ROQUES Céline
Promotion 2017-2020
Le soignant en pédiatrie :
figure d’attachement ou référent ?
Unité d’enseignement 5.6 S6
Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles
Date de rendu : 24 mai 2020
Directeur de mémoire : LOPRESTI Nicole
Illustration créée pour ce mémoire de fin d’études par Justine HISCOCK
Note aux lecteurs
« Il s’agit d’un travail personnel et il ne peut faire l’objet d’une publication en tout ou partie
sans l’accord de son auteur »
Remerciements
Premièrement, je tiens à remercier ma directrice de mémoire Madame LOPRESTI Nicole pour son accompagnement, sa disponibilité, son soutien, ses conseils et la liberté qu’elle m’a accordé dans le développement de ce sujet.
Je remercie les professionnels de santé pour leur collaboration et leur temps accordé pour enrichir mes recherches.
Je voulais remercier également l’ensemble des formateurs de l’Institut de Formation en Soins Infirmiers d’Avignon pour la qualité de leur formation.
Un grand merci à mon groupe soudé de quatre copines qui m’ont épaulées et soutenu pendant ces trois années.
Je tiens à remercier Justine HISCOCK pour la production du dessin de couverture.
Enfin, je tiens à remercier l’ensemble de ma famille pour leur soutien et leurs encouragements permanents ainsi qu’à Bryan FRANҪOIS pour son soutien inconditionnel et ses nombreuses relectures.
Pour finir, je tiens à remercier tous ceux ayant contribué de près comme de loin à l’élaboration de ce travail de recherche.
À tous ces intervenants, je présente mes remerciements, mon respect et ma gratitude.
« L’attachement est un instinct conduisant tout au long de la vie à avoir besoin d’être écouté, entendu, compris et soutenu par une ou plusieurs personnes considérées comme proches. »
John Bowlby
Table des matières
Introduction ........................................................................................................................... - 1 - 1. Situation d’appel ............................................................................................................ - 2 -
1.1. Description de la situation ...................................................................................... - 2 - 1.2. Analyse et questionnement de la situation .............................................................. - 4 -
2. Cadre théorique.............................................................................................................. - 6 - 2.1. L’attachement ......................................................................................................... - 6 -
2.1.1. Définition ......................................................................................................... - 6 - 2.1.2. L’attachement de l’enfant ................................................................................ - 7 - 2.1.3. Les trois types d’attachements chez l’enfant : ................................................. - 8 - 2.1.4. L’attachement du soignant .............................................................................. - 9 -
2.2. La figure d’attachement .......................................................................................... - 9 - 2.2.1. Le comportement d’attachement ..................................................................... - 9 - 2.2.2. Des figures d’attachements différentes.......................................................... - 10 -
2.3. La maladie chronique ............................................................................................ - 11 - 2.3.1. Définition ....................................................................................................... - 11 - 2.3.2. La balance entre la dépendance et l’autonomie ............................................. - 11 -
2.4. La compassion ...................................................................................................... - 12 - 2.5. La relation triangulaire .......................................................................................... - 13 -
2.5.1. Définition ....................................................................................................... - 13 - 2.5.2. La parentalité ................................................................................................. - 14 - 2.5.3. La place et le rôle des parents dans le soin .................................................... - 14 -
2.6. Synthèse des apports théoriques ........................................................................... - 16 - 3. Enquête exploratoire .................................................................................................... - 17 -
3.1. Population étudiée ................................................................................................. - 17 - 3.2. Outil d’enquête ..................................................................................................... - 17 - 3.3. Présentation et analyse des résultats ..................................................................... - 18 - 3.4. La relation ............................................................................................................. - 20 -
3.4.1. Attachement, proximité et distance dans la maladie chronique .................... - 20 - 3.4.2. La compassion, l’empathie et la sympathie dans la relation de confiance .... - 22 - 3.4.3. L’alliance triangulaire : soignant figure d’attachement ou référent ? ........... - 25 -
4. Problématisation .......................................................................................................... - 28 - Conclusion ........................................................................................................................... - 30 - Bibliographie ....................................................................................................................... - 31 - Sitographie ........................................................................................................................... - 33 - Cours .................................................................................................................................... - 34 - ANNEXE I : Demande d’entretien .............................................................................................. I ANNEXE II : Guide d’entretien ................................................................................................ II ANNEXE III : Déroulement de l’étude « Strange Situation » : ............................................... III ANNEXE IV : Entretiens ......................................................................................................... IV
Retranscription entretien numéro 1 : Rose ........................................................................... IV Retranscription entretien numéro 2 : Lola ......................................................................... VIII Retranscription entretien numéro 3 : Nina ........................................................................... XI Retranscription entretien numéro 4 : Emy ......................................................................... XIV
ANNEXE V : Analyse des entretiens .................................................................................... XIX Présentation des interlocuteurs .......................................................................................... XIX Tableau d’analyse ............................................................................................................... XX
Abstract .........................................................................................................................................
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Introduction
Dans le cadre de notre formation en soins infirmiers, il nous est demandé d’élaborer un travail
de recherche. L’objet de celui-ci porte sur les liens d’attachement dans la relation soignant-
soigné avec un enfant atteint d’une maladie chronique.
La situation de soins qui est le point de départ de cette réflexion est une situation que j’ai vécue
au cours de ma deuxième année de formation en soins infirmiers, en stage pour la première fois
en psychiatrie. Dans la situation, John âgé de 19 ans, présente des comportements plus enfantins
qu’un adulte de son âge. Ceux-ci sont accentués par l’attitude maternalisante de certains
soignants, notamment d’une infirmière.
La réflexion autour de cette situation m’a, non seulement permis de repérer la complexité du
lien professionnel à l’autre atteint de troubles psychiatriques, mais aussi d’approfondir la
question du lien spécifique du soignant à l’enfant. En effet, à l’issues de ces trois années
d’études, suite aux nombreux stages réalisés et à l’apport théorique nous poussant à réfléchir
sur les soins relationnels, j’ai été particulièrement amenée à m’interroger sur les liens qui se
créent dans la relation de soin. La profession infirmière est basée sur des relations interhumaines
amenant chacun à ressentir diverses émotions et un possible attachement.
Mon projet professionnel est de devenir infirmière puéricultrice. C’est pour cette raison que
mon travail de fin d’études porte sur un sujet plus général et non spécifique à la psychiatrie afin
que mes recherches et mes réflexions me permettent d’adopter la posture professionnelle la plus
adaptée une fois diplômée. D’autre part, en lien avec cette situation, j’ai fait le choix d’axer ce
travail sur la maladie chronique car dans ce cas, les patients sont amenés à côtoyer plus
régulièrement les mêmes soignants.
Dans un premier temps je décrirai la situation que j’analyserai et questionnerai. Ensuite
j’éclairerai mes questionnements grâce à des auteurs qui ont écrit sur le sujet. Dans un deuxième
temps je développerai l’enquête que j’ai menée auprès des professionnels pour donner un sens
plus centré sur la pratique et la réalité du terrain. Pour finir, cette analyse va me permettre
d’énoncer une question de recherche et une conclusion de l’ensemble de ce travail.
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1. Situation d’appel
1.1. Description de la situation
Lundi 17 juin 2019, cela fait un mois que je me trouve à l’hôpital de jour psychiatrique.
Aujourd’hui, nous accueillons comme tous les lundis John Doe âgé de 19 ans atteint de troubles
envahissant du développement, sans précision avec une suspicion de trouble du spectre
autistique. Pour John, cette pathologie se manifeste notamment par des altérations dans la
capacité à communiquer et à se sociabiliser mais également par des défauts des émotions, des
bégaiements et des troubles du comportement se traduisant par un repli sur soi.
Le projet thérapeutique mis en place pour John a pour but de le sociabiliser à l’autre et pas
seulement à sa mère. Le fait de venir à l’hôpital trois fois par semaine, le lundi, le mercredi et
le jeudi, peut lui permettre de se détacher de sa mère afin de s’ouvrir aux autres et de lui
redonner confiance en lui de façon autonome.
Aujourd’hui l’équipe est composée d’Emma et Hugo. Hugo est psychomotricien, il intervient
dans l’établissement tous les lundis. Dans le cas de John il permet au patient de s’exprimer par
le corps tout en analysant ses réactions et ses comportements pour tenter d’explorer ses troubles
et de communiquer autrement qu’avec la parole du fait de son bégaiement. Emma est une
infirmière spécialisée en psychiatrie, c’est elle qui était présente le jour de l’entretien d’accueil
de John avec sa mère. Cette dernière est une femme très dynamique et très investie dans le suivi
de son fils, contrairement au père qui semble plus effacé. En effet, il aurait du mal à accepter la
pathologie de son fils d’autant plus que leurs deux enfants sont atteints « d’autisme ».
