Le droit des biens temporels de l’Église
Bibliographie
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(2005), p. 5-85
O. Échappé, « Les biens temporels dans l’Église », dans P. Valdrini (dir.), Droit canonique,
Paris, Dalloz, 2e éd., 1999, p. 363-373
D. Le Tourneau, Manuel de droit canonique, Montréal, Wilson & Lafleur, collection
Gratianus, série Manuels, 2010, nos
459-480
J.-Cl. Périsset, Les biens temporels de l’Église. Commentaire des Canons 1254-1310, Paris,
Ed. Tardy, 1995
J.-P. Schouppe, Droit canonique des biens, Montréal, Wilson & Lafleur, Collection Gratianus,
série Manuels, 2008
L. Serée de Roch, Administration & fiscalité des biens d’Église, Perpignan, Artège, 2012.
B. David, « Les biens d’Église. Principes théologico-canoniques », Les cahiers du droit
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D. Le Tourneau, « Quelques remarques sur la notion de ‘biens ecclésiastiques’ », à paraître
dans L’Année Canonique
Abréviations
A.A.S. Acta Apostolicæ Sedis
CB Code Bleu, E. Caparros et H. Aubé, avec la collaboration de J. I. Arrieta
et D. Le Tourneau (dir.), Code de droit canonique bilingue et annoté, 3e édition enrichie et
mise à jour, 2e tirage révisé, coll. Gratianus, Montréal, Wilson & Lafleur, 2009
AC L’Année Canonique
CCEO Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium
CIC Codex Iuris Canonici
ComEx Comentario Exegético al Código de Derecho Canónico, Pampelune
Comm Communicationes
Droits et devoirs
fondamentaux D. Le Tourneau, Les droits et les devoirs fondamentaux des fidèles et
des laïcs dans l’Église, Montréal, Wilson & Lafleur, coll. Gratianus, 2010
FI Fidelium Iura
IC Ius Canonicum
IE Ius Ecclesiae
J The Jurist
Konsoziative Element Das Konsoziative Element in der Kirche. Akten des VI. Internationalen
Kongresses für Kanonisches Recht, München, 14.-19. September 1987, St. Ottilien, Eos
Verlag , 1989
Legislazione delle
conferenze episcopali J. T. Martín de Agar-L. Navarro, Legislazione delle conferenze
episcopali complmementare al C.I.C., 2e éd. mise à jour, Rome, Coletti a San Pietro, 2009,
loc. cit. lieu cité
Metodo, fonti J. I. Arrieta et G. P. Milano (dir.), Pontificia Università della Santa
Croce-Università di Roma Tor Vergata, Metodo, fonti e soggetti del Diritto canonico. Atti del
Convegno Internazionale di Studi « La Scienza Canonistica nella secondo metà del ‘900.
Fondamenti, metodi e prospettive in D’Avack, Lombardía, Gismondi e Corecco », Cité du
Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1999
Mots du
christianisme D. Le Tourneau, Les mots du christianisme. Catholicisme – Orthodoxie
– Protestantisme, Paris, Fayard, « Bibliothèque de Culture Religieuse », 2005
m.p. motu proprio
op. cit. ouvrage cité
PB Jean-Paul II, constitution apostolique Pastor Bonus, 28 juin 1988
Per Periodica
QDE Quaderni di Diritto Ecclesiale
StCan Studia Canonica
Introduction
Les dispositions canoniques concernant les biens temporels de l’Église se trouvent
principalement dans le Livre V du code de 1983. Mais nous trouvons d’autres normes éparses
ailleurs. C’est le cas, par exemple, de celles portant sur l’acquisition et l’administration de
biens temporels dans les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique (cf. c.
634-635, 718, 741), ainsi que dans les associations de fidèles (cf. c. 310, 319, 325). D’autres
canons visent l’emploi de biens temporels par l’évêque diocésain (cf. c. 392 § 2) et la
répartition des biens après la division, la fusion ou la suppression d’une personne juridique
(cf. c. 121-123).
1) Une question de terminologie.
a) Biens temporels ou patrimoine de l’Église ? La première question qui se pose à nous est
celle de l’intitulé de ce cours. Nous préférons parler de « droit des biens temporels de
l’Église » plutôt que de « droit patrimonial de l’Église ». Si nous examinons la bibliographie,
nous constatons si ce n’est une certaine hésitation, du moins une diversité terminologique. Le
professeur Schouppe étudie le « droit canonique des biens », qui est une traduction adaptée de
sou ouvrage publié en italien, « éléments de droit patrimonial de l’Église ». Mgr Périsset et le
professeur Échappé traitent des « biens temporels de l’Église » ou « dans l’Église »,
expression qui est la plus couramment utilisée par les auteurs. Est-ce pour autant la
meilleure ?
Tel est pourtant, il faut le reconnaître, l’intitulé du Livre V du CIC 83, « les biens temporels
de l’Église », qui comprend les canons 1254 à 13101. Le titre retenu a fait toutefois l’objet de
discussions au sein de la commission « des biens temporels de l’Église » chargée de la
révision des canons 1495-1551 du CIC 17 en la matière qui nous intéresse. Après avoir parlé
un temps de droit patrimonial de l’Église, la commission est revenue à l’intitulé qui figure
dans le Code. La suggestion de parler de « patrimoine temporel de l’Église » a été écartée au
motif que le terme « patrimoine » pouvait donner l’impression que l’Église possède une
certaine abondance de biens matériels. Le cœtus De bonis Ecclesiæ temporalibus a décidé en
1979 que le terme patrimoine ne doit pas être retenu dans le titre du Livre V pour un certain
nombre de raisons : a) patrimoine a différentes significations dans le code ; b) il implique une
compréhension plus approfondie du patrimoine (ce qui est transmis et non simplement les
biens et les investissements) ; c) une plus grande connotation dépasse la référence à des biens
dans son sens singulier ; d) il n’est pas accepté à l’unanimité dans le domaine civil et le droit
canonique2.
b) Le patrimoine. De plus le terme « patrimoine » n’est pas d’ordre purement financier ou
matériel. C’est ainsi que le CCEO définit le rite comme étant « le patrimoine liturgique,
théologique, spirituel et disciplinaire qui se distingue par la culture et les circonstances
historiques des peuples et qui s’exprime par la manière propre à chaque Église de droit propre
de vivre sa foi » (c. 28).
Parler de « droit patrimonial » présente l’avantage de souligner le caractère juridique de la
matière. Le droit patrimonial concerne l’ensemble des biens, tant corporels qu’incorporels. La
notion de durée lui est inhérente : le patrimoine est hérité des générations antérieures et est
1 Les normes équivalentes du code oriental en constituent le titre XXIII, Les biens temporels de l’Église, c. 1007-
1054. 2 Cf. Comm 12 (1980), p. 394.
appelé à être transmis aux générations futures dans un état convenable, c’est-à-dire après
qu’ils l’aient fait fructifier. « Le patrimoine de l’Église est, dans l’ordre matériel, ce qu’est la
tradition dans l’ordre spirituel et l’enseignement ; il dit la dimension historique des biens
matériels nécessaires à sa mission.3 »
Parler seulement « des biens » de l’Église nous semble imprécis, car les premiers biens de
l’Église, et, de loin, les plus importants, sont d’ordre spirituel, ce sont ceux qui permettent
d’assurer le salus animarum4 et que l’Église doit administrer abondamment à ses fidèles en
vertu du droit fondamental du canon 2135.
Nous préférons donc, pour notre part, parler du « droit des biens temporels de l’Église », pour
bien marquer la perspective juridique canonique dans laquelle nous nous situons. Remarquons
toutefois, qu’il serait impropre de parler du « patrimoine temporel de l’Église », comme si
nous avions affaire à un seul propriétaire de biens matériels. En réalité, « le système
canonique décentralise les biens et leur administration en les attribuant en tant que sujet de
propriété à un grand nombre de personnes juridiques dont l’existence se fonde sur la loi elle-
même, indépendamment de celles qui sont érigées par les évêques. Les biens sont multiples,
les personnes propriétaires sont nombreuses »6. Il existe donc « autant de patrimoines qu’il y a
de sujets de biens »7.
c) Une Église pauvre. La nouvelle réglementation de la matière correspond indéniablement à
une Église pauvre, l’Église devant placer son espérance et ses moyens non dans le temporel
mais dans l’accomplissement de ses œuvres apostoliques. Les biens temporels appartiennent à
une Église qui est, en elle-même, une communauté de foi, d’espérance et de charité, à finalité
éminemment spirituelle et surnaturelle. C’est pourquoi elle ne doit posséder que les biens qui
lui sont nécessaires pour accomplir ses fins propres, en dehors de toute recherche de profit.
Nous ne pouvons pas oublier non plus que, du fait du péché originel, les biens temporels
suscitent la convoitise désordonnée de l’homme et qu’ils peuvent l’écarter de sa finalité
transcendante. La cupidité est ainsi la racine de tous les maux8. Cependant le Christ a racheté
l’homme du péché et a réorienté toutes choses vers le Créateur. L’Église doit montrer
l’exemple de l’usage droit et correct des biens de ce monde. La pauvreté de l’Église se fait
« charité et partage des biens »9.
En outre, en tant que norme générale, le canon 1254 § 2 (c. 1007 § 2 CCEO) a valeur
herméneutique pour les dispositions du Livre V, notamment en ce qui concerne le souci de
venir en aide aux plus pauvres10
.
3 J.-C. Périsset, Les biens temporels de l’Église, p. 14. 4 « Loi suprême dans l’Église », selon le c. 1752 CIC 83, sans équivalent dans le CCEO. 5 Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux des fidèles et des laïcs dans l’Église, Montréal, Wilson &
Lafleur, collection Gratianus, séries Manuels, 2011, nos 113-127 ; « Le droit aux biens spirituels », Religión,
Matrimonio y Derecho ante el siglo XXI. Estudios en Homenaje al Profesor Rafael Navarro-Valls, Masaguer,
Martínez-Torrón, Palomino (coord.), Madrid, Iustel, 2013, vol. II, p. 2959-2974 ; « Le canon 213 sur le droit aux
biens spirituels et ses conséquences sur les droits et les devoirs fondamentaux dans l’Église », Studia
Canonica 47 (2013), p. 407-466. 6 T. García Barberena, « Patrimonio eclesiástico », Gran Enciclopedia Rialp, Madrid, Rialp, , vol. 18, p. 65. 7 F. Aznar Gil, La administración de los bienes temporales de la Iglesia. Legislación universal y particular española, Salamanque, Publicaciones Universidad Pontificia de Salamanca, 1984, p. 62. 8 « La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi
et se sont transpercé l’âme de tourments sans nombre » (1 Tm 6, 10). 9 V. De Paolis, « Les biens temporels au regard du code de droit canonique », AC 47 (2005), p. 15. 10
Cf. Benoît XVI, enc. Caritas in veritate, 29 juin 2009, chap. III, Fraternité, développement économique et
société civile, nos 34-42 ; G. J. Roche, « The Poor and Temporal Goods in Book V of the Code », J 55 (1995), p.
299-348.
d) La notion de biens temporels. Quand nous parlons de biens temporels nous voulons
parler de « quelque chose de bon, de nécessaire pour la croissance et le développement de
l’homme : il s’agit précisément de biens. L’adjectif qualificatif temporels délimite cependant
ces biens dans le domaine du temps. […] L’adjectif ‘temporel’ n’est pas synonyme de
‘matériel’ : l’homme, en effet, en ce qu’il vit dans le temps, n’a pas seulement besoin de biens
matériels, mais aussi de biens spirituels ; sa vie ne s’achève pas dans la seule réalité
biologique ; l’homme qui vit dans le temps est à la fois corps et esprit ; il a par suite besoin et
des biens matériels et des biens spirituels : il s’agit précisément des biens temporels.
L’adjectif ‘temporels’ […] renvoie par contraste aux biens éternels et donc à la
transcendance »11
.
2) Deux principes fondamentaux.
Notre matière se fonde sur deux principes essentiels.
a) Premier principe fondamental. Le premier de ces principes est formulé au canon 1254 §
1 : « L’Église catholique peut, en vertu d’un droit inné – iure nativo –, acquérir, conserver,
administrer et aliéner des biens temporels, indépendamment du pouvoir civil, dans la
poursuite des fins qui lui sont propres. » Le canon 1007 CCEO donne la motivation de ce ius
nativum : « L’Église, en procurant le bien des hommes, a besoin de biens temporels et elle en
fait usage dans la mesure où sa mission propre le demande. » Mais le droit n’est inné que pour
la possession des biens nécessaires pour assurer les fins propres à l’Église. Une destination
« purement théorique, ou simplement virtuelle aux fins » ne saurait suffire ; « la destination
doit être effective, de sorte que soit évitée toute mystification ou toute attitude sournoise qui
nierait dans les faits la valeur proclamée »12
.
La thèse déniant à l’Église ce droit d’acquérir des biens temporels avait été condamnée dans
le Syllabus13
. La souveraineté de l’Église dans ce domaine implique « son indépendance
juridique face au droit de l’autre société parfaite, l’État. L’Église ne serait tenue que
d’observer le droit naturel. Elle peut aussi faire siennes les lois positives de l’État dans lequel
elle se trouve »14
.
- Un droit inné de l’Église. Que le droit inné de l’Église soit « indépendant du pouvoir civil »
est presque une tautologie, car c’en est un aspect nécessaire. Cela répond à une longue
tradition. Nonobstant, la mention independenter a civile potestate a été supprimée des
premiers travaux de révision du Code, au motif qu’elle était « quelque peu
polémique »15
.Toutefois, elle a été rétablie pour ne pas donner l’impression que l’Église
abandonnait un principe constamment présent dans son magistère16
, récemment réaffirmé par
l’assemblée œcuménique de Vatican II. En effet, les Pères conciliaires ont affirmé ce
principe : les groupes religieux, ont-ils déclarés, « sont en droit de jouir de cette immunité afin
de pouvoir se régir selon leurs propres normes, honorer d’un culte public la Divinité suprême,
aider leurs membres dans la pratique de leur vie religieuse […]. Les groupes religieux ont
11 V. De Paolis, I beni temporali della Chiesa, Bologne, 1995, p. 9-11. D’autres auteurs préfèrent séparer les
biens temporels des biens spirituels (cf. F. Coccopalmerio, « Diritto patrimoniale delal Chiesa », Il diritto nel
mistero della Chiesa, Rome, vol. IV, 1980, p. 16 ; A. Perlasca, Il concetto di bene ecclesiastico, Rome, Edit rice
Pontificia Università Gregoriana, Tesi Gregoriane, Serie Diritto Canonico, n° 24, 1997, p. 151). 12 L. Mistò, « Chiesa e beni temporali : un rapporto di ridisegnare », QDE 4 (1991), p. 291-304 (cit. p. 297, notre
traduction). 13 « L’Eglise n’a pas le droit inné et légitime d’acquérir et de posséder des biens » (proposition 26, DHü 2926). 14 R. Minnerath, L’Église catholique face aux États. Deux siècles de pratique concordataire 1801-2010, Paris,
Cerf, 2012, p. 315. 15 Comm 5 (1973), p. 94. 16 Comm 12 (1980), p. 396.
également le droit de ne pas être empêchés, par les moyens législatifs ou par une action
administrative du pouvoir civil, […] d’édifier des édifices religieux, ainsi que d’acquérir et de
gérer les biens dont ils ont besoin »17
.
Est ius nativum le droit que l’Église possède du simple fait d’exister, c’est-à-dire de par la
volonté de son fondateur, en dehors de toute concession de la part d’un État ou du fait qu’il
veuille bien le tolérer. Les droits innés existent tant dans les relations de l’Église ad extra
qu’ad intra. Dans le domaine des relations ad extra, nous avons le droit inné de légation, le
droit inné de prêcher l’Évangile à toutes les nations et le droit inné à posséder des biens
temporels. Dans le domaine des relations ad intra, nous trouvons le droit inné d’envoyer des
légats auprès des Églises particulières, le droit inné d’exiger des fidèles les moyens
nécessaires pour les fins de l’Église et le droit inné d’imposer des sanctions pénales aux
fidèles délinquants18
.
- Un droit de nature divine. Le droit affirmé ici est de nature divine, fondé sur le principe de la
liberté religieuse19
. Il appartient à l’Église catholique en tant que telle. Ce droit n’est pas
attribué au Siège apostolique, car le droit des biens temporels de l’Église catholique est
explicité par le Siège apostolique et par les autres personnes juridiques publiques selon le rôle
qui leur revient dans l’ordre hiérarchique ecclésial en représentation des intérêts de l’Église20
.
Avançons que le canon 1255 (c. 1009 § 1 CCEO) précise qui possède, dans l’ordre canonique,
la capacité juridique d’acquérir, conserver, administrer et aliéner des biens temporels ad
normam iuris. Il s’agit de l’Église universelle21
et du Siège apostolique22
, qui ont « qualité de
personne morale par l’ordre divin lui-même »23
, des Églises particulières qui, une fois
légitimement érigées, « jouissent de plein droit de la personnalité juridique »24
et des autres
17 Concile Vatican II, décl. Dignitatis humanæ, n° 4/a-b. 18 Cf. D. Le Tourneau, « Los derechos nativos de la Iglesia, independientes del poder civil », IC 37 (1997), p.
601-617 ; version originale en français : « Les droits innés de l’Église, indépendants du pouvoir civil », L’Église
et le Droit, Actes du Xème Colloque international de l’Institut de droit et d’histoire canoniques, Aix-en-Provence,
25-26 avril 1997, Université de Droit, d’Économie et des Sciences d’Aix-Marseille, s.d. (1998), p. 98-111 ; trad.
en brésilien, « Los derechos nativos de la Iglesia, independientes del poder civil », Direito & Pastoral 36 (1998),
p. 23-40. Cf. également J.-P. Schouppe, « Les « iura nativa » de l’Église : un anachronique vestige iuspubliciste
ou une exigence actuelle du droit divin ? », Ius divinum. Atti del XIII Congresso Internazionale di Diritto
Canonico (Venezia 17-21 settembre 2008), a cura di J.I. Arrieta, coordinatore edizione C.-M. Fabris, Venise,
Marcianum Press, 2010, p. 1229-1248. 19 Cf. Concile Vatican II, décl. Dignitatis humanæ, n. 4. Cf. Instituto de Investigationes Juridicas-Consociatio
Internationalis Studio Iuris Canonici Promovendo, La libertad religiosa. Memoria del IX Congreso Internacional
de Derecho Canónico, Mexico, 1996. 20 Cf. Comm 12 (1980), p. 395-396. 21 Cf. c. 204 § 2 CIC 83 ; c. 7 § 2 CCEO. 22 Par Siège apostolique ou Saint-Siège, l’on entend, outre le Pontife romain, tous les organismes de la curie
romaine, nisi ex rei natura vel sermonis contextu aliud appareat (c. 361 CIC 83 ; c. 48 CCEO). 23 CIC, c. 113 § 1, sans équivalent dans le CCEO. 24 C. 373, sans équivalent dans le CCEO. Les Églises particulières sont imprimis les diocèses, ainsi que les
structures assimilées en droit : prélatures territoriales et abbayes territoriales, vicariats apostoliques et préfectures
apostoliques, administrations apostoliques stablement érigées (c. 368, sans contrepartie CCEO). En droit
oriental, sont ipso jure des personnes juridiques « les Églises sui juris, les provinces, les éparchies, les exarchats
ainsi que les institutions pour lesquelles cela est expressément établi par le droit particulier » (c. 921 § 2). On
appelle Église sui juris les Églises de droit propre, qui jouissent d’une certaine autonomie (Églises patriarcales du
c. 55, archiépiscopales majeures des c. 151-152, métropolitaines de droit propre et d’autres cas particuliers du c.
174 : cf. É. Eid, « Conformation du Code des canons des Églises orientales », Acta Symposii…, op. cit., p. 69-
91 ; « Les caractéristiques du nouveau Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium », dans le présent volume
L’Église et le Droit (J. Chélini dir.) ; D. Salachas, Istituzioni di diritto canonico delle Chiese cattoliche orientali,
Rome-Bologne, 1993 ; J. D. Faris, Eastern Catholic Churches : Constitution and Governance, Brooklyn, 1992.
personnes juridiques, publiques ou privées25
, car la capacité patrimoniale fait partie de la
personnalité juridique26
, donc même si leurs biens ne sont pas ecclésiastiques : c’est normal,
car les personnes juridiques privées ne vivent pas que d’esprit et d’air pur. Mais le droit
d’appropriation de biens matériels n’est pas inné pour toutes les personnes juridiques dans
l’Église27
.
- Un droit plénier. Ce droit est plénier, en ce sens qu’il porte sur tous les rapports juridico-
économiques relatifs à l’acquisition des biens, à leur possession, leur administration et leur
aliénation, et ce, indépendamment de la localisation géographique de ces biens. L’Église
affirme donc « unilatéralement son droit de posséder des biens en quelque lieu qu’ils se
trouvent et de les soustraire ainsi au domaine éminent du pouvoir temporel »28
. Le droit de
l’Église d’aliéner ses biens est une innovation du code par rapport au CIC 1729
. Il faut préciser
toutefois que le la licéité de la possession de biens temporels est conditionnée par la poursuite
effective des fins de l’Église30
.
- Les concordats. L’affirmation de ce droit inné, exercé indépendamment de tout pouvoir civil,
tant dans son existence que dans son exercice, fait toujours l’objet des premières dispositions
des concordats et autres conventions signés par le Saint-Siège avec les États31
, « car il fonde
les dispositions ultérieures sur la concession par l’État du statut de droit public aux personnes
juridiques publiques de l’Église, avec les conséquences qui en découlent pour le droit
patrimonial »32
. Ceci étant, l’indépendance est préférable au système des contributions
accordées par le pouvoir civil, système qui peut entraver quelque peu la liberté d’action de
l’Église dans son œuvre d’évangélisation, la fait dépendre d’éventuels renversements de
politique et l’amène habituellement à devoir consentir des concessions, dans le domaine des
nominations épiscopales notamment33
.
Au XIXe siècle, les exonérations d’impôts visent en général les seuls lieux de culte
34. Mais au
XXe siècle, la liste des biens ecclésiastiques exempts d’impôts s’allonge dans les concordats
35.
25 Séminaires (c. 238 § 1 CIC 83 ; c. 335 § 1 CCEO), paroisses (c. 515 § 3 CIC 83 ; c. 280 § 3 CCEO), province
ecclésiastique (c. 432 § 2, sans correspondant oriental), conférence des évêques (c. 449 § 2, sans équivalent dans
le CCEO), instituts religieux (c. 634 § 1 CIC 83 ; c. 423, 558 § 1 et 567 § 1 CCEO), associations publiques (c.
313, sans équivalent oriental) et privées (c. 322, sans équivalent dans le CCEO) de fidèles, écoles catholiques (c.
803 §, 1 sans équivalent oriental), fondations pieuses, etc. 26 C. 116 § 2 ; Comm 5 (1973), p. 96. 27 Cf. Comm 12 (1980), p. 395. 28 A. Sériaux, Droit canonique, op. cit., n. 261, p. 656. 29 Cf. Comm 12 (1980), p. 396. 30 Cf. Y. Sugawara, « L’importanza della finalità nelle norme canoniche sui beni temporali della Chiesa », Per
100 (2011), p. 267. 31 Cf. J. T. Martin de Agar, Raccolta di Concordati (1950-1999), Libreria Editrice Vaticana, 2000. La consultation de cet ouvrage montre, par ex. Que la Colombie reconnaît la « faculté » de l’Église catholique
d’acquérir, etc… des biens (art. XXIII du concordat du 12 juillet 1963, p. 134) ; pour la Croatie, les « personnes
juridiques ecclésiastiques peuvent acquérir… » (art. 10 de la convention du 9 avril 1997, p. 158), et pareillement
le Gabon (art. 9 de l’accord du12 décembre 1997, p. 225) ; D. Le Tourneau, « La politique concordataire du
Saint-Siège », Revue Générale de Droit 30 (1999/2000), p. 719-728. 32 J.-C. Périsset, Les biens temporels…, op. cit., p. 32. Cf. aussi J. Julg, L’Église et les États : histoire des
concordats, Paris, 1990 ; J.-B. d’Onorio (dir.), Le Saint-Siège dans les relations internationales, Paris, Cerf,
1989. 33 Cf. J.-C. Périsset, Ibid., p. 31. Sur le financement étatique, cf. chap. VIII. 34 Cf. J. Gaudemet, « Propriétaire et affectataire. Le statut des lieux de culte dans le régime de séparation », Droit
de l’Église et société civile (XVIIIe-XIXe siècles), Revue de Droit Canonique hors série 1, 1998, p. 235-245. 35 Cf. R. Minnerath, L’Église catholique face aux États. Deux siècles de pratique concordataire 1801-2010,
Paris, Cerf, 2012, p. 262-267. Pour un examen de chaque concordat, cf. J. T. Martín de Agar, op. cit.
b) Deuxième principe fondamental. Le deuxième principe est le devoir-droit fondamental
du canon 222 § 1 (c. 25 § 1 CCEO), aux termes duquel « les fidèles sont tenus par l’obligation
de subvenir aux besoins de l’Église afin qu’elle dispose de ce qui est nécessaire au culte divin,
aux œuvres d’apostolat et de charité et à l’honnête subsistance de ses ministres », formulation
qui est substantiellement la même au canon 25 CCEO36
. Cette obligation porte sur les trois
domaines énumérés dans la norme, non sur l’un ou l’autre d’entre eux37
. Elle est de nature
grave.
Si nous plaçons ce devoir-droit parmi les principes essentiels de la matière, c’est parce que,
« indépendamment de la suppression du qualificatif de “fondamentaux” dans le corpus légal,
la formalisation des obligations et des droits des fidèles aux canons 208-223 leur confère un
caractère constitutionnel. C’est pourquoi il faut leur reconnaître une prévalence juridique, ce
qui signifie que les autres normes canoniques doivent être “interprétées en cohérence avec les
droits et les devoirs fondamentaux, en en assurant l’application effective même face à des
normes légales qui pourraient éventuellement les méconnaître”38
»39
.
- Le lien avec le droit inné de l’Église. Le devoir fondamental, qui s’impose à tous les fidèles,
de subvenir aux besoins de l’Église doit être lu en accord avec le droit naturel ou « inné » de
l’Église « d’exiger de ses fidèles ce qui est nécessaire à ses fins propres »40
. Droit naturel
exigendi sur lequel le codificateur a bataillé rudement41
. La norme porte uniquement sur l’aide
permettant à l’Église de disposer des biens nécessaires au culte divin42
, à la subsistance du
clergé43
et aux activités d’apostolat et de charité (c. 1254 § 1 CIC 83 ; c. 1007 CCEO)44
. Elle
inclut l’aide aux missions. Les offrandes spontanées des fidèles peuvent être insuffisantes. En
ce cas, les fidèles « aideront l’Église en s’acquittant des contributions demandées selon les
règles établies par la conférence des évêques », conformément au canon 1262, comme nous le
verrons au chapitre II, à propos des modes d’acquisition des biens. En tout état de cause,
l’évêque diocésain est tenu de rappeler à ses fidèles l’obligation du canon 222 § 1 et « d’en
urger l’application de manière opportune »45
. Il ne suffit donc pas que les fidèles donnent des
offrandes de temps à autre et à leur guise, mais le sacerdoce commun des fidèles et le bien
commun leur demandent de répondre aussi aux appels de l’autorité ecclésiastique.
36 Cf. J.-P. Schouppe, « Le droit-devoir des fidèles de subvenir aux besoins de l’Église », Fidelium Iura 9 (1999), p. 203-253. 37 La conférence des évêques de Malte a tenu à le préciser : cf. J. T. Martín de Agar-, Legislazione delle
Conferenze episcopali complementare al CIC, Rome, Colletti a San Pietro, 2e éd., , p. 38 J. Fornés, « Introducción Tit. I : c. 208-223 », ComEx, vol. II, p. 56. 39 D. Le Tourneau, Les droits et les devoirs fondamentaux des fidèles et des laïcs dans l’Église, Montréal, Wilson
& Lafleur, coll. Gratianus, 2010, n° 71, p. 114-115. 40 C. 1260 § 1 CIC 83 ; c. 1011 CCEO, qui se cantonne à l’énoncé d’un droit, sans le qualifier d’inné. 41 La discussion a porté non pas tant sur le fait qu’il s’agisse d’un droit inné, car nul ne peut renoncer à un tel
droit, mais sur le fait qu’il s’agisse d’un droit inné exigendi. Trois tendances se sont opposées : a) ceux qui
voulaient remplacer le ius exigendi par « sibi providendi necessaria ad fines suos diversis modis » ; b) ceux qui
préféraient parler de ius colligendi ou de ius petendi ; c) ceux qui soulignaient avant tout le devoir des fidèles de
subvenir aux besoins de l’Église. Cf. Comm 12 (1980), p. 400. 42 C’est-à-dire les activités du culte, les lieux sacrés et les objets servant au culte (vases et ustensiles sacrés,
images, musique sacrée), les biens sacrés et les choses ayant une valeur historique authentique : cf. A. Martínez
Blanco, « Naturaleza de los bienes del patrimonio cultural eclesiástico », Anuario de Derecho Eclesiástico del
Estado 13 (1997) 225-245 (ici, p. 229). 43 L’on peut y faire rentrer les immeubles, y compris à valeur artistique, qui servent de domicile aux ministres du
culte : cf. A. Martínez Blanco, Ibid. 44 Mais elle n’exprime pas seulement des valeurs éthiques naturelles : le fidèle est appelé à vivre la foi,
l’espérance et la charité, qui configurent le bien commun de l’Église. 45 D. Le Tourneau, Manuel de droit canonique, Montréal, Wilson & Lafleur, coll. Gratianus, 2010, n° 157, p.
131.
- Origine du principe. Ce principe, découlant du décret Presbyterorum ordinis, n° 20, est une
obligation de justice : ceux qui bénéficient du ministère des pasteurs sacrés sont tenus de
recevoir l’aide matérielle dont ils ont besoin pour vivre, selon une espèce de « loi évangélique
de l’échange »46
. « L’ouvrier mérite son salaire », a proclamé notre Sauveur47
. Les « ouvriers
de l’Évangile » doivent pouvoir subsister et assurer leur mission sans être tenaillés par les
soucis matériels48
.
- Qui est concerné par ce droit ? Integrum est, dit la norme. Il s’agit d’un droit ad extra, c’est-
à-dire envers l’État, pour s’assurer qu’il n’empêchera pas les fidèles de subvenir aux besoins
de l’Église. Mais c’est aussi un droit ad intra avons-nous dit, le fidèle pouvant prendre les
initiatives qu’il lui chaut pour satisfaire à l’obligation du paragraphe premier du canon 222 :
aumônes, dons, offrandes, fondation, legs, mandat. Ce devoir-droit ayant une incidence à la
fois canonique et étatique, il est quelque peu hybride49
.
Nous verrons plus avant, au chapitre II, les modalités pratiques de cette coopération matérielle
de tous les fidèles50
.
3) L’influence du concile Vatican II
a) Des biens pour des fins. Nous venons de mentionner PO, n° 20, aux termes duquel les
biens ecclésiastiques doivent être administrés pour les seules fins qui justifient le droit de
l’Église à les posséder, fins qui sont religieuses, ecclésiales, sur lesquelles nous reviendrons
avec le canon 1254 § 2. « La mission propre que le Christ a confiée à son Église n’est ni
d’ordre politique, ni d’ordre économique ou social : le but qu’il lui a assigné est d’ordre
religieux » (GS, n° 42.2). Moyennant quoi, l’acquisition, la possession et l’administration de
biens doivent répondre toujours à cette finalité religieuse.
Rappelant que « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les
hommes et de tous les peuples », le concile souligne que les Pères « enseignaient que l’on est
tenu d’aider les pauvres, et pas seulement au moyen de son superflu » et « insiste auprès de
tous et auprès des autorités pour qu’ils se souviennent de ce mot des Pères : “Donne à manger
à celui qui meurt de faim, car, si tu ne lui as pas donné à manger, tu l’as tué”51
» (GS, n°
69.1).
