UUNNIIVVEERRSSIITT MMOONNTTEESSQQUUIIEEUU -- BBOORRDDEEAAUUXX IIVV
COLE DOCTORALE DE DROIT (E.D. 41)
DOCTORAT en DROIT
EErriicc LLEESSTTRRAADDEE
LLEESS PPRRIINNCCIIPPEESS DDIIRREECCTTEEUURRSS DDUU PPRROOCCSS
DDAANNSS LLAA JJUURRIISSPPRRUUDDEENNCCEE DDUU CCOONNSSEEIILL CCOONNSSTTIITTUUTTIIOONNNNEELL
Thse dirige par Monsieur le Professeur Ferdinand MLIN-SOUCRAMANIEN
Soutenue le 21 novembre 2013
JJUURRYY :
Monsieur Julien BONNET
Professeur lUniversit dvry-Val-dEssonne, rapporteur
Monsieur Guillaume DRAGO
Professeur l'Universit Panthon-Assas, Paris II, rapporteur
Monsieur Jean GICQUEL
Professeur mrite l'Universit Panthon-Sorbonne, Paris I
Monsieur Ferdinand MLIN-SOUCRAMANIEN
Professeur l'Universit Montesquieu - Bordeaux IV, directeur de recherche
Monsieur Jean-Christophe SAINT-PAU
Professeur l'Universit Montesquieu - Bordeaux IV
UUNNIIVVEERRSSIITT MMOONNTTEESSQQUUIIEEUU -- BBOORRDDEEAAUUXX IIVV
COLE DOCTORALE DE DROIT (E.D. 41)
DOCTORAT en DROIT
EErriicc LLEESSTTRRAADDEE
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DDAANNSS LLAA JJUURRIISSPPRRUUDDEENNCCEE DDUU CCOONNSSEEIILL CCOONNSSTTIITTUUTTIIOONNNNEELL
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JJUURRYY :
Monsieur Julien BONNET
Professeur lUniversit dvry-Val-dEssonne, rapporteur
Monsieur Guillaume DRAGO
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Monsieur Jean GICQUEL
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Monsieur Ferdinand MLIN-SOUCRAMANIEN
Professeur l'Universit Montesquieu - Bordeaux IV, directeur de recherche
Monsieur Jean-Christophe SAINT-PAU
Professeur l'Universit Montesquieu - Bordeaux IV
Muriel
ma mre
la mmoire de mon pre
RREEMMEERRCCIIEEMMEENNTTSS
Je tiens exprimer ici ma profonde gratitude lgard de M. le Professeur Ferdinand
MLIN-SOUCRAMANIEN pour sa grande disponibilit, son coute attentive et ses
conseils toujours prcieux.
Je souhaiterais aussi lui manifester mes plus sincres remerciements pour la grande
latitude qu'il m'a accorde, sans toutefois me laisser m'garer dans les mandres du
contentieux constitutionnel.
Merci aussi Stphanie et Nicolas, pour mavoir spontanment prt leur prcieux
concours, ainsi qu Denis pour son inestimable soutien logistique.
Enfin, je remercie aussi Muriel, ainsi que ma mre, pour leur patience et leur soutien
moral...et linguistique. Un grand merci toutes les deux, pour avoir eu la gentillesse
de rpondre mes questions...prioritaires.
LLIISSTTEE DDEESS PPRRIINNCCIIPPAALLEESS AABBRRVVIIAATTIIOONNSS
A.F.D.I. Annuaire Franais de Droit International
A.F.H.J. Association Franaise pour l'Histoire de la Justice
A.I.J.C. Annuaire International de Justice Constitutionnelle
A.J.D.A. Actualit Juridique de Droit Administratif
A.J. Pnal Actualit Juridique Pnal
B.I.C.C. Bulletin dInformation de la Cour de cassation
Bull. civ. Bulletin des arrts des Chambres civiles de la Cour de cassation
Bull. crim. Bulletin des arrts de la Chambre criminelle de la Cour de
cassation
Cah. dr. eur. Cahiers de Droit Europen
Cass. Cour de cassation
Cass. 1re civ. Premire chambre civile de la Cour de cassation
Cass. 2me civ. Deuxime chambre civile de la Cour de cassation
Cass. 3me civ. Troisime chambre civile de la Cour de cassation
Cass. Ass. pln. Assemble Plnire de la Cour de cassation
Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation
Cass. crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation
Cass. soc. Chambre sociale de la Cour de cassation
C.E. Conseil d'tat
C.E., Ass. Assemble du contentieux du Conseil d'tat
C.E.D.H. Cour Europenne des Droits de l'Homme
Chron. Chronique
Coll. Collection
Commiss. E.D.H. Commission Europenne des Droits de l'Homme
Cons. const. Conseil constitutionnel
Conv. E.D.H. Convention Europenne de sauvegarde des Droits de l'Homme
et des liberts fondamentale
C.R.P.C. Comparution sur Reconnaissance Pralable de Culpabilit
C.R.F.P.A. Centre Rgional de Formation Professionnelle des Avocats
C.S.M. Conseil Suprieur de la Magistrature
D Dalloz (Recueil)
DC Dcision de Conformit
D.D.H.C. Dclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen
Dr. Adm. Droit Administratif
Dr. soc. Revue Droit Social
G.A.J.A. Grands Arrts de la Jurisprudence Administrative
Gaz. Pal. Gazette du Palais
Ibid. Ibidem
Id. Idem
J.-Cl. adm. Juris-Classeur Administratif
J.C.P. Semaine Juridique (Juris-Classeur Priodique)
J.D.I. Journal du Droit International
JO Journal Officiel
L.G.D.J. Librairie Gnrale de Droit et de Jurisprudence
L.P.A. Les Petites Affiches
N.C.P.C. Nouveau Code de Procdure Civile
Obs. Observation
Op. cit. Opus citatum
P.U.A.M. Presses Universitaires dAix-Marseille
P.U.F. Presses Universitaires de France
QPC Question prioritaire de constitutionnalit
R.D.P. Revue du Droit Public
R.D.S.S. Revue de Droit Sanitaire et Social
Rec. Recueil Lebon
R.F.D.A. Revue Franaise de Droit Administratif
Rev. Dr. Pn. Revue Droit pnal
Rev. Rech. Jur. Revue de Recherche Juridique
R.F.A.P. Revue Franaise d'Administration Publique
R.F.D.C. Revue Franaise de Droit Constitutionnel
R.F.F.P. Revue Franaise de Finances Publiques
R.G.D.I.P. Revue Gnrale de Droit International Public
R.I.D.C. Revue International de Droit Compar
R.P.D.P. Revue de droit Pnitentiaire et de Droit Pnal
R.S.C. Revue de Sciences Criminelles
R.T.D. civ. Revue Trimestrielle de Droit Civil
R.T.D. com. Revue Trimestrielle de Droit Commercial
R.T.D.H. Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme
R.U.D.H. Revue Universelle des Droits de l'Homme
T.C. Tribunal des conflits
SOMMAIRE
Liste des principales abrviations ............................................................................................................. 7
INTRODUCTION ................................................................................................................................ 13
PREMIERE PARTIE
LEXISTENCE DU PROCES
Titre Premier - Le droit au juge ....................................................................................................... 43
Chapitre I - Le droit constitutionnel au recours juridictionnel effectif .................................. 45
Chapitre II - Le droit constitutionnel aux recours juridictionnels successifs ...................... 111
Titre Second - Le droit un juge de qualit .................................................................................. 163
Chapitre I - Le droit constitutionnel un juge indpendant ................................................. 165
Chapitre II - Le droit constitutionnel un juge impartial ..................................................... 267
SECONDE PARTIE
LA QUALITE DU PROCES
Titre Premier - Les droits des parties au procs ........................................................................... 339
Chapitre I - Le droit constitutionnel la prsomption dinnocence..................................... 341
Chapitre II - Les droits constitutionnels de la dfense ........................................................... 419
Titre Second - Le droit une dcision de justice de qualit ....................................................... 475
Chapitre I - Le droit constitutionnel la collgialit des juridictions ............................ 477
Chapitre II - Le droit constitutionnel la motivation des dcisions de justice ............. 531
CONCLUSION GNRALE ........................................................................................................... 575
Bibliographie ........................................................................................................................................ 585
Index chronologique des dcisions du Conseil constitutionnel ............................................................ 633
Index chronologique des arrts du Conseil dtat ................................................................................ 649
Index chronologique des arrts de la Cour de cassation ....................................................................... 655
Index chronologique des arrts de la Cour europenne des droits de lhomme .................................... 661
Index alphabtique des matires ........................................................................................................... 669
Index alphabtique des auteurs ............................................................................................................ 681
Statistiques ........................................................................................................................................... 683
Table des matires................................................................................................................................. 705
Appuyons-nous sur les principes, ils finiront bien par cder
(de) TALLEYRAND-PRIGORD (C.-M.)
Introduction 13
IINNTTRROODDUUCCTTIIOONN
1. La majorit des courants philosophiques considre quil ne peut y avoir de socit
vertueuse sans justice, puisque cette dernire est la condition de lharmonie entre les
hommes. Ainsi, ARISTOTE, qui distingue la justice corrective1, reposant sur lgalit
(chacun doit percevoir lquivalent de ce quil a donn), de la justice distributive2,
fonde sur la proportionnalit (chacun doit recevoir selon son mrite), considrait-t-il
qu elle est une vertu complte au plus haut point, parce quelle est usage de la vertu
complte et elle est complte parce que lhomme en possession de cette vertu est capable den
user aussi lgard des autres et non seulement pour lui-mme3 . Pour ARISTOTE,
comme pour PLATON4, la justice est donc une vertu morale, qui participe de la
ncessaire recherche dun quilibre entre les membres dune communaut politique.
