, l’oppression d’une collaboration interdisciplinaire quelque peu subversive ?
L’importance inégalée d’une investigation-Patronne dans les soins ?
Notre rôle à tous ici n’étant, non pas, certes, d’incriminer A.-C. ou d’éventuelles
actions qu’elle prétendrait, voire autoproclamerait comme indécentes à cette vision
éthique du “prendre soin”. Mais plutôt, il aurait été intéressant de discuter de manière
collégiale et inter et pluridisciplinaire de cette réaction née d’une interaction
soignant/soigné biaisée par des paramètres extérieurs qu’il ne nous est pas toujours
45
aisé à nous, Soignants, d’intégrer à cette relation (stress, fatigue, famille, surcharge de
travail, “burn-out”….). D’où, peut-être, cette caractéristique que les Soignants
expriment parfois à se faire la cause d’une réalité travestie ou d’une quelconque
omission de vérité dans l’objectif clair ou pas, de sauvegarder le patient, ou de lui
épargner toute souffrance psychique ?
Peut-être aurait-t-il fallu à A.-C. une meilleure connaissance de la patiente et de son
histoire de vie, ce qui lui aurait permis de trouver les éléments, les arguments auprès
d’elle, la conduisant ainsi à accepter ce bilan sanguin ?! Ce cas clinique se rapprochant
de ma situation d’appel retenue, elle m’a particulièrement interpellé parce que je saisis
aujourd’hui et à l’écriture de ces lignes le chemin parcouru depuis le début de ce
mémoire, les réponses à mes interrogations qu’il m’aura permis d’apporter, ou en tout
cas l’éclaircissement d’une pensée qui était ternie par cet acte soignant que j’avais
réalisé. Cet acte qui, de soignant justement, devint “poignant” par cet inexorable
manque d’éthique et de vertu qu’il a revêtu à mes yeux. Et cet exemple prouve encore
une fois l’importance pour les infirmiers et les professionnels du soin de partager sur
les situations qui posent un quelconque problème éthique. Afin peut-être de soulager
une conscience soignante de prime abord, mais peut-être également d’apprendre des
Autres, d’échanger des points de vue, des idées, des conseils… qui par
l’enrichissement humain qu’ils sous-tendent, enrichira plus luxueusement encore notre
pratique soignante par voie de fait.
Le deuxième entretien retenu pour cette réponse a été celui mené auprès d’A., de
réanimation : « Pour moi, le plus gros problème éthique de tous les temps en réa, c’est
le manque de respect concernant la pudeur des patients. Comme si, sous le prétexte
que les patients soient comateux ou aréactifs, on juge que de voir “leurs fesses” est
moins indécent que s’ils pouvaient s’en plaindre. Je me bats contre ça depuis
toujours. » J’ai été extrêmement surpris par cette réponse, je m’en explique.
Concernant cet éthique dont on parle depuis la genèse de ce travail, il paraissait que
le plus problématique d’entre tous (et notamment dans les services de réanimation ou
de soins palliatifs), ou du moins le plus emblématique, le plus médiatisé mais
également légiféré était l’euthanasie. Et sans vouloir aborder un débat intarissable ici,
je m’attendais à ce qu’A. me parle d’un sujet tel que celui-ci. Et bien que mon
46
expérience aide-soignante en service de réanimation me rapproche de ses idées et
propos quant à un manque de pudeur probablement et indiciblement davantage
omniprésent qu’ailleurs, j’ai conclu de cela qu’il existait peut-être aujourd’hui, et
notamment grâce à un cadrage législatif et des discussions passionnées sur le sujet,
une maîtrise de cette éthique-là, celle qui accompagne en fin de vie jusqu’à la mort.
J’ai donc retenu cette idée de pudeur qui était chère à A., et évaluerai éventuellement
ce thème sur le terrain de mon propre chef, puisque je suis attendu en service de
réanimation en banlieue parisienne pour mon prochain stage.
Dans une prise en soin qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous
dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement
personnel en regard ? Pourquoi ?
A cette question, le constat général est le suivant : bien qu’elles ne se dispensent
jamais d’un questionnement personnel dans leur pratique, il n’en reste pas moins que
la prescription médicale tient les brides de la pratique infirmière au quotidien, la dicte
et l’organise. Car, à bien y réfléchir, mis à part les soins relevant du rôle propre
infirmier (déjà très nombreux et faisant appel à une maîtrise et un savoir-faire bien
particuliers), l’ensemble des actes notamment dits “techniques” infirmiers sont soumis
à une prescription médicale. Et, ladite prescription pose parfois problème aux
infirmières interrogées, voire sont elles-mêmes à l’origine de problème(s) éthique(s) ;
dans ce sens qu’elles peuvent sembler en inadéquation avec la pratique infirmière, en
tout cas de ce que l’on attend d’elle : un accompagnement suave et digne du patient.
Ainsi, S. de médecine gériatrique indique que « Parfois, certaines prescriptions
médicales sont aberrantes. On nous demande de “bilanter” des personnes âgées en
fin de vie et reconnues comme tel, alors qu’il faut pleurer pour voir prescrit de la
morphine et des réhydratations. Face à certains médecins, vous avez beau vous poser
toutes les questions du monde, s’ils ont décidé de ne pas vous écouter, c’est peine
perdue dès le départ. »
Même constat pour C. de réanimation : « Au lit du patient, c’est toujours l’avis
médical qui tranche, même si nos questionnements et observations nous paraissent
pertinents. Parfois, plusieurs infirmiers sont d’accord avec une idée, que le médecin
réfute complètement. […] Alors face à un problème, il est permis d’avoir son propre
47
questionnement bien sûr, mais de là à pouvoir l’exprimer… Heureusement que les
RCP sont là pour tenir compte de l’avis de tous, ce qui nous permet de nous faire
entendre ». Ceci rappelant ce qui avait été signalé lors de la réponse à la question
concernant les réunions éthiques. Aussi, l’on comprendrait ici que le questionnement
et la réflexion personnels quant aux difficultés rencontrées dans leur quotidien
infirmier leur permet d’avancer dans leur propre pratique. Cependant, il apparaît
clairement que le mode d’expression de leur(s) point(s) de vue semble insuffisant et
leur écoute par l’ensemble de la communauté médicale bien en deçà de cette preuve
d’une collaboration sans ombrage. Et il serait intéressant ici de rechercher les raisons
de ce résultat : provient-il d’un manque de communication interprofessionnelle ?,
d’une considération trop imparfaite des infirmiers par le corps médical ?, d’un manque
de formation pour les infirmières qui leur permettrait une meilleure aisance dans la
soutenance de leurs idées ?
Quoiqu’il en soit, la réflexion est là, bien présente à l’esprit des collègues infirmiers,
et qui ne demande parfois qu’un soupçon supplémentaire d’estime et d’égard par
Tous, afin d’améliorer d’autant plus ce regard éthique du métier infirmier. Mais
surtout, d’étendre et de partager la cohorte de ses sentiments qui, même empreints
d’une technicité et d’un savoir moindres, devraient trouver une place de choix dans la
prise en soin des patients. Et peut-être, déjà, parce qu’ils naissent de l’Humain qui a
choisi de faire de sa Vie et de son quotidien un merveilleux voyage tourné vers
l’Autre, vers sa protection, son bien-être et son épaulement dans la souffrance, la
douleur, la peine et la maladie.
Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein
de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en soin ? Comment ?
Pour l’ensemble des infirmières interrogées, il apparaît une intrication indiscutable
entre la législation, c’est-à-dire le Droit du patient, et l’aspect éthique de nos actions
infirmières. S. de médecine gériatrique nous rappelle qu’« Elle [la législation] nous
permet de maintenir notre quotidien dans le droit chemin et de ne pas tomber dans des
débordements qui seraient contraires aux normes de la société. » A.-C. du même
48
service nous précise que « Si l’éthique finalement c’est de bien faire, alors les lois sont
là pour nous rappeler à l’ordre et nous souffler ce que l’on a droit de faire ou pas
pour les patients. »
C. de réanimation stipule quant à elle qu’« A chaque nouvelle RCP, les lois sont
rappelées et affichées dans les salles de réunions et de concertations. Cela rappelle à
chacun ce que l’on peut faire et ça montre aux nouveaux arrivants que le service se
fait un devoir de respecter le Droit du patient en toutes circonstances. »
A ces réponses, il semble évident qu’un lien indiscutable se met en place entre la
législation française et l’éthique infirmière au sein de nos services de soin. Et sans
pour autant parler d’équilibre parfait entre ces deux notions dans nos pratiques
infirmières, il apparaît clairement que ce lien a été reçu par ces collègues comme une
ligne de conduite, une évidence qui permet cette probité certaine de notre art infirmier.
Ces lois et réglementations en vigueur finalement imposées à notre milieu
professionnel et dictées par nos élus, représentants du peuple. Elles témoignent donc
d’une volonté de construire un système de soin qui soit à l’image d’un Etat-Nation,
d’une Patrie qui s’est faite Mère de la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen, et qui se veut fervente défenseuse de la Liberté. Cette Liberté peut-être et
avant tout représentée par cette reconnaissance sine qua non qu’il ne peut y avoir
Ethique que si le respect de son expression dans les soins prédomine, nonobstant la
condition physique ou mentale de l’Homme pensant dans toute sa Splendeur.
49
Par ce travail de fin d’études, ce chemin parcouru et l’œuvre que
le Lecteur, les auteurs étudiés, les infirmières interrogées et moi-même en avons fait, il
semblerait que nous puissions conclure de notre “prendre en soin” infirmier qu’il
s’évertue à chaque instant à ne jamais adjoindre une perte d’autonomie du Patient dans
son quotidien à la déchéance de sa Liberté. Celle-ci même qu’un certain nombre de
droits, visiblement bien adaptés à notre Système de Santé, doivent préserver et
défendre en toute circonstance. Et bien que les concepts étudiés semblent devoir se
constituer les racines mêmes de cette profession infirmière, il surpasse à cela des
valeurs insoupçonnées et partagées par beaucoup, et un goût affûté et assumé de
l’Autre que mes différentes enquêtes de terrain ont permis de révéler au grand jour et
d’enluminer. Ce goût de l’Humain dont il fallait absolument que je parvinsse à
prouver toute l’étendue en les cœurs de mes collègues infirmiers.
Il surgit alors de tout ceci un puissant Respect de nos semblables, et cet Inconnu que
l’on choisit de prendre en soin et pour lequel la Dignité devient très vite un trésor
inestimable à sauvegarder à tout prix, se transforme enfin en véritable compagnon de
route. Aussi, le partage qui naît de cette union et l’Histoire qui s’y construit
permettront alors de mener cette relation de soin jusqu’au sommet de la Montagne.
Et, à bien y réfléchir, à l’issue de ladite relation, l’on comprend que ses véritables
réussite et primauté ne résideront pas dans cette victoire de l’avoir atteint, mais plutôt
en la manière de la gravir ; cette Montagne qui s’appellera dorénavant “Prendre Soin
de l’Autre”.
Mais ce “Prendre Soin” qui, pourtant, requiert du temps et du personnel
soignant se peut-il menacé par ce déficit financier abyssal que connaît
aujourd’hui notre Système de Santé français et qui restreint ainsi nos moyens
humains et matériels ?
50
Avant de refermer ce mémoire (qui, finalement ne le sera
jamais…), nous souhaiterions partager ce poème que nous nous permettons
d’emprunter à Primo Levi et qui introduit son livre Si c’est un homme, comme une
ultime pensée tournée vers l’Autre, un dernier et ardent désir de considérer cet Être,
cet Inconnu, ce Compagnon de voyage qu’est le Patient avec toute l’affection et la
douceur qui lui sont dues ; voyage qui, gageons-le, nous conduira ensemble jusqu’au
bout du Prendre Soin. Et puisse ce travail de fin d’études se faire la preuve la plus
rayonnante de cette volonté acharnée :
« […] Considérez si c’est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connait pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui pour un non,
Considérez si c’est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu’à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N’oubliez pas que cela fut,
Non, ne l’oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur… »48
Primo Levi
48 LEVI, Primo. Si c’est un homme. Paris : Pocket, 1987. Consulté en 2013 au domicile, p.9.
51
Glossaire
AS : Aide-soignant CCV : Chirurgie Cardio-Vasculaire CMPP : Centre Médico-Psycho-Pédagogique CSP : Code de Santé Publique DU : Diplôme Universitaire MA : Maladie d’Alzheimer RASS : Richmond Agitation Sedation Scale RCP : Réunion de Concertation Pluridisciplinaire SSR : Soins de Suite et de Réadaptation UCD : Unité de Court Séjour
Bibliographie BOLLY, C. et GRANDJEAN, V. L’éthique en chemin. Paris : L’Harmattan, 2004. Consulté en janvier 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, pp.13, 103. FERLENDER, P. ; HIRSCH, E. L’Espace éthique de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Droits de l’homme et pratiques soignantes (textes de référence : 1948-1998). Paris : Les dossiers de l’AP-HP, 1998. Consulté le 29 mai 2014 au domicile, p.56. GAGNIERE, Claude. 1000 mots d’esprit. Paris : Points, 2008. Consulté le 26 janvier 2014 au domicile, p.59. GOFFI, Jean-Yves. Penser l’euthanasie. Paris : PUF, 2004. Consulté le 01 mars 2014 au domicile, p.54. HERVE, Christian. Ethique médicale ou bioéthique ? Paris : L’Harmattan, 2006. Consulté en août 2014 au domicile, p.03. HESBEEN, Walter. La pratique soignante : une rencontre et un accompagnement. Issy-les-Moulineaux : Masson, 1998. Consulté en août 2013 au domicile, p.32. HESBEEN, Walter. Un métier au cœur du soin. Issy-les-Moulineaux : Masson, 1998. Consulté en février 2013 au domicile, p.47. HIRSCH, Emmanuel. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 16 février 2014 au domicile, pp.30, 31 (référence de l’annexe numéro 1), 33. HUGO, Victor. L’Homme qui rit. Paris : Le Livre de Poche Intégrale, 2006. Consulté au domicile, p.396 (référence de l’annexe numéro 1).