La mère se bat pour le suivi et les progrès de John, de ce fait le patient semble plus proche de
la mère que du père. Le patient, très attaché à sa mère, a besoin de l’appui d’un autre pour
s’ancrer. Lors de sa venue à l’Hôpital de jour ce besoin maternel se tourne instantanément vers
Emma. L’infirmière est une figure maternelle pour John et c’est ce qui le conforte. En effet,
c’est une femme et une mère ayant à peu près le même âge que la sienne. De ce fait, cela permet
à John de s’appuyer sur une femme pour acquérir la sécurité maternelle qu’il ne peut
intérioriser. Cet appui s’exprime surtout par le regard et la parole.
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Emma, lorsqu’elle parle de John, ne parle pas de l’autisme en particulier mais de « l’enfant ».
En effet âgé de 19 ans, ce patient adulte a des comportements infantiles en lien avec sa
pathologie. Par cette attitude, il devient aux yeux d’Emma l’enfant (avec des besoins) à
protéger. Il est à noter que la posture de l’infirmière renforce le besoin d’attachement
qu’éprouve John car Emma a tendance à vouloir sans cesse l’aider quitte à lui prendre la parole
pour faciliter la sienne. Elle est la soignante la plus « en lien » avec John.
Au regard de sa problématique, un exercice est proposé à John pour travailler sur la relation en
lien avec son projet thérapeutique. Il consiste à recréer une relation triangulaire entre Hugo,
Emma et John comme père-mère-enfant. Je suis observatrice de cette activité. Durant l’exercice
je remarque que John se place instantanément proche de Emma, Hugo quant à lui choisit sa
place et se positionne proche du patient. L’exercice permettra d’observer si le patient arrive à
accepter Hugo dans la relation que John soutient avec Emma tout en travaillant sur sa timidité
(ou repli sur soi). Pour cela, il est demandé au patient de choisir une musique de son choix pour
le rendre auteur de l’exercice et afin de l’amener petit à petit à occuper l’espace de la pièce en
dansant au son d’une musique qu’il apprécie. Au fil du temps, John se sent en confiance et de
moins en moins intimidé. A notre grande surprise, il réussit à se laisser emporter par le son avec
l’aide d’Emma et d’Hugo qui lui montrent l’exemple en dansant eux aussi à ses côtés. Chacun
danse en utilisant tout l’espace de la pièce, sans se toucher, en échangeant simplement des
regards. Des regards différents, furtifs avec Hugo et au contraire insistants avec Emma. Par la
suite, Emma tend sa main vers John. Il s’en saisit et continue à danser. Voyant que John était
assez à l’aise pour danser avec Emma, Hugo a donc tenté à son tour afin de créer un
rapprochement. Hugo lui tend sa main mais sans réussite. John arrête de danser, coupe la
musique depuis son téléphone et se renferme, jambes collées et bras serrés, il regagne sa place
en ne lâchant pas des yeux Emma.
Après cet exercice, Emma se confie et fait part de ses impressions : « Je ressens qu’il a besoin
de moi et j’ai souvent tendance à vouloir faire les choses à sa place. Je me retiens d’intervenir.
Il est attachant ce gosse ».
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1.2. Analyse et questionnement de la situation
Dans la situation, Emma l’infirmière semble avoir du mal à prendre du recul sur la relation
thérapeutique qu’elle entretient avec John. En effet, elle exprime se « retenir d’intervenir » lors
des exercices quand le patient semble en difficulté. Lorsqu’elle parle de John, ses propos font
sous-entendre de l’enfantillage. Nous pouvons face à cette constatation nous interrogés sur la
neutralité de ses soins. En effet, le soin mis en œuvre avec John ne serait-il pas dans la
compassion plutôt que dans l’empathie ?
La compassion signifie en latin « souffrir, éprouver avec », c’est-à-dire percevoir ou ressentir
la souffrance des autres et vouloir y remédier. Par cette définition, comment se fait-il que
l’infirmière semble prendre soin du patient par compassion ? Nous pouvons penser que les
éléments amenant la soignante à compatir peuvent être due à une distance professionnelle
réduite ou à des mécanismes de défense diminués. De plus, nous pouvons nous interroger sur
les retentissements de ce type de relation basée sur la compassion. Cette dernière est-elle
synonyme d’un soin mal fait ou peut-elle, au contraire, permettre une meilleure relation
thérapeutique ? En supposant que la compassion est mise à œuvre du fait de la maladie
chronique, ou du moins d’une prise en soins longue et durable dans le temps qu’en est-il
réellement pour un enfant hospitalisé ?
Nous savons que le concept d’attachement est caractéristique de l’enfant. Alors, comment le
type de relation décrite dans notre situation peut avoir une influence sur le lien d’attachement
de l’enfant et amener à une modification de la figure d’attachement.
Selon Bowlby 1(1969), il existe pour l’enfant une figure d’attachement qui est le plus souvent
la mère ou toute personne qui s’engage dans un lien social. Il s’agit d’une personne qui sera
capable de répondre aux besoins de l’enfant, et qui par conséquent sera susceptible de devenir
une figure d’attachement. John considère-t-il Emma comme sa figure d’attachement à l’hôpital
de jour ? En quoi cela crée-t-il une entrave dans la relation triangulaire entre le soignant, John
et les parents ?
1 John Bowlby (1907-1990) est un psychiatre et psychanalyste anglais, célèbre pour ses travaux sur l'attachement, la relation mère-enfant.
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Rappelons que le projet thérapeutique de John est de lui permettre de se détacher de sa mère
afin de s’ouvrir aux autres et de lui redonner confiance en lui de façon autonome. Ce qui signifie
que le but est de rendre John plus autonome. Or les actions des infirmières et d’Emma en
particulier qui le considèrent comme un enfant, sont-elles vraiment appropriées à son objectif
de soin ? Qu’apporte cette relation dans l’objectif thérapeutique de John ? En quoi est-ce
difficile de considérer John comme un adulte pour les infirmières ? Qu’est-ce qui se joue dans
cette relation et plus généralement dans toute relation avec un enfant ?
Pour autant, il est important pour un enfant d’avoir une figure d’attachement, dans ce cas
lorsque sa mère n’est pas là, le patient renvoie ce besoin sur Emma. Cela est essentiel pour son
bien-être et sa sécurité intérieure mais comment trouver le bon équilibre relationnel entre Emma
et John ?
En pédiatrie, quand un enfant est connu et revient souvent dans le service en soins généraux,
comment se construisent ces liens pour que la relation triangulaire fonctionne ? Quelle est la
place du père et de la mère dans le soin ?
La posture de l’infirmière peut-elle influencer la prise en soin si elle se fait dans la compassion
ou avec un attachement trop important à l’enfant ? Un autre élément peut être relevé, celui de
la maladie chronique ou de longue durée. Est-ce que c’est la maladie chronique qui fait que
l’infirmière réagit de cette manière du fait des liens particuliers se tissant avec le temps ?
En quoi l’hospitalisation d’un enfant atteint d’une maladie chronique entraîne-t-elle une
confusion de la figure d’attachement ?
À la suite de cette analyse et de divers questionnements de la situation, projetés autour de
l’enfant en pédiatrie, la question de départ provisoire est la suivante :
« En quoi la prise en soins d’un enfant atteint d’une maladie chronique peut modifier la
relation soignant-soigné ? »
Afin de mieux cerner cette question, nous proposons, au regard de plusieurs auteurs,
d’approfondir différentes notions et concepts : l’attachement, la figure d’attachement, la
maladie chronique, la compassion et la relation triangulaire.
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2. Cadre théorique
2.1. L’attachement
L’attachement est l’un des points clés de ce mémoire.
A ce jour, les recherches sont essentiellement centrées sur l’attachement de l’enfant, pourtant
selon Mistyki2 et Guedeney3 (2007) ce concept est un « phénomène universel chez les
humains ». L’attachement, que nous avons développé au cours de notre enfance, se poursuit
tout au long de notre vie. Les auteures citent Bowlby « l’attachement est actif depuis le
berceau jusqu’à la tombe » (2010).
D’autre part, développé pendant les trois premières années de vie, l’attachement est vital pour
le tout petit selon Schuhl4 cité dans la définition de l’attachement dans l’ouvrage intitulé Les
concepts en sciences infirmières (2012).
L’exploitation de ce concept a pour but de mettre en tension l’attachement du soignant dans le
soin avec un enfant afin de le comparer à l’attachement d’une mère à son enfant.
2.1.1. Définition
L’attachement selon le dictionnaire Larousse est « un sentiment d’affection, de sympathie ou
vif intérêt qui lie fortement à quelqu’un, à un animal, à quelque chose ». D’après le dictionnaire
étymologique de la langue française, ce mot signifie « Faire tenir (à une chose) au moyen d’une
attache, d’un lien ». Son étymologie se définit par « un engagement, sentiment qui lie, unit
fortement à quelqu’un ». En 1969, Bowlby décrit l’attachement comme étant « le produit des
comportements qui ont pour objet la recherche et le maintien de la proximité d’une personne
spécifique ». L’attachement et plus spécifiquement la relation d’attachement de la mère à
l’enfant, est une théorie complexe que de nombreux auteurs tentent d’ordonner et de
comprendre.