Pour mener à bien sa mission religieuse, l’Église a besoin de biens matériels et « se sert
d’instruments temporels dans la mesure où sa propre mission le demande. Mais elle ne place
pas son espoir dans les privilèges offerts par le pouvoir civil. Bien plus, elle renoncera à
l’exercice de certains droits légitimement acquis s’il est reconnu que leur usage peut faire
douter de la pureté de son témoignage ou si des circonstances nouvelles exigent d’autres
46 Cf. L. Castra, « Il dovere dei fedeli di sovvenire alle necessità della Chiesa », Metodo, fonti, p. 911. 47 Luc 10, 7 ; cf. Matthieu 10, 10 ; 1 Timothée 5, 18. 48 « Les prêtres consacrent leur vie au service de Dieu en accomplissant la fonction qui leur est confiée ; ils
méritent donc de recevoir une juste rémunération « car l’ouvrier mérite son salaire » (Luc 10,7), et « le Seigneur
a prescrit à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de l’Évangile » (1 Corinthiens 9,14). Là où rien d’autre
n’existe pour assurer cette juste rémunération, faire le nécessaire pour assurer aux prêtres un niveau de vie
suffisant et digne est, à proprement parler, une obligation pour les chrétiens, puisque c’est à leur service que les
prêtres consacrent leur activité. Les évêques, eux, ont le devoir de rappeler aux chrétiens cette obligation » (PO
20/). 49 Cf. J.-P. Schouppe, « Le droit-devoir des fidèles de subvenir aux besoins de l’Église », FI 9 (1999), p. 217. 50 Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, op. cit., nos 173-174, p. 239-242. 51 Cf. Décret de Gratien. C. 21, dist. LXXXVI (Ed. Friedberg I, 302).
dispositions » (GS, n° 76.5).
b) Des moyens conformes à l’Évangile. D’autre part, pour « qu’elle puisse partout et
toujours prêcher la foi avec une authentique liberté, enseigner sa doctrine sociale, accomplir
sans entraves sa mission parmi les hommes, porter un jugement moral, même en des matières
qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut
des âmes l’exigent », l’Église doit pouvoir utiliser « tous les moyens, et ceux-là seulement,
qui sont conformes à l’Évangile et en harmonie avec le bien de tous, selon la diversité des
temps et des situations » (GS, n° 76.5).
Traitant plus spécifiquement des prêtres, le concile établit qu’ils utiliseront les biens
ecclésiastiques « conformément à leur nature et selon les lois ecclésiastiques, autant que
possible avec l’aide de laïcs compétents. Ces biens seront toujours employés pour les fins qui
justifient l’existence de biens temporels d’Église, c’est-à-dire pour organiser le culte divin,
assurer au clergé un niveau de vie suffisant et soutenir les œuvres d’apostolat et de charité,
spécialement en faveur des indigents » (PO, n° 17/c), fins qui sont reprises au canon 1254 § 2
(c. 1007 § 2 CCEO). Ces objectifs marquent la limitation que l’Église s’impose pour respecter
le caractère purement instrumental des biens temporels dans l’accomplissement de sa
mission52
.
c) L’option préférentielle pour les pauvres. C’est ainsi que l’Église fait l’option
préférentielle pour les pauvres et veut imiter la pauvreté et le détachement des biens de ce
monde de son fondateur.
« De tout temps, l’Église voit dans les pauvres et les plus démunis l’icône, ou image, du
Christ, selon son enseignement : « […] dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus
petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). La charité fait partie
intégrante de la doctrine sociale de l’Église. Elle s’est traduite très tôt, en Occident, par la
création d’hospices (hospitalités, hôtels-Dieu), œuvres de bienfaisance, écoles, etc. La
conférence des évêques d’Amérique latine, réunie à Medellin en 1968, adopte le principe de
l’option préférentielle pour les pauvres. Certaines théologies de la libération en ont donné une
vision déformée.53
»
« Le Christ a accompli son œuvre rédemptrice dans la pauvreté et la persécution ; ainsi
l’Église est-elle appelée à prendre la même voie pour communiquer aux hommes les fruits du
salut. Le Christ Jésus, « possédant la nature divine... s’est anéanti lui-même en prenant la
nature de l’esclave » (Ph 2, 6) et pour nous « s’est fait pauvre, de riche qu’il était » (2 Co 8,
9). Telle est aussi l’Église ; et même si elle a besoin de ressources humaines pour remplir sa
mission, elle n’est pas établie pour rechercher la gloire terrestre, mais pour prêcher, même par
son exemple, l’humilité et l’abnégation » (LG, n° 8/c). « Il appartient à tout le peuple de Dieu,
entraîné par la parole et l’exemple des évêques, de soulager, dans la mesure de ses moyens,
les misères de ce temps ; et cela, comme c’était l’antique usage de l’Église, en prenant non
seulement sur ce qui est superflu, mais aussi sur ce qui est nécessaire » (GS, n° 88/b)54
.
52 « Le travail des hommes, celui qui s’exerce dans la production et l’échange de biens ou dans la prestation de
services économiques, passe avant les autres éléments de la vie économique, qui n’ont valeur que d’instrument »
(GS, n° 67.1). 53 D. Le Tourneau, Les mots du christianisme. Catholicisme – Orthodoxie – Protestantisme, Paris, Fayard,
Bibliothèque de culture religieuse, 2005, p. 54 Cf. aussi Paul VI, enc. Populorum progressio, 26 mai 1967, nos 18-19 ; G. J. Roche, S.V.D., « The Poor and
the Code of Canon Law : Some Relevant Issues in Book II », StCan 30 (1996), p. 177-219.
4) Les biens temporels aux origines de l’Église
a) L’entourage de Jésus. Le Nouveau Testament apporte de nombreux exemples de
l’utilisation de moyens matériels déjà dans l’entourage de Jésus. « Donnez-leur vous-mêmes à
manger. Irons-nous, lui dirent-ils, acheter pour deux cents deniers de pain afin de leur donner
à manger ? » (Mc 6, 37, et // Lc 9, 13). « Ses disciples étaient partis à la ville acheter des
vivres » (Jn 4, 8). Judas « tenant la bourse, il y dérobait ce qu’on y mettait » (Jn 12, 6). C’est
au même Judas que Jésus dit : « Ce que tu as à faire, fais-le vite », ce que les apôtres
interprètent : « Achète ce dont nous avons besoin pour la fête », ou « Donne quelque chose
aux pauvres » (Jn 13, 28-29). En outre, plusieurs femmes, qui « avaient été délivrées d’esprits
mauvais et de maladies » suivaient Jésus et les Douze, « et les assistaient de leurs biens » (Lc
8, 1-3).
b) L’Église primitive. L’Église primitive se signale par le fait que « tous les croyants vivaient
groupés et ils avaient tout en commun. Ils vendaient ce qu’ils possédaient et ce dont ils
disposaient, pour en partager le produit entre tous » (Ac 2, 44-45). « Il n’y avait aucun
indigent parmi eux, car tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons les vendaient et
apportaient le produit de la vente, qu’ils déposaient aux pieds des apôtres, et la répartition se
faisait suivant les besoins de chacun » (Ac 4, 34-35). Il est question aussi du champ que vend
Joseph, surnommé Barnabé (Ac 4, 36-37) et de la tromperie d’Ananie et Saphire (Ac 5, 1-11).
Saint Paul invite les Corinthiens à suivre les règles qu’il a établies pour les Églises de
Galatie : « Que le premier jour de la semaine chacun de vous mette de côté chez lui ce qu’il
aura pu économiser » (1 Co 16, 1). Il cite cet exemple aux Romains : « La Macédoine et
l’Achaïe ont décidé de faire une collecte au profit de ceux des saints de Jérusalem, qui sont
pauvres » (Rm 15, 26). « J’ai demandé aux frères de se rendre chez vous au préalable et
d’organiser à l’avance cette libéralité […] pour qu’elle soit toute prête, comme une libéralité
et non comme une lésinerie » (2 Co 9, 5), et il insiste longuement sur cette collecte en faveur
de l’Église de Jérusalem (2 Co 8-9).
C’est dire que « le patrimoine ecclésiastique naît presque avec l’Église », même si nous
pouvons dire que « jusqu’à l’Édit de Milan il ne commence pas à s’organiser de façon stable
du fait, comme cela est notoire, des persécutions »55
.
Donc, bien avant l’édit de Milan, de 313, l’Église possède des biens et les administre56
.
L’Église n’étant pas reconnue par l’autorité civile, elle ne peut pas posséder ni constituer de
fondations. Seuls les fidèles peuvent être propriétaires, à titre personnel57
.
c) La liberté religieuse et la constitution du patrimoine ecclésiastique. Avec l’accès de
l’Église à la liberté religieuse, l’Église acquiert la capacité patrimoniale. Les biens de l’Église,
qui sont surtout le fait des Églises particulières autour de leur évêque, sont fréquemment
qualifiés de patrimonium pauperum, ce qui montre combien l’Église était soucieuse de venir
en aide aux pauvres. Ces biens sont administrés dans un premier temps directement par
l’évêque. Puis les conciles commencent à prendre des dispositions, avant que les papes
interviennent à leur tour, comme les papes Sirice, en 475, et Gélase, en 494, pour mettre fin
55 J. Hervada, « La relación de propiedad en el patrimonio eclesiástico », Vetera et Nova. Cuestiones de Derecho
Canónico y afines (1958-1991), Pampelune, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Navarra, 1991, vol.
I, p. 181. 56 Cf., sur cet aspect historique, J. Fornés, « Régimen jurídico-patrimonial y financiación de la Iglesia desde la
perspectiva de la libertad religiosa », IC 36 (1996), p. 13-61. 57 Ils peuvent créer des fiducies, « avec tous les risques que ce genre de situations pouvait entraîner pour la
communauté des croyants, par exemple dans l’hypothèse d’une apostasie ou de la négation de l’engagement
fiduciaire » (J.-P. Schouppe, Droit canonique des biens, op. cit., p. 29).
aux abus dans la distribution des biens de la part des évêques, et établir que les revenus du
patrimoine ecclésiastique devaient être divisés en quatre part : évêque, clergé, pauvres et culte
et conservation des temples.
Nous assistons aussi à la création, dès le Ve siècle, d’établissements pour l’assistance aux
enfants trouvés, aux infirmes, aux vieillards, aux malades, aux orphelins, aux vierges et aux
veuves, aux mendiants, aux voyageurs et aux pèlerins58
. En même temps des églises propres
se constituent et les églises rurales se multiplient, qui deviennent autant de sujets de propriété
ecclésiastique. Le patrimoine ecclésiastique acquiert sa configuration pratiquement définitive
entre le VIIIe et le XII
e siècles, période au cours de laquelle se consolide le système des
bénéfices. Tout au long du Moyen Âge et de l’Époque moderne, la propriété ecclésiastique se
développe énormément, grâce, notamment, aux libéralités des fidèles et des princes, et à la
législation ecclésiastique, qui fait obstacle à l’aliénation des biens pour garantir qu’ils sont
utilisée pour leurs fins. De plus, pour réaliser les finalités de piété et de charité, suscitées par
la générosité des fidèles, l’on assigna des masses de biens à ces fins. C’est ainsi que se sont
constitués les patrimoines ecclésiastiques institutionnalisés appelés « pieuses volontés », que
nous étudierons au chapitre II.
La conservation des édifices cultuels devait être assurée par les revenus assignés au clergé,
qui ne respectait pas toujours cette finalité. Le peuple fidèle intervenait alors pour la
construction, le maintien et l’embellissement des temples, en constituant des patrimoines
dénommés « fabriques ».
Nous constatons ainsi qu’au fil des siècles le patrimoine ecclésiastique s’est divisé et structuré
en différentes institutions juridiques.
5) Le système des bénéfices.
a) La constitution des bénéfices. Quand l’expansion de l’Église a pris de l’ampleur, les
clercs ne se trouvent plus sous la dépendance immédiate de l’évêque et le problème de leur
subsistance devait être réglé. Selon le contexte géographique et culturel, il a été résolu soit par
le « précaire » dans les pays de droit romain, une masse de biens étant attribuée au clerc à titre
précaire, et donc temporaire et révocable, soit par l’« église propre » dans les pays
germaniques, les clercs étant maintenus par les seigneurs59
. Les bénéfices ecclésiastiques sont
donc liés au régime féodal. Il semble qu’il faille en situer l’origine à l’époque carolingienne,
avec l’institution de « l’église propre », avec le lien qui s’établissait entre le propriétaire de
l’église et le clerc qui en était chargé et qui était nommé par le seigneur lui-même. Au XIIe
siècle, l’on en arrive ainsi à la notion de bénéfice par l’union d’une masse de biens, non plus
pour pourvoir à la subsistance d’un clerc, mais comme attachés à un office.
Les besoins matériels de l’Église ont été couverts ensuite par le système des bénéfices60
, que
le CIC 17 définissait comme un « être juridique constitué ou érigé à perpétuité par l’autorité
ecclésiastique compétente, consistant en un office sacré et dans le droit de percevoir les
revenus attachés à cet office par une dotation ». C’est donc le moyen technique ordinaire par
lequel le droit canonique pourvoyait aux besoins matériels du clergé. L’ordination sacerdotale
ne pouvait « être conférée qu’en raison d’un titre précis, qui assure convenablement la
subsistance du prêtre. Le titre a varié au long des siècles : titulus beneficii, « titre du
bénéfice » (reçu par l’ordination), titulus patrimonii, « titre du patrimoine » (biens personnels
du clerc), du service du diocèse (dans lequel il est incardiné), de la congrégation (pour les
58 Cf. D. Le Tourneau, « Hôtel-Dieu », Les mots du christianisme…, op. cit., p. 314. 59 Cf. J.-P. Schouppe, Droit canonique des biens, op. cit., p. 145-146. 60 Cf. V. De Reina, El sistema beneficial, Pampelune, Eunsa, 1965.
religieux), titulus missionis, « titre de la mission » (pour les missionnaires) »61
.
b) La mense et la prébende. Ultérieurement, les chanoines cessent de mener la vie commune
avec l’évêque ; la mense62
capitulaire est alors divisées en autant de parts que de chanoines,
part qui est appelée prébende. « De la sorte s’est trouvé fixé le concept de bénéfice
ecclésiastique qui suppose la consécration définitive du démembrement du patrimoine dans
chaque diocèse. Si nous voulions en préciser les caractéristiques, nous pourrions indiquer
celles-ci : 1) constitution, dans chaque titre, d’un patrimoine autonome et stable, composé de
possession et de sources patrimoniales diverses ; 2) remise de chaque église, avec ses
possessions et ses ressources, à un clerc chargé de la servir, qui vit de ses revenus ; 3) lien
entre l’évêque et le clerc principalement manifesté par le fait que c’est l’évêque qui doit
désigner le clerc pour cette église ; 4) obligation, de la part du clerc, d’accomplir les fins des
biens bénéficiaux, c’est-à-dire, en plus de la faculté de se sustenter avec les revenus, le devoir
de donner un cens à l’évêque, fondamentalement modique, « insignum subiectionis », mais il
s’agit parfois de tiers épiscopaux, le devoir de consacrer les revenus de l’église aux besoins de
la fabrique et au culte, et le devoir de s’occuper des pauvres avec une partie des revenus. Tel
est le cadre, tel qu’il s’est fixé après la disparition des églises propres »63
.
c) Suppression du régime bénéficial. Le système bénéficial a été supprimé par le concile
Vatican II64
, disposition qui est reprise dans le code, au canon 1272, sans en faire un principe
absolu, pour tenir compte des circonstances de lieu et de temps. La norme établit que « dans
les régions où existent encore des bénéfices proprement dits, il appartient à la conférence des
évêques de régler l’administration de ces bénéfices par des règles opportunes, établies en
accord avec le Siège apostolique et approuvées par lui, de manière que peu à peu le revenu et
même dans la mesure du possible le capital lui-même de ces bénéfices soient remis à
l’organisme dont il s’agit au canon 1274 § 1 »65
, organisme destiné à recueillir des fonds pour
subvenir à la subsistance des clercs, comme nous le verrons au chapitre VI sur la structure
économique du diocèse et de la paroisse. Les bénéfices ne sont donc pas éteints ni en phase de
liquidation, mais il appartient à la conférence des évêques de déterminer le régime des
bénéfices encore existants. La norme suppose implicitement qu’il n’est pas possible de
constituer de nouveaux bénéfices.
La situation varie donc selon les pays. Le nôtre, depuis la révolution, ne connaît plus les
bénéfices ecclésiastiques. La situation dans l’Église est la suivante : a) il ne sera pas constitué
de nouveaux bénéfices ecclésiastiques ; b) là où ils subsistent, la tendance sera de les
supprimer, tout en adaptant le mode d’extinction aux circonstances propres à chaque
bénéfice ; c) même pour les bénéfices qui subsistent (ce qui est le cas, par exemple, de
fondations pieuses), la conférence des évêques doit veiller à en transférer les revenus, et
même le capital si cela est possible, à l’organise mentionné.
Parmi les raisons qui ont milité en faveur de la suppression du régime des bénéfices, l’on peut
mentionner la perte d’importance de l’office, l’absence d’équité et le désir que les évêques
soient entièrement libres de leur collation. En effet, « pour répartir d’une façon plus
61 D. Le Tourneau, « Titre d’ordination », Les mots du christianisme…, op. cit., p. 621. 62 La mense est la « masse de biens dont les revenus permettent de vivre, à une communauté ou un individu » (D.
Le Tourneau, « Prébende », Les mots du christianisme…, op. cit., p. 394). 63 V. Reina, El sistema beneficial, Pampelune, 1965, p. 188 s. 64 Cf. Concile Vatican II, décr. PO, n° 20. Le CIC 17 y consacrait 80 canons. Cf. m.p. Ecclesiæ Sanctæ I, 8, qui
ajoutait que « la commission pour la révision du code de droit canonique s’est vue confier la réforme du système
des bénéfices. Les évêques veilleront, entre autres, après avoir entendu leurs conseils de prêtres, à pourvoir à la
répartition équitable des biens, y compris des revenus provenant des bénéfices ». 65 C’est l’unique canon du CIC 83 à aborder la question des bénéfices. Le CIC 17 y consacrait encore 80 canons.
convenable et plus équitable les ministères entre ses prêtres, l’évêque doit jouir de la liberté
nécessaire dans la collation des offices et des bénéfices ; ce qui entraîne la suppression des
droits ou privilèges qui restreignent, de quelque manière que ce soit, cette liberté » (CD, n°
28/a).
d) La situation actuelle. Désormais la subsistance du clergé n’est pas assurée pro beneficio
mais pro officio, dans un plus grand respect du lien théologique et sacramentel existant entre
les divers degrés du sacerdoce (épiscopat et presbytérat) et des rapports de coopération et de
service qui concrétisent ce lien à l’échelon institutionnel. « Les pôles de la relation de laquelle
naît le droit à une rétribution ne sont plus office-bénéfice-titulaire, mais un rapport direct entre
le diocèse66
et les clercs qui le servent, le diocèse étant tenu d’accorder à ses ministres une
honnête subsistance »67
. Le clerc est ordonné non plus ad titulum beneficii mais ad titulum
servitii de l’Église particulière et de la circonscription équiparée en droit dans lequel il est
incardiné.
En vertu du principe, déjà énoncé, que « l’ouvrier mérite son salaire » (Lc 10, 7), tout clerc a
droit à une « honnête subsistance » (honesta sustentatio) (c. 282 § 2). C’est un devoir
fondamental des fidèles d’y contribuer (c. 222 § 1 CIC 83 ; c. 25 § 1 CCEO). L’évêque
diocésain pour sa part « veillera à ce qu’il soit pourvu à leur honnête subsistance et à leur
protection sociale, selon le droit » (c. 384 CIC 83 ; c. 192 § 5 CCEO). Il doit même veiller à
ce que le prêtre frappé de sanctions canoniques « ne manque pas des ressources nécessaires à
une honnête subsistance » (c. 1350 § 1 CIC 83 ; c. 1410 CCEO).
L’Église continuera de se préoccuper des exigences morales de sa doctrine sociale, dans le
souci de corriger autant qu’elle le peut les déséquilibres de la société humaine. « De
nombreuses réformes sont nécessaires dans la vie économico-sociale ; il y faut aussi, de la
part de tous, une conversion des mentalités et des attitudes. Dans ce but, l’Église, au cours des
siècles, a explicité à la lumière de l’Évangile des principes de justice et d’équité, demandés
par la droite raison, tant pour la vie individuelle et sociale que pour la vie internationale » (GS
63.5).
7) Les principales innovations du code de 1983
Si la distribution de la matière est identique dans le CIC 83 à celle du CIC 17, au Livre III,
VIe partie, canons 1495-1551, elle connaît cependant six innovations importantes :
a) La réforme du système des bénéfices et, par suite, comme indiqué, la disparition des
normes y afférentes (c. 1272) ;
b) L’accentuation des fins spirituelles des offices ecclésiastiques, comme nous l’avons indiqué
également, suivant en cela PO, n° 20/b ;
c) La création de nouveaux instituts pour la subsistance et la sécurité sociale du clergé et pour
les divers besoins du diocèse (c. 1274 CIC 83 ; c. 1021 CCEO) ;
d) La création de nouveaux organismes administratifs, tels les conseils pour les affaires
économiques, au plan diocésain et paroissial (c. 492 et 537 CIC 83 ; c. 263 et 295 CCEO), et
de la figure de l’économe diocésain (c. 494 et 1278 CIC 83 ; c. 262 CCEO) ;
e) L’attribution d’une plus grande compétence en matière financière aux Églises particulières,
tant au plan diocésain que national, par application du principe de subsidiarité ;
f) Un renvoi plus large aux normes du droit civil.
66 Et toute circonscription ecclésiastique avec ceux qu’elle incardine. 67 J. T. Martin de Agar, « Bienes temporales y misión de la Iglesia », Manual de Derecho Canónico, Pampelune,
Eunsa, 2e éd., 1991, p. 663.
8) Étendue du droit de propriété de l’Église
a) Deux aspects. Le droit de propriété que l’Église revendique pour elle-même présente deux
versants : d’une part, il s’agit d’un droit non seulement à posséder des biens temporels, mais
aussi et en même temps à légiférer sur cette propriété et à résoudre les conflits qui peuvent se
présenter éventuellement ; et, d’autre part, ce droit de propriété ne peut porter que sur les
biens qui remplissent la fonction de moyen en vue de la fin surnaturelle de l’Église68
.
Deux conséquences s’en suivent : d’une part, l’Église ne saurait jamais être propriétaire de
biens en vue de satisfaire des intérêts exclusivement temporels ; et, d’autre part, l’Église ne
peut pas régenter la propriété des personnes privées.
b) Un droit envers tout le monde. L’Église exerce son droit de propriété erga omnes, c’est-à-
dire envers tout le monde, face à une perturbation éventuelle. Il s’exerce face aux États,
l’Église étant souveraine dans la sphère des affaires patrimoniales et ne pouvant être
dépossédée de ses biens par les États. Nous verrons, notamment au chapitre VIII, que les
relations patrimoniales peuvent faire l’objet d’accords avec les États.
Le droit de propriété est également opposable aux particuliers, personnes physiques et
juridiques. En vertu de ce droit, l’Église entre en relation avec les particuliers, soit pour qu’ils
apportent des contributions à titre gratuit, inter vivos ou mortis causa, soit pour exiger d’eux
les moyens matériels nécessaires « aux fins qui lui sont propres » (c. 1254 § 1 CIC 83 ; c.
1007 CCEO).
c) Sous l’autorité du pape. Ce droit de propriété, tant à l’égard des personnes juridiques
publiques que des personnes juridiques privées, est exercé « sous l’autorité suprême du
Pontife romain » (c. 1256 CIC 83), qui n’en devient pas pour autant le propriétaire de ces
biens69
. Ce que rappelle une note du conseil pontifical des Textes législatifs : « Le Souverain
Pontife n’est pas le propriétaire des biens, même s’il exerce le pouvoir de juridiction sur les
biens ecclésiastiques (non un pouvoir dérivé mais un droit réel) qui lui est propre en tant
qu’autorité suprême de l’Église »70
. Si envers les personnes juridiques publiques le Pontife
romain exerce à la fois le contrôle (administratio et dispensatio) et la juridiction
(auctoritas)71
, il n’en va pas de même pour les personnes privées pour lesquelles « la suprema
auctoritas du Pontife romain ne se manifeste que dans soumission au pouvoir de
gouvernement ou de juridiction, non dans le contrôle qui découle de sa qualité de supremus
administrator et dispensator des biens ecclésiastiques »72
.
d) La propriété des biens. Le fait que la propriété des biens ecclésiastique soit soumise à
l’autorité suprême du Pontife romain signifie donc que les propriétaires de ces biens, c’est-à-
dire les personnes juridiques publiques, sont soumis à son gouvernement destiné à garantir
que lesdits biens sont effectivement destinés aux fins de l’Église et à conférer ainsi une unité
68 Cf. P. Lombardía, « La propiedad en el ordenamiento canónico », op. cit., p. 21-22. 69 Cette question a fait débat lors des travaux de rédaction du code, cf. Comm 36 (2004), p. 288. L’expression
« sous l’autorité suprême du Pontife romain » a été maintenue, car elle clarifie la nature de l’autorité du Pontife
romain sur les biens ecclésiastiques, en montrant qu’il ne s’agit pas d’une propriété. Cf. Comm 12 (1980), p. 398. 70 Conseil pontifical des Textes législatifs, « Note. La fonction de l’autorité ecclésiastique sur les biens
ecclésiastiques », 12 février 2004, 30, n° 7, Comm 36 (2004), p. 24-32. 71 Cf. J. Hervada, « La relación de propiedad en el patrimonio eclesiástico », IC 2 (1962), p. 451 ; Nova et
Vetera. Cuestiones de Derecho Canónico y afines (1958-1991), Pampelune, Servicio de publicaciones de la
Universidad de Navarra, 1991, vol. I, p. 215. 72 V. Prieto Martínez, « Iniciativa privada y personalidad jurídica : las personas jurídicas privadas », IC 25
(1985), p. 571.
au patrimoine ecclésiastique73
. L’on peut y voir une concrétisation juridique du caractère
relatif du droit de propriété, que l’Église ne reconnaît pas comme absolu, mais comme modulé
par la destination universelle des biens terrestres selon les principes de sa doctrine sociale74
.
9) La notion de biens ecclésiastiques
a) Le principe. Le canon 1257 § 1 (c. 1009 § 2 CCEO) pose comme principe que « tous les
biens temporels qui appartiennent à l’Église tout entière, au Siège apostolique ou aux autres
personnes juridiques publiques dans l’Église, sont des biens ecclésiastiques et sont régis par
les canons suivants et par les statuts propres de ces personnes »75
. La définition de « bien
ecclésiastique » a donc un sens technique précis : elle s’étend « aux seuls biens affectés à des
sujets par lesquels l’autorité ecclésiastique entend poursuivre et accomplir sa mission pour le
bien commun et sur lesquels elle se réserve le droit d’exercer une fonction particulière de
gouvernement, d’administration et de contrôle, fondée justement sur le lien particulier que ces
mêmes sujets entretiennent avec l’autorité ecclésiastique »76
.
Sont donc biens ecclésiastiques les biens appartenant aux personnes juridiques publiques, non
ceux des personnes juridiques privées. Les biens ecclésiastiques sont nécessairement destinés
aux fins de l’Église.
b) Les biens des personnes privées. Les biens des personnes privées, qu’il s’agisse de fidèles
individuels, laïcs, religieux ou clercs, ou de personnes juridiques privées et de sujets sans
personnalité juridique, sont donc « laïcs », même s’ils servent des fins ecclésiales. Un bien
appartenant à un fidèle ne peut donc être qualifié d’ecclésiastique. La communion ecclésiale
« attire de telles personnes et de tels biens au régime canonique, en les maintenant sous
l’autorité du Pontife romain, soumis à la vigilance de l’ordinaire et à un régime statutaire,
typiquement canonique »77
. Certains auteurs les appellent « biens ecclésiaux »78
, ou « biens
ecclésiaux privés »79
, car ils appartiennent à des personnes juridiques qui sont en communion
avec l’Église et qui réalisent ses fins propres. Sont également des biens ecclésiaux ceux qui
appartiennent à des associations et à des fondations dont les statuts ont été révisés par
l’autorité compétente et qui sont constituées en conformité avec le canon 299 (c. 573 § 2
CCEO), même si elles n’ont pas été reconnues comme personnes juridique, leurs membres
étant tenus par les dispositions statutaires et devant agir à l’extérieur selon le canon 310, qui
précise que semblables associations ne sont sujets ni d’obligations ni de droits.
73 Cf. J. Miñambres, « Il Romano Pontefice garante ultimo della destinazione dei beni ecclesiastici », Iustitia in
caritate. Miscellanea di studi in onore di Velasio De Paolis, Cité du Vatican, Urbaniana University Press, 2005,
p. 437-439. 74 Cf. Conseil pontifical Justice et paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, Cité du Vatican, 2004, n°
172. Cf. aussi T. Grant, « Social Justice in the 1983 Code of Canon Law. An Examination of Selected Canons »,
J 49 (1989), p. 112-145 ; G. Dalla Torre, « Dottrina sociale delal Chiesa e nuova codificazione canonica », Il
Diritto Ecclesiastico 102 (1991), p. 626-652 ; B. Gangoiti, « La dottrina sociale della Chiesa nel Codice di diritto
canonico del 1983 », Angelicum 70 (1993), p. 255-278. 75 Cf. c. 1009 § 2 CCEO. 76 V. De Paolis, loc. cit., p. 21. 77 M. López Alarcón, sub c. 1257, ComEx, vol. IV, p. 60. 78 Le terme vient de P. A. Perlado, « Sugerencias para una visión moderna del Derecho patrimonial canónico »,
IC 9 (1969), p. 397ss. Il a été repris par M. G. Moreno Antón, « Algunas consideraciones en torno al concepto
de bienes eclesiásticos en el C.I.C. de 1983 », REDC 44 (1987), p. 91-92 ; J. T. Martín de Agar, « Bienes
temporales y misión de la Iglesia », Collectif, Manual de Derecho Canónico, Pampelune, Eunsa, 1988, p. 657 ;
C. Presas Barbosa, « La matización de la personalidad jurídica como tipificadora del bien patrimonial desde el
nuevo Código de Derecho canónico », Konsoziative Element, p. 557 ss. 79 Cf. J.-P. Schouppe,
Un régime spécial concerne les biens privés des fidèles qui intéressent l’ordre canonique
indépendamment de la personne qui en est le titulaire, à savoir les res sacræ (cf. c. 1269),
parmi lesquelles se détachent les lieux sacrés (cf. c. 1205), dont les églises (cf. c. 1214)80
.
« Les fidèles dirigent et gouvernent leurs associations privées selon les dispositions des
statuts » (c. 321), c’est-à-dire de façon autonome, avec les limites que le droit peut y
apporter81
, disposition que le canon 1257 § 2 réitère : « Les biens temporels d’une personne
juridique privée sont régis par les statuts propres de celle-ci et non par ces canons, sauf autres
dispositions expresses ». Il existe donc des biens qui sont employés aux fins de l’Église sans
être des biens ecclésiastiques au sens technique du terme. C’est le cas, nous venons de le dire,
des biens des associations privées de fidèles, dont l’existence se justifie du fait précisément
qu’elles sont en accord avec les fins de l’Église, autrement leurs statuts n’auraient pas été
approuvés et elles n’auraient pas pu acquérir la personnalité canonique, mais dont les biens ne
sont pas ecclésiastiques (c. 1257 § 2 CIC 83), même s’ils sont destinés à obtenir les fins
canoniques qui ont permis l’approbation des statuts de l’association.
c) À quels types d’associations pouvons-nous avoir à faire ?
1. Nous avons tout d’abord les associations dotées de la personnalité juridique publique. Sont
des associations publiques82
celles qui sont érigées par l’autorité ecclésiastique, qui entend
réaliser par leur moyen une partie de sa mission ou poursuivre des fins auxquelles les
initiatives des fidèles n’ont pas suffisamment pourvu (cf. c. 301 § 2). Elles agissent au nom de
l’Église.