2. En consquence, il ntonnera gure que la justice ait vocation intervenir, de
manire dcisive, dans toutes les activits humaines, puisque cest elle qui confre
une porte effective5 aux dispositions lgislatives qui les gouvernent, dans un
processus de codtermination du sens ultime de la norme. En ce sens, il y a une
dizaine dannes, le professeur Thierry RENOUX avait mis lide que, si le XIXe
sicle avait t celui du pouvoir lgislatif et le XXe sicle celui de lexcutif, le XXIe
sicle serait celui de la justice6. La prvision du constitutionnaliste aixois se fondait,
1 ARISTOTE, thique Nicomaque, Livre V, Chapitre 7. 2 Idem, Livre V, Chapitre 6. 3 Id., Livre V, Chapitre 3. 4 PLATON, La Rpublique, Livre III. 5 Dcision n 2010-39 QPC du 6 octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B. [Adoption au sein d'un
couple non mari], JO, 7 octobre 2010, p. 18154, Cons. 2 ; Dcision n 2010-52 QPC du 14 octobre
2010, Compagnie agricole de la Crau [Imposition due par une socit agricole], JO, 15 octobre 2010,
p. 18540, Cons. 4 ; Dcision n 2010-96 QPC du 4 fvrier 2011, M. Jean-Louis L. [Zone des 50 pas
gomtriques], JO, 5 fvrier 2011, p. 2354, Cons. 4. 6 RENOUX T., Le pari de la justice , Pouvoirs, n 99, 2001, p. 87.
14 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
la fois sur le constat de la monte en puissance de la justice dans la socit franaise7 , au
point de devenir un objet de consommation courante8 , mais aussi sur le rle jou par
le Conseil constitutionnel, dans lmergence dun vritable pouvoir juridictionnel9,
alors mme que la judiciarisation constante de lactivit sociale contrastait
singulirement avec le statut constitutionnel crit de la justice, dans le texte
fondateur de la Ve Rpublique10.
3. En effet, il est difficile de nier lapport de la jurisprudence constitutionnelle, dans
laffirmation de la place centrale de la justice au sein de la Constitution, ralise grce
la redcouverte du principe de la sparation des pouvoirs11. Il en rsulte un droit
constitutionnel processuel en plein essor12, se manifestant principalement dans
ltablissement dun corpus de principes directeurs du procs, expression d'une
conception de la justice dont ce dernier est le vecteur. Afin de mettre en lumire
lintrt de leur tude, il conviendra alors den prciser le champ ( 1.), lobjet ( 2.) et
enfin, la problmatique gnrale ( 3.).
7 Idem, p. 89. 8 GUINCHARD S., La justice, bien de consommation courante , tudes de droit de la consommation :
liber amicorum Jean Calais-Auloy, Dalloz, Paris, 2003, p. 461. 9 HOURQUEBIE F., Sur l'mergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la Vme Rpublique, Bruylant,
Bruxelles, 2004. 10 RENOUX T., La Constitution et le pouvoir juridictionnel : De l'article 64 de la Constitution et
l'indpendance de l'autorit judiciaire l'article 16 de la Dclaration des Droits et l'indpendance
de la Justice , Cinquantime anniversaire de la Constitution franaise : 1958-2008, Dalloz, Paris, 2008,
p. 293. 11 RENOUX T., L'apport du Conseil constitutionnel l'application de la thorie de la sparation des
pouvoirs en France , D, 1991, p. 171. 12 TUSSEAU G., Plaidoyer pour le droit processuel constitutionnel , Constitutions, 2012, p. 585.
Introduction 15
1. Champ de ltude
4. Ltude sinscrit dans le cadre du procs qui, tymologiquement, vient du latin
procedere, ce qui signifie aller de lavant . Exceptionnellement, lorigine smantique
napporte ici que peu dlments susceptibles de cerner la notion, si ce nest lide
dun processus en progression continue, vers une rponse apporte un problme
donn. Toutefois, la combinaison dune dfinition formelle du procs (A) et dune
approche fonctionnelle (B) permet de mieux circonscrire la notion dans toutes ses
dimensions.
A) La dfinition formelle du procs
5. La dfinition formelle du procs met en vidence deux catgories distinctes de
composantes, qui entretiennent entre elles un rapport dinterdpendance. Il est ainsi
possible de distinguer, dun ct, les lments constitutifs principaux du procs (1) et
de lautre, les lments complmentaires (2).
1) Les lments constitutifs principaux du procs
6. Le Vocabulaire juridique du doyen Cornu dfinit le procs comme un litige soumis
un tribunal, une contestation pendante devant une juridiction13 . Il y aurait alors deux
composantes irrductibles pour dcrire le procs, lune matrielle, le litige et lautre
formelle, la procdure, insparable du fonctionnement de toute juridiction.
13 CORNU G., Vocabulaire juridique, 8e d., P.U.F., Coll. Quadrige, Paris, 2007, p. 725.
16 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
7. Le litige constitue la substance du procs, il est le diffrend port devant un tribunal
et devenu matire du procs, une fois saisie la justice14 . Il forme llment daltrit
identifi par le professeur Serge GUINCHARD, dans sa dfinition du procs15. Au-
del, il est la condition fondamentale de son existence, sa quintessence en quelque
sorte, puisquen son absence, linstance est teinte et le procs nexiste plus. Larticle
384 du Code de procdure civile prvoit ainsi les diffrentes hypothses d'extinction
de l'instance pour cause de disparition du litige16.
8. La procdure est certainement la composante du procs qui illustre le mieux la
racine tymologique du mot, puisquelle est, selon le Dictionnaire Littr de la langue
franaise, la manire de procder en justice , cest dire lensemble des formalits qui
doivent tre accomplies pour progresser vers la solution d'une affaire judiciaire. Elle
est aussi un moyen de classification des procs, selon le poids respectif du juge et des
parties dans la conduite des actes judiciaires. Mme si la doctrine processualiste
admet, trs largement aujourdhui, que la plupart des procs revtent une nature
mixte, la traditionnelle dichotomie, procdure inquisitoriale, dun ct, procdure
accusatoire, de lautre, constitue toujours un moyen pdagogique de cerner la
pondration des rles du juge et des parties dans le droulement du procs17.
Nanmoins, quelle que soit la famille laquelle elle emprunte ses traits dominants, la
procdure se subdivise en deux parties distinctes, laction en justice et linstance.
9. En vertu de larticle 30 du Code de procdure civile, laction est le droit, pour
l'auteur d'une prtention, d'tre entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou
14 Idem, p. 498. 15 GUINCHARD S., CHAINAIS C., DELICOSTOPOULOS C.-S., DELICOSTOPOULOS I.-S., Droit
processuel. Droit commun et droit compar du procs quitable, 5e d., Dalloz, Coll. Prcis droit priv,
Paris, 2009. 16 En dehors des cas o cet effet rsulte du jugement, l'instance s'teint accessoirement l'action par l'effet
de la transaction, de l'acquiescement, du dsistement d'action ou, dans les actions non transmissibles, par le
dcs d'une partie [...] . 17 Sur la distinction, Cf AMBROISE-CASTEROT C., Procdure accusatoire/ Procdure
inquisitoire , CADIET L. (dir.), Dictionnaire de la Justice, P.U.F., Paris, 2004, p. 1058.
Introduction 17
mal fonde . Cette dfinition consacre la conception de laction en justice de
MOTULSKY, qui la considrait comme un droit subjectif processuel, destin
protger le droit substantiel, objet du litige18. MOTULSKY a contribu autonomiser
la notion daction en justice, qui nest dsormais plus assimile, comme dans la
conception romaine classique, au droit subjectif matriel dont le justiciable cherche
obtenir la reconnaissance.
10. Linstance est, quant elle, une notion ambivalente. Sur un plan fonctionnel, elle
est dabord un rapport particulier qui se cre entre les acteurs du procs (les parties
et le juge) : le lien juridique dinstance. Sur un plan matriel, elle correspond la
succession des actes procduraux qui jalonnent le procs, depuis la demande en
justice jusqu la solution du litige. Linstance est souvent confondue avec le procs
lui-mme, alors quelle nest, en toute rigueur, quune phase de celui-ci, comme en
atteste la dfinition du Vocabulaire juridique du doyen CORNU19. Pourtant,
lassimilation est largement admise entre les deux notions, notamment par la
doctrine. Ainsi, le Dictionnaire de la Justice du professeur Loc CADIET na pas cru
ncessaire dincorporer une entre spcifique pour dfinir linstance, estimant
suffisant de renvoyer dans lindex la notion de procs20 . Au regard de ces
considrations, les deux termes seront donc indiffremment employs dans la suite
de ltude.
18 MOTULSKY H., Le Droit subjectif et l'action en justice , Le Droit subjectif en question - publi avec
le concours du C.N.R.S, Ed. Topos Verlag, Vaduz, 1981, p. 215. 19 Procdure engage devant une juridiction, phase du procs , CORNU G., Vocabulaire juridique, 8e
d., P.U.F., Coll. Quadrige, Paris, 2007, p. 555. 20 CADIET L. (dir.), Dictionnaire de la Justice, P.U.F., Paris, 2004, p. 1348.
18 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
2) Les lments constitutifs complmentaires du procs
11. ce stade, le procs pourrait donc se dfinir comme une procdure, visant
rsoudre un diffrend qui oppose deux ou plusieurs parties. Cest videmment
insuffisant, tant chacune des deux composantes principales doit tre complte, afin
de correspondre aux exigences de vertu poses par ARISTOTE.
12. En premier lieu, la procdure est tenue de satisfaire certaines exigences,
notamment le respect des droits fondamentaux judiciaires. Le procs ne doit pas
seulement tre organis autour de lenchanement logique dtapes procdurales,
techniquement irrprochables, pour cristalliser les qualits attendues de la justice, en
tant que facteur dharmonie entre les hommes21. ce titre, le procs est un rouage
essentiel de ltat de droit. Il suffit seulement de songer quelques exemples
historiques de simulacres de justice22, pour cerner intuitivement ce qu'il ne doit pas
tre : le lieu et le moment d'un jugement acquis d'avance, peine dissimul derrire
les apparences de la contradiction. En ce sens, le standard du procs quitable, dfini
par les stipulations de larticle 6, paragraphe 1 de la Convention europenne des
droits de l'homme, a valeur de droit fondamental23, en offrant au justiciable une
protection juridictionnelle idoine24.