52
LEONETTI, Jean. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 07 février 2014 au domicile, pp.19 (référence de l’annexe numéro 1), 20, 21, 23. LEVI, Primo. Si c’est un homme. Paris : Pocket, 1987. Consulté en 2013 au domicile, p.09. MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la liberté. Paris : Livre de Poche, 2010. Consulté au domicile, p.38. MARX, K. ; ENGELS, F.. Manifeste du parti communiste. Paris : GF Flammarion, 2001. Consulté en 2005 au domicile, p.79 (référence de l’annexe numéro 1). PAILLARD, Christine. Dictionnaire humaniste infirmier – Approche et concepts de la relation soignant-soigné. Noisy-le-Grand : SETES, 2013. Consulté en février 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, pp.120, 173. RIMBAUD, Arthur. Poésies complètes. Paris : Livre de Poche, 1998. Consulté en juillet 2014 au domicile, p.86 ROUSSEAU, Jean-Jacques. Les Confessions. Paris : Folio Classique, 2004. Consulté en août 2014 au domicile, p.30. RUFFIE, Jacques. De la biologie à la culture. Paris : Flammarion, 2003. Consulté au domicile, p.45. Sa Sainteté le Dalaï Lama. L’art de la compassion. Paris : Livre de poche, 2007. Consulté au domicile, p.21. SCHMITT, Eric-Emmanuel. Concerto à la mémoire d’un ange. Paris : Livre de Poche, 2008. Consulté le 03 mai 2014 au domicile, pp.111, 124, 200, 201, 203. SCHMITT, Eric-Emmanuel. Oscar et le dame rose. Paris : Albin Michel, 2002. Consulté en février 2013 au domicile, p.91. SVANDRA, Philippe. Comment développer la démarche éthique en unité de soins. Paris : Estem, 2005. Consulté le 26 septembre 2013 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, pp.09, 11, 18, 19. WOOLF, Virginia. Mrs Dalloway. Paris : Folio Classique, 2008. Consulté en mai 2014 au domicile, P.214.
Textes législatifs CIRCULAIRE N° DHOS/E1/DGS/SD1B/SD1C/SD4A/2006/90 du 2 mars 2006 relative aux droits des personnes hospitalisées et comportant une charte de la personne hospitalisée. Articles 1, 4 et 7.
53
ESPACE NATIONAL DE REFLEXION ETHIQUE SUR LA MALADIE D’ALZHEIMER.
Alzheimer : respect de l’autonomie. Commission éthique du CMPP (Centre mémoire de ressource et de recherche). Janvier 2011. Paris V. P.6 ORDRE NATIONAL DES INFIRMIERS. Consulté le 18 décembre 2013 au domicile.
Articles PONTINIAC (de), Albert. La relation avec celui qui meurt. La revue LAENNEC. Printemps 1984. P.18. Consulté à domicile le 24 mai 2014.
Webographie LAROUSSE. Dictionnaires de français. Consulté le 26 janvier 2014 à 23h45. Disponible à l’adresse : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/libert%C3%A9/46994 LAROUSSE. Dictionnaires de français. Consulté le 02 mai 2014 à 12h56. Disponible à l’adresse : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/loi/47700. LE SYNDICAT NATIONAL DES INFIRMIERS. Valeurs professionnelles. Consulté le 04 mai 2014 à 23h32. Disponible à l’adresse : www.syndicat-infirmier.com. LOI BERNARD KOUCHNER. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Consulté le 26 mai 2014 à 23h42. Disponible à l’adresse : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000227015 ORDRE NATIONAL DES MEDECINS. Le serment d’Hippocrate. Consulté le 18 décembre 2013 à 11h50. Disponible à l’adresse : www.conseil-national.medecin.fr/le-serment-d-hippocrate-1311. ORTOLANG. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. Consulté le 18 décembre 2013 à 10h45. Disponible à l’adresse : http://www.cnrtl.fr. THIERRY DESBONNETS. La cadrature de la déontologie. Consulté le 08 mai 2014 à 13h37. Disponible à l’adresse : http://www.cadredesante.com/spip/IMG/pdf/cadrature_de_la_deontologie.pdf.
Podcast Science + culture. « Colloque de l’Unesco de 1995 à Tokyo », 1h avec Michel Random. Paris VII, le 31/10/2011. Paris : Organisation des Nations Unies pour l’Education de la Science et
la Culture (Unesco) et Ilke Angela Marechal, 2011. Ecouté le 02 février 2014.
54
Annexes
55
Annexe I :
Réflexion personnelle sur la notion de “Bioéthique”
Ce travail de réflexion nous a paru indispensable d’être réalisé car il
devait beaucoup apporter à ce travail de fin d’études d’une part, mais également à l’intégralité
de cette formation en soins infirmiers, afin de nous permettre de faire évoluer toujours
davantage ce questionnement, et prendre en considération toute la Noblesse de cette
formidable part humaine, lorsque l’on exerce la profession infirmière. De plus, il nous a
permis d’étoffer ces connaissances et ces apports sur le sujet et de tarir cette curiosité toujours
plus aiguisée et proliférante qui n’a de cesse de croître, sitôt que l’on s’intéresse à ce concept
aussi passionnant que sibyllin : l’Homme, dans toute sa splendeur. Mais surtout, il nous aura
permis de nous saisir des bases holistiques de l’éthique et d’appréhender l’importance
considérable, voire incontournable qu’elle prend dans notre métier infirmier tourné vers les
autres, et, osons l’affirmer et l’espérer secrètement pour chacun, doué d’une qualité
indiscutable d’altruisme.
La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’Homme de l’UNESCO
de 2005 débute ainsi : « [ladite déclaration] est consciente de la capacité propre aux êtres
humains de réfléchir à leur existence et à leur environnement, de ressentir l’injustice, d’éviter
le danger, d’assumer des responsabilités, de rechercher la coopération et de faire montre
d’un sens moral qui donne expression à des principes éthiques »49.
Ainsi, les avancées scientifiques et technologiques et l’évolution des techniques
médicales et investigatrices chaque jour plus pointues, précises et invasives (intrusives ?) de
ces dernières années nous permettent dorénavant de pousser toujours un peu plus les
découvertes et la recherche biologiques et médicales et, par voie de fait, la curiosité humaine
et naturelle quant à la connaissance détaillée et pointilleuse du corps humain, et de son
fonctionnement. Les rayons X, IRM et autres scanners par exemple, nous permettent
aujourd’hui de voir au-delà du visible, de ce qui est délimité, vraisemblable et saisissable
(raisonnable ?) ; bien plus loin que la “simple” barrière physique, que l’enveloppe corporelle
et charnelle de l’Homme qui dessine ses contours et délimite le volume, la place, le charme et
la beauté de chacun d’entre nous. Cette enveloppe qui nous permet de nous distinguer des
49
HIRSCH, Emmanuel. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 07 février 2014 au domicile, p.29.