2. Les autres associations sont dites privées. Certaines d’entre elles ont acquis la personnalité
juridique moyennant l’approbation de leurs statuts (probata) par l’autorité ecclésiastique suivi
d’un décret formel accordant la personnalité (cf. c. 322 et 312). L’approbation ne sera donnée
que si l’association concernée est vraiment utile et dispose des moyens suffisants pour
atteindre sa fin (cf. c. 114 § 3). La concession de la personnalité juridique « s’avère
particulièrement appropriée pour les entités qui possèdent un patrimoine important et réalisent
une activité notable dans la société »83
. La limite à l’autonomie de ces associations vient
avant tout84
de leur rapport théologique avec l’ordre canonique général. Elles trouvent leur
raison d’être juridique « d’un côté dans la communio et, de l’autre, dans la relatio hierarchica,
qui la situe correctement là où elle peut le mieux poursuivre […] une fin qui est (et qui ne
peut qu’être) coordonnée à la fin générale de l’ordre »85
. Toutefois l’approbation des statuts
(cf. c. 117) ne confère pas à l’autorité qui les a approuvés « le droit de contrôler l’usage des
biens de cette personne, sinon de manière générale, à savoir la conformité de leur utilisation
aux statuts approuvés »86
.
D’autres associations privées n’ont pas la personnalité juridique. Pour qu’elles soient
reconnues dans l’Église, leurs statuts doivent être examinés (recognoscatur) par l’autorité
ecclésiastique compétente (cf. c. 299 § 3). L’on a fait remarquer que le terme recognitio « est,
pour le moins, ambigu, et peut signifier depuis une véritable révision des statuts jusqu’à se
limiter à vérifier qu’ils ne portent pas atteinte à une des lois de l’Église »87
. Semblables
associations ne sont pas sujets d’obligations ni de droits (cf. c. 310). Le fait que l’association
80 Cf. J. Miñambres, 81 C’est le cas, par exemple, des c. 323, 325, 1263, 1265, 1267 CIC 83. 82 Cf. L. Navarro, Diritto di associazione e associazioni di fedeli, Milan, Giuffrè Editore, 1991. 83 Diritto canonico e servizio della carità a cura di J. Miñambres, Milan, Giuffrè Editore, 2008, p. 213. 84 Indépendamment du fait qu’elles sont soumises aux impôts ordinaires et extraordinaires (cf. c. 1263). 85 A. M. Punzi Nicolò, « Il regime patrimoniale delle associazione tra ecclesiasticità e non-ecclesiasticità dei
beni », loc. cit., p. 591. 86 J.-C. Périsset, Les biens temporels de l’Église, Paris, Éditions Tardy, 1995, p. 58. 87 A. García y García, « Significación del elemento asociativo en la historia del derecho de la Iglesia »,
Konsoziative Element, p. 46-47.
n’est pas constituée en personne juridique a pour conséquences principales que les fidèles qui
en sont membres peuvent acquérir et posséder des biens en tant que copropriétaires ou
copossesseurs et conjointement (coniunctim) acquièrent des droits et assument des devoirs (cf.
c. 310). Ceci détermine le fait que, selon la norme en vigueur, « il n’existe pas de patrimoine
de l’association reconnue comme tel par l’ordre canonique ; il en découle des conséquences
importantes pour le régime de ces biens et pour ceux des associés »88
. Toutefois, s’agissant de
biens destinés à des finalités et à des activités associatives, ils possèdent une certaine unité,
moyennant quoi « leur administration ne peut avoir lieu que dans les formes prévues par les
statuts de l’association »89
et les rapports établis avec les associés concernent l’ensemble des
biens, non une partie d’entre eux. L’adverbe coniunctim signifie que le patrimoine des
consociationes privatæ non personæ iuridicæ n’échappe pas à une certaine connotation
d’ecclésialité. […] Aucun associé n’est par conséquent, en tant qu’individu, dominus des
biens de l’association, mais seulement condominus et compossessor, en tant et tant qu’il en
fait partie. […] Son rapport ne porte pas sur une fraction du patrimoine, mais sur la totalité
des biens dans leur ensemble »90
.
La différence de lien avec l’autorité ecclésiastique selon que l’association privée est
simplement reconnue ou est dotée de personnalité juridique privée entraîne un contrôle ou
une vigilance distincte de la part de ladite autorité. Mais, « de toute façon leurs biens ne sont
pas des biens ‘ecclésiastiques’, et ils ne le deviennent pas davantage en vertu de la
reconnaissance ou de la concession de la personnalité juridique privée par l’autorité
ecclésiastique. Il s’agit de biens non ecclésiastiques, mais à destination ecclésiale »91
.
Une association qui n’a pas reçu au moins l’approbatio demeure, du point de vue juridique,
une association « en dehors de l’Église qui, même si elle poursuit des fins de bienfaisance ou
de charité, n’est pas soumise à l’autorité ecclésiastique, bien qu’elle soit sujette à sa
vigilance »92
.
3. Certaines de ces associations sans personnalité juridique dans l’Église peuvent être « louées
ou recommandées par l’autorité ecclésiastique compétente » (c. 298 § 2). Il n’est pas requis
qu’elle en approuve les statuts. « L’ordinaire du lieu prendra soin, en pratique, de ne pas louer
ou recommander des associations sans s’assurer que leurs statuts lui reconnaissent un droit de
visite lui permettant d’exercer avec la plus grande efficacité son obligation de vigilance.93
»
4. D’autres peuvent recevoir de l’autorité ecclésiastique compétente le label « catholique »
(cf. c. 300). Le decretum laudis et la commendatio sont une simple déclaration comme quoi
les fins poursuivies par les membres de l’association sont en accord avec l’esprit de l’Église,
mais « ils ne produisent en elle aucun effet juridique, n’en modifient pas la nature extra
ecclésiale et ne la soustraient pas à la discipline de l’ordre juridique laïc dans lequel elle s’est
constituée et elle vit »94
.
5. Les laïcs enfin ont le droit de fonder des associations pour les finalités des canons 298 § 1
et 327. Il s’agit d’associations de fait, qui peuvent n’être constituées que selon le droit civil95
.
La responsabilité de leurs actes ne peut être transférée à l’autorité ecclésiastique. Mais comme
88 L. Navarro, Diritto di associazione e associazioni di fedeli, Milan, Giuffrè Editore, 1991, p. 87. 89 L. Navarro, Diritto di associazione e associazioni di fedeli, Milan, Giuffrè Editore, 1991, p. 88. 90 A. M. Punzi Nicolò, « Il regime patrimoniale delle associazione... », loc. cit., p. 589-590. 91 A. Perlasca, Il concetto di bene ecclesiastico, op. cit., p. 372. 92 S. De Angelis, De fidelium associationibus. Tractatus ratione et usu digestus, Naples, 1959, p. 3, cité par A.
Perlasca, Il concetto di bene ecclesiastico, op. cit., p. 276. 93 E. Caparros, « Les fidèles dans l’Église locale », Le Nouveau Code de droit canonique. Actes du Ve Congrès
international de Droit canonique organisé par l’Université Saint-Paul, Ottawa, 19-25 août 1984, publiés sous la
direction de M. Thériault et de J. Thorn, Ottawa, Faculté de droit canonique, 1986, p. 815. 94 A. Perlasca, Il concetto di bene ecclesiastico, op. cit., p. 276-277. 95 Les ordres juridiques de common law permettent qu’une autorité extérieure à l’association puisse exercer la
fonction de visiteur (cf. E. Caparros, « Les fidèles dans l’Église locale », op. cit., p.815).
elles sont constituées par des fidèles pour des finalités ecclésiales, se posent la question de
leur rapport avec l’autorité ecclésiastique, de la protection de leur autonomie, etc. Elles
existent dans la communauté ecclésiale, elles agissent en son sein et « y réalisent des activités
charitables au service du bien commun, et sont en rapport avec l’autorité ecclésiastique, dont
elles peuvent recevoir encouragements et orientations »96
. Le meilleur traitement de cette
situation peut consister, dans les pays où cela est réalisable, dans « la reconnaissance de leur
personnalité civile par l’ordre de l’Église, leur permettant d’agir au moyen de représentants
auprès des organismes administratifs et judiciaires de l’Église. La qualification de certaines
d’entre elles en tant que personnes juridiques canoniques »97
. Cette forme d’« associations
spontanées » a connu un grand succès dans les années d’après le concile Vatican II, qui ont vu
surgir nombre de groupes, de mouvements, etc.
Des catégories particulières d’associations existent encore dans l’Église : les fidèles, clercs,
laïcs et membres des instituts de vie consacrée et des sociétés de vie apostolique, peuvent
constituer d’autres associations, dont les finalités rentrent nécessairement dans le domaine de
la condition commune de fidèle ; les clercs et les diacres du clergé séculier peuvent fonder des
associations de clercs séculiers qui promeuvent la recherche de la sainteté dans l’exercice du
ministère et l’union des clercs entre eux et avec leur évêque, suivent une règle de vie
opportunément approuvée et pratiquent l’aide fraternelle entre clercs, et ont des statuts
examinés par l’autorité ecclésiastique compétente (cf. c. 278 § 2) ; des confédérations
publiques de fidèles peuvent se constituer (cf. c. 313) ; des confréries existent ici ou là ; des
associations peuvent voir le jour en vue de devenir un institut religieux ou une société de vie
apostolique98
.
En tout état de cause, les associations privées ont la capacité à recevoir des offrandes des
fidèles. Ces biens sont présumés donnés à la personne juridique, non à ses dirigeants ou à ses
administrateurs, sauf indication contraire. Les biens ainsi donnés à une personne juridique
privée, « quel qu’en soit le motif ou la finalité, continuent d’être des biens privés, soumis par
suite au régime statutaire »99
.
Ces précisions sur la diversité du phénomène associatif, en dégradé, étaient nécessaires avant
d’aborder plus directement la question des biens ecclésiastiques, car elles apportent un
éclairage fort utile en la matière. Nous avons rappelé, en introduction, que le code réserve la
qualification de « biens ecclésiastiques » aux biens des personnes juridiques publiques de
l’Église (cf. c. 1257 § 1). La conséquence qui en découle est que les biens des autres
personnes juridiques dans l’Église et, a fortiori, des personnes juridiques civiles, ne sauraient
être des biens ecclésiastiques. Le choix opéré par le législateur ne pas reconnaître comme
ecclésiastiques les biens de ces associations privées « se révèle particulièrement heureux. Il
aurait été, en effet, singulièrement contradictoire de reconnaître aux fidèles une large
participation associative à la vie de l’Église tout en soumettant les biens qui leur permettent
cette participation à un contrôle étroit de la part de l’autorité ecclésiastique »100
.
d) Une question débattue. La définition ci-dessus n’a pas été acquise pacifiquement. Tel
auteur distingue les « biens ecclésiastiques », appartenant à l’Église par l’intermédiaire des
personnes juridiques publiques et destinés à la poursuite de ses fins propres ; les « biens
96 Diritto canonico e servizio della carità, op. cit., p. 212. 97 P. Lombardía, « Persona jurídica en sentido lato y en sentido estricto (Contribución a la teoría de la persona
moral en el ordenamiento de la Iglesia) », Acta conventus internationalis canonistarum, Romæ diebus 20-25 mai
1968 celebrati, Cité du Vatican, Typis Polyglottis Vaticana, 1970, p. 193 ; repris dans Escritos de Derecho
Canónico, Pampelune, Eunsa, vol. III, 1974, p. 160. 98 Sur ce dernier point, cf. const. ap. Pastor Bonus, 28 août 1988, art. 111. 99 V. Prieto Martínez, « Iniciativa privada y personalidad jurídica : las personas jurídicas privadas », IC 25
(1985), p. 545. 100 A. Perlasca, Il concetto di bene ecclesiastico, op. cit., p. 372.
privés », appartenant à des personnes privées mais utilisés pour atteindre les fins de l’Église ;
et les « biens exclusivement privés » qui ne sont pas utilisés pour atteindre les fins de
l’Eglise101
. Au cours des travaux de rédaction, il s’est trouvé des consulteurs pour s’inquiéter
de ce que la vigilance sur les biens des associations de fidèles était insuffisamment assurée.
Mais il a été décidé de respecter la liberté et l’autonomie desdites associations dans leurs
tâches apostoliques, et de renvoyer à leurs statuts pour qu’ils prévoient cette vigilance au cas
par cas102
.
e) Les biens des associations civiles. Il arrive souvent que, pour des raisons pratiques, une
personne juridique canonique soit amenée à créer une association de droit civil. Cela est
nécessaire dans un pays comme la France, qui ignore complètement les normes du droit
canonique. L’exemple le plus parlant est celui des associations diocésaines103
, issues de
l’échange de lettres de 1923-1924 entre le saint-siège et le gouvernement français104
.
Le fait qu’un diocèse ou un institut religieux possède des biens qui, en droit civil,
appartiennent à une société civile immobilière ou à une association de la loi de 1901 modifie-
t-il la qualité de ces biens ? Les biens d’une association publique de fidèles gérés dans un
premier temps par une structure civile conservent-ils leur qualité d’ecclésiastiques dans ladite
structure ? Autrement dit, les biens de la société immobilière ou de l’association de 1901
peuvent-ils être dit « ecclésiastiques » ? Il faut répondre positivement à cette question, malgré
le fait que, en France, le droit étatique français ignore tout du droit canonique, car il s’agit de
biens qui sont déjà en possession de la personne juridique canonique.
Qu’en est-il des biens des associations de droit civil qui recueillent des fonds destinés à servir
par la suite des finalités ecclésiales ? Cette destination future n’entame en rien leur condition
de biens privés. Destinés qu’ils sont à une personne juridique canonique publique, l’on ne voit
pas sur quelles bases il serait possible de déclarer qu’ils appartiennent à cette personne
juridique publique canonique alors qu’ils n’ont jamais transité par elle. Ne les ayant pas
encore pas reçus, elle n’a aucun droit de propriété actuel sur eux. Il faut répéter que la finalité
pour laquelle les biens sont donnés à une personne juridique, qu’elle soit canonique ou privée,
ne détermine pas la qualité canonique de ces biens. Seule la condition de leur propriétaire joue
en ce sens. Que survienne d’ailleurs un problème juridique, que la transaction soit déclarée
invalide, qu’elle soit contestée au profit de héritiers, etc., les biens en question ne viendront
jamais en possession de la personne juridique canonique publique et ne lui auront donc jamais
appartenu. Ce que nous pouvons dire, c’est qu’une fois que les biens de l’association civile
sont transférés à la personne juridique publique de l’Église, ils deviennent biens
ecclésiastiques ipso facto à partir du moment où ils entrent effectivement dans le patrimoine
de la personne juridique publique destinataire, mais jamais avant, à moins d’envisager un
monstruum iuridicum. Cela dénoterait une mentalité ancrée dans le code de 1917, puisque ce
serait se fonder sur la destination des biens, conception que le législateur suprême a entendu
clairement dépasser. Indépendamment du fait qu’une telle immixtion dans le droit civil est
impensable en France.
De plus si les dons reçus sont grevés d’une condition particulière, à savoir une affectation à
une œuvre bien déterminée, les dirigeants de l’association civile se doivent de respecter
101 Cf. V. Mosca, « Il ruolo della gerarchia nell’amministrazione comunionale dei beni della Chiesa », Iustitia in
caritate. Miscellanea di studi in onore di Velasio De Paolis, Cité du Vatican, Urbaniana University Press, 2005,
p. 391-392. 102 Cf. Comm 12 (1980), p. 399. 103 Cf. É. Poulat, Les diocésaines. République française, Église catholique : loi de 1905 et associations
cultuelles, le dossier d’un litige et de sa solution (1903-2003), Paris, La Documentation Française, 2007. 104 Cf. D. Le Tourneau, L’Église et l’État en France, Paris, P.U.F., coll. « Que sais-je ? » n° 886, 2000.
absolument les dispositions des donateurs105
. Agir sans respecter les dispositions du droit civil
en la matière aurait des conséquences très fâcheuses, dont la moindre ne serait pas
l’annulation pure et simple de la transaction. Certes, l’on est en droit d’attendre du conseil
d’administration de ce genre d’associations civiles qu’il agisse avec un sens ecclésial, mû par
le devoir de communion (cf. c. 209 § 1)106
. En cas de conflit d’intérêt, le droit civil l’emporte
sur le droit canonique. Autrement dit, la condition de biens privés de l’association privée
s’imposerait à celle de biens ecclésiastiques, si tant est que celle-ci eût pu être envisagée, ne
serait-ce qu’à titre de pure hypothèse d’école. Il faudra, nous l’avons dit, articuler aux mieux
les deux droits, canonique et civil. Mais aucune interférence de l’un sur l’autre n’est possible.
Les membres du conseil d’administration de l’association civile ne peuvent pas agir en se
fondant sur les canons du code : cela leur est tout bonnement impossible. Si le président du
conseil d’administration de l’association civile est le même que celui de l’association
canonique ; si, plus encore, l’association canonique s’assure d’une minorité de blocage dans
l’association civile, ou mieux, peut y avoir la majorité, il y a tout lieu de penser que ledit
conseil d’administration agira conformément au sensus Ecclesiæ. Mais, encore une fois, cela
ne transforme pas, et ne peut en aucune manière transformer les biens de l’association civile
en biens ecclésiastiques. Nous sommes en présence de deux mondes qui s’ignorent, qui vivent
chacun indépendamment de l’autre, sans interférences possibles.
f) Des dispositions à prendre. Il est primordial de respecter la législation civile si l’on veut
préserver les biens ecclésiastiques et ne pas subir de préjudices. Une saine conservation de ces
biens « nécessite la souscription de contrats d’assurance, de payer les intérêts et le capital des
emprunts, d’investir les sommes disponibles dans des placements judicieux »107
.
g) Les Confréries108
. Il faut dire un mot des confréries, nombreuses encore dans le sud de la
France, notamment. Contrairement au CIC 17, le code de 1983 ne les mentionne pas. Celles
qui existaient jusque-là continuent d’exister, car une personne juridique est perpétuelle par
nature (cf. c. 120 § 1 CIC ; c. 927 § 1 CCEO) et parce que les droits acquis subsistent (cf. c. 4
CIC ; c. 5 CCEO).
Ces confréries peuvent être constituées en associations publiques, statut qui leur donne une
plus grande dépendance de la hiérarchie ecclésiastique, mais rend plus difficile toute
modification de leurs statuts, ou en associations privées, reconnues ou non, avec les
implications que cela a sur la nature des biens possédés. Les confréries nées sous le régime du
CIC 17 sont nécessairement publiques, mais elles peuvent demander à devenir privées, si elles
le souhaitent.
h) Toutes sortes de biens. « Tous les biens temporels » dit la norme, ce qui englobe tant les
biens corporels (meubles et immeubles) que les biens incorporels (droits, servitudes,
obligations, fondations, etc.)109
. Sont des biens immeubles110
, ceux qui, de par leur nature, ne
105 Une disposition identique existe en droit canonique : cf. c. 1284 § 2, 3°. 106 Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, op. cit., nos 76-88, p. 122-131. 107 Cf. L. Serée de Roch, Administration & fiscalité des biens d’Église, op. cit., p. 81. 108 Cf. S. Carmignani Caridi, « I vecchi ‘Sodalizi in senso stretto’ ed il nuovo CIC », Konsoziative Element, p.
621-625 ; J. A. Fernández Arruty, « Naturaleza jurídica de las Cofradías en el nuevo Código de derecho
canónico », Ibid., p. 594-597 ; J. A. Marques, « Las Cofradías en el CIC 1917 y en el CIC 1983 », Ibid., p. 605-
619 ; G. Spinelli, « La problematica delle confraternite tra associazioni pubbliche ed associazioni private », Ibid.,
p. 599-604 ; Idem, « Le confraternite e il nuovo Codice di diritto canonico , Acta iubilæi internationalis
confraternitarum, Romæ, 31 marzo-1 aprile 1984, Cité du Vatican, Typis Polyglota Vaticana, 1984, p. 46 ss ; W.
Schulz, « Confraternite : persone giuridiche pubbliche e private ? », G. Barberini (éd.), Raccolta di scritti in
onore di Pio Fedele, Perugia, Edizione Scientifiche Italiane, 1984, vol. I, p. 393-398. 109 Cf. J.-C. Périsset, op. cit., p. 52-54.
peuvent pas être transportés sans que leur consistance en soit altérée.
Selon leur usage, ces biens sont soit des biens sacrés, après avoir fait l’objet d’une
bénédiction ou d’une dédicace, soit des biens communs. En raison de leur appartenance, l’on
distingue les biens temporels ecclésiastiques appartenant à l’Église ou à une personne
juridique publique ecclésiastique des biens temporels laïcs. Selon leur valeur historique ou
artistique nous avons affaire à des biens précieux ou à des biens communs.
i) Les choses sacrées. Les choses sacrées sont « destinées au culte divin par une dédicace ou
une bénédiction » (c. 1171) prévue dans les livres liturgiques et accomplie par une personne
ayant autorité pour la faire. Il en est question à propos des sacramentaux dans le cours sur la
fonction de sanctification de l’Église. Le CIC 83 qualifie de sacrés les ornements liturgiques
(c. 929), les objets du culte (c. 1171), les images (c. 1188 CIC 83 ; c. 886 CCEO), les édifices
destinés au culte (c. 1214 CIC 83 ; c. 869 CCEO). Sont également des choses sacrées les
reliques (c. 1190 CIC 83 ; c. 888 § 2 CCEO), les lieux sacrés destinés au culte divin ou à la
sépulture des fidèles (c. 1205), c’est-à-dire, outre les églises, les oratoires (c. 1223), les
chapelles privées (c. 1226), les sanctuaires (c. 1230), les autels (c. 1235), les cimetières (c.
1240 CIC 83 ; c. 874 CCEO), ainsi que les instruments ou accessoires destinés au culte divin,
etc.111
Les choses sacrées peuvent appartenir à des personnes privées, auquel cas il ne s’agit
pas de biens ecclésiastiques112
.
Nous avons vu l’an dernier, avec le cours sur La dimension juridique du sacré113
, que les
« choses sacrées » sont avant tout les biens d’ordre spirituel : Parole de Dieu et sacrements,
vie liturgique, etc., toutes choses qui, bien entendu, sortent du cadre du présent cours.
j) Les biens précieux. Sont précieux en raison de leur valeur historique ou artistique des
objets pour l’aliénation desquels l’autorisation du Saint-Siège est requise (c. 1292 § 2 CIC
83 ; c. 1036 § 4 CCEO114
), ou bien par le culte dont ils sont l’objet (c. 1189 CIC 83 ; c. 887 §
1 CCEO). L’on pourrait « presque identifier bien précieux à bien appartenant au patrimoine
culturel de l’Église, et sa valeur marchande intrinsèque, abstraction faite de sa qualité de
‘précieux’, reste à un second plan »115
.
10) Les principes qui régissent l’ordre patrimonial canonique
a) Le principe de communion. Le principe de communion, devoir fondamental énoncé par le
canon 205 (c. 8 CCEO)116
a été rappelé par le concile : il existe « entre les éléments qui
composent l’Église, des liens d’une union intime en ce qui concerne les biens spirituels, les
ouvriers apostoliques et les ressources matérielles. Car les membres du Peuple de Dieu sont
appelés à se donner les uns aux autres de leurs biens ; et même il faut appliquer à chacune des
Églises ces paroles de l’Apôtre : « Que chacun mette au service des autres les dons qu’il a
reçus, comme de bons dispensateurs de la grâce divine qui est si variée » (1 P 4, 10) » (LG
13/c). De nombreuses normes tendent au respect de ce principe de communion. C’est le cas,
par exemple, dans le diocèse, où la communion organique se traduit par les droits et les
110 Cf. aussi c. 13 § 2, 2°, 1270, 1283, 2°, 1285, 1302 § 1, 1305, 1376, 1655 § 2 CIC 83 ; c. 1491 § 3, 2°, 1019,
1025, 2°, 1029, 1046 § 1, 1049, 1441, 1342 § 2 CCEO. 111 Cf. D. Tirapu, sub c. 1269, op. cit., p . 1268. 112 Contrairement à ce que prévoyait le CIC 17 dans son c. 1497 § 2, qui divisait les biens ecclésiastiques en
sacrés et précieux. 113 Cf. D. Le Tourneau, La dimension juridique du sacré, Montréal, Wilson & Lafleur, coll. Gratianus, 2012. 114 Cf. aussi c. 683 § 3, 1189, 1220 § 2, 1270, 1283, 2° CIC 83 ; c. 887 § 2, 872 § 2, 1019, 1025, 2° CCEO. 115 F. Aznar Gil, La administración de los bienes temporales de la Iglesia, op. cit., p. 38. 116 Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, nos 47-50, p. 83-90.
devoirs de l’évêque d’imposer des taxes (c. 1261 § 2, 1262 et 1266), par l’institut diocésain
pour subvenir aux besoins du clergé (c. 1274 § 1), la masse commune diocésaine pour
d’autres besoins personnels (c. 1274 § 3), l’exécution des pieuses volontés par l’ordinaire (c.
1301 § 1).
La communion entre les diocèses se manifeste, d’une part, par l’aide aux diocèses les plus
pauvres (c. 1274 § 3) et, de l’autre, par les fédérations interdiocésaines de fonds (c. 1274 § 4).
La communion des Églises particulières avec l’Église universelle provient de l’obligation des
évêques « d’avoir pour toute l’Église une sollicitude qui, sans s’exercer par un acte de
juridiction, contribue considérablement au bien de l’Église universelle » (LG 23/b). Les
Églises particulières contribueront donc aux besoins du Siège apostolique (c. 1271).
En outre, le Pontife romain est signe d’unité et de communion dans l’Église universelle en
tant qu’administrateur et dispensateur suprême des biens ecclésiastiques (c. 1273).
Les fidèles répondent aussi au principe de communion quand ils remplissent leur obligation
fondamentale de subvenir aux besoins de l’Église (c. 222 § 1), principe que nous avons
qualifié de fondamental pour notre matière.
b) Le principe de décentralisation
Le principe de décentralisation, de nature juridique, se combine avec le principe de
subsidiarité.
Les principes de révision du code. Le cinquième principe servant de guide pour la révision du
CIC 17 ordonne ceci : « On accordera une attention particulière au principe (…) qu’on appelle
principe de subsidiarité ; ce principe doit être appliqué dans l’Église avec d’autant plus de
raison que la fonction des évêques avec les pouvoirs qui y sont attachés est de droit divin »117
.
Le groupe de travail chargé d’appliquer ces principes de révision aux biens temporels a relevé
que le principe de subsidiarité devrait être pris en compte avant tout dans cette matière des
biens temporels, car les circonstances propres à chaque région ont une influence particulière
sur le régime des biens118
.
De fait le livre sur les biens temporels est de tous les livres du CIC 83 celui qui fait la plus
large place au principe de subsidiarité.
c) Le principe de subsidiarité
Rappelons qu’en vertu du principe de subsidiarité, énoncé par Pie XI, « de même que ce qui
peut être accompli par des hommes en particulier, de par leur propre initiative et par leurs
propres moyens, ne doit pas leur être arraché et transféré à la communauté, de même ce serait
une injustice en même temps qu’un grand dommage et une grande perturbation du juste ordre
des choses que de confier à une collectivité plus grande et plus élevée ce qui peut être effectué
et accompli par des communautés plus petites et inférieures ; en effet de par ce qu’elle est et
de par sa nature, toute activité sociale doit apporter son aide aux membres du corps social, et
elle ne doit jamais les détruire et les absorber »119
. Ce texte a été repris par le bienheureux
Jean XXIII120
. Ce pontife précise que l’action de l’État, « qui suscite, stimule, ordonne,
supplée et complète, est fondée sur le principe de la fonction subsidiaire ». Le magistère
117 Cf. CB, p. 22-23. 118 « In recognitione huius schematis præterea « Principiæ quæ recognitionem Codicis Iuris canonici dirigant »
adamussim Commissio secuta est, illud præsertim quod subsidiarietatis vocatur, quodque maxime in hac materia
ad bonis temporalibus attendi debuerat, cum circunstantiæ diversarum regionum specialem influxum habeant in
regimine bonorum » (Schemata canonum, cité par V. De Paolis, loc. cit., p. 11). 119 Pie XI, enc. Quadragesimo anno, 15 mai 1931. 120 Bx Jean XXIII, enc. Mater et magistra, 15 mai 1961.
ultérieur a réaffirmé le rôle du principe de subsidiarité, témoin l’instruction sur la théologie de
la libération de la congrégation pour la Doctrine de la foi : « L’État, ni aucune société, ne
doivent jamais se substituer à l’initiative et à la responsabilité des personnes et des
communautés, intermédiaires sur le plan où elles peuvent agir, ni détruire l’espace nécessaire
à leur liberté »121
.
Le principe s’applique mutatis mutandis à l’Église122
, où une communauté supérieure ne doit
pas s’immiscer dans la vie d’une communauté inférieure quand celle-ci est à même de mener
sa barque.
d) La place du droit public
Le CIC 83, et avec lui le CCEO, font une large place au droit public : « En matière d’impôts
et de taxes ; l’institut diocésain pour la subsistance du clergé et les autres organismes prévus
par le c. 1274 ; l’organisation hiérarchique des pouvoirs et des fonctions administratives
économiques : pape, évêques, titulaires immédiats, économes, conseils pour les affaires
économiques ; normes pour la gestion du patrimoine, telles celles sur le budget, la
comptabilité, la remise de comptes et les contrôles de l’administration extraordinaire des biens
et de leur aliénation. La plupart d’entre elles sont des normes-cadre qui doivent être
développées par la voie du droit particulier, avec un renvoi fréquent aux conférences des
évêques ou à d’autres sources de production, comme les évêques de chaque région.123
»
D’autres normes sont de droit privé, comme celles qui ont trait aux actes juridiques
patrimoniaux. Les statuts sont appelés également à joue un rôle important, pour préciser les
fins (c. 94 § 1), l’administration des biens124
et leur destination par extinction de la personne
juridique (c. 123 CIC 83 ; c. 930 CCEO).
Les principes de décentralisation et de subsidiarité se manifestent par la place accordée par le
droit patrimonial au droit particulier, qui est la subsidiarité intra ecclésiale, et au droit civil, la
subsidiarité extra ecclésiale.
11) Le renvoi au droit civil
a) L’adaptation à la société civile. « L’Église catholique exerce sa juridiction sur des
personnes qui font partie des différents États, à la législation desquels elles sont soumises. Ce
fait imprime une physionomie spéciale aux citoyens de chacun des États, comme une
conséquence logique de l’action efficace du droit. En légiférant pour ses membres sur des
points qui sont plus étroitement en rapport avec le droit civil, l’Église n’oublie pas cette
physionomie propre et, au moyen de ces normes, s’adapte parfaitement à la situation des
citoyens dans laquelle se trouvent ceux qui sont soumis au droit canonique »125
.
b) Une habitude ecclésiale. En matière de biens temporels, l’Église s’est toujours
accommodée au droit civil, renvoyant pendant des siècles au droit romain, puis au droit
germanique ou barbare et, le plus souvent, au simple droit naturel commun. Bien entendu, les
rapports entre le droit canonique et le droit civil sont tributaires des évolutions historiques et
121 Congr. pour la Doctrine de la foi, instr. Libertatis conscientia, 22 mars 1986, n° 73. 122 Bien que certains soient opposés à cette application du principe de subsidiarité au sein de l’Église. Cf. R.
Castillo Lara, « La subsidiarité dans l’Église », La subsidiarité de la théorie à la pratique, sous la dir. De J.-B.
d’Onorio, Paris, Téqui, 1995, p. 153-179. 123 M. López Alarcón, « Introduction au Livre V », ComEx, vol. IV/1, 1996, p. 33. 124 C. 319 § 1, 325 § 1, 1257 § 2 CIC 83 ; c. 582 CCEO. 125 P. Lombardía, « El canon 1529 : problemas que en torno a él se plantean », Revista Española de Derecho
Canónico 19 (1952), p. 112.
des particularités locales, et l’on peut noter une influence réciproque126
. L’Église témoigne de
son respect pour la législation civile. En la « canonisant », le législateur canonique « a pu se
dispenser d’accroître énormément la masse de son propre code, éviter de nombreux motifs de
litiges, s’adapter aux diverses législations et cultures et témoigner en outre, ce faisant, de son
respect envers le droit civil »127
.