13. En second lieu, le litige doit tre soumis lapprciation dun tiers, bnficiant
dune certaine lgitimit aux yeux des parties. Celle-ci dcoule essentiellement de sa
qualit, laquelle est garantie par son mode de dsignation. En effet, que le juge soit
un magistrat appartenant un corps de ltat, recrut selon des critres de
21 AMRANI-MEKKI S., Procs , CADIET L. (dir.), Dictionnaire de la Justice, P.U.F., Paris, 2004,
p. 1083. 22 A titre dexemple, le procs de SOCRATE ou encore, les procs de Moscou organiss par STALINE
entre 1936 et 1938. 23 GUINCHARD S., Le procs quitable, droit fondamental ? , A.J.D.A., n spcial juillet-aot 1998,
p. 191. 24 Le procs quitable et la protection juridictionnelle du citoyen, colloque de Bordeaux, 29-30 septembre 2000,
Bruylant, Coll. Union des avocats europens, Bruxelles, 2001.
Introduction 19
comptences, ou quil soit directement choisi par les parties elles-mmes pour
arbitrer leur diffrend, il doit bnficier des garanties dindpendance25 et
dimpartialit26 ncessaires lexercice de sa fonction. Dans les deux hypothses, le
tiers intervenant est considr comme lgitime : au regard de ses garanties
statutaires, dans le premier cas et en raison du consensualisme qui a prsid sa
dsignation, dans le second. Il constitue llment dautorit ncessaire la dfinition
du procs27.
B) La dfinition fonctionnelle du procs
14. La dfinition formelle du procs a permis de mettre en vidence quatre
composantes constitutives essentielles, combines deux deux : un litige, opposant
deux ou plusieurs parties, soumis lvaluation dun tiers lgitime, lequel devra se
conformer une procdure respectueuse des droits fondamentaux judiciaires.
Cependant, la dfinition de tout objet doit comporter, non seulement les lments
ncessaires lapprhension de sa nature, mais aussi les prcisions concernant sa
fonction. Cest ainsi que pour ARISTOTE, la dfinition constitue lnonc de
lessence28 de toute chose. De ce point de vue, le procs a une finalit bien
dtermine au sein dune communaut politique : il est un facteur dapaisement des
relations sociales, en mettant un terme aux diffrends entre les hommes, par
lapplication de la rgle de droit29, dmocratiquement pense et adopte. La solution
juridictionnelle est ainsi doublement admise par ses destinataires. Lautorit attache
25 Cf infra n 248 et s. 26 Cf infra n 436 et s. 27 GUINCHARD S., .CHAINAIS C., DELICOSTOPOULOS C.-S., DELICOSTOPOULOS I.-S., Droit
processuel. Droit commun et droit compar du procs quitable, op. cit. 28 ARISTOTE, Catgories, I, 1 a 1-4. 29 AMRANI-MEKKI S., Procs , CADIET L. (dir.), Dictionnaire de la Justice, P.U.F., Paris, 2004,
p. 1088.
20 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
la chose juge dcoule, la fois, de lacceptation du tribunal30 lorigine de la
dcision juridictionnelle, mais aussi, de la lgitimit dmocratique de la norme
applicable au litige. De surcrot, en France, les dcisions de justice sont rendues au
nom du peuple franais31 , ce qui constitue un lment de souverainet, qui renforce
la fois le jugement lui-mme et la lgitimit de lautorit juridictionnelle qui la
dict32.
15. Lassociation des lments formels et fonctionnels permet alors daboutir une
dfinition satisfaisante du procs, parce quelle permet den rendre compte dans sa
double dimension. Le procs, champ principal de ltude, sera donc envisag comme
un instrument dapaisement des rapports sociaux, grce au concours dun tiers lgitime, qui
apporte une solution un litige opposant deux ou plusieurs parties, au moyen dune
procdure respectueuse des droits fondamentaux processuels.
2. Objet de ltude
16. Ltude, consacre aux principes directeurs du procs dans la jurisprudence du
Conseil constitutionnel, conduit ncessairement prciser les notions de principe
(A), de principe directeur du procs (B) et enfin, de principe constitutionnel (ainsi
que de constitutionnalisation du droit) (C), qui contribuent en construire le champ
smantique.
30 Au sens de la jurisprudence Sramek de la Cour europenne des droits de lhomme, C.E.D.H., 22
octobre 1984, Sramek c/ Autriche, requte n 8790/79, srie A, n 84, 36 : un tribunal se caractrise
par sa fonction matriellement juridictionnelle, quand il lui appartient de trancher, sur la base de
normes de droit et lissue dune procdure organise, toute question relevant de sa comptence , propos
de l'Autorit rgionale des transactions immobilires du Tyrol. 31 Article 454 du Code de procdure civile. 32 ESPARBS V., AU NOM DU PEUPLE FRANAIS Rflexions sur lentte des dcisions de justice,
Mmoire de D.E.A. dactyl., Paris II, 2008.
Introduction 21
A) La notion de principe
17. Les principes occupent une place centrale dans le fonctionnement des socits
humaines et jouent un rle essentiel, dans le processus de fabrication du droit qui les
gouverne. Le plus souvent, les juristes considrent la notion comme un postulat de
dpart, assimil par le plus grand nombre, quil est donc inutile dexpliciter33. Les
principes juridiques ont donn lieu de nombreux et stimulants changes
doctrinaux34, partir desquels il est difficilement contestable quils peuvent tre
source de perplexit thorique35. De tous les juristes stre penchs sur la question36,
Ronald DWORKIN est sans doute celui qui a construit la thorie la plus aboutie37.
Celle-ci vise contester les thses fondamentales du positivisme juridique, qui
soutiennent lide de la sparation conceptuelle entre le droit et la morale38, en
dmontrant lexistence autonome des principes en droit et leur distinction des rgles
juridiques.
18. Pour y parvenir, DWORKIN va adopter une dmarche intellectuelle oriente dans
deux directions. En premier lieu, dun point de vue statique, il va dmontrer que le
concept mme de principe possde, intrinsquement, des lments didentification
spcifiques, qui ne peuvent tre confondus avec ceux propres aux autres normes
juridiques (1). En second lieu, dans une approche dynamique, DWORKIN va mettre
en exergue le rle prcis jou par les principes dans le raisonnement juridique (2).
33 RIPERT G., Les forces cratrices du droit, L.G.D.J., Paris, 1955, 132. 34 CAUDAL S. (dir.), Les principes en droit, Economica, Coll. tudes juridiques, Paris, 2008. 35 GUASTINI R., Les principes de droit en tant que source de perplexit thorique , CAUDAL S.
(dir.), Les principes en droit, Economica, Coll. tudes juridiques, Paris, 2008, p. 113. 36 Cf BOULANGER J., Principes gnraux du droit et droit positif , Le droit priv franais au milieu
du XXe sicle, Etudes offertes Georges Ripert, L.G.D.J., Paris, 1950, p. 51 et s. 37 En 1967, DWORKIN publie un essai The Model of Rules , qui deviendra deux chapitres ( Le
modle des rgles I et Le modle des rgles II ) de louvrage Prendre les droits au srieux, P.U.F,
Coll. Lviathan, Paris, 1995. 38 Lide de DWORKIN tend dmontrer que les principes non crits appliqus par les juges sont
des principes moraux et simultanment, des principes juridiques, prcisment parce quils font
lobjet dune pratique judiciaire.
22 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
1) Les critres intrinsques didentification des principes
19. DWORKIN a mis en vidence deux critres principaux didentification des
principes, qui permettent de les distinguer des autres catgories normatives. Le
premier a trait leur nature : les principes sont des normes fondamentales, en ce sens
quils fournissent un fondement axiologique dautres normes qui appartiennent au
mme systme juridique. Tel est le cas, quand une juridiction se rfre un principe
pour dicter une rgle nouvelle39. Inversement, les principes, parce quils sont eux-
mmes des axiomes indispensables lidentification du profil axiologique dun
systme, ne ncessitent aucun fondement en amont de leur discernement40.
20. Il rsulte de cette fondamentalit une consquence inluctable : leur nature est
inadapte au test du pedigree, utilis par les positivistes pour distinguer les rgles de
droit valides, de celles qui ne le sont pas, ou des rgles morales41, selon la manire
dont elles ont t dictes. DWORKIN propose alors une autre procdure
didentification des principes, ds lors quils sinscrivent dans la thorie du droit et
quils fournissent aux rgles substantielles ou formelles une assise incontestable42. Il
sagit alors de trouver dans le principe, une justification issue de la tradition morale
ou politique et qui taye la ou les rgle(s) de droit correspondante (s)43.
21. Le second critre, qui permet de cerner le concept de principe et de le diffrencier
des rgles de droit, est relatif leur contenu. Structurellement indtermins, les
principes se distinguent des rgles par deux qualits principales : limprcision et la
39 DWORKIN R., Prendre les droits au srieux, op. cit., p. 87. 40 GUASTINI R., Les principes de droit en tant que source de perplexit thorique , CAUDAL S.
(dir.), Les principes en droit, op. cit., p. 114-115. 41 DWORKIN R., Prendre les droits au srieux, op. cit., p. 73. 42 Idem, p. 134-137. 43 TUSSEAU G., Mtathorie de la notion de principe dans la thorie du droit contemporaine - Sur
quelques coles de dfinition des principes , CAUDAL S. (dir.), Les principes en droit, Economica,
Coll. tudes juridiques, Paris, 2008, p. 80.
Introduction 23
dfectibilit44 . Si leur caractre gnral ne semble gure efficient pour distinguer
les principes des rgles, en revanche, il en va autrement de leur nature imprcise45.
En effet, celle-ci les rend inaptes pouvoir tre immdiatement et isolment
applicables, comme proposition majeure dun syllogisme juridique, sans le relais de
normes dexcution, qui prcisent concrtement leur mise en uvre dans la
rsolution du litige46.
2) Lutilisation des principes dans le raisonnement juridique
22. Le second particularisme des principes, parmi les normes juridiques, tient la
manire dont ils agissent au sein des rouages du droit. Leur dfectibilit , signale
prcdemment, induit une incapacit structurelle fournir une solution univoque
aux cas concrets, auxquels ils seraient susceptibles de sappliquer. En illustrant son
propos avec une affaire new-yorkaise, dans laquelle une juridiction devait dcider si
un hritier testamentaire, lorigine du dcs intentionnel du testateur, pouvait tout
de mme bnficier de lhritage47, DWORKIN met en exergue une diffrence
majeure entre les principes juridiques et les rgles de droit48. Le principe selon lequel
nul ne doit pouvoir tirer avantage de sa propre turpitude , utilis par la Cour pour
dshriter le lgataire parricide, permet seulement dorienter la dcision, mais ne
dtermine pas les conditions directes dapplication de la consquence juridique
correspondante, ni les exceptions quelle est mme de recevoir49. Entre les rgles et
les principes, il y a une diffrence dautomaticit, dans les consquences qui
dcoulent de leur mise en uvre.