2 Violaine Mistyki est un médecin psychiatre 3 Nicole Guedeney est pédopsychiatre, docteur ès Sciences. Elle exerce comme clinicienne, responsable du service de psychiatrie infanto-juvénile à l'Institut Mutualiste Montsouris de Paris. Elle est spécialiste de l'attachement et a enseigné dans diverses universités et écoles. 4 Christine Schuhl est une éducatrice de jeunes enfants, montessorienne et diplômée d’études appliquées en Sciences de l’éducation. Rédactrice en chef de la revue Les métiers de la petite enfance, (Elsevier Masson), elle anime des séminaires et des conférences destinés essentiellement aux professionnels de la petite enfance.
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2.1.2. L’attachement de l’enfant
Donald Winnicott, pédiatre, psychiatre et psychanalyste britannique, décrit et explique à travers
son ouvrage intitulé Une mère suffisamment bonne (2006) ses différentes théories concernant
le lien relationnel entre une mère et son enfant. Il met en évidence le fait que l’environnement
et la relation que l’enfant entretient avec sa mère signent son développement psychique. Son
développement se fait selon trois actes qui sont le holding, le handling et l’objet presenting.
Le holding a une valeur affective, il désigne l’ensemble des soins que la mère apporte à
l’enfant ainsi que sa capacité à contenir ses angoisses que ce soit sur le plan physique comme
psychique par sa capacité d’attention et sa manière de penser les émotions de l’enfant. Le
holding, se traduisant par le portage, permet de porter l’enfant mais également de le contenir
psychiquement. Ces actes sont tous engendrés par la mère.
Le handling permet à l’enfant de dissocier son corps de l’environnement par les soins donnés
à l’enfant comme le laver ou l’habiller.
L’objet presenting qui se traduit par « le fait de présenter l’objet » correspond à la façon dont
la mère présente le monde à son enfant.
Selon Bowlby l’attachement est un besoin primaire et inné.
D’autre part, Mary Ainsworth5 (1979) décrit trois styles d’attachements.
5 Mary Ainsworth était une psychologue canadienne qui, en collaboration avec John Bowlby, a développé l’une des théories psychologiques ayant permis de comprendre le développement social prématuré de l’être humain : la théorie de l’attachement.
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2.1.3. Les trois types d’attachements chez l’enfant :
A partir de son étude sur « la situation étrange 6», Mary Ainsworth (1979), observe à la suite
d’une série de séparations et de retrouvailles entre l’enfant et sa mère trois styles
d’attachements : l’attachement sécure, l’attachement ambivalent, l’attachement évitant.
« Les enfants qui ont un attachement sécure manifestent peu de détresse lorsqu'ils sont séparés de leur parent. Ils sont assurés que leur parent va revenir. Lorsqu'ils sont
effrayés, ils vont chercher le réconfort auprès de celui-ci […]
Les enfants qui ont un attachement non sécure ambivalent vivent habituellement
beaucoup de détresse lorsque le parent quitte. […] peu fréquent, affectant entre 7% et
15% des enfants. […] est le résultat d'un manque de disponibilité du parent. L'enfant ne
peut se fier que le parent sera là en cas de besoin. […]
Les enfants qui ont un attachement non sécure évitant tendent à éviter leur parent. Si
on leur donne le choix, ces enfants ne montrent pas de préférence entre un étranger et
leur parent. […] est le résultat d'abus ou de négligence. Les enfants qui sont punis ou
pénalisés de s'être fiés à un parent apprennent à ne plus chercher d'aide auprès de celui-
ci » (Psychomédia, 2006)
L’attachement, lorsqu’il est fonctionnel c’est-à-dire sécurisé, est une base de sécurité
promotrice d’ouverture et d’autonomie.
Dans le cas où l’enfant entretient une relation défaillante avec une personne qui lui est
particulièrement importante, il peut engager une relation sécurisante avec une autre personne
afin de subvenir à développer sa niche sensorielle. Comme dans le livre d’Oscar et la dame
rose, l’enfant n’ayant pas de réponse à ses demandes de types émotionnelles auprès de ses
parents, se tourne naturellement vers la dame rose qui est une personne qui lui apporte la
sécurité dont il a besoin. D’autant plus que, selon la théorie de Mary Ainsworth, la mère ne
constitue pas l’unique et irremplaçable pilier du développement de l’enfant.
Selon Boris Cyrulnik7 (2014), neuropsychiatre et éthologue :
« La mère est dans la majorité des cas la figure d’attachement principale mais le père, la famille, les professionnels participent à la sécurisation de l’enfant, donc à
l’établissement de cette niche sensorielle, à la condition que ces derniers soient
stables ».
6 Situation étrange : dispositif d’observation empirique permettant de mesurer les comportements d'attachement (Ainsworth, 1978). Cette procédure expérimentale de quelques minutes consiste à faire subir à un enfant un léger stress comparable au stress quotidien. Pour cela, 8 épisodes de 3 minutes chacun sont prévus en laboratoire et impliquent deux séparations de l'adulte ainsi qu'un contact avec une personne non familière, « l'étrangère » il s’agit d’un scénario d’une vingtaine de minutes, fait de séparations et de retrouvailles, huit épisodes de trois minutes supposés engendrer une tension graduelle. Le but est d’observer comment s’organise l’enfant dans une situation étrange 7 Boris Cyrulnik : est un neuropsychiatre et éthologue français connu pour avoir fait redécouvrir la psychanalyse en France. Il s’est, entre autres, beaucoup intéressé à la théorie de l’attachement et en partage les concepts avec les professionnels de la petite enfance, grâce à son Institut Petite Enfance
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2.1.4. L’attachement du soignant
Milijkovitch8 (2001) citant Sperling et Berman définit l’attachement comme « la tendance qu’à
l’individu à rechercher et à maintenir la proximité et le contact avec un ou plusieurs individus
particuliers qui lui procurent un sentiment de sécurité ainsi qu’une protection physique et
psychologique ».
Pour Maraquin9 et Masson10 (2010) l’attachement dans le soin est une chose inévitable « le
soignant est une personne sensible et pensante et dont le travail est fait de relations ».
Le fait de s’attacher à une personne n’a rien de nuisible dans la bonne pratique infirmière mais
elle a des limites. C’est la barrière ultime de la proximité tel que l’abus, la maltraitance, l’abus
de pouvoir, la « toute-puissance » et l’abus de confiance. Les liens créés pour être
« suffisamment bons » « doivent pouvoir se défaire facilement » afin de ne pas être dans
l’emprise.
Après avoir étudié l’attachement des différents acteurs de la triade, l’attachement peut-il avoir
un impact sur la figure d’attachement de l’enfant ?
2.2. La figure d’attachement
2.2.1. Le comportement d’attachement
Dans le livre Une mère suffisamment bonne, Donald Winnicott mentionne que, selon Bowlby
« la figure d’attachement est la mère en général mais de nos jours toute personne qui s’engage
dans une interaction sociale avec l’enfant et qui sera capable de répondre à ses besoins sera
susceptible de devenir une figure d’attachement ».
La mère est le plus souvent la figure d’attachement du bébé qui, lorsqu’il naît, requiert de
l’attention et des soins. C’est ce que l’on appelle le caregiving qui signifie en anglais donner
des soins. Ce caregiving est développé par les parents, il représente la capacité à s’occuper de
l’enfant sur le plan physique et affectif. Il s’agit d’un équilibre dynamique.
8 Raphaële Miljkovitch est professeure à l'Université Paris VIII en psychologie clinique et psychopathologie. Elle est également chef de projets de recherche au Service universitaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à Lausanne (Suisse). 9 Carine Maraquin est psychologue, spécialisée en psychologie clinique et psychopathologie 10 Geneviève Masson est kinésithérapeute. Elle a travaillé avec C. Maraquin d’un le cadre d’un SEDD (Service d’Education Spéciale et de Soins à domicile)
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Nous pouvons donc nous questionner sur le rôle de l’infirmière qui pourrait devenir une figure
d’attachement pour l’enfant puisqu’elle est une personne remplissant tous les critères d’un
caregiver. En effet, le soignant s’engage dans une interaction sociale et répond aux besoins de
l’enfant par les soins qu’il lui procure. Lors d’une maladie, l’enfant hospitalisé est demandeur
de soins que seul le soignant peut lui procurer, de ce fait la mère peut voir son rôle de caregiver
lui être en partie retiré.
2.2.2. Des figures d’attachements différentes
Les enfants développent différentes figures d’attachement : des attachements primaires et des
attachements secondaires. Ils ont la capacité de pouvoir hiérarchiser ces figures d’attachements
quand plusieurs personnes s’occupent d’eux (comme par exemple les soignants).