Contrairement au CIC 17, cette « canonisation » du droit civil n’est pas mentionnée au cas pas
cas, mais elle fait l’objet d’une norme générale, le canon 22 (c. 1504 CCEO), aux termes
duquel « les lois civiles auxquelles renvoie le droit de l’Église doivent être observées en droit
canonique avec les mêmes effets, dans la mesure où elles ne sont pas contraires au droit divin
et sauf disposition autre du droit canonique ». Si l’Église a jugé inutile de légiférer dans
certains domaines, il n’en reste pas moins qu’elle entend préserver sa compétence exclusive
en la matière et son esprit propre en matière de biens temporels. « Pour comprendre cet esprit,
il faut se référer continuellement à la Parole de Dieu, norme suprême de l’Église, y compris
pour les biens temporels, ainsi qu’à sa doctrine et particulièrement à son enseignement moral,
de même qu’à ses fins ultimes et à l’histoire de la formation du patrimoine ecclésiastique »128
.
Dans ce cadre général, le droit canonique a développé plus spécialement certains aspects de la
législation patrimoniale, comme la capacité universelle de l’Église à acquérir des biens (c.
1259 CIC 83 ; c. 1010 CCEO), le droit d’exiger de ses fidèles des contributions nécessaires
pour lui permettre d’accomplir ses fins propres (c. 1260 CIC 83 ; c. 1011 CCEO) et le droit
des fidèles de transmettre leurs biens à l’Église selon diverses formules (c. 1261-1271 CIC
83 ; c. 1012-1019 CCEO).
c) Droit civil et droit patrimonial. Le droit civil occupe une place non négligeable dans le
droit des biens temporels. Le canon 1290 prescrit de respecter les dispositions du droit civil en
matière de contrats et de modes d’extinction des obligations, « canonisant » ainsi le droit civil.
Les canons 1255 et 1259 accueillent les normes du droit civil en matière d’acquisition, de
possession, d’administration et d’aliénation des biens.
Ailleurs il est fait un simple renvoi aux normes du droit civil, comme pour les organismes
prévus au canon 1274, ou pour les contrats d’assurance et la propriété des biens
ecclésiastiques129
, pour le respect du droit du travail et du droit social (c. 1286 CIC 83 ; c.
1030 CCEO), pour les dispositions mortis causa (c. 1299 CIC 83 ; c. 1043 CCEO).
L’on distingue donc des dispositions qui incorporent le droit civil au droit canonique, dans
lequel il doit être observé « avec les mêmes effets » (c. 22 CIC 83 ; c. 1504 CCEO), et des
normes qui, « sans produire cette incorporation, doivent être observées en marge du droit
canonique »130
.
Il faut noter, car cela a de nombreuses incidences et pose des questions non résolues, que
nombre de personnes juridiques canoniques se doivent de revêtir aussi une forme civile si
elles veulent être opérantes dans le domaine non ecclésial131
. Le droit civil a mis en place un
système assez lourd de reconnaissance de l’utilité publique de certaines associations privées.
Or, dans ce genre d’associations reconnues d’utilité publique prévaut le système
démocratique, en ce sens que l’assemblée générale est habilitée à prendre les décisions
relatives au fonctionnement des associations, ce qui ne coïncide pas avec les dispositions du
126 Cf. A. Gauthier, o.p., Le droit romain et son apport à l’édification du droit canonique, Université Saint-Paul,
Ottawa, 1996. 127 V. De Paolis, loc. cit., p. 23. De fait, parlant des évêques, le concile demande « qu’ils recommandent
l’obéissance aux lois justes et le respect à l’égard des pouvoirs légitimement établis » (CD, n° 19/b). 128 V. De Paolis, loc. cit., p. 24. 129 C.1284 § 2 CIC 83 ; c. 1028 § 2, 1° et 1020 CCEO. 130 M. Lopez Alarcon, « Introduction au Livre V », cit., p. 35. 131 L’on verra à ce sujet O. Échappé, « Les ‘biens’ des associations d’Église », AC 47 (2005), p. 51-62.
canon 321 du code qui renvoie aux statuts de chaque association le soin d’en organiser le
gouvernement.
Faut-il rappeler que le droit civil ignore le droit canonique. C’est bien la raison pour laquelle
l’association ecclésiale est obligée de prendre un statut civil. « Nous vivons une situation, en
France, dans laquelle tout se passe comme si l’idée d’une personnalité juridique canonique
était quasiment tombée en désuétude face au modèle civil libéral de la loi centenaire du 1er
juillet 1901.132
» Le recours éventuel au seul droit civil présente deux écueils. Le premier tient
au modèle démocratique que nous venons tout juste d’évoquer, et qui ne garantit nullement
que les instances de gouvernement de l’association prendront toujours des dispositions
conformes au droit canonique, notamment quant à l’autorité suprême du Pontife romain sur
l’administration des biens (cf. c. 1256) et à la vigilance de l’autorité ecclésiastique compétente
(cf. c. 305 § 1). Cela entraînerait aussi un déficit d’ecclésialité. De sorte que cette solution – le
recours au seul droit civil – devrait être réservé « aux situations dans lesquelles l’enjeu
ecclésial n’apparaît pas déterminant et où la question patrimoniale reste marginale et
utilitaire »133
.
Dans un pays comme le nôtre, il convient donc de favoriser la « double casquette ». Mais cela
n’est pas sans risques, et des risques graves. Il est certes impératif de procéder à une
coordination aussi poussée que possible des statuts des deux associations, canonique et civile.
Cela passe au minimum par la constitution d’un conseil unique et d’un président modérateur
unique pour les deux associations, dans le cas d’une association publique de fidèles.
S’il s’agit d’une association privée de fidèles dont les statuts ont été reconnus par l’autorité
ecclésiastique (cf. c. 299 § 3), elle est dépourvue de personnalité canonique. Mais ses associés
en détiennent les biens en tant que copropriétaires ou que copossesseurs (cf. c. 310). Seuls les
statuts permettront, peut-être, de faire respecter le fonctionnement canonique par l’association
civile. Cela n’a rien d’évident.
Si l’association privée a fait approuver ses statuts par l’autorité ecclésiastique compétente, elle
acquiert la personnalité juridique. Les biens appartiennent alors à la personne juridique elle-
même. Les statuts devront veiller à ce que la volonté du conseil de l’association canonique
s’impose à au conseil d’administration de l’association civile. Mais il ne faut pas se leurrer :
en cas de conflit d’intérêt portés au contentieux, il ne peut se résoudre « qu’au bénéfice de la
propriété civile, seule reconnue par le droit français, et seule capable de faire exécuter les
décisions rendues en sa faveur »134
.
12) Le lien entre les biens temporels et les fins ultimes
a) Des biens au service de fins surnaturelles. Le canon 1254 § 1 (c. 1007 § 1 CCEO)
affirme clairement le droit de l’Église catholique à posséder des biens temporels « pour
accomplir les fins qui lui sont propres ». Ces fins sont d’ordre surnaturel. L’existence de biens
temporels dans l’Église ne se conçoit qu’au service des fins ecclésiales, précisées au
paragraphe second du même canon 1254, à savoir « præcipue organiser le culte public,
procurer l’honnête subsistance du clergé et des autres ministres, accomplir les œuvres de
l’apostolat sacré et de charité, surtout envers les pauvres ». Parmi les fins non explicitement
énumérées, nous pouvons mentionner « la prédication de la vérité de l’Évangile et l’éducation
des consciences, objectifs que l’Église atteint en se servant des moyens de communication
sociale et, en particulier, du moyen hautement précieux qu’est l’école ; l’action missionnaire,
avec toutes les œuvres connexes ; l’éducation et l’accompagnement formateur de la jeunesse
132 O. Échappé, « Les ‘biens’ des associations d’Église », AC 47 (2005), p. 58. 133 O. Échappé, « Les ‘biens’ des associations d’Église », AC 47 (2005), p. 60. 134 O. Échappé, « Les ‘biens’ des associations d’Église », AC 47 (2005), p. 62.
tout au long des phases de sa croissance »135
.
Nous avons relevé la préoccupation pour les pauvres136
. Nous la voyons apparaître à divers
endroits. Par exemple, à l’occasion des « droits d’étole » (c. 1264, 2° CIC ; c. 1013 § 1
CCEO), qui doivent tenir compte du fait que les fidèles ne doivent pas être privés des
sacrements en raison de leurs faibles moyens pécuniaires (cf. c. 848). Un autre exemple est
l’obligation d’être fidèle aux volontés des donateurs (c. 1267 § 3 CIC ; c. 1016 § 1 CCEO), ce
qui implique que l’argent donné pour les pauvres doit leur être affecté. Un administrateur
dispose d’une plus grande latitude que par le passé pour faire des « dons modestes » pour des
motifs de charité (cf. c. 1285 CIC ; c. 1029 CCEO). Des biens appartenant au patrimoine
stable d’une personne juridique peuvent être aliénés pour, entre autres, une un motif de charité
(c. 1293 § 1, 1° CIC ; c. 1035 § 1, 1° CCEO). D’autre part, le conseil diocésain pour les
affaires économiques doit tenir compte des priorités du canon 1254 § 2 à l’heure d’établir le
budget annuel du diocèse.
En outre, il est prévu que les diocèses plus riches viennent en aide aux diocèses plus pauvres
(cf. c. 1274 § 3 CIC ; c. 1021 § 3 CCEO) ; les instituts religieux sont invités à contribuer sur
les biens à la subsistance des pauvres (cf. c. 640).
L’adverbe præcipue montre que la liste n’est pas exhaustive. Il laisse la place à de nouveaux
besoins qui peuvent se faire jour et qui sont imprévisibles137
. Le concile lui-même a identifié
d’autres fins, comme la fondation et la direction d’écoles (GE 8), posséder et utiliser des
moyens de communication sociale (IM 3), promouvoir l’activité missionnaire (AdG 19),
secourir les pauvres et promouvoir la paix et la justice (GS 44 ; AA 8 ; AdG 12).
b) Exclusivement pour ces fins. Les biens temporels n’ont de sens qu’en fonction de ces
fins. D’où la conception mise en avant par le concile Vatican II, dont il a déjà été question. Le
droit inné de l’Église à utiliser des biens temporels est donc limité par le souci de réaliser ses
fins propres.
Nous retrouvons les finalités du canon 1254 § 2 dans d’autres dispositions. Par exemple, le
culte divin actualise la fonction sanctificatrice de l’Église par la liturgie (c. 834). La
sustentation du clergé est organisée par le canon 281 (c. 390 CCEO). Tous les fidèles ont le
droit et le devoir fondamentaux de travailler à ce que le message divin de salut parvienne à
tous les hommes (c. 211 CIC 83 ; c. 14 CCEO)138
.
c) Une participation de tous les fidèles. Tous les fidèles participent à l’obtention des fins de
l’Église, que ce soit personnellement ou sous forme associative, qu’il s’agisse de personnes
juridiques publiques ou de personnes privées, mais seules les personnes juridiques publiques y
participent d’une façon explicite et formelle puisque l’Église catholique, en tant que société
publique, agit au travers d’elles.
Toute personne qui est responsable d’assurer les fins de l’Église doit avoir conjointement la
responsabilité des moyens qui permettent d’assurer ces fins. D’où les affirmations du code sur
135 L. Mistò, « Chiesa e beni temporali…», loc. cit., note , p. 297 (notre traduction). Ceci est en accord avec
l’enseignement conciliaire, qui a mis en avant : a) l’aide aux pauvres (cf. AA, nos 3, 8, 12/a ; GS, n° 42.2), comme
constituant une des tâches les plus spécifiques de l’Église (cf. GS, n°90/c), et en particulier des instituts de vie
consacrée (cf. PC, n° 13/e) ; b) la prédication de la vérité et la formation des consciences, grâce aux écoles de
tous types (cf. GE, n° 8/b) et le recours aux moyens de communication sociale (cf. IM, n° 3/b) ; la promotion de
l’activité missionnaire (cf. AdG 19/d). 136 Cf. G. J. Roche, S.V.D., « The Poor and the Code of Canon Law : Some Relevant Issues in Book II », StCan
30 (1996), p. 177-219. 137 Cf. la discussion sur le sujet, Comm 36 (2004), p. 244. Mais la commission de codification a estimé que les
autres finalités que l’on pourrait y ajouter ne sont qu’une explicitation des finalités comprises sous la formule
plus générale de ‘opera sacri apostolatus et caritatis’ » (Comm 12 [1980], p. 396-397). 138 Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, nos 94-96, p. 137-142.
la responsabilité du Pontife romain pour l’Église universelle (c. 1273 CIC 83 ; c. 1008 § 1
CCEO) et sur celle des ordinaires139
(c. 1276 CIC 83 ; c. 1022 CCEO), ainsi que sur celle des
supérieurs des instituts religieux140
, sans compter les normes sur l’administration
extraordinaire (c. 638 et 1281 CIC 83 ; c. 1024 CCEO) et sur les aliénations de biens141
. Mais,
lorsqu’une nouvelle mission est fondée, elle doit devenir rapidement se suffire à elle-même et
ses prêtres vivre des ressources locales. Il est d’ailleurs prévu qu’elles ne peuvent être
constituées en communauté hiérarchique si elles ne disposent pas de moyens suffisants qui les
rendent capables de poursuivre par elles-mêmes l’œuvre de l’évangélisation » (c. 786). Agir
autrement pourrait conduire à une forme de « colonialisme ecclésial »142
.
L’administration des biens, tant de l’Église que des instituts religieux, « n’est pas une question
technique dont ne devraient s’occuper que les personnes disposant de capacités techniques :
elle concerne en fait la vie même de l’institut et tous ses domaines (apostolat, spiritualité,
formation, etc.), et toutes ses composantes »143
.
13) Une dernière remarque
Le droit des biens temporels ne se limite pas, nous l’avons dit, aux seuls canons de ce livre V.
De fait, de nombreuses autres normes au caractère typiquement patrimonial se retrouvent un
peu partout dans le code. Mentionnons, pour le CIC 83, la destination des biens des personnes
juridiques lorsqu’elles sont modifiées ou qu’elles s’éteignent (c. 121-123) ; le devoir
fondamental des fidèles du canon 222, déjà mentionné, de subvenir aux besoins de l’Église ;
le droit fondamental à la rémunération des services spéciaux rendus par des laïcs (c. 231)144
;
la contribution pour le séminaire (c. 264) ; les interdictions faites aux clercs en matière
patrimoniale et commerciale (c. 285-286) ; l’administration des biens des associations
publiques (c. 319) ; celle des biens des associations privées (c. 325-326) ; le devoir de
l’évêque de veiller à l’administration des biens (c. 392 § 2) ; le rôle du conseil diocésain pour
les affaires économiques et de l’économe diocésain (c. 492-494) ; l’affectation d’offrandes à
la paroisse (c. 510 § 4) ; les offrandes pour les fonctions paroissiales (c. 531 et 551) ; le rôle
du curé dans l’administration des biens de la paroisse (c. 532) ; le conseil paroissial pour les
affaires économiques (c. 537) ; la destination des biens en cas de suppression d’un institut de
vie consacrée (c. 584) ou d’une maison religieuse érigée ou d’un monastère autonome de
moniales (c. 616) ; les biens temporels des instituts religieux et leur administration (c. 634-
640) ; les biens des membres des instituts religieux avant leur première profession (c. 668) ; le
statut patrimonial des religieux (c. 688) ; les conséquences patrimoniales de la sortie ou du
renvoi des religieux (c. 702) ; les biens des instituts séculiers (c. 718) ; ceux des sociétés de
vie apostolique (c. 741) ; les offrandes faites à l’occasion de l’administration des sacrements
(c. 848) ; les offrandes reçues pour la célébration de la messe (c. 945-958) ; les offrandes à
l’occasion des funérailles ecclésiastiques (c. 1181) ; les lieux sacrés (c. 1205-1233) ; la
compétence judiciaire pour les causes portant sur des biens temporels (c. 1419 § 2) ; la
transaction et le compromis en matière de biens temporels (c. 1715) ; et enfin la mauvaise
administration des biens comme cause de renvoi du curé (c. 1741 § 5).
139 Et non plus des ordinaires du lieu, comme le prévoyait le CIC 17. 140 C. 636 CIC 83 ; c. 447, 516 § 1-2, 558 § 2 CCEO. 141 C. 638, 1291, 1292, 1295 CIC 83 ; c. 1035 § 1, 3°, 1036, 1042 CCEO. 142 Cf. F. G. Morrisey, O.M.I., « Acquiring Temporal Goods for the Church’s Mission », StCan 56 (1996), p. 600. 143 V. De Paolis, loc. cit., p. 31. 144 Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, nos 261-262, p. 362-364
Plan du cours
Notre cours suivra grosso modo le plan du Code, c’est-à-dire qu’il passera successivement en
revue les canons préliminaires (chapitre I), l’acquisition des biens, y compris au moyen des
pieuses volonté en général et des fondations pieuses (chapitre II), l’administration des biens
(chapitre III), les contrats et en particulier l’aliénation (chapitre IV).
Cependant, il faudra faire appel à des normes prises en dehors du livre V et qui ont trait à
notre matière. Notamment, il conviendra de faire ressortir la gestion des biens du saint-siège
(chap. V), la structure économique du diocèse et de la paroisse, concernés au premier chef par
l’administration de biens en vue d’accomplir les finalités spécifiques de l’Église (chapitre VI).
Il pourra être utile également de mettre en évidence le système d’administration des biens
dans les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique (chapitre VII)145
. Enfin,
nous exposerons brièvement le système extra ecclésial de financement de l’Église en vigueur
dans certains pays (chap. VIII).
145 Ce sont deux aspects développés par J.-P. Schouppe dans son manuel, respectivement p. 193-217 et 219-239.
Chapitre Premier – Les canons préliminaires
1) Les fins motivant la propriété de biens temporels
a) Le droit inné. Le premier canon du livre V sur « les biens temporels de l’Église »
réaffirme, nous l’avons dit, le droit inné de l’Église à « acquérir, conserver, administrer et
aliéner des biens temporels » (c. 1254 CIC 83 ; c. 1007 CCEO). L’indépendance par rapport à
l’État présente l’avantage de mieux garantir la liberté de l’Église dans son action
évangélisatrice tout comme dans la nomination aux évêchés. Un système de contributions
financières de la part de l’État a sans doute ses avantages, régularité des ressources,
indexation des traitements sur le coût de la vie, économie de moyens et de personnel, etc.,
mais il peut faire obstacle à la pleine indépendance de l’Église.
Une Église qui, d’autre part, ne dispose d’aucun moyen coercitif pour obtenir de ses fidèles
qu’ils contribuent, selon leurs possibilités, à ses besoins.
b) Nature de ces besoins. De quels besoins s’agit-il ? La même norme le précise :
« Organiser le culte public, procurer l’honnête subsistance du clergé et des autres ministres,
accomplir les œuvres de l’apostolat sacré et de la charité, surtout envers les pauvres.146
» Cette
liste n’est pas exhaustive : elle est donnée à titre indicatif. Mais les autres fins peuvent en
définitive se ramener à celles-ci147
, avons-nous dit. C’est le cas des œuvres missionnaires148
,
des œuvres de piété, de l’enseignement religieux149
, utiliser et posséder des moyens de
communication sociale150
, promouvoir la paix et la justice151
, etc. Il ne semble pas que,
lorsqu’un patrimoine ne permet pas de faire face à toutes ces fins, leur ordre d’énumération
s’impose et qu’il faille nécessairement commencer par le culte, s’occuper ensuite du clergé,
pour passer à l’apostolat et à la charité avant de s’occuper enfin des pauvres. « Il faudra tenir
compte des besoins les plus impérieux.152
» Le pape Benoît XVI avait relevé l’absence de
normes spécifiques à propos du service de la charité épiscopale dans le Code de droit
canonique : « Le Code de Droit canonique, dans les canons concernant le ministère épiscopal,
ne traite pas expressément de la charité comme d’un domaine spécifique de l’activité
épiscopale, mais il expose seulement de façon générale la tâche de l’Évêque, qui est de
coordonner les différentes œuvres d’apostolat dans le respect de leur caractère propre (cf. c.
394 CIC ; c. 203 CCEO).153
» Depuis, le Directoire Apostolorum successores avait consacré
146
Le CCEO ne fait pas une mention spéciale des pauvres. 147 C’est ce qu’affirme le groupe de travail pour justifier son refus d’élargir la liste : « Toutes les autres fins que
l’on peut ajouter ne sont qu’un développement des fins qui sont comprises sous la formule plus générale
d’« œuvres d’apostolat sacré et de charité » (Comm 12 [1980], p. 396-397). 148 Cf. concile Vatican II, AdG 19/d, à propos des jeunes Églises, il est dit qu’elles ont « un très grand besoin que
l’action missionnaire continuée de l’Église tout entière leur procure les secours qui servent tout d’abord au développement de l’Église locale et à la maturité de la vie chrétienne. Cette action missionnaire doit aussi
apporter son aide à ces Églises, fondées de longue date, qui se trouvent dans un état de régression et de
faiblesse ». 149 Le concile rappelle « le droit, pour l’Église, de fonder et de diriger librement des écoles de tout ordre et de
tout degrés » (GE 8/a). 150 « L’Église a donc le droit inné d’utiliser et de posséder ces moyens sans exception, dans la mesure ou ils sont
nécessaires ou utiles à la formation chrétienne e à toute autre action pastorale » (concile Vatican II, IM 3/a). 151 « Tout apostolat trouve dans la charité son origine et sa force, mais certaines œuvres sont par nature aptes à
devenir une expression particulièrement parlante de cette charité : le Christ a voulu qu’elles soient le signe de sa
mission messianique (cf. Mt 11, 4-5) » (concile Vatican II, AA 8/a). L’Église « ne revendique pour elle-même
d’autre titre que celui d’être au service des hommes, Dieu aidant, par sa charité et son service fidèle (cf. Mt. 20,
26; 23, 11) » (concile Vatican II, AdG 12/c). 152 M. Lopez Alarcon, sub c. 1254, CB 1091. 153 Benoît XVI, enc. Deus caritas est, 25 décembre 2055, n° 32.
un long passage à « l’exercice de la charité » (nos
193-198), attirant l’attention sur « quelques
secteurs particuliers » (nos
201-209)154
. Le pape Benoît XVI revint sur la question en publiant
des normes sur « le service de la charité »155
. Il avait placé l’exercice de la charité sur le
même plan que la proclamation de la Parole et l’administration des sacrements : « Avec
l’expansion progressive de l’Église, l’exercice de la charité s’est affirmé comme l’un de ses
secteurs essentiels, avec l’administration des Sacrements et l’annonce de la Parole.156
»
Le sens juridique de l’expression »service de la charité » pourrait être mis en rapport avec les
situations de droits et de devoirs qui découlent de la mission reçue de l’Église de pourvoir aux
besoins matériels des hommes. En ce sens, le service de la charité « comprendrait seulement
les activités qui visent de façon spécifique à soulager les souffrances des hommes et à
répondre à leurs besoins. Ceci se traduirait tant par le droit et le devoir de chaque fidèle de
s’engager individuellement dans cette activité, que dans la possibilité de réunir des efforts
pour faire face en commun à ces exigences (droit d’association et de « fondation »), que aussi
dans le besoin que la hiérarchie organise ces activités en tant que manifestation essentielle de
la mission de l’Église »157
.
c) Des biens adaptés à ces besoins. La détention des biens est donc conditionnée par ces fins.
C’est de l’existence de fins propres à l’Église que découle son droit, inné et indépendant du
pouvoir civil, de détenir des biens temporels.
Ces fins propres « ont toujours été présentées comme la raison d’être du droit aux biens dont
jouit l’Église158
. Ceci au point que pendant de nombreux siècles, on ne s’est presque jamais
soucié du sujet de la possession des biens en elle-même […] parce que l’on estimait être
évident que le seul et unique sujet possédant était l’Église elle-même »159
.
La plupart de ces fins sont spécifiques à l’Église et ne peuvent être satisfaites que par elle, car
elles lui sont propres, comme le culte et le magistère. D’autres peuvent être poursuivies en
coopération avec l’État, comme l’enseignement ou l’assistance aux personnes défavorisées.
Cette collaboration peut être précisée par les concordats et autres accords internationaux. Mais
les biens utilisés par l’Église à cet effet conservent une finalité ecclésiale, celle d’apostolat ou
de charité.
d) Qui poursuit ces fins ? Ceci étant, les fins de l’Église sont atteintes par les Églises
particulières et les autres circonscriptions ecclésiastiques, ainsi que par les autres personnes
juridiques publiques. Le droit de l’Église à posséder des biens temporels est donc participé par
ces différentes personnes juridiques dotées de la capacité juridique d’être propriétaire ou
titulaire de biens (cf. c. 1255 CIC 83 ; c. 1009 § 1 CCEO). C’est pourquoi le canon 1258
affirme que « dans les canons suivants, sous le terme d’Église, on entend l’Église tout entière
ou le Siège Apostolique, mais aussi toute personne juridique publique dans l’Église, à moins
que le contexte ou la nature des choses ne laisse entendre autrement », et ce pour éviter tout
154 Congrégation pour les évêques, Directoire Apostolorum successores, 22 février 2004. 155 Benoît XVI, m.p. Intima Ecclesiæ natura sur le service de la charité, 11 novembre 2012, A.A.S. 104 (2012), p.
994-1004. 156 Benoît XVI, enc. Deus caritas est, 25 décembre 2055, n°22. 157 J. Miñanmbres, « Connotati giuridici del servizio della carità organizzato” (note au m.p. Intima Ecclesiæ
natura), Ius Ecclesiae 25 (2013), p. 508. L’on verra aussi Diritto canonico e servizio della carità, op. cit. 158 Elles se retrouvent ailleurs dans le code, plus ou moins à l’identique : « Œuvres de piété, d’apostolat, de
charité spirituelle ou temporelle » (c. 114 § 2) à propos des personnes juridiques ; « favoriser une vie plus
parfaite, promouvoir le culte public ou la doctrine chrétienne, exercer d’autres activités d’apostolat, à savoir des
activités d’évangélisation, des œuvres de piété ou de charité, et l’animation de l’ordre temporel par l’esprit
chrétien » (c. 298 § 1) à propos des associations de fidèles ; etc. 159 V. De Paolis, « Les biens temporels au regard du Code de droit canonique », AC 47 (2005), p. 18-19.
doute et par souci de clarté de terminologie juridique160
.
2) Les sujets capables de posséder des biens temporels dans l’Église
a) Les sujets. Aux termes du canon 1255 (c. 1009 § 1 CCEO), « l’Église tout entière et le
Siège apostolique, les Églises particulières ainsi que toute autre personne juridique publique
ou privée, sont des sujets capables d’acquérir, de conserver, d’administrer et d’aliéner des
biens temporels selon le droit ». La norme établit un ordre hiérarchique entre les divers sujets.
Il s’agit donc de :
- l’Église universelle (c. 204 § 2 CIC 83 ; c. 7 § 2 CCEO) et le Siège apostolique (c. 361), qui
sont des personnes morales par l’ordre divin lui-même (c. 113 § 1). Par siège apostolique ou
saint-siège, il faut entendre le pontificat suprême, distinct de la personne du Pontife romain ;
- les Églises particulières : diocèses, prélatures et abbayes territoriales, vicariats et préfectures
apostoliques, administrations apostoliques érigées de façon stable (c. 368), qui, du fait de leur
érection légitime, jouissent ipso iure de la personnalité juridique (c. 373), et les autres
communautés hiérarchiques ou circonscriptions ecclésiastiques à elles équiparées en droit ;
- toutes les personnes juridiques ecclésiastiques publiques et privées, constituées selon le droit
(c. 116 § 2) : séminaires, paroisses, instituts religieux, associations de fidèles, fondations
pieuses, etc., car la capacité patrimoniale fait partie de la personnalité juridique.
b) Extension de la capacité. La capacité dont il est question ici est au regard de l’ordre
juridique canonique. Pour qu’elle puisse s’appliquer dans l’ordre juridique étatique, les
personnes doivent jouir de la capacité civile correspondante.
Les biens ecclésiastiques étant destinés à satisfaire les finalités de la société spirituelle qu’est
l’Église, qui transcende les individus, leur propriété ne peut revenir à des personnes
physiques. Elle ne peut appartenir qu’à des personnes juridiques. Toutefois les biens
ecclésiastiques servent aussi à couvrir les besoins de certaines personnes privées : les
nécessiteux, les religieux et une bonne part des clercs.
c) Deux conséquences. Une conséquence pratique de la capacité définie dans ce canon 1255,
lue en lien avec l’affirmation du droit inné du canon 1254, « est l’exemption de toute
imposition de la part du pouvoir civil sur les biens temporels de l’Église »161
. Les personnes
juridiques publiques agissent in nomine Ecclesiæ et participent donc de son « droit inné à
acquérir, conserver, administrer et aliéner des biens temporels, indépendamment du pouvoir
civil » (c. 1254). C’est une situation qu’entérinent nombre de concordats passés avec le Saint-
Siège162
.
L’incise « selon le droit » (ad normam iuris) est plus large que celle employée par le CIC 17
(en son c. 1495 § 2), qui restreignait la portée légale de la norme correspondante ad normam
160 Cf. Comm 12 (1980), p. 399. 161 J.-C. Périsset, op. cit., p. 44. 162 Cf. J. T. Matin de Agar, Raccolta di Concordati, op. cit. La consultation de la table des matières permet de
retrouver les conventions qui règlent cette question à « beni ecclesiastici ». Limitons-nous aux principes
dispositions en la matière. L’accord du 23juin 1960 avec l’Autriche vise expressément à régler les rapports
patrimoniaux. Celui signé avec la Croatie le 9 octobre 1998 porte sur des questions économiques. Un protocole signé le 15 novembre 1984 avec l’Italie applique les dispositions du concordat en matière de biens appartenant
aux institutions ecclésiastiques. Le 3 juillet 1985 des normes étaient émises « au sujet des institutions et des
biens ecclésiastiques en Italie et au sujet de la révision des engagements financiers de l’État italien et de ses
interventions dans la gestion patrimoniale des institutions ecclésiastiques ». L’accord passé avec Malte, le 28
novembre 1991, prévoit la gratuité de l’enseignement. Une convention, signée avec le même État, le même jour,
règle la question des biens temporels de l’Église. Un accord est passé avec l’Espagne en matière économique, le
4 décembre 1970, accord auquel vient s’ajouter un document d’application, du 10 octobre 1980, pour l’impôt sur
les sociétés et les institutions ecclésiastiques. Un accord est signé avec la Hongrie pour des questions de nature
patrimoniale (3 avril 1998).
sacrum canonum. Elle pose toutefois une limite au droit énoncé par le canon 1255. L’activité
économique de l’Église est réglée par le droit canonique, universel, particulier ou statutaire, et
par le droit civil canonisé ou auquel il est renvoyé.
3) La propriété des biens
a) Le titulaire de la propriété. Le droit de propriété de l’Église dont il a déjà été amplement
question n’est pas un droit de l’Église en tant que telle : ce n’est pas l’Église en tant que telle
qui est propriétaire des biens temporels. Le droit canonique reconnaît la personnalité juridique
à nombre d’institutions : « Dans l’Église, outre les personnes physiques, il y a aussi des
personnes juridiques, c’est-à-dire en droit canonique des sujets d’obligations et de droits en
conformité avec leur nature » (c. 113 § 2 CIC 83 ; c. 920 CCEO), personnes juridiques qui
consistent en « des ensembles de personnes ou de choses ordonnés à une fin qui s’accorde
avec la mission de l’Église et dépasse les intérêts des individus » (c. 114 § 1 CIC 83 ; c. 921 §
3 CCEO). Ce sont ces personnes juridiques qui sont les propriétaires des biens temporels de
l’Église. Elles en ont la titularité. « La titularité est la situation juridique en vertu de laquelle
un sujet a la capacité de modifier le contenu des relations juridiques propres ou d’autrui, de
les créer ou de les éteindre »163
.
b) Le patrimoine ecclésiastique. Quand nous parlons de patrimoine ecclésiastique, nous ne
faisons pas référence au patrimoine d’une personne déterminée, moins encore de l’Église en
tant que telle. Comme l’indique le canon 1256 (c. 1008 § 2 CCEO), « sous l’autorité suprême
du Pontife romain, le droit de propriété sur les biens appartient à la personne juridique qui les
a légitimement acquis ». Nous avons ici, comme dans l’ensemble du droit canonique des
biens, une tension « entre l’unité des biens ecclésiastiques, conçus comme des moyens pour
obtenir la fin de l’Église, et la variété des patrimoines de nombreuses personnes juridiques qui
en sont les propriétaires »164
. L’on a fait remarquer que, « même s’il n’existe pas un unique
patrimoine ecclésiastique »165
.
c) La capacité des personnes privées. La norme reconnaît cette capacité aux personnes
juridiques privées166
, même si leurs biens ne sauraient être qualifiés de « biens
ecclésiastiques », comme cela découle du canon 1257 § 2. Cependant, pour jouir de la
personnalité juridique dans l’Église, une personne juridique privée doit être « reconnue par un
décret spécial de l’autorité compétente qui la concède expressément » (c. 116 § 2). Ce
caractère privé fait qu’elle ne peut agir « au nom de l’Église » (c. 116 § 1).