44 GUASTINI R., Les principes de droit en tant que source de perplexit thorique , CAUDAL S.
(dir.), Les principes en droit, op. cit., p. 115. 45 CAUDAL S., Rapport introductif , CAUDAL S. (dir.), Les principes en droit, op. cit., p. 7. 46 Idem, p. 116. 47 Riggs v. Palmer 115 New York 506, 22 New England 188 (1889). 48 DWORKIN R., Prendre les droits au srieux, op. cit., p. 80. 49 Idem, p. 83-84.
24 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
23. La seconde diffrence majeure de fonctionnement dans le raisonnement juridique,
entre les rgles de droit et les principes, rside dans le mode de rsolution des
conflits pouvant survenir entre normes juridiques. DWORKIN dmontre que les
principes sont dots dun caractre que les rgles ignorent : la valeur, synonyme de
poids ou dimportance50. Quand, dans le cadre du dnouement dune situation
litigieuse, deux principes antagonistes semblent indiquer des directions opposes,
lautorit tenue de trancher le diffrend doit procder leur pondration. Il sagit
dune technique consistant tablir, entre les deux principes en conflit, une
hirarchie axiologique mobile51, cest dire que le juge doit attribuer un poids
chacun des deux, ce qui lui permettra de dterminer in fine, le principe appliquer
dans la situation prsente52. Lopration de pondration des deux mmes principes
pourrait, par ailleurs, dboucher sur une solution inverse, dans un cas concret
diffrent, les principes nayant pas de valeur axiologique absolue.
24. la diffrence des principes, les rgles de droit ne peuvent tre pondres de la
sorte, puisquelles sont dpourvues de cette importance relative, qui sert dunit de
mesure lvaluation comparative. En consquence, quand elles entrent en conflit,
une seule des deux est ncessairement valide, alors que lautre ne lest pas. Le
systme juridique rsout alors de telles difficults, grce des rgles de dnouement
des conflits normatifs, telles que Lex specialia generalibus derogant53 , Lex posterior
derogat priori54 ou encore, au moyen de la hirarchie des normes.
50 Id., p 84-85. 51 GUASTINI R., Les principes de droit en tant que source de perplexit thorique , CAUDAL S.
(dir.), Les principes en droit, op. cit., p. 118. 52 DWORKIN R., Prendre les droits au srieux, op. cit., p. 80. 53 La loi spciale droge la loi gnrale . 54 La loi la plus rcente droge la loi postrieure .
Introduction 25
B) La notion de principe directeur du procs
25. Le systme juridictionnel franais se subdivise principalement en trois grands
types de procdures : la procdure civile, la procdure pnale et la procdure
administrative contentieuse. Chacune delles est gouverne par des principes
directeurs codifis, qui en dterminent les grandes orientations, les conceptions dont
elle sinspire, lthique quelle veut incarner55 . Chacune aussi possde des traits qui lui
sont propres et qui dpendent essentiellement de trois paramtres : la nature des
litiges dont elle a connatre, la personnalit des acteurs qui participent au procs et
la nature de la juridiction lorigine des dcisions56. Il en rsulte une grande
diversit, en fonction des objectifs spcifiques poursuivis par chaque procdure57,
mme si certaines similitudes peuvent apparatre entre procs civil et procs pnal58,
en raison dune certaine forme dattraction exerce par les principes directeurs du
procs civil sur la matire pnale59.
26. En premier lieu, la procdure civile comprend un droit commun processuel,
form par les vingt-quatre premiers articles du Code, regroups au sein du Chapitre
1er, du Titre 1er, du Livre 1er, intitul Les principes directeurs du procs . Ces derniers
constituent un cur de rgles primordiales, qui reclent la quintessence du procs civil60 .
Il est possible de les classer dans deux catgories distinctes. Dun ct, les treize
premiers articles visent essentiellement rpartir les rles entre le juge et les parties,
tandis que de lautre, les onze dispositions suivantes sattachent surtout fournir des
55 NORMAND J., Principes directeurs du procs , CADIET L. (dir.), Dictionnaire de la Justice,
P.U.F., Paris, 2004, p. 1038. 56 Idem, p. 1039. 57 CADIET L., Et les principes directeurs des autres procs ? Jalons pour une thorie des principes
directeurs du procs , Justice et droits fondamentaux : tudes offertes Jacques Normand, Litec, Paris,
2003, p. 79. 58 VERGS E., Procs civil, procs pnal : diffrents et pourtant si semblables , D, 2007, p. 1441. 59 BUSSY F., L'attraction exerce par les principes directeurs du procs civil sur la matire pnale ,
R.S.C., 2007, p. 39. 60 CORNU G., Les principes directeurs du procs civil par eux-mmes (fragment dun tat des
questions) , Etudes offertes Pierre Bellet, Litec, Paris, 1991, p. 83.
26 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
garanties de bonne justice61. Mais lobjectif principal, poursuivi par les principes
directeurs du procs civil, reste la clarification et le renforcement de loffice du juge,
ce qui traduit une rupture avec la conception traditionnelle du procs civil, dans
laquelle le juge exerait, titre premier, la fonction darbitre62. En instaurant un
principe de coopration entre les diffrents acteurs du procs, les rles sont
rquilibrs, ce qui rapproche, de ce point de vue, la procdure civile de la procdure
pnale. Elle demeure globalement accusatoire, mais intgre dans son fonctionnement
des lments correctifs issus de la procdure inquisitoire63.
27. En deuxime lieu, le Code de procdure pnale souvre sur un article
prliminaire64, introduit par la loi du 15 juin 200065. Celui-ci pose trois catgories de
principes directeurs du procs rpressif, reprenant pour partie les propositions
nonces par la Commission Justice pnale et droits de lhomme66 , qui navaient
pas t concrtises dans la loi rformant la procdure pnale de 199367. La premire
catgorie de principes est consacre la procdure proprement dite, la deuxime aux
droits des victimes dinfractions pnales et la troisime, aux droits des suspects et
personnes poursuivies. La fonction principale de ce corpus de principes directeurs
est dintroduire en droit interne, au sein dune lgislation codifie, lessentiel des
rgles fondamentales du procs quitable, telles quelles sont dfinies dans larticle 6
61 NORMAND J., Principes directeurs du procs , op. cit., p. 1040. 62 Ibidem. 63 BUSSY F., L'attraction exerce par les principes directeurs du procs civil sur la matire pnale ,
op. cit., p. 40. 64 Si loption choisie a t celle de les noncer dans un article prliminaire, la raison est simplement
pratique, sans porte symbolique particulire. Il sagissait seulement dviter de renumroter les
articles du Code de procdure pnale, puisque ces principes ny ont pas t introduits dans le
cadre dune refonte globale. 65 Loi n 2000-516 du 15 juin 2000 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits
des victimes, JO, 8 juillet 2000, p. 10323. 66 La Commission Justice pnale et droits de lhomme , institue par arrt de M. Pierre
ARPAILLANGE, ministre de la Justice, le 19 octobre 1988, a prsent plusieurs tudes, parmi
lesquelles une consacre aux principes directeurs de la lgislation pnale. 67 Loi n 93-2 du 4 janvier 1993 portant rforme de la procdure pnale, JO, 5 janvier 1993, p. 215.
Introduction 27
de la Convention europenne des droits de lhomme et interprtes par la Cour de
Strasbourg.
28. Enfin, en troisime lieu, le Code de justice administrative, promulgu le 4 mai
200068, souvre sur un Titre prliminaire qui, en onze articles, numre ce quil
convient de qualifier de principes directeurs du procs administratif, mme si le
Code ne le mentionne pas explicitement69. Ces derniers dfinissent les caractres
majeurs de la procdure administrative contentieuse, en procdant de manire
chronologique, chacune des tapes processuelles tant vise par un article
(instruction70, dbats71, dlibr72, jugement73). Formuls de manire apparemment
technique et objective, ces principes nen traduisent pas moins les orientations
principales de la procdure administrative et ses fondements axiologiques, domins
par la justice et lquit74.
29. Malgr toute la diversit qui vient dtre constate entre les principes directeurs
des trois procdures, il nest pas interdit de sinterroger sur ce qui pourrait,
lavenir, constituer une forme de noyau dur des principes mergents du procs.
Le professeur Serge GUINCHARD, qui sest pli lexercice, identifie trois grandes
normes processuelles qui forment, selon lui, les principes directeurs du procs : la
loyaut procdurale, le dialogue et la clrit75. Aussi intellectuellement sduisante
que soit la dmarche, elle nen comporte pas moins certaines faiblesses, tant la
68 Ordonnance n 2000-387 du 4 mai 2000 relative la partie Lgislative du code de justice
administrative, JO, 7 mai 2000, p. 6904. 69 Par ailleurs, un manuel rcent de droit administratif, GONOD P., MELLERAY F. et YOLKA P.,
Trait de droit administratif, Dalloz, Coll. Traits Dalloz, Paris, 2011, intitule un chapitre entier de
louvrage Les principes directeurs du procs administratif . 70 Code de justice administrative, article 5. 71 Idem, article 6. 72 Id., article 8. 73 Id., article 9. 74 GONOD P., MELLERAY F. et YOLKA P., Trait de droit administratif, t. 2, op. cit., p. 551. 75 GUINCHARD S., Quels principes directeurs pour les procs de demain ? , Mlanges Jacques Van
Compernolle, Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 201.
28 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
prsence de tel ou tel principe varie, tout de mme, considrablement dune
procdure lautre. La clrit, pour ne citer quelle, semble ainsi plutt mal adapte,
un procs aux enjeux aussi lourds de consquences humaines que le procs pnal.