56
autres, d’être “Soi” à part entière, comme une « entité unique et bien distincte du reste de
l’humanité », dira Walter Hesbeen. Cette possibilité dorénavant immuable mais fort
heureusement endiguée de voir au-delà du visible, nous rendant de facto presque “invisibles”,
tels un rien, un vide, un néant… Une capacité à présent bien réelle de « transformer l’homme
au-delà de sa condition humaine, s’engageant dès lors en territoires à la fois fascinants et
terrifiants »50, écrira Emmanuel Hirsch, en introduction du Traité de bioéthique : I-
Fondements, principes, repères dont il aura la direction, co-écrit par plusieurs professionnels
de santé.
Et pourtant, loin d’être des interrogations modernes, la Convention d’Oviedo
(Asturies, Espagne) pour le Conseil de l’Europe précisait déjà le 04 avril 1997 que « L’intérêt
et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science
»51. Comme une volonté internationale acharnée de poser les fondations d’une bioéthique qui
soit la plus eudémonique et hédoniste possible, fidèle au respect du genre humain et
nonobstant les frontières. A l’image, peut-être, d’un immense cordage qui rassemblerait les
peuples unis tel un seul homme et égaux face au respect de leur dignité, mais aussi liant et
mélangeant leurs cultures et leurs différences. Car, « C’est qu’au fond, il n’existe qu’une seule
race, l’Humanité »52, a écrit Victor Hugo.
Des avancées considérables qui auraient donc pu donner naissance à un quelconque
vice de manipulation ou de supériorité de certains détenteurs de la connaissance, et donc à des
malfaçons, des tares, des usages impropres, inconsidérés et dévoyés de ces deux biologie et
médecine, qui auraient laissé dans l’histoire un arrière-goût amer, encensé de remords et/ou de
regrets. Et de penser que cette évolution technologique, couplée à celle des mœurs et des
valeurs, aurait pu conduire à des impondérables, à des débordements portant atteinte au
respect empirique de la race humaine. Jean Leonetti écrira dans un article extrait du Traité
précédemment nommé, « Dans le domaine de la médecine, tout ce qui est techniquement
possible n’est pas [toujours] humainement souhaitable. »53
Ces débordements qui auraient pu mettre à mal en un instant seulement, les fondations
mêmes des principes et des règles à la base de nos convenances et exigences sociales,
philosophiques et/ou biologiques et au-devant desquelles celles infirmières ; de surcroît si les
50
Ibidem note 42, p.30. 51
Ibidem note 42, p.31. 52
HUGO, Victor. L’Homme qui rit. Paris : Le Livre de Poche Intégrale, 2006. Consulté au domicile, p.396. 53
LEONETTI, Jean. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 07 février 2014 au domicile, p.19.
57
pratiques qui en découlent n’avaient été encadrées et accompagnées d’un certain nombre de
lois, jugées par les élus et représentants du peuple, et par la nation toute entière aussi
inévitables qu’indispensables.
Lesdites lois de “bioéthique” plus modernes, pouvant faire écho aux Code et Procès de
Nuremberg et ses 10 principes (et notamment celui de l’absolue nécessité du consentement
volontaire du sujet humain qui se prête à l’expérience, renforçant la condition “Liberté” louée
en introduction) qui jugeaient et condamnaient en 1947 un colloque de 16 médecins
allemands Nazis, pour s’être adonnés à des expériences médicales illicites dans des conditions
atroces, toutes plus inhumaines les unes que les autres, philosophiquement inconvenantes,
éthiquement inconcevables, et pour l’histoire future, tout simplement inimaginables. Pour
autant, n’étant nullement le point de départ de la réflexion éthique et juridique sur le sujet des
expériences sur personne humaine vivante, il n’en reste pas moins que ce Code récapitule des
principes reconnus et acceptés très antérieurement. Code repris, étoffé et officialisé quelques
années plus tard (1964) par la déclaration d’Helsinki ; comme un ardent désir de graver dans
les mémoires toute l’horreur et toute la folie paroxystique qui peuvent conduire les Hommes
aux pires cruautés, au simple nom d’une idéologie des plus ubuesques.
« Celui qui ne connait pas l’histoire est condamné à la revivre ! »54, écrivait Karl
Marx au XIXème siècle, dans son Manifeste du parti communiste. Gageons que cette
abomination dont l’histoire du monde ne peut se targuer d’être fière, soit tarie à jamais.
54
MARX, K. ; ENGELS, F.. Manifeste du parti communiste. Paris : GF Flammarion, 2001. Consulté en 2005 au domicile, p. 79.
58
BECKER Benjamin A Colombes, ce 27 juin 2014
66, rue Colbert
3ème
étage G.
92700 Colombes
06-26-93-85-27
Objet : Demande d’autorisation de mener une enquête au sein d’un service
hospitalier – Travail de fin d’études en soins infirmiers.
Madame La Directrice des Soins Infirmiers,
Actuellement étudiant en soins infirmiers (semestre 5), je réalise mon mémoire de fin d’études sur le Droit du Patient que j’ai orienté autour de 4 concepts principaux : l’éthique, la
législation, la déontologie et l’autonomie des patients. Et afin de corroborer les informations et éléments fournis par mes lectures et répondre à la question de recherche suivante que j’ai arrêtée : « Dans une conjoncture de perte fût-elle
partielle de leurs capacités intellectuelles et/ou cognitives, notre “prendre soin” infirmier
est-il témoin d’une corrélation entre une perte d’autonomie des patients et celle de leurs droits ? », il me serait extrêmement utile que vous m’accordiez l’autorisation d’interroger
deux infirmières diplômées d’état, que je vous laisse le bon soin de choisir en regard du sujet traité. La seule prérogative pour laquelle je vous demanderai obligeance et l’extrême amabilité de tenir compte sera de maintenir secret le sujet des sus-enquêtes que je souhaiterais mener, ce qui permettra d’éviter la mise en place de biais dans mon étude, ou un quelconque dévoiement du sujet. Dans l’attente de cette autorisation, je vous remercie Madame pour toute l’attention que vous
porterez à ma requête, pour votre concours ainsi que pour ladite potentielle citée.
Veuillez agréer, Madame, l’expression de mes salutations distinguées,
Monsieur BECKER Benjamin
59
Guide d’entretien TFE :
1) Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ? …………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………...……………………………. 2) Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ? …………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………...…………………………. 3) Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ? …………………………………………………………………………………………………
…….…………………………………………………………………………………………… 4) Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ? …………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………….……………………………... 5) Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ? Comment ? …………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………….………………... 6) Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa spécificité ? …………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
………..……………………………………………………………………………….……….
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7) Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ? …………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………….………... 8) Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en charge, une situation impliquant un patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce problème ? …………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………..…………………………………. 9) Dans une prise en charge qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement personnel en regard ? Pourquoi ? ..………………………………………………………………………………………………….………………………………………………………………………………………………….............................................................................................................................................. 10) Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en charge ? Comment ? …………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
….................................................................................................................................... Je vous remercie infiniment pour le temps et l’attention que vous m’avez accordés. Sachez
que l’analyse que je ferai de vos réponses vous sera accessible sur une simple demande écrite.