« Pour les membres d’associations privées, et surtout pour leurs bienfaiteurs, la condition de
personne juridique reconnue dans l’Église offre une sécurité certaine quant au bon
fonctionnement de son administration et quant à l’utilisation judicieuse des offrandes,
d’autant plus qu’elles sont soumises alors à la vigilance de l’autorité ecclésiastique
compétente (c. 305 et 323), en particulier quant à l’utilisation des biens (c. 325) »167
.
d) Les biens des personnes privées. Nous avons vu la notion de « biens ecclésiastiques »
donnée par le canon 1257 § 1. Le paragraphe deuxième du même canon ajoute que « les biens
163 M. López Alarcón, sub c. 1256, ComEx, p. 51. 164 P. Lombardía, loc. cit., p. 26. 165 J.-P. Schouppe, Droit canonique des biens, Montréal, Wilson & Lafleur, Collection Gratianus, série Manuels,
2008, p. 166 Le CIC 17 ne reconnaissait cette capacité qu’aux personnes juridique érigées par l’autorité ecclésiastique (c.
99-100), c’est-à-dire ce que nous appelons les personnes juridiques publiques. Il ignorait d’ailleurs les personnes
juridiques privées. 167 J.-C. Périsset, op. cit., p. 42.
temporels d’une personne juridique privée sont régis par les statuts propres de celle-ci et non
par ces canons, sauf autre disposition expresse ». Ils bénéficient de la favor libertatis
administrationis du canon 325 § 1, aux termes duquel « l’association privée de fidèles
administre librement les biens qu’elle possède selon les dispositions des statuts », sous réserve
du droit de l’autorité compétente de veiller à ce que ces biens soient employées dans le
respect des fins de l’association.
Cette vigilance de l’autorité ecclésiastique compétente est établie par le canon 305 (c. 577 § 1
CCEO) envers toutes les associations de fidèles. En ce qui concerne le domaine patrimonial,
elle a pour objectif d’éviter que des abus « ne se glissent dans la discipline ecclésiastique » et
d’assurer un emploi conforme aux statuts. Cette vigilance comporte le droit de visite et
l’exercice du pouvoir de gouvernement « selon le droit et les statuts ».
4) La notion d’Église dans le livre V
Le législateur a tenu à reprendre le canon 1498 CIC 17, tout en remplaçant « personne
morale » par « personne juridique publique », pour affirmer que « dans les canons suivants,
sous le terme d’Église on entend non seulement l’Église tout entière ou le Siège apostolique,
mais aussi toute personne juridique publique dans l’Église, à moins que le contexte ou la
nature des choses ne laisse entendre autrement » (c. 1258). Un exemple de cette limite est le
canon 1260, où l’Église est toute personne ayant la capacité d’exiger une contribution
financière des fidèles. En revanche, le terme est utilisé au sens large au canon 1259, car toutes
les personnes juridiques canoniques peuvent acquérir des biens temporels par un juste moyen.
Cependant, il faut relever que la nouveauté introduite par le code de 1983 ne réside pas tant
dans la distinction public-privé que dans la reconnaissance exprès du fait que « la constitution
d’associations peut répondre à l’activité apostolique des fidèles, au travers des canaux ouverts
par le droit, et non à l’initiative, l’impulsion, la direction ou la suppléance de la
hiérarchie »168
. Le professeur Viana, auteur de ces remarques, ajoute que « c’est une façon de
concrétiser le grand principe ecclésiologique formulé par le concile Vatican II sur la
distinction entre mission de l’Église et mission de la hiérarchie »169
.
168 A. Viana, « La norma estatutaria y la autonomía de los entes en la Iglesia », I principi per la revisione del
Codice di diritto canonico. La ricezione giuridica del Concilio Vaticano II, a cura di Javier Canosa, Milan,
Giuffrè Editore, 2000, p. 291. 169 Ibid.
Chapitre II – L’acquisition des biens
Le titre I du Livre V sur l’acquisition des biens transpose en droit les orientations de
l’ecclésiologie de Vatican II. Il est également marqué par l’application du cinquième principe
de révision du code sur le principe de subsidiarité, déjà évoqué170
.
1) Un principe général
a) Le principe. Concernant l’acquisition des biens, le canon 1259 pose un principe clair et
sans appel : « L’Église peut acquérir des biens temporels par tout juste moyen qui est permis
aux autres personnes selon le droit naturel ou positif.171
» C’est une explicitation du canon
1254 § 1, à l’adresse des États enclins, ici ou là, à restreindre ce droit de l’Église. L’Église
revendique donc une liberté publique reconnue en principe à toute personne juridique.
Il s’agit d’un droit fondé sur le droit divin positif, selon lequel l’Église doit pouvoir disposer
des moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Il se fonde, en tant que droit
naturel, sur le droit d’association et le droit de propriété. Ces deux droits vont de pair, car la
négation du droit de propriété entraînerait celle du droit d’association. Ce droit se fonde
également sur la liberté religieuse, car il ne saurait y avoir de liberté religieuse véritable là où
l’État ne reconnaîtrait pas à l’Église et aux divers groupes religieux la capacité patrimoniale.
b) Le droit international. Un tel refus serait d’ailleurs contraire au droit international, qui
protège les droits des groupes religieux en matière patrimoniale, tant à l’échelon universel
qu’à l’échelon régional172
. En effet, la Convention internationale des Droits de l’homme, du
10 décembre 1948, déclare, en son article 2, que « 1. Chacun peut se prévaloir de tous les
droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune,
notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute
autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation. 2. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique
ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou
territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque
de souveraineté ». En outre, la Convention européenne de Sauvegarde des droits de l’homme
affirme que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit
être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la
langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou
sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre
situation »173
.
c) Les modes d’acquisition. Différentes classifications des modes d’acquisition ont été
avancées. Contentons-nous de celle proposée par Mgr Coccopalmerio :
170 Cf. L. Navarro, « L’acquisto dei beni temporali. Il finanziamento della Chiesa », I beni temporali della
Chiesa, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, Studi Giuridici L, 1999, p. 37-58. 171 Le CCEO (c. 1010) est plus concis et, ignorant le c. 1258, ne parle pas de droit de l’Église, mais de droit des personnes juridiques : « Les personnes juridiques peuvent acquérir des biens temporels par tout moyen juste que
le droit permet aux autres » 172 Par ex., les groupes religieux se voient reconnaître les droits d’« établir et entretenir des lieux de culte ou de
réunion librement accessibles », de « solliciter et recevoir des contributions volontaires, qu’elles soient
financières ou autres » ou encore les droits « d’acquérir, de posséder ou d’utiliser des livres sacrés, des
publications religieuses dans la langue de leur choix, ainsi que d’autres objets liés à la pratique de la religion ou
d’une conviction » (voir art. 16 du « Document de clôture de la Conférence de Vienne sur la sécurité et la
coopération en Europe (19 janvier 1989) »), cité par J.-P. Schouppe, Droit canonique des biens, op. c., p. 25. 173 Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, 4 novembre 1950, art. 14.
a) à titre de libéralité : donations, dispositions testamentaires, fondations ;
b) à titre d’acquisition onéreuse : achat-vente, permutation ;
c) à titre d’imposition : impôts et taxes ;
d) à titre d’offrande : collectes, demande d’aumônes ;
e) à titre de prescription acquisitive ou usucapion ;
f) d’autres titres tels que revenus du patrimoine, division ou extinction d’une personne
juridique, dotations et prestations de l’État, etc.
Nous pourrions y ajouter la découverte d’un bien, qui revient au moins partiellement à son
inventeur.
d) La portée du droit positif. Le droit positif mentionné dans le canon est d’abord le droit
positif canonique, universel ou particulier. Par exemple, le canon 199 (c. 1542 CCEO)
énumère des matières qui ne sont pas soumises à prescription ; les canons 121-123 règlent la
fusion et l’extinction des ensembles de personnes et de choses (c. 129-130 CCEO) ; le c. 281§
1 (c. 390 § 1 CCEO) affirme le droit des clercs à recevoir une rémunération « qui convienne à
leur condition » ; etc.
Le droit positif est également le droit civil, qui varie d’un État à l’autre. Les administrateurs
de biens « prendront garde particulièrement que l’Église ne subisse un dommage à cause de
l’inobservation des lois civiles »174
. Le canon 1259 ne soumet pas pour autant l’Église au droit
civil, « mais revendique pour elle et pour ses personnes juridiques publiques (c. 1258)
l’égalité de traitement que le droit civil accorde aux autres sujets de l’État pour l’acquisition
des biens »175
.
L’Église fait habituellement reconnaître dans les concordats ou autres conventions ses droits
d’acquisition et d’administration des biens temporels, sa liberté de recueillir des fonds de ses
fidèles, d’organiser des collectes, la coopération financière avec l’État, la non-imposition, la
reconnaissance d’avantages fiscaux en faveur de certaines personnes juridiques
ecclésiastiques, etc.
2) Les modes d’acquisition
Le code envisage expressément différents modes d’acquisition de biens temporels. Il s’agit :
a) des offrandes volontaires spontanées ;
b) des offrandes volontaires demandées ;
c) des taxes ;
d) des impôts diocésains ;
e) le cas échéant d’un financement extra ecclésial
f) la prescription.
L’on peut dresser le tableau suivant :
spontanées (c. 1261, 1267)
ordinaires (c. 1262)
publiques
offrandes demandées (c.1261) spéciales (c. 1266)
174 C. 1284 § 2, 3° CIC 83 ; c. 1028 § 2, 2° CCEO. 175 J.-C. Périsset, op. c., p. 71.
privées (c. 1265)
administration des sacrements et des sacramentaux (c. 1264, 2°)
A) Les offrandes volontaires spontanées
Ce premier aspect retiendra longuement notre attention, car nous devons étudier
successivement :
1. les legs
2. les offrandes à l’occasion des services pastoraux
3. les offrandes pour la célébration de messes
4. les pieuses volontés
5. les fondations pieuses
6. les charges de messes
a) La notion d’offrande. Au sens strict, l’on entend par offrande « la remise de biens qui sont
offerts librement à l’Église, que ce soit de sa propre initiative ou au travers de l’autorité
compétente »176
. En cela, elle se distingue des impôts.
b) Le principe général. Quant aux offrandes spontanées, le canon 1261 § 1 reconnaît que
« les fidèles ont la liberté de disposer de leurs biens temporels en faveur de l’Église ». C’est
une manifestation de la liberté religieuse, que la communauté politique doit respecter,
protéger et favoriser, ainsi que de la participation commune des fidèles à la mission de
l’Église, participation qui est très présente dans le CIC 83, tout particulièrement dans les
devoirs et les droits fondamentaux des canons 208-223 (c. 11-26 CCEO)177
. Cette norme
s’harmonise avec le dispositif des canons 1254, 1259 et 1260 (c. 1007, 1010 et 1011 CCEO)
sur la liberté patrimoniale de l’Église face à l’autorité civile. Les membres de la commission
codificatrice ont souligné que les offrandes constituent le mode habituel d’acquisition des
biens, et les ont placés en conséquences avant les normes sur les impôts, qui sont un moyen
extraordinaire. Ils l’ont justifié en ces termes : « Ceci répond mieux à la sensibilité, à la praxis
et à la réalité actuelles, étant donné que là où l’impôt n’est pas imposé par la loi civile,
l’Église n’a aucun pouvoir coercitif effectif d’imposer ses impôts aux fidèles »178
.
c) La libre disposition des biens. Cette disposition peut prendre des formes diverses : don,
legs, offrande à l’occasion des services pastoraux, pieuse volonté et fondation pieuse. Aucune
disposition du droit civil ne doit entraver cette liberté du fidèle d’user de ses biens comme il
l’entend et de l’Église de les accepter. Nous pouvons dire que les canons 1260 et 1261 sont un
développement du canon 222 § 1 (c. 25 § 1 CCEO)179
, en laissant la place à la spontanéité des
176 A. Mauro, De Ecclesiæ tributorum iure invigenti disciplina. Principa generalia ac synodales leges in variis regionibus latæ, Rome, 1966, p. 65-72. 177 Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux des fidèles et des laïcs dans l’Église, Montréal, Wilson &
Lafleur, 2010. 178 Comm 12 (1980), p. 402. 179 Tel est d’ailleurs le sens du c. 222, par lequel le législateur canonique entend préserver, face à la société
civile, le droit de ses fidèles à subvenir financièrement à ses besoins et son droit propre à recevoir des dons : cf.
M. López Alarcón, sub c. 1261, CB, p. ; V. De Paolis, « De bonis Ecclesiæ temporalibus in novo Codice Iuris
Canonici », Per 73 [1984], p. 134 ; L. Navarro, « L’acquisto dei beni temporali. Il finanziamento della Chiesa »,
loc. cit., p. 41).
fidèles et en n’établissant qu’une obligation générale180
. En effet, selon le canon 222 § 1,
« subvenir aux besoins du Peuple de Dieu ne constitue pas seulement un devoir, mais aussi un
droit. Cela signifie que dans l’Église le fidèle a le droit de prendre l’initiative de contribuer à
résoudre tel besoin par des fondations, des institutions pieuses, des mandats, des legs, etc. »181
Ajoutons que « dans de nombreux cas, il s’agira d’accomplir un devoir de justice, que, pour
des raisons de prudence et de délicatesse, la hiérarchie n’a pas précisé. L ‘attitude du laïc
devant les besoins temporels de l’Église doit donc consister en un don généreux de biens et
dans la recherche, grâce à sa condition séculière, relations d’affaires, sociales, travail
professionnel, des ressources nécessaires à l’apostolat. C’est là un des traits particuliers de la
pauvreté volontairement vécue par les laïcs »182
.
La libre disposition des biens s’exerce dans les limites du droit naturel et du droit canonique.
Par droit naturel « le mineur, avant l’âge de sept ans accomplis », et celui qui est privé de
l’usage de la raison, sont censés « ne pouvoir se gouverner eux-mêmes » (c. 97 § 2 CIC 83 ; c.
909 § 2-3 CCEO). Par droit ecclésiastique, par exemple, la provision simoniaque d’un office
(c. 149 § 3 CIC 83 ; c. 946 CCEO) ou la renonciation simoniaque à celui-ci (c. 188 CIC 83 ;
c. 968 CCEO) est nulle de plein droit.
« L’évêque diocésain est tenu d’avertir les fidèles de l’obligation dont il s’agit au c. 222 §
1183
, et d’en urger l’application de manière opportune » (c. 1261 § 2). Il doit donc rappeler
comme bon lui semble le devoir fondamental de tout fidèle de subvenir aux besoins de
l’Église, soit en se contentant de le leur rappeler, soit en leur imposant des prestations
obligatoires. Quelle est la nature de cette obligation des fidèles ? La doctrine estime en
général qu’il s’agit d’une obligation grave fondée sur le droit naturel et sur les dispositions
prises par l’évêque diocésain. Mais les services ministériels ne sauraient être refusés à celui
qui n’accomplit pas cette obligation.
L’Église préfère ces offrandes volontaires au fait de devoir recourir à des impôts. C’est ce qui
découle, entre autres, de l’inversion de l’ordre des canons au cours des travaux de rédaction,
en plaçant les canons 1261 et 1262 après le canon 1260184
.
1) Les legs
Les legs sont des dispositions testamentaires mortis causa, par lesquels un fidèle cède à sa
mort la disposition de certains de ses droits patrimoniaux. L’intéressé doit avoir la capacité
juridique de léguer ses biens. L’acte correspondant doit être rédigé par écrit, c’est-à-dire
revêtir une certaine solennité juridique. Le légataire peut désigner un ou plusieurs exécuteurs
testamentaires appelés à assurer que les dispositions testamentaires sont régulièrement
observées.
2) Les offrandes à l’occasion des services pastoraux
Les fidèles sont amenés à verser une offrande à l’occasion de certaines cérémonies
religieuses, telles le baptême, le mariage et les funérailles ecclésiastiques. Ni taxe ni impôt185
,
180 Cf. D. Tirapu, sub c. 1261, ComEx, vol. IV/1, p. 73. 181 J. Hervada, Derecho Constitucional Canónico, Pampelune, Eunsa, p. (143). 182 A. Del Portillo, Fidèles et laïcs dans l’Église. Fondement de leurs statuts juridiques respectifs, Montréal, Wilson & Lafleur, coll. Gratianus, 2e éd. révisée et mise à jour, 2012, p.205. 183 « La responsabilité commune, dans la mission unique de l’Église, fait que nul ne peut se désintéresser des
besoins matériels que comporte l’exercice de cette mission, et que chacun doit contribuer à y subvenir
généreusement, dans la mesure de ses moyens » (A. Del Portillo, Fidèles et laïcs dans l’Église. Fondement de
leurs statuts juridiques respectifs, Montréal, Wilson & Lafleur, coll. Gratianus, 2e éd. révisée et mise à jour,
2012, p. 71. Cf. M. Calvi, « Commento ad un canone : Sovvenire alle necessità della Chiesa », QDE 2 (1989)
97-98. 184 Cf. Comm 12 (1980), p. 402 ; 16 (1984), p. 28-30. 185 Cf. Comm 12 (1980), p.403.
cette prestation est à mi-chemin entre l’offrande spontanée et l’offrande demandée. Le CIC 17
qualifiait cette rémunération des ministres de « droit d’étole » et la considérait comme une
taxe. Le CIC 83 parle d’offrande. C’est « une façon d’exprimer le désir de participer plus
activement à la célébration eucharistique et c’est aussi une manière de contribuer à la
communication des biens au sein de la communauté chrétienne »186
. Le canon 1264, 2° établit
qu’il appartient à l’assemblée des évêques de la province ecclésiastique de « fixer le montant
des offrandes à l’occasion de l’administration des sacrements et des sacramentaux »187
. Il ne
s’agit pas de « payer » ces services pastoraux, c’est pourquoi la norme dit « à l’occasion des
sacrements ». L’on ne peut pas refuser un sacrement ou un sacramentel à la personne qui ne
peut pas ou même ne veut pas donner d’offrande188
. En même temps, « la gratuité de la
célébration de ces actes liturgiques, tout comme la convenance du point de vue pastoral que
les fidèles fassent une offrande à l’Église à l’occasion des biens qu’ils en reçoivent » sont
évidentes189
. Acheter les sacrements ou les sacramentaux serait de la simonie pour laquelle
une peine de suspense ou d’interdit est prévue (c. 1380 CIC 83 ; c. 1461 CCEO). Le canon
848 interdit de demander plus que ce que l’autorité a établi, et celui « qui fait un gain
illégitime sur les offrandes de messes sera puni d’une censure ou d’une autre peine juste » (c.
1385).
L’intervention de l’assemblée des évêques de la province ecclésiastique a été voulue pour
assurer une certaine uniformité dans un même contexte territorial190
. Mais cette assemblée ne
fixe pas les frais pour les procès, ce qui revient à l’évêque (c. 1649).
Le canon 1181 précise, à propos des funérailles, qu’il ne faudra faire « aucune acception de
personnes », sous-entendu pour des raisons financières, et que l’on veillera « à ce que les
pauvres ne soient pas privés de funérailles convenables » pour les mêmes raisons191
.
Lorsque les services pastoraux qui génèrent ces offrandes sont des fonctions paroissiales, ce
qui est le cas le plus fréquent, ces offrandes sont considérées comme faites à la paroisse, sauf
volonté contraire du donateur (c. 531 CIC 83 ; c. 291 CCEO) (cf. chap. VI).
La distinction entre « taxes » au premier alinéa et « offrandes » au deuxième alinéa du canon a
été voulue en raison de la diversité des prestations auxquelles elles se réfèrent. Il est évident
qu’il n’était pas possible de fixer un prix pour les choses sacrées192
. Il convient également
d’habituer les fidèles à distinguer ce qui est ressources des prêtres et les actes de leur
ministère, surtout les actes sacramentels193
.
3) Les offrandes à l’occasion de la célébration de messes194
a) Les stips oblata. Les offrandes données à l’occasion de la célébration d’une messe sont un
cas à part. Le code traite la question aux canons 945-958195
, à propos de la très sainte
Eucharistie, dans le Livre IV sur la fonction de sanctification de l’Église. Il semble que
l’origine de cette offrande remonte à la coutume d’apporter, au moment de l’offertoire, les
186 Paul VI, m. p. Firma in traditione, 13 juin 1974, A.A.S. 64 (1974), p. 308-311. 187 En droit oriental, il revient à l’évêque éparchial « de déterminer, dans les limites fixées par le droit particulier
de son Église de droit propre, les […] offrandes à l’occasion de la Divine Liturgie, des sacrements, des
sacramentaux et de toute autre célébration liturgique, sauf autre disposition du droit commun » (c. 1013 § 1). 188 Cf. c. 848, 1181. 189 L. Navarro, « L’acquisto dei beni temporali. Il finanziamento della Chiesa », loc. cit., p. 51. 190 Cf. Comm 15 (1984), p. 30. 191 Le c. 878 § 1 prescrit, lui aussi, de ne pas faire acception de personnes. Le paragraphe deuxième du même
canon suggère que soient « reçues seulement les offrandes que les fidèles chrétiens offrent de leur propre gré ». 192 Cf. Comm 12 (1980), p. 403. 193 Cf. Comm 5 (1973), p. 95. 194 Cf. A. Perlasca, « Povertà consacrata e stipendi della sante Messa », QDE 15 (2002), p. 419-434 ; A. Rava,
« Commento a un canone. Trarre profitto illegittimo dall’elemosina della Mesa (can. 1385) », Ibid., p. 315-324 ;
T. Vanzetto, « L’offerta per l’applicazione della Santa Messa. Lineamenti storici », Ibid., p. 197-206. 195 Le CCEO est beaucoup plus restreint en la matière, réglée par les c. 715 et 716.
oblats nécessaire au saint sacrifice, le pain et le vin, et d’autres dons pour la subsistance du
clergé et l’aide aux nécessiteux196
. Ces offrandes, stips oblata, données par les fidèles pour
que « la messe soit appliquée à leur intention197
contribuent au bien de l’Église » et les fait
participer « à son souci pour le soutien de ses ministres et de ses œuvres » (c. 946).
C’est un « usage approuvé de l’Église » que « tout prêtre célébrant ou concélébrant la messe
peut recevoir une offrande » (c. 945 §1 CIC 83 ; c. 715 §1 CCEO). Il a l’obligation morale
d’appliquer la messe à l’intention qui lui a été indiquée, même si l’offrande a disparu sans
faute de sa part (c. 949). Les offrandes de messes ne sont pas soumises à la taxation de la part
de l’évêque198
.
b) La détermination du montant. Le montant de l’offrande est fixé par décret du concile
provincial ou de l’assemblée des évêques de la province ecclésiastique (c. 952 §1). Depuis
1992, en France l’assemblée des évêques donne un indication du montant des offrandes de
messe identique pour tout le territoire, à l’exception des départements concordataires. Les
prêtres se voient recommander vivement de célébrer la messe aux intentions des fidèles,
surtout de ceux qui sont dans le besoin », « même s’ils n’ont pas reçu d’offrande » (c. 945 §
2). Il ne leur est pas permis de demander une offrande supérieure au montant fixé, mais ils
peuvent l’accepter si elle leur est offerte spontanément (c. 952 § 1).
c) Une offrande par messe. Le principe général veut que l’on célèbre autant de messes que
l’on a reçu d’offrandes. En cas de binage ou de trinage, le prêtre peur accepter une offrande
pour chaque messe célébrée, tout en ne conservant que l’offrande d’une seule messe199
. En
revanche, « le prêtre qui concélèbre une deuxième messe le même jour ne peut sous aucun
prétexte recevoir une offrande à ce titre » (c. 951 § 2), à l’exception du jour de Noël (c. 951 §
1). Les offrandes excédentaires doivent être destinées aux fins établies par l’ordinaire200
. Mais
le prêtre peut accepter une rétribution à titre extrinsèque, telle que remboursement des frais de
déplacement, honoraires pour la prédication, etc. (c. 951 § 1).
L’ordinaire du lieu a le devoir et le droit de veiller à l’accomplissement des charges de messes
pour les églises du clergé séculier. Le supérieur a les mêmes devoir et droit pour les églises
des instituts religieux ou des sociétés de vie apostolique (c. 957). L’ordinaire doit contrôler les
registres correspondants (c. 958).
d) Les messes « collectives ». Un décret de la congrégation pour le Clergé tranche la question
des messes dites « collectives »201
. D’après la doctrine, ce décret répond, dans son aspect
formel, à l’article 18 § 2 de PB, c’est-à-dire qu’il acquiert une force législative à même de
modifier le canon 948, en raison de son approbation « en forme spécifique » par le Pontife
romain202
. La question a été étudiée à propos de la dimension juridique du sacré203
.
196 Les intérêts perçus sur les offrandes de messes ne doivent pas être utilisés pour des messes et deviennent des
biens ecclésiastiques de la paroisse, compris comme un revenu ordinaire de la paroisse et donc soumis à l’impôt
de l’évêque » (J. A. RENKEN, « The parochus as administrator of parish property », StCan 43 [2009] 500, notre
traduction). 197 L’expression semble imprécise, car le donateur fait souvent célébrer la messe à une autre intention que la
sienne propre. Le c. 945 § 1 parle à juste titre d’« intention déterminée ». 198 Cf. J. PASSICOS, « Rapports droit général et particulier : Une contribution diocésaine imposée aux paroisses
confiées à des religieux », AC 45 (2007) 114-117. 199 Cf. A. de Fuenmayor, « Sobre el destino de los estipendios de las misas binadas y trinadas », IC 28 (1988), p.
201-211. 200 L’ordinaire en question est l’ordinaire du célébrant, sauf pour les curés et les vicaires paroissiaux, auquel cas
il s’agit de l’ordinaire du lieu : cf. réponse du CPTL, 6 août 1987, CB 1778-1779. 201 Congr. pour le Clergé, décr. Mos iugiter, 22 février 1991, A.A.S. 83 (1991) 443-446. 202 Cf. D. J. Andrés, « De oblata stipe in sic dictis Missis communitariis seu de unione plurium fidelium
intentiones in unam tantum Missæ celebratione », Commentarium pro religiosis 68 (1987), p. 399-403 ; P.
4) Les pieuses volontés
a) Nature
b) Exécution
c) Substitution fiduciaire
A) Nature des pieuses volontés204
. Par pieuse volonté l’on entend communément toute
disposition de biens réalisée par un acte inter vivos ou mortis causa « en faveur d’une cause
pieuse, c’est-à-dire pour une fin propre de l’Église », autrement dit « surnaturelle »205
. Les
pieuses volontés peuvent consister en libéralités, envisagées aux canons 1300-1302 (c. 1044-
1046 CCEO), qui accroissent directement le patrimoine d’une personne juridique déjà
existante, ou en fondations pieuses, qui comportent des charges imposées au bénéficiaire par
le donateur, d’ordre spirituel ou caritatif. Les causes pieuses peuvent être ecclésiastiques ou
laïques, les premières correspondant au canon 1257 § 1 sur les biens ecclésiastiques des
personnes juridiques publiques, soumises aux normes du Livre V ; les secondes concernant
des biens qui, « tout en étant destinés à une fin pieuse, sont confiés à une personne physique
ou à une personne juridique privée et donnent vie à celle-ci »206
.
Nous commençons donc par les pieuses volontés en général, avant d’aborder l’étude des
fondations pieuses.
a) Les pieuses volontés en général. Le devoir fondamental du canon 222 § 2 dont, nous
l’avons vu, l’évêque diocésain doit urger l’application (c. 1261 § 2), s’accompagne du
principe posé par le canon 1299 § 1 : « Qui peut disposer librement de ses biens en vertu du
droit naturel et du droit canonique207
peut laisser ses biens pour des causes pies, par acte entre
vifs ou pour cause de mort. » Le respect et du droit naturel et du droit canonique qui
l’explicite, a pour conséquence que les causes pies établies par celui qui est atteint par une
incapacité ou une interdiction purement civile seront valides si elles sont protégées par le droit
naturel ou par le droit canonique208
. La norme du canon 1299 § 1 est une mise en pratique des
vertus de religion et de charité. La personne doit évidemment pouvoir disposer de ses biens à
sa guise, ce qui suppose qu’elle remplit au préalable des obligations de droit naturel telle
qu’assurer l’avenir matériel de sa famille. Cette libre disposition peut être modifiée par la
condition juridique de l’intéressé, comme dans le cas d’un mineur ou d’un membre d’institut
religieux.
La question se pose de savoir si un mineur possédant l’usage de la raison peut disposer de ses
biens. L’on peut estimer que les limites apposées par le droit civil sont une explicitation du
droit naturel et que, en l’absence d’une précision canonique, il faut les respecter en droit
canonique. Le mineur reste toutefois soumis à la puissance parentale et à celle des tuteurs
éventuels dans l’exercice de ses droits.
Des non catholiques sont fondés à donner des biens pour des causes pies, mais l’élément à
prendre en compte pour que cette disposition puisse être considérée comme pieuse est
Gefaell, « A proposito del decreto sulle Messe plurintenzionali ‘collectivam’ celebratis iuxta Decretum ‘Mos iugiter’ », Per 80 (1991), p. 579-608 ; T. Rincón-Pérez, « El decreto de la Congregación para el Clero sobre
acumulación de estipendios (22-II-1991), IC 31 (1991), p. 628-640. 203 Cf. D. Le Tourneau, La dimension juridique du sacré, op. cit., n° 263, p. 312-313. 204 Cf. F. Falchi, « Le pie volontà », I beni temporali della Chiesa, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana,
Studi Giuridici L, 1999, p. 163-221. 205 V. De Paolis, I beni temporali della Chiesa, Bologne, 1995, p. 224. 206 F. Falchi, « Le pie volontà », loc. cit., p. 168. 207 Ce qui n’exclut pas une référence au droit civil si besoin est dans certains cas. 208 A. de Fuenmayor, cité par J. M. Vázquez García-Peñuela, sub c. 1299, ComEx, vol. IV/1, p. 178.
l’intention juridique manifestée au for externe, non la simple intention morale ou interne209
.
Rien n’interdit que des personnes juridiques, aussi bien ecclésiastiques que civiles, procèdent
à des causes pies, pourvu qu’elles le fassent par le truchement de leurs organes légitimes.
Ajoutons que les membres des instituts religieux ne peuvent disposer de leurs biens temporels
sans la permission de leur supérieur compétent (c. 668 § 2 CIC 83 ; c. 529 § 4 CCEO).
Le § 2 du même canon 1299 dispose que, « dans les dispositions pour cause de mort en faveur
de l’Église, les formalités juridiques du droit civil seront autant que possible observées ; si
elles ont été omises, les héritiers doivent être avertis de l’obligation à laquelle ils sont tenus
d’accomplir la volonté du testateur ». Que faut-il entendre ici par « Église » ? Le canon 1258
précise qu’habituellement « sous le terme d’Église, on entend non seulement l’Église tout
entière ou le Siège Apostolique, mais aussi toute personne juridique publique dans l’Église ».