30. Il parat donc plus raisonnable de conclure que la codification des principes
directeurs du procs, en dpit des rapprochements observs entre les diffrentes
procdures, ne permet pas de dgager un socle processuel commun. Cela ne saurait
surprendre, dans la mesure o chaque codification a t ralise de manire
autonome, en considration des seuls objectifs propres la procdure concerne. En
revanche, ce droit processuel commun dcoule de la jurisprudence constitutionnelle,
facteur dunification du droit du procs, qui en a pos les fondements en droit
interne.
C) La notion de principe constitutionnel et de constitutionnalisation
du droit
31. Les principes, que le juge constitutionnel dgage et quil rige au sommet de la
hirarchie des normes, composent un corps de normes processuelles ayant, pour la
plupart, vocation sappliquer toutes les procdures76. Ainsi, cette
constitutionnalisation du droit processuel77 aboutit un droit commun du procs,
dont il faut prciser la gense, mais aussi les incertitudes qui ont prsid son
laboration.
32. La constitutionnalisation du droit est un phnomne se manifestant par
linfluence de la Constitution et de la jurisprudence constitutionnelle, sur une ou
76 GUINCHARD S., Retour sur la constitutionnalisation de la procdure civile , Le juge entre deux
millnaires : mlanges offerts Pierre Drai, Dalloz, Paris, 2000, p. 358. 77 Lexpression est utilise pour la premire fois par Serge GUINCHARD, dans ldition 1991 du
prcis Dalloz de procdure civile.
Introduction 29
plusieurs branches du droit, qui se colorent ainsi daspects constitutionnels78. Cette
imprgnation de l'ordre juridique par la jurisprudence constitutionnelle a d'abord t
observe par le professeur Michel FROMONT79 (au sujet de lAllemagne Fdrale)
travers le prisme de la thorie des droits fondamentaux, avant d'tre analyse et
systmatise par le Doyen FAVOREU concernant le cas franais, qui a d au dpart
dfendre jusqu' l'existence du phnomne, que nul, ou presque, ne songerait
raisonnablement contester aujourd'hui80.
33. Louis FAVOREU dcrivait le processus de constitutionnalisation du droit comme
se droulant en deux temps81. La premire tape consiste en une accumulation de
normes constitutionnelles, favorise par lextension des sources de la Constitution,
suite la dcision du 16 juillet 1971, Loi compltant les dispositions des articles 5 et 7 de la
loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association82 et par llargissement de la saisine
du Conseil constitutionnel en 197483. La seconde tape repose ensuite sur la diffusion
de ces normes dans lordre juridique, par le canal de larticle 62 de la Constitution84.
Grce la technique des rserves dinterprtation, cest non seulement la chose juge,
mais aussi la chose interprte, qui simposent aux pouvoirs publics et toutes les
78 MOLFESSIS N., L'irrigation du droit par les dcisions du Conseil constitutionnel , Pouvoirs,
n 105, 2003, p. 89. 79 FROMONT M., Les droits fondamentaux dans l'ordre juridique de la Rpublique Fdrale
d'Allemagne , Recueil d'tudes en hommage Charles Eisenmann, Editions Cujas, Paris, 1975, p. 49. 80 FAVOREU L., Lapport du Conseil constitutionnel au droit public , Pouvoirs, 1980, n 13, p. 17 ;
L'influence de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les diverses branches du droit ,
Itinraires : tudes en l'honneur de Lo Hamon, Economica, Paris, 1982, p. 235 ; La
constitutionnalisation du droit , L'unit du droit : mlanges en hommage Roland Drago, Economica,
Paris, 1996, p. 25. 81 FAVOREU L., La constitutionnalisation du droit , op. cit., p. 28 et s. 82 Dcision n 71-44 DC du 16 juillet 1971, Loi compltant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi
du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, JO, 18 juillet 1971, p. 7114. 83 Loi n 74-904 du 29 octobre 1974 portant rvision de l'article 61 de la Constitution, JO, 30 octobre
1974, p. 11035. 84 DRAGO G., L'excution des dcisions du Conseil constitutionnel : l'effectivit du contrle de
constitutionnalit des lois, Economica/P.U.A.M., Coll. Droit public positif, Paris, Aix-en-Provence,
1991, p. 26.
30 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
autorits administratives et juridictionnelles85, dautant que l'autorit des dcisions
vises par cette disposition s'attache non seulement leur dispositif mais aussi aux motifs qui
en sont le soutien ncessaire et en constituent le fondement mme86 . Si certains auteurs
ont pu mettre des doutes sur lautorit des dcisions du Conseil constitutionnel,
strictement limite au texte lgislatif examin87, il nen demeure pas moins que le
Conseil dtat88, comme la Cour de cassation89 ont expressment reconnu tre lis par
la jurisprudence constitutionnelle et ont considr devoir faire une application de la
loi, conforme linterprtation donne par le juge constitutionnel. Louis FAVOREU a
dailleurs fait la dmonstration, que labsence de mcanisme, permettant dassurer le
respect des dcisions du Conseil constitutionnel, ne fait pas obstacle la rception de
sa jurisprudence par les juridictions ordinaires90.
34. Cette irrigation par la Constitution a atteint progressivement toutes les branches
du droit. Le droit processuel ne pouvait donc chapper au phnomne et ce dautant,
que la procdure est bien souvent la condition de la mise en uvre d'autres droits, le
procs, le lieu et le moment le plus propice leur reconnaissance ou leur
rtablissement. Les rgles rgissant la procdure pnale, la procdure civile et la
procdure administrative contentieuse ont ainsi progressivement pris racine dans le
texte mme de la Constitution et ont acquis un statut constitutionnel, grce au
dveloppement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce dernier a alors fait
85 Sur lensemble de la question : DI MANNO T., Le juge constitutionnel et la technique des dcisions
interprtatives en France et en Italie, Economica, Coll. Droit public positif, Paris, 1997 ; DISANT M.,
L'autorit de la chose interprte par le Conseil constitutionnel, L.G.D.J., Coll. Bibliothque
constitutionnelle et de science politique, Paris, 2010 ; VIALA A., Les rserves d'interprtation dans la
jurisprudence du Conseil constitutionnel, L.G.D.J., Coll. Bibliothque constitutionnelle et de science
politique, Paris, 1999. 86 Dcision n 62-18 L du 16 janvier 1962, Nature juridique des dispositions de l'article 31 (alina 2)
de la loi n 60-808 du 5 aot 1960 d'orientation agricole, JO, 25 fvrier 1962, p. 1915, Cons. 1. 87 MOLFESSIS N., L'irrigation du droit par les dcisions du Conseil constitutionnel , op. cit., p. 98. 88 C.E., Ass., 20 dcembre 1985, S.A. Etablissements Outters, n 31927, Rec. p. 382 ; D, 1986, p. 283, note
FAVOREU L. ; C.E., Ass., 11 mars 1994, S.A. La cinq, n 115052, Rec. p. 118. 89 Cass., Ass. pln., 10 octobre 2001, Breisacher, pourvoi n 01-84922, Bull. crim., 2001, n 206, p. 660 ;
D, 2001, p. 3365, note FAVOREU L. 90 FAVOREU L., La constitutionnalisation du droit , op. cit., p. 32.
Introduction 31
merger, non sans un certain mrite, tant le texte constitutionnel est pauvre en
matire de dispositions processuelles, des principes judiciaires fondamentaux,
formant un vritable droit constitutionnel processuel91, qui coexiste dans l'ordre
juridique interne avec le droit au procs quitable, dvelopp par la Cour
europenne des droits de lhomme92.
35. Le professeur Serge GUINCHARD est le premier avoir relay les thses de
Louis FAVOREU, dans le domaine du droit processuel, en mettant en vidence
lemprise des droits fondamentaux sur cette matire, ce que le Doyen aixois nommait
la constitutionnalisation-transformation93 , pour dcrire les effets de limprgnation
de lordre juridique, par les droits et liberts constitutionnels94. Serge GUINCHARD a
ainsi dmontr lmergence dun vritable droit processuel constitutionnel,
englobant tant la matire pnale que civile, mme si cest dans ce domaine que la
constitutionnalisation suscite les rticences les plus vives. Le professeur Bernard
BEIGNIER, par exemple, va mme jusqu qualifier de mythe , le phnomne
dimprgnation de la procdure civile par le droit constitutionnel95.
36. Largument majeur, utilis par les dtracteurs du phnomne de
constitutionnalisation de la procdure civile, rside dans la nature essentiellement
rglementaire des normes qui rgissent cette matire, laquelle fait obstacle au
91 SCHMITTER G., La constitutionnalisation du droit processuel, Thse dactyl., Aix-Marseille III, 1994. 92 Aussi souvent que ncessaire, des valuations comparatives, entre les deux jurisprudences, seront
effectues au cours de ltude. Elles dmontreront, de manire assez manifeste, que les similitudes
lemportent sur les divergences, ce qui ne saurait surprendre, tant la conception des liberts, par
chacune des deux juridictions, nest gure loigne, Cf ANDRIANTSIMBAZOVINA J., La
conception des liberts par le Conseil constitutionnel et par la Cour europenne des droits de
lhomme , Cahiers du Conseil constitutionnel, 2011, n 32, p. 19. 93 FAVOREU L., La constitutionnalisation du droit , L'unit du droit : mlanges en hommage Roland
Drago, op. cit., p. 37. 94 GUINCHARD. S., La constitutionnalisation du droit processuel , Cinquantime anniversaire de la
Constitution franaise : 1958-2008, Dalloz, Paris, 2008, p. 459. 95 BEIGNIER B., Procdure civile et droit constitutionnel , FRANCOIS B. et MOLFESSIS N. (dir.),
La lgitimit de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, colloque de Rennes, 20 et 21 septembre 1996,
Economica, Coll. Etudes juridiques, Paris, 1999, p. 157.
32 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
contrle de constitutionnalit dvelopp par le Conseil constitutionnel96. Nanmoins,
le professeur GUINCHARD dmontre quil est rducteur de construire la base de son
argumentation autour de la seule rpartition des comptences, entre les articles 34 et
37 de la Constitution97, dautant que lempitement du lgislateur sur le domaine
rglementaire est potentiellement illimit98. Il en conclut que labsence de contrle
nentrane pas mcaniquement linexistence de la constitutionnalisation, puisque le
Conseil constitutionnel dgage des principes qui ont vocation sappliquer
lensemble des contentieux99.