Benjamin BECKER
61
Guide d’entretien TFE : A. de réanimation
1) Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ? Je pense de l’éthique que c’est avant tout “faire en accord avec nos convictions”. C’est par exemple de ne pas maintenir en vie pour s’acharner ou de tenir compte aussi de l’avis de la famille dans nos décisions. L’éthique ne veut pas forcément dire d’accepter les idées et décisions des autres ; c’est une espèce d’équilibre qu’il faut trouver. 2) Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ? En réanimation, lorsque l’on a le temps, on fait parfois des “réunions éthiques” pour réfléchir sur nos pratiques. Mais souvent, elles concernent la prise de décisions pour des patients qui, je pense, parfois sont arrêtées un peu rapidement. Enfin, je pense que le temps n’est pas toujours suffisant à nos réflexions personnelles. Cela n’empêche pas que l’on fasse du bon travail et que l’on soit bon soignant. Mais je pense malgré tout que l’on devrait tenir ce genre de réunions ou de rencontres plus souvent, pour nous et pour les patients. 3) Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ? Oui. On participe régulièrement à ce que l’on appelle des “Réunions de Concertation Pluridisciplinaire” lorsque l’on a des décisions importantes à prendre concernant des patients. On avait mis en place des réunions éthiques tous les jeudis avant, et puis ça a été retiré par manque de temps. Maintenant, on se penche vraiment sur le cas de patients dont les décisions à leur encontre nous posent de réels problèmes à nous ou aux médecins. J’essaye d’y être présente à chaque fois, parce que je les trouve très intéressantes et que l’on en apprend toujours plus sur la pathologie du patient et sa situation familiale. C’est utile dans notre prise en charge. 4) Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ? Je dirais un avis partagé, une décision qui paraisse la mieux adaptée à la situation étudiée. Un mélange quelque part de toutes les solutions proposées… Non ? 5) Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ? Comment ? Ce serait difficile de passer à côté, vu que des Chartes sont affichées à peu près partout dans l’hôpital (rires). En plus, on les étudie à l’école et avec internet maintenant, y a intérêt de rester informé(e) sur le sujet car les familles et les patients en savent encore plus que nous. Je n’ai pas envie de manger des oranges jusqu’à la retraite (rires). Non, mais c’est important d’y jeter un coup d’œil de temps en temps pour ne pas se mettre en difficulté face à la loi et ne pas outrager un Droit quelconque du patient. C’est aussi une question de respect et de sauvegarde de cette confiance que les patients mettent en nous ! Enfin, je pense…
62
6) Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa spécificité ? En réanimation, il existe deux types d’autonomie. Je veux dire que l’on emploie ce mot-là dans deux situations différentes. Par exemple, on considère qu’un patient est susceptible de redevenir autonome à partir du moment où on l’extube, ce qui lui permet de retrouver ainsi une autonomie respiratoire. Mais il y a aussi cette autonomie face aux soins, et la stimulation du patient à retrouver les fonctions vitales de Virginia Henderson. Et là, je pense que c’est avant tout laisser le patient faire le maximum de choses, le laisser décider de ce qu’il préfère et répondre à ses demandes. Surtout, c’est le stimuler à retrouver ses habitudes de vie et ses capacités à se débrouiller seul pour qu’il puisse très vite quitter le service [de réanimation] car les durées de séjour sont incroyablement élevées en termes de coût. Relance : En somme, vous essayez de me dire que plus le patient est en capacité de se débrouiller, plus il est autonome ? Oui, c’est un peu ça l’idée. Disons que son évaluation est indispensable pour juger de la poursuite de son hospitalisation en réanimation. 7) Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ? Le mieux pour ne pas commettre de bourde, c’est de se référer à la législation en vigueur. Ainsi, nous on sait qu’un patient qui a toutes ses capacités doit décider de ce qu’on lui fait. Et par exemple, il nous arrive de ne pas administrer de traitement lorsque l’on essuie un refus d’untel ou d’untel. Chose que l’on ne faisait pas forcément 10 ans en arrière lorsque j’ai débuté. On précise les risques en cas de refus, on tente de négocier, on pèse la balance bénéfice-risque. Mais jamais on ne s’acharne. C’est une philosophie de service. 8) Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en soin, une situation impliquant un patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce problème ? Pour moi, le plus gros problème éthique de tous les temps en réa, c’est le manque de respect concernant la pudeur des patients. Comme si, sous le prétexte que les patients soient comateux ou aréactifs, on juge que de voir “leurs fesses” est moins indécent que s’ils pouvaient s’en plaindre. Je me bats contre ça depuis toujours. Tu comprendras ce que je veux dire si tu passes en stage un jour en réa… 9) Dans une prise en soin qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement personnel en regard ? Pourquoi ? Les deux mon Capitaine (rires). Non, mais sérieusement, des fois on tombe sur des prescriptions aberrantes qui n’ont aucun sens. Moi, je demande toujours dans ces cas-là aux
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médecins que l’on m’en explique l’intérêt, si intérêt il y a. Un jour, j’avais une prescription de 5mg de morphine pour un patient ayant un RASS* (Richmond Agitation Sedation Scale) à -2 ou en dessous. Mon patient était en RASS 1 et je lui ai quand même administré parce qu’il me paraissait très douloureux et inconfortable. Je me suis faite incendiée par le senior. Depuis, j’applique stricto sensu mes pres., même si parfois je crise parce qu’elles ne veulent rien dire. Après tout, « nous n’avons pas les connaissances des médecins » m’avait répondu le toubib de l’époque. 10) Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en soin ? Comment ? Bien sûr, « Impossible n’est pas français » paraît-il… Mais je pense toutefois que cet équilibre, bien qu’il soit possible soit difficile à trouver. On le voit bien dans notre pratique aujourd’hui, la législation a pris une part extrêmement importante dans nos prises en charge. Et pas uniquement parce que l’on a peur du procès ou de mal faire. Et même si je crois qu’il n’y a pas d’éthique convenable sans droits, je crois que notre système de soin comme tu dis n’est pas adapté pour faire de l’éthique. Trop de pression, une charge de travail trop importante et plus assez de temps auprès des patients pour réellement parler d’une prise en charge efficace, en tout cas éthique.
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Guide d’entretien TFE : C. de réanimation 1) Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ? Ha, ça n’est pas simple comme question Ca. Car, si je ramasse une canette vide de cola sur la route par exemple, c’est éco-citoyen mais c’est également éthique quelque part. Je pense que c’est avant tout respecter ses propres valeurs, en tout cas, ne pas aller à leur encontre. 2) Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ? Moi, qu’importe le service dans lequel on travaille, j’ai toujours pensé que la base de l’éthique, c’est déjà d’avoir la capacité de se remettre en question en tant que professionnel de santé, et surtout accepter que l’on puisse avoir tort. En réa, lorsque l’on parle vraiment d’éthique, c’est lors de réunions précises qui ne sont pas forcément arrêtées à l’avance, mais que l’on décide d’organiser lorsque l’état d’un patient ou son devenir en tout cas pause problème. Enfin « On »… Ce sont les médecins à la demande des infirmiers… Je trouve que nous sommes [les infirmiers] bien plus impliqués dans ce domaine. Enfin ça, c’est mon point de vue. 3) Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ? Ben oui, ces réunions dont je vous parlais à l’instant. On appelle ça des Réunions de Concertation Pluridisciplinaire (RCP). Maintenant, l’éthique en réanimation n’est visiblement pas une priorité… 4) Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ? Je dirais une espèce d’ « entente ». J’espère au moins qu’elle est cordiale… (rires). 5) Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ? Comment ? Oh que Oui ! J’irais même jusqu’à dire que l’on parle beaucoup plus de droit du patient que d’éthique en réanimation. Peut-être parce qu’on a le plus fort taux de procès par an. Vous cassez deux dents à un patient qui est en train de mourir pour l’intuber et il se retrouve avec deux « chicots » ; il porte plainte pour désagrément esthétique, et il gagne son procès. Il gagne 500 balles et il est heureux avec ça. C’est du grand n’importe quoi. Pour ça, la Cadre du service est géniale. Elle est à fond là-dedans et nous tient informés régulièrement des lois qui sortent et des décrets applicables à la réa. Du coup, on n’est pas trop complètement à côté la plaque je pense.