La doctrine est d’avis que le terme « Église » est encore plus étendu dans le canon 1299 § 2,
en ce qu’il a « simplement le sens d’offrande faite pour une fin pieuse ou une cause pieuse,
même s’il ne s’agit pas d’une personne juridique »210
.
Les héritiers doivent être informés (moneri debent) de leurs obligations d’exécuter les
dispositions testamentaires, même si elles sont invalides en droit civil. L’on tiendra cependant
compte des circonstances, et si cela se révèle inutile ou dommageable, l’on omettra cette
information. Les normes des canons 1299-1302 affirment la priorité des lois canoniques sur celles de l’État
en matière de pieuses volontés, l’intention des donateurs étant d’ordre surnaturel, puisque
motivée par les fins du canon 1254 § 2 (c. 1007 § 2 CCEO).
b) Les éléments d’une pieuse volonté. Toute volonté pieuse comporte trois éléments :
a) l’intention du donateur ; b) le but de l’offrande, à savoir des œuvres religieuses ou de
charité chrétienne ; c) le destinataire, personne juridique publique agissant « au nom de
l’Église » (c. 116 § 1). Ceci n’exclut nullement que le donateur soit éventuellement non
catholique, non baptisé ou même athée, du moment qu’il entend soutenir une œuvre sociale
dont il fait siens les objectifs.
1) La pia voluntas du fidèle peut : a) soit constituer une institution patrimoniale nouvelle,
b) soit apporter des biens à une personne juridique déjà existante, constituant ainsi la
fondation pieuse sur laquelle nous reviendrons.
Sauf indication contraire, « les offrandes faites aux supérieurs ou aux administrateurs de toute
personne juridique ecclésiastique, même privée, sont présumées faites à la personne juridique
elle-même » (c. 1267 § 1 CIC 83 ; c. 1016 § 2 CCEO), non au supérieur ou à l’administrateur
lui-même. C’est une présomption de droit, qui admet donc la preuve contraire. C’est ainsi, par
exemple, qu’une offrande remise au curé est destinée à la paroisse, non à son usage personnel
( c. 531 CIC 83 ; c. 291 CCEO). Les offrandes faites à une église qui est à la fois paroissiale
et capitulaire sont présumées faites à la paroisse (c. 510 § 4).
Cette norme ne concerne pas les associations privées de fidèles qui n’ont pas été dotées de
personnalité juridique (c. 322 § 1). Mais elles sont soumises à la vigilance de l’autorité
ecclésiastique (c. 323 § 1), qui doit donc veiller « à ce que les biens soient employés aux buts
de l’association » (c. 325 § 1).
2) Une juste cause pour la refuser. Celui qui reçoit une offrande ne peut la refuser, « si ce
n’est pour une juste cause et, dans les affaires importantes, avec la permission de l’ordinaire
s’il s’agit d’une personne juridique publique » (c. 1267 § 2). La « juste cause » porte sur la
provenance licite des biens, la bonne foi du donateur, la destination qu’il leur donne qui peut
209 J. M. Vázquez García-Peñuela, sub c. 1299, ComEx, vol. IV/1, p. 179. 210 V. Rovera, « I beni temporali della Chiesa », La normativa del nuovo codice, a cura di E. Cappellini, Brescia,
2e éd., 1995, p. 292.
excéder la capacité de gestion du bénéficiaire, la nature et la représentation figurative de la
chose, etc.211
Avant d’accepter un don, surtout s’il est immobilier, il sera prudent que le
bénéficiaire prenne conseil auprès de l’économe diocésain ou de celui de l’institut de vie
consacrée. Le refus d’une offrande est considéré comme dépassant le cadre de
l’administration ordinaire. La non observation des conditions mises au refus par ce canon
entraînerait l’obligation de réparer les dommages causés (c. 128 CIC 83 ; c. 935 CCEO).
3) Le rôle de l’ordinaire. L’ordinaire est l’exécuteur de toutes les pieuses volontés, entre vifs
ou pour cause de mort (c. 1301 § 1 CIC 83 ; c. 1045 § 1 CCEO) ; il lui revient donc d’éviter
tout refus inconsidéré d’une pieuse volonté. L’on tiendra compte de la nature de l’offrande et
de la capacité du bénéficiaire d’y faire face, par exemple dans le cas où il y aurait donation
d’un bâtiment. Son rôle est indépendant de la volonté du testateur : il découle de la loi elle-
même.
L’ordinaire doit donner sa permission pour accepter des biens « grevés d’une charge modale
ou d’une condition », sous réserve des dispositions du canon 1295, qui portent sur le respect
des normes en matière d’aliénation de biens ecclésiastiques ou de risque de voir s’amoindrir
la situation patrimoniale d’une personne juridique (c. 1267 § 2 CIC 83 ; c. 1016 § 3 CCEO).
La raison est la même que pour le canon 1281 § 1 (c. 1024 § 1 CCEO) sur les actes dépassant
l’administration ordinaire.
Au nombre des charges peut figurer l’obligation de célébrer des messes au titre d’une
fondation pieuse non autonome, dont nous verrons qu’elle doit être acceptée par l’ordinaire.
Certaines conditions grevant la pieuse volonté peuvent être trop lourdes pour le bénéficiaire,
comme, par exemple, le don d’une propriété en viager à charge d’entretenir les propriétaires
jusqu’à leur décès212
.
4) Le respect de la finalité. « Les offrandes faites pour une fin déterminée ne peuvent être
affectées qu’à cette fin » (c. 1016 § 1 CCEO ; c. 1267 § 3 CIC 83)213
. C’est-à-dire que la
destination des biens fixée par le donateur doit être respectée scrupuleusement, y compris
dans les modalités qu’il a pu préciser le cas échéant. Cette disposition veut éviter les conflits
éventuels quant à la destination des offrandes, sur laquelle divers canons se prononcent :
offrandes faites à une église qui est à la fois paroissiale et capitulaire (c. 510 § 4), offrande
faite à l’occasion d’une fonction paroissiale réalisée par quelqu’un d’autre que le curé (c. 531
CIC 83 ; c. 291 CCEO), offrandes versées au vicaire à l’occasion de son ministère pastoral (c.
551).
Encore faut-il que la pieuse volonté respecte les canons auxquels il n’est pas permis de
déroger et qu’elle ait été acceptée. Le canon 1300 (c. 1044 CCEO) précise que « les volontés
des fidèles qui donnent ou laissent leurs biens pour des causes pies par acte entre vifs ou pour
cause de mort, une fois légitimement acceptées214
, seront très soigneusement –
diligentissime - exécutées, même en ce qui concerne le mode d’administration et d’utilisation
des biens », sous réserve du canon 1301 § 3 (c. 1045 § 3 CCEO) qui déclare nulles et non
avenues les clauses contraires au droit de l’ordinaire de veiller à l’exécution des pieuses
volontés. C’est-à-dire que le donateur ne peut s’opposer au principe hiérarchique qui structure
l’Église en tant que communauté de fidèles « constituée et organisée en ce monde comme une
société » (c. 204 § 2 CIC 83 ; c. 7 § 2 CCEO), mais qu’il doit respecter le devoir fondamental
211 Cf. D. Tirapu, sub c. 1267, ComEx, vol. IV/1, p. 90. 212 Voir d’autres cas dans J.-C. Périsset, Les biens temporels de l’Église, op. cit., p. 112. 213 Cf. les c. 121, 122, 123, 326 § 2, 531, 6216 § 1, 706, 3°, 954, 1267 § 3, 1284 § 2, 3°, 1300, 1302 § 1, 1303 §
2,1304 § 1, 1307 § 1, 1310 § 2. Cf. E. Zanetti, « I fedeli e i beni ecclesiastici : alcune domande », QDE 4 (1991),
p. ; J. A. Renken, « The parochus as administrator of parish property », StCan 43 (2009) 497. 214 Cf., pour cette incise, Comm 5 (1973), p. 102.
de la communion (c. 209 CIC 83 ; c. 8 CCEO)215
. Toute clause visant à annuler le droit de
visite de l’ordinaire qui serait apposée comme une condition sine qua non serait nulle en
raison d’un vice irrémédiable du consentement. Bien que ce paragraphe 3 du canon 1301
envisage cette clause à propos des dernières volontés, il est prudent d’appliquer cette
disposition aussi aux pieuses volontés inter vivos.
L’adverbe diligentissime souligne que l’accomplissement de la pieuse volonté est une
question de stricte justice.
5) Deux principes. Cette norme établit deux principes : d’une part, le don qu’un fidèle entend
effectuer au profit d’une personne ecclésiastique juridique doit être accepté légitimement par
celle-ci et, d’autre part, une fois accepté, il engage le bénéficiaire à respecter la volonté du
donateur, non seulement quant à l’administration des biens mais aussi quant à leur utilisation.
La volonté du donateur porte non seulement sur la détermination de la part de biens qui
doivent être pris dans son patrimoine et de la fin à laquelle elle est destinée, mais aussi sur la
façon de l’administrer et de l’investir. En effet, le donateur peut exprimer sa volonté que les
biens soient employés non seulement pour les fins spécifiques de la personne juridique à
laquelle il les remet, mais aussi pour des fins différentes, en tout ou en partie, auquel cas il
s’agit d’une fiducie (c. 1302 CIC 83 ; c. 1046 CCEO), dont nous occuperons plus avant.
S’il fallait procéder à la fusion d’ensemble de personnes ou de choses, il faudrait respecter
« en ce qui concerne la destination des biens et l’accomplissement des charges, la volonté des
fondateurs et des donateurs, ainsi que les droits acquis » (c. 121).
Le devoir de l’administrateur d’accomplir ses fonctions « au nom de l’Église » (c. 1282), en
« bon et fidèle administrateur » (c. 1283, 1°) et en observant les dispositions imposées par le
fondateur ou le donateur (c. 1284 § 2, 3° CIC 83 ; c. 1228 § 2, 3° CCEO). Ce devoir de
l’administrateur répond au devoir fondamental des fidèles de subvenir aux besoins de l’Église
(c. 222 § 1 CIC 83 ; c. 25 §1 CCEO), dont il convient de favoriser l’accomplissement par une
saine gestion.
B) L’exécution des pieuses volontés
a) L’ordinaire, exécuteur-né. La régulation canonique des causes pies s’appuie sur deux
principes fondamentaux : le respect de la volonté du donateur, d’une part, et, de l’autre, la
vigilance de l’ordinaire sur l’exécution des pieuses volontés que détermine le canon 1301 (c.
1045 CCEO).
L’ordinaire est l’exécuteur-né de toutes les pieuses volontés (c. 1301 § 1 CIC 83 ; c. 1045 § 1
CCEO), et doit veiller à leur exécution (c. 1302 § 2). Par ordinaire, on entend ceux
qu’énumère le canon 134 § 1 (c. 984 § 1 & 3 CCEO), à savoir l’évêque diocésain et ceux qui
lui sont équiparés en droit, les vicaires généraux et épiscopaux, et ceux qui possèdent le
pouvoir exécutif ordinaire pour leurs sujets, c’est-à-dire les supérieurs majeurs des instituts
religieux cléricaux et des sociétés cléricales de vie apostolique de droit pontifical. Si la pieuse
volonté n’est effectuée en faveur d’aucune institution existante, mais qu’elle consiste à en
fonder une nouvelle, l’ordinaire chargé de son exécution sera celui qui a la juridiction sur la
nouvelle personne juridique.
L’ordinaire est l’exécuteur éminent, ce qui n’empêche pas le donateur de désigner d’autres
exécuteurs, qui peuvent être les héritiers ou les légataires. Dans ce cas, « de droit, l’ordinaire
peut et doit veiller, même par une visite, à l’exécution des pieuses volontés, et les autres
exécuteurs sont tenus de lui en rendre compte après s’être acquittés de leur mission » (c. 1301
§ 2 CIC 83 ; c. 1405 § 2 CCEO). Il détient donc un droit de vigilance, uniquement sur le
215 Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, nos 76-88.
bénéficiaire. L’ordinaire a donc le pouvoir de surveiller la mise en œuvre des volontés pieuses
par les personnes juridiques qui lui sont soumises, même si le donateur n’est pas son sujet. Ce
pouvoir et devoir de vigilance est expressément mentionné à propos des charges de messes (c.
957). Il devra nommer un exécuteur dans le cas du décès ou du refus de l’exécuteur ou des
exécuteurs testamentaires. Il devra le nommer si le donateur a omis de le faire. Il est
également appelé à le démettre de ses fonctions si, après avertissement, il continue de négliger
d’accomplir sa tâche.
b) En cas de négligence de l’administrateur. Si l’exécuteur ou les exécuteurs négligent
d’accomplir leur charge, l’ordinaire urgera l’exécution de la libéralité. L’exécution n’est pas
aveugle, en ce sens qu’elle doit tenir compte de la situation réelle, notamment des
changements sociaux et financiers qui peuvent intervenir, et qui ont des répercussions sur le
patrimoine constitué par la cause pieuse. Il y aura lieu alors de procéder à la réduction, la
modération et la commutation des volontés des fidèles pour les causes pies, dont s’occupe le
canon 1310 (c. 1054 CCEO), que verrons plus avant.
L’exécuteur doit respecter les délais éventuellement fixés. En l’absence de toute précision,
l’on s’en tiendra au droit civil. Si la pieuse volonté consiste à créer une fondation pieuse
autonome, l’exécuteur doit suivre les indications de la lettre de fondation jusqu’à ce que la
fondation soit constituée et dotée de ses organes de gouvernement. S’il s’agit d’une fondation
pieuse non autonome, l’exécuteur doit recueillir le consentement de la personne juridique
bénéficiaire.
c) Les facultés de l’administrateur. Dans les limites de l’administration ordinaire, il est permis
à l’administrateur d’une cause pie « de faire des dons sur les biens mobiliers qui
n’appartiennent pas au patrimoine stable, pour des buts de piété ou de charité chrétienne » (c.
1285)216
. Que les causes pies puissent contribuer à la piété ou à la charité est une bonne chose.
Mais deux limites y sont apportées : a) ne concerner que les biens mobiliers ; b) ne pas porter
sur le patrimoine stable de la personne juridique. De plus ces dispositions doivent relever de
l’administration ordinaire, sous peine d’invalidité (c. 1281 § 1 CIC 83 ; c. 1024 § 1 CCEO).
Ces dons ne doivent pas non plus amoindrir le patrimoine stable de la personne (c. 1295 CIC
83 ; c. 1042 CCEO). En outre ils doivent remplir les conditions des canons 1291-1294 (c.
1035-1041 CCEO) sur l’aliénation.
C) La substitution fiduciaire
a) Notion de fiducie. La pieuse volonté fiduciaire consiste en la présence d’une charge
confidentielle que quelqu’un, le fiduciant, réalise en faveur d’une personne, le fiduciaire, pour
qu’il destine à des causes pies des biens qu’il lui a transmis. Le fiduciaire devient titulaire de
ces biens, mais son titre est limité par l’obligation personnelle qu’il a contractée envers le
fiduciant. Le fiduciaire n’acquiert donc pas ces biens pour lui mais pour autrui.
La fiducie est une libéralité faite à une personne, le fiduciaire, à charge pour elle de la
transmettre à une cause pie. Le fiduciaire acquiert les biens, non pour lui-même, mais pour un
autre. Il en est le titulaire réel jusqu’à ce qu’ils les ait transmis selon la charge qui lui a été
faite.
b) Quand peut-elle exister ? La substitution fiduciaire peut intervenir entre vifs ou pour
cause de mort. « La personne qui a reçu fiduciairement par acte entre vifs ou par testament
216 Le CCEO est plus directif en ce sens qu’il interdit les dons sur les biens mobiliers n’appartenant pas au
patrimoine stable, « excepté des dons modestes selon une coutume légitime, si ce n’est pour une cause juste de
piété ou de charité » (c. 1029).
des biens pour des causes pies doit informer l’ordinaire de sa fiducie, et lui indiquer tous les
biens meubles et immeubles qu’il a reçus, avec les charges dont ils sont grevés » (c. 1302 § 1
CIC 83 ; c. 1046 § 1 CCEO). S’il peut l’informer oralement, il est sans doute préférable qu’il
le fasse par écrit, en dressant un inventaire des biens et des charges. Aucun délai n’est précisé
pour ce faire, mais il le fera néanmoins diligentissime, selon l’esprit du canon 1300 (c. 1044
CCEO), ce qui peut se traduire par le plus tôt possible. L’ordinaire à informer est celui du lieu
où le bénéficiaire est domicilié.
La formulation « la personne qui… » manque de rigueur. En effet, il eût été préférable de dire
« le fidèle qui… », étant donné que la personne qui reçoit des biens pour des causes pies ne
peut être qu’un fidèle de l’Église catholique latine ou d’une Église orientale, selon le code
concerné. La norme ne concerne en effet pas celui qui n’a pas été baptisé, qui n’a pas été reçu
dans l’Église catholique, ni celui qui l’a quittée, car les obligations et les droits propres aux
chrétiens s’appliquent à ceux qui sont dans la communion de l’Église (c. 96).
c) Le rôle de l’ordinaire. Une fois informé, l’ordinaire « doit exiger que les biens reçus
fiduciairement soient placés de façon sûre, et veiller à l’exécution des pieuses volontés » (c.
1302 § 1 CIC ; c. 1046 § 2 CCEO), en sa qualité d’exécuteur de toutes les pieuses volontés »
(c. 1301 § 1 CIC 83 ; c. 1405 § 1 CCEO). Il s’agit évidemment des biens meubles. Tout
changement du placement doit être effectué avec l’autorisation de l’ordinaire. Le fiduciaire
devra lui rendre compte de sa gestion.
Le système de la fiducie est utilisé pour éviter l’imposition fiscale qui frappe la transmission
directe de biens, ou pour éviter la confiscation de biens ecclésiastiques dans des périodes de
persécution. La fiducie, comme le nom l’indique, suppose que la personne est de confiance,
car elle peut disposer des biens autrement que selon les termes de la fiducie. Le risque existe
aussi qu’elle meurt avant de l’avoir exécutée.
Relevons que le choix de l’ordinaire ne dépend pas de la personne du fiduciaire ni directement
du donateur, mais du domicile ou de la condition canonique du bénéficiaire. L’intention du
donateur est donc décisive, puisqu’elle détermine le bénéficiaire de la pieuse volonté et, par
voie de ricochet, l’ordinaire.
d) Le refus de la fiducie. Le fiduciaire doit refuser la fiducie si elle comporte une clause
interdisant « de façon expresse et absolue » l’information de l’ordinaire prévue par le droit et
son droit de vigilance (c. 1302 § 1 CIC 83 ; c. 1046 § 1 CCEO), même si cette clause ne rend
pas la fiducie nulle et non avenue. Si le fiduciaire l’a malgré tout acceptée, par ignorance ou
pour toute autre cause, son acceptation est valide, puisque le canon ne comporte pas de
sanction expresse d’invalidité de l’acte, comme dans le cas de l’acceptation d’une fondation
sans l’autorisation de l’ordinaire (c. 1304 § 1 CIC 83 ; c. 1048 § 2 CCEO).
e) Le renvoi au droit civil. Le canon 22 (c. 1504 CCEO) établit le principe de la
« canonisation » du droit civil, sous deux conditions : que les lois civiles ne soient pas
contraires au droit divin et qu’il n’existe pas une norme de droit canonique en la matière,
laquelle l’emporterait sur la norme civile. Le canon 1290 prévoit explicitement que la preuve
par témoins, du canon 1547, est admise dans tous les procès, ce que certains ordres juridiques
civils ne reconnaissent pas.
Dans les pieuses volontés pour cause de mort en faveur de l’Église (in bonum Ecclesiæ), « les
formalités juridiques du droit civil seront autant que possible observées ». A défaut de l’être,
les héritiers seront avertis de leur obligation « d’accomplir la volonté du testateur » (c. 1299 §
2 CIC 83 ; c. 1043 § 2 CCEO). Mais l’Église n’a aucun moyen de les y contraindre, et
l’obligation en question n’est pas exigible devant la juridiction civile. Elle doit effectuer ce
rappel, même par écrit, mais ne peut ainsi qu’en appeler à la conscience des héritiers. Elle le
fera même si elle prévoit que le rappel sera inefficace ou mal accueilli. Ce respect du droit
civil ne sera pas toujours possible, c’est pourquoi il n’est pas rendu obligatoire, mais
simplement souhaité : « autant que possible », dit le texte.
L’expression in bonum Ecclesiæ doit être interprétée comme faisant référence à toute bonne
œuvre ou toute bonne cause.
Pour les actes entre vifs, même si le renvoi au droit civil n’est pas explicite, il semble découler
directement du canon 1290 (c. 1234 CCEO). Des actes qui ne respecteraient pas les formalités
du droit civil ne seraient probablement pas valides.
5) Les fondations pieuses
a) Généralités217
. Les fondations pieuses sont un autre type de pieuses volontés, qui se
caractérisent par le fait que les effets produits par l’acte de disposition soit sont permanents
soit sont indéfinis, ce qui se produit par l’inscription d’un patrimoine à une fin pieuse. Les
fondations pieuses sont définies au canon 1303 (c. 1047 CCEO) et se divisent en deux
catégories, alors que le CIC 17 les assimilait toutes à un contrat synallagmatique du genre do
ut facias et ne devenaient jamais une personne juridique. Les fondations comportent comme
éléments : a) un ensemble de choses ou de biens à même de satisfaire pendant un certain
temps des finalités religieuses données ; b) que les biens temporels puissent être licitement
transférés ou livrés ; c) une volonté fondatrice pour une finalité précise déterminée par la
volonté du fondateur, qui doit être éminemment ecclésiastique, une fondation purement
philanthropique étant exclue ; d) une organisation particulière de la disposition des biens en
question (investissement, gestion, administration, etc.), organisation qui varie selon que l’on a
affaire à une fondation autonome ou à une fondation non autonome ; e) la masse patrimoniale
de doit pas être nécessairement remise à une personne juridique ecclésiastique : elle peut être
érigée en personne juridique, publique ou privée, indépendante (fondation pieuse autonome),
ou être remise à une personne juridique ecclésiastique déjà existante (fondation pieuse
autonome), à charge de réaliser des fins déterminées ; f) l’érection par l’autorité
ecclésiastique compétente dans le cas d’une fondation pieuse autonome. Dans le cas de la
fondation autonome, c’est le fondateur qui prévoit l’organisation de la fondation pieuse, qui
est établie ex novo et doit recevoir la personnalité juridique. Dans le second cas, celui de la
fondation non autonome, la fondation s’appuie sur une personne juridique déjà existante pour
accomplir les fins déterminées par le fondateur218
.
Il existe deux sortes de fondations pieuses : a) les fondations pieuses autonomes et b) les
fondations pieuses non autonomes. Dans l’un et l’autre cas, la volonté du donateur est
première quant à l’offrande et à son utilisation.
b) Les fondations pieuses autonomes. Les fondations pieuses autonomes sont
des « ensembles de choses affectées aux buts dont il s’agit au canon 114 § 2 – les œuvres de
piété, d’apostolat et de charité spirituelle ou temporelle – érigés en personne juridique par
l’autorité ecclésiastique compétente »219
. La déclaration de volonté qui donne lieu à la
fondation peut se réaliser par un acte inter vivos ou par un acte mortis causa. Cet acte de
fondation doit préciser non seulement les biens qui la dotent et les fins pour lesquelles elle est
constituée, mais aussi son mode d’organisation, et ce, d’ordinaire, par le biais des statuts. Les
statuts de cette personne juridique devront être approuvés par l’autorité compétente (c. 117
217 Cf. P. G. Marcuzzi, S.D.B., « Le fondazione pie », I beni temporali della Chiesa, Cité du Vatican, Libreria
Editrice Vaticana, Studi Giuridici L, 1999, p. 223-262. 218 Cf. F. Aznar Gil, La administración de los bienes temporales de la Iglesia, op. cit., p. 145. 219 Le CCEO précise l’autorité compétente : « Les fondations pieuses autonomes ne peuvent être érigées que par
l’évêque éparchial ou par une autre autorité supérieure » (c. 1048 § 1).
CIC 83 ; c. 922 § 1 CCEO).
Les fondations autonomes sont donc dirigées « selon le droit et les statuts, par une ou
plusieurs personnes physiques, ou par un collège » (c. 115 § 3). L’intervention essentielle de
l’autorité ecclésiastique consiste en un acte distinct de l’approbation, qui est l’acte d’érection
de la fondation pieuse, par lequel le patrimoine destiné et organisé acquiert la personnalité
juridique. L’acte d’érection a donc valeur constitutive. Il ne peut être refusé que pour les
motifs indiqués au canon 114 § 3 (c. 921 § 3 CCEO), à savoir si la fondation ne répond pas à
une « fin réellement utile » ou si elle ne dispose pas de moyens suffisants.
Le décret d’érection doit préciser si la personne juridique ainsi créée est privée ou publique,
ce qui correspond à la volonté du ou des fondateurs. Les biens en question doivent, au moins
dans leur majorité, être stables, générateurs de revenus. Seules les fondations pieuses
autonomes jouissent de la personnalité juridique au sens du canon 114 § 2 et présentent donc
la caractéristiques d’être perpétuelles (c. 120 § 1 CIC 83 ; c. 927 § 1 CCEO). Elles peuvent
être publiques ou privées.
Le canon ne dit rien de l’extinction de la fondation pieuse autonome. Il faudra donc s’en tenir
à ce qui est disposé au canon 120 § 1 (c. 927 § 1 CCEO), après l’affirmation du principe
général qu’une personne juridique « est, par sa nature, perpétuelle ».
c) Les fondations pieuses non autonomes. Les fondations pieuses non autonomes sont
constituées par « des biens temporels donnés de quelque façon que ce soit à une personne
juridique publique, à charge pour elle d’en employer les revenus annuels pour faire célébrer
des messes et remplir d’autres fonctions ecclésiastiques déterminées, ou poursuivre les fins
dont il s’agit au canon 114 § 2, et cela pendant un temps assez long dont la durée sera fixée
par le droit particulier » (c. 1303 § 1, 2°). La personne juridique est préexistante. La
conséquence en est que ces fondations non autonomes ne sont pas elles-mêmes des personnes
juridiques.
Le fait que les biens sont donnés « de quelque façon », quoque modo, veut dire qu’ils peuvent
l’être par un acte inter vivos ou mortis causa.
Contrairement au CIC 17, elles ne peuvent donc pas être perpétuelles, en raison des
problèmes soulevés par l’appauvrissement progressif de ce genre de fondations avec
l’écoulement du temps, aggravé par les périodes d’instabilité monétaire, qui ont été
fréquentes, et parfois dramatiques, au XXe siècle.
La norme distingue les fondations pieuses non autonomes destinées à faire célébrer des
messes de celles qui visent à accomplir une des finalités du canon 114 § 2.
Les fondations pieuses non autonomes comportent cinq éléments220
: a) elles sont relatives à
une autre personne juridique et ne peuvent être faites qu’auprès d’une personne juridique
publique, qu’elle soit composée de personnes (un chapitre, une association de fidèles, etc.), de
choses (un lieu sacré), ou mixtes (paroisse, institut religieux) ; b) le mode de donation est
libre, « de quelque façon que ce soit », dit le canon 1303 § 1, 2° (c. 1047 § 1, 2° CCEO), par
actes entre vifs ou mortis causa (c. 1300 CIC 83 ; c. 1044 CCEO), ou par fiducie (c. 1302 CIC
83 ; c. 1046 CCEO) ou directement ; c) la personne juridique publique bénéficiaire doit
utiliser les biens reçus selon la volonté du donateur (c. 1300) ; d) ces charges sont d’abord des
actes de culte, messes ou « d’autres fonctions ecclésiastiques »221
, mais ce peut être aussi des
« œuvres de piété, d’apostolat, de charité spirituelle ou temporelle » (c. 114 § 2) ; e) le droit
particulier doit établir une certaine durée d’utilisation des revenus pour les charges fixées,
220 Cf. J.-C. Périsset, Les biens temporels de l’Église, op. cit., p. 244. 221 Le code indique ici ou là diverses fonctions ecclésiastiques : fonctions pontificales (c. 408 CIC 83 ; c. 216
CCEO), capitulaires (c. 510 § 3), paroissiales (c. 510 § 3, 558, 560 CIC 83 ; c. 306 § 1, 307 CCEO), des
fonctions liturgiques (c. 503, 567 § 2), sacrées (c. 436 § 3, 561, 562 CIC 83 ; c. 308, 309 CCEO) ou religieuses
(c. 555 § 1, 3° CIC 83 ; c. 278 § 1, 3° CCEO).
évoquée comme étant « un temps assez long ».
d) Les conditions de constitution d’une fondation pieuse.
1) L’autorisation de l’ordinaire. Les conditions de constitution concernent les fondations
pieuses non autonomes, puisqu’il revient à l’autorité ecclésiastique d’ériger les fondations
pieuses autonomes.
Une personne juridique ne peut accepter une fondation pieuse qu’après avoir reçu
l’autorisation écrite de l’ordinaire du lieu. Cette autorisation est requise pour la validité. Elle
peut être générale et antécédente, par exemple inscrite dans l’approbation des statuts ou de
l’acte de fondation. Si les circonstances ont changé, une approbation spécifique et particulière
sera alors nécessaire.
Par application du principe de subsidiarité, l’ordinaire et le droit particulier contrôlent
l’érection des fondations pieuses et la législation y afférente, conformément aux canons 1267
§ 2 et 1295 (c. 1016 § 3 et 1042 CCEO), ainsi qu’au devoir général de vigilance de l’ordinaire
(c. 1276 CIC 83 ; c. 1022 CCEO).
Cette autorisation ne concerne que les fondations pieuses non autonomes, et seule une
personne juridique publique peut accepter une fondation, qui est nécessairement non
autonome.
L’ordinaire ne la donnera qu’après s’être assuré que la personne juridique peut s’acquitter de
cette charge en plus de celles qu’elle remplit déjà et que les revenus de la fondation
correspondent exactement aux charges dont elle est grevée, selon la coutume de chaque lieu
ou région (c. 1304 § 1 CIC 83 ; c. 1048 § 2 CCEO). Autrement dit, l’ordinaire doit s’assurer
de deux points : a) la capacité de la personne juridique d’assumer les obligations de la
fondation, compte tenu des charges qu’elle remplit déjà et b) la capacité financière de la
fondation de couvrir ces obligations, selon la coutume de chaque lieu. Toutefois, si les
revenus ne suffisent pas à remplir les charges de la fondation, l’ordinaire peut procéder au
préalable à une réduction des charges, selon les canons 1308-1310 (c. 1052-1054 CCEO),
puis accorder l’autorisation. Selon le CIC 83, l’autorisation est requise ad validitatem.
Cette norme ne vise pas les fondations de messes, comme cela se déduit du canon 1307 (c.
1051 CCEO), qui mentionne un registre spécial pour les charges de messes, distinct de celui
des autres fondations pieuses.
2) Le refus de la fondation. La personne juridique destinataire peut refuser la fondation, par
exemple si les fins indiquées pour l’emploi des biens ne sont pas conformes à celles de la
personne juridique. Mais comme ces biens sont destinés d’une certaine façon à l’Église, il
sera raisonnable de consulter d’abord l’ordinaire pour que le refus ne soit pas dommageable
au patrimoine ecclésiastique.
Il appartient au droit particulier de déterminer les autres conditions de constitution et
d’acceptation des fondations (c. 1304 § 2 CIC 83 ; c. 1048 § 3). Ceci s’applique aussi aux
fondations pieuses autonomes, et permet une plus grande souplesse de la personne juridique
qui peut ainsi s’adapter à des conditions socio-économiques particulières, ainsi qu’aux
diverses législations civiles nationales.
3) Les annotations juridiques. Toute fondation, autonome ou non autonome, même faite de
vive voix, sera consignée par écrit (c. 1306 § 1). Autrement dit, la fondation peut être faite
oralement, et elle est alors valide. Cette condition n’est donc pas requise pour la validité, mais
c’est une mesure de prudence qui fournit un moyen de preuve et permet d’avoir une claire
détermination des charges. La mise par écrit semble s’imposer surtout dans le cas d’une
fondation que l’ordinaire doit autoriser par écrit (c. 1304 §1 CIC 83 ; c. 1048 § 2 CCEO).