37. travers ces considrations juridiques, ce quune certaine doctrine privatiste
dnonce, cest en ralit ce quelle peroit comme une tentative dhgmonie du droit
constitutionnel sur lensemble des branches du droit. Les professeurs Dominique
ROUSSEAU et Jrme ROUX avancent quelques arguments, pour tenter dexpliquer
ces ractions, qui proviennent manifestement dun malentendu100. Il nest nullement
contestable que les diffrentes branches du droit ont dvelopp leurs propres
concepts, avant que le droit constitutionnel, dapparition plus rcente, ne prenne
lessor quon lui connat aujourdhui. Il nest pas davantage douteux quil existe des
principes fondamentaux de procdure civile101, qui peuvent mme inspirer le Conseil
constitutionnel, afin de les riger en principes communs pour lensemble des
contentieux102. Il nen demeure pas moins que la hirarchie des normes incline plutt
96 BEIGNIER B., Procdure civile et droit constitutionnel , op. cit., p. 158 ; MOLFESSIS N., La
procdure civile et le droit constitutionnel , Le nouveau Code de procdure civile : vingt ans aprs,
Actes du colloque des 11 et 12 dc. 1997, La documentation franaise, Paris, 1998, p. 249. 97 GUINCHARD S., Retour sur la constitutionnalisation de la procdure civile , op. cit., p. 358. 98 Dcision n 82-143 DC du 30 juillet 1982, Loi sur les prix et les revenus, notamment ses articles 1, 3
et 4, JO, 31 juillet 1982, p. 2470. 99 GUINCHARD S., Retour sur la constitutionnalisation de la procdure civile , op. cit., p. 358. 100 ROUSSEAU D. et ROUX J., Droit constitutionnel processuel , J.-Cl. adm., fasc. 1455, 1999, p. 3. 101 BEIGNIER B., Hirarchie des normes et hirarchie des valeurs - Les principes gnraux du droit
et la procdure civile , Le droit priv franais la fin du XXe sicle, Etudes offertes Pierre Catala, Litec,
Paris, 2001, p. 156. 102 BEIGNIER B., Procdure civile et droit constitutionnel , op. cit., p. 164.
Introduction 33
penser quil existe bien des bases constitutionnelles du droit processuel, sans
quune telle proposition porte en elle sa propre contradiction103 .
3. Dlimitation et problmatique gnrale de ltude
38. La dfinition retenue du procs, en tant quinstrument dapaisement des rapports
sociaux, grce au concours dun tiers lgitime, qui apporte une solution un litige opposant
deux ou plusieurs parties, au moyen dune procdure respectueuse des droits fondamentaux
processuels104, permet dinclure dans le domaine de ltude, trois formes particulires
de procdures contentieuses. Larbitrage, dabord, qui rpond chacun de ces
critres, dans la mesure o larbitre tire sa lgitimit de sa dsignation, rsultant dun
choix commun des parties et quil est tenu, par ailleurs, de respecter les principes
directeurs du procs civil105. Pour le reste, ses prrogatives ne diffrent gure de
celles dun tribunal tatique106.
39. Deux autres procdures feront lobjet dune attention particulire, car susceptibles
de dboucher sur une dcision faisant grief son destinataire107 et pouvant heurter
les principes dindpendance et dimpartialit de la justice108. Il sagit des procdures
disciplinaires, ainsi que celles se droulant devant les autorits administratives
indpendantes. Elles peuvent recevoir toutes deux la qualification de procs,
puisquelles permettent dapporter une solution un litige, lissue dune procdure
respectueuse des garanties processuelles. Il ny a donc aucune raison de les exclure
103 BEIGNIER B., Hirarchie des normes et hirarchie des valeurs - Les principes gnraux du droit
et la procdure civile , op. cit., p. 170. 104 Cf supra n 15. 105 Code de procdure civile, article 1464. 106 Code de procdure civile, articles 1442 1503. 107 GENEVOIS B., Le Conseil constitutionnel et la dfinition des pouvoirs du Conseil suprieur de
laudiovisuel , note, Dcis. Cons. const. n 88-248 DC du 17 janvier 1989, R.F.D.A., 1989, p. 215. 108 Cf infra n 462 et s. et n 504 et s. pour les procdures disciplinaires, n 471 et s. pour les procdures
applicables aux autorits administratives indpendantes.
34 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
du domaine de ltude, dautant quelles ont permis au droit constitutionnel
processuel de prciser et mme de renforcer, certaines exigences procdurales109.
40. En revanche, mme sil ne sera pas totalement cart du cadre de ltude,
puisquil est parfois susceptible de fournir des lments de rflexion utiles la
dmonstration110, le procs constitutionnel ny sera trait que de manire subsidiaire.
Si la pertinence juridique de la dnomination de procs , applique au contrle a
priori de constitutionnalit des lois, peut tre discute111, nul doute que la procdure
de question prioritaire de constitutionnalit rpond la dfinition du procs que
nous avons retenue. Mme si la question prioritaire transmise au Conseil
constitutionnel revt un caractre objectif112, celui-ci a rcemment eu loccasion de
prciser quelle ntait pas un procs gnral fait une loi, lencontre de laquelle,
nimporte quel justiciable pourrait invoquer un ventail indtermin de griefs
dinconstitutionnalit113. Il sagit au contraire dune contestation, portant sur une ou
plusieurs dispositions lgislatives, ncessaires la rsolution dun litige opposant
une ou plusieurs parties114. Le professeur Dominique ROUSSEAU a ainsi dmontr
que tous les lments constitutifs du procs taient bien runis, lors du contrle a
posteriori de constitutionnalit des lois devant le Conseil constitutionnel115.
109 Cf notamment leffet suspensif de lappel, n 231 et s. et lexigence de motivation des dcisions
manant dautorits non juridictionnelles, n 960 et s. 110 Ce sera, par exemple, le cas quand il sera trait de la dlicate question de limpartialit
fonctionnelle des membres du Conseil constitutionnel. 111 Le professeur Guillaume DRAGO, par exemple, estime quil sagit dun procs qui nen est pas
vraiment un et quil ny a pas de vritable procs, sinon un procs fait un acte lgislatif , Quels
principes directeurs pour le procs constitutionnel ? , Justices et droit du procs : du lgalisme
procdural l'humanisme processuel : mlanges en l'honneur de Serge Guinchard, Dalloz, Paris, 2010,
p. 443. 112 Idem, p. 448. 113 Dcision n 2013-334/335 QPC du 26 juillet 2013, Socit SOMAF et autre [Loi relative l'octroi de
mer], JO, 28 juillet 2013, p. 12664. 114 Idem, Cons. 5. 115 ROUSSEAU D., Le procs constitutionnel , Pouvoirs, 2011, n 137, p. 47.
Introduction 35
41. De plus, lobjet mme de ltude porte sur le droit constitutionnel processuel et
non sur le droit processuel constitutionnel, cest dire sur lensemble des normes
constitutionnelles qui intressent le droulement du procs116 et non sur le droit qui rgit
les instances conduites devant et par la juridiction constitutionnelle117 . Ceci nous amnera
donc tudier, non pas les principes directeurs du procs constitutionnel118, mais les
principes constitutionnels directeurs du procs. La nuance nest pas que smantique
et ne tient pas seulement au positionnement de ladjectif constitutionnel dans la
locution nominale. Le professeur Guillaume DRAGO a identifi les principes
directeurs du contrle de constitutionnalit119, autrement dit du procs
constitutionnel et ceux-ci ne concident pas exactement avec les principes
constitutionnels directeurs du procs, tels que le Conseil constitutionnel les a
dgags120.
42. Une fois prcis le cadre de ltude, il nous faut tablir une classification logique
des principes constitutionnels directeurs du procs, qui soit le reflet fidle de la
jurisprudence constitutionnelle et qui facilite sa comprhension, afin den amliorer
la prvisibilit121. Le professeur Michel TROPER122, dans le prolongement de Charles
116 ROUSSEAU D. et ROUX J., Droit constitutionnel processuel , op. cit., p. 3. 117 Ibidem. 118 DRAGO G., Quels principes directeurs pour le procs constitutionnel ? , Justices et droit du procs
: du lgalisme procdural l'humanisme processuel : mlanges en l'honneur de Serge Guinchard, op. cit.,
p. 439. 119 Ibidem. 120 La clrit de la justice et la publicit des dbats, identifies par le professeur DRAGO comme des
principes directeurs du contrle de constitutionnalit, tant abstrait que concret, ne semblent pas
pouvoir tre rangs dans la catgorie des principes constitutionnels directeurs du procs. Ainsi,
dans la jurisprudence constitutionnelle, la clrit de la justice na jamais t expressment vise
(seul le dlai raisonnable est parfois voqu, Cf infra n 169 et 170) et la publicit des dbats na
fond quune seule dclaration dinconstitutionnalit ce jour, mme si celle-ci, concernant la
comparution sur reconnaissance pralable de culpabilit, nest pas passe inaperue, Dcision n
2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux volutions de la criminalit, JO, 10
mars 2004, p. 4637, Cons. 117. 121 Pour Jean RIVERO, la systmatisation de la jurisprudence, cest dire coordonner les solutions
particulires en un tout organis afin de les transformer en une matire intelligible , rpond une
ncessit, Apologie pour les "faiseurs de systmes" , D, 1951, p. 99. 122 TROPER M., Les classifications en droit constitutionnel , R.D.P., 1989, p. 945 ; TROPER M. et
HAMON F., Droit constitutionnel, 33e d., L.G.D.J., Coll. Manuels, Paris, 2012, p. 121-125.
36 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
EISENMANN123, a mis en exergue les qualits attendues dune classification,
opration intellectuelle quil distingue, en propos liminaires, du classement124. La
classification doit permettre de distribuer, dans les diffrentes catgories, tous les
objets du genre tudi, lesquels ne doivent pas, non plus, pouvoir tre rangs
simultanment dans deux classes distinctes125. Afin dviter ce double cueil, le
critre de classement ne doit pas tre trop vague126 et doit permettre une
reprsentation binaire du phnomne tudi127. Il en rsulte que pour Michel
TROPER, la valeur logique dune classification est suffisante, ds lors que le critre
de distribution repose sur une proprit, lune des classes tant dfinie par cette
proprit et lautre par la proprit contraire, cest dire par son absence128 . Les catgories
sopposeront ainsi trait pour trait, rpondant au principe de non-contradiction129.
