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Page 1: Les Bonnes, à chair et à sang

27 – DU 12 AU 18 JUILLET 2011 – fr.jpost.com

Instantané par Marc Israël Sellem / Soutien coréen aux parents de Guilad Schalit

David Kanner

Le décor ressemble à un vieuxhangar, avec des bâches de plas-tique qui délimitent la scène.Une porte rotative sertie desimples tiges de bois donne

l’illusion qu’on peut y échapper. Unescalier plonge vers l’arène pour menerà une rotonde et un sol tout de noirverni. Là, deux femmes, deux bonnesjouent au jeu cruel et sadique dumaître et de la servante en attendantleur patronne.

Un décor de pacotille qui pourraits’effondrer d’une bourrasque. Un lieuimaginaire pour placer l’action bienréelle de la pièce, Les Bonnes, de JeanGenet, mise en scène par Yaël Cramsky,par le Théâtre Ensemble Herzliya.

Là, ces bonnes, ces deux sœurs, vonts’entre-déchirer, se perdre dans l’illu-sion de jouer la lutte des classes, degagner une revanche. Celle de ne pluspouvoir se supporter l’une et l’autre,de projeter leur folie, leur enferme-ment sur l’autre femme, celle quipossède : Madame, la bourgeoise.

Dans ce combat à mort, Jean Genetpropose dans sa pièce écrite en 1947,à la suite de la véritable histoire dessœurs Papin qui avaient tué leur

maîtresse, une tout autre version dufait divers. Le mystère reste entier, lahaine palpable seulement, le bascule-ment certain. Jean Genet écrit LesBonnes non pas pour témoigner,

raconter, plutôt pour mettre enlumière un drame, dont lui-même estune victime.

Ce drame est le sien, celui des faiblescontre les puissants. Cette nécessitépour les forts de s’entourer de serveursmène, selon Genet, au crime. Il n’y apas d’autre issue.

La pièce renvoie à la propre biogra-phie de l’auteur. Né d’une prostituéeet d’un père inconnu, Jean Genetfugue, erre et vole, avant d’écrire sespremiers poèmes. Laissé-pour-compte,il scrute le mal là où il se cache, chezles miliciens, dans l’Allemagne nazie,chez les oppresseurs. Dans cettebataille-là, entre forts et puissants sedécèle aussi l’érotisme brutal, unesexualité de domination contresoumis, dont Jean Genet, à travers sesécrits et poèmes homosexuels, est unardent défenseur.

Les Bonnes retrace cette histoire. Peut-être, le fait divers est-il un prétextepour cristalliser ces rapports de force etdessiner à grands traits une sexualitéforcément trouble pour les deux sœurs,Claire et Solange, une dépendanceaimante mais finalement cruelle ethautaine chez Madame.

Genet redonne une seconde vie à cesbonnes condamnées par la société,

pour leur crime. Il leur donne la parole.Yaël Cramsky, dans sa mise en scène,va au bout de cette proposition enoffrant à l’une des sœurs la possibilitéde chanter sur scène comme unmorceau d’opéra-rock. La parole et lechant, comme l’expression d’un pleinpouvoir d’être humain, mais aussi lesigne évident de leur condition, de leurdésespoir.

Les deux sœurs sont interprétées pardeux comédiennes d’exception: uneJuive, Odélia Segal-Michael, et uneArabe, Salwa Nakkara, tour à tourtyran et victime, ensorcelées par leurpropre enfermement. Vêtir les robes deMadame, mimer ses ébats avecMonsieur, les conduits à la tragédie.Madame, jouée par Chava Ortman, nefait que passer, altière, comme unsonge. Un mauvais cauchemar. Il nereste qu’elles. Deux sœurs vaincues,prises au piège d’une oppression dontseule la mort les délivrera. ■

Théâtre Ensemble Herzliya5, Ben Gourion, HerzliyaTéléphone : 09-9552921Les Bonnes, de Jean Genet. Mise en scène,Yaël Cramsky. Avec Chava Ortman, OdéliaSegal-Michael, Salwa Nakkara. Représentations : 26 et 27 juillet à 20h30.

A chair et à sang Dans Les Bonnes de Jean Genet, le sentiment d’oppression génère la folie et la mort

Les Bonnes dans leur version israélienne.

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