Les registres prévus par els canons 1306-1307 comporteront : a) l’acte de fondation, avec
indication du jour et de la date de son acceptation et le placement utile du capital apporté ;
b) un tableau des charges s’imposant à celui qui doit accomplir la fondation ; c) les livres-
registres que le curé ou le recteur de l’église doit tenir222
.
Deux copies des actes de fondation, tant autonome que non autonome, seront conservées,
l’une dans les archives de la curie (à savoir la curie diocésaine ou celle du supérieur majeur de
l’institut de vie consacrée), l’autre dans les archives de la personne juridique concernée par la
fondation (c. 1306 § 2 CIC 83 ; c. 1050 CCEO). L’exemplaire déposé aux archives de la curie
diocésaine répond à la disposition du canon 1284 § 2, 9° (c. 1028 § 2, 8° CCEO), car les actes
fondent les droits de l’Église sur les biens de ces fondations.
e) L’administration d’une fondation pieuse
1) Conservation des biens. Afin de protéger dès le premier instant la fondation naissante, la
première mesure qui doit être prise est de déposer aussitôt dans un lieu sûr approuvé par
l’ordinaire les sommes d’argent et les biens meubles attribués à la fondation. Ils seront ensuite
placés au plus tôt dans l’intérêt de la fondation, « avec prudence et de façon utile, au jugement
prudent de l’ordinaire ». Celui-ci doit entendre d’abord les intéressés et son conseil pour les
affaires économiques. L’ordinaire ne désigne pas ce « lieu sûr », comme sous le régime du
CIC 17, mais doit simplement l’approuver. Mention expresse et détaillée des charges de la
fondation sera faite (c. 1305 CIC 83 ; c. 1049 CCEO).
2) Une bonne administration. Le canon parle de « sommes d’argent » et du « prix des biens
meubles ». Il semble donc que ces derniers doivent être vendus. Cependant, une bonne
administration peut conseiller de ne pas procéder immédiatement à leur vente et d’attendre
que les conditions du marché soient optimales. Il semble aller de soi qu’il ne convient pas de
vendre les entreprises agricoles, commerciales et industrielles qui forment partie du capital de
la fondation et dont les bénéfices sont destinés par le fondateur à accomplir les charges
pieuses223
.
La norme n’envisage pas le dons de biens immeubles, qui pourraient pourtant être effectués
au profit de fondations pieuses autonomes, pour en accroître le patrimoine. Il faudra recourir
alors au c. 115 § 3 sur les personnes juridiques comme ensemble de choses.
3) Tableau des charges et registres. En vue d’assurer le respect des volontés des donateurs et
des fondateurs, le tableau des charges à assumer « sera dressé et affiché bien en vue », pour
que les obligations à remplir ne soient pas oubliées (c. 1307 § 1 CIC 83 ; c. 1051 § 1 CCEO).
En plus du registre des offrandes de messes tenu par le curé (c. 958 § 1), le curé ou le recteur
de l’église ou d’une autre lieu pieu conservera un registre « dans lequel seront notées toutes et
chacune des charges, leur exécution ainsi que les offrandes » (c. 1307 § 2 CIC 83 ; c. 1051 § 2
CCEO). Il eût été utile de préciser ici qu’il s’agit de charges de messes, autres que les messes
manuelles consignées dans le registre du canon 958 § 1, charges de messes dont l’offrande
provient des revenus d’une fondation. L’offrande, encore appelée « honoraire », est souvent
de la même valeur que celle de la messe manuelle. En effet, en cas de réduction des charges
de messes (c. 1308 § 3 CIC 83 ; c. 1052 § 3 CCEO), c’est le montant en vigueur dans le
diocèse qui sera retenu. Le registre devra être présenté à l’ordinaire lors de sa visite pour
vérifier que les pieuses volontés sont correctement accomplies (c. 1301 CIC 83 ; c. 1045
CCEO). Les offrandes mentionnées au canon 1307 § 2 (c. 1051 § 2 CCEO) peuvent être
présentées quand la fondation prévoit des actes de charité, indépendant des actes du culte.
Le curé doit donc tenir les registres suivants : a) tableau des charges des fondations pieuses,
222 Cf. F. Aznar Gil, La administración de los bienes temporales de la Iglesia, op. cit., p. 152. 223 Cf. M. López Alarcón, sub c. 1305, CB, p. 1145.
s’il y en a (c. 1307 § 1 CIC 83 ; c. 1051 § 1 CCEO) ; b) registre des messes fondées (c. 1307 §
2 CIC 83 ; c. 1051 § 2 CCEO) ; c) registre des messes manuelles (c. 958 § 1) ; d) registre
personnel de célébrations reçues et célébrées (c. 955 § 4).
f) Les modifications des pieuses volontés
1) Les conditions de la modification. Le dernier canon du Livre V s’applique aussi bien aux
pieuses volontés en général qu’aux fondations pieuses, en donnant à l’ordinaire des facultés
pour en modifier les charges.
Le changement des circonstances économiques peut amener à modifier les pieuses volontés.
En dehors du cas des offrandes de messes, qui fait l’objet d’une disposition particulière, « si
l’exécution des charges imposées par la fondation est devenue impossible à cause de la
diminution des revenus ou pour un autre motif, sans aucune faute de la part des
administrateurs, l’ordinaire peut diminuer équitablement ces charges » (c. 1310 § 2 CIC 83 ;
c. 1054 § 2 CCEO). « Équitablement » veut dire que si plusieurs bénéficiaires sont
destinataires des revenus de la fondation, ils devront être affectés de façon proportionnelle par
la diminution des charges. La norme énumère trois facteurs de l’impossibilité d’exécution des
charges imposées : a) des motifs financiers, les revenus diminuant ou se tarissant, ou les biens
de la fondation ayant disparu, etc. ; b) d’autres motifs, d’ordre personnel ou circonstanciel,
comme l’absence de personnes en mesure de remplir les charges, la disparition du
bénéficiaire, l’incapacité de mettre en œuvre les normes imposées par la réglementation
civile, etc. ; c) la non imputabilité à l’administrateur de la fondation de l’impossibilité
d’exécuter les charges. L’ordinaire entendra au préalable les intéressés, c’est-à-dire le
fondateur ou ses héritiers et les représentants de la personne juridique dont dépend la
fondation, et le conseil pour les affaires économiques.
2) Réduction, modération, commutation. Mais pour que l’ordinaire diminue les charges, il faut
que le fondateur lui en ait expressément donné le pouvoir et qu’il y ait « une cause juste et
nécessaire » pour procéder à la réduction, la modération ou la commutation des volontés des
fidèles (c. 1310 § 1 CIC 83 ; c. 1054 § 1 CCEO). La réduction consiste en une diminution des
actes à charge de la fondation, mais sans en modifier la nature. La modération est une
disposition sur un aspect accessoire de la pieuse volonté, par exemple changer des messes
chantées par des messes récitées. La commutation consiste à remplacer une charge par une
autre, par exemple la charge de donner des aumônes à des nécessiteux par celle d’aider une
œuvre d’assistance.
L’ordinaire doit d’abord entendre les intéressés et son conseil pour les affaires économiques.
Il doit préserver « très soigneusement » la volonté du fondateur (c. 1310).
3) L’intervention du Siège apostolique. Le recours au Siège apostolique n’étant prévu que
dans les autres cas (c. 1310 § 3 CIC 83 ; c. 1054 § 3 CCEO), nous avons ici une application
du principe de subsidiarité. L’on recourra au Siège apostolique, par exemple, en cas de
suppression des charges de la fondation, par disparition des biens de celle-ci ou du
bénéficiaire. Ceci n’exclut pas qu’il soit possible d’adresser un recours hiérarchique contre
tout décret de modification de charges, recours qui est adressé à la congrégation pour le
Clergé. Le saint-siège remplit cette fonction par le biais de la Pénitencerie apostolique pour le
for interne et, pour le for interne, selon les cas par la congrégation pour les Eglises orientales,
la Congrégation des évêques pour les diocèses ou la congrégation du clergé ; la congrégation
des instituts de vie consacrée et des sociétés de vie apostolique pour les membres de la vie
consacrée ; la congrégation pour l’enseignement catholique pour les biens appartenant à des
établissements d’enseignement catholique ; la congrégation pour l’évangélisation des peuples
pour les pays de mission.
g) L’extinction d’une fondation
« La personne juridique est, par sa nature, perpétuelle » (c. 120 § 1 CIC 83 ; c. 927 § 1
CCEO). C’est le cas de la fondation pieuse autonome. Elle s’éteint donc comme toute
personne juridique, par suppression légitime effectuée par l’autorité compétente ou par
inactivité pendant une période de cent ans. L’inactivité peut résulter du fait que les finalités
poursuivies sont atteintes, ou que les biens dont la fondation est dotée ont été détruits, ou
encore qu’ils ont perdu toute valeur.
Dans le cas des fondations pieuses non autonomes, une fois écoulé le délai prévu par le ou les
fondateurs selon le canon 1303 § 1, 2° (c. 1047 § 1, 2° CCEO), délai qui doit s’inscrire dans
la période de « temps assez long »224
définie par le droit, la fondation s’éteint. Les biens qui
subsistent doivent alors être affectés à l’organisme prévu au canon 1274 § 1 (c. 1021 § 1
CCEO) destiné à assurer la subsistance du clergé, s’ils ont été confiés à une personne
juridique soumise à l’évêque diocésain et si le fondateur n’a pas manifesté une autre volonté
expresse. Car toute volonté manifestée par le fondateur devra être respectée. Dans les autres
cas, ces biens reviennent à la personne juridique elle-même (c. 1303 § 2 CIC 83 ; c. 1047 § 2
CCEO). L’affectation à un bénéficiaire expressément désigné par le donateur ressemble à la
fiducie, à ceci près que la fiducie est assumée par une personne physique, en tant que
personne privée et non au titre de son office, tandis que la fondation non autonome est faite
auprès d’une personne juridique publique.
6) Les charges de messes
a) La réduction des charges de messes. Le canon 1308 règle la question de la réduction des
charges de messes, c’est-à-dire la modification d’une volonté pieuse consistant à diminuer le
nombre de charges sans en changer la nature, et ce, par exception au principe général du
canon 1300 (c. 1044 CCEO) sur l’accomplissement des pieuses volontés. C’est pourquoi la
réduction ne peut intervenir que « pour une cause juste et nécessaire » et « est réservée au
Siège apostolique » (c. 1308 § 1 CIC 83 ; c. 1052 § 1 CCEO), habituellement par
l’intermédiaire de la congrégation pour le clergé225
, en dehors des cas envisagés par ce même
canon. La pratique est de ne pas déclarer éteinte une fondation tant que les revenus permettent
de célébrer au moins une messe par an.
Il est évidemment question ici des charges faisant l’objet d’une fondation. Les messes
manuelles sont exécutées habituellement dans de brefs délais qui ne les soumet pas aux aléas
économiques.
Si les actes de fondation le prévoient expressément, l’ordinaire peut réduire les charges de
messes en raison de la diminution des revenus y afférents (c. 1308 § 2 CIC 83 ; c. 1052 § 2
CCEO). Il suffit que l’ordinaire fasse inclure cette clause au moment d’autoriser une
fondation pieuse (c. 1304 § 1 CIC 83 ; c. 1048 § 2 CCEO). Cependant, en vertu des
paragraphes 3 et 4 du même canon 1308, l’ordinaire peut réduire les charges même si le
fondateur ne l’a pas prévu, par des instructions spéciales relatives à l’administration (c. 1276
§ 2 CIC 83 ; c. 1022 § 2 CCEO).
L’évêque diocésain peut réduire les obligations en proportion du tarif des offrandes en vigueur
dans le cas de messes fondées par legs autonome ou autrement qui possèdent leurs propres
fonds, et ce si nul n’est tenu de compléter l’offrande ou ne peut y être « efficacement
contraint » (c. 1308 § 3 CIC 83 ; c. 1052 § 3 CCEO). Pour les dispositions mortis causa, les
224 Mais qui n’est plus in perpetuum. 225 Ce peut être aussi, selon les cas, par le biais de la congrégation pour les Évêques, de la congrégation pour les
Églises orientales, de la congrégation pour les Religieux et les instituts séculiers, de la congrégation pour
l’Évangélisation des peuples ou de la congrégation pour l’Éducation catholique.
héritiers doivent être avertis de leur obligation d’accomplir la volonté du testateur (c. 1299 § 2
CIC 83 ; c. 1043 § 2 CCEO).
Dans le cas de legs non autonome, si les revenus ne suffisent plus pour atteindre les fins
propres, l’évêque diocésain réduira les charges de messes (c. 1308 § 4 CIC 83 ; c. 1052 § 4
CCEO), par exemple dans le cas d’une « confrérie pour l’assistance des malades qui n’aurait
pas l’argent nécessaire pour payer les frais d’hôpital de ses assistés »226
.
Ces mêmes pouvoirs appartiennent au modérateur suprême d’un institut religieux (c. 1308 § 5
CIC 83 ; c. 1052 § 5 CCEO).
Les offrandes et les charges de messes ne sont pas soumises à la prescription (c. 199, 5° CIC
83 ; c. 1542, 5° CCEO).
Selon le canon 1012 du CCEO, les offrandes reçues à l’occasion de la célébration de la Divine
Liturgie ne sont pas soumises à l’impôt diocésain. Cependant certains diocèses ont institué un
impôt sur ces offrandes227
.
b) Le transfert des charges de messes. L’autorité qui peut intervenir pour réduire les charges
de messes peut aussi en transférer la célébration à des jours, en des église ou à des autels
autres que ceux qui sont déterminés dans les actes de fondation, pourvu qu’il y ait une cause
proportionnée pour agir de la sorte (c. 1309 CIC 83 ; c. 1059 CCEO), ce qui peut être le cas
« des mouvements migratoires actuels de la population, des changements dans les fêtes, du
régime des horaires et d’autres raisons semblables en rapport avec la transformation actuelle
de la société »228
. L’intervention de l’autorité pour la réduction des charges est donc une
« cause juste et nécessaire » (c. 1308 § 1), alors que pour les modifications de ces mêmes
charges il faut « une cause proportionnée »229
. Et ce parce que l’extinction et la réduction
atteignent l’essentiel de l’obligation alors que la modification et la commutation ne portent
que sur les modalités ou les circonstances existentielles.
Le transfert peut être temporel ou local. Il est local à l’intérieur de la même église : les messes
qui devaient être célébrées par fondation dans une chapelle ou à un autel déterminé seront
célébrées dans une autre chapelle ou à un autre autel ; ou encore quand les charges sont
transférées d’une église à une autre, même si cette dernière appartient à une autre personne
juridique, pourvu que les deux se trouvent sous la juridiction du même ordinaire qui transfère
les charges.
B) Les offrandes volontaires demandées
Les offrandes demandées sont un deuxième type d’offrandes volontaires. Elles sont
constituées par les différentes quêtes ordinaires ou spéciales, et par les demandes d’aumônes.
a) Les quêtes. Elles se divisent en collectes ordinaires et collectes spéciales. Elles peuvent
être très variées, mais sont « toujours faites in nomine Ecclesiæ et très souvent au cours de la
célébration liturgique »230
.
1) Les collectes ordinaires. Les collectes ordinaires sont le mode habituel et courant pour les
fidèles d’aider l’Église par des « contributions demandées » (c. 1262). L’Église peut se
tourner vers tous les fidèles pour leur demander une aide financière. Nous avons vu que le
devoir fondamental du canon 222 pèse sur tous.
C’est ce devoir que l’évêque diocésain doit « urger » de manière opportune (c. 1261 § 2). Une
226 J.-C. Périsset, Les biens temporels de l’Église, op. cit., p. 98. 227 Cf. F. G. Morrisey, O.M.I., « Acquiring Temporal Goods for the Church’s Mission », StCan 56 (1996), p. 595. 228 T. Garcia Barbarena, cité par J. M. Vázquez García-Peñuela, sub c. 1309, ComEx, vol. IV/1, p. 217. 229 Cette différence ne se retrouve pas en droit oriental, c. 1052 et 1053 CCEO. 230 L. Navarro, « L’acquisto dei beni temporali. Il finanziamento della Chiesa », loc. cit., p. 47.
manière opportune peut être précisément d’organiser une collecte. Mais « l’on déduit
facilement de la teneur du canon le caractère extraordinaire de ce type de collectes
demandées, qui comporte certainement un usage modéré de cette faculté par l’évêque »231
.
Ce canon 1262 est nouveau par rapport au CIC 17. Il autorise la conférence des évêques à
édicter des normes concernant les contributions demandées (c. 1262), ce qui permet d’assurer
une coordination entre la conférence des évêques et les différents évêques en matière
patrimoniale. C’est le mode de financement que l’Église préfère, comme cela appert du fait
que la commission de révision du code a décidé de placer ce canon avant ceux sur les divers
impôts que l’évêque diocésain peut décider de lever (c. 1263-1264 CIC 83 ; c. 1012-1013
CCEO)232
. Il serait possible de faire rentrer dans ces subventiones rogatas les impôts qui
existent dans certains pays en faveur de l’Église, et qui sont déterminées par la loi civile233
.
Des collectes peuvent ainsi être organisées à l’échelon national, par exemple pour les
vocations, pour les séminaires et les écoles catholiques, pour les missions, etc. Mais le
pouvoir de la conférence des évêques a été limité, pour ne pas porter atteinte aux compétences
légitimes des évêque diocésains234
, et n’a trait qu’à la coordination de l’action des différentes
Églises particulières d’une même région. Si la conférence peut décider de quêtes impérées,
elle ne peut pas organiser la façon de répartir les sommes collectées, tâche qui est du ressort
des organismes bénéficiaires. Ce genre de collectes s’étend à toutes les églises et oratoires
habituellement ouverts au public, même s’ils appartiennent à des instituts de vie consacrée.
En France. Pour la France, en dehors du droit de l’évêque de prescrire une quête selon le
canon 1266 (c. 1014 CCEO), « et du droit particulier concernant les quêtes faites aux
mariages et aux obsèques, les quêtes et offrandes faites aux messes les dimanches et jours de
fête dans les églises et chapelles paroissiales d’un diocèse sont destinées aux paroisses, et ne
peuvent être affectées à une autre personne juridique ou à une autre œuvre d’Église, sans le
consentement ou la demande expresse de l’ordinaire.
Pour les quêtes faites par les missionnaires, on tiendra compte à la fois du c. 1265 § 1 et du
document sur les ‘Quêtes faites par les missionnaires de passage en France’ approuvé par la
conférence des évêques français lors de son Assemblée plénière de novembre 1974 et cité en
annexe235
.
On ne peut faire, à l’occasion d’une célébration liturgique, dans les églises et les chapelles
paroissiales, sans l’autorisation de l’ordinaire, une quête destinée à une œuvre culturelle ou
philanthropique.
Le curé veillera à informer les fidèles de la destination des quêtes qui sont faites, et il leur en
rendra compte en temps opportun, conformément au c. 1287 § 2 »236
.
2) Les collectes spéciales. Les collectes spéciales sont visées par le canon 1266 (c. 1014
CCEO). Ce canon, et c’est une innovation par rapport au CIC 17, permet à l’évêque diocésain
d’ordonner une quête spéciale « pour des projets paroissiaux, diocésains, nationaux ou
universels déterminés » « dans toutes les églises et oratoires, même appartenant à des instituts
religieux qui sont de fait habituellement ouverts aux fidèles ». Concernant les instituts
religieux, ce droit d’intervention de l’évêque diocésain est une application du canon 678 § 1
(c. 415 § 1 CCEO) qui lui soumet les religieux « en ce qui concerne le soin des âmes,
l’exercice public du culte divin et les autres œuvres d’apostolat ». S’agissant d’une quête qui
231 Comm 12 (1980), p. 405. 232 Cf. Comm 15 (1984), p. 28-30. 233 Cf. Comm 15 (1984), p. 29. Cf. chap. VIII. 234 Cf. Comm 12 (1980), p. 391 ss. 235 Cf. CB, p. 1899-1900. 236 Texte dans CB, p. 1899.
concerne des besoins extraordinaires, l’ordinaire n’y aura recours qu’avec modération237
.
Si l’ouverture des lieux de culte des instituts religieux aux fidèles était occasionnelle, le droit
de l’évêque cesserait. Le produit de la collecte doit être envoyé « soigneusement » à la curie
diocésaine.
Ces quêtes, que l’on qualifie d’impérées, car commandées par l’autorité, ne devraient pas être
trop fréquentes, puisqu’il s’agit de « collectes spéciales », non de collectes ordinaires. Une de
ces collectes spéciales est celle que chaque diocèse est invité à envoyer chaque année au saint-
siège pour les missions (c. 791, 4°).
3) Une offrande diocésaine.
- Nature de l’offrande. Un dernier type d’offrande demandée est une offrande demandée non
aux fidèles en tant que tels mais aux diocèses. Un cas particulier d’acquisition des biens est la
contribution des diocèses en faveur du Siège apostolique prévue par le canon 1271238
« en
raison du lien de l’unité et de la charité ». Saint Paul faisait déjà appel à cette « péréquation »
des ressources : « Il n’y a pas à vous mettre dans la gêne pour soulager autrui ; mais le
principe d’égalité veut, dans la circonstance présente, que ce que vous avez en trop supplée à
ce qui leur manque » (2 Corinthiens 8, 13-14). Les évêques sont invités à fournir au Siège
apostolique, en fonction des ressources de leur diocèse, « les moyens dont il a besoin, selon
les conditions du temps, pour bien remplir son service envers l’Église tout entière ». Mais il
n’est pas question de taxation des diocèses plus riches en faveur des plus pauvres.
- Les sources de la norme. Cette norme était absente du CIC 17. Elle a pour sources d’abord
Lumen gentium, n° 23, où il est dit que les Églises particulières sont formées « à l’image de
l’Église universelle ; et c’est dans toutes ces Églises particulières et par elles qu’est constituée
l’Église catholique, une et unique », moyennant quoi chaque évêque est tenu à une sollicitude
particulière pour l’ensemble des Églises : « Chaque évêque donc, pour autant que le permet
l’accomplissement de sa charge particulière, est tenu de collaborer (conferant) avec ses
semblables et avec le successeur de Pierre, auquel tout spécialement fut confiée la charge
suprême de propager le nom chrétien. De toutes leurs forces les évêques doivent procurer aux
missions, non seulement des ouvriers, mais aussi les secours spirituels et matériels aussi bien
directement par eux-mêmes qu’en suscitant de la part des fidèles une fervente coopération »
(LG, n° 23/c). Cette contribution est fonction des ressources des diocèses.
L’autre source est le Directoire sur le ministère pastoral des évêques, nos
46-49 et 138, c’est-à-
dire la partie qui traite de la coopération, sous la direction du saint-siège, à l’évangélisation
des peuples, envers les Églises persécutées ou manquant gravement de clergé, dans les
questions œcuméniques, et avec les organismes internationaux pour la paix et la justice dans
le monde, ainsi que de l’entraide matérielle aux diocèses pauvres et aux œuvres de charité et
d’apostolat, le Siège apostolique étant nommément cité ici.
Cette coopération financière reçoit souvent le nom de « denier de Saint-Pierre », que le saint-
siège recouvrait depuis le XIIIe siècle sur les États vassaux ou à lui soumis, denier que le
souverain prélevait le jour de la Saint-Pierre239
. Elle est une expression de la collégialité des
évêques envers la mission universelle de l’évêque de l’Église de Rome, collégialité à laquelle
fait également appel le canon 1274 § 3 (c. 1021 § 3 CCEO). Le terme utilisé – conferant –
montre qu’il s’agit, non d’une exhortation, mais d’une obligation, qui peut être rattachée au
devoir fondamental du canon 222 § 1.
237 Cf. Comm 12 (1980), p. 405. 238 Absent du CCEO. 239 Cf. C. Daux, L’obolo di San Pietro ; origini, ragioni e convenienza,Rome, 1909 ; E. Miragoli, « L’obolo di
San Pietro tra le esigenze delal carità e dell’amministrazione (c. 1271) », QDE 5 (1992), p. 67-77.
- Le montant de la contribution. Il est habituel que des quêtes soient organisées chaque année
dans les diocèses pour les besoins du Siège apostolique et pour des œuvres pontificales
déterminées, comme les œuvres pontificales missionnaires.
Aucun montant fixe n’est arrêté, même si cela pourrait être préférable à l’offrande volontaire,
car cela permettrait d’établir un budget prévisionnel moins aléatoire. Cependant la
contribution du diocèse ne se limitera pas nécessairement au produit de la quête, car elle doit
être proportionnée aux ressources du diocèse. Les diocèses sont également invités à fournir à
la Congrégation pour l’évangélisation des peuples une somme proportionnelle à leurs revenus
pour « pourvoir aux multiples situations auxquelles cette Congrégation est appelée à faire
face, en dehors des engagements ordinaires prévus par les Œuvres pontificales
missionnaires », obligation que rappelle le canon 791, 4°240
.
« Même si rien n’est dit aux canons 399 et 400, la coutume très ancienne et presque
universelle fait coïncider un apport aux besoins du Siège apostolique avec la visite ad
limina »241
.
Aliéner les trésors artistiques du Saint-Siège est une solution impraticable dans les faits.
b) Les aumônes
1) Les demandes d’aumône.
- Les conditions de la demande d’aumônes. Le demande d’aumône, stipem cogere dit le code
(c. 1265 § 1)242
, est traditionnelle dans l’Église. Mais elle soumise à certaines conditions. La
première est qu’elle doit être autorisée par écrit et par l’ordinaire propre du quêteur et par
l’ordinaire du lieu. A défaut de ces autorisations, elle est interdite à toute personne physique
ou juridique.
En second lieu, la quête doit porter sur une « fin pieuse ou ecclésiastique ». Ceci exclut donc
toute finalité non catholique, comme, par exemple, la quête qui a lieu pour la Croix Rouge sur
la voie publique, ou pour des associations culturelles ou sociales. Ces institutions ne peuvent
recueillir des fonds dans l’église, généralement sur le parvis à la sortie de la messe, qu’avec
l’autorisation du curé, qui doit veiller « à ce que rien ne soit fait qui ne convienne pas de
quelque manière à la sainteté de Dieu et au respect de la maison de Dieu » (c. 562 CIC 83 ; c.
309 CCEO).
De plus, l’expression stipem cogere, reprise du canon 1503 CIC 17, est comprise par la
doctrine comme portant sur une collecte faite personnellement de vive voix, notamment par
du porte à porte. L’interdiction ne porte donc pas sur la demande adressée à un groupe
restreint de personnes, ni sur les collectes effectuées au moyen de circulaires ou par voie de
presse.
Afin d’éviter que les biens ainsi collectés ne soient administrés personnellement par ceux qui
les ont levés sans les remettre à l’autorité ecclésiastique, il conviendra que les modalités de
leur administration soient très clairement déterminées à l’avance243
.
- L’autonomie privée. « Par ailleurs, il convient de veiller, dans ce domaine aussi, au respect
de l’autonomie privée des fidèles, que l’ecclésiologie conciliaire a admirablement mis en
relief244
. Ceux-ci sont libres de prendre des initiatives et de soutenir des activités de leur
choix, y compris financièrement »245
, et nul ne devrait en prendre ombrage dans l’Église. Ne
sont pas concernées par la norme, cela va sans dire, les collectes faites par envoi en nombre,
240 Circulaire aux présidents des conférences des évêques, 22 février 1976. 241 L. de Echevarria, sub c. 1271, CIC, traduction de Salamanque. 242 Le CCEO utilise une expression plus large, « eleemosynas colligere » (c. 1015). 243 Cf. F. G. Morrisey, O.M.I., « Acquiring Temporal Goods for the Church’s Mission », StCan 56 (1996), p. 597. 244 Cf. AA 7-8 ; c. 215-216. 245 J.-P. Schouppe, Droit canonique des biens…, op. cit., p. 130.
par appels radiophoniques, télévisés ou sur l’internet, ou à l’occasion de kermesses et d’autres
ventes. La norme ne s’applique pas non plus à la mendicité pour sa propre subsistance.
Cette autorisation de l’ordinaire vaut reconnaissance du droit et du devoir fondamentaux des
fidèles « de promouvoir et de soutenir une activité apostolique, même par leurs propres
entreprises » (c. 216 CIC 83 ; c. 19 CCEO)246
, ce qu’ils doivent faire dans le respect de la
communion ecclésiale (c. 209 CIC 83 ; c. 12 CCEO)247
.
L’interdiction de quêter sans autorisation atteint les personnes privées, tant physiques que
juridiques. Elle vise à réguler les demandes financières et à s’assurer qu’aucune demande
n’est formulée au détriment des œuvres de charité, de piété et d’apostolat du lieu.
Les personnes juridiques publiques, elles, n’ont pas besoin d’autorisation. Elles peuvent
demander de l’argent sans que l’évêque ait un mot à dire. Le curé, par exemple, est libre
d’adresser une telle demande à ses fidèles248
. Le diocèse, un institut religieux ou un institut
séculier peut en faire autant.
- Les ordres mendiants. Le canon 1265 § 1 exclut nommément les ordres mendiants de la
demande d’autorisation : ils ont par eux-mêmes un droit à quêter reçu une fois pour toutes249
.
Par « ordre mendiant », il faut entendre ceux qui ne peuvent pas posséder de biens, ni
individuellement ni collectivement. C’est le cas des frères mineurs et des carmes, des frères
prêcheurs et des augustins. L’Annuario Pontificio mentionne d’autres ordres mendiants plus
récents : trinitaires, mercédaires, servites, minimes, hospitaliers de Saint-Jean de Dieu et
bethlémites.
Les membres des instituts religieux qui ne sont pas des ordres mendiants au sens strict, s’ils
agissent à titre personnel sont alors des personnes privées et sont donc soumis à la double
autorisation préalable de ce canon 1265. Le m.p. Ecclesiæ Sanctæ dispose que « les religieux
ne doivent pas recueillir de dons par des souscriptions publiques sans le consentement des
ordinaires des lieux où ces dons sont recueillis »250
. Si ces instituts religieux agissent par le
truchement de leurs représentants légitimes, ils ne sont pas soumis à l’autorisation de
l’ordinaire puisqu’ils agissent alors en tant que personnes juridiques publiques de l’Église.
Mais le canon 1265 § 1 précisent qu’en dehors de cette autorisation donnée à des ordres
mendiants de quêter, « il est interdit à toute personne privée physique ou juridique de faire la
quête pour toute institution ou fin pieuse ou ecclésiastique, sans la permission écrite de son
Ordinaire propre et de l’Ordinaire du lieu ». Une interprétation trop littérale de la teneur de
cette norme pourrait laisser croire qu’il est interdit à quiconque de s’adresser à d’autres fidèles
pour le solliciter financièrement. Mais, « si l’on tient compte du droit d’initiative apostolique
du fidèle et de l’opinion traditionnelle de la doctrine (selon laquelle ‘par quête l’on entend la
demande faite personnellement de vive voix, de porte à porte, pour recueillir des offrandes
pour une institution ou un fin religieuse ecclésiastique’251
), il faut distinguer entre les
sollicitations faites de façon indiscriminée auprès de personnes inconnues, de porte à porte,
adressées par conséquent à de vastes secteurs, des demandes de contribution adressées à des
personnes connues (parents, amis, membres de la même association, etc.) »252
.
La norme du canon 1265 § 1 ne s’applique pas aux personnes juridiques publiques, qui n’ont
pas besoin d’autorisation pour agir dans le domaine de leurs compétences et de leurs fins.
246 Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, nos 142-145. 247 Cf. Ibid., nos 76-88. 248 Cela n’est pas précisé dans le code, car le curé n’est pas une personne privée : cf. Comm 12 (1980), p. 404. 249 Que le c. 1015 CCEO ne mentionne pas. 250 M.p. Ecclesiæ Sanctæ, I, n° 27 § 2, 6 août 1966. 251 M. Morgante, L’amministrazione dei beni temporali della Chiesa, Casale Monferrato, 1993, p. 41. 252 L. Navarro, « L’acquisto dei beni temporali. Il finanziamento della Chiesa », loc. cit., p. 49.