43. Dans le cas prsent, il apparat dlicat de suivre les prconisations logiques du
professeur Michel TROPER. En effet, lapplication du principe de non-contradiction
conduit ncessairement une systmatisation dichotomique de la situation
examine. Or, il semble difficile de classer tous les principes constitutionnels
directeurs du procs, laide de deux critres exclusifs lun de lautre et, mme de les
distribuer dans plusieurs catgories parfaitement disjointes. En effet, il existe entre
les normes directrices du procs, une relation dinterdpendance qui rend cette
forme de catgorisation malaise.
123 EISENMANN C., Quelques problmes de mthodologie des dfinitions et des classifications en
science juridique , Archives de philosophie du droit, 1966, n 11, p. 25. 124 La classification consiste dterminer abstraitement des catgories ou classes en indiquant une
caractristique ou qualit que prsenteront tous les objets rangs dans cette classe alors que le
classement est seulement laffectation dun objet une classe , TROPER M. et HAMON F., Droit
constitutionnel, op. cit., p. 121. Pour EISENMANN, la classification est la subdivision dun genre en
espces , Quelques problmes de mthodologie des dfinitions et des classifications en science
juridique , op. cit., p. 31. 125 TROPER M. et HAMON F., Droit constitutionnel, op. cit., p. 122. 126 Idem, p. 123. 127 Id., p. 122. 128 TROPER M., Les classifications en droit constitutionnel , R.D.P., 1989, p. 947. 129 Ibidem.
Introduction 37
44. En outre, pour Michel TROPER, une classification russie doit aussi apporter
une indication scientifique intressante130 , cest dire, faire progresser la connaissance
en permettant de rvler quelque phnomne cach131 ou permettre de raliser une
conomie intellectuelle132 . Pour le dire simplement, la classification ne doit pas tre
gratuite133. ce propos, le professeur Fabrice MELLERAY signale deux qualits qui
lui semblent essentielles : une valeur descriptive satisfaisante et une valeur
explicative substantielle134. Au regard de ce double objectif, le critre de
catgorisation le plus pertinent des principes directeurs du procs, dgags par le
juge constitutionnel, est apparu comme tant celui de lacteur du procs
principalement concern. Il y aurait ainsi, dun ct, les principes constitutionnels
directeurs du procs dirigs essentiellement vers le juge et de lautre, ceux orients
principalement vers les parties. cette distinction principale, il convient alors de
rajouter une catgorie annexe, celle des garanties procdurales qui agissent lgard
des deux acteurs majeurs du procs, en favorisant les qualits du juge et en
protgeant les droits des parties.
45. Ainsi complte, la classification des principes constitutionnels directeurs du
procs prsente alors un intrt scientifique, en rvlant une forme de gradation des
exigences du Conseil constitutionnel, en fonction de la classe de principes envisage.
On peut alors se demander, si la distinction mise ainsi en vidence ne pourrait pas
concider avec la dichotomie dcouverte par DWORKIN, entre les principes et les
130 TROPER M. et HAMON F., Droit constitutionnel, op. cit., p. 123. 131 Ibidem. 132 TROPER M., Les classifications en droit constitutionnel , op. cit., p. 950. Michel TROPER cite
lexemple des pathologies, classes par ensemble de symptmes, afin de prescrire le traitement
mdical correspondant la cause associe aux symptmes. 133 Michel TROPER cite ici lexemple dune classification des constitutions crites, qui serait effectue
selon que le nombre darticles soit pair ou impair. Bien que logique, elle napporterait aucun
lment scientifique intressant, Ibidem. 134 MELLERAY F., Essai sur la structure du contentieux administratif franais : pour un renouvellement de la
classification des principales voies de droit ouvertes devant les juridictions comptence gnrale, L.G.D.J.,
Coll. Bibliothque de droit public, Paris, 2001, p. 18.
38 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
rgles135. De prime abord, le Conseil constitutionnel semble confondre les deux
catgories normatives. En effet, alors quil aurait pu retenir lide dune intervention
module du lgislateur, selon que la loi fixe les rgles ou dtermine les principes
fondamentaux136, le juge constitutionnel a considr quil ny avait pas lieu de
distinguer entre les deux137. Pourtant, le Conseil se rfre frquemment aux
principes et rgles de valeur constitutionnelle138 , ce qui induit une diffrenciation
axiologique entre les principes dun ct et les rgles de lautre. Au-del des
apparences smantiques, il convient alors dutiliser la grille de lecture de DWORKIN,
afin de vrifier si les normes processuelles, rvles par le Conseil constitutionnel,
sont bien toutes le sige de principes directeurs du procs, ou si certaines nabritent
pas plutt de simples rgles procdurales.
46. La confrontation des deux critres principaux didentification des principes mis
en exergue par DWORKIN, la fondamentalit et limprcision, avec les normes
processuelles issues de la jurisprudence constitutionnelle, fait alors apparatre deux
catgories de normes directrices du procs. La premire comprend des principes qui
expriment lquit du procs et qui forment en droit constitutionnel positif, ce que
Jean CARBONNIER dsignait comme tant un peu le droit naturel de la procdure139
ou Henri MOTULSKY, les principes gnraux philosophiques140 . Exprimant lessence
135 Cf supra n 19 et s. 136 Article 34 de la Constitution. 137 Dcision n 59-1 L du 27 novembre 1959, Nature juridique de l'article 2, alina 3 de l'ordonnance n 59-
151 du 7 janvier 1959 relative l'organisation des transports de voyageurs dans la rgion parisienne, JO, 14
janvier 1960, p. 442. 138 Parmi de nombreuses dcisions qui y font rfrence, Dcision n 86-207 DC du 26 juin 1986, Loi
autorisant le Gouvernement prendre diverses mesures d'ordre conomique et social, JO, 27 juin 1986,
p. 7978, Cons. 23 ; Dcision n 2000-439 DC du 16 janvier 2001, Loi relative l'archologie prventive,
JO, 18 janvier 2001, p. 931, Cons. 10 ; Dcision n 2004-504 DC du 12 aot 2004, Loi relative
l'assurance maladie, JO, 17 aot 2004, p. 14657, Cons. 45. 139 CARBONNIER J., Droit Civil, Introduction, 25e d., P.U.F., Paris, 1997, n 188. 140 MOTULSKY H., Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la
dfense en procdure civile , Mlanges en l'honneur de Paul Roubier, t. 2 : Droit priv, proprit
industrielle, littraire et artistique, Dalloz, Paris, 1961, p. 178.
Introduction 39
mme du procs, ce sont des principes communs lensemble des procdures,
auxquels il nest possible de droger que sous de strictes conditions141.
47. La seconde catgorie regroupe des rgles essentiellement techniques142,
contingentes143 , qui peuvent donc tre plus facilement cartes et sont susceptibles
de variations selon les contentieux144. Le droit au recours juridictionnel,
lindpendance et limpartialit de la justice, les droits de la dfense et la
prsomption dinnocence (mme si cette dernire est rserve la matire
rpressive145) appartiennent la premire famille, tandis que la publicit des dbats,
la clrit de la justice146, la collgialit des juridictions et la motivation des dcisions
composent lessentiel de la seconde.
48. En rsum, le genre (les normes directrices du procs) se subdivise en deux-sous
genres : les vritables principes directeurs du procs (qui comprennent les
principes tourns vers le juge et ceux dirigs vers les parties) et les simples rgles
procdurales directrices du procs. Une telle classification permet de prsenter
fidlement le droit constitutionnel positif, de faciliter son apprhension et daccrotre
la prvisibilit de la jurisprudence constitutionnelle. Lide dune diffrence de
densit entre les normes directrices du procs, tablie selon ltendue des
exigences et la rigueur du contrle effectu par le juge constitutionnel, ne semble
donc pas dpourvue de toute pertinence. Malgr labsence de contrle de certaines
141 CADIET L., Et les principes directeurs des autres procs ? Jalons pour une thorie des principes
directeurs du procs , op. cit., p. 86. 142 MOTULSKY H., Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la
dfense en procdure civile , op. cit., p. 178. 143 CARBONNIER J., Droit Civil, Introduction, op. cit., n 189. 144 CADIET L., Et les principes directeurs des autres procs ? Jalons pour une thorie des principes
directeurs du procs , op. cit., p. 87. 145 Cf infra n 593 et s. 146 Mme si elles apparaissent diffrents endroits de ltude, le choix a t fait de ne pas consacrer de
longs dveloppements individualiss, ni la publicit des dbats, ni la clrit de la justice. La
raison en est simple : la jurisprudence constitutionnelle, sans tre totalement muette sur la
question, est encore insuffisamment tablie sur ces deux rgles procdurales, pour pouvoir en tirer
des enseignements dune fiabilit suffisante.
40 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
dispositions, en raison de leur valeur rglementaire et le dfaut de fondements
directs dans le bloc de constitutionnalit, le Conseil constitutionnel a russi faire
merger un droit constitutionnel processuel cohrent. De cette initiative prtorienne,
dcoule un corps de normes processuelles, de valeur juridique et axiologique
variables, garantissant la fois lexistence (1re Partie) et la qualit (2nde Partie) du
procs.
Lexistence du procs 41
PPRREEMMIIRREE PPAARRTTIIEE :: LLEEXXIISSTTEENNCCEE DDUU PPRROOCCSS
49. Dans un tat de droit, le principe cardinal consiste veiller au respect de la rgle
de droit, travers l'intervention du juge, le mieux mme de garantir leffectivit de
celle-ci. Cest la fonction sociale assigne au droit d'agir en justice. Le droit d'accs
un tribunal est la proccupation prioritaire du Conseil constitutionnel, en matire de
droit processuel, car il conditionne lexistence mme du procs. Il se subdivise en
deux exigences complmentaires.
50. En premier lieu, parce que le droit au juge constitue le pralable ncessaire la
mise en uvre des autres garanties inhrentes lorganisation dun procs quitable,
il bnficie, en droit constitutionnel franais, dune protection de mieux en mieux
assure. Le droit dagir en justice est ainsi le rouage essentiel du procs, tel que le
Conseil constitutionnel lenvisage et lorganise (Titre 1).