Selon Harlow11 (1963), cité dans l’article intitulé La théorie de l’attachement : son importance
dans un contexte pédiatrique, « les bébés montrent des comportements d’attachement comme
la succion, s’agripper, pleurer, sourire et suivre du regard afin d’obtenir la sécurité à partir
de figures d’attachement secondaires quand les figures d’attachement primaires ne sont pas
disponibles ». Le regard est un comportement d’attachement présent dans la situation d’appel.
Selon la théorie de Harlow, ce regard créateur de lien permet à l’enfant de se sentir en sécurité
et n’est que provisoire en attendant le retour de sa figure d’attachement primaire.
La sécurité de l’attachement découle de la disponibilité de la figure d’attachement. « La
disponibilité de la figure d’attachement s’accompagne du développement d’une expérience par
l’enfant d’une sécurité de l’attachement : l’expérience de la sécurité est associée à une
perception de la figure d’attachement comme disponible tandis que l’anxiété ou l’insécurité est
associée à la perception d’une menace face à cette disponibilité ». (Tereno, Soares, Martins,
Sampaio et Carlson12, 2007). Dans l’hypothèse que le soignant puisse devenir une figure
d’attachement pour l’enfant, est-ce-que cela est en lien avec l’atteinte chronique de celui-ci ?
11 Harry Harlow, est un psychologue américain. Il a décidé de vérifier la théorie de l’attachement de Bowlby, connu pour ses expériences de mise en isolement social de jeunes macaques rhésus, qui ont démontré l'importance de l'accompagnement dans les premiers stades du développement des primates. Outre leur portée scientifique, ces travaux visent à choquer l'opinion pour forcer la prise de conscience. Ces méthodes ont été condamnées par de nombreux défenseurs de la cause animale. 12 Susana Tereno, Isabel Soares et Eva Martins, Département de Psychologie, Université du Minho, Portugal ; Daniel Sampaio, université de médecine, Lisbonne Portugal ; Elisabeth Carlson, Institut du développement de l’enfant, université du Minnesota, USA ;
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2.3. La maladie chronique
2.3.1. Définition La définition de la maladie chronique est imprécise. En effet selon l’Organisation Mondiale de
la Santé, elle se définit comme « des affections de longue durée qui en règle générale, évoluent
lentement ». Cette définition ne permet pas de définir clairement pour chaque patient leur type
de maladie.
Selon le Ministère en charge de la Santé en France, elle se définit comme :
« Une maladie de longue durée, évolutive, souvent associée à une invalidité et à la menace de
complications graves. »
La maladie chronique s’oppose à la maladie aiguë et se définit selon le Centre National de
Ressources Textuelles et Lexicales par :
« Une maladie dont les symptômes apparaissent lentement, qui dure longtemps et s’installe
parfois définitivement ».
2.3.2. La balance entre la dépendance et l’autonomie
La maladie chronique entraine une dépendance et la dépendance est une maladie chronique. La
dépendance est le fait « d’être dans, sous la dépendance de quelque chose ou de quelqu’un »
(Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales). Dans le cas d’une maladie chronique,
les soins et/ou les traitements sont les causes de cette dépendance.
Selon Miriam Rasse13 (2014) l’autonomie pour un jeune enfant « c’est avoir du plaisir à faire
par soi-même et pourvoir décider de ce que l’on veut faire ».
Lorsqu’un enfant est hospitalisé pour une maladie chronique, son projet thérapeutique et ses
objectifs de soins sont cernés et l’autonomisation de l’enfant en fait partie. Cependant il faut
prêter attention à la balance entre l’autonomie et la dépendance qui peut être hâtivement
franchissable. Miriam Rasse rajoute que : « en proposant à l’intérêt de l’enfant des objectifs
qui ne sont pas les siens, l’intervention de l’adulte non seulement dérange son activité
autonome et ses propres buts mais elle augmente aussi artificiellement la dépendance de
l’enfant envers l’adulte ».
13 Miriam Rasse est psychologue en crèche, en multi-accueil
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Là est le risque du soignant auprès de l’enfant, en effet en rendant l’enfant dépendant de nos
choix qui nous semblent être les « bons » cela entraine une privation du « droit de se gouverner
par ses propres lois » qui est la définition même de l’autonomie selon le Centre National de
Ressources Textuelles et Lexicales. Cela reviendrait à une possible emprise de l’enfant par le
soignant.
Or selon Violaine Pillet (2007), psychologue dans un SESSAD14, « L’attachement, par le lien
continu et fiable qui en découle, sert l’autonomie de l’individu car il permet l’exploration libre
de l’environnement et plus tard de son psychisme ».
La dépendance est-elle en lien avec la compassion ?
2.4. La compassion
La compassion se définit selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
comme : « un sentiment qui incline à partager les maux et les souffrances d’autrui ».
Selon Frédéric Gros15 (2012) « La compassion n’est pas un concept proprement technique et
ne relève ni des sciences humaines ni du savoir médical. Le terme est surtout employé dans la
philosophie morale ».
Quel est l’espace qui sépare l’empathie de la compassion ? Nous allons développer dans cette
partie ces concepts afin de les mettre en tension avec la chronicité.
La compassion est un concept qui s’oppose à celui de l’empathie.
Pour Carl Rogers 16 (2009) l’empathie « est un processus d’entrée dans le monde perceptif
d’autrui, qui permet de devenir sensible aux mouvements d’affects qui se produisent chez ce
dernier, tout en gardant la conscience d’être une personne séparée de lui ». L’empathie est un
concept étudié pendant la formation infirmière et se rapprocherait donc du « bon » soin.
Cependant l’équilibre et la régularité du maintien de ce « bon » soin peuvent-ils, de manière
inconsciente, faire basculer un soignant dans la compassion ? Est-ce que cela se jouerait au
regard de la distance professionnelle ?
14 SESSAD : Service d’Education Spécialisée et de Soins A Domicile 15 Frédéric Gros est professeur de pensée politique à Sciences-Po Paris, essayiste, philosophe, grand connaisseur de l'œuvre de Michel Foucault 16 Carl Rogers (1902-1987) était un psychologue américain, un psychothérapeute, un universitaire, un pédagogue, un chercheur et l'auteur de nombreux livres. Il est le fondateur de l'Approche Centrée sur la Personne et de la Psychothérapie Centrée sur la Personne.
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La distance se définit selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales comme
« un intervalle mesurable qui sépare deux objets, deux points dans l’espace, espace qu’on
franchit pour aller d’un lieu à un autre ». Les deux points dans le cas de la distance
professionnelle pouvant être l’empathie et la compassion. L’espace franchi à des conséquences
pour le soignant et pour le patient. Le professeur Jean-Robert Harlé de la faculté de médecine
de Marseille, mentionne que « la compassion c’est souffrir avec l’autre, c’est l’affliction pour
la souffrance d’autrui. C’est une distance entre soi et autrui qui est mauvaise, allant au-delà
de ce qui est souhaitable pouvant amener le soignant au burn-out »17.
La compassion a pour effet une modification de la prise en charge du patient. Elle signe l’affect
qu’un soignant peut ressentir envers une personne, en lien avec le concept même de
l’attachement. De plus, les hospitalisations qui entraînent un côtoiement régulier entre les
enfants atteints d’une maladie chronique et les infirmiers du service nous amènent à nous
questionner.
En effet, la compassion est-elle la résultante de cette régularité ou est-elle due à l’atteinte
chronique du patient ? Nous pouvons également nous interroger sur l’impact de la compassion
dans la relation triangulaire.
2.5. La relation triangulaire
2.5.1. Définition
Selon le dictionnaire Larousse une relation est définie comme « l’ensemble des rapports et des
liens existants entre personnes qui se rencontrent, se fréquentent, communiquent entre elles ».
La relation triangulaire est « une relation qui se fait entre trois personnes, trois groupes, qui
met en jeu trois éléments ». Dans le cas de la prise en soin d’un enfant lors d’une hospitalisation,
cette triade est formée des parents, de l’enfant et du soignant. En effet, la relation de soins est
« pansée » à trois, telle une triade, le parent fait partie intégrante du soin.
17 D’après le cours intitulé « Humanité, Altérité, Altruisme » UE « Législation, éthique et déontologie », semestre 1 (IFSI Avignon, 2017).
- 14 -
Toutefois, l’hospitalisation d’un enfant pour une maladie chronique peut entrainer une
fréquentation de l’établissement de santé régulière et par conséquent une relation et un
attachement différent entre le soignant et l’enfant. Quelle est la place des parents dans la relation
qui se crée entre le soignant et l’enfant ?
2.5.2. La parentalité
Dans son article intitulé Le lien d’attachement chez l’enfant, Boris Cyrulnik neuropsychiatre et
éthologue énonce que : « Les donneurs de soins qui sont généralement la mère, le père et
l’ensemble des personnes qui interviennent auprès de l’enfant de manière stable et régulière,
forment la constellation affective nécessaire et propice au développement de l’enfant ».