2) L’intervention de la conférence des évêques
« La conférence des évêques peut établir des règles concernant l’organisation des quêtes. »
Cette disposition a été prise pour parer à des abus éventuels253
. La faculté a été attribuée aux
conférences des évêques par le motu proprio Ecclesiæ Sanctæ, de Paul VI, en date du 6 août
1966, Ie partie, n° 27.
Ces règles devront être observées par tous, y compris par les membres des ordres mendiants
(c. 1265 § 2), qui « sont appelés » tels et le « sont », souligne le canon. Cette précision veut
englober tous les ordres mendiants existants et les nouvelles fondations à venir faisant vœu de
pauvreté de la même façon. Ce nonobstant, le droit desdits ordres mendiants de quêter sans
autorisation reste entier. Les règles édictées par la conférence des évêques portent sur
l’organisation des collectes plus que sur les quêteurs eux-mêmes254
.
c) Les taxes
1) Les taxes en général. Les taxes envisagées ici sont des taxes administratives, c’est-à-dire
des prestations financières dues par les fidèles lorsqu’ils recourent à certains services
administratifs de l’Église, à tous les échelons de l’organisation administrative, diocésain,
provincial, régional, universel. Elles correspondent à une contre-prestation. Elles se
distinguent donc des impôts, dont il sera question plus avant en ce sens qu’elles comportent
malgré tout un caractère volontaire découlant de la demande de service.
Les offrandes de messes, dont il a déjà été question, n’entrent pas dans ce concept de taxe.
Les offrandes faites par les fidèles à l’occasion de l’administration des sacrements et des
sacramentaux ne sont pas des taxes, mais, comme nous l’avons vu, des offrandes volontaires.
2) Les taxes administratives. Ces taxes ecclésiastiques sont de nos jours réduites à deux
domaines : les actes du pouvoir ecclésiastique en matière gracieuse255
et l’exécution des
rescrits du saint-siège (cf. c. 1264) accordant une grâce, un privilège, une dispense, etc.256
C’est l’assemblée des évêques de la province ecclésiastique qui fixe le montant des taxes
« pour les actes du pouvoir exécutif en matière gracieuse ou pour l’exécution des rescrits du
Siège apostolique », montant que « le Siège apostolique devra approuver » (c. 1264, 1° CIC
83 ; c. 1013 § 1 CCEO)257
.
3) Les taxes judiciaires. Les taxes judiciaires ne sont volontairement pas mentionnées dans le
canon 1264258
. Elles sont réglées par le canon 1649 (c. 1335 CCEO), aux termes desquels
l’évêque diocésain, là où il existe un tribunal ecclésiastique diocésain, ou l’évêque modérateur
quand le tribunal est interdiocésain, fixe les frais judiciaires, le montant des honoraires des
procureurs, avocats, experts et traducteurs et l’indemnisation des témoins, l’assistance
judiciaire gratuite et la réduction des frais, les dommages intérêts éventuels, la provision ou la
caution pour les frais du procès et les dommages à réparer. La taxe sera versée à l’organe qui
intervient.
d) Les impôts diocésains259
253 Cf. Comm 12 (1980), p. 404-405. 254 La rédaction du canon a évolué en ce sens : cf. Comm 12 (1980), p. 404. 255 C. 135-142 CIC 83 ; c. 985-992 CCEO. 256 C. 59-75 CIC 83. 257 Le CCEO invite à veiller à ce qu’une même règle soit établie d’un commun accord en matière de taxes et
d’offrandes entre les patriarches et les évêques éparchiaux d’une Église de droit propre qui exercent leur pouvoir
dans le même territoire (c. 1013 § 2). 258 Cf. Comm 12 (1980), p. 404. 259 Cf. M. D. Cebriá García, « Los tributos en el ordenamiento canónico. Su praxis », Collectif, Escritos en honor
de Javier Hervada, IC, volumen especial, Pampelune, 1999, p. 445-458 ; J. Miñambres, « Il tributo diocesano
1) Les impôts diocésains en général.
- Impôt et taxe. La différence de l’impôt d’avec la taxe est qu’il s’agit d’une contribution
demandée par l’autorité ecclésiastique aux fidèles sans contre-prestation directe de leur part.
Le droit de lever des impôts est inclus dans le « droit inné » de l’Église « d’exiger des fidèles
ce qui est nécessaire à ses fins propres » (c. 1260 CIC 83 ; c. 1011 CCEO) ; il est donc
indépendant du pouvoir civil. Ce droit s’exerce ad intra, dans l’ordre intra-ecclésial, et non
plus ad extra, comme dans le cas du canon 1259 (c. 1010 CCEO).
Ce droit de l’Église se fonde sur le fait que les fidèles sont membres de l’Église et ont donc le
devoir, un devoir fondamental (c. 222 § 1 CIC 83 ; c. 25 § 1 CCEO), de subvenir à ses
besoins. Mais les rédacteurs du code ont refusé de suivre la proposition de faire une mention
explicite de ce devoir dans le canon. Il a été également souligné que l’expression « exiger des
fidèles » pouvait donner l’impression d’une certaine coercition et d’une menace de sanctions
éventuelles. Le texte a cependant été maintenu en l’état260
.
- Les traits communs. Trois types d’impôt sont prévus : l’impôt ordinaire, l’impôt
extraordinaire et l’impôt pour le séminaire. Ils présentent des traits communs :
* l’autorité compétente pour les établir est l’évêque diocésain ;
* la contribution est demandée avec un caractère général, c’est-à-dire qu’elle ne vise pas des
personnes concrètes ;
* l’impôt se cantonne au niveau diocésain ;
* l’impôt doit tenir compte des besoins réels du diocèse et de la capacité effective des sujets ;
* il porte sur les revenus des personnes, non sur leur patrimoine.
2) L’impôt diocésain ordinaire
L’évêque diocésain a le droit « de lever pour les besoins du diocèse261
, sur les personnes
publiques soumises à son gouvernement, un impôt modéré, proportionnel à leurs revenus » (c.
1263 CIC 83 ; c. 1012 § 1 CCEO). La doctrine retient que les « besoins du diocèse » en
question sont « les besoins ordinaires, c’est-à-dire ceux auxquels il faut faire face pour que le
diocèse puisse remplir correctement sa mission ecclésiale »262
. C’est un impôt qualifié
d’ordinaire ; car il présente la caractéristique de la permanence. Ce droit n’est pas un droit
subjectif du titulaire de l’office, mais est attaché à celui-ci263
. Son objet est de redistribuer les
revenus entre des personnes juridiques qui ont la même finalité (cf. c. 1254) et qui vivent dans
le même contexte « social ». Il est « un moyen de garantir la possibilité d’affronter les
dépenses ordinaires nécessaires à la coordination des activités pastorales par l’évêque,
activités qui sont ensuite réalisées principalement par les personnes juridiques soumises à
l’impôt ; c’est une façon concrète de réaliser une certaine péréquation entre les diverses
réalités soumises au soin de l’évêque »264
.
Il s’agit ici : a) d’une contribution générale stable aux besoins du diocèse ; b) dont
l’imposition est décidée par décret de l’évêque diocésain, décret qui indique le plus
précisément possible sa signification, les personnes concernées et le montant sollicité ;
come strumento di governo », L’esercizio dell’autorità nella Chiesa. Riflessioni a partire dall’esortazione apostolica ‘Pastores gregis’, a cura di A. Cattaneo, Venise, Marcianum Press, 2005, p. 121-135. 260 Cf. Comm 12 (1980), p. 400. 261 « Dans la mesure où cela est nécessaire au bien de l’éparchie », dit le c. 1012 § 1 CCEO. 262 J. Miñambres, « Il tributo diocesano come strumento di governo », loc. cit., p. 133. 263 Ce ne peut devenir un droit de l’évêque diocésain “que s’il a une conception ‘objective’ des droits, s’il
comprend le pouvoir et son exercice dans l’Église comme un service et s’il met bien en relation les termes des
rapports de justice qui naissent de l’imposition de l’impôt » (J. Miñambres, « Il tributo diocesano come
strumento di governo », loc. cit., p. 125. 264 J. Miñambres, « Il tributo diocesano come strumento di governo », loc.cit., p. 129.
c) décision qui requiert l’avis du conseil presbytéral (avis prudentiel) et du conseil diocésain
pour les affaires économiques (avis purement technique) ; d) et qui doit préciser la périodicité,
les délais, les finalités, les modes de versement, les exemptions ; e) il porte sur les personnes
juridiques publiques soumises à la juridiction de l’évêque ; f) il doit être proportionné aux
ressources et à la capacité patrimoniale de chaque personne juridique. L’évêque diocésain
agira avec prudence et modération.
Cette contribution générale est motivée par les besoins du diocèse et ne peut frapper que les
personnes juridiques publiques soumises au gouvernement de l’évêque diocésain, personnes
qu’il devra déterminer avec précision. Sont donc exclus du domaine d’application de ce canon
les personnes juridiques publiques qui ne dépendent pas de l’évêque diocésain, ce qui est le
cas des instituts religieux de droit pontifical265
, des sanctuaires nationaux et internationaux.
En sont exclues bien sûr les personnes physiques et les personnes juridiques privées, puisque
ce ne sont pas des biens ecclésiastiques. D’ailleurs « le fait que ces biens ne soient pas pris en
compte pour l’impôt ordinaire confirme la thèse selon laquelle l’impôt n’est pas un moyen de
financement de l’Église mais plutôt une façon d’effectuer une redistribution de titularité entre
les biens déjà ecclésiastiques »266
.
Jusqu’à quel point les fidèles sont-ils tenus de verser l’impôt diocésain ? S’agissant, nous
l’avons dit, d’un impôt motivé par l’obligation générale de subvenir aux divers besoins du
diocèse, le non accomplissement de cette obligation pourrait être typifié en tant que délit de
désobéissance, la sanction du canon 1371 s’appliquant alors267
.
265 Mais les paroisses confiées à des instituts religieux ont une personne juridique différente de la leur et ne sont
donc pas exemptes de l’impôt diocésain. 266 J. Miñambres, « Il tributo diocesano come strumento di governo », loc. cit., p. 132. 267 Cf. F. Aznar Gil, La administración de los bienes temporales de la Iglesia, op. cit., p. 97.
Le conseil pontifical des Textes législatifs a été saisi au nom de la Conférence nationale des
supérieurs majeurs de religieux d’un pays déterminé, dont l’archevêque avait fait une
application large du canon 1263, soumettant à l’impôt diocésain ordinaire « toute église
paroissiale, rectorale ou chapelle se trouvant dans notre archidiocèse, dirigée par des prêtres
diocésains ou des religieux ». Le conseil pontifical demande de remplacer ce texte par
« toutes les personnes juridiques publiques sur lesquelles l’archidiocèse... a juridiction », ou
par des termes équivalents. En outre, la disposition imposant aussi « les célébrations de
messes, que ce soit en semaine ou le dimanche », est jugée « trop générale et comme pouvant
engendrer une praxis non conforme aux lois universelles ». Il est donc demandé qu’il « soit
bien précisé que les offrandes pour des intentions de messes, étant des « entrées » d’une
personne physique, ne peuvent être frappées d’une contribution ordinaire et sont régies par
leurs normes propres268
»269
.
Avant de lever cet impôt ordinaire l’évêque doit entendre le conseil pour les affaires
économiques et le conseil presbytéral. C’est une condition nécessaire pour la validité du
décret.
Certains impôts ordinaires sont prévus par le code, comme la contribution pour le séminaire
(c. 264 § 1 CIC 83 ; c. 341 § 1 CCEO).
Le cas des écoles externes des instituts religieux de droit pontifical. Consulté pour savoir si
l’expression « personne publique soumise à son gouvernement » concerne aussi les écoles des
instituts religieux de droit pontifical, le conseil pontifical des textes législatifs a répondu
négativement270
. Nous pouvons nous interroger sur la raison qui a motivé cette réponse : ce
peut être soit que, s’agissant de personnes publiques, elles ne sont pas soumises à la
juridiction de l’évêque diocésain, soit qu’il ne s’agit pas de personnes juridiques publiques.
En réalité, si les instituts religieux de droit pontifical dépendent de façon immédiate et
exclusive du Siège apostolique quant à leur régime interne et à leur discipline (c. 593 CIC 83 ;
c. 413 CCEO), il n’en reste pas moins qu’ils sont également soumis au pouvoir de l’évêque
diocésain quant à la cura animarum, à l’exercice du culte public et à d’autres œuvres
d’apostolat. C’est ce que prévoient, par exemple, les canons 678 § 1 et 683 (c. 415 CCEO). Et
l’application de ce principe devra tenir compte des canons 803-806 sur les écoles catholiques
(c. 631-639 CCEO). En revanche, si les instituts religieux de droit pontifical sont bien des
personnes juridiques publique ipso iure, il n’est dit nulle part que leurs écoles externes
jouissent automatiquement de cette personnalité : il est uniquement précisé qu’elles ne
peuvent être créées par l’institut qu’avec le consentement de l’évêque diocésain (c. 801).
Soulignons donc que la réponse du conseil d’interprétation authentique du code n’entend ni
attribuer la personnalité juridique publique à toute école externe des instituts religieux de droit
pontifical ni les soustraire systématiquement à la juridiction de l’évêque diocésain271
.
Le conseil pontifical pour l’interprétation des textes législatifs a également été saisi d’un
recours contre la décision d’un archevêque de taxer les églises confiées aux instituts de vie
consacrée. Le conseil a répondu272
que les églises et chapelles annexées à une maison d’un
268 Cf. c. 945 et 951 CIC ; cf. aussi l’Interprétation authentique de ce conseil pontifical sur le c. 951, Responsio I,
du 20 février 1987. 269 Cf. Comm 32 (2000), p. 15-23 ; J. Miñambres, « Sul giudizio di congruenza fra legislazione particolare e norma codiciale riguardante il tributo diocesano ordinario », IE 13 (2001), p. 271-276. 270 En date du 10 août 1989, A.A.S. 81 (19889), p. 991 ; cf. CB, p. 1780-1781. Cf. D. J. Andrés, « De tributis
illegitime impositis ab Episcopo scholis religiosorum », Commentarium pro religiosis 69 (1988), p. 209-210 ; V.
De Paolis, « Adnotatio ad Responsum authenticum circa can. 1263 », Per 80 (1991), p. 108-127 ; J. T. Martín de
Agar, « Nota alle risposte del Pontificio Consiglio per l’interpretazione dei testi legislativi del 24 gennaio
1989 », IE 2 (1990), p. 350-351 ; J. Miras, « Comentario a las respuestas de la C. P. Para la interpretación
auténtica del C.I.C., 20.5.1989 », IC 31 (1991), p. 222-224. 271 Cf. J. Miras, « Respuesta auténtica de 20.V.1989. Comentario », IC 31 (1991), p. 222-224. 272 En date du 8 février 2000 : cf. Comm 32 (2000), p. 15-23.
institut religieux ou d’une société de vie apostolique n’ayant pas la personnalité juridique, et
faisant corps avec la maison, elles ne sont pas soumises à l’impôt diocésain ; en revanche, les
autres églises confiées à un recteur ou à un chapelain (cf. c. 566 ss), le seront si elles
possèdent la personnalité juridique publique, et ne le seront pas dans les autres cas273
.
Un institut religieux de droit diocésain est-il soumis à l’évêque en cette matière ? Tel auteur,
faisant valoir l’autonomie dont il jouit (cf. c. 586), se prononce négativement274
.
3) L’impôt diocésain extraordinaire
Le même canon 1263 envisage la possibilité d’imposer, « en cas de grave nécessité et dans les
mêmes conditions, une contribution extraordinaire et modérée ». Les « mêmes conditions »
fait référence aux consultations nécessaires des conseils pour les affaires économiques et
presbytéral.
Cet impôt extraordinaire s’applique aussi aux « autres personnes physiques et juridiques ». Il
faut donc comprendre qu’il ne frappe pas les personnes juridiques publiques soumises au
gouvernement de l’évêque, mais qu’il s’applique uniquement aux personnes physiques et aux
personnes juridiques privées ecclésiastiques soumises à la juridiction épiscopale275
.
Cependant la doctrine « a admis la possibilité d’étendre le pouvoir épiscopal de façon à
permettre à l’évêque de lever des impôts extraordinaires obligeant des personnes juridiques
publiques et même nous soumises au gouvernement de l’évêque diocésain »276
. Le libellé de
la norme ajoute d’ailleurs, en ce sens, « sans préjudice des lois et des coutumes particulières
qui lui accorderaient des droits plus étendus », moyennant quoi la législation diocésaine
particulière pourrait imposer aussi cette contribution aux personnes juridiques publiques.
Cependant la question est loin d’être tranchée, et nécessiterait une intervention clarificatrice
du conseil pontifical des textes législatifs. En l’état, il faut s’en tenir au principe du canon 18
et interpréter le texte strictement et donc exclure son extension de principe. D’autant que le
canon 1263 prévoit déjà que des lois et des coutumes particulières puissent accorder des droits
plus étendus à l’évêque diocésain, et donc que des impôts puissent exister en raison du droit
local.
Le canon 1263 met fin à l’existence du cathedraticum, une contribution versée à l’évêque
diocésain, sous le régime du CIC 17, par les bénéfices ecclésiastiques, les églises et les
confréries laïques du diocèse.
d) L’impôt pour le séminaire
L’impôt pour le séminaire n’est pas prévu dans le Livre V, mais dans le chapitre du Livre II
sur la formation des clercs. Nous y lisons que « l’évêque peut imposer une contribution dans
le diocèse » pour les besoins du séminaire, contribution qui est distincte de la quête impérée
(c. 264 § 1 CIC 83 ; c. 341 § 1 CCEO). Cet impôt atteint « toutes les personnes juridiques
ecclésiastiques, même privées, qui ont leur siège dans le diocèse ». Des exceptions sont
prévues : « À moins qu’elles ne vivent que des seules aumônes, ou que ne s’y trouve en fait
un collège de professeurs ou d’étudiants ayant pour but de promouvoir le bien commun de
l’Église. »
L’impôt pour le séminaire doit être fixé selon les besoins du séminaire et se caractériser par le
fait d’être général et proportionné aux revenus de ceux qui y sont soumis (c. 264 § 2). Il ne
saurait donc les frapper uniformément.
273 Cf. J. Passicos, « Rapports droit général et particulier », AC 47 (2005), p. 115. 274 Cf. F. G. Morrisey, O.M.I., « Acquiring Temporal Goods for the Church’s Mission », StCan 56 (1996), p. 596. 275 Cf. en ce sens L. Navarro, « L’acquisto dei beni temporali. Il finanziamento della Chiesa », loc. cit., p. 55-56,
car cela « respecterait mieux le caractère subsidiaire de cette source de subventions ». 276 J.-P. Schouppe, Droit canonique des biens…, op. cit., p. 137.
e) Un financement extraecclésial
L’Église cherche quand elle le peut des modes de financements extraecclésiaux. Dans un
régime de séparation entre l’Église et l’État, comme c’est le cas en France, en dehors des
départements concordataires, il est fait appel au denier de l’Église, appelé précédemment
« denier du culte », rendu nécessaire précisément par la loi de 1905 instituant la séparation de
l’Église et de l’État et par le tarissement du financement étatique qu’elle entraînait.
Cependant le concordat napoléonien continue de s’appliquer dans les départements d’Alsace-
Moselle, ce qui a pour conséquence que les ministres du culte sont rémunérés par l’État.
Subsistait aussi, jusqu’en 1992, la fabrique d’église, dotée de personnalité juridique civile, qui
assurait l’entretien, la conservation et les célébrations d’un lieu de culte et l’administration
des biens destinés au culte.
Les différents systèmes de financement extraecclésial sont : a) la rémunération des ministres
du culte par l’État, b) l’impôt ecclésiastique perçu par l’État, ce qui est le cas en Allemagne et
en Suisse, c) l’impôt dédicacé ou « assignation fiscale », en vigueur en Espagne et en Italie,
par lequel les citoyens expriment leur volonté d’affecter une part de leurs impôts à une
affectation ecclésiale277
. Nous y reviendrons au chapitre VIII.
f) La prescription
1) Notion de prescription. Selon le canon 1268 (c. 1017 CCEO), « l’Église admet la
prescription comme moyen d’acquérir et de se libérer en matière de biens temporels ». La
prescription suit les règles des canons 197-199 (c. 1540-1542 CCEO), normes qui figurent à
juste titre dans le Livre I, car, comme la commission codificatrice l’a fait remarquer, « la
prescription n’est pas limitée aux seuls biens temporels »278
, mais est une « manière
d’acquérir ou de perdre un droit subjectif, ou encore de se libérer d’obligations » (c. 197 CIC
83 ; c. 1540 CCEO).
La prescription suit les règles de la législation de chaque pays, sous réserve des exceptions
établies dans le code (Ibid.). Une de ces exceptions est l’exigence de « la bonne foi, non
seulement au début, mais tout au long du temps requis » (c. 198 CIC 83 ; c. 1541 CCEO),
alors que le droit civil ne l’exige qu’au début de la possession. La prescription suppose en
outre une matière adéquate, la possession continue durant le temps exigé par la loi, le temps
établi par la loi et un juste titre ou une juste cause, c’est-à-dire un acte juridique par lequel la
possession ou le droit est transmis à un autre.
Peuvent faire l’objet de la prescription toutes les choses corporelles et incorporelles, meubles
et immeubles, publiques et privées. Mais ne sont pas soumis à prescription les offrandes et les
charges de messes, ainsi que les revenus d’un office qui requiert l’ordre sacré, dans le cas où
son titulaire ne serait pas clerc, car la provision de cet office serait alors nulle de plein droit (c.
199, 5°-6° CIC83 ; c. 1542, 5°-6° CCEO).
Des normes spécifiques sur la prescription du patrimoine ecclésiastique figurent aux canons
1269 et 1270 (c. 1018 et 1019 CCEO).
Ne sont pas soumis à prescription : a) les droits et les obligations de loi naturelle divine ou
positive ; b) les droits qui ne peuvent être obtenus que par privilège apostolique ; c) les droits
et les obligations qui ont directement trait à la vie spirituelle des fidèles ; d) les limites
certaines et indéniables des circonscriptions ecclésiastiques ; e) les offrandes et les charges de
messes ; f) la provision d’un office ecclésiastique ; g) le droit de visite et le devoir
d’obéissance279
.
277 Ce qui présente l’avantage de ne pas augmenter la pression fiscale. Sur ce mode de financement
extraecclésial, cf. J.-P. Schouppe, Droit canonique des biens…, op. cit., p. 139-145. 278 Comm 5 (1973), p. 95. 279 Cf. F. Aznar Gil, La administración de los bienes temporales de la Iglesia, op. cit., p. 123-124.
2) La prescription des choses sacrées. Les choses sacrées peuvent être acquises par
prescription. Par « choses sacrées », il faut entendre celles « qui sont destinées au culte divin
par une dédicace ou une bénédiction » (c. 1171). Les choses sacrées appartenant à des
personnes privées peuvent être acquises par des personnes privées, mais elles ne peuvent pas
servir à des usages profanes ni à un usage impropre (c. 1171), sauf si elles ont perdu leur
dédicace ou leur bénédiction (c. 1269 CIC 83 ; c. 1018 CCEO). Un usage profane permanent
leur fait perdre leur caractère de chose sacrée. « Les lieux sacrés perdent leur dédicace ou leur
bénédiction si la plus grande partie est détruite, ou s’ils sont réduits à des usages profanes de
façon permanente, soit par décret de l’ordinaire compétent, soit de fait » (c. 1212).
Quand les choses sacrées appartiennent à une personne juridique ecclésiastique publique, elles
ne peuvent être acquises que par une autre personne juridique ecclésiastique publique » (c.
1269)280
. Il n’est pas exclu qu’une personne juridique ecclésiastique publique acquière par
prescription des biens appartenant à une personne privée, comme « le calice personnel d’un
curé laissé à sa mort, ou la bannière d’une confrérie utilisée aux processions »281
. Le respect
des règles du droit civil ne peut s’imposer que pour l’acquisition de biens de personnes
privées par une personne juridique ecclésiastique publique, mais pas pour ceux appartenant à
une autre personne juridique ecclésiastique publique, puisque, dans ce cas, la restriction du
canon 1269 prévaut : seule une personne juridique ecclésiastique publique peut les acquérir
par prescription. Les choses sacrées qui appartiennent au diocèse, à une paroisse ou à une
autre personne juridique publique ne peuvent pas être prescrites par une possession privée,
même longue, et ce, quelles que soient les dispositions du droit civil en la matière.
Des normes spéciales concernent les ex voto (c. 1292 § 2 CIC 83 ; c. 1036 § 4 CCEO).
3) La prescription des biens du Siège apostolique et des personnes juridiques publiques. Le
canon1270 établit une prescription centenaire pour « les biens immeubles, les biens meubles
précieux, les droits et actions tant personnels que réels qui appartiennent au Siège
apostolique ». En revanche, les biens d’une autre personne juridique ecclésiastique publique
connaissent la prescription trentenaire. « La raison de cette différence réside dans l’extension
universelle et la durée perpétuelle du Siège apostolique, qui a qualité de personne morale de
par l’ordre divin (c. 113 § 1) ; tandis que toute autre personne juridique publique dans l’Église
est constituée par disposition du droit positif ou par concession spéciale de l’autorité
compétente (c. 114 § 1) »282
. Le délai de cent ans pour les biens du Siège apostolique a été
établi par Justinien. Le même Siège apostolique peut acquérir des biens de personnes
juridiques ecclésiastiques publiques par prescription trentenaire.
Les autres biens meubles, même appartenant au Siège apostolique et aux personnes juridiques
publiques, sont prescrits ou non selon les dispositions du droit civil applicables dans chaque
pays. En cas de conflit, l’on suivra le droit civil.
En raisons de privilèges acquis, la prescription acquisitive est de cent ans pour les biens des
ordres mendiants et des cisterciens, de soixante ans pour ceux des bénédictins283
.
4) Les biens culturels.
- Notion de biens culturels. Le code ne définit pas ce qu’il faut entendre par « biens
culturels », qui ne doivent pas être confondus avec les biens ecclésiastiques. L’on peut déduire
de diverses normes qu’il s’agit de biens qui requièrent « un soin ordinaire de conservation et
des moyens appropriées de conservation » (c. 1220 § 2 CIC 83 ; c. 872 § 2 CCEO), ou qui
sont remarquables par leur antiquité, leur valeur artistique ou culturelle (c. 1189 CIC 83 ; c.
280 Le CCEO parle évidemment de « personne juridique ecclésiastique » tout court (c. 1018). 281 J.-C. Périsset, Les biens temporels de l’Église, op. cit., p. 116. 282 J.-C. Périsset, Les biens temporels de l’Église, op. cit., p. 118. 283 J.-C. Périsset, Les biens temporels de l’Église, op. cit., p. 120.
887 § 2 CCEO). Mais le CCEO vient à notre secours en précisant que les biens culturels sont
« ceux qui ont une grande importance en raison de l’art ou de l’histoire ou de la matière » (c.
1019), ou encore « des biens qui, d’une certaine façon, rendent témoignage d’une culture
inspirée par la foi »284
. Toutefois la doctrine ne pas unanime quant à l’heure de définir les
biens culturels. Le patrimoine ecclésiastique a pu être considéré, « pour le droit ecclésiastique
de l’État, comme étant le patrimoine que le droit canonique réglemente en tant que faisant
objet de protection et de reconnaissance par l’État, et, dans son sens le plus large, l’ensemble
des moyens matériels, financièrement évaluables, d’une confession religieuse, et tout
particulièrement de l’Église catholique, en tant que faisant l’objet du droit étatique »285
.
Seulement le droit étatique, comme en Espagne, peut omettre l’intérêt religieux de ces biens,
alors que, pour l’Église, c’est la caractéristique principale de son patrimoine culturel. En effet,
un bien culturel est religieux « non seulement en raison de sa valeur artistique ou historique
propre, mais aussi par sa signification historique, qui peut être actuelle ou seulement
historique ; c’est-à-dire que le bien culturel religieux a un caractère ajouté, actuel ou
historique, qui lui attribue – dans la large catégorie unitaire des biens culturels – une
connotation particulière, digne d’une discipline propre et la méritant » 286
.
Il s’agit de biens dont le concile demande qu’ils soient accessibles à tous287
. Le pape
Jean-Paul II a transformé la commission pontificale de patrimonio artis et historiæ Ecclesiæ
conservando en commission de Ecclesiæ bonis culturalibus288
. Il a précisé lui-même que le
« concept de « biens culturels » comprend avant tout le patrimoine artistique de la peinture, de
la sculpture, de l’architecture, de la mosaïque et de la musique, mis au service de la mission
de l’Église », y ajoutant « les biens contenus dans les bibliothèques ecclésiastiques et les
documents historiques contenus dans les archives des communautés ecclésiales », sans en
exclure « les œuvres littéraires, théâtrales, cinématographiques produites par les moyens de
communication de masse »289
.
- Les accords internationaux. L’on notera que le saint-siège a adhéré à la Convention de
l’Unesco, signée à La Haye, le 14 mai 1954, pour la protection des biens culturels en cas de
conflit armé, et à la Convention de l’Unesco, signée à Paris, le 14 novembre 1970, sur les
mesures à adopter pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert illicite
de propriétés de biens culturels. D’autre part, une prise en compte particulière de ces biens
culturels apparaît dans divers concordats et accords internationaux signés par le saint-siège
avec différents États290
.
Une autre source, non canonique, est la loi du 25 juillet 2001 de l’État de la Cité du Vatican
sur la tutelle des biens culturels, définis à l’article 1er comme « les objets mobiliers et
immobiliers qui présentent un intérêt artistique, historique, archéologique ou
284 Comm 16 (1984), p. 34. 285 A. Martínez Blanco, Derecho Eclesiástico del Estado, Madrid, vol. II, 1993, p. 156. 286 Cf. B. González Moreno, « Los bienes culturales de interés religioso : propuestas para una reforma
legislativa », Anuario del Derecho Eclesiástico del Estado 12 (1996) 113-162 (ici, p. 137). 287 « Que faire pour permettre aux multitudes de participer aux bienfaits de la culture « (GS 56.5) ; « Il faut donc
procurer à chacun une quantité suffisante de biens culturels, surtout de ceux qui constituent la culture dite "de
base " » (GS 60.1). 288 Jean-Paul II, m.p. Inde a pontificatus nostri initio, 25 mars 1993. 289 Jean-Paul II, Allocution à la Ie assemblée de la commission pontificale pour les Biens culturels de l’Église, 12
octobre 1995. Cf. C. Presas Barrosa, “El patrimonio artistico eclesiastico y el nuevo Codex iuris canonici”, Le
nouveau Code de droit canonique-The New Code of Canon Law. Actes du Ve Congrès international de droit
canonique organisé par l’Université Saint-Paul et tenu à l’Université d’Ottawa du 19 au 25 août 1984, publiés
sous la direction de Michel Thériault et de Jean Thorn, Faculté de droit canonique, Université Saint-Paul,
Ottawa, 1986, p. 755-786. 290 Cf. G.Feliciani, « La nozione di bene culturale nell’ordinamento canonico », Iustitia in caritate. Miscellanea
di studi in onore di Velasio De Paolis, Cité du Vatican, Urbaniana University Press, 2005, p. 445-455.
ethnographique »291
.
La question se pose en droit concordataire de savoir si les États de chaque pays doivent faire
leurs les délais prévus par le droit canonique dans le cas où ils ne coïncideraient pas avec les
délais civils.
E. D’autres sources de revenus
a) Les polices d’assurance éventuellement souscrites (cf. c. 1284 § 2, 1° CIC ;) dans le cas où
il faut les faire jouer en raison des dommages subis.
b) Les prêts et hypothèques souscrits avec l’accord écrit de l’évêque diocésain (cf. c. 1281 §
1), la personne juridique étant tenue d’en payer les intérêts en temps voulu et de rembourser le
capital de même (cf. c. 1284 § 2, 5°).
c) Les revenus de la location de biens, compte tenu des règles édictées par la conférence des
évêques et par le droit propre (cf. c.1297).
d) Le produit des investissements réalisés avec l’accord de l’ordinaire (cf. c. 1284 § 2, 6°).
291 Sur cette question, cf. G. Feliciani, « La notion de bien culturel en droit canonique », AC 47 (2005), p. 63-74.