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6) Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa spécificité ? Heu, là encore, c’est compliqué comme question. Ben je pense que lorsque l’on est confronté à des patients dans le coma, parler d’autonomie est une tâche difficile. Les patients sont dépendants parfois à 300% de nous. Comment pouvons-nous dans ces conditions leur laisser une autonomie du quotidien ? Le patient qui se réveille et qui arrive à tenir de nouveau sa fourchette, pour nous c’est déjà une immense victoire sur son autonomie personnelle. Surtout après un AVC qui demande des efforts colossaux en termes de rééducation du patient. Le retour à cette autonomie, tout le monde doit y participer, en commençant par le patient. Dans ces cas-là, on la reporte sur les familles qui prennent le relais et soin de leur proche hospitalisé, et ce partage de compétences et d’autonomie finalement leur fournit un sentiment de renaissance, celui d’être vraiment utile et de servir à quelque chose. 7) Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ? On s’adapte à chaque instant. On essaye d’aller dans le sens du patient et de répondre à ses demandes. L’accompagnement est primordial en réanimation quand vous avez perdu tous vos repères, et parfois vos souvenirs dans un terrible accident. Il faut toujours garder à l’esprit que chaque patient avance à son rythme dans ce retour à l’autonomie. Par respect pour lui, on n’a pas le droit de bousculer les choses. Relance : Donc pour vous, l’Autonomie serait intimement liée au processus d’accompagnement, de guide pour le patient ? Oui, très certainement. Même si ça paraît paradoxal, je sais qu’une Autonomie perdue est difficile à retrouver seul. Et finalement, c’est là que notre vrai rôle intervient. 8) Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en soin, une situation impliquant un patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce problème ? Bien sûr. Et je mentirais en disant qu’elles se font rares. Tiens, ce matin encore, j’étais en pleine toilette d’un patient sédaté/intubé avec ma collègue. C’était pendant le tour des médecins et grands pontes de l’établissement. Ils sont tous rentrés dans le box, externes compris alors que le patient était totalement nu dans son lit ; et en laissant la porte ouverte bien sûr, ça ne les a pas dérangés ! On a essayé de couvrir le patient comme on a pu avec K., mais s’il s’était agi de mon père, j’aurais gueulé sec, je peux vous le dire… Mais dans ce genre de situation où l’éthique fait cruellement défaut, les médecins n’ont que peu d’oreille pour vous. Et c’est bien dommage ! Relance : Vous liez donc ces deux “pudeur” et “éthique” ensemble ? Ca ne me paraît pas totalement dénué de sens.
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9) Dans une prise en soin qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement personnel en regard ? Pourquoi ? Au lit du patient, c’est toujours l’avis médical qui tranche, même si nos questionnements et observations nous paraissent pertinents. Parfois, plusieurs infirmiers sont d’accord avec une idée, que le médecin réfute complètement. Ça ne veut pas dire que les médecins ne respectent pas le travail des infirmiers et n’ont aucune considération pour nous… Au contraire même. Seulement, peut-être à cause de la différence d’années d’études et de connaissances, nos points de vue parfois leur importent peu. Alors face à un problème, il est permis d’avoir son propre questionnement bien sûr, mais de là à pouvoir l’exprimer… Heureusement que les RCP sont là pour tenir compte de l’avis de tous, ce qui nous permet de nous faire entendre. 10) Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en soin ? Comment ? A chaque nouvelle RCP, les lois sont rappelées et affichées dans les salles de réunions et de concertations. Cela rappelle à chacun ce que l’on peut faire et ça montre aux nouveaux arrivants que le service se fait un devoir de respecter le Droit du patient en toutes circonstances. Je ne dis pas que l’équilibre y est parfait, mais quand même, on y travaille.
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Guide d’entretien TFE : S. de médecine gériatrique aiguë 1) Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ? L’éthique, je pense en premier lieu que c’est faire le meilleur pour le patient. Enfin, du moins, c’est ce que m’a enseigné la formation que j’ai faite là-dessus. Mais dans la spécialité gériatrique, il y a des paramètres qui se surajoutent dont il faut tenir compte. Par exemple, les patients qui refusent les soins parce qu’ils sont déments ou confus. Je fais ou je ne fais pas ? C’est une interrogation du quotidien. Et puis il y a l’éthique en fin de Vie aussi avec la Loi Leonetti. On en parle beaucoup ici. Moi, je pense qu’une bonne éthique infirmière en gériatrie, c’est avant tout tenter de respecter les choix du patient même s’il est dément ; à la condition toutefois que ses décisions ne le mettent pas en danger. L’éthique est partout, sitôt que l’on accepte de baisser les yeux pour la trouver à ses pieds 2) Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ? Ben exercer l’éthique, je pense que c’est garder à l’esprit à chaque seconde que les Personnes Agées sont dotées d’une histoire parfois chaotique, et que la perte de leurs repères ne doit pas les déposséder de ce droit au Respect. Pour Moi, c’est CA exercer l’éthique. On ne doit pas être privé de respect et de dignité sous le prétexte bon ou mauvais que l’on est « vieux ». Les Personnes Agées ont un tas de choses à vous enseigner, sitôt que vous prenez deux minutes pour vous assoir et écouter ce qu’elles ont à vous raconter. Tiens, ben c’est peut-être ça aussi l’éthique… Savoir écouter même certains silences qui parfois en disent long… 3) Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ? Oui, j’ai suivi une formation en éthique que je mets à jour régulièrement. On n’organise pas vraiment de réunion éthique au sein du service, mais parfois le comité éthique organise des rencontres qui nous permettent de nous maintenir informé(e)s ou de discuter de situations qui ont posé problème. 4) Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ? C’est trouver un accord, une entente qui satisfasse tout le monde, mais qui privilégie surtout le patient ! Non ? 5) Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ? Comment ? Oui ! A tel point que l’on croirait presque que c’est devenu une priorité de soin, une obligation de service. A l’époque, on avait beaucoup moins de procès qu’aujourd’hui, et je ne suis pas certaine que l’on travaillait mieux… Bien au contraire même.