Le soignant est un donneur de soin comme le parent. D’ailleurs, les parents lors de
l’hospitalisation de leur enfant voient ce rôle leur être retiré compte-tenu de la maladie. « Tous
les enfants ont tendance à établir des liens avec des adultes qui s’occupent d’eux et qu’ils leurs
sont proches, indépendamment du type de traitement qu’ils reçoivent » (Bowlby (1969/1982) et
Sroufe18 (1986)).
L’hospitalisation et le renversement du donneur de soin à l’enfant crée-t-il une rivalité entre le
parent et le soignant ?
2.5.3. La place et le rôle des parents dans le soin
La place des parents est essentielle lors de l’hospitalisation de leur enfant. Comme le mentionne
Bernard Golse19, pédopsychiatre et psychanalyse (2002) :
« Dans un pays comme la France, mais sans doute ailleurs également, on a longtemps pensé, et cela pendant toute la première moitié du XXème siècle encore, que s’occuper
de bébés et de très jeunes enfants […] ne requérait au fond que l’intervention de
personnes généreuses, le plus souvent de femmes, douées de composantes maternelles
chaleureuses et spontanées ».
Il ajoute que : « Le fait pour les nurses de ne plus se concevoir comme des images maternelles substitutives apparait comme un élément décisif. Dès lors, en effet, le rôle des nurses
consiste à apporter à l’enfant une fonction contenante suffisamment bonne, mais une
fonction qui maintient pleinement ouverte la place de l’image maternelle réelle […] ».
18 Alan Sroufe est professeur émérite à l'université du Minnesota. C’est un spécialiste de la psychopathologie du développement
- 15 -
De ce fait, la place du parent dans le soin est un élément à maintenir et à enrichir. L’équipe
soignante participe au lien familial entre l’enfant et le parent en l’invitant à exercer un rôle dans
les soins. En effet, la relation triangulaire n’en est pas une si l’un des membres de cette triade
ne trouve pas son rôle et sa place dans le soin.
De plus, les enfants disposent du droit de voir leurs parents et leurs proches proposé par les
textes juridiques et réglementaires telles que : la charte européenne de l’enfant hospitalisée, la
circulaire du 23 novembre 1998 relative au régime de visite des enfants hospitalisés en
pédiatrie, la circulaire SROS et la charte de la personne hospitalisée du 2 mars 2006.
La Charte Européenne de l’enfant hospitalisé adoptée le 13 mai 1986 indique que : « Un enfant hospitalisé a le droit d’avoir ses parents ou leur substitut auprès de lui jour et nuit, quels que
soient son âge ou son état. »
La circulaire du 23 novembre 1998 mentionne que :
« L’hospitalisation d’un enfant, quel qu’en soit le motif médical, est une source
d’angoisse pour lui-même et pour sa famille. Il est particulièrement important de limiter
cette angoisse et de lui éviter en outre une séparation injustifiée de son entourage
immédiat. »
D’après la Circulaire DHOS/O1/DGS/DGAS n°2004-517 du 28 octobre 2004 relative à l’élaboration des Schémas Régionaux d’Organisation des Soins (SROS) de l’enfant et de l’adolescent :
« La place des parents, leur information, leur présence auprès de leur enfant, leur
participation active aux soins sont reconnus et assurées au sein de l’établissement de
santé, quels que soient le moment et le lieu. De même, la place des associations de
famille et parents est reconnue ; leur existence est rendue lisible aux équipes et aux
familles, leur présence est facilitée et organisée au sein des établissements. »
Selon la charte de la personne hospitalisée datant du 2 mars 2006 :
« Tout enfant hospitalisé dans un service de pédiatrie doit pouvoir bénéficier de la visite
de son père ou de sa mère ou de toute autre personne s’occupant habituellement de lui,
quelle que soit l’heure, y compris la nuit, pour autant que la présence du visiteur
n’expose ni lui-même, ni l’enfant à un risque sanitaire, en particulier à des maladies
contagieuses. »
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La place des parents est une place prioritaire et nécessaire dans la prise en soin de l’enfant
hospitalisé. A ce titre, ils ne doivent pas être vus comme des visiteurs mais bien comme des
partenaires de soin. De nombreuses fondations comme celle de Ronald McDonald créée en
1994 ont permis de construire des maisons de parents proches des hôpitaux afin que « demain
aucun enfant hospitalisé ne soit privé de sa famille » (Éric Mondet et Christine de Wilde20).
2.6. Synthèse des apports théoriques
Au regard de cet éclairage théorique et des différents auteurs nous constatons que pour combler
ce besoin primaire et inné, l’enfant nécessite d’un attachement sécure. En effet, cette base
sécurisante permet à l’enfant une ouverture sur le monde et une autonomisation. Cette sécurité
est générée par la figure d’attachement primaire de l’enfant, qui est le plus souvent la mère.
Cependant, il arrive que l’attachement de l’enfant envers celle-ci ne permette pas de combler
ce besoin. Ainsi, lors de nos recherches, nous nous sommes rendu compte que l’attachement
peut être déporté sur une personne stable lui permettant de subvenir à développer sa niche
sensorielle. Le soignant remplit l’ensemble des critères d’une possible figure d’attachement aux
yeux de l’enfant atteint d’une maladie chronique. Face à son attachement inévitable dans le soin
nous nous sommes donc posé la question de départ définitive suivante :
« Comment les hospitalisations répétées d’un enfant atteint d’une maladie chronique
peuvent modifier la figure d’attachement et impacter la relation de soin ? »
20 Eric Mondet, Président et Christine De Wilde, Vice-présidente de la Fondation
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3. Enquête exploratoire
La méthode clinique est l’outil qui sera utilisé pour l’enquête exploratoire. Selon Vial,
professeur des universités, « la méthode clinique produit des savoirs sur un phénomène à partir
du récit des sujets. Le chercheur en méthode clinique s’intéresse à la parole du sujet social
qu’il rencontre et écoute dans son expérience de la santé » (2004). Cet outil utilise une méthode
qualitative qui prend en compte le discours des soignants compte tenu de leur expérience
professionnelle sur le sujet proposé. Le thème de l’attachement nécessite de rechercher le sens
auprès des personnes, professionnelles de terrain.
3.1. Population étudiée
Nous avons ciblé pour cette enquête des infirmiers et des infirmiers puériculteurs de tout âge
exerçant dans des services comprenant des jeunes patients atteints de maladies chroniques
comme en psychiatrie, en oncologie, en cardiologie ou en service de diabétologie. En lien avec
mes recherches, ces services sont souvent amenés à suivre les patients à long terme avec la
présence des parents.
3.2. Outil d’enquête
Nous avons fait le choix de réaliser des entretiens. Le sujet de mémoire étant porté sur des
ressentis et des émotions, il est préférable de réaliser des entretiens afin de mieux percevoir et
comprendre la problématique posée, en permettant aux personnes interrogées de pouvoir livrer
leur vérité.
Les entretiens sont semi-directifs, ce qui permet à la personne qui interroge de pouvoir s’adapter
au cours de l’entretien et de traiter certains sujets en profondeur.
L’entretien débute par une question inaugurale, assez large pour ne pas influencer les soignants
sur les éléments précis du sujet. Un guide d’entretien comprenant l’ensemble des thèmes à
aborder, en accord avec les concepts étudiés en amont, permet ainsi d’explorer tous les éléments
pertinents de la recherche.
- 18 -
La question inaugurale est celle-ci :
« Comment prenez-vous en soin des enfants qui reviennent régulièrement dans votre
service pour une maladie chronique ? »
Les thèmes abordés sont les suivants :
Le type de relation avec un enfant atteint d’une maladie chronique : notion d’attachement, proximité (liens affectifs) dans la relation de soin, autonomie et compassion
Les difficultés rencontrées dans la relation de soin avec l’enfant et les limites mis en place pour palier à ses difficultés
La place et le rôle des parents dans le soin et la relation triangulaire La maladie chronique : définition et différence du lien entre un enfant atteint d’une
maladie chronique (qui revient régulièrement dans le service) et un enfant atteint d’une maladie aiguë
3.3. Présentation et analyse des résultats
Dans le cadre de ce mémoire de recherche nous avons pu effectuer quatre entretiens d’une durée
moyenne de quinze minutes. L’ensemble de ces entretiens a été réalisé sur le lieu d’exercice
des professionnels pour une question de facilité et de disponibilité. Nous avons pu avoir accès
pour chaque entretien à une salle calme et privatisée afin de ne pas être dérangés.