51. En second lieu, le Conseil constitutionnel a jou un rle primordial dans le
renforcement du droit un juge de qualit. cette fin, il a dvelopp, grce une
relecture de la thorie de la sparation des pouvoirs147, une jurisprudence exigeante,
oriente vers le renforcement des deux caractres essentiels du juge, consubstantiels
lide mme de bonne justice : son indpendance et son impartialit (Titre 2).
147 RENOUX T., L'apport du Conseil constitutionnel l'application de la thorie de la sparation des
pouvoirs en France , op. cit., p. 169.
Lexistence du procs 43
TTIITTRREE 11 :: LLEE DDRROOIITT AAUU JJUUGGEE
52. Le droit au juge, indiffremment dsign comme le droit un recours
juridictionnel ou le droit d'agir en justice, est le droit pour toute personne, physique
ou morale, franaise ou trangre, d'accder la justice pour y faire valoir ses
droits148. Le Conseil constitutionnel veille ce que loffice du juge ne soit
exagrment entrav, ce qui conduirait inexorablement une forme de dni de
justice149. Il admet ainsi que le lgislateur y apporte des limites, afin datteindre un
objectif d'intrt gnral, mais la condition, apprcie strictement, qu'aucune
atteinte substantielle ne soit porte ce droit fondamental (Chapitre 1).
53. Si le droit au recours juridictionnel effectif bnficie dune attention particulire
de la part du Conseil constitutionnel, il en va sensiblement autrement de son
prolongement naturel : le droit des recours juridictionnels successifs, qui peuvent
prendre la forme de lappel ou de la cassation. Mme si le juge constitutionnel nest
pas indiffrent aux amnagements dont ces voies de recours font lobjet, la protection
quil leur apporte ne prsente pas toujours toutes les garanties de bonne justice
attendues (Chapitre 2).
148 FAVOREU L. et RENOUX T., Le contentieux constitutionnel des actes administratifs, Sirey, Paris, 1992,
p. 90 et s. 149 FAVOREU L., Du dni de justice en droit public franais, L.G.D.J., Coll. Bibliothque de droit public,
Paris, 1964.
Lexistence du procs 45
CCHHAAPPIITTRREE 11 :: LLEE DDRROOIITT CCOONNSSTTIITTUUTTIIOONNNNEELL AAUU RREECCOOUURRSS JJUURRIIDDIICCTTIIOONNNNEELL
EEFFFFEECCTTIIFF
Introduction La dcouverte progressive du fondement constitutionnel du droit
constitutionnel au recours juridictionnel effectif
54. Le droit au recours juridictionnel effectif, cest dire la facult relle dagir en
justice, afin de demander un juge de statuer sur le fond dun contentieux, est une
composante essentielle dun tat de droit. Que ce soit dans son acception formelle,
consistant garantir le respect de la hirarchie des normes, ou dans sa conception
substantielle, permettant la protection des droits et liberts, le rle du juge est central.
ce titre, comme la dmontr le doyen FAVOREU, dans sa dfinition du dni de
justice150, ltat est dbiteur dun devoir de protection juridictionnelle lgard des
citoyens, dont le fondement rside dans le droit au juge151.
55. Pourtant, le texte constitutionnel du 4 octobre 1958 est trangement silencieux sur
ce point. Sans doute faut-il y voir la mfiance culturelle et sociologique des autorits
publiques lgard des juges (mme si le pouvoir juridictionnel nest pas totalement
absent de la lettre de la Constitution), tout autant que les considrations
conjoncturelles ayant prsid llaboration de lacte fondateur de la Ve Rpublique.
En effet, ces dernires amenrent le constituant prioriser ses travaux en direction
des autorits excutives de ltat, comme en tmoigne lordre dapparition des
pouvoirs publics dans le texte final. Cette discrtion contraste dailleurs
ostensiblement avec les nombreuses conscrations expresses, qui jalonnent les lois
150 FAVOREU L., Du dni de justice en droit public franais, op. cit. 151 FAVOREU L., Rsurgence de la notion de dni de justice et droit au juge , Gouverner,
administrer, juger, Liber amicorum Jean Waline, Dalloz, 2002, p. 513.
46 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
fondamentales des dmocraties europennes152. La disposition la plus protectrice,
celle qui semble le mieux encadrer les restrictions lgislatives daccs au prtoire est,
sans doute, larticle 24-1 de la Constitution espagnole, qui affirme que toute personne
a le droit d'obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et
ses intrts lgitimes sans, quen aucun cas, cette protection puisse lui tre refuse .
linverse, celle dont le champ dapplication parat le moins tendu, est larticle 19-4
de la Loi fondamentale allemande, qui nonce que quiconque est ls dans ses droits
par la puissance publique dispose dun recours juridictionnel .
56. Nonobstant cette prcision, lie lorigine de la violation des droits, dont on
comprend aisment la raison historique, la plupart des dmocraties occidentales ont
jug ncessaire de graver, au sommet de la pyramide normative, le droit de saisir une
juridiction pour y faire valoir ses droits. Il en est de mme des principaux
instruments internationaux de protection des liberts fondamentales, quil sagisse de
l'article 8 de la Dclaration universelle des droits de l'homme du 10 dcembre 1948153,
de l'article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques du 19 dcembre 1966154 et bien entendu, de la Convention europenne des
droits de l'homme, la plus riche en la matire puisquelle y proclame, trois reprises,
aux articles 5, paragraphe 4155, 6 paragraphe 1156 et 13157, le droit au recours
152 Larticle 24 de la Constitution italienne dispose qu il est reconnu chacun le droit d'ester en justice
pour la protection de ses droits et de ses intrts lgitimes , alors que larticle 20-1 de la Constitution
portugaise affirme, quant lui, que laccs au droit et le pourvoi devant les diffrentes juridictions sont
facults toute personne pour la dfense de ses droits et de ses intrts lgalement protgs, indpendamment
de ses ressources . 153 Toute personne a droit un recours effectif devant les juridictions nationales comptentes contre les actes
violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la Constitution ou par la loi . 154 Toute personne a droit ce que sa cause soit entendue par un tribunal . 155 Toute personne prive de sa libert par arrestation ou dtention a le droit d'introduire un recours devant
un tribunal, afin qu'il statue bref dlai sur la lgalit de sa dtention et ordonne sa libration si la dtention
est illgale . 156 Toute personne a droit ce que sa cause soit entendue quitablement, publiquement et dans un dlai
raisonnable, par un tribunal indpendant et impartial, tabli par la loi, qui dcidera, soit des contestations
sur ses droits et obligations de caractre civil, soit du bien-fond de toute accusation en matire pnale
dirige contre elle .
Lexistence du procs 47
juridictionnel158. Nanmoins, dans aucune des trois hypothses vises par le texte
humanitaire europen, la conscration du droit de saisir la justice ne revt une porte
gnrale, puisque dans le premier cas, seules les privations arbitraires de libert sont
protges, alors que dans le troisime, le recours effectif vise uniquement les droits et
liberts reconnus dans la Convention. Mme le droit conventionnel au procs
quitable (et les garanties laccompagnant), qui induit ncessairement laccs au juge
afin de pouvoir en bnficier159, ne trouve matire sappliquer quen cas de
contestations sur ses droits et obligations de caractre civil ou daccusation en matire
pnale160 .
57. Lhistoire constitutionnelle franaise, de son ct, laisse apparatre une seule
vritable incursion, brve et provisoire (voire seulement virtuelle), du droit dagir en
justice. Il sagit de larticle 11 du projet de Constitution du 19 avril 1946161, rejet par
rfrendum le 5 mai 1946, ce qui priva dune part, le droit au recours juridictionnel
dacqurir valeur de droit positif et, dautre part, la nouvelle Dclaration des droits de
l'homme de 1946, de constituer un lment potentiel du futur bloc de
constitutionnalit. Le droit franais na pourtant jamais vraiment occult cette notion,
puisquil consacre lexistence dun recours juridictionnel appropri, comme lun des
lments fondateurs de lordre juridique nouveau, tel quissu de la rvolution,
157 Toute personne dont les droits et liberts reconnus dans la prsente Convention ont t viols, a droit
l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors mme que la violation aurait t commise
par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles . 158 COSTA J.-P., Le droit un tribunal et ses limites, selon la jurisprudence de la Cour E.D.H. ,
Mlanges en l'honneur de Jean Buffet : la procdure en tous ses tats, Petites affiches d., 2004, p. 159 ;
LAMBERT P., Le droit daccs un tribunal dans la Convention europenne des droits de
lhomme , Le procs quitable et la protection juridictionnelle du citoyen, colloque de Bordeaux, 29-30
septembre 2000, op. cit., p. 57. 159 C.E.D.H., 21 fvrier 1975, Golder c/ Royaume-Uni, requte n 4451/70, srie A, n 18, A.F.D.I., 1975,
p. 330, note PELLOUX R., 35. 160 Conv. E.D.H., article 6, 1. Sur le champ dapplication du droit de la Convention europenne, Cf
SUDRE F., Les grands arrts de la Cour europenne des Droits de l'Homme, 5e d., P.U.F, Coll. Thmis,
Paris, 2009, p. 218. 161 La loi assure tous les hommes le droit de se faire rendre justice et l'insuffisance des ressources ne saurait
y faire obstacle .
48 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
comme en tmoigne le prambule de la Dclaration de 1789162. Faute denracinement
constitutionnel direct dans le texte de 1958, le Conseil constitutionnel dut chercher
un fondement autonome, soit parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois
de la Rpublique163, soit parmi les dispositions crites de la Dclaration des droits de
l'homme et du citoyen164, comme ly incitait avec constance la doctrine, tant
processualiste que constitutionnaliste165.
58. Dans la premire catgorie, deux dispositions lgislatives majeures peuvent servir
dcrin la reconnaissance dun principe fondamental reconnu par les lois de la
Rpublique, mme si une certaine rticence historique simpose concernant la
seconde. Dabord, larticle 4 du Code civil, qui proscrit toute forme dabstention du
juge, dans son devoir de trancher les litiges ports devant son office et qui, par l-
mme,