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6) Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa spécificité ? Nous, en médecine gériatrique, notre objectif, c’est de traiter la phase aiguë et que le patient retourne chez lui ou en SSR le plus rapidement possible. Alors, on met en place toutes les aides nécessaires avec les kinés, les ergos… pour que les patients se rétablissent vite et bien. Sans précipiter les choses non plus, on évalue régulièrement leur capacité dans les actes du quotidien grâce à des échelles que l’on a construites exprès. Parce que quand on peut se débrouiller seul, on redevient libre quelque part. C’est ce que l’on souhaite pour nos patients. 7) Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ? C’est un peu ce que je viens de vous expliquer. L’autonomie de la personne âgée, c’est une obligation que l’on doit préserver pour qu’une fois hospitalisée, elle ne se “grabatairise” pas trop rapidement, et qu’elle conserve l’espoir un jour de rentrer chez elle. 8) Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en soin, une situation impliquant un patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce problème ? Bien sûr ! On en rencontre tous les jours. Et l’infirmière qui vous dira le contraire est une menteuse (rires). Mais la maturité et l’expérience vous aident à les reconnaître et à agir avec conscience et valeurs. Ce qui ne veut pas dire que les jeunes diplômé(e)s n’en ont pas… (rires). 9) Dans une prise en soin qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement personnel en regard ? Pourquoi ? Ben par exemple, parfois, certaines prescriptions médicales sont dingues. On nous demande de “bilanter” des personnes âgées en fin de vie et reconnues comme tel, alors qu’il faut pleurer pour voir prescrit de la morphine et des réhydratations. Face à certains médecins, vous avez beau vous poser toutes les questions du monde, s’ils ont décidé de ne pas vous écouter, c’est peine perdue dès le départ. 10) Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en charge ? Comment ? Elle [la législation] nous permet de maintenir notre quotidien dans le droit chemin et de ne pas tomber dans des débordements qui seraient contraires aux normes de la société. Alors c’est vrai qu’elles nous font bien râler ces règles à respecter. Mais si elles n’existaient pas, ce serait un joli capharnaüm… Mais c’est très français de râler pour çi ou ça… Donc, râlons !, ça fait gagner des années de vie paraît-il… (rires).
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Guide d’entretien TFE : A.-C. de médecine gériatrique aiguë
1) Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ? Depuis que je travaille ici, et c’est mon premier poste, je pense que l’éthique, c’est considérer la personne âgée comme n’importe quel autre patient d’abord. On est tous pareil, et moi, j’aimerais bien avoir la même considération quand je serai âgée. Nous sommes tous des Êtres-Humains… Il faut s’en rappeler. 2) Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ? Ben en faisant en sorte par exemple de respecter les choix des patients, même s’ils sont déments. C’est aux soignants de s’adapter à eux, et non l’inverse. Parfois, cette adaptation est rendue difficile par l’aspect aigu, la crise de la pathologie du patient. C’est alors à nous [soignants] de créer ou de trouver de nouveaux outils pour les comprendre. 3) Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ? Moi, non ! Je n’ai jamais assisté à un groupe ou réunion ayant un lien avec un quelconque sujet éthique. Mais, j’essaye de moi-même de mettre de l’éthique dans tout ce que je dis ou fais. 4) Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ? Ben toujours faire le meilleur pour le patient. Etre la plus humaine possible. Enfin, je crois. 5) Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ? Comment ? Oui, je crois. Enfin suffisamment pour travailler correctement. J’espère (rires). 6) Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa spécificité ? Pour moi, l’Autonomie serait de laisser le patient faire le maximum de choses pendant la toilette ou pour manger par exemple, et travailler avec lui à préserver cette autonomie. Donner les outils, mais ne pas faire à la place ! On le rabâche dans ce service, mais je crois vraiment que c’est primordial.
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7) Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ? J’écoute beaucoup mes patients, et j’essaye tous les matins d’évaluer rapidement ce qu’ils sont capables de faire. Les AS (aides-soignantes)* sont très fortes pour cela. Parfois, elles connaissent les patients encore mieux que nous. Quand les patients refusent certains soins comme la toilette par exemple, on essaye de négocier. Enfin, d’apporter des arguments valables pour le patient. Mais on ne force jamais. C’est un état d’esprit ici. Et je suis sincèrement heureuse de le partager. Relance : Et s’il refuse des soins ou thérapeutiques indispensables à sa survie,
qu’entreprenez-vous ? Dans ce cas, on en discute en équipe, avec la personne de confiance et quelqu’un de sa famille. Si le patient est lucide et cohérent, on essaye de trouver des parades, des solutions avec lui. Et là, je peux vous dire que la patience est de mise. Relance : Donc finalement, vous y participez bien à ces réunions éthiques… ? Oui, je n’avais pas vu ça comme ça finalement ! J’entendais par réunion des moments prévus pour cela, je veux dire prévus à l’avance et à laquelle il fallait s’inscrire. Comme n’importe quelle formation finalement proposée par l’hôpital. 8) Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en soin, une situation impliquant un patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce problème ? Ben, encore tout récemment, nous avions une patiente qui refusait tous ses bilans et traitements, et pour laquelle, compte-tenu de son état de santé général, nous savions pertinemment qu’elle ne rentrerait jamais à son domicile, bien qu’elle le réclamait tous les jours. Et pour qu’elle accepte sa prise de sang du jour, j’ai fait croire à la patiente qu’elle lui permettrait de rentrer chez elle plus rapidement. Sur le moment, je me suis sentie obligée de lui mentir pour qu’elle accepte mon soin. Aujourd’hui, je regrette vraiment ce que j’ai fait car ça n’était pas déontologique du tout. Je sais que je lui ai menti, et je m’en veux terriblement ! Ce n’était pas du tout éthique. 9) Dans une prise en soin qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement personnel en regard ? Pourquoi ? J’essaye toujours de me poser les bonnes questions, de me servir de ce que j’ai appris à l’école. J’essaye de ne pas appliquer bêtement les prescriptions des médecins quoi. Mais avec ceux du service, il y a intérêt d’avoir des arguments en béton.
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10) Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en soin ? Comment ? Je pense qu’il y a encore du travail car elle est trop contraignante. Moi, j’en ai peur dans ma pratique et même si j’essaye de me persuader du contraire, parfois, j’ai l’impression de faire mon maximum dans l’évitement d’erreur par peur des représailles ; à commencer par les conséquences pour le patient. Et je sais qu’il s’agit là d’un travail que je dois faire sur moi-même.
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Guide d’entretien TFE : L. de psychiatrie
1) Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ?
Pour moi, c’est rester bien droit dans ses bottes tu vois ? C’est assumer les choix que l’on fait au quotidien, et chercher à ce qu’ils aillent toujours dans le sens du patient. Pas uniquement celui du soignant.
2) Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ?
Nous, on dira d’une prise en charge dans notre fondation qu’elle est éthique lorsqu’elle arrive à conduire le gamin sur un vrai projet de Vie, à lui donner un avenir et un semblant d’espoir pour sa vie sociale future. Relance : Vous voulez dire ici qu’un avenir un peu moins sûr ou moins lumineux pour un adolescent Lambda serait le résultat d’une prise en charge infirmière manquée ? On essaye toujours d’être les mieux possibles pour les enfants, d’être les plus justes et de leur offrir les soins les plus appropriés. Pourtant parfois, parce que l’on a moins de temps, ou bien parce qu’on y accorde moins de temps consciemment, les projets sont moins construits, moins ancrés pour certains. Et je mentirais en disant que nos prises en charge sont égalitaires pour tous, car parfois pour certains gosses, on baisse les bras.
3) Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ? Pfff ! Des réunions éthiques, on en fait tous les jours. Maintenant, jamais l’une d’entre elle n’a redéfini clairement ce qu’était réellement l’éthique. Le côté pratique, c’est que finalement, on peut y mettre un peu ce que l’on veut. Et puis, il y a une grande différence entre parler d’éthique et la pratiquer. Il faut juste en avoir conscience tu vois ? 4) Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ? Un joyeux bordel ou personne n’a raison (rires). En même temps, si personne n’a tort, ça me va aussi (rires). 5) Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ? Comment ? Oh que oui l’ami. Il suffit de lire le règlement intérieur de la Fondation pour comprendre que des Droits accordés aux enfants, il y en a une liste longue jusqu’à demain. Nous, nos protocoles sur le sujet, ils sont régulièrement remis à jour par Monsieur T.. C’est un
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juriste de formation, et il est très utile surtout en cas de désaccord survenant entre un enfant et ses parents. Car, il est faux de croire que les parents décident de tout pour leur gosse et que les gamins ne peuvent pas prendre de décision(s) pour eux-mêmes. Ils ont ce droit-là par exemple. Des fois, on est un peu perdu alors il nous éclaire. 6) Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa spécificité ? Oulah ! Elle n’est pas évidente ta question. Ben, disons qu’en fonction des ados, on leur laisse des heures libres où ils ont l’autorisation de sortir seuls de la Fondation. Si les règles notamment d’horaire retour ne sont pas respectées, alors ces temps durant lesquels ils sont seuls sont de moins en moins longs ou finissent tout simplement par être supprimés. Mais si pour Toi être autonome équivaut à être indépendant, ben à l’intérieur de la Fondation, à cause de l’interaction les uns avec les autres, cette autonomie n’est pas vraiment envisageable. Sinon, plus d’une fois ça finirait en pugila. On n’est pas là non plus pour jouer les gardes-chiourmes, mais plutôt pour tenter d’élever ces enfants avec pédagogie. C’est notre rôle premier à la Fondation. 7) Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ? On les laisse se cogner dessus, ça défoule (rires). Non, sans blague, on essaye vraiment chaque jour d’accorder la plus grande confiance au patient les moins dangereux pour eux-mêmes ou les autres. Dans le service, en dehors des temps calmes et des repas thérapeutiques que l’on essaye de rendre obligatoires, chacun fait bien ce qu’il veut. Mais il y a des règles thérapeutiques à respecter. On essaye de jongler entre l’autonomie et la gestion. Ce n’est pas toujours simple avec les gamins. 8) Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en soin, une situation impliquant un patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce problème ? 25 ans que je suis infirmière en psy mon petit bonhomme, bien sûr que j’en ai rencontrées. Mais j’ai toujours eu cette qualité qui manque à certaine de pouvoir me poser à réfléchir, et non pas foncer tête baissée. Les jeunes de cette nouvelle génération vont trop vite tu vois, ils courent sans cesse. Je ne parle pas pour Toi hein ? Mais écoute la vieille diplômée qui te dit que parfois, écouter et s’arrêter pour réfléchir un peu n’est pas forcément du temps perdu. Tiens, il faudrait aller le raconter aux médecins ça aussi (rires). 9) Dans une prise en soin qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement personnel en regard ? Pourquoi ? Je n’ai jamais remis en question une prescription médicale parce que j’ai toujours pensé que si les psychiatres avaient 12 ans d’études, c’était pour une bonne raison. Maintenant,
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je n’ai jamais exécuté parce qu’il fallait exécuter. J’ai toujours été curieuse de tout, et encore aujourd’hui à 58 ans, je n’ai pas honte d’aller voir le médecin pour me faire expliquer certaines choses, et même des étudiants, c’est te dire. Je n’ai honte de pas grand-chose pour être honnête (rires). 10) Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en soin ? Comment ? De toute façon, les deux s’emboitent. Maintenant, je pense quand même qu’il y a trop de règlements dans ce pays, tu vois ? Enfin, en général quoi, pas qu’à l’hôpital, mais tu as compris ce que je voulais dire. Et puis, si tu y réfléchis bien, si tu es bon soignant, l’éthique, tu y penses et la pratiques au quotidien. Il ne devrait même pas y avoir de règles pour te dicter ce que tu dois faire.
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Dans une conjoncture de perte fût-elle partielle de leurs capacités intellectuelles et/ou
cognitives, notre « prendre soin » infirmier est-il témoin d’une corrélation entre une
perte d’autonomie des patients et celle de leurs droits ?
In an economic situation when patients lose their intellectual or cognitive capacities
even partially, would there be a correlation between the patients' loss of autonomy and
their rights when bringing them nursing healthcare ?
Résumé : La Liberté ! Ces Droit suprême et Condition humaine irrévocable auxquels chacun peut et doit prétendre. Elle se positionne comme un état de fait, comme une base incontournable à l'éthique soignante, et permet à chaque instant la naissance d'abord, puis le maintien de professionnels de Santé probes et investis par cet art de soigner. Ainsi, son respect qui nécessite pourtant l'existence de lois et de règles se verra garante d'une prise en soin qui fera alors du patient non plus un simple objet de soin, mais surtout un formidable compagnon du quotidien infirmier ; tel la plus belle des parures. Un travail de fin d'études qui a tenté d'allier la beauté du soin et ses auréoles décrites par la littérature moderne aux réalités du terrain parfois tout autres, et qui révèlent indubitablement des qualités humaines insoupçonnées et considérables chez mes collègues infirmières. Lesdites nommées traduisant au sein de nos services de soin la fierté quasi paroxystique qui prévaut à l'exercice de cette profession. Un métier que l'on a certes choisi, mais qui passera chaque jour par le développement et la revendication d'une “humanitude” certaine. Et au bout du chemin, celle-ci permettra de respecter, voire d'aimer cet Autre, grâce à ces millions de façons par lesquelles cet Autre, cet Inconnu puisse être aimé. Mots clés : Ethique – Déontologie – Législation – Autonomie – Respect – Valeurs Abstract : Freedom ! These supreme Right and irrevocable human Condition which each of us can be and is entitled to. It establishes itself as a state of affairs, as an essential basis for healthcare ethics, and allows in the first place the birth at any time, and then the maintaining of health professionals who are honest and invested in this art of healing. Thus, their respect which nevertheless requires the existence of laws and rules will ensure a nursing care which will then no longer make the patient a mere object of care, but above all an incredible companion of the everyday life nursing ; which is the best of finery. An end of studies dissertation which has attempted to combine the beauty of care with its halos described in Modern literature to the realities on the ground which can sometimes be altogether different, and which has undoubtedly revealed unsuspected and considerable human qualities from my nursing colleagues. The aforesaid ones express within our care services the almost paroxysmal pride which prevails in the performance of this profession. A job that has of course been chosen, but which will be performed day after day through the development and the claim for a true “humanitude”. And at the end of the path, this will make it possible to respect, perhaps love this Other, thanks to these millions of ways through which this Other, this Unknown can be loved. Key words : Ethical – Professional conduct – Legislation – Autonomy/Independance – Respect – Valors