Un guide d’entretien a été construit (cf annexe II) afin d’aborder l’ensemble des concepts
théorisés au cours de ce mémoire. Chaque professionnel a été informé de l’anonymat des lieux
et des personnes, de notre impartialité ainsi que l’enregistrement audio des entretiens, grâce à
une application mobile, avec leur accord. Tous les audios ont été retranscrits littéralement (cf
annexe IV). Afin de respecter l’anonymat des personnes interrogées tout en facilitant la lecture,
nous avons attribué à chaque soignant un prénom différent de la réalité. Les prénoms énumérés
sont dans l’ordre des entretiens écrits : Rose, Lola, Nina et Emy (cf annexe IV). De plus, les
propos des soignants qui seront cités comporteront un E pour entretien et un L pour ligne en
lien avec la retranscription écrite (cf annexes IV).
L’analyse des résultats a été réalisée sous forme d’analyse thématique compte tenu du guide
d’entretien conçu sous forme de thèmes à aborder au cours de l’interview.
Les professionnels étaient volontaires et impliqués durant l’entretien, avec l’envie de contribuer
à ce travail dont tous connaîssent la difficulté et l’importance de celui-ci à nos yeux. À chaque
question, leur information était riche et développée.
- 19 -
Actuellement, nous faisons face à une crise sanitaire, due au COVID-19, d’une ampleur
historique entraînant ainsi l’impossibilité pour les étudiants de réaliser des entretiens
supplémentaires. De ce fait, l’ensemble des entretiens effectués avant cette pandémie ont été
réalisés uniquement avec des femmes. Cela peut être un biais dans ce travail de recherche car
la plupart des textes et des théories lus se basent uniquement sur des études entre la mère et
l’enfant. Cela nous aurait permis d’avoir un œil nouveau et dans l’ère du temps concernant la
place du père dans la relation triangulaire.
Le deuxième biais est le manque de diversification des services. En effet, mes deux premiers
entretiens se sont effectués dans le même service de gastrologie pédiatrique, avec deux
soignantes ayant le même âge et le même nombre d’années d’exercice. Il aurait été peut-être
intéressant d’avoir des entretiens dans des services diverses et variés afin de repérer des
différences du lien qui se crée entre le soignant et le soigné selon les services et les tranches
d’âges.
Etant une chercheuse novice, la préparation et la réalisation d’un entretien est une étape
stressante de ce mémoire en raison de la difficulté à poser des questions claires et précises sur
ce dont nous voulons parler, ainsi que la complexité de guider l’entretien sans questions
ordonnées et clairement posées sur papier.
De plus, l’entretien requiert une concentration importante sur les réponses exposées par le
soignant afin de rebondir sur ses dires. Par conséquent, la prise de notes, expérimentée lors du
premier entretien, n’a pas été bénéfique.
À la suite de l’analyse des entretiens, il a été mis en évidence des thèmes et des sous-thèmes
dont un qui n’était pas prévu au regard du cadre théorique, il s’agit de la notion de sympathie.
Ainsi le thème et sous-thèmes relevés sont :
La relation
- Attachement, proximité et distance dans la maladie chronique
- Compassion, empathie et sympathie dans la relation de confiance
- L’alliance thérapeutique : le soignant en pédiatrie figure d’attachement ou
référent ?
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3.4. La relation
De manière générale concernant la relation des soignantes avec les enfants atteints d’une
maladie chronique, les liens qui se créent sont issus d’un élément important qui est la confiance.
Cette confiance s’élabore, selon le personnel interrogé, au fil du temps suite à de multiples
hospitalisations. En effet, le temps passé à leur côté crée des liens plus solides et ainsi une
« relation plus stable et sereine » (E1-L16 à 17) de la part de l’ensemble de la triade.
La confiance se définit selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales comme
« une croyance spontanée ou acquise en la valeur morale, affective, professionnelle…d’une
autre personne, qui fait que l’on est incapable d’imaginer de sa part tromperie, trahison ou
incompétence ».
Cette définition fait écho avec l’ensemble des sous thèmes que nous allons aborder ci-dessous.
3.4.1. Attachement, proximité et distance dans la maladie chronique
En raison de leur maladie, les enfants atteints d’une maladie chronique et leur famille sont
amenés à côtoyer maintes fois le milieu hospitalier et les personnes présentes au sein de
l’établissement de santé. De ce fait, le personnel a tendance à « compenser énormément
l’hospitalisation » (E2 – L16) mais surtout à connaître « par cœur » (E2 – L12 et L14) les
enfants atteints de maladie chroniques. Cette récurrence favorise la création d’une relation de
confiance. Comme le mentionne Rose : « La relation de confiance déjà elle va se créer au fur
et à mesure des différentes hospitalisations » (E1-L32 à 33).
Par conséquent, cela entraîne des différences instinctives de la part du soignant entre l’enfant
atteint d’une maladie chronique et l’enfant atteint d’une maladie aiguë, mais pas seulement. En
effet, nous allons nous apercevoir que cet écart amène à modifier la relation de l’ensemble de
la triade.
Les infirmières connaîssent au fil du temps les « petites habitudes » (E1-L26 et E4-L47) de
chaque enfant.
Des liens affectifs tels que des « surnoms » (E2-L29 et L95), des « mots affectifs » (E3-L53),
des envies de les « chouchouter » (E2-L23) et de les « cocooner » (E4-L116) peuvent amener
le soignant à rencontrer des difficultés pour maintenir « la juste distance soignant-patient »
(E1-L48). Le lien et l’affection qui se construisent dans cette relation sont en corrélation avec
la définition de l’attachement que nous avions développée dans notre cadre théorique.
- 21 -
Pourtant, l’attachement semble être pour chacune une faute professionnelle, une barrière à ne
pas franchir comme Lola qui s’avoue, gênée, : « on a tendance à plus les chouchouter, vraiment,
ce n’est pas bien on le sait, mais bon » (E2-L23 à 24). Cependant, en énumérant les marques
d’affections qu’elles pouvaient avoir auprès des enfants : « poser ma main sur son épaule, lui
faire une petite caresse sur la joue ou sur les cheveux » (E3-L50 à 51), chacune a pu se rendre
compte de leurs actes contradictoires à leurs propos. Cette proximité inconsciente s’est révélée
pour Emy, qui au début de son entretien était très distante face à la finalité réelle des questions
posées.
En effet, notre entretien a été interrompu pour que la soignante puisse saluer la mère d’un
patient. A la reprise de notre échange, elle s’est rendue compte de l’incohérence de son acte
avec son discours initial. Elle a donc fini par reconnaître que le fait de travailler dans un pool
de remplacement était nécessaire et volontaire de sa part, afin d’éviter de « s’investir à 100% »
(E4-L130) et « de s’y attacher longtemps (aux parents et aux enfants) » (E4-L85).
Suite à cette révélation et à celle de l’ensemble des soignantes interrogées, un élément
supplémentaire s’est présenté à nous lors des entretiens. En ayant, dans notre travail, recherché
l’attachement uniquement entre le soignant et l’enfant, nous n’avions pas pensé que celui-ci
pouvait également se créer entre le soignant et les parents.
Survenue de manière inattendue, cette découverte nous a également été exposée par Lola qui
mentionne que « ce n’est pas la même relation avec lui comme avec sa mère » ; « je sais qu’on
a une relation qui est très forte » (E2-L43) ; « des fois je tombe un peu dans la sympathie peut-
être avec la maman » (E2-L72 et 73).
Pour faire face à leurs comportements, les soignantes mettent en place des limites, des barrières
voire même des mécanismes de défense à leurs difficultés tels que le vouvoiement auprès des
parents et le respect de la vie privée de chacun. Même pour celles qui arrivent à dissocier la vie
privée et professionnelle, d’autres difficultés apparaissent telles que l’absence de jugement
professionnel (au regard d’une relation très forte avec le parent et l’enfant) ou encore des
situations complexes que vivent les familles amenant le soignant à « ressentir de la compassion
et à compatir avec eux » (E3-L87 et 88).
En somme, cette relation qui se construit dans la triade, est une relation ambigüe qui est en
contradiction avec la théorie enseignée. La compassion qui s’oppose à l’empathie, se retrouve
finalement dans le soin mais est-elle réellement néfaste dans cette alliance thérapeutique ?
- 22 -
3.4.2. La compassion, l’empathie et la sympathie dans la relation de confiance
La compassion est un concept étudié dans notre cadre théorique, de ce fait, la question
concernant ce sujet a été demandé auprès des professionnels interrogés.
Selon Lola, la compassion signifie « quelque chose de négatif où on s’apitoie sur son destin »
(E2-L98). Toutes ont une définition similaire, donnant l’impression de quelque chose de
malsain, improductif et funeste dans le soin. Cette vision du mot, n’est pas incorrecte compte
tenu de la théorie. Cependant, les faits réels exposés par les soignantes semblent opposés à leur
volonté d’être un soignant empathique.
Nous nous sommes rendue compte lors des entretiens que le sujet de l’attachement, du lien et
de la compassion sont des éléments qui semblent être présents dans le soin auprès de l’enfant
et du parent. De ce fait, son opposition à la théorie, semble être un frein, un tabou qu’il est
difficile de s’avouer.
En réalité, le soin est affecté par la compassion. Mais cela est-il réellement nocif ? En effet,
chacune d’entre elles souhaite très certainement être une « bonne soignante » et pourtant ce
n’est pas l’empathie qui prime naturellement dans leur façon d’exercer leur métier.
Afin de faire face à cette réalité, Lola nous expose un concept nouveau qui est la sympathie :
« […] je pense qu’on rentre plus facilement dans la sympathie en fait et c’est là que les
distances ne sont pas les mêmes que les enfants "lambda" que l’on voit une fois pendant trois
jours et que l’on ne reverra plus jamais. » (E2-L16 à 18)
Selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales la sympathie se définit comme
« Un attrait naturel, spontané et chaleureux qu’une personne éprouve pour une autre » ; « éprouver des sentiments de sympathie, de bienveillance pour, envers quelqu’un » ; « fait de s’associer aux sentiments d’autrui : fait de ressentir la joie ou, le plus souvent, la douleur d’autrui, participation à des sentiments de tristesse, compassion ».
Par définition, la sympathie se rapproche de la compassion. De plus, comme le mentionne
Gérard Jorland21 dans son article Empathie et thérapeutique (2006), le mot compassion traduit
étymologiquement le mot grec « sympathie ». Pour lui, l’empathie est une relation cognitive, la
sympathie une relation affective et la compassion une relation agentive, au sens d’une action
intentionnelle vers autrui.
21 Gérard Jorland : directeur de recherches au CNRS et directeur d’études à l’Ecoles des hautes études en sciences sociales
- 23 -
Il mentionne également que : « C’est l’empathie qui nous rend tolérants et bienveillants. La
fonction de la sympathie est de créer des liens affectifs, de partager ses émotions, d’établir des
solidarités ».
Le centre pour la santé mentale en milieu de travail compare dans son article Comprendre
l’empathie et la sympathie les termes empathie et sympathie en deux concepts très distincts et
rejoint le point de vue de l’auteur précédent :
« L’empathie sous-entend le partage des expériences émotionnelles d’une autre personne et est
fondée sur une compréhension inexprimée. […] A l’opposé, la sympathie sous-entend un
soutien et une offre : nous offrons une aide et notre affection à la personne […] »
Nous nous sommes donc questionnés sur l’utilisation de la sympathie lors des soins.
Monsieur Jorland explique :
« Il importe en effet de bien faire la différence entre partager les émotions des malades, leur peur, leurs angoisses, leur détresse, ce qu’il serait vain de demander au personnel
soignant, voire même contre-productif, et de comprendre que le sujet puisse avoir ces
émotions, ce dont le personnel doit tenir compte s’il veut être efficace. »
Dans notre système de santé actuelle, l’empathie est un concept largement mis en avant dans
les soins. Il est pour tous, un gage de bonne pratique de la part du personnel soignant.
Cependant, en septembre 2016, lors d’un évènement sur le thème de la méditation et des
neurosciences organisées à Strasbourg lors de la rencontre avec le Dalaï Lama, les concepts
d’empathie et de compassion sont abordés. Une nouvelle approche pourrait bien changer la
vision du soin porté aux patients.
Plusieurs scientifiques présents lors de ses tables rondes ont exposé leurs pensées.
Comme Tania Singer 22 qui explique : « La personne empathique résonne en écho à la
souffrance ou à la joie de l’autre. Elle éprouve l’émotion de l’autre. En revanche, dans la
compassion, on éprouve de l’émotion pour l’autre ».
Ainsi, « l‘empathie quand elle déborde, amène à des sentiments négatifs […], la compassion
conduit à des sentiments positifs et a plus d’impact sur l’altruisme ».
22 Tania Singer : D’origine Franco-allemande, elle est docteur en psychologie. Après avoir prolongé ses recherches à Londres dans le domaine des neurosciences, elle a travaillé à l’Université de Zurich pour étudier les déterminants des comportements sociaux, comme l’empathie et la justice. De novembre 2008 à août 2010, elle a dirigé la Chaire des neurosciences sociales et économiques à l’Université de Zurich. Depuis janvier 2010, elle dirige le département des neurosciences sociales à l’institut Max Planck de Leipzig. Elle participe régulièrement aux rencontres du Mind & Life Institute.
- 24 -
Suite à cette recherche, le Dalaï Lama approuve l’idée de cette scientifique car selon lui « la
compassion authentique est liée à la sagesse, au discernement ».
Ainsi la compassion n’est donc pas une composante négative au soin mais au contraire « elle
est certainement la plus sincère car elle demeure certainement la meilleure approche à cultiver
avec un patient », elle permet « d’observer avec discernement la souffrance, les causes et les
moyens de l’aborder ».
De plus, selon Levinas23 : « Le fait qu’autrui puisse compatir à la souffrance de l’autre est le
grand moment ontologique, humain ».
C’est compliqué à se positionner selon Lola car « on fait de l’humain avec de l’humain » (E2-
L74). D’autant plus que notre recherche est centrée sur des soins envers des enfants atteints de
maladie chronique. Du fait de la possibilité de liens affectifs mais aussi de juste distance
soignant-patient complexe, la sympathie n’est-elle pas la plus appropriée ? Elle qui relève d’une
création de liens affectifs, de partages et de solidarités, n’est-elle donc pas la meilleure façon
de soigner des enfants présentant, pour certains, un déficit affectif compte tenu de situations
familiales compliquées ? Par conséquent, quand est-il de la relation triangulaire soignant-
patient-parent ?
23 Levinas Emmanuel : philosophe d’origine lituanienne naturalisé français en 1930.
- 25 -
3.4.3. L’alliance triangulaire : soignant figure d’attachement ou référent ?
Pour le personnel interrogé, le parent a un rôle essentiel. Afin d’éviter qu’il ne ressente un
sentiment d’abandon de son enfant, il est nécessaire aux yeux de Lola de le rendre acteur et de
le centrer sur la maladie.
Cependant, il arrive parfois que la charge psychologique des parents soit trop importante. Dans
ce cas, l’hospitalisation leur permet de « sortir et d’aller prendre l’air » (E3 L72) ; « de prendre
un peu de vacances » (E2 L125) sans pour autant démissionner de leur rôle parental.
Selon Rose, les parents font leur possible pour mener à bien leur rôle malgré les difficultés
qu’engendrent la maladie, les hospitalisations longues et répétées, les traitements et les soins
psychologiquement éprouvants.
Lors de nos recherches, nous nous étions questionnés sur le rôle du caregiver retiré à la mère
lors de l’hospitalisation de son enfant, ne lui permettant pas d’apporter les soins dont ce dernier
a besoin et ainsi perdre cette fonction de repère. Or, pour l’ensemble des soignants interviewés,
il est important de faire participer le parent, de communiquer avec lui, d’avoir une écoute active
et surtout de lui donner un rôle dans le soin auprès de son enfant afin d’éviter de retirer ce rôle
de caregiver.
Pourtant, lors de notre dernier témoignage, l’infirmière nous a confié qu’il arrive que certains
parents démissionnent totalement de leur rôle compte tenu des difficultés et du maintien de leur
statut parental auprès du reste de la fratrie. Dans ce cas, l’enfant développe un attachement non
sécure évitant et un désattachement auprès de ses parents. Selon Emy il est dû à « un contexte
affectif qui se fait moins » (E4-L204). Comme nous l’avons exposé dans notre cadre de
référence : « Dans le cas où l’enfant entretient une relation défaillante avec une personne qui
lui est particulièrement importante, il peut engager une relation sécurisante avec une autre
personne afin de subvenir à développer sa niche sensorielle ».
Ceci est en corrélation avec les propos de Boris Cyrulnik (2014) qui précise que les
professionnels peuvent participer à la sécurisation de l’enfant à condition que ces derniers soient
stables. Ainsi, le soignant peut donc potentiellement devenir la figure d’attachement de l’enfant,
d’autant plus que selon la théorie de Mary Ainsworth, la mère ne constitue pas l’unique et
irremplaçable pilier du développement de l’enfant.
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Toutefois, après avoir posé la question aux soignantes, leur vision est différente de la théorie.
En effet, même si pour elles, les relations qu’elles entretiennent avec les enfants sont très fortes,
le rôle et la place des parents est un élément majeur, « pilier » (E2 L70) du soin avec un objectif
selon Emy qui est « le lien parent-enfant » (E4 L210).
De ce fait, la définition de figure d’attachement semble être erronée et incorrecte de la part du
personnel concerné. C’est pour cette raison qu’Emy ne se considère pas comme une figure
d’attachement mais comme un « référent » de l’enfant (E4-L221).
Un référent est une personne à qui l’on se réfère et se définit selon le Centre National de
Ressources Textuelles et Lexicales comme « rapporter au compte de ; établir ou mettre en
valeur un lien entre une personne et quelqu’un ou quelque chose dont elle tire son origine, sa
ressemblance ». En référer à quelqu’un a pour définition « se tourner vers quelque chose, se
servir de quelque chose comme appui, repère, inspiration ».
Si l’on se réfère à notre cadre théorique, le fait que l’infirmière puisse devenir un référent et
donc un repère pour l’enfant crée un environnement sécure que l’enfant a pu voir disparaitre
lors de son abandon affectif.
Cette appellation existe déjà dans certains services (en soins palliatifs, en psychiatrie, dans le
cadre de placements d’adolescents en Maison d’enfants à caractère social) et peut se rapprocher
de notre travail compte tenu du lien qui se crée entre la personne référente et l’enfant suite à un
abandon de son caregiver parental.
Bénédicte Boyer-Vidal24 et Susana Tereno25 (2015) mentionnent que « L’éducateur référent
peut devenir une figure d’attachement transitoire pour le jeune qui pourra développer de
nouveaux modèles internes opérants (MIO) d’un attachement plus sécure ».
Comme l’écrit Moses26 (2000), cité par les auteurs de l’article, « Leurs interventions nécessitent
une forte implication émotionnelle auprès d’eux et un regard bienveillant pour influencer la
qualité du caregiving ».
24 Bénédicte Boyer-Vidal : psychologue formée à la thérapie familiale et systémique. Former également à la théorie de l’attachement à travers un diplôme universitaire. 25 Susana Tereno est docteur en psychologie clinique, enseignant-chercheur à l’institut de Psychologie de l’Université Paris Descartes 26 Tally Mooses : professeur à l’école de service social de l’UW Madison. Ses recherches portent sur les troubles psychiatriques chez les enfants, les traitements de santé mentale et la stigmatisation des maladies mentales
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Ainsi, les auteurs expliquent que cela entraine pour ces jeunes un paradoxe. En effet,
l’éducateur référent propose une nouvelle relation d’attachement mais à durée déterminée
comme pour l’enfant hospitalisé qui va connaître une nouvelle rupture du lien sécure créé.
Certes, à l’hôpital cette perte de la figure d’attachement initial ne se fait pas systématiquement.
Comme nous l’avons cité précédemment, de nombreux parents tentent de subvenir à leur
mission parentale, épauler par les soignants qui, comme le mentionne Nina « tentent de garder,
tout le temps, le lien dans la chronicité entre le parent, l’enfant et sa maladie » (E3-L71). De
plus pour Rose : « une maman restera une maman et un papa restera un papa […]je ne pourrai
jamais remplacer le rôle de leur maman » (E1-L88 à 90).
Toutefois, le lien qui se crée entre le soignant et l’enfant semble fort et unique, nécessitant de
la part du soignant « une forte implication émotionnelle » que ce soit en tant que figure
d’attachement ou référent. Face à la séparation douloureuse de l’enfant avec ses parents et le
besoin d’attachement indispensable à l’enfant pour son autonomisation et sa capacité à explorer
(Bénédicte Boyer-Vidal et Susana Tereno (2015)), cela va obliger le soignant à devenir la figure
d’attachement et donc le référent de l’enfant compte tenu de l’objectif des soins et des valeurs
infirmières.
Nous pouvons donc en déduire que la notion de référent n’empêche pas le soignant de
s’impliquer émotionnellement et d’éprouver de l’attachement. Au final ce qui lie le terme de
figure d’attachement ou de référent est la volonté de caregiving, traduisant la base du métier
d’infirmier.
La seule chose indispensable dans la relation qui se crée est de « réfléchir sans cesse à notre
posture, à ce que l’autre interpelle en nous de l’ordre de l’attachement » (Bénédicte Boyer-
Vidal et Susana Tereno (2015)).
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4. Problématisation
La relation soignant-soigné est basée sur la confiance. La confiance est une valeur affective,
professionnelle et morale entraînant ainsi, auprès des enfants et des parents, des liens affectifs
notamment dans le cas d’hospitalisations récurrentes.
Cette valeur affective, amène parfois le soignant à éprouver de la compassion face aux
situations complexes que certaines familles traversent.
Suite à nos recherches, une nouvelle vision de la compassion nous a permis de ne plus
considérer ce concept comme quelque chose de négatif. En effet, source de sincérité et de
meilleure approche à cultiver avec le patient, la compassion n’est finalement peut-être pas un
concept malsain et à bannir de notre système de santé, bien au contraire.
De plus, il arrive dans certains cas que les évènements vécus par les familles soient tellement
difficiles, que des enfants peuvent être amenés à modifier leur repère, leur caregiver, face à « un
contexte affectif » (E4-L204) réduit de la part de leur parent.
Le caregiver signifie en français le « donneur de soin ». Dans la théorie de l’attachement de
John Bowlby, le caregiver est une personne qui permet à l’enfant de se sentir en sécurité
l’amenant à évoluer librement et en confiance tout en sachant qu’il peut s’appuyer sur des
repères affectifs solides.
Dans son article, Susana Tereno et l’ensemble des auteurs indiquent que : « Durant l’enfance,
la proximité physique et la disponibilité émotionnelle du caregiver sont des facteurs critiques
de la qualité du caregiving ».
De ce fait, lorsque le contexte familial est compliqué, face à l’absence de proximité et
d’affection, l’enfant endure un caregiving non optimal entraînant ainsi une perte de repère, de
sécurité et d’autonomie.
« Si aucun des deux parents n’est en mesure d’assurer cette fonction protectrice, d’autres
personnes doivent prendre le relais et la garantir. » (Bénédicte Boyer-Vidal et Susana Tereno
(2015)).
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Finalement, le soignant ayant créé une relation de confiance, affective et sécurisante devenant,
selon les soignantes interrogées, le référent par la récurrence de leur fréquentation peut par
conséquent devenir le caregiver indispensable pour le bon développement de l’enfant.
Ainsi, remplissant l’ensemble des critères d’un caregiver, le soignant ne crée-t-il pas une
relation de l’ordre de l’emprise ? Comme nous l’avons expliqué dans notre cadre de référence :
les liens créés pour être « suffisamment bons » « doivent pouvoir se défaire facilement » pour
ne pas être dans l’emprise.
Suite à notre réflexion, notre question de recherche est celle-ci :
« Comment le soignant dans son rôle de caregiver auprès des enfants atteints d’une maladie
chronique peut-il mettre en place une possible distanciation et désunion du lien lors du retour
à domicile de l’enfant ? »
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Conclusion
Ce mémoire avait pour but de comprendre les liens d’attachement qui se créent dans la relation
soignant-soigné avec un enfant atteint d’une maladie chronique, l’objectif étant, une fois
diplômée, de pouvoir mettre en place la distance professionnelle la plus adéquate pour être un
soignant « suffisamment bon ». En effet, la profession infirmière est basée sur des relations
interhumaines amenant chacun d’entre nous à ressentir diverses émotions et un possible
attachement.
Ayant rencontré cette difficulté et à l’observation de la situation d’appel développée dans mon
travail, j’ai pu enrichir ma réflexion. Ce travail m’a permis d’émettre de nombreuses questions
concernant la relation soignant-soigné m’amenant à la question de départ suivante :
« En quoi la prise en soins d’un enfant atteint d’une maladie chronique peut modifier la
relation soignant-soigné ? »
La rédaction de ce mémoire de fin d’études fut riche en découvertes d’un point de vue théorique
grâce aux textes lus pour développer mes recherches. En effet, n’ayant que mon propre point
de vue suite aux stages réalisés pendant ces trois années d’études, cela m’a obligé à prendre du
recul sur cette distance dans la relation qui m’est personnellement difficile à ajuster.
Au terme de ma formation, ce travail me semble nécessaire car il permet de mettre en lumière
les liens forts et uniques qui se créent dans la relation et plus spécifiquement auprès des enfants.
Certes cela ne m’a pas permis de mettre en évidence une manière unique d’entretenir cette
relation pour être dans la juste distance mais plutôt d’interroger les professionnels sur leur réelle
façon d’exercer le métier de soignants.
En effet, je me suis aperçue lors des entretiens que les soignants se sentent coupables lorsqu’ils
créent une relation d’attachement, les impliquant émotionnellement à l’enfant prit en soin.
Contraire à la notion d’empathie, j’ai souhaité orienter mes recherches sur deux concepts
supplémentaires, qui sont la compassion et la sympathie. Ces recherches ont été révélatrices à
mes yeux car finalement cela permet d’autoriser le soignant à ressentir, tel un être humain, des
émotions face aux patients sans pour autant compromettre sa bonne pratique, dans le respect de
ses valeurs et de sa personnalité. Dans l’hypothèse que ce sentiment de culpabilité soit accentué
par la demande d’être un soignant uniquement empathique : comment se fait-il que ce concept
d’empathie soit la principale exigence ordonnée au futur professionnel de santé par l’institut de
formation en soins infirmiers